Chrysostome Homélies 7900

Neuvième homélie.

ANALYSE.

Amour de saint Chrysostome pour les habitants d'Antioche. - Il les félicite de leurs progrès dans le bien. - Il regrette que plusieurs négligent la parole sainte. - Pourquoi les Ecritures ont-elles paru si tard? - Beauté de la Création. - Les astres. - Le jour et la nuit. - L'ordre des saisons, la ferre et les éléments, le soleil manifestent la puissance et la sagesse du Créateur. - Il faut s'abstenir de jurer.


7901 1. Il n'y a pas longtemps que je m'entretenais avec vous, et voici que je viens encore vous adresser un discours. Que ne puis-je être sans cesse au milieu de vous! ou plutôt ne suis-je pas toujours présent parmi vous, sinon de corps, au moins par l'amour que je vous porte? Ma vie tout entière, n'est-ce pas vous-mêmes et le soin de votre salut? Le laboureur songe-t-il à autre chose qu'à semer et à moissonner; le pilote a-t-il d'autre pensée que celle de la mer et des ports? Et l'orateur, lui aussi, n'a-t-il pas continuellement en vue les progrès de ses auditeurs? Oui, c'est votre avancement spirituel qui me préoccupe en ce moment. Je vous porte tous dans mon coeur, non-seulement ici, mais encore lorsque je suis chez moi. Sans doute ce peuple est nombreux, et ce coeur a peu d'étendue; mais la charité est spacieuse, et chez nous vous n'êtes pas à l'étroit. (2Co 6,12) Je n'ajoute pas les paroles qui suivent;. je sais bien aussi que je ne suis pas à l'étroit dans vos âmes, et en voici la preuve évidente. Beaucoup d'entre vous ne m'ont-ils pas dit: «Nous avons suivi vos conseils; nous nous sommes fait une loi de ne pas jurer; nous avons déterminé certaines peines, et quiconque enfreint la loi, doit les subir. N'est-ce pas répondre pleinement à vos désirs, et n'est-ce pas aussi la meilleure marque d'amour que nous puissions vous donner?» Non, certes, je n'ai pas honte de descendre à ces détails; ce qui me fait agir, ce n'est pas un empressement puéril, mais bien le vif intérêt que vous m'inspirez. Si le médecin peut sans rougir interroger son malade, qui oserait nous blâmer de nous informer sans cesse de votre santé spirituelle? Renseigné de la sorte sur vos progrès, sachant ce qui vous reste à faire, nous pourrons en toute assurance vous donner les remèdes dont vous aurez encore besoin. C'est à force de soin que nous nous sommes rendu de tout cela un compte exact; et nous remercions Dieu de ce que nous n'avons pas semé sur la pierre, ni au milieu des épines, ni attendu longtemps pour faire une ample moisson. Aussi je vous ai toujours dans mon coeur; en vous instruisant, je ne sens point la peine, je suis assez dédommagé par le profit (31) que vous retirez de mes discours. C'est là une récompense bien propre à nous soutenir, à nous animer, à exciter notre zèle, à nous faire supporter pour vous toutes les fatigues. Nous avons donc reçu bien des témoignages de votre reconnaissance, et nous allons maintenant nous acquitter de notre dette, quoique nous n'apercevions pas ici tous ceux qui nous ont entendu faire cette promesse.

Pourquoi donc sont-ils absents? Quelle cause les éloigne de cette table mystique? Peut-être ont-ils pensé qu'après s'être assis à une table matérielle, qu'après avoir donné à leurs corps la nourriture qu'ils réclament, ils ne devaient point venir entendre la parole sainte. Ils se trompent: autrement, pourquoi après le festin mystique Jésus-Christ aurait-il fait un long discours à ses apôtres? Autrement encore, pourquoi 'après avoir nourri plusieurs fois la multitude dans le désert, lui aurait-il distribué ses enseignements? Je le dirai, dût ce langage paraître étrange à plusieurs, c'est alors surtout qu'il faut prêter l'oreille à la parole de Dieu. Si vous vous persuadez en effet qu'après avoir mangé et bu, vous devez vous trouver à l'église, vous serez sobres malgré vous, jamais vous ne vous enivrerez, jamais vous ne mangerez avec excès. Cette pensée que vous devez vous asseoir au milieu de vos frères, vous conseillera la modération dans le boire et dans le manger; vous craindrez de sentir le vin, de vous trahir par là ou par quelqu'autre indécence, et de faire rire à vos dépens. Ce n'est point pour vous qui êtes ici que je dis ces choses; mais pour les absents auxquels vous les répéterez. Ce qui empêche d'entendre, ce n'est pas la nourriture que l'on prend, c'est la paresse. Vous qui faites un crime de ne pas jeûner, vous êtes bien plus coupables encore de ne point participer à cette table sacrée, de laisser votre âme mourir de faim tout en soignant bien votre corps. Et quelle sera votre excuse? Quand il s'agit de jeûner, vous pouvez prétexter votre faiblesse; mais quand il s'agit d'entendre la parole sainte, quel prétexte mettrez-vous en avant? La faiblesse du corps, en effet, n'empêche point de recueillir sa part des divins oracles. Ah! si j'avais dit: Que personne ne vienne à cette assemblée après avoir mangé, que personne ne vienne nous écouter, après avoir pris de la nourriture, vous seriez excusables; mais, au contraire, nous vous attirons, nous vous engageons, nous vous appelons de toutes nos forces; et vous ne venez pas; et vous pourriez vous justifier! Savez-vous quel est le mauvais auditeur? Ce n'est pas celui qui a mangé ou bu, mais bien celui qui ne veut pas être attentif, qui bâille, qui se laisse aller, dont le corps est ici présent, mais dont l'âme erre bien loin de ce lieu; celui-là, il aurait beau jeûner, il ne retirerait aucun profit de nos discours. Mais que vous ayez mangé, que vous ayez bu; si vous tenez votre âme éveillée, attentive, vous serez d'excellents auditeurs. Chez les infidèles, l'usage a prévalu de ne se rendre qu'à jeun au tribunal ou au conseil; mais les infidèles ne savent point être sages: ils ne se contentent pas de manger pour se nourrir; ils mangent jusqu'à se rendre malades; ils boivent jusqu'à s'enivrer, et c'est pourquoi le soir et à midi ils s'abstiennent de juger ou de délibérer ils sont devenus incapables de le faire. Mais ici nous ne voyons rien de semblable, à Dieu ne plaise. Après avoir mangé, on n'est pas moins sage qu'avant de se mettre à table: on ne mange pas, on ne boit pas, au point d'en mourir ou d'obscurcir sa raison; mais on ne prend de nourriture que ce qu'il faut pour réparer ses forces.

