Chrysostome sur 2Co 1700

HOMÉLIE XVII. MAIS AFIN QUE VOUS EXCELLIEZ EN TOUT, PAR VOTRE FOI ET PAR VOTRE PAROLE, ET PAR VOTRE SCIENCE, ET PAR TOUTE ESPÈCE DE ZÈLE.

(2Co 8,7-15)

Analyse.

1. Saint Paul évite tout ce qui pourrait ressembler à de l'importunité à l'égard des Corinthiens r il leur a cité l'exemple des Macédoniens, non pour rendre les Corinthiens jaloux, mais pour les engager à imiter les Macédoniens ; il stimule ensuite les Corinthiens par leur propre exemple. — Il commence par leur demander de faire l'aumône sans aller jusqu'à se gêner.
2. Leur aumône rétablira l'égalité, tant des biens temporels que des biens spirituels. — C'est le fait de l'orgueil, de ne vouloir avoir besoin de personne. — Utilité des pauvres en ce monde.
3. Les riches ont bien plus besoin d'autrui que les pauvres. — Ce besoin où nous sommes les uns des autres est un effet de la sagesse divine. — Il ne faut jamais se lasser de faire l'aumône.. — Faire aux autres ce que nous voulons qu'ils nous fassent, telle est la règle de conduite à suivre à l'égard du prochain.

1701 1. Voyez encore comme avec des éloges il les excite à en mériter de plus grands. Il n'a pas dit : Afin que vous donniez; mais : « Afin que vous excelliez par votre foi dans les dons de la grâce, par votre parole» pleine de sagesse, « par votre science » des dogmes, « par toute espèce de zèle » pour les autres vertus, « et par votre charité », cette charité dont j'ai déjà parlé, et dont j'ai donné la preuve. « Qu'ainsi vous excelliez également en cette dernière grâce ». Vous le voyez, s'il commence par les louer sur les premiers (107) points, c'est afin de les entraîner, par la suite de son discours, à se montrer tout aussi zélés sous ce dernier rapport. « Je ne vous dis pas cela par manière de commandement ». Voyez quelle complaisance il a sans cessa pour eux, comme il s'abstient d'être importun, et d'employer là violence ou la contrainte ; que dis-je? ce double caractère est ici dans les paroles même: absence d'importunité et absence de contrainte. En effet, comme il les a continuellement exhortés, qu'il a beaucoup loué les Macédoniens, de peur que cela ne ressemble à de la contrainte, voici comment il s'exprime : « Je ne vous dis pas cela par manière de commandement, mais voulant, par le zèle des autres, éprouver aussi votre fonds sincère de charité (8) ». Non pas qu'il en doute : car tel n'est pas ici-le sens;. mais il veut mettre cette vertu en lumière, la prouver, et en même temps la fortifier. Si je vous parle ainsi, veut-il dire, c'est afin de vous exciter à la même ardeur; et en faisant mention de leur zèle, je donne de l'éclat ; du lustre, un stimulant, à vos propres dispositions. Puis, de ce motif, il en vient à un plus puissant : car il ne néglige aucune manière de présenter son conseil: il met tout en oeuvre, il emploie toutes les ressources du langage; il les a d'abord exhortés en louant les autres: « Vous connaissez la grâce de Dieu qui a été adonnée dans les églises de Macédoine (1) »; il les exhorte ensuite en les louant eux-mêmes : « Mais afin que vous excelliez en a tout, par votre parole et par votre science (7) ». En effet, il peut être plus cuisant d'être surpassé par soi-même que par autrui.

Il arrive ensuite à l'argument capital et définitif de son conseil : « Car vous connaissez la grâce de Notre-Seigneur, par laquelle il « s'est appauvri pour nous, lui qui était riche, «afin que nous nous enrichissions par sa a pauvreté ». Pensez, leur veut-il dire, à cette faveur divine, réfléchissez-y, méditez-la; ne la laissez point passer comme inaperçue, mais considérez-en la grandeur, l'importance et la dignité, et alors vous ne ménagerez rien de ce qui vous appartient. Notre-Seigneur s'est dépouillé de sa gloire, pour que vous vous enrichissiez, non par sa richesse, mais par sa pauvreté. Si vous ne croyez point que la pauvreté produise la richesse, pensez à vôtre Maître, et vous n'aurez plus de doute. Car s'il n'était pas devenu pauvre, vous ne seriez pas devenu riche. Chose étonnante pourtant, que la pauvreté ait enrichi la richesse ! C'est qu'ici, par le mot richesse, l'Ecriture entend la science de la piété, la purification de nos péchés, la justice, la sanctification, et les biens innombrables que Dieu nous a procurés, et qu'il nous procurera plus tard. Or, tout cela nous est venu de sa. pauvreté. Et en quoi consista cette pauvreté ? A se revêtir de notre chair, à se faire homme, à souffrir ce qu'il a souffert. Et cependant il ne vous devait pas ces sacrifices, au lieu que vous, vous lui êtes redevable. « Et je vous donne en cela un avis pour votre utilité ». Voyez comme ici encore il se préoccupe de n'être pas importun, et comme il adoucit son discours par ces deux expressions : « Je vous donne un avis », et « Pour votre utilité ». Il leur dit : Je ne vous contrains pas, je ne vous violente point, je fais un appel à votre bonne volonté :.et en vous. parlant ainsi, j'ai moins en vue l'intérêt de ceux qui recevront que votre propre avantage.

