Chrysostome sur 2Co 2600

HOMÉLIE XXVI. IL NE M'EST PAS AVANTAGEUX DE ME GLORIFIER, CEPENDANT JE VIENDRAI MAINTENANT AUX VISIONS ET AUX RÉVÉLATIONS DU SEIGNEUR.

(2Co 12,1-10)

Analyse.

1 et 2. Visions et révélations de Paul. — Pourquoi il en parle, et pourquoi il ne le fait qu'à mots couverts.
3. Sur cet aiguillon que Paul ressentait dans sa chair, et qu'il appelait un ange de Satan, chargé de lui donner des soufflets. — Sens du mot Satan dans l'Écriture. — Humilité de Paul ; de la confession qu'il fait de ses faiblesses; pourquoi il s'y complait. — Les souffrances endurées pour Jésus-Christ sont pleines de consolations.
4. Sur la divinité ridiculement et honteusement attribuée à Alexandre-le-Grand, à un infâme comme Antinoüs. — L'empire d'Alexandre après sa mort, et l'empire du Christ, après sa mort.— Vive opposition.
5. Des apôtres, des martyrs.— Les sépulcres des martyrs, plus triomphants que les palais des rois. — Texte éloquent.

2601 1. Qu'est-ce que cela veut dire? Après tout ce qu'il vient de dire, pourquoi une réflexion de ce genre: « Il ne m'est pas avantageux de me glorifier», comme s'il n'avait rien dit? Ce n'est pas qu'il trouve qu'il n'a rien dit, mais c'est qu'il va passer à une autre espèce de glorification ; ce n'est pas que ce dont il veut parler lui donne des droits à une glorieuse récompense, mais c'est que les faits qu'il va dire rendraient, aux yeux du grand nombre, sa gloire encore plus éclatante, quoique les sages ne soient pas de cet avis; voilà pourquoi l'apôtre dit : « Il ne m'est pas avantageux de me glorifier ». En effet les grands titres de gloire étaient ceux qu'il a énumérés, ceux qui étaient fondés sur ses épreuves; mais maintenant il va en produire d'autres; ce sont des révélations, d'ineffables mystères. Pourquoi dit-il : « Il ne m'est pas avantageux, » sinon parce qu'il craint que ce souvenir ne lui donne de l'orgueil? Que dites-vous? quand vous ne parleriez pas de ces insignes faveurs, n'en avez-vous pas conscience? Mais c'est que nous ne sommes pas aussi portés à nous enorgueillir de ce dont nous avons conscience, que de la communication que nous en faisons aux autres. Ce n'est pas la vertu des bonnes oeuvres qui provoque l'orgueil, mais le grand nombre des témoins qui connaissent nos mérites. Voilà donc pourquoi il dit : « Il ne m'est pas avantageux », c'est-à-dire, je ne veux pas donner une trop haute idée de moi, à ceux qui m'écoutent. En effet, -les faux apôtres parlaient même des vertus qu'ils n'avaient pas; Paul, au contraire, cache même les vertus qu'il a, et cela quand une nécessité si impérieuse devrait le faire parler, et il dit : « Il ne m'est pas avantageux », ce qui démontre éloquemment combien tous doivent fuir l'ostentation. Il n'y a aucun profit à y céder, elle est funeste ; il faut pour parler de soi, une nécessité de nature à déterminer la volonté.

