Chrysostome Homélies 7700

Septième homélie.

ANALYSE.

Le péché seul devrait nous attrister. - Sur ces paroles: Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. - Adam, où es-tu? - Elles renferment d'abondantes consolations. - Il faut renoncer à l'habitude de jurer.


7701 1. Hier, je vous entretins longuement de divers sujets. S'il vous est impossible de retenir tant de choses, je voudrais au moins que votre mémoire conservât cette vérité, que c'est en vue de nos péchés seulement que Dieu met dans nos âmes une disposition à la tristesse: il nous l'a fait comprendre par notre propre expérience. Car la perte de nos biens, la maladie, la crainte de la mort et tous les maux auxquels nous sommes exposés, nous jettent-ils dans l'affliction et le découragement? la tristesse, bien loin d'apporter quelque soulagement à nos peines, les augmente encore. Mais la douleur, la tristesse que nous font éprouver nos fautes, en diminuent la gravité; et tel péché, qui tout à l'heure était énorme, devient léger, souvent même disparaît entièrement. Ayez donc constamment cette pensée présente à l'esprit, afin que le péché seul soit pour vous une cause de tristesse. Joignez-y cette autre vérité, que c'est le péché qui introduisit dans le monde la tristesse et la mort: mais il est détruit à son tour par l'un et l'autre de ces maux, comme nous l'avons fait voir précédemment avec plus de clarté. Ne craignons donc rien tant que le péché et la prévarication. Ne redoutons point les peines et nous les éviterons. Les trois jeunes hommes ne tremblèrent pas devant la fournaise et ils échappèrent à ses flammes: ainsi doivent se conduire les serviteurs de Dieu. Si ceux, en effet, qui ont grandi sous l'ancienne alliance, quand la mort n'avait pas encore été vaincue, quand les portes d'airain, quand les verrous de fer n'avaient point été brisés, si ceux-là, dis-je, se sont précipités avec tant d'audace vers le trépas, quelle excuse ferons-nous valoir, quel pardon pourrons-nous implorer, nous qui jouissons de tant de grâces et qui sommes si loin d'égaler ces jeunes gens en vertu, lorsque cependant la mort n'est désormais qu'un nom vide de sens? La mort, ce n'est plus qu'un sommeil, un départ, une absence, un repos, un port calme et tranquille, l'affranchissement du trouble; la fin des soucis de la vie. Mais n'en disons pas davantage sur ce sujet. Voici le cinquième jour que nous employons à vous consoler, nous finirions par être importun. Nous en avons dit assez pour ceux qui ont voulu entendre. Quant aux pusillanimes, quoi que nous puissions ajouter encore, ils n'en (21) deviendraient pas plus courageux. Il est donc temps que nous commencions à vous expliquer les Ecritures. Sans doute, si nous eussions gardé le silence sur cette calamité, on eût pu nous accuser de cruauté et de barbarie. Mais si nous en faisions l'objet de tous nos discours, on blâmerait avec raison notre peu de courage. Il nous faut donc, après avoir appelé sur vous la protection de Dieu qui peut parler à vos âmes et en bannir entièrement la tristesse, reprendre nos instructions ordinaires. Et, d'ailleurs, n'y a-t-il pas dans toute explication des Ecritures de quoi vous raffermir et vous consoler? Ainsi, au moment même ou nous semblons vous priver de consolations, l'exposition des saints Livres doit vous en fournir de nouvelles.

Que chaque texte de l'Ecriture puisse offrir des consolations, je vous le montrerai d'une manière évidente. Je ne veux point parcourir les traits historiques des Livres saints, et y chercher des paroles propres à relever le courage. Pour vous donner une preuve bien claire de ce que j'ai annoncé, je m'attacherai au livre qu'on a lu aujourd'hui, et, si vous le voulez, au commencement, au début même de ce livre. Il ne semble pas qu'il y ait trace de consolations dans ce début, on le dirait tout à fait étranger à ce dessein. Et pourtant il va prouver ce que j'avançais. Quel est-il donc? Le voici: Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. La terre n'était qu'une masse informe; et les ténèbres couvraient la face de l'abîme. (
Gn 1,1-2) Qui de vous trouve dans ces paroles une consolation pour sa tristesse? N'est-ce pas simplement un récit historique, où nous apprenons la création de l'univers?