Puis, l'exemple même qu'il donne, il le tire d'eux-mêmes, et non pas de quelques autres. « A vous qui avez déjà commencé, non-seulement à faire celte bonne oeuvre, mais même à la vouloir dès l'année dernière (10) ». Voyez comme il fait voir qu'ils s'y sont portés d'eux-mêmes et sans impulsion étrangère. C'est qu'ayant précédemment rendu ce témoignage aux habitants de Thessalonique, qu'ils avaient pratiqué l'aumône de leur propre mouvement, et avec beaucoup d'instance, il veut montrer que ce mérite est aussi celui dés Corinthiens. Voilà pourquoi il dit : «Non-seulement à faire cette bonne oeuvre, mais même à la vouloir », et pourquoi aussi, non content de ces simples mots : Vous avez commencé, il emploie ceux-ci : « Vous avez déjà commencé dès l'année dernière». Ainsi, ce à quoi je vous exhorte, c'est une chose dans laquelle vous m'avez déjà prévenu, en vous y excitant vous-mêmes avec la plus grande ardeur. « Et maintenant vous en avez accompli l'exécution ». Il ne dit pas : « Vous avez fait cette bonne oeuvre », mais : « Vous y avez mis la dernière main ». — « De manière que comme votre désir est provenu de votre vouloir, ainsi votre action est provenue de votre avoir (11) ». En effet, il ne faut pas que ce noble mérite se borne au désir, il faut qu'il reçoive la récompense qui suit les actions; (108) « car pourvu que le désir précède, on est bien accueilli selon ce que l'on a, et non selon ce qu'on n'a pas ».

Voyez quelle ineffable sagesse l’apôtre leur avait montré au commencement des gens qui avaient fait l'aumône au-delà de leurs moyens, je veux parler des habitants de Thessalonique; il les en avait loués, et avait dit : « Je leur rends ce témoignage qu'ils ont donné même au-delà de leurs moyens (3) » ; maintenant qu'il engage les Corinthiens à faire l'aumône suivant leurs moyens seulement, il laisse l'exemple qu'il a donné produire son effet de lui-même, sachant bien que c'est moins l'exhortation que le zèle qui pousse les hommes à imiter les bonnes actions; c'est pour cela qu'il dit : « Car pourvu que le désir précède, on est bien accueilli selon ce que l'on a, et non selon ce qu'on n'a pas. ». Ne vous effrayez pas, veut-il dire, des paroles que j'ai prononcées tout à l'heure, car ce que j'en ai. dit était pour faire l'éloge de leur libéralité ; mais Dieu nous demande en raison de nos moyens, d'après ce que nous avons, et non d'après ce que nous n'avons pas. Car l'expression : « On est bien accueilli » a ici la même valeur que s'il y avait : « Dieu demande de nous ». S'en remettant donc avec confiance à l'exemple qu'il a cité, il les ménage extrêmement, et les attire d'autant mieux qu'il les laisse libres; aussi ajoute-t-il encore : « Car il ne faut pas que le soulagement des autres soit votre surcharge ».

1702 2. Cependant Jésus-Christ avait loué au contraire la veuve pour s'être dépouillée de tous ses moyens d'existence et avoir donné quelque chose dans sa misère même. Mais saint Paul parlait aux Corinthiens, à ce peuple au milieu duquel il préférait souffrir la faim : « Car », disait-il, « il est plus beau pour moi de mourir, que si quelqu'un me dépouillait de mon sujet de gloire ». (1Co 9,15) C'est pour cela qu'il a recours à une exhortation mesurée, louant à la vérité ceux qui font l'aumône au-delà de leurs moyens, mais sans contraindre les Corinthiens à en faire autant; non pas qu'il ne le voulût, mais parce qu'ils étaient un peu faibles. En effet, pourquoi loue-t-il les autres de ce que, dans de nombreuses épreuves de tribulation, ils avaient une surabondance de joie, de ce que leur profonde pauvreté avait été surabondante pour la, richesse de leur simplicité (2Co 8,2), et de ce qu'ils avaient donné au-delà de leurs moyens (3) ? N'est-il pas clair que c'est pour y amener les Corinthiens? Ainsi, bien qu'il paraisse leur passer en cela l'infériorité, ce n'est pour lui qu'un moyen de les faire monter aussi haut que les autres. Observez en effet comme par les paroles qui suivent, et sans en avoir l'air, il les prépare encore à ce résultat. Après ce qu'il vient de dire, il ajoute « Que votre superflu supplée à ce qui leur manque (4) ». Pour rendre son commande ment léger, il n'en avait pas dit assez, il a voulu y ajouter les mots que vous venez d'entendre. Et même, non content des moyens précédents, il leur facilite encore l'accomplissement du précepte, en leur montrant la récompense, et en des termes plus grandioses qu'ils ne le méritent : « Afin », dit-il, «que l'égalité se fasse dans le temps présent, et que leur superflu supplée à ce qui vous manque () ». Qu'est-ce à dire? Le voici: vous regorgez, vous autres, de richesses : eux, ils regorgent de la véritable vie et de leur crédit. auprès de Dieu. Donnez-leur donc de ces richesses que vous avez en surabondance, et dont ils sont privés, afin que vous receviez d'autres biens par l'entremise de ce crédit dont ils sont riches, et dont vous êtes pauvres. Voyez comme il a su, sans qu'ils s'en doutassent, les préparer à donner au-delà de leurs moyens, et même dans l'indigence. Car si vous voulez, leur dit-il, recevoir de la surabondance des autres, donnez vous-mêmes de votre surabondance; mais si vous voulez vous faire donner tout, il faut leur offrir même de votre indigence, et au-delà de vos moyens. Il ne tient pas littéralement ce langage à ses auditeurs, mais il laissé leur raisonnement tirer cette conclusion : en attendant, il poursuit toujours son premier but, il opère son exhortation modérée, en leur parlant des effets visibles, en leur disant: « Afin que l'égalité se fasse dans le temps présent ».