L'apôtre donc, après avoir rappelé ses dangers, ses épreuves, les piéges qui lui ont été tendus, ses chagrins, ses naufrages, passe à un tout autre ordre de faits à sa gloire, il dit : « Je connais un homme, il y a quatorze ans, (fut-ce avec son corps? je ne le sais ; fut-ce sans son corps ? je ne le sais; Dieu le sait) qui fut ravi jusqu'au troisième ciel. Et je sais qu'il fut ravi dans le paradis; (fut-ce avec son corps? je ne le sais; fut-ce sans son corps? je ne le sais); et il y entendit des paroles ineffables, qu'il n'est pas permis à un homme de rapporter. Je pourrais me glorifier en « parlant d'un tel homme, mais je ne me glorifierai pas de moi-même (
2Co 12,2-5) ». Ce fut là une grande révélation, mais ce ne fut pas la seule qu'il eut, il en reçut beaucoup d'autres encore; mais il n'en dit qu'une dans (157) le grand nombre. Ce qui prouve combien il en reçut, c'est ce qu'il dit : «De peur que la grandeur de mes révélations ne me donne de l'orgueil ». Mais, dira-t-on, s'il tenait à les cacher, il ne devait pas en parler à mots couverts, il n'avait qu'à ne rien dire de pareil; s'il tenait à en parler, il devait en parler clairement. Pourquoi donc n'a-t-il ni parlé clairement, ni gardé le silence? C'est pour montrer que, même en parlant, il ne le fait qu'à contre-coeur. Voilà pourquoi il a fait la réflexion qu'il y avait, de ce fait, quatorze ans. Il ne l'a pas mentionné sans montrer qu'après avoir gardé le silence si longtemps, il n'en parle présentement que parce qu'une impérieuse nécessité l'y oblige, qu'il continuerait encore à n'en rien dire, s'il ne voyait ses frères qui se perdent. Or si Paul, dès le début de sa carrière, méritait d'être honoré d'une telle révélation, lui qui n'avait pas encore fait paraître de si éminentes vertus, considérez ce qu'il dut devenir quatorze ans après. Et voyez sa modestie à raconter certaines choses, à reconnaître qu'il en ignore d'autres. Qu'il a été ravi, c'est ce qu'il dit; fut-ce en corps? fut-ce sans son corps? c'est ce qu'il reconnaît ignorer. Il pouvait se contenter de parler de ce ravissement, et de ne rien dire ensuite ; mais il n'écoute que sa modestie et il ajoute son observation.

Quoi donc? est-ce son esprit qui a été ravi avec son âme, et son corps serait resté mort? ou est-ce le contraire? Son corps a-t-il été ravi ? Impossible de le dire. Si Paul n'en sait rien, lui qui a été ravi, lui qui s'est vu révéler de si grands mystères, à bien plus forte raison devons-nous l'ignorer. Il était dans le paradis, voilà ce qu'il sait; il était dans le troisième ciel, voilà ce qu'il n'ignorait pas; mais la manière, voilà ce qu'il ne distinguait pas clairement. Considérez une autre marque de sa modestie. Quand il parle de la ville des Damascéniens, il pense à garantir la véracité de son discours ; ici, au contraire, il ne s'en inquiète plus; c'est qu'en effet, il n'attachait pas une extrême importance à être cru, il parle seulement à mots couverts. Ainsi ajoute-t-il : « Je pourrais me glorifier, en parlant d'un tel Homme » ; il n'entend pas dire par là que ce soit un autre que lui qui ait été ravi, mais, autant qu'il lui est permis et possible, il évite de parler de lui ouvertement; de là, la tournure de ses paroles. D'ailleurs à quoi bon, puisqu'il parlait de lui, recourir à un intermédiaire? Pourquoi donc cette composition, cet arrangement? C'est que ce n'était pas la même chose de dire : J'ai été ravi, et je connais un homme qui a été ravi; ni : Je me glorifie en parlant de moi-même, et : Je pourrais me glorifier en parlant d'un tel homme. Que si l'on objecte : Mais comment pouvait-il être ravi sans son corps? Je demanderai à l'auteur de l'objection : Mais comment pouvait-il être ravi avec son corps? car le second fait est encore plus incompréhensible que le premier, si l'on ramène tout au raisonnement, si l'on ne veut pas s'incliner devant la foi. Maintenant pourquoi a-t-il été ravi ? C'est, je pense, afin qu'il ne parût pas inférieur aux autres apôtres. Ils avaient vécu avec le Christ, Paul ne l'avait pas approché, voilà pourquoi il fut élevé, dans un ravissement, à la gloire, au paradis. Le paradis ! le nom en était fameux, partout célébré.

2602 2. Voilà pourquoi le Christ disait: « Aujourd'hui, vous serez avec moi dans le paradis ». (Lc 23,43) « Je pourrais me glorifier en parlant d'un tel homme ». Qu'est-ce à dire? Si c'est un autre qui a été ravi, de quoi pouvez-vous vous glorifier? Il est donc évident que c'est de lui qu'il parlait. S'il a ajouté : « Mais je ne me glorifierai pas pour moi-même », ces paroles se réduisent à ceci : en l'absence de toute nécessité, je ne veux rien dire de pareil à la légère, ou certainement il voulait autant que possible, rejeter dans l'ombre ce qu'il avait dit. La suite démontre parfaitement que dans toutes ces paroles, il n'est question que de lui; car il ajoute : « Si je voulais me glorifier, je ne serais pas un imprudent, car je dirais la vérité (2Co 12,6) ». Comment donc avez-vous pu dire d'abord : « Plût à Dieu que vous voulussiez un peu supporter mon imprudence », et, « ce que je dis, je ne le dis pas selon Dieu, mais je fais paraître de l'imprudence » (2Co 11,1-17) ; tandis que vous dites maintenant : « Si je voulais me glorifier, je ne serais pas un imprudent? » C'est qu'en ce moment il ne se préoccupe pas du fait de se glorifier, mais du fait de mentir; si se glorifier est de l'imprudence, à combien plus forte raison y a-t-il de l'imprudence à mentir? C'est donc dans cette pensée qu'il dit : « Je ne serais pas un imprudent». Voilà pourquoi il ajoute: « Car je dirais la vérité; mais je me retire de peur qu'on ne m'estime au-dessus de ce qu'on (158) voit en moi, ou de ce qu'on entend dire de moi ».