7902 2. C'est assez d'avertissements: venons maintenant à notre sujet, malgré la répugnance et l'ennui que nous sentons à l'aborder, en l'absence de nos frères. Quelle peine, quelle douleur n'éprouve pas une mère aimante quand elle ne voit pas tous ses enfants autour de la table qu'elle a servie? Cette douleur, je la ressens moi-même en ce moment, et quand je songe que tous ne sont pas ici, je suis tenté de retirer ma promesse. C'est à vous de faire cesser cette répugnance. Promettez-moi de leur rapporter fidèlement mes paroles, et moi je m'acquitterai pleinement de tout ce que j'ai promis. En vous écoutant, ils regretteront moins de n'être pas venus aujourd'hui; et vous serez vous-mêmes plus attentifs à notre discours, puisque vous devez le redire à d'autres. Pour être plus clair, il nous faut reprendre ce que nous avons déjà dit. Nous nous sommes demandé pourquoi les saintes Écritures avaient été données si tard aux Hébreux. Ce ne fut ni à l'époque d'Adam, ni à celle de Noé, ni à celle d'Abraham, mais au temps de Moïse que parut le livre de la Genèse. Si ce livre était utile, dit-on, pourquoi ne paraissait-il pas dès le principe; et s'il était inutile, à quoi bon le mettre au jour plus tard? C'est mal raisonner. Si une (32) chose doit être avantageuse dans l'avenir, il ne s'ensuit pas qu'on doive l'accorder dès le principe; et ce que l'on a donné dès le commencement ne doit point nécessairement demeurer toujours. Le lait n'est-il pas fort utile, et cependant on ne le donne qu'aux enfants; une nourriture solide est aussi chose très-utile; mais on se garde bien de nous l'offrir d'abord; on attend que nous soyons sortis de l'enfance. L'été, si utile pourtant, ne règne pas toujours; l'hiver a ses avantages, et à son tour il disparaît. Eh quoi! direz-vous, les Ecritures ne sont-elles pas utiles? Oui, sans doute, elles sont très-utiles et même nécessaires. Eh bien! ajoutez-vous, puisqu'elles sont utiles, pourquoi Dieu ne les a-t-il pas données dès le principe? C'est qu'il voulait instruire les hommes par les choses, et non par les livres. Qu'est-ce à dire, par les choses? C'est-à-dire, par la création elle-même. C'est la pensée de l'apôtre saint Paul.

Les Gentils se plaignaient de n'avoir pas eu dès le principe la connaissance de Dieu par les Ecritures. Ecoutez ce qu'il leur répond. Il avait dit: La colère de Dieu éclatera du haut du ciel sur les impiétés et les injustices de ces hommes qui retiennent dans l'iniquité la vérité de Dieu. (
Rm 1,28) Prévoyant qu'on soulèverait une objection, et qu'on lui demanderait comment les Gentils avaient pu connaître le vrai Dieu, il ajouta: car ce que l'on sait de Dieu leur a été manifesté. Et comment cela? comment pouvaient-ils connaître Dieu? qui le leur avait manifesté? C'est Dieu lui-même, qui s'était manifesté à leurs regards (Rm 19), reprend-il. De quelle façon? quel prophète, quel évangéliste, quel docteur leur avait-il envoyé, si les Ecritures n'existaient pas encore? Les perfections invisibles de Dieu, continue-t-il, ont été manifestées à l'intelligence depuis le commencement par les créatures visibles; c'est ainsi que Dieu a révélé son éternelle puissance et sa divinité. (Rm 20) Voici ce que veut dire l'Apôtre: Il a exposé la création aux regards de tous les hommes, pour qu'ils puissent découvrir le Créateur dans ses ouvrages.