Comment arrivera cette égalité ? En ce que vous et eux vous vous donnerez réciproquement de ce que vous avez en abondance., et vous suppléerez mutuellement à ce qui vous manque. Et quelle est cette égalité, puisqu'en retour de choses matérielles, on vous en rendra de spirituelles ? La supériorité est grande de ce dernier côté : comment donc appelle-t-il cela de l'égalité? Il ne la considère qu'au point de vue du superflu et du trop peu, ou bien seulement par rapport à la vie présente. (109) C'est pour cela qu'après avoir dit : « L'égalité», il ajoute : « Dans le temps présent ». Et en parlant ainsi, il voulait rabaisser l'orgueil des riches, et faire voir qu'après notre départ d'ici-bas, les hommes spirituels auront de beaucoup l'avantage. Car en ce monde nous jouissons tous d'une grande égalité; mais alors il y aura une grande différence, les uns auront sur les autres une extrême supériorité, cartes justes seront plus resplendissants que le soleil. Ensuite, quand il les a représentés non-seulement comme donnant, mais encore comme recevant en retour dé plus grands avantages, il veut donner à leur ardeur un autre mobile, en leur montrant que même s'ils ne font part de rien à autrui, ils ne posséderont lien de plus, après avoir ainsi tout amassé chez eux. Et il leur cite alors un trait de l'antique histoire : « Selon ce qui est écrit : « Celui qui en recueillait beaucoup, n'en avait pas plus que les autres; et celui qui en recueillait peu, n'en avait pas moins ». (Ex 16,18) C'est de la manne qu'il en fut ainsi. Car ceux qui en avaient ramassé davantage et ceux qui en avaient ramassé moins, se trouvaient en avoir la même mesure, Dieu punissant ainsi l'avidité. Or l'apôtre parlait ainsi, tant pour les effrayer par, l'exemple dé ce qui s'était passé alors, que pour leur persuader de ne désirer rien de trop, et de ne point s'affliger lorsqu'ils n'avaient pis assez. Et l'on peut voir se renouveler de nos jours, au sujet des affaires de cette vie, ce qui eut lieu autrefois à propos de la manne. Chacun de nous n'a qu'un seul estomac à satisfaire, la durée de la vie est la même pour tous, et chacun de nous n'est revêtu que d'un seul corps : en conséquence, le superflu du riche ne lui vaudra rien de plus, comme au pauvre son dénuement, rien de moins.

Dès lors, pourquoi craignez-vous la pauvreté? Ou pourquoi courez-vous après la richesse? Je crains, direz-vous, d'être forcé de frapper à la porte des autres, et de demander à mon prochain. J'entends aussi continuellement nombre de personnes qui font au ciel cette prière : Ne permettez pas que j'en vienne jamais à avoir besoin des hommes. J'ai grande pitié d'entendre un tel langage, car la crainte est puérile. Tous les jours, et pour ainsi dire en toutes choses, nous avons besoin les uns des autres. De sorte que ces paroles dénotent un esprit irréfléchi, plein de lui-même, et qui ne discerne pas clairement la nature des choses. Ne voyez-vous pas que tous nous avons besoin les uns des autres ? le soldat a besoin de l'artisan, celui-ci du négociant, le négociant à son tour a besoin du laboureur, l'esclave a besoin de l'homme libre, le maître a besoin de l'esclave, le pauvre du riche, le riche du pauvre, celui qui ne fait aucun travail de celui qui fait l'aumône, et celui qui donné de celui qui reçoit,, car celui qui reçoit l'aumône tient une place extrêmement nécessaire, et plus importante que toutes les autres. S'il n'y avait pas de pauvres, la plus grande partie de notre salut se trouverait renversée, les hommes n'ayant pas où répandre leurs richesses. Ainsi, le pauvre, qui semble le plus inutile de tous les hommes, en 'est au contraire le plus utile. Si donc il est honteux d'avoir besoin d'autrui, il ne lui reste plus qu'à mourir, car il n'est pas possible de vivre si l'on craint cela comme une honte. Mais je ne puis, direz-vous, souffrir un regard d'arrogance. Et pourquoi, en condamnant la hauteur chez les autres, vous flétrissez-vous du même coup par cette accusation? Car ne pouvoir supporter l'arrogance, c'est le fait d'une âme gonflée elle-même d'orgueil. Et si tout cela ne mérite d'être compté pour rien, pourquoi le craindre, pourquoi le redouter, pourquoi à cause de cela trembler à l'idée de la pauvreté? Si vous étiez riche, les gens dont vous auriez besoin n'en seraient que plus nombreux, oui plus nombreux et en outre plus vils : car plus on s'enrichit, plus on sè met en butte à cette malédiction.