7702 2. Voulez-vous que je vous montre tout ce qu'il y a de consolant dans ce texte? Prêtez-moi donc une oreille attentive. En apprenant que le ciel, la terre, la mer, l'air, les eaux, ces astres si nombreux, ces deux grands luminaires, ces plantes, ces quadrupèdes, ces poissons, ces oiseaux, en un mot tout ce qui frappe nos regards a été créé par Dieu à cause de vous, pour votre salut, pour votre gloire, ne vous sentez-vous pas aussitôt grandement consolés? Ne comprenez-vous pas toute l'étendue de l'amour de Dieu, quand vous vous prenez à penser qu'un monde si grand, si beau, si admirable, est sorti du néant à sa voix, pour vous, chétives créatures? Si vous entendez ces paroles: au commencement Dieu fit le ciel et la terre, ne les laissez point passer sans les avoir méditées. Parcourez en esprit l'immense étendue de la terre: considérez la richesse, l'abondance des aliments qu'elle nous fournit, les innombrables jouissances qu'elle nous prépare. Ce qu'il y a de plus étonnant, c'est que tout cela ne nous a été donné ni comme prix de nos travaux, ni comme récompense de nos mérites. Dieu nous crée, et en même temps nous investit de cette royauté. Faisons, dit-il, l'homme à notre image et à notre ressemblance. (Gn 1,26) Qu'est-ce à dire à notre image et à notre ressemblance? Dieu veut dire à l'image de sa domination. Comme au ciel il n'est personne qui, soit supérieur à Dieu, il n'y aura de même sur la terre aucun être qui soit au-dessus de l'homme. Le Seigneur nous a donc fait, et à nous seulement, l'honneur de nous créer à son image. Cet empire, nous l'avons reçu non pas comme prix de nos oeuvres, mais par un pur effet de sa bonté. De plus, Dieu a voulu que ce fût un privilège de notre nature. C'est la nature ou l'élection qui donnent le pouvoir. La nature a donné au lion l'empire sur les quadrupèdes, à l'aigle l'empire sur les oiseaux; l'empereur tient son pouvoir de l'élection. Ce n'est point en effet par nature qu'il commande à ses semblables; et de là vient que souvent l'empire lui est enlevé. Car c'est le sort des choses qui ne sont pas dans notre nature de changer et de déchoir. Il n'en est pas ainsi du lion. C'est par nature qu'il règne sur les quadrupèdes, comme l'aigle sur les oiseaux. Toujours sa race héritera de cette domination, et jamais on. ne l'en verra dépouillée. Telle est aussi la puissance dont Dieu nous investit dès l'origine, lorsqu'il nous établit rois de la création. Et ce ne fut point le seul honneur qu'il accorda à notre nature. Il y joignit la dignité de l'habitation et nous prépara dans le paradis terrestre une demeure de son choix; il nous donna la raison et fit présent à notre âme de l'immortalité.

J'irai plus loin encore: Dieu nous aime à ce point que non-seulement ses bienfaits, mais ses châtiments eux-mêmes sont des marques de sa bonté et de sa bienveillance pour les hommes. Voici une vérité que je vous exhorte à méditer avec la plus grande attention. Dieu est également bon, soit qu'il honore et comble de bienfaits, soit qu'il punisse et châtie. Si les infidèles, si les hérétiques nous attaquent au sujet de la bonté et de l'amour de Dieu pour l'homme, ses (22) châtiments autant que ses bienfaits nous serviront à les confondre. Car si le Seigneur était bon lorsqu'il favorise et ne l'était plus lorsqu'il châtie, il ne serait bon qu'à demi; ce que l'on ne saurait admettre. Parmi les hommes un tel défaut peut exister, parce qu'ils punissent avec colère et passion. Mais Dieu n'est pas sujet aux passions; et par conséquent les peines qu'il inflige comme les bienfaits qu'il accorde viennent de sa bonté. Aussi, la menace de l'enfer ne montre pas moins cet amour que la promesse du royaume des cieux. Comment cela? Je vais le dire. S'il n'eût pas menacé de l'enfer, s'il n'eût préparé le châtiment, combien peu d'hommes eussent conquis le trône qu'il leur destine, car la vue d'une récompense a moins de force pour porter les hommes à la vertu que les menaces pour les exciter à la vigilance. Aussi quoique l'enfer et le royaume des cieux soient choses absolument contraires, l'un et l'autre tendent vers un but unique, le salut de l'homme. La récompense attire à soi; la menace du châtiment entraîne vers la récompense et corrige par la crainte ceux qui seraient tentés de négligence.