Cette raison est véritable, on prenait les apôtres pour des dieux, à cause des miracles qu'ils faisaient. (Ac 4,10) De même qu'en créant les éléments, Dieu a fait deux choses, il les a créés à la fois faibles et éclatants; éclatants, afin qu'ils publiassent sa puissance; faibles, afin de prévenir l'égarement des hommes; de même, les apôtres étaient à la fois admirables et faibles, de manière à instruire, par leurs oeuvres mêmes, les infidèles. Si on ne les eût jamais vus qu'admirables, ne montrant aucun signe de faiblesse, c'est en vain qu'ils auraient voulu empêcher le peuple de soupçonner en eux une nature supérieure à la nature humaine; non-seulement ils n'y seraient pas parvenus, mais ils auraient produit un effet tout opposé. Les refus qu'ils auraient opposé aux louanges, auraient été regardés comme des preuves de leur modestie, et n'auraient fait qu'ajouter à l'admiration pour eux. C'est ce qui explique pourquoi leur conduite, leurs actions révélaient leur faiblesse. Témoin, les personnages de l'Ancien Testament. Elie, cet homme admirable, donna parfois des marques de timidité; de même ce grand Moïse, qui, lui aussi, par la même faiblesse, prit la fuite. Ce qui leur arrivait parce que Dieu se retirait d'eux, afin que la nature humaine fût confondue en leur personne. Car si l'on entend les Israélites demander, après leur sortie d'Egypte, où donc est Moïse, supposez qu'il les eût encore introduits dans la Palestine, que n'eussent-ils pas dit ? Voilà donc pourquoi Paul dit : « Je me retiens de peur qu'on ne m'estime... » Il ne dit pas, de peur qu'on ne dise, mais, de peur qu'on ne s'imagine que ma valeur est plus considérable. De sorte que, par là encore, il est évident que c'est de lui-même qu'il parle dans tout ce passage. Voilà pourquoi il disait en commençant « Il ne m'est pas avantageux de me glorifier ». Ce qu'il n'aurait pas dit s'il se fût proposé de parler d'un autre, car quel inconvénient y a-t-il à se glorifier au sujet d'un autre? C'était bien lui qui avait été honoré de ces révélations. De là, les paroles qu'il ajoute : « Aussi, de peur que la grandeur de mes révélations ne m'inspirât de la hauteur, j'ai ressenti dans ma chair un aiguillon, qui est un ange de Satan, pour me souffleter (2Co 12,7) ».