1703 3. En demandant les richesses pour n'avoir besoin de personne, vous ne savez pas, ce que vous souhaitez : c'est comme si un homme, en s'embarquant sur une mer où l'on a besoin de nautonniers, d'un vaisseau, et de mille agrès divers, formait le voeu de n'avoir absolument besoin de personne. Si vous voulez n'avoir grand besoin de personne, demandez la pauvreté : car si, étant pauvre, vous êtes obligé d':avoir recours à quelqu'un, ce ne sera que pour du pain ou pour un vêtement; tandis qu'étant riche, vous serez forcé de recourir à autrui pour vos terres, pour vos maisons, pour les impôts, pour les salaires, pour votre. rang, pour votre sûreté, pour votre gloire, pour vos rapports avec les gens en place; et non pas avec eux seulement, mais avec leurs subordonnés, avec ceux de la ville, ceux (110) de la campagne, avec les négociants, avec les aubergistes. Voyez-vous que de telles paroles sont insensées au dernier point? Car si, au bout du compte, ce besoin du secours d'autrui vous paraît quelque chose de si terrible, premièrement il est impossible de s'y soustraire absolument; en second lieu, si vous voulez du moins fuir la foule, car ceci est possible, alors, vous réfugiant dans le port sans tourmente de la pauvreté, rompez avec le tumulte si compliqué des, affaires, mais gardez-vous de considérer comme honteux, d'avoir besoin des autres : car c'est ici l'ouvrage de la sagesse ineffable de Dieu. Voyez en effet : nous, avons besoin les uns des autres,. et ce n'est pas encore assez de ces liens nécessaires pour nous réunir par c'eux de l'amitié ; eh bien ! si chacun de nous pouvait se suffire à soi-même, ne serions-nous pas des bêtes féroces que rien ne pourrait apprivoiser? Dieu nous a donc placés sous une dépendance mutuelle par la contrainte et la nécessité, et chaque jour nous nous froissons les uns contre les autres. Si Dieu nous eût retiré ce frein, qui de nous eût recherché de longtemps l'amitié de son prochain ? Gardons-nous donc de considérer ce besoin comme une honte, et ne disons pas dans nos prières : Préserve-nous d'avoir besoin de personne; mais demandons-lui ceci : Ne permets pas que, lorsque nous serons dans le besoin, nous repoussions ceux qui peuvent nous secourir. Ce qui est méprisable, ce n'est pas d'avoir besoin des autres, mais c'est de ravir ce qui appartient à autrui. Eh bien ! pourtant nous ne prions jamais à ce- dernier sujet, jamais nous ne disons: Préserve-moi de désirer le bien des autres; et pour ce qui est d'avoir, besoin d'eux, nous croyons, devoir en demander à Dieu l'affranchissement. Pourtant saint Paul se trouva souvent dans le besoin, et il n'en rougissait pas; au contraire, il s'en vantait, et il faisait dans les termes suivants l'éloge de ceux qui lui avaient rendu service: « Car une première et une seconde fois vous m'avez envoyé de quoi m'aider dans mes besoins » (Ph 4,16) ; et ailleurs: « J'ai dépouillé les autres Eglises, en recevant de quoi vivre pour vous servir ». (2Co 11,8) Rougir de cela, ce n'est donc pas de la dignité, mais de la faiblesse, c'est le fait d'une âme sottement fière, d'un esprit déraisonnable. En effet, Dieu juge à propos que nous ayons besoin les uns des autres. Ne poussez donc pas votre sagesse au-delà des bornes. Mais, dira-t-on, je ne puis souffrir un homme à qui je fais des prières réitérées, et qui n'y accède point. Et comment donc Dieu te souffrira-t-il, quand il t'exhorte et que tu ne te rends pas, et cela, lorsqu'il t'exhorte dans ton propre intérêt? « Car nous, sommes les délégués du Christ », dit l'apôtre, « de sorte que c'est Dieu qui vous adresse par notre organe cette exhortation : Réconciliez-vous avec Dieu ». (2Co 5,20) Mais, direz-vous, je ne laisse pas d'être le serviteur de Dieu. Comment, cela ? Quand vous, le prétendu serviteur, vous vous enivrez, et que lui, le Maître, souffre de la faim, et n'a. pas même la nourriture nécessaire, en quoi pourra vous protéger le titre de serviteur? Il ne fera au contraire que vous charger davantage, lorsque vous aurez demeuré dans vos palais à triple étage, tandis que votre maître n'avait pas même un abri suffisant; quand vous aurez couché sur des lits moelleux, tandis qu'il n'avait pas même ou reposer sa tête. On me dira encore : Eh bien ! j'ai donné. Oui, mais il ne faut pas s'arrêter dans cette voie. Car cette raison ne sera bonne que lorsque vous n'aurez plus de quoi donner, que vous ne posséderez plus rien. Tant que vous aurez quelque chose, eussiez-vous donné à dix mille personnes, s'il y a encore des gens qui ont faim, vous n'aurez pas de bonne raison à faire valoir.

Et si vous accaparez le blé, si vous le faites enchérir, si vous imaginez d'autres moyens insolites de, trafic, quel espoir de salut vous restera-t-il? Dieu vous a prescrit de donner gratuitement à celui qui a faim, et vous ne le faites même pas quand vous recevez un prix en proportion; il s'est lui-même pour vous dépouillé de tant de gloire, et vous ne daignez pas même lui donner du pain : votre chien est rassasié, et Jésus-Christ meurt de faim; votre serviteur est gorgé de mets jusqu'à étouffer, et votre Maître et le sien manquent de la nourriture nécessaire. Est-ce là se conduire en ami? Réconciliez-vous donc avec Dieu ; car votre manière d'agir a été celle d'un ennemi, d'un ennemi juré. Rougissons donc de tous les bienfaits que nous avons reçus, de tous ceux que nous recevrons encore; et quand un pauvre s'approche de nous en nous demandant l'aumône, accueillons-le avec une grande bienveillance, le consolant, l'encourageant par nos paroles, afin que nous (111) éprouvions à notre tour le même traitement, et de la part de Dieu, et de la part des hommes.

En effet, « tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le leur vous-mêmes ». (Mt 7,12) Cette loi n'a rien de pénible, rien de rebutant. Faites-nous, dit-elle, ce que vous voulez que l'on vous fasse; la rémunération est égale à l'action. L'Ecriture ne dit pas : Ne faites pas ce que vous ne voulez pas que l'on vous fasse ; elle va plus loin. Ce dernier précepte serait l'abstention du mal, le premier est la pratique du bien, et l'autre y est renfermé. L'Ecriture ne dit pas non plus : Souhaitez-le aussi aux autres; mais : « Faites-le leur ». Et qu'y gagne-t-on? « C'est la loi et les prophètes ». Vous voulez que Dieu ait pitié de vous? Ayez pitié des autres. Vous voulez obtenir votre pardon? Pardonnez donc vous-même. Vous prétendez que l'on ne dise pas de mal de vous? Ne dites donc de mal de personne. Vous désirez être loué ? Faites l'éloge d'autrui. Vous souhaitez que l'on ne vous enlève pas vos biens? Ne ravissez donc pas les biens étrangers. Voyez-vous comme Notre-Seigneur nous montre que le bien est une chose naturelle, et que nous n'avons pas besoin de chercher des lois ni des maîtres hors de nous? Car suivant que nous voulons être traités par notre prochain de telle ou telle manière, nous nous faisons notre loi en conséquence. Si donc vous ne voulez pas qu'il vous fasse quelque chose, et que vous le lui fassiez, ou bien si vous voulez qu'il vous fasse quelque chose, et que vous ne lui fassiez pas, vous prononcez votre propre condamnation, et il ne vous reste plus aucun moyen de vous justifier, en alléguant que vous ne saviez comment agir, que vous ignoriez ce qu'il fallait faire. Aussi, je vous en conjure, gravons en nous cette loi pour notre usage, et en lisant ces paroles si claires à la fois et si concises, devenons tels envers notre prochain, que nous voulons qu'il soit envers nous, afin que nous jouissions de la paix ici-bas, et que nous obtenions les biens futurs, par la grâce et là charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire, puissance et honneur, au père ainsi qu'au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduction de M. Edouard MALVOISIN.