7703 3. Ce n'est pas sans motif que je m'étends sur cette matière. Souvent, quand surviennent des famines, des sécheresses ou des guerres, quand la colère du prince menace une cité ou qu'il se produit des événements de ce genre, on surprend la simplicité d'un grand nombre et on leur persuade que de tels maux accusent la providence de Dieu. Pour éloigner de vous cette séduction, pour vous convaincre jusqu'à l'évidence que la famine, la guerre et les autres fléaux quels qu'ils soient, montrent l'amour et la sollicitude du Seigneur, il me faut bien m'arrêter longuement sur ce point. Les pères, et ceux mêmes qui chérissent le plus leurs enfants, les privent parfois de nourriture, leur font sentir la verge, leur infligent des humiliations et corrigent de mille manières les vices de leur naturel. Ils restent pères cependant lorsqu'ils punissent leurs fils, aussi bien que lorsqu'ils les caressent. C'est même surtout alors qu'ils se montrent vraiment pères. Or, si l'on n'attribue pas à la cruauté et à la barbarie, mais à l'amour et à la sollicitude ces punitions infligées par des hommes que la fureur et l'indignation emportent souvent au delà des bornes; ne doit-on pas à plus forte raison avoir de Dieu la même idée, puisqu'il n'est point d'amour paternel qui ne le cède à sa tendresse infinie. Et ne voyez pas ici une simple conjecture. Pour vous persuader le contraire, revenons à l'Ecriture. Lorsque l'homme eut été trompé et séduit par le génie du mal, comment Dieu le traita-t-il après une si grande faute? Le fit-il rentrer dans le néant? C'est ce qu'exigeait la justice: cette créature qui, sans l'avoir mérité, avait été l'objet de tant d'amour, et ensuite se montrait rebelle dès l'origine, ne devait-elle pas disparaître du monde et tomber dans le néant? Il n'en est rien cependant: Dieu ne témoigne ni haine ni mépris à celui qui payait son bienfaiteur d'une si noire ingratitude, et il vient à lui comme un médecin à son malade. Ne passez pas légèrement sur ce récit, mon frère. Quelle bonté de la part de Dieu! Il n'envoie ni un ange, ni un archange ou quelque autre membre des célestes hiérarchies, mais descend lui-même, Lui, le souverain Seigneur, auprès de l'homme déchu, le relève, l'entretient seul à seul, comme l'ami entretient son ami tombé dans le malheur et courbé sous l'infortune. Si Dieu en agit de la sorte, n'est-ce pas l'effet d'une extrême sollicitude? Les paroles mêmes que Dieu adresse à l'ingrat sont une preuve de sa tendresse ineffable pour lui. Qu'est-il besoin de vous les redire toutes? La première manifeste à elle seule toute la tendresse du Seigneur. Il ne dit pas, comme on devrait s'y attendre après un tel outrage: «Etre criminel, être exécrable, toi que j'ai tant aimé, toi que j'avais investi d'un tel empire, toi que j'avais, sans aucun mérite de ta part, préféré à tout ce qui peuple la terre, toi à qui mes oeuvres offraient de tous côtés des gages de ma sollicitude et des preuves certaines de ma providence, tu as mieux aimé donner ta confiance au génie du mal et de la destruction, à l'ennemi de ton propre salut qu'à ton souverain Maître et à ton protecteur! Quel présent as-tu reçu de lui qui soit comparable à mes dons? N'ai-je point pour toi créé le ciel et la terre, et la mer et le soleil, et la lune et tous les astres? Les anges n'avaient pas besoin de ces créatures. C'est pour toi, pour ton agrément, que j'ai formé ce monde si vaste et si beau. Et tu as mieux aimé te fier à une simple parole, à une promesse insidieuse et mensongère, qu'à ma bonté, qu'à ma providence attestée cependant par tant de bienfaits tu t'es livré au démon, tu as foulé aux pieds mes préceptes.»

N'est-ce pas ainsi et plus durement encore (23) que le Seigneur outragé devait reprocher à l'homme son ingratitude? Et cependant Dieu ne lui adresse aucun reproche, au contraire. Dès le premier mot il le relève. De l'abattement, de la crainte et de la terreur, il le fait revenir à la confiance en lui adressant le premier la parole. Ce n'est point assez de lui parler le premier, il l'appelle par son nom et lui dit: Adam, où es-tu? (
Gn 3,9) Voulant par là lui témoigner son amour et sa tendresse; car c'est là, vous le savez tous, le signe de la véritable amitié. N'est-ce pas aussi ce que font ceux qui regrettent leurs amis descendus dans la tombe? Ne répètent-ils pas sans cesse leurs noms. Ceux au contraire qu'anime la haine et qui ont du ressentiment ne peuvent entendre nommer ceux qui les ont offensés. Saül n'avait reçu de David aucun outrage, souvent au contraire il l'avait accablé d'injures: mais, lorsqu'il l'eut pris en haine et en aversion, il ne voulait plus entendre prononcer ce nom qu'il détestait. Le jour où il ne le vit pas au milieu des convives assis à sa table, que dit-il? Il ne demanda pas où était David; mais où est, dit-il, le fils de Jessé (I Rois. XX)? le désignant par le nom de son père. Les Juifs plus tard tiennent envers Jésus-Christ la même conduite. Dans leur haine et leur aversion pour lui, ils ne disaient point: où est le Christ, mais où est cet homme? (Jn 7,11)