Que dites-vous? Celui qui regardait la royauté comme un pur néant, qui ne tenait aucun compte de la géhenne pour l'amour de Jésus-Christ, il attachait à la gloire que donne la foule assez de prix pour s'enorgueillir, pour avoir besoin d'un frein continuel? Il ne dit pas, un ange qui me soufflettera, mais, « qui est un ange de Satan, pour me souffleter » (2Co 12,7). Actuellement, qu'est-ce que cela veut dire? Que signifie donc cette parole? Il nous faut d'abord découvrir ce que peut être cet aiguillon, et ce que peut être cet ange de Satan, et alors nous comprendrons. Quelques interprètes ont été d'avis qu'il fallait entendre par là une certaine douleur de la tête, que le démon lui communiquait; mais n'en croyons rien. Le corps de Paul n'aurait pas pu être livré aux mains du démon, puisque le démon lui-même cédait à un simple commandement de Paul; puisque l'apôtre lui dictait des lois, lui fixait des limites, lui livrait le fornicateur pour mortifier sa chair (1Co 5,5), et que Satan n'aurait pas osé s'attaquer à d'autres. Que signifie donc cette parole de Paul? Satan, dans la langue des Hébreux, veut dire adversaire, et c'est le nom que l'Ecriture donne, dans le troisième livre des Rois, à ceux qui se portent comme adversaires, et, à propos de Salomon, elle dit : « Il n'y avait pas de satan dans les jours de ce roi » (1R 5,4 1R 5,18), c'est-à-dire, d'adversaires faisant la guerre, ou suscitant des troubles. Ce que dit l'apôtre signifie donc : Dieu n'a pas permis que la prédication se répandît sans obstacles; pour rabaisser notre orgueil, il a laissé nos adversaires nous attaquer. Car c'est là ce qui pouvait abattre l'orgueil, beaucoup plus que ce qui n'eût rien fait, à savoir une douleur de tête. Par ange de Satan, l'apôtre entend donc Alexandre, l'ouvrier en bronze, Hyménée, Philète, et enfin tous les adversaires de la parole, qui disputaient contre lui, qui lui faisaient la guerre, qui le jetaient en prison, qui le meurtrissaient, qui l'emportaient pour lui faire subir leurs violences, qui accomplissaient contre lui les oeuvres de Satan. Donc, de même qu'il appelle fils du démon, les Juifs ardents à produire les oeuvres du démon, de même, il appelle ange de Satan, tout homme qui faisait obstacle à la prédication. Voilà donc pourquoi il dit : « J'ai ressenti un aiguillon... pour me souffleter » ; ce n'est pas Dieu qui donnait des armes à de tels ennemis, loin de nous cette pensée, mais Dieu ne les châtiait pas, ne (159) les punissait pas, il les laissait faire, il les laissait libres pour un temps: « C'est pourquoi j'ai prié trois fois le Seigneur (2Co 12,8)». Ce qui veut dire, bien souvent.

2603 3. Il y a une grande humilité à ne pas dissimuler son abattement devant les persécutions, ses fatigues, le besoin de prier pour se voir affranchi de ses épreuves. Exemple que Paul nous donne : « Et il m'a répondu : Ma grâce vous suffit, car ma puissance éclate dans la faiblesse (2Co 12,9) ». Ce qui veut dire : Il vous suffit de ressusciter les morts, de guérir les aveugles, de purifier les lépreux, des autres miracles que vous opérez; ne cherchez pas à fuir les dangers, les craintes, les embarras des affaires en publiant l'Evangile. Mais vous souffrez, vous éprouvez de l'abattement ? N'allez pas regarder comme une preuve de mon impuissance le grand nombre de ceux qui veulent vous nuire, qui vous meurtrissent, qui vous persécutent, qui vous frappent de verges : cela même est une marque de ma puissance : « Car ma puissance », dit Dieu, « éclate, dans la faiblesse » ; on vous verra vous, les persécutés, triomphant de vos persécuteurs ; vous chassés, victorieux de ceux qui vous chassent, vous enchaînés, convertissant ceux qui vous enchaînent. Ne demandez donc pas le superflu. Voyez-vous comme l'explication que donne l'apôtre diffère de celle qui est donnée par Dieu? L'apôtre dit : « De peur que la grandeur de mes révélations ne m'inspirât de la hauteur, j'ai ressenti, dans ma chair, un aiguillon» ; quant à Dieu, il lui fait dire, que c'est pour manifester sa puissance, qu'il permet tout. Donc, ce n'est pas seulement le superflu que vous demandez, mais ce qui jetterait une ombre sur la gloire de ma puissance. Car le, « Il vous suffit », a pour but de montrer que l'apôtre n'a besoin de rien davantage, que tout s'accomplit sans que rien ne manque. D'où ressort encore la preuve que Paul ne parle pas d'une douleur de tête. Assurément ils n'étaient pas malades, ceux qui prêchaient l'Evangile (comment auraient-ils pu prêcher s'ils n'avaient eu la force du corps); ce qui est vrai, c'est que ce furent des bannis, des persécutés, qui triomphèrent de tous leurs ennemis.