C'est la même pensée qu'exprime un autre docteur dans ces paroles: La grandeur et la beauté des créatures fait connaître leur auteur. (Sg 13,5) Quand vous considérez la grandeur de la création, admirez la puissance qui l'a produite; quand vous contemplez la beauté des créatures, admirez encore et célébrez l'auteur d'un ordre si parfait. A la vue de tant de sagesse le Prophète, saisi d'enthousiasme, s'écriait: Les cieux racontent la gloire de Dieu. (Ps 18,1) Comment, je vous le demande, peuvent-ils raconter cette gloire? La voix leur manque, ils n'ont point de bouche, point de langue. Comment peuvent-ils donc raconter? Par le spectacle qu'ils présentent. Quand vous voyez les astres garder si longtemps leur beauté, leur grandeur, leur élévation, leur forme et la place qu'ils occupent, c'est comme si vous entendiez leur voix; ce sublime spectacle vous instruit et vous adorez l'Auteur de cet ensemble si beau, si admirable! Le ciel ne parle point, et cependant quand vous le contemplez, c'est comme si vous entendiez des sons plus éclatants que les sons de la trompette, et si, pour vous instruire, il ne s'adresse pas à vos oreilles, il frappe vivement vos regards. Or, le sens de la vue est à la fois plus fidèle et plus sûr que le sens de l'ouïe. Si Dieu se fût servi des livres pour nous apprendre à le connaître, ceux qui savent lire auraient pu les étudier, mais les autres n'en eussent pas retiré le moindre avantage sans le secours des premiers. Le riche aurait pu se les procurer en les achetant, le pauvre, non. Pour les comprendre, il eût fallu savoir la signification de chaque mot; et alors comment le Scythe, le Barbare, l'Indien, l'Egyptien et tous ceux qui n'auraient point connu l'idiome du livre, auraient-ils pu s'instruire? Mais le ciel, tous comprennent son langage, et le Scythe et le Barbare et l'Indien et et l'Egyptien, et tous les habitants de la terre: il s'adresse à notre intelligence, non parle sens de l'ouïe, mais par celui de la vue. Il n'en est pas des choses visibles, comme des langues tous peuvent également les comprendre. C'est un livre où chacun peut lire, l'ignorant comme le sage, le pauvre comme le riche, et n'importe en quel lieu de la terre, il suffira de regarder le ciel pour puiser dans ce spectacle une doctrine abondante. Aussi le Prophète, voulant nous montrer que la création parle un langage intelligible à tous les hommes, soit Grecs, soit Barbares, disait: Ce n'est point un langage, ce ne sont point des paroles dont on n'entende point le son. (Ps 18,4) Et voici sa pensée: Il n'est point de nation ni de langue qui ne puisse comprendre cette voix; elle est si claire que tous peuvent l'entendre. Et il ne s'agit pas seulement de la voix des cieux, (33) mais encore de la voix du jour et de la nuit. Et comment cela? Les cieux par leur beauté, parleur grandeur, par tant d'autres perfections saisissent l'âme, quand on les considère, et la remplissent d'admiration pour le Créateur. Mais le jour et la nuit, que nous offrent-ils de si admirable? Rien de semblable, sans doute, à ce que nous voyons dans le firmament; mais quelque chose cependant qui n'est pas moins merveilleux; je veux parler de cette convenance, de cet ordre toujours si exactement suivi. Voyez, en effet, comment ils partagent l'année tout entière! Ils divisent la durée du temps, en se faisant contre-poids l'un à l'autre, comme les plateaux d'une balance. Dites-moi, n'admirez-vous pas l'auteur d'un si bel ordre? Ce sont comme deux sueurs qui se partagent les biens de leur père avec une mutuelle affection, sans jamais chercher à se nuire. Avec quel soin, en effet, avec quelle égalité le jour et la nuit partagent l'année, se tenant toujours dans leurs limites et ne se repoussant jamais l'un l'autre! Depuis tant de siècles que le monde existe, jamais en hiver le jour ne fut long, jamais la nuit ne fut longue en été; oui, durant un laps de temps si considérable ils ne se sont rien dérobé l'un à l'autre, pas même une demi-heure, pas même un seul instant.

7903 3. Aussi le Psalmiste, ravi d'admiration devant un partage si bien fait, s'écriait: La nuit transmet d la nuit la connaissance. (Ps 18,3) Si vous savez comprendre tout cela, n'admirez-vous pas, dites-moi, celui qui dès le principe a posé ces bornes immuables? Qu'ils entendent, les avares et ceux qui convoitent le bien d'autrui, et qu'ils imitent cette égalité du jour et de la nuit. Qu'ils entendent, ceux que dévorent l'orgueil et l'ambition, ceux qui ne veulent jamais céder aux autres la première place. Le jour se retire devant la nuit, et n'envahit point son domaine; et vous, vous n'êtes jamais rassasiés d'honneurs, et vous ne voulez jamais les partager avec vos frères. Considérez encore la sagesse du législateur. Il a voulu que la nuit fût longue en hiver, parce qu'alors les semences, plus tendres, ont besoin de fraîcheur, et ne pourraient supporter une forte chaleur; mais quand elles se sont développées, le jour augmente aussi, et il devient encore plus long, quand le fruit possède toute sa vigueur, et vient en maturité.

C'est là un avantage non-seulement pour les moissons, mais aussi pour nos corps. N'est-ce pas en hiver que le matelot, que le pilote, le voyageur, le soldat, le laboureur restent chez eux, comme enchaînés par le froid? L'hiver n'est-il pas la saison du repos? Or, si Dieu n'avait alors donné plus de longueur aux nuits, la durée du jour aurait paru excessive à des hommes que l'hiver empêche de travailler. Comment assez louer cet ordre des saisons de l'année? N'est-ce pas comme un choeur de jeunes filles qui, dans l'espèce de danse en rond quelles exécutent perpétuellement, se succèdent dans le plus grand ordre, et où celles du milieu font sans cesse passer doucement et sans trouble leurs compagnes d'une extrémité à l'extrémité contraire?

Au sortir de l'été nous n'entrons point subitement en hiver, ni au sortir de l'hiver, brusquement en été; entre l'hiver et l'été se trouve le printemps qui doit préparer nos corps et les conduire à l'été, doucement, peu à peu, et les y introduire sans qu'ils courent de périls. Une brusque transition pourrait amener des maladies graves et dangereuses, et c'est pourquoi Dieu a voulu que le printemps prit la place de l'hiver pour nous mener à l'été, et l'automne celle de l'été pour nous mener à l'hiver. Et ainsi nous passons insensiblement et sans avoir rien à craindre, d'une saison à la saison contraire, grâce à celle qui les sépare. Quand on a contemplé le ciel, quand on a contemplé la mer et la terre, quand on a considéré cette harmonie si bien réglée des diverses saisons, cette continuelle succession du jour et de la nuit, il faudrait être bien malheureux, bien insensé pour attribuer tout cela au hasard, et ne pas adorer celui dont la sagesse a si bien disposé cet univers. Mais j'ai quelque chose de plus grand encore à vous montrer: ce n'est pas seulement la magnificence et la beauté de l'univers, mais le mode lui-même de la création qui nous révèle le Créateur. Nous n'étions point présents quand il créait et construisait le monde; et eussions-nous été là, nous n'aurions pu savoir comment s'accomplissait ce grand ouvrage: une invisible puissance disposait l'univers, et le mode lui-même de cette disposition devait être pour nous le meilleur des maîtres; tout y était soumis à des forces supérieures aux lois de la nature. Ce que je viens de dire est peut-être obscur:je vais le rendre plus clair en vous l'expliquant. Il est naturel, tout (34) le monde le reconnaît, que l'eau soit supportée par la terre, et la terre ne peut-être soutenue par l'eau. La terre est dense, elle est dure, solide, capable de résistance, et par là même elle soutient aisément les eaux. Mais l'eau qui est liquide, et sans consistance, qui se divise et s'écoute dans tous les sens, qui cède aux moindres efforts, ne pourrait jamais supporter un corps, même le plus léger. Un petit caillou jeté dans l'eau la fait reculer et fuit, et il s'ouvre un chemin vers ses profondeurs. Si donc vous voyez non pas un mince caillou, mais la terre tout entière portée sur les eaux sans enfoncer, n'admirez-vous pas la puissance surnaturelle qui opère ce prodige? Et où voyons-nous que la terre soit portée sur les eaux? C'est le Prophète qui le dit: Il l'a fondée sur les mers, et l'a établie sur les fleuves. (Ps 23,2) Et encore, dans un autre endroit: à celui qui a fondé la terre sur les eaux. (Ps 135,6) Que dites-vous, saint Prophète? L'eau ne peut soutenir à sa surface le moindre caillou, et elle porte la terre avec ses montagnes, ses collines, avec les villes, les plantes, les hommes, les animaux, et cela, sans être submergée? Que dis-je, sans être submergée? comment se fait-il qu'entourée par l'eau dans sa partie inférieure pendant un si long espace de temps, elle ne se soit pas dissoute et changée en boue? Que le bois séjourne quelque peu dans l'eau, il se corrompt et se dissout; que dis-je, le bois? Mais le fer lui-même, si solide pourtant, laissé continuellement dans l'eau, finit pas perdre sa dureté; et ne doit-il pas en être ainsi puisqu'il tire sa substance de la terre? Aussi voit-on des esclaves qui se sont enfuis chargés d'entraves et de chaînes, s'arrêter au bord des ruisseaux pour y plonger leurs pieds; et quand ils ont amolli les fers qui les retiennent, ils n'ont pas de peine à les rompre avec une pierre. Oui, le fer s'amollit dans l'eau, le bois s'y putréfie, la pierre s'y dissout; et cependant la masse de la terre, établie sur les eaux depuis s'y longtemps, n'a été ni submergée, ni dissoute, ni détruite.