HOMÉLIE XVIII. ET GRACES SOIENT RENDUES A DIEU QUI A MIS LE MÊME ZÈLE POUR VOUS DANS LE COEUR DE TITE.

1800
(
2Co 8,16-24)

112 Analyse.

1. Pour augmenter le zèle des Corinthiens dans l'exercice de l'aumône, l'Apôtre leur fait l'éloge de ceux qu'il envoie recueillir leurs offrandes. — Il commence par louer Tite, auquel il fait surtout un mérite de sa spontanéité à se rendre à Corinthe. — Quel est ce frère qu'il lui adjoint, et dont la réputation dans l'Evangile est répandue dans toutes les Eglises? — Ses titres à la confiance des fidèles.
2. Saint Paul a choisi des hommes à l'abri de tout soupçon, afin d'éviter même les interprétations malveillantes du monde. — Le troisième frère qu'il envoie est plein de zèle aussi, et choisi par les Eglises comme le précédent.
3. Ils étaient probablement inconnus. aux Corinthiens. — Honorer les envoyés des Eglises, c'est honorer les Eglises; et honorer les Eglises, c'est honorer Dieu. — Puissance et valeur de l'Eglise en corps. — Il y a plusieurs circonstances où ministres et simples fidèles ont les mêmes droits. — Nous sommes tous les membres d'un seul corps ; aussi est-ce une chose déplorable que la désunion entre les fidèles. — Dieu ai permis que Jéthro donnât un bon avis à Moïse, pour faire voir que Moise était homme, et avait besoin du secours de Dieu pour opérer des miracles. — Moïse n'a pas rougi de suivre le conseil de Jéthro. — Lorsque nous sommes consultés, nous devons mettre de côté tout orgueil, ne considérer que l'intérêt de tous, et admettre les bons avis, même lorsqu'ils viennent des personnes de la plus basse condition.

1801 1. Voici encore l'apôtre qui donne des éloges à Tite. Après avoir parlé de l'aumône, il parle de ceux qui doivent recevoir et emporter leurs offrandes. Cela était dans l'intérêt de la collecte, cela augmentait le zèle de ceux qui y contribuaient. Quand nous avons confiance dans le dispensateur, quand nous ne soupçonnons pas les personnes qui recueillent nos. dons, nous y mettons plus de libéralité. Pour obtenir ce résultat, écoutez comme l'apôtre leur recommande les gens qui sont allés les trouver dans ce but, et parmi lesquels Tite est le premier. Il dit : « Et grâces soient rendues à Dieu qui a mis le même zèle pour vous dans le coeur de Tite ». Que veut-il dire par: « Le même zèle? » Le même que Tite avait pour les habitants de Thessalonique, ou bien encore Paul voulait-il dire aux Corinthiens

Un zèle semblable à celui que j'ai moi-même pour vous? Et remarquez sa sagesse : ayant montré que c'était l'oeuvre de Dieu, il le remercie d'être l'auteur de cette grâce, pour les exciter encore par ce moyen. Car si c'est Dieu qui a inspiré Tite, et qui l'a envoyé vers vous, c'est donc Dieu qui vous demande par l'organe de Tite. Ne pensez donc pas que ce qui est arrivé soit quelque chose d'humain. Et à quel signe reconnaît-on que c'est Dieu qui a poussé Tite à agir de la sorte? Le voici : « Car non-seulement il a bien accueilli mon exhortation, mais, plus zélé encore lui-même, il est parti de son propre mouvement (17) ». Voyez comme il le représente accomplissant son couvre personnelle, sans avoir besoin d'autrui. Mais comme saint Paul avait dit que c'était une grâce de Dieu, il ne la laisse pas attribuer à Dieu tout entière, afin de leur inspirer encore plus d'affection pour Tite, en leur disant que ce. dernier s'y est porté de lui-même. Car « plus zélé encore lui-même, il est parti de son propre mouvement » ; il a saisi l'occasion, il s'est élancé sur ce trésor, il a jugé que vous rendre service, c'était agir dans son propre intérêt; dans son amour extrême pour vous, il n'a pas eu besoin de mes exhortations, et quoique je l'aie exhorté, ce n'est pas cela qui l'a déterminé; il y a été porté de lui-même et par la grâce de Dieu. « Nous (113) avons aussi envoyé avec lui notre frère, dont la réputation dans l'Évangile est répandue dans toutes les Eglises (18) »?