Donc, dit-il, après avoir entendu de telles paroles, « je prendrai plaisir à me glorifier de mes faiblesses ». Il veut prévenir le découragement des fidèles; ces faux apôtres fondaient leur gloire sur des titres tout opposés ; les vrais apôtres étaient en proie aux persécutions; Paul tient à montrer que ces persécutions mêmes rehaussent sa gloire, ne servent qu'à rendre plus éclatante la puissance de Dieu, et qu'il fait bien de se glorifier de ce qui arrive. Voilà pourquoi il dit : « Je prendrai donc plaisir à me glorifier ». Ce n'est pas avec chagrin que j'ai fait l'énumération que vous avez entendue, ni que je vous ai dit : « J'ai ressenti un aiguillon », mais avec fierté, mais avec un sentiment de ma force qui grandit. Aussi ajoute-t-il : « Afin que la puissance de Jésus-Christ habite en moi ». Il y a ici une pensée nouvelle, qui n'est qu'indiquée à mots couverts, c'est que, plus les épreuves devenaient rigoureuses, plus la grâce acquérait d'intensité et de persistance : « Et ainsi je me complais dans toutes mes faiblesses (2Co 12,10) ». Quelles faiblesses, dites-moi? « Dans les outrages, dans les persécutions, dans les nécessités, dans les angoisses ». Voyez-vous comme ici l'explication est des plus claires? Dans ces diverses espèces de faiblesses, il ne parle ni de fièvres, ni d'autre mal périodique de ce genre, ni de toute autre maladie du corps, mais d'outrages, de persécutions, d'angoisses. Comprenez-vous ce qu'il montre de sagesse ? Il désirait d'être affranchi de ses tribulations; mais du moment que Dieu lui a dit que cette délivrance ne doit pas avoir lieu, non-seulement il ne se décourage pas en n'obtenant pas l'effet de sa prière, mais il se réjouit. De là, cette parole : « Je me complais », c'est-à-dire, je me réjouis d'être, je désire d'être outragé, persécuté, dans les angoisses, pour Jésus-Christ. Et en tenant ce langage, il rabaissait les orgueilleux, et il relevait les courages, il empêchait les fidèles de rougir à la pensée de ses souffrances. Ces choses suffisent pour nous rendre les plus illustres de tous les hommes. Il ajoute ensuite une autre explication encore de sa joie : « Car lorsque je suis faible, c'est alors que je suis puissant ». Qu'avez-vous à vous étonner que la puissance de Dieu se révèle alors ? C'est alors que je suis puissant, moi aussi ; c'est alors surtout que la grâce vient en moi.

A mesure que ses souffrances abondent, pour nous abonde la consolation. Où est l'affliction, là se rencontre la consolation ; où est la consolation, là est la grâce. C'est quand il était en prison, qu'il faisait ces oeuvres (160) admirables ; c'est quand il essuyait des naufrages, quand il était transporté sur une terre barbare, c'est alors surtout que sa gloire éclatait. Quand il entrait, chargé de fers, au tribunal, c'est alors qu'il triomphait du juge même. L'Ancien Testament nous montre des faits du même genre; les épreuves montraient dans sa fleur la vertu des justes; ainsi les trois jeunes hommes, ainsi Daniel, et Moïse, et Joseph, ainsi tous ont vu briller leur gloire, ont mérité d'insignes couronnes. Ce qui purifie l'âme, c'est l'affliction qui lui vient de Dieu ; c'est alors qu'elle en reçoit plus d'assistance ; comme elle a besoin de plus de secours, elle obtient plus de grâces. Même avant de jouir de la récompense que Dieu lui tient en réserve, elle recueille déjà de grands biens pour fruit de sa sagesse. Car l'affliction déracine l'orgueil, fait disparaître la lâcheté de l'indolence, elle répand sur vous l'huile de la patience; elle met à découvert la bassesse des choses humaines, c'est une grande leçon de sagesse. Toutes les passions lui cèdent, la jalousie, l'envie, les désirs déréglés, le faste de la puissance, la cupidité, la luxure, la vanité, l'orgueil, la colère, toute la cohorte des maladies de ce genre. Voulez-vous considérer, dans la réalité de la vie, les hommes en particulier, les peuples dans leur ensemble, je pourrai vous les montrer dans l'affliction, vous les montrer au sein du repos, et vous faire comprendre tout le profit de l'une, toute la lâcheté qui provient de l'autre.