7904 4. Et, qui ne serait saisi d'étonnement et d'admiration, qui ne proclamerait bien haut que ce n'est point là l'ouvrage de l'a nature, mais celui d'une providence supérieure à la nature? Aussi est-il dit dans l'Ecriture: Celui qui a suspendu la terre sur le néant. (Jb 26,7) Et ailleurs: Dans ses mains sont les bornes de la terre. (Ps 95,4) Et ailleurs encore: Il l'a fondée sur les mers. (Ps 23,2) Ces textes semblent se contredire, et cependant ils sont parfaitement d'accord. En effet, dire: Il l'a fondée sur les mers, n'est-ce pas dire aussi: Il a suspendu la terre sur le néant. Quelle différence y a-t-il, je vous prie, entre se tenir sur les eaux et être suspendu sur rien? A quoi donc la terre est-elle suspendue et sur quoi s'appuie-t-elle? Le Psalmiste ne vous le dit-il pas? Les bornes de la terre sont dans ses mains. Ce n'est pas que Dieu ait des mains, seulement David veut nous faire comprendre que cette souveraine Puissance dont la Providence s'étend à l'univers entier, soutient aussi et porte la masse de la terre. Et si vous ne l'en croyez pas sur parole, croyez-en du moins vos yeux. Un autre élément encore peut vous offrir de semblables merveilles. Le feu, de sa nature, s'élève dans les airs, il pétille et s'élance: c'est en vain que vous chercherez à le contraindre, à le violenter; vous ne pourrez le forcer à descendre. Allumez un flambeau, inclinez-le, vous ne pourrez forcer la flamme à se diriger vers le sol: toujours elle remontera, toujours elle sera repoussée en haut. Or, Dieu a imposé au soleil des lois toutes contraires. Il a dirigé ses rayons vers la terre, il a voulu que sa lumière descendît jusqu'à nous, lui tenant pour ainsi dire ce langage: «Regarde en bas, et luis pour les hommes: car c'est pour eux que tu as été créée.» La flamme d'une lampe ne peut s'y résigner, et cet astre si magnifique et si admirable tourne ses rayons vers la terre, suivant des lois toutes contraires à celles du feu, pour obéir à la puissance de son auteur. Voulez-vous contempler encore d'autres merveilles? La voûte extérieure de ce firmament que nous apercevons est tout entière recouverte par des eaux, qui ni ne s'écoulent, ni ne se retirent. Telles ne sont pas cependant les lois auxquelles d'ordinaire obéit cet élément! Les eaux se rassemblent aisément, quand la surface est con-. cave; mais sur une surface convexe elles s'écoulent de tous côtés et on n'en voit pas rester une seule goutte. Et ce phénomène étrange, on le remarque pourtant dans les cieux. C'est ce que veut encore faire entendre le Prophète, quand il dit: Louez le Seigneur, eaux qui êtes au-dessus des cieux. (Da 3,60) Ces eaux n'ont pu éteindre le soleil, ni le soleil les dessécher, depuis si longtemps qu'il poursuit sa course au-dessous d'elles.