7704 4. Dieu, au contraire, voulant manifester ici que le péché n'avait pas éteint son amour, que la désobéissance n'avait pas étouffé sa bienveillance paternelle, mais qu'il entourait encore le pécheur d'une tendre sollicitude, lui dit: Adam, où es-tu? Non qu'il ignorât en quel lieu se trouvait Adam, mais parce que le criminel a la bouche, pour ainsi dire cousue; le péché force la langue à se replier: la conscience la tient captive, et le pécheur reste muet, et comme enchaîné dans un morne silence. Dieu, qui veut lui rendre, avec la confiance et la liberté de parler,un peu de courage et l'enhardir à s'excuser afin d'user d'indulgence à son égard, lui parle le premier; ainsi il diminue l'anxiété du coupable, il éloigne de lui la crainte et lui ouvre la bouche en l'appelant par son nom. C'est pourquoi il disait: Adam, où es-tu? Où t'avais-je laissé? Où est-ce que je te retrouve; je t'ai laissé plein d'une libre franchise, environné de gloire, et je te retrouve dans le déshonneur et dans le silence. Mais voyez jusqu'où va la sollicitude du Seigneur! Ce n'est point Eve, ce n'est point le serpent qu'il appelle, mais celui des trois qui était le moins coupable. Il le cite le premier à son tribunal, afin que jugeant d'abord celui qui mérite quelque indulgence, il puisse porter une sentence plus douce sur la femme dont la faute était si grave. Les juges ne veulent point interroger par eux-mêmes leurs semblables, bien qu'ils ne soient pas d'une autre nature: ils ont recours à un de leurs officiers et le chargent de transmettre à l'accusé leurs questions; c'est par cet intermédiaire qu'ils disent et entendent tout ce qui sert à instruire la cause. Dieu n'a pas besoin d'intermédiaire entre l'homme et lui: c'est lui-même qui le juge, lui-même qui le console. Il y a quelque chose de plus admirable encore: Dieu répare le mal. Les juges, lorsqu'ils ont saisi des voleurs et des sacrilèges, ne s'inquiètent pas de les rendre meilleurs: ils se bornent à leur infliger le châtiment dû à leurs crimes. Dieu au contraire s'est-il saisi d'un pécheur, il ne se demande pas quel châtiment il lui infligera, mais comment il le corrigera, le rendra meilleur et désormais invincible. Il est donc à la fois juge, médecin et docteur. Comme juge, il interroge; comme médecin, il corrige; comme docteur, il instruit les coupables et les excite à pratiquer la vertu.

Un seul mot, un mot si court vous a fait découvrir en Dieu un abîme de tendresse. Que serait-ce, si nous lisions la cause tout entière, si nous en développions tous les détails? Voyez-vous maintenant comment tout dans l'Ecriture peut servir à consoler, à rassurer les âmes? Nous reviendrons sur ce sujet en temps opportun. Mais auparavant il faut dire à quelle époque ce livre parut. Ce ne fut pas dès l'origine ni immédiatement après la création d'Adam, mais après bien des générations. Il n'est pas inutile de rechercher pourquoi il fut écrit si tard, pourquoi les Juifs seuls le reçurent, et non pas tous les hommes: pourquoi il fut écrit en langue hébraïque, pourquoi enfin dans le désert du Sinaï. Ce n'est point en passant seulement que l'Apôtre rappelle cette circonstance du lieu il nous y laisse entrevoir un sublime objet de méditations lorsqu'il dit: Ce sont là les deux alliances; l'une, celle du Sinaï, ne produit que des esclaves. (
Ga 4,24)

7705 5. Il y a mille autres questions qu'il faudrait résoudre. Mais le temps ne nous permet pas de nous engager dans un sujet si vaste. Le réservant donc pour un moment plus convenable, (24) nous vous exhorterons encore à vous abstenir de jurer, et nous supplierons votre charité d'employer à cela toute votre ardeur. Car n'est-ce pas une chose étrange? Un serviteur n'ose appeler son maître par son nom sans y joindre quelque formule d'honneur, et le nom du Maître des anges on le prononce avec audace, on le répète à tout propos avec le plus grand mépris! S'il vous faut ouvrir l'Évangile, vous vous lavez d'abord les mains, et pénétrés de respect et de piété, vous le prenez avec crainte et en tremblant; et le Maître de l'Évangile, votre langue téméraire profère à tout instant son nom redoutable! Voulez-vous apprendre comment parlent de lui les puissances du ciel, avec quel religieux effroi, quelle stupeur, quelle admiration! Je vis, dit le Prophète, le Seigneur assis sur un trône élevé, et les séraphins étaient debout autour du trône: ils criaient l'un à l'autre et ils disaient: Saint, saint, saint est le Seigneur des armées: toute la terre est remplie de sa gloire. (Is 6,1-3) Entendez-vous avec quelle crainte, quel tremblement elles le nomment, au milieu des louanges et des hymnes de gloire? Et vous, dans vos prières et vos supplications, vous l'invoquez avec une déplorable indifférence, quand il faudrait trembler, veiller et être attentif! Et dans vos serments, où il ne faudrait pas même prononcer ce nom admirable, vous accumulez jurements sur jurements. Comment implorer le pardon, quelle excuse invoquer? Que vous sert de mettre toujours en avant l'habitude? On rapporte d'un orateur profane que, par suite d'une mauvaise habitude, il agitait sans cesse l'épaule droite en marchant. Il sut bien en triompher. Il suspendit de chaque côté, au-dessus de ses épaules, des glaives acérés, afin que la crainte d'une blessure servît à corriger le membre sujet à ces mouvements disgracieux. Faites de même pour votre langue: au lieu de glaive, faites-lui craindre les châtiments de Dieu et vous la dompterez entièrement. Il est impossible, absolument impossible, que vous soyez vaincus, si vous vous tenez sur vos gardes, si vous mettez de l'empressement à suivre ces conseils. Vous applaudissez maintenant à nos paroles. Mais une fois corrigés, vous nous louerez bien plus vivement encore et vous vous féliciterez vous-mêmes. Vous nous écouterez plus volontiers et vous invoquerez avec une conscience pure le Seigneur qui, pour soutenir votre faiblesse, va jusqu'à vous dire: Vous ne jurerez pas même par votre tête. (Mt 5,36) Et vous le méprisez au point de jurer par sa gloire!
Mais que faire, direz-vous, lorsqu'on nous met dans cette nécessité? Dans quelle nécessité, je vous prie? Que tous sachent bien que vous aimez mieux tout souffrir plutôt que de transgresser la loi de Dieu, et ils cesseront de vous imposer cette nécessité. Ce n'est point le serment qui rend digne de foi, mais le témoignage que fournit notre vie, l'intégrité de notre conduite et la considération que nous nous sommes acquise. Combien se sont épuisés à jurer sans persuader personne; combien d'autres, par un simple signe de tête, ont inspiré plus de confiance que ceux-là avec tous leurs serments! Instruits de toutes ces vérités, plaçons sous nos regards les châtiments réservés aux serments téméraires et au parjure, et brisons avec cette coupable habitude. Ce sera comme un degré pour arriver à la pratique des autres vertus et pour mériter les biens futurs. Puissions-nous tous en être jugés dignes par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire, puissance, honneur, soient au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