2604 4. Quand les Hébreux étaient dans le malheur, quand on les poursuivait, ils gémissaient alors, ils invoquaient Dieu, ils obtenaient d'en-haut un puissant, secours; au contraire, quand ils s'engraissaient de leur prospérité, ils regimbaient. Les Ninivites, de leur côté, ne profitèrent de leur félicité que, pour irriter Dieu, qui dut menacer de détruire leur ville jusque dans ses fondements; une fois humiliés par la prédication de clonas, ils montrèrent une parfaite sagesse. Voulez-vous considérer un homme en particulier, voyez Salomon. Quand il était dans les inquiétudes et dans le trouble que lui inspirait le gouvernement de son peuple, il mérita d'avoir une sublime vision; ruais, dès qu'il se fut livré aux délices, il plongea jusqu'au fond dans l'abîme de la corruption. Et son père? Quand mérita-t-il l'admiration et la gloire? N'est-ce pas quand il fut dans l'adversité? Absalon, maintenant, ne pratiqua-t-il pas la sagesse, tant qu'il mena la vie d'un fugitif; mais, à son retour, ne se montra-t-il pas un tyran et un parricide? Et Job? Sa vertu brilla au sein de la tranquillité, mais elle partit plus brillante encore après son affliction.

Mais à quoi bon ces vieilles histoires des temps anciens? Il suffit de considérer ce qui se passe aujourd'hui chez nous, pour comprendre tout le profit de l'affliction. Aujourd'hui, nous jouissons de la paix, et nous sommes tombés, nous languissons, nous avons rempli l'Église de mille maux; quand nous étions tourmentés, nous avions plus de sagesse, plus de dignité, plus de zèle, plus d'ardeur, pour rechercher les pieuses réunions, pour entendre la parole. Ce que le feu est pour l'or, l'affliction l'est pour l'âme; elle en fait disparaître les souillures, elle lui rend sa pureté, elle rehausse l'éclat de sa gloire. L'affliction mène au royaume du ciel; la prospérité tranquille, à la géhenne. C'est ce qui fait que l'une est la voie étroite ; l'autre, la voie large. De là, ce que disait le Christ lui-même : « Dans le monde, vous aurez l'affliction » (
Jn 16,33), nous annonçant par là un grand bien. C'est pourquoi, si vous êtes un disciple, cheminez par la voie étroite de l'affliction; ne vous attristez pas, ne vous laissez point abattre. Si vous ne consentez pas à cette affliction, il vous en faudra subir une autre dont vous ne retirerez aucun profit. L'envie, l'amour des richesses, le feu de la fornication, la vaine gloire, toutes les autres passions perverses, tourmentent et affligent l'âme non moins que la douleur et les larmes. Si vous ne voyez ni les larmes ni les chagrins du méchant, c'est la honte qui le retient, ou l'engourdissement de son mal ; pénétrez dans son âme, vous y verrez régner la tempête. Donc, puisque quelle que soit la voie que l'on suive, l'affliction est inévitable, pourquoi ne pas embrasser de préférence le genre de vie où l'affliction mérite d'innombrables couronnes ? Aussi, c'est par la voie étroite des afflictions que Dieu a conduit ses saints. Il procurait ainsi leur bien, et en même temps celui des autres, de peur qu'ils ne conçussent d'eux une idée trop haute.

Ce qui a fait dans les premiers temps prévaloir l'idolâtrie, c'est qu'on a exagéré l'admiration que méritaient les hommes; c'est ainsi qu'Alexandre a été considéré comme un treizième Dieu par le sénat romain. Car ce sénat avait le pouvoir de créer des dieux par ses (161) décrets. A la nouvelle de tout ce que le Christ avait fait, le gouverneur de la Judée envoya demander à Rome s'il plaisait aux sénateurs de décréter que le Christ aussi était un Dieu. Ils n'en voulurent pas entendre parler dans leur colère et dans leur indignation de ce que, devançant leur suffrage et leur décret, la vertu du Crucifié avait, par son propre éclat, conquis toute la terre. Cette conduite du sénat de Rome était, contre l'intention même des sénateurs, un effet de la suprême sagesse qui ne voulait pas faire proclamer la divinité du Christ comme fondée sur des suffrages humains; qui ne voulait pas que l'on pût le confondre avec un de ces dieux sortis de leurs votes. Ces hommes-là mirent jusqu'à des athlètes au rang des dieux, ainsi que les infâmes qui servaient à Adrien; on sait d'où vient le nom de la ville d'Antinoüs. Comme la mort accuse notre nature mortelle, le démon a trouvé, dans l'immortalité de l'âme, combinée avec tous les excès de la flatterie, un moyen de précipiter les peuples dans l'impiété. Voyez sa scélératesse : quand nous faisons de cette considération un usage convenable, le démon détruit l'édifice qu'élèvent nos paroles; veut-il au contraire faire servir à notre perte l'immortalité, il affermit l'édifice avec le plus grand soin. Si l'on dit: Et d'où vient ce dieu Alexandre? n'est-il pas mort, et misérablement? Mais son âme est immortelle, répond-on. Vous affirmez l'immortalité maintenant, et vous faites profession de sagesse pour nous séparer du Dieu maître de toutes choses ; mais quand c'est nous qui l'appelons le plus grand don de Dieu, nous sommes des esprits bas et terre à terre, en rien supérieurs aux êtres sans raison, victimes de l'erreur, et vous nous détrompez. Si nous nous avisons de dire que le Crucifié vit encore, on nous répond par le rire, malgré le cri de l'univers qui l'attesta jadis, qui l'atteste aujourd'hui; jadis, par les miracles; aujourd'hui, par ceux qui se sont convertis; un mort certes ne fait pas de si belles choses. Qu'on vous dise qu'Alexandre est vivant, vous le croyez, sans pouvoir cependant fournir aucun signe. Comment ! répondra-t-on ; mais que d'admirables choses n'a-t-il pas faites de son vivant ! que de nations, que de villes par lui soumises, quelles guerres n'a-t-il pas faites, quelles victoires, quels trophées !