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Voulez-vous que nous revenions sur la terre et que nous vous en montrions les merveilles? Ne voyez-vous pas cette mer avec ses flots et ses tempêtes? Et cette mer si vaste, si grande, si furieuse, il suffit d'un sable sans consistance pour la contenir. Admirez la sagesse du Seigneur! Il ne lui a point permis de rester en repos, ni de s'apaiser: vous auriez cru qu'il était dans sa nature de demeurer tranquille: mais tout en restant dans ses limites, elle mugit, elle s'agite, ses flots retentissent. et s'élèvent à une prodigieuse hauteur; puis, quand ils atteignent les sables du rivage, ils se brisent et retombent sur eux-mêmes. Par là elle vous apprend que ce n'est point en vertu de sa nature qu'elle se tient renfermée dans ses limites, mais bien en vertu de la Puissance divine qui la contraint d'y demeurer. Et c'est pourquoi le Créateur lui adonné de si faibles barrières: il n'a mis sur ses rivages ni bois, ni pierres, ni montagnes, pour que vous ne puissiez pas attribuer à ces remparts les effets dont vous êtes les témoins. C'est ce qu'il disait autrefois aux Juifs pour leur reprocher leur insolence: Ne me redouterez-vous pas, moi qui ai donné pour barrière aux flots de l'Océan, un sable qu'il ne franchira jamais? (Jr 5,22) Nous contenterons-nous d'admirer ce monde si grand et si beau, cet ordre merveilleux qui s'élève au-dessus des lois ordinaires de la nature? n'admirerons-nous pas encore cette puissance qui a composé le monde d'éléments contraires, du chaud et du froid, du sec et de l'humide, du feu et de l'eau, de la terre et de l'air? et ces éléments contraires qui constituent l'univers, ces éléments qui se combattent, ne se détruisent pourtant point les uns les autres! Le feu ne se précipite point pour tout embraser, l'eau n'accourt point pour tout submerger. Si la bile vient à prédominer dans nos corps, nous avons aussitôt la fièvre et tous nos membres sont malades; si l'humeur est trop abondante, elle engendre une foule de maladies qui nous donnent là mort. Dans l'univers, rien de semblable. Mais chaque élément reste à sa place, retenu comme par un frein, enchaîné par la volonté du Créateur qui le force à garder ses limites, et c'est ainsi que cette opposition entre les éléments procure la paix à tout l'univers. Oui, les aveugles mêmes doivent voir, les insensés doivent comprendre que ces divers éléments sont l'oeuvre de la divine Providence, et que c'est elle aussi qui les contient dans leurs limites. Qui serait assez insensé, assez stupide pour ne pas se dire à la vue d'un tel ensemble, d'une si grande beauté, d'un tel arrangement, de cette lutte entre des éléments contraires qui continuent cependant à subsister: S'il n'y avait une Providence pour contenir la masse de ces corps, pour les empêcher de tomber en dissolution, non, ils ne pourraient subsister, ils ne pourraient durer longtemps? L'ordre des saisons, cet admirable accord du jour et de la nuit, tant d'espèces d'animaux, de plantes, de semences et d'herbes continuent de suivre les mêmes lois, et jusqu'à présent rien de tout cela n'a péri, rien n'a disparu.

79055. Ce n'est pas tout, il s'en faut bien. Il y aurait sur la création bien d'autres choses à vous dire, plus nombreuses, plus profondes encore que celles-là. Mais nous les renvoyons à demain: appliquez-vous maintenant à bien retenir nos paroles et à les répéter aux absents. Je sais bien que vous êtes peu habitués aux pensées profondes, mais avec de la bonne volonté vous pouvez vous y accoutumer et vous rendre même capables de les exposer aux autres. En attendant, voici ce que je dois dire à votre charité. De même que Dieu nous a glorifiés par une création si magnifique, de même nous devons le glorifier à notre tour par la sainteté de notre vie. Les cieux racontent la gloire de Dieu par le spectacle qu'ils nous offrent; racontons aussi la gloire du Seigneur, non-seulement par nos paroles, mais encore par notre silence, et que l'éclatante lumière de notre vie excite partout l'admiration. Que votre lumière, dit le Sauveur, brille aux regards des hommes, pour qu'ils voient vos bonnes oeuvres, et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. (Mt 5,16) Si en effet les infidèles vous voient toujours modestes, toujours sages, toujours purs, ils seront dans le ravissement et diront: Oui, il est grand le Dieu des chrétiens! Comme il transforme les hommes! Qu'étaient ceux-ci? Que sont-ils devenus? C'étaient des hommes, il en a fait des anges! Si on les outrage, ils ne se vengent point; si on les frappe, ils ne s'indignent point; si on les injurie, ils prient pour ceux qui les ont injuriés. Ils n'ont point d'ennemis, ils ne connaissent point le ressentiment, ils ne tiennent point de discours frivoles, ils ne savent ce que c'est que mentir, ils ne se rendent point coupables de parjure, ils ne (36) consentent pas même à jurer, et on leur arracherait plutôt la langue que de les contraindre à proférer un serment.» Donnons-leur sujet de faire ainsi notre éloge. Oui, chassons loin de nous cette funeste habitude de jurer. Ne voulons-nous pas au moins rendre à Dieu l'honneur que nous rendons à des vêtements de prix? Quand nous avons quelque habit plus riche que les autres, nous nous gardons bien d'en faire abus, et le nom du Seigneur nous l'employons partout, à tout propos et au hasard. Je vous en prie donc, je vous en conjure, ne méprisons pas ainsi notre salut, mais après avoir montré dès le principe tant d'empressement à observer ce précepte, persévérons jusqu'à la fin. Si je vous exhorte sans cesse à ne pas jurer, ce n'est point pour vous reprocher quelque négligence. Je vous vois déjà presque tous corrigés, et je soupire après le moment où vous serez tous parvenus au terme de vos efforts. Les spectateurs n'aiment-ils pas à exciter ceux des combattants qu'ils voient sur le point de triompher. Ne nous lassons donc point non plus: nous voici presque au terme, et le difficile était de commencer.

L'habitude est à peu près vaincue, il reste peu de chose à faire; il n'est plus besoin de beaucoup de travail, il suffit de nous observer un peu, de montrer quelque diligence, pour achever de nous corriger et pour être à notre tour capables d'exhorter les autres. Avec quelle confiance ensuite nous verrons arriver la fête de Pâques! Quel bonheur pour nous d'être alors deux ou trois fois plus joyeux que nous ne sommes d'ordinaire ce jour-là! Nous nous réjouirons moins d'être sortis des fatigues d'un jeûne pénible que de participer à cette sainte solennité, pleins de mérite et le front ceint d'une couronne brillante et qui ne doit jamais se flétrir. Mais, pour arriver plus vite à cet heureux résultat, faites ce que je dis. Ecrivez sur les murs de votre maison, gravez dans votre coeur cette faux volante dont parle Zacharie (Za 5,1-3), et imaginez-vous la voir apporter la malédiction. Ne la perdez jamais de vue; et quiconque jurera en votre présence, arrêtez-le; reprenez-le, et surveillez de près vos serviteurs. Si nous prenons à tâche non-seulement de bien nous conduire nous-mêmes, mais encore d'amener les autres à s'amender sur ce point, nous ne tarderons pas à atteindre le but. Une fois que nous aurons entrepris de corriger les autres, nous rougirons, nous serons honteux, de ne pas faire nous-mêmes ce que nous recommandons. C'est assez revenir sur ce sujet. Nous vous avons suffisamment exhortés les jours précédents, et j'ai voulu seulement vous remettre mes conseils en mémoire. Daigne le Seigneur qui, plus que nous-mêmes, veut notre bonheur, nous accorder de nous conformer sur ce point comme sur tous les autres à la règle de la perfection chrétienne, afin qu'ayant cueilli tous les fruits de la justice, nous soyons trouvés dignes du royaume des cieux par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire soit au Père et au Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



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Dixième homélie.