7800

Huitième homélie.

ANALYSE.

L'Ecriture est une source inépuisable de consolations. - Avantages que la nuit procure aux hommes. - Sur ce texte: Dieu se promenait sur le soir dans le Paradis; effroi d'Adam; effroi du pécheur en général. - Exhortation à la vertu. - Il faut s'abstenir de jurer.


7801 1. Je vous ai montré déjà comment l'Ecriture tout entière encourage et console, même dans ses récits purement historiques. Ces mots, en effet: Au commencement Dieu fit le ciel et la terre (Gn 1,1), ne sont qu'un simple récit, et cependant qu'y a-t-il de plus propre à ranimer le courage? Voici comme deux tables servies devant nous: la terre et la mer; deux foyers de lumière allumés dans les cieux, le soleil et la lune; le temps dans sa course amène alternativement le jour et la nuit, le jour pour le travail, la nuit pour le repos. La nuit ne nous rend pas moins de services que le jour. Ne peut-on pas, en effet, lui appliquer ce que je vous disais des arbres? Les arbres stériles n'offrent pas moins d'utilité que les arbres fruitiers, puisqu'ils nous permettent de ne pas sacrifier ceux -ci à la construction de nos demeures. De même encore les bêtes féroces qui peuplent les forêts ne nous servent pas moins que les animaux domestiques. La crainte qu'elles nous inspirent nous fait tenir sur nos gardes, et resserre les liens qui nous unissent. Elles exercent le courage des uns, guérissent les autres de leurs maladies, (que de remèdes en effet les médecins ne savent-ils pas en extraire); enfin elles sont pour nous une preuve de la faute originelle. Quand j'entends ces paroles: Tous les animaux de la terre redouteront votre empire (Gn 9,2), et que je ne retrouve rien de cette puissance, je me reporte au péché qui fit tomber cette crainte et diminua notre domination. Après avoir contemplé ce changement, je deviens meilleur et je redouble de vigilance. Ainsi les êtres dont je parle et bien d'autres que Dieu seul connaît, offrent à l'homme de précieuses ressources. Eh bien! la nuit ne nous est pas moins avantageuse que le jour: c'est le repos après le travail, c'est un remède pour nos maladies. Souvent les médecins, avec tous leurs soins et tous leurs médicaments, ne peuvent guérir leurs malades: vienne le sommeil, et les malades sont délivrés des souffrances qui les accablaient. Ce ne sont pas seulement les maux du corps, mais aussi les douleurs de l'âme que la nuit apaise et guérit. Qu'un père ait vu mourir son fils, c'est en vain, bien souvent, que chacun s'empresse de le consoler: il continue à verser des pleurs, à pousser des gémissements; mais (26) quand la nuit est venue, il cède à l'irrésistible empire du sommeil, ferme ses paupières et sent se calmer un peu l'affliction de la journée. - Mais revenons à notre sujet. Je vous vois tous prêter l'oreille, avides de savoir pourquoi le livre de la Genèse ne fut point donné aux Hébreux dès le commencement. Je ne crois pas cependant qu'il soit opportun d'aborder aujourd'hui cette question. Pourquoi donc? C'est que la semaine touche à sa fin, et je crains que, cette explication commencée, il ne faille tout à coup l'interrompre. Il est nécessaire pourtant d'y consacrer plusieurs jours de suite. Nous la remettrons donc à plus tard. Résignez-vous; nous paierons notre dette avec usure, et nous-même, qui sommes votre débiteur, nous y trouverons notre avantage. Nous allons reprendre au point où nous nous sommes arrêtés hier? Et où nous sommes-nous arrêtés? A ces paroles: Dieu se promenait sur le soir dans le paradis. (Gn 3,8) Qu'est-ce à dire: Dieu se promenait? Dieu ne se promenait pas. N'est-il pas en effet présent partout, et ne remplit-il pas l'univers par son immensité? S'il se manifesta de la sorte, c'était pour que le premier homme pût s'accuser lui-même et échapper ainsi à une entière destruction; pour qu'il pût fuir, pour qu'il pût se cacher et se ménager quelque excuse, avant de se présenter à son juge. Ceux qui doivent comparaître devant un tribunal pour y rendre compte de leurs crimes, y viennent, les vêtements en désordre, le visage triste et abattu, voulant par là disposer les juges à l'indulgence, à la douceur, à la pitié. C'est ce qui eut lieu pour Adam. Il lui fallait comparaître au tribunal de Dieu dans une attitude humiliée, et c'est pourquoi Dieu le prévint et lui donna lieu de rentrer en lui-même. Il sembla donc à Adam que quelqu'un se promenait dans le paradis. Mais comment pouvait-il penser que ce fût Dieu lui-même? Eh! n'est-ce pas la coutume des pécheurs d'être toujours en défiance, d'avoir peur même d'une ombre, de trembler au moindre bruit? Dès qu'ils entendent marcher, ne s'imaginent-ils pas qu'on vient à eux? Oui, le pécheur croit voir s'avancer vers lui ceux qui y songent le moins. S'il en voit d'autres s'entretenir ensemble, la conscience qu'il a de sa faute lui fait supposer qu'il est lui-même l'objet de leur entretien.