Quel est ce frère? Les uns veulent que ce soit saint Luc, qui serait désigné ainsi à cause de l'Évangile qu'il écrit. Selon d'autres, il s'agit de Barnabas, et ses prédications, quoique non écrites, seraient ce que saint Paul appelle ici Evangile. Et pourquoi ne donne-t-il pas les noms de ceux qu'il envoie avec Tite ? Il nomme Tite expressément, il le caractérise en outre, et par sa coopération dans la prédication évangélique, [car il était si utile que Paul, en son absence, ne pouvait rien faire de grand et d'énergique : « N'ayant point trouvé mon frère Tite, je n'ai point trouvé, de soulagement pour mon esprit]» (
2Co 2,13), et par sa charité pour les Corinthiens.« [Ses entrailles ressentent pour vous une affection encore plus surabondante] » (2Co 7,15), et par son zèle pour l’oeuvre dont il s'agit : « Il est parti, lisons-nous, de son propre mouvement » ; et quant aux autres que saint Paul envoie en même temps, il. ne fait pas ainsi leur portrait, et il ne les nomme pas. Comment expliquer cela? Peut-être n'étaient-ils pas connus des Corinthiens; alors il n'insiste pas sur, leur éloge, parce que les Corinthiens n'ont pas encore été à même de les apprécier; il n'en dit que ce qui suffisait pour les recommander et les mettre à l'abri de tout mauvais soupçon. Mais voyons en quoi il fait consister l'éloge de celui des coopérateurs de Tite dont il parle en premier ? De quoi le loue-t-il? De sa prédication d'abord, et il le loue non-seulement de prêcher, mais. de le faire comme il faut, et avec le zèle convenable. Car il ne dit pas : Il prêche et il évangélise, mais il parle de sa « réputation dans l'Évangile ». Et de peur que cela ne paraisse une flatterie, il prend à témoin non pas un seul homme, ni même deux ou trois hommes, mais les Eglises entières : « Notre frère, dont la réputation, dans l'Évangile est répandue dans toutes les Églises ». Ensuite il le rend respectable en raison du choix que l'on a fait de lui; ce qui n'est pas non plus un faible honneur. Aussi, après avoir, dit : « Dont la réputation dans l'Evangile est répandue dans toutes les Eglises », il ajoute: «Et non-seulement cela (19) ». C'est comme s'il disait: Non-seulement il est respectable parce qu'il est renommé pour sa prédication et que, tout le monde. fait son éloge, « mais encore il a été choisi par les Eglises avec nous (19) ». C'est ce qui me porte à croire qu'il est question de Barnabas. Et saint Paul représente la mission de ce frère comme considérable, car il indique pourquoi on l'a élu ; c'est,.dit-il, « afin de nous accompagner dans nos voyages et de coopérer avec nous dans cette grâce que nous dispensons (19) ». Voyez-vous quels éloges ! Il s'est illustré en annonçant l'Évangile; et toutes. les Eglises lui en ont donné un témoignage a été choisi pour la même oeuvre que saint Paul; associé partout à ce dernier, il a partagé ses épreuves et ses périls ; car le mot de voyages donne à entendre tout cela. Et que signifie : « Afin de coopérer avec nous dans cette grâce que nous dispensons? » C'est-à-dire, pour annoncer la parole et prêcher l'Évangile; ou bien, pour, distribuer les aumônes; je crois même qu'in s'agit de l'un et de l'autre but. Saint Paul ajoute ensuite : « Pour la gloire du Seigneur lui-même, et dans l'intérêt de votre zèle (19) ». Saint Paul veut donc dire ceci : Nous avons demandé qu'il fût élu avec nous, et désigné pour cette oeuvre, afin qu'il devint le dispensateur et le distributeur de l'argent sacré, [ce qui n'étant pas un faible. honneur, car les apôtres avaient dit : « Choisissez sept hommes d'entre vous, qui aient une bonne réputation] » (Ac 6,3) ; or il a été choisi par les Eglises, et le suffrage du peuple entier lui a été favorable. Que veut dire : « Pour la gloire du Seigneur lui-même, et dans l'intérêt de votre zèle ? » Cela signifie : Et pour que Dieu soit glorifié, et pour que vous deveniez plus zélés, en voyant que les hommes qui reçoivent ces aumônes sont connus, et que personne ne peut faire naître contre eux aucun soupçon injuste.

1802 2. C'est pour cela que nous avons cherché de tels hommes, et que nous n'avons pas confié le tout à un seul, car nous voulions qu'il échappât à un pareil soupçon ; mais nous avons envoyé Tite, et avec lui un autre. Puis, pour expliquer ces mots: « Pour la gloire du Seigneur, et dans l’intérêt de votre zèle », il ajoute: « Ayant ceci pour but, que personne ne nous blâme dans cette abondance que nous dispensons (20) ». Quel est ce langage ? Il est digne de la vertu de Paul, et il montre sa grande sollicitude, et sa condescendance. Pour que personne, veut-il dire, ne vous soupçonne, et ne dirige contre nous quelque blâme, (114) comme si nous- détournions une partie de l'argent qui nous est confié ; pour ce motif nous avons. envoyé des hommes de ce caractère; pour ce motif nous en avons envoyé non pas seulement un, mais deux, mais trois. Voyez-vous comme il les met à l'abri de tout soupçon ? Ce n'est pas seulement en s'appuyant sur leur prédication ni même simplement sur le choix que l'on a fait d'eux, mais il s'autorise de ce qu'ils sont connus, et de ce qu'on les a choisis tout exprès peur qu'ils ne pussent être soupçonnés. Il n'a pas dit non plus : De peur que vous ne nous blâmiez; mais : « Que personne ne nous blâme » ;. c'est-à-dire, personne autre que vous. Ainsi, bien qu'il ait fait cela pour eux ce qu'il donné à entendre par ces mots : « Pour la gloire du Seigneur lui-même, et dans l’intérêt de votre zèle » ; néanmoins il ne veut pas se blesser, et il prend un autre tour : « Ayant ceci pour but ». Et, non content de cela, il les flatte encore dans ce qui vient ensuite : « Dans cette abondance que nous dispensons » ; il accompagne d'un, éloge ce qui serait dur à entendre. Afin de ne pas les contrister, afin qu'ils ne disent pas : Tu crois donc devoir nous soupçonner? Nous sommes donc assez malheureux pour t'être suspects à cet égard? Il leur dit par manière de correctif : Les sommes d'argent que vous envoyez sont considérables, et cette abondance, c'est-à-dire, cette quantité d'argent serait de nature à donner des soupçons aux méchants, si nous ne faisions voir une garantie. « Car nous pour voyons au bien, non-seulement aux yeux de Dieu, mais encore aux yeux des hommes (21) ».