ANALYSE.

Il est très-avantageux d'entendre la parole de Dieu. - Merveilles de la création. - Admirable variété qu'elle présente. Les païens sont inexcusables d'avoir adoré l'univers. - Il faut s'abstenir de jurer.


71011. Je vous félicite de votre docilité, et je me réjouis de vous voir mettre en pratique les conseils que je vous ai donnés au sujet de ceux qui ne jeûnent pas, et qui pour cette raison ne viennent pas nous entendre: aujourd'hui, ce me semble, bon nombre, après avoir dîné, sont venus compléter cette belle assemblée; et ce qui me le fait supposer, c'est que je vois un auditoire plus brillant, une affluence plus considérable. Nous n'avons donc point perdu notre temps, je crois, en insistant sur ces conseils, en vous pressant de ramener vos frères autour de votre mère commune, et de leur persuader qu'après la réfection corporelle, il n'est pas défendu de prendre part au festin spirituel. Dites-moi, bien-aimés frères, quand est-ce que vous avez mieux agi qu'aujourd'hui? Est-ce lors de notre dernière réunion, quand, au sortir de table, vous alliez dormir? Ne préférez-vous pas, maintenant que vous avez dîné, vous trouver ici, pour nous entendre vous expliquer les lois du Seigneur? Est-ce quand vous vous teniez sur la place publique, occupés à de futiles conversations? N'aimez-vous pas mieux être ici, avec vos frères, afin de prêter l'oreille aux paroles des prophètes? Ce qui est honteux, mes chers auditeurs, ce n'est pas de manger, c'est de rester chez soi après avoir mangé, et de se priver ainsi de ces pieuses solennités. Si vous restez chez vous, vous n'en deviendrez que plus paresseux et plus lâches; au contraire, en vous rendant parmi nous, vous secouerez le sommeil et la torpeur, et vous serez plus résignés, plus courageux dans les revers. Mais pourquoi tant de paroles? si vous vous tenez à côté de celui qui jeûne, ne sentez-vous point comme une suave odeur répandue autour de lui? L'homme qui jeûne, n'est-ce pas comme un parfum spirituel? et ses peux, sa langue, tout en lui n'exhale-t-il pas la sainteté de sa vie? Je ne prétends point blâmer les autres; je veux seulement faire voir les avantages qu'offre le jeûne; et le jeûne dont je veux parler, ce n'est pas seulement la privation de nourriture, mais bien plutôt la fuite du péché. Car celui qui a pris de la nourriture, et qui apporte ici de saintes dispositions ne mérite guère moins d'estime que s'il jeûnait; au contraire, à quoi sert-il de jeûner, si l'on ne s'empresse de prêter à nos discours une oreille attentive. Mangez, et venez ensuite, pleins de zèle et d'ardeur; (38) ne vaudrez-vous pas mieux, je vous le demande, que celui qui jeûne et reste chez lui? Il nous sera, sans aucun doute, moins avantageux de jeûner que de participer à cette doctrine spirituelle. Où entendrez-vous ailleurs les sages pensées que l'on vous expose en ce lieu? Allez au tribunal, on p conteste, on y dispute sans cesse; allez au sénat, on y traite d'affaires politiques; chez vous, c'est le souci de vos affaires privées qui vous accable; aux rendez-vous de la place publique, il n'est question que de choses terrestres et périssables; on s'y entretient d'objets à vendre, de tributs, de tables bien servies, de marchés, de contrats de toute sorte, de testaments, d'héritages, et de mille autres choses de ce genre. Allez au palais lui-même; là encore n'entendrez-vous point parler d'argent, de puissance, de cette gloire que l'on y prise si fort? Mais il ne s'y dit rien qui touche aux intérêts spirituels. Ici, au contraire, de quoi nous entretenons-nous? N'est-ce point de notre âme, de notre vie, de notre destinée? Ne nous demandons-nous pas pourquoi nous séjournons si longtemps ici-bas, quel sera notre partage au sortir de cette vie, quel sort nous est réservé, pourquoi notre corps est pétri de boue, quelle est la nature de la mort; ne considérons-nous pas ce qu'est la vie présente et ce que sera la vie future? Rien de terrestre dans tous ces sujets; rien qui ne se rapporte aux choses spirituelles. Que de secours pour opérer notre salut! et quelle espérance remplit nos âmes quand nous retournons dans nos demeures!