7802 2. Tel est l'effet du péché. Il trahit le coupable, sans qu'on le dénonce; il le condamne, sans que personne l'accuse; au moindre mouvement qu'il remarque, le pécheur tremble et s'effraye. Ecoutez comment l'Ecriture nous peint l'effroi du pécheur, et la courageuse confiance de l'homme juste. L'impie, dit-elle, fuit sans qu'on le poursuive. (Pr 28,1)

Comment peut-il fuir, sans être poursuivi? Au dedans de lui se trouve un ennemi qui le met en fuite, le remords de sa conscience; cet ennemi, il le porte partout et ne peut pas plus l'éviter qu'il ne peut se fuir lui-même. En quelque lieu qu'il s'en aille; ses coups se font sentir et creusent d'incurables blessures. Il en est autrement de l'homme juste. Ecoutez encore ce que dit l'Ecriture: Le juste n'a pas moins d'assurance que le lion. (Pr 28,1) Considérez le prophète Elie. Il voit venir à lui le roi d'Israël qui lui crie: Pourquoi détournez-vous Israël de son devoir? Ce n'est pas moi qui pervertis Israël, répond-il, mais vous et la maison de votre père. (1R 18,17 1R 18,18) Le Prophète ne s'élève-t-il pas contre le prince avec l'assurance d'un lion qui s'élance sur un petit chien? Le roi pourtant était vêtu de pourpre, et le Prophète avait un manteau de peau de brebis. Mais la pourpre de l'impie était moins vénérable que ce vêtement du juste. La pourpre enfanta les horreurs de la famine, et ce vil manteau put mettre un terme à ces calamités, séparer les eaux du Jourdain et doubler dans Elisée la puissance du prophète Elie (1). Quelle est grande la vertu des saints? Leurs paroles, leurs membres et jusqu'à leurs vêtements ont, de tous temps, inspiré à toutes les créatures un sentiment de respect. Le manteau d'Elie divise les eaux du Jourdain; les chaussures des trois jeunes Hébreux foulent sans se consumer le brasier de la fournaise; le bâton d'Elisée change la nature des eaux, leur donne assez de force pour que le fer puisse flotter à leur surface; la verge de Moïse entr'ouvre la Mer rouge et fend le rocher; les vêtements de Paul chassent les maladies et l'ombre de Pierre met en fuite la mort. Les cendres des martyrs repoussent le malin esprit. Dans toutes ses actions le juste montre la même assurance que le prophète Elie. Le prophète ne considéra ni le diadème, ni l'éclat qui entourait le roi d'Israël, mais son


(1) Il y a dans le grec ton Elisaion diploun ‘Elian epoiesen, fit d'Elisée un double Elie: allusion à ce passage de l'Ecriture: «Elie dit à Elisée: Demande-moi ce que tu voudras, afin que je l'obtienne pour toi avant que je sois enlevé d'avec toi. - Elisée répondit:. Je te prie que ton double esprit repose sur moi, ou bien que ton esprit repose sur moi double,» comme l'entend saint Chrysostome.


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âme tout en désordre, toute souillée, toute noire de crimes. Il la vit plus misérable que celle d'un accusé, captive, esclave de ses passions, et il n'eut que du dédain pour la puissance du prince. Il croyait avoir sous les yeux plutôt un roi de théâtre qu'un roi véritable. A quoi sert tant d'opulence, quand au dedans règne une telle pauvreté? Et quand l'âme possède un si beau trésor, en quoi peut nuire la pauvreté extérieure?