Comment égaler saint Paul? Il ne dit pas : Malheur et douleur à qui viendrait soupçonner pareille chose; tant que ma conscience ne me condamne pas, je tiens pour rien les soupçons d'autrui. Non, mais plus ils sont faibles, plus il s'abaisse à leur niveau.. C’est qu'en effet, lorsqu'un homme est malade, il ne s'agit pas de se fâcher contre lui, il faut tâcher de le guérir. Et cependant, de quel péché sommes-nous aussi éloignés, que ce grand saint était loin de prêter à un tel soupçon? personne, eût-ce été un démon, n'eût élevé, aucun doute sur la manière dont le bienheureux apôtre administrait cette aumône. Eh bien ! quoique si fort à l'abri des interprétations malignes, il fait tout, il met tout en couvre, pour ne pas laisser. même le plus léger prétexte à qui s'aviserait de faire, d'une manière ou d'une autre, quelque supposition mauvaise. Il prévient non-seulement les accusations, mais encore les reproches, le blâme le plus vulgaire et jusqu'au simple soupçon. « Nous avons aussi envoyé avec eux notre frère (22) ». En voilà donc un troisième qu'il adjoint aux deux autres, également avec éloge, et avec son suffrage et celui de plusieurs autres témoins. « Que nous avons », dit-il, « éprouvé souvent en mainte circonstance comme un homme zélé, et à présent comme bien plus zélé encore (
Ac 6,3) ». Après avoir loué les mérites personnels de ce frère, il l'exalte en raison de sa charité pour les Corinthiens, et ce qu'il disait de Tite, que « plus zélé encore lui-même, il était parti de son propre mouvement (17) », il le dit aussi de ce troisième : « Et à présent comme bien plus zélé encore ». Par ces paroles, il fait voir déjà en germe dans leurs coeurs leur amour pour les Corinthiens. Enfin, après avoir montré leurs vertus, il exhorte les Corinthiens dans leur propre intérêt, en disant : « S'il s'agit de Tite, il est mon coopérateur, et il travaille avec ravi pour vous (23) ». Que signifie : « S'il s'agit de Tite? » Voici le sens s'il faut parler de Tite en quelque chose, j'ai à dire qu'il est mon coopérateur, qu'il travaille avec moi. Ou bien encore il entend par là vous faites quelque chose pour Tite, vous n'aurez pas obligé le premier venu, car il est mon coopérateur. Et tout en ayant l'air de le louer, il vante les Corinthiens, en montrant que leurs dispositions envers lui sont telles qu'il suffit, pour leur donner lieu d'honorer quelqu'un, de leur faire voir en cette personne le coopérateur de Paul. Toutefois, il ne s'en tient pas encore là, et il ajoute cet autre motif : « Il travaille avec moi pour vous ». Non-seulement il travaille avec, moi, mais c’est pour des affaires qui vous regardent, c'est pour votre progrès, pour votre avantage, c’est par amitié, par zèle pour vous; il leur dit tout ce qui était le plus capable de lui gagner leur affection. « S'il s'agit de nos frères (Ac 6,3) ». C'est-à-dire du bien si vous voulez que je vous parle des autres, ils ont aussi les plus grands droits à vous être recommandés. En effet, eux aussi sont « nos frères », eux aussi « ils sont les apôtres des Eglises», c'est-à-dire, envoyés par les Eglises. Puis, ce qui est au-dessus de tout, « La gloire du Christ». Car c'est à Jésus-Christ que se rapporte tout ce qui leur arrive. (115) Soit donc que vous vouliez les accueillir comme des frères, ou comme les envoyés des Eglises, soit que vous le fassiez pour la gloire du Christ, vous avez de nombreux motifs de bienveillance à leur égard. Car j'ai à dire de Tite qu'il est mon coopérateur et votre ami dévoué, et j'ai à dire des autres qu'ils sont nos frères, qu'ils sont les apôtres des Eglises, qu'ils sont la gloire de Jésus-Christ.

1803 3. Vous le voyez, ceci prouve qu'en ces derniers étaient inconnus aux Corinthiens. Autrement il leur eût fait honneur comme à Tite, d'avoir de l'affection pour les Corinthiens. Mais sommé ceux-ci ne les connaissaient pas encore, recevez-les, dit-il, comme des frères, comme des envoyés des Eglises, comme agissant pour la gloire du Christ; c'est pourquoi il ajoute : « Prouvez-leur donc à la face des Eglises quille est votre charité et la gloire que nous mettons en vous (24) »: C'est-à-dire: Faites voir maintenant, d'une part combien vous nous aimez, et de l'autre, combien l'orgueil que: nous avons conçu de vous est légitime et fondés or, vous prouverez tout cela, si vous montrez de la charité envers eux. Il donne à son langage quelque chose de plus redoutable en ajoutant : « A la face des Eglises ». C'est, dit-il, pour la gloire et l'honneur des Eglises;car si vous honorez nos frères, vous honorerez les Eglises. dont ils tiennent leur mission. En effet, l'honneur qu'on rend aux envoyés ne s'arrête pas à eux, il va jusqu'à ceux qui les délèguent, qui les ont choisis, il va plus loin encore, il rend gloire à Dieu même. Honorer les ministres de Dieu, c'est faire monter,nos louanges jusqu'à lui. Devant la communauté des Eglises : et ce n'est pas là up point sans importance : il y a une grande puissance dans la réunion, c'est nomme si je disais : dans les Eglises. Considérez combien a été grande cette puissance de la réunion. La prière de l'Eglise délivra Pierre de ses liens (Ac 12,5-7), et ouvrit la bouche de Paul; à son tour, le suffrage de ces deux apôtres revêt de faveurs insignes ceux qui arrivent aux dignités spirituelles. C'est pourquoi celui qui va faire élection de quelqu'un invoque leurs prières, et ceux qui sont initiés aux fonctions sacrées sont appelés à donner leur suffrage, et déclarent ce qu'ils savent, car il n'est pas permis de tout révéler devant ceux qui ne sont pas initiés aux fonctions. sacrées. Dans d'autres cas, il n'y a point de différence entre le prêtre et ses administrés; comme lorsqu'il s'agit de prendre part aux redoutables mystères; car nous y sommes admis tous indistinctement.