71022. Ce n'est donc pas en vain que j'ai répandu la bonne semence dans vos coeurs. Vous avez répondu à mon appel. Tous ceux qui s'étaient absentés, vous avez réussi à les ramener dans nos réunions. Nous voulons donc vous en témoigner notre reconnaissance, et après vous avoir remis en mémoire ce que nous disions l'autre jour, achever de vous payer notre dette. Que disions-nous donc? Nous nous demandions comment, avant de nous avoir donné les Ecritures, la Providence avait pourvu à notre instruction; et nous disions qu'elle nous avait instruits par la création, qu'elle avait étendu le ciel au-dessus de nos têtes, comme un livre immense où peuvent lire les ignorants et les savants, les pauvres et les riches, les Scythes et les Barbares; en un mot, tous les hommes qui habitent la terre: livre bien plus vaste que la multitude de ceux qu'il instruit. Nous avons traité longuement de la nuit et du jour, de leur succession, de cet accord si beau qui règne entre eux; et ensuite du nombre des saisons et de leur égale durée. De même que dans toute l'année le jour n'a pas une seule demi-heure de plus que la nuit, de même aussi les saisons se la distribuent avec là plus parfaite égalité. Je vous le disais encore, ce n'est pas seulement la grandeur et la beauté de la création qui nous révèlent un si puissant créateur, mais aussi la manière dont le Seigneur en a cimenté entre elles les diverses parties, au moyen de ces lois si contraires aux lois ordinaires de la nature. C'est une loi de la nature que l'eau soit soutenue par la terre; et dans la création, c'est la terre qui est soutenue sur les eaux. C'est encore une loi de la nature que le feu prenne en haut son essor; dans la création nous voyons tout le contraire, puisque les rayons du soleil se dirigent vers la terre. Au-dessus du firmament se trouvent des eaux qui ne s'écoulent point: elles n'éteignent point le soleil qui fournit sa course au-dessous d'elles, et le soleil à son tour ne les dissipe point. Nous ajoutions encore: Les quatre éléments dont se compose l'univers sont en lutte les uns contre les autres; ils devraient, d'après leur nature, se détruire réciproquement, et toutefois ils continuent à coexister. Il est donc bien manifeste qu'une invisible puissance les tient enchaînés, et cette puissance, c'est la volonté du Seigneur. Je veux insister aujourd'hui sur ce sujet; prêtez-moi donc toute votre attention. Ce qui se passe dans notre corps peut servir à vous rendre plus sensibles les merveilles de la création. Le corps humain, qui a si peu d'étendue, qui est si petit, se compose néanmoins des quatre éléments, du chaud, du sec, de l'humide et du froid: c'est-à-dire, de sang, de bile jaune, d'humeur, de bile noire. Et que personne ne nous reproche de nous jeter sur un terrain qui n'est pas le nôtre. L'homme spirituel, en effet, dit saint Paul, porte son jugement sur toutes choses, et il n'est jugé par personne. (1Co 2,15) Est-ce que saint Paul ne touche pas à une question d'agriculture, en nous parlant de la résurrection: Insensé, dit-il, la semence que tu jettes en terre n'est vivifiée qu'après avoir passé par la mort! (1Co 15,36) Si donc saint Paul a pu s'occuper d'agriculture, qui pourrait nous blâmer de vouloir effleurer certaines questions de médecine? Nous devons vous entretenir de l'oeuvre (39) de Dieu dans la création de l'univers, et pour cela il nous faut recourir aux données de cette science. Comme je vous le disais donc, notre corps est composé de quatre éléments, et si l'un d'eux vient à troubler cette union, cela suffit pour causer la mort. Ainsi, une surabondance de bile donne la fièvre, et si l'excès est par trop considérable, la mort ne tarde pas à s'en suivre. Que le froid vienne à prédominer, on voit se produire la paralysie, les tremblements, les apoplexies et bien d'autres maladies encore. En un mot la surabondance de l'un ou de l'autre de ces éléments amène toute sorte d'infirmités; c'est assez pour cela que l'un d'eux sorte de ses limites, se révolte pour ainsi dire contre les autres, et rompe l'harmonie de l'ensemble. Oserait-on maintenant prétendre que cet univers est l'oeuvre du hasard et continue à subsister par lui-même? Notre corps si étroit pourtant, si petit, a les remèdes et la médecine à sa disposition: une âme y réside et le dirige, la philosophie lui vient en aide, il a mille autres ressources, et cependant il ne peut rester toujours dans le même état; mais il meurt, il se corrompt à la suite des secousses qu'il a ressenties au dedans de lui-même, et le monde, si vaste, qui renferme des corps si vastes aussi, composé des mêmes éléments que nos corps, aurait pu demeurer si longtemps inaltérable sans qu'une Providence veillât sur lui!

Qu'y aurait-il de plus contradictoire? Notre corps, soutenu par une Providence qui le protège à l'intérieur et à l'extérieur, peut à peine suffire à sa conservation; et le monde, sans le secours d'une Providence, n'aurait, depuis tant d'années, rien éprouvé de ce qu'éprouvent nos corps! Comment se fait-il, je vous le demande, qu'aucun de ces éléments n'ait franchi ses limites et n'ait absorbé les autres? Qui est-ce qui les a réunis dès le principe? Qui est-ce qui les a enchaînés? Qui leur a mis un frein? Qui les a si longtemps contenus? Si le monde eût été simple et uniforme, rien de tout cela n'eût été impossible. Mais il y a entre ces éléments une telle opposition, qu'il faudrait être bien insensé pour croire qu'ils se soient rassemblés d'eux-mêmes, et qu'ils demeurent unis sans l'action d'une Providence. Ce n'est pas la nature, c'est la volonté qui nous sépare les uns des autres; cependant, nous rapprochons-nous tant que persistent le ressentiment et la haine? Ne faut-il pas qu'on nous réconcilie, qu'on affermisse cette réconciliation, qu'on nous persuade de demeurer en paix, de ne plus nous diviser? Comment donc ces éléments, qui n'ont en partage ni la raison ni le sentiment, qui par nature sont ennemis l'un de l'autre, se seraient-ils rassemblés et auraient-ils pu demeurer unis, sans l'opération de cette ineffable puissance, qui les a joints ensemble et les tient sans cesse enchaînés?