Le bienheureux Paul lui aussi avait l'assurance du lion. On le jette en prison: le son de sa voix ébranle dans leurs fondements les murs de la prison, et ce ne sont pas ses dents, mais ses paroles qui rongent les liens dont il est chargé. Non, ces hommes ne sont pas seulement des lions: ils ont plus de force que les lions eux-mêmes. Le lion tombe souvent dans le piège qu'on lui tend et se laisse prendre; mais quand on enchaîne les saints, leur énergie redouble. Le bienheureux Paul, dans sa prison, ne brise-t-il pas les fers des prisonniers, n'ébranle-t-il pas les murailles, n'enchaîne-t-il pas le geôlier terrassé par la parole du salut? Quand le lion rugit, tous les animaux s'enfuient. Le juste parle et sa voix chasse les démons. Le lion a pour se défendre sa crinière hérissée, ses griffes aiguisées comme la pointe d'un poignard, ses dents acérées: les armes du juste, c'est la sagesse, la tempérance, la patience et le mépris des choses de la terre. Avec de telles armes on peut mépriser les efforts des méchants, ceux mêmes des puissances ennemies. Appliquez-vous donc, ô hommes, à vivre selon Dieu, et nul ne pourra triompher de votre force. Sembleriez-vous plus faibles que tous vos ennemis, vous pouvez compter sur la victoire. Mais c'est en vain que vous serez le plus puissant des hommes; si vous ne pratiquez la vertu, les moindres efforts de vos ennemis suffiront pour vous renverser. Plusieurs exemples vous l'ont déjà fait voir; mais, si vous le désirez, j'essayerai de vous montrer par leurs oeuvres mêmes la force invincible du juste aux prises avec ses ennemis et la faiblesse du pécheur. Voici les comparaisons dont se sert le Prophète pour nous les peindre l'un et l'autre: Il n'en est pas ainsi des impies, dit-il; non, il n'en est pas ainsi; mais ils sont comme la poussière que le vent enlève de dessus la face de la terre. (Ps 1,4) Quand le vent se met à souffler, il soulève et disperse aisément la poussière; ainsi la moindre attaque suffit pour renverser le pécheur. En lutte avec lui-même, portant partout la guerre allumée dans son sein, quelle espérance de salut peut-il avoir, lui qui se trahit, lui que le remords poursuit sans cesse comme un implacable ennemi. Il n'en est pas ainsi du juste. Entendez ce que nous dit le Prophète: Celui qui met sa confiance dans le Seigneur est comme la montagne de Sion. (Ps 124,1) Qu'est-ce à dire, comme la montagne de Sion? Il ne sera jamais ébranlé, ajoute le Prophète. Employez toutes vos machines, lancez tous vos traits contre une montagne pour la renverser, jamais vous n'y réussirez. Et comment pourriez-vous réussir? Vous ne ferez que briser vos machines et épuiser vos forces. Voilà l'image du juste, quelle que soit la violence des coups, il n'en éprouve aucun mal; il use la force de ses ennemis; il se rit des attaques de l'homme, des attaques mêmes du démon. Vous avez souvent ouï raconter la guerre acharnée que le démon fit à Job, mais Job ne demeura-t-il pas inébranlable comme le roc, et le démon ne dut-il pas s'enfuir épuisé, après avoir vu toutes ses armes rompues, toutes ses machines brisées dans ce combat?

7803 3. Eclairés sur ce point, veillons avec soin sur notre conduite. N'aimons ni les richesses qui périssent, ni la gloire qui s'éteint, ni le corps qui vieillit, ni la beauté qui se fane, ni les délices qui s'écoulent comme un torrent. Mais réservons tous nos soins à notre âme, et, pour la guérir, ne négligeons aucun remède. Les maux du corps, il n'est pas toujours facile de les guérir; mais toujours on peut aisément remédier aux maladies de l'âme. Pour les infirmités corporelles, il faut des remèdes et de l'argent; mais la guérison de l'âme n'exige ni démarches ni dépenses. Que de fatigues pour fermer les plaies cuisantes de la chair; n'est-on pas souvent obligé de recourir au fer, à d'amers breuvages? Pour l'âme, rien de tout cela; il suffit de vouloir, de désirer, et tout rentre dans l'ordre. C'est Dieu qui en a disposé de la sorte. Les maux du corps en effet ne sauraient nous être bien funestes. Quand même nous en serions exempts, la mort ne viendra-t-elle pas corrompre nos membres et les réduire en poudre? Notre bonheur dépend du bon état de notre âme. Cette portion de nous-mêmes la plus précieuse, la plus nécessaire, le Seigneur a voulu que nous pussions la guérir aisément, sans dépenses, sans douleur. Quelle (28) excuse alléguer pour obtenir notre pardon? Quand il s'agit du corps, on n'épargne rien on fait de la dépense, on appelle les médecins, on supporte les plus cruelles souffrances, et cependant ses infirmités n'ont rien de fâcheux. L'âme, nous la méprisons, et cela, quand il n'est pas besoin d'argent, quand nous n'avons à troubler le repos de personne, ni aucune douleur à supporter; quand une résolution, quand un acte de la volonté suffisent pour lui rendre toute sa santé; quand nous savons en outre que notre négligence nous vaudra les châtiments les plus sévères, des tourments, des supplices éternels?