2605 5. Eh bien, que direz-vous si je vous montre en Jésus-Christ ce à quoi n'a jamais pensé ni ce fameux Alexandre, de son vivant, ni aucun autre, quel qu'il soit, des hommes qui ont jamais existé? quelle autre preuve de la résurrection vous faudra-t-il encore? Qu'on livre de son vivant d'heureux combats, que l'on remporte des victoires, quand on est roi, que l'on a des armées sous sa main, il n'y a là rien de merveilleux, rien d'étonnant, rien de bien nouveau ; mais qu'après avoir été crucifié, enseveli, on opère de si grandes oeuvres partout, sur la terre et sur la mer, voilà ce qui est fait surtout pour frapper de stupeur, pour proclamer une divine et ineffable puissance. Alexandre, après sa mort, n'a pas recomposé son empire déchiré, détruit : comment aurait-il eu ce pouvoir, ce mort? Le Christ, au contraire, c'est après sa mort qu'il a surtout affermi son empire. Et à quoi bon parler du Christ quand ses disciples mêmes ont reçu de lui le don de voir, après leur trépas, leur gloire plus brillante? Où est-il, répondez-moi, le tombeau d'Alexandre? montrez-le-moi, et dites-moi quel jour il a cessé de vivre? Mais, pour les serviteurs mêmes du Christ, leurs tombeaux sont glorieux, ils ont pris possession de la capitale du monde. Les jours de leur mort sont illustres, ce sont des jours de fête pour l'univers. Le tombeau d'Alexandre, les siens mêmes ne sauraient où le trouver; le tombeau du Christ, les barbares mêmes le connaissent.

Les sépultures des serviteurs du Crucifié sont plus splendides que les palais des souverains, et ce n'est pas seulement par la grandeur et la beauté des constructions, supérieures, on le sait, à tous les bâtiments impériaux; mais, ce qui est bien plus glorieux, par l'empressement des peuples qui s'y réunissent. Celui qui porte la pourpre se rend à ces tombeaux pour les baiser; il dépose son faste, il supplie les saints de lui servir d'appui auprès de Dieu; c'est pour se faire d'un fabricant de tentes, d'un pêcheur, et encore sont-ils morts, des protecteurs, qu'il est là en prières, ce souverain portant diadème. Oserez-vous donc, répondez-moi, regarder comme mort le Maître de ces hommes, celui dont les serviteurs, même quand ils ont cessé de vivre, sont les protecteurs des rois de la terre? Ces spectacles, on ne les voit pas seulement dans Rome, on les voit aussi à Constantinople. Car le fils de Constantin-le-Grand n'a pas cru pouvoir faire un plus grand honneur à son père que de le déposer sous les portiques du (162) pêcheur ; ce que sont les portiers des souverains dans leurs palais, les souverains le sont, pour les pêcheurs, dans leurs sépultures. Les pêcheurs, comme maîtres de la résidence, occupent l'intérieur; les empereurs se trouvent trop honorés d'avoir leur place près de la porte et de servir ainsi à montrer, même à des infidèles, que des pêcheurs au jour de la résurrection obtiendront sur eux la supériorité. S'il en est ainsi maintenant dans les sépultures, à bien plus forte raison en sera-t-il de même, dans la résurrection ; bouleversement complet ; les empereurs sont devenus des domestiques, des serviteurs; les sujets sont élevés à la dignité de souverains ou plutôt à une dignité bien plus haute encore. La vérité elle-même fait foi que ce n'est point par flatterie que les choses se passent ainsi car le voisinage des saints profite à la gloire des empereurs. Car bien plus augustes que toutes les sépultures impériales sont ces tombeaux des saints : d'une part, complète solitude, d'autre part, la foule qui se presse.