Ce n'est pas comme sous l'ancienne Loi, où les mets du prêtre n'étaient pas ceux du simple fidèle; où il n'était pas permis au peuple d'avoir part aux mêmes choses que le pontife. Il n'en est plus ainsi die nos jours : un seul corps, un seul calice est offert à tous. Dans les prières, on peut voir aussi que le peuple est pour beaucoup. Pour les énergumènes, pour les personnes soumises à une pénitence, les prières viennent à la fois du prêtre et des fidèles; ils disent tous la même, et c'est une prière pleine de miséricorde. Quand nous avons exclu de l'enceinte sacrée ceux qui ne peuvent participer à la sainte table, c'est à une prière d'un autre genre qu'il faut avoir recours; mais alors encore tout le monde indistinctement se prosterne à terre et se relève. Quand on donne et que l'on reçoit le baiser de paix, tout le monde y est admis. 'Dans la célébration même des très-redoutables mystères, le prêtre prié pour le peuple, mais le peuple prie aussi pour le prêtre, car ces mots : « Et avec votre esprit », n'ont pas d'autre sens. L'action de grâces leur est commune également, car ce n'est pas le prêtre seul qui rend grâces, mais le peuple tout entier. En effet, c'est après avoir reçu l'assentiment des fidèles, et après qu'ils sont convenus que cela est juste et légitime (Dignum et justum est), que le prêtre commence l'action de grâces. Et pourquoi s'étonnerait-on que le peuple parle conjointement avec le prêtre, puisqu'alors aussi le peuple s'associe aux Chérubins eux-mêmes et aux puissances célestes pour faire monter en commun les hymnes sacrées vers Dieu? Or si je vous ai dit tout cela, c'est afin que même parmi les simples fidèles, chacun soit vigilant, afin que nous apprenions que nous gommes cous un seul corps, que nous ne, différons ensemble que comme certains membres diffèrent des autres, c'est afin que vous ne rejetiez pas tous les soins sur les prêtres, mais que pour votre part aussi, vous vous inquiétiez de l'Eglise tout entière, comme de votre corps commun. Car cela nous procure une plus grande sécurité, et un accroissement de vertu plus considérable.

Ecoutez comme du temps des apôtres on admettait dans d'autres circonstances encore, les simples fidèles à donner leur avis. Quand (115) on voulut choisir les sept diacres, on commença par consulter le peuple ; et quand Pierre élut Matthias, il consulta tous ceux qui étaient là, les femmes comme les hommes. C'est qu'il ne s'agit pas ici d'orgueil du côté des chefs, ni de servitude de la part des subordonnés; l'autorité y est toute spirituelle, et ce qui la distingue principalement, ce n'est pas de chercher de plus grands honneurs, c'est de prendre sur elle la plus grande partie des peines et de la sollicitude dont vous êtes l'objet. En effet, comme l'Eglise doit être pour nous une seule et même demeure, nos dispositions à tous doivent être celles d'un seul et même corps, de même qu'il n'y a qu'un baptême, qu'une table sainte, qu'une source de purification, qu'une seule création, qu'un. seul Père. Pourquoi donc sommes-nous divises, lorsque tant de choses nous réunissent? Pourquoi ces déchirements entre nous? Car nous sommes obligés de déplorer encore une fois ce dont j'ai bien souvent gémi ; le présent est lamentable : quelle profonde désunion nous sépare les uns des autres, quand nous devrions imiter la connexion des membres d'un même corps.,Ce serait le moyen grâce auquel le plus grand pourrait tirer parti même du plus petit: Car si Moïse apprit de son beau père quelque chose d'utile qu'il ne savait lui-même, à plus forte raison cela arriverait-il dans l'Eglise. Et pourquoi l'homme spirituel ne savait-il pas alors ce que savait l'infidèle ? C'était pour que tous apprissent alors. que Moïse était un homme; que pour diviser les eaux de lamer, pour ouvrir les flancs du rocher, il avait besoin du secours de Dieu; et que tout cela était l'oeuvre, non pas de la nature humaine, mais de la puissance divine; enfin que de nos jours, dans l'Eglise, si l'un ne donne pas un avis utile, un autre se lève et donne le sien.

Et fût-il d'une condition inférieure, si ce qu'il dit est bon, sanctionnez son avis, et quand cet homme serait de la classe la plus. humble, ne le méprisez pas. Car; nul dans ces derniers rangs n'est à une aussi grande distance de son prochain, que l'était Jéthro de son gendre Moïse; toutefois celui-ci, ne dédaigna pas d'écouter son beau-père, il accueillit au contraire son avis, il s'y rangea, et il l'a consigné par écrit, il n'a pas rougi de le transmettre à l'histoire (Ex 18), renversant en cela l'orgueil du plus grand nombre des hommes. C'est pour cela qu'il a laissé ses divers événements de sa vie gravés comme sur le marbre il savait que le récit en serait utile à beaucoup de gens. Ainsi, ne dédaignons pas ceux qui nous donnent de bons conseils, fussent-ils de simples fidèles, même de rang infime, et quand nous avons fait nous-même une proposition, ne prétendons pas à toute force la voir adopter; que tout ce qui paraît avantageux reçoive la sanction de tous. Car souvent, à forée d'ardeur et d'attention, ceux qui voient trouble, distinguent certaines choses mieux que ceux dont la vue"est perçante. Ne dites pas : Pourquoi m'appelez-vous afin de donner mon avis, si vous n'écoutez pas ce que je dis; ce reproche est celui d'un despote, et non pas d'un conseiller. Le conseiller n'a d'autre droit que de faire connaître sa façon de penser; s'il se produit quelque manière de voir plus utile, et que ce même homme veuille néanmoins imposer la sienne, alors, comme je viens de le dire, ce n'est plus un conseiller, c'est un tyran. Gardons-nous donc d'une pareille conduite; mais, dépouillant notre âme de tout orgueil et de toute infatuation, ayons en vue non pas de maintenir uniquement notre opinion, mais de donner, l'avis le plus utile, le moyen de prévaloir, quand même cet avis ne viendrait pas de nous. Car nous gagnerons beaucoup, si nous n'avons pas trouvé ce qu'il faut à l'accueillir lorsque les autres nous paraîtront l'offrir ; nous recevrons de Dieu une grande récompense, et c'est en même temps le meilleur moyen. d'en retirer de la gloire. En effet; si l'homme qui ouvre des avis utiles fait preuve de sagesse; nous autres, en les accueillant, nous nous attirons la réputation d'esprits judicieux et d'âmes droites. Voilà pour les familles et pour, les cités, et aussi pour l'Eglise, la ligne à suivre pour atteindre à un plus grand développement; voilà également pour nous tous le plan de conduite, qui après avoir été le meilleur pour la vie présente, nous vaudra les biens du. monde à venir : puissions-nous tous obtenir cette faveur par là grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire; puissance et honneur du Père, ainsi qu'au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




1900

HOMÉLIE XIX. CAR A L'ÉGARD DES SERVICES QUE L'ON REND AUX SAINTS, IL EST SUPERFLU QUE JE VOUS ÉCRIVE.


Chrysostome sur 2Co 1700