Dites-moi, si quelqu'un vous promettait de vous initier en quelques moments, sans dépenses, sans peine pour vous, à l'art de la médecine, ne le regarderiez-vous pas comme un bienfaiteur? Ne consentiriez-vous pas à faire et à souffrir tout ce qu'il voudrait? Or, voici que maintenant vous pouvez apprendre à connaître des remèdes qui, sans douleur aucune, peuvent rendre la santé non pas au corps, mais à l'âme; et vous montreriez de la négligence? Quelle douleur y a-t-il en effet à calmer sa colère après une offense? Ah! n'y a-t-il pas plutôt douleur à garder le souvenir d'une injure et à ne pas se réconcilier? Quelle peine y a-t-il à demander à Dieu dans la prière ces biens sans nombre qu'il accorde si volontiers? Quelle peine y a-t-il à ne médire de personne? Quel ennui peut-on trouver à bannir de son âme la haine ou l'envie? L'amour du prochain peut-il être à charge? Est-ce un grand malheur que de ne point proférer de paroles honteuses, que de n'outrager et de n'injurier personne? Est-ce une fatigue que de ne point jurer? Car je veux encore vous répéter les mêmes conseils. Au contraire, c'est chose très-pénible que le serment. Que de fois, en effet, aveuglés par la colère et la fureur, n'avons-nous pas juré de ne jamais faire la paix avec nos ennemis! L'emportement passé, la colère éteinte, nous avons songé à nous réconcilier. Mais retenus par nos serments, nous avons gémi de nous voir pris comme dans un lacet et enchaînés par d'indissolubles liens. Le démon nous connaît bien. Il sait bien que la colère est un feu qui s'éteint facilement, et qu'elle est promptement suivie de la réconciliation et de l'amitié. Voulant donc empêcher ce feu de s'éteindre, il nous enchaîne par le serment, afin que, si la colère s'apaise, le serment demeure pour entretenir en nous la flamme, et qu'alors, ou bien nous devenions parjures en nous réconciliant, ou bien nous encourions les peines dues au ressentiment, si nous refusons de pardonner.

7804 4. Désormais fuyons donc les jurements, et que notre bouche s'étudie à ne rien dire de plus que ce mot: croyez; et ce sera pour nous comme le fondement de toutes les vertus. Si votre langue en effet s'est étudiée à se contenter de ce mot, n'aura-t-elle pas honte de proférer des paroles déshonnêtes ou déplacées? Si parfois elle manque à cette habitude, elle trouvera mille accusateurs pour l'en reprendre. Que l'on entende celui qui ne jure point, tenir de mauvais propos, ne l'insultera-t-on pas, ne sourira-t-on pas de lui, ne lui dira-t-on pas en se moquant: toi qui te contentes de dire: Croyez, et qui n'oses faire un serment, comment peux-tu souiller ta langue par de honteuses paroles? Et ainsi, même malgré nous, les reproches des autres nous ramèneront à la vigilance. Et s'il est nécessaire de jurer, dira-t-on? Là où la loi se trouve violée, il ne saurait y avoir de nécessité. Mais, ajoute-t-on, est-ce qu'il est possible de ne jamais jurer? Qu'osez-vous dire? Dieu commande, et vous demandez s'il est possible d'observer son commandement? Il est impossible au contraire de ne pas l'observer, et ce qui se passe maintenant à Antioche va me servir à vous persuader qu'il n'est pas impossible de ne pas jurer, mais qu'il est impossible de jurer. Les habitants d'Antioche viennent d'être soumis à un tribut qui dépasse les ressources d'un grand nombre. La plupart ont déjà payé la somme exigée, et cependant vous entendez les officiers de l'empereur répéter souvent: «Pourquoi ce retard? Pourquoi remettre ainsi de jour en jour? Vous ne pouvez échapper. C'est une loi qui ne souffre aucun délai» - Que dites-vous, je vous prie? L'empereur ordonne la levée d'un tribut, et vous ne pouvez vous y soustraire; Dieu commande d'éviter les jurements, et vous dites: nous ne pouvons nous abstenir de jurer? Il y a six jours déjà que je vous donne ces conseils. Désormais je veux faire trêve avec vous et me retirer, pour vous donner le temps de vous mettre sur vos gardes. Désormais pour vous plus d'excuse ni d'indulgence. Ne vous eussions-nous point donné de conseils, vous auriez dû vous corriger par vous-mêmes, car ici tout est parfaitement clair, (29) et il n'est pas besoin de longues méditations. Mais après tant d'exhortations, après, de si nombreux conseils, comment vous excuser à ce redoutable tribunal du souverain Juge, quand il vous faudra rendre compte de l'observation de cette loi. Non, rien ne pourra vous excuser; mais, ou bien vous en sortirez libres, grâce à votre conversion; ou bien, si vous ne vous êtes point corrigés, vous devrez subir les plus affreux châtiments. Songez-y donc sérieusement, et quand vous aurez quitté ce lieu, exhortez-vous les uns les autres avec une sainte ardeur à garder précieusement dans vos âmes des conseils qui vous ont été tant de fois répétés. Et aussi pendant que nous garderons le silence, vous vous instruirez, vous vous édifierez, vous vous exciterez mutuellement, et vos progrès seront rapides. Après avoir fidèlement observé toutes les lois, vous irez jouir de l'éternel bonheur. Puissions-nous tous en jouir un jour, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire soit au Père et au Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



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