Voulez-vous faire la comparaison entre les cours des empereurs et ces tombeaux? Nouvelle preuve de la même victoire. D'un côté, beaucoup de gens pour écarter le peuple; d'un autre côté, beaucoup d'amis qui invitent, qui attirent à eux les riches, les pauvres, les hommes, les femmes, les esclaves, les hommes libres ; d'un côté, un appareil terrible; d'un autre côté, une joie ineffable. Mais pourtant c'est un plaisir que de voir l'empereur, dans son manteau d'or, la couronne en tête, et, à ses côtés, généraux, magistrats, préfets, tribuns, centurions, prêteurs? Oui, mais nos spectacles à nous sont tellement plus augustes, tellement plus redoutables, que les autres, en comparaison, n'ont plus l'air que d'un jeu de théâtre et d'une puérilité. Il vous suffit de franchir nos seuils pour que le seul aspect du lieu transporte votre pensée vers le ciel, vers le Roi d'en-haut, vers l'armée des anges, vers le trône sublime, vers la gloire inaccessible. Il ne s'agit plus d'un préfet qui a pouvoir de mettre l'un en liberté, de charger l'autre de fers; les ossements de nos saints n'ont pas cette pauvre et misérable puissance ; ils en ont une autre, et celle-là est bien plus considérable. Ils arrêtent les démons, ils les torturent; ils affranchissent des plus tristes liens ceux qui étaient enchaînés. Quoi de plus redoutable que ce tribunal? On ne voit personne; personne n'est là déchirant visiblement les flancs du démon, et cependant ce sont des voix, des cris déchirants, des coups de fouet, des gémissements arrachés par les tortures, des langues de feu, le démon ne pouvant pas résister à cette merveilleuse puissance. Ceux qui ont été revêtus de corps triomphent de puissances incorporelles; de la poussière, des os, de la cendre causent les déchirements de ces natures invisibles. Voilà pourquoi on ne fait pas de voyages pour voir des palais d'empereurs; mais une foule d'empereurs ont fait des voyages pour assister à un pareil spectacle. C'est que les signes, les symboles du jugement à venir apparaissent dans les temples de nos saints; les ossements des martyrs nous annoncent les démons frappés de verges, les hommes purifiés, affranchis. Voyez-vous la puissance des saints même après leur mort? Voyez-vous la faiblesse des pécheurs même encore vivants? Donc fuyez le vice afin de triompher des méchants, et attachez-vous, de toutes vos forces, à la vertu. Car si, même ici-bas, telle est sa puissance, considérez ce que fera paraître la vie à venir. Possédé sans cesse de cet amour, attachez-vous à l'éternelle vie; puissions-nous tous en jouir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



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HOMÉLIE XXVII. J'AI ÉTÉ IMPRUDENT EN ME GLORIFIANT; C'EST VOUS QUI M'Y AVEZ CONTRAINT, CAR C'ÉTAIT A VOUS DE PARLER AVANTAGEUSEMENT DE MOI.

(2Co 12,11-16)

Analyse.

1. Des raisons qui portent saint Paul à se glorifier. — Des meilleures preuves du véritable apostolat.— De la patience.— Grandeur des oeuvres de saint Paul; sa modestie se borne à les indiquer en très-peu de mots.
2. Reproche à la fois sévère, doux et délicat, à l'adresse des fidèles dont il ne veut rien recevoir.— Belle pensée, que ce n'est pas aux enfants à thésauriser pour leurs pères, mais aux pères pour leurs enfants.— Dévouement paternel de saint Paul, son désintéressement porté jusqu'au plus grand sacrifice.— Exemple qu'il nous donne.
3. Il est odieux, il est monstrueux de ne pas aimer qui nous aime. — Autre pensée : rien n'est plus inutile au public, aux particuliers, qu'un homme incapable d'affection. — Contre la haine jalouse.— Image énergique : mieux vaut un serpent dans les entrailles, que l'envie dans l'âme.— Texte des plus éloquents.
4. L'Eglise, actuellement divisée, comparée à un corps qui vient de mourir.


Chrysostome sur 2Co 2600