71033. Ne voyez-vous pas comment le corps se dissout, se corrompt, périt en un mot, dès que l'âme s'est éloignée de lui? comment chacun des éléments qui le constituent se sépare des autres? Et n'est-ce pas ce qui se produirait dans l'univers, si la Providence qui le gouverne cessait de faire sentir sa puissance? Un navire sans pilote ne pourrait continuer sa course, il serait bientôt submergé: comment donc l'univers pourrait-il subsister, sans une Providence qui le dirigé? C'est une comparaison que je ne veux point développer. Supposez seulement que le monde soit un navire, ayant pour carène la terre que nous habitons, pour voiles le ciel, pour matelots les hommes, et que l'abîme lui-même soit l'océan: comment se fait-il que depuis si longtemps le monde n'ait point fait naufrage? Laissez un navire une seule journée sans pilote et sans matelots, ne sera-t-il pas aussitôt submergé? Or, il y a plus de cinq mille ans que le monde existe, et l'abîme ne l'a pas englouti. Un navire! que dis-je? Mais construisez une cabane au milieu des vignes; et une fois la récolte achevée, laissez-la déserte deux ou trois jours seulement, elle se détériore peu à peu et finit par tomber. Ainsi donc une cabane, pour subsister, a besoin qu'on la soutienne; et cet univers si vaste, si beau, si admirable, ces lois du jour et de la nuit, ce choeur des saisons qui se succèdent avec tant de régularité, cette variété si, prodigieuse qu'offre la nature dans la terre, dans les eaux de l'océan, dans l'atmosphère, dans le ciel, dans les plantes, dans les oiseaux, dans les poissons, dans les quadrupèdes, dans les reptiles, dans les hommes qui sont les rois de la création, tout cela eût pu se soutenir sans le secours d'une Providence! Représentez-vous ensuite les prés, les jardins, ces fleurs innombrables, ces plantes si utiles, au parfum si suave, aux formes si variées, qui naissent dans des climats si différents, qui portent tant de noms divers; représentez-vous encore les arbres fruitiers, et ceux qui ne donnent point de fruit, les métaux, (40) les animaux qui vivent sur la terre, ceux qui vivent dans la mer, les poissons, les oiseaux, les montagnes, les forêts et les bois; quelle magnifique prairie ici-bas! quelle magnifique prairie dans les cieux! Oui, la terre est comme une prairie aux aspects. les plus variés, et le ciel lui-même, tout parsemé d'étoiles, ne ressemble-t-il pas à une prairie tout émaillée de fleurs? La terre produit les roses, au ciel se peint l'iris aux mille nuances. Et l'oiseau n'est-il pas fleuri comme une prairie? Voyez en effet le paon et son riche plumage, voyez ces oiseaux dont la pourpre étincelante éclipserait les teintures les plus belles! Songez à la beauté des cieux, que les siècles n'ont pu ternir, que l'on dirait créée d'aujourd'hui, tant elle conserve d'éclat et de splendeur! Et le sein de la terre qui ne cesse d'enfanter depuis si longtemps, a-t-il rien perdu de sa fécondité? Et ces fontaines qui jaillissent du sol, qui coulent jour et nuit, les a-t-on vues se tarir depuis qu'elles existent? La mer, qui reçoit un si grand nombre de fleuves, a-t-elle jamais franchi ses bornes? Mais pourquoi passer en revue tant de merveilles incompréhensibles? Il nous suffit d'en contempler une seule, pour nous écrier: Que vos oeuvres sont magnifiques, ô Seigneur, Vous avez créé toute chose avec une admirable sagesse. Mais que disent les infidèles quand nous leur rappelons cette magnificence de l'univers, sa beauté, ses richesses, sa fécondité? Et voilà précisément, disent-ils, ce que nous reprochons à Dieu. Nous le blâmons d'avoir fait cet univers si grand et si beau. S'il lui eût donné moins de grandeur et de beauté, nous n'aurions pas songé à en faire notre Dieu. Ce qui nous a trompés, c'est cette magnificence qui nous jetait dans l'étonnement, c'est cette beauté qui nous ravissait d'admiration. Vaine réplique. Non, ce n'est pas la grandeur et l'ornement du monde qui a été cause de leur impiété, maïs bien leur ignorance et leur déraison. Ce qui le prouve, c'est que nous n'avons point commis la même erreur.

Pourquoi donc ne lui avons-nous pas, nous aussi, décerné les honneurs divins? Ne le contemplons-nous pas aussi bien que les infidèles? Nous procure-t-il de moindres avantages? Avons-nous une âme, un corps différents des leurs? Ne foulons-nous point la même terre? Pourquoi donc, à l'aspect de tant de grandeur et de beauté, avons-nous éprouvé d'autres sentiments? Mais voici ce qui achève de les confondre. Oui, c'est leur folie et non point la beauté de l'univers qui les a rendus impies; autrement qu'ils me disent pourquoi ils ont adoré le singe, le crocodile, le chien, en un mot, ce qu'il y a de plus vil parmi les animaux. En vérité ils se sont égarés dans leurs pensées; leurs coeurs ont été plongés dans les ténèbres de la folie; tout en proclamant bien haut leur sagesse, ils sont devenus insensés. (
Rm 1,21 Rm 1,22) Toutefois nous ne nous contenterons point de cette réponse; il nous faut entrer dans de plus grands développements.

71044. Dieu prévoyait tous ces vains prétextes, et dans sa sagesse il a trouvé moyen de les écarter. En même temps qu'il faisait le monde si magnifique et si admirable, il le faisait aussi périssable et corruptible. Il y imprima de nombreuses marques de faiblesse; et ce double caractère, nous le retrouvons dans le monde aussi visible que dans, les apôtres. Or, que voyons-nous dans les apôtres? Ils font beaucoup de prodiges, opèrent d'éclatantes merveilles, de nombreux miracles; et Dieu cependant permet qu'on les flagelle, qu'on les chasse, qu'on les jette en prison; il permet qu'ils tombent malades, qu'ils vivent sans cesse dans la tribulation, pour que les hommes, témoins de leurs miracles, ne songent pas à les prendre pour des dieux. Aussi, tout en leur accordant de si grandes faveurs, il les laisse sujets à la mort, sujets même à de fréquentes maladies, il ne les délivre pas de leurs infirmités, pour qu'on ne se méprenne point sur leur nature. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est l'apôtre saint Paul dans ce passage: Si je voulais me glorifier, j'en aurais le droit; je ne le ferai cependant point, de peur que l'on ne m'estime au-dessus de ce que l'on voit en moi, ou de ce que l'on entend dire de moi. Et encore: Ce trésor, nous le portons dans des vases bien fragiles (2Co 12,6 2Co 4,7); c'est-à-dire dans un corps mortel et corruptible. Pour fabriquer un vase, on emploie la terre et le feu. ne peut-on point comparer à des vases les corps de ces saints personnages? Ils sont de terre aussi, et le feu divin leur a fait sentir sa puissante efficacité. Et pourquoi donc le Seigneur a-t-il déposé un pareil trésor, de si abondantes faveurs dans un corps sujet à la corruption? C'est, continue l'Apôtre, afin de bien montrer que cette vertu surabondante vient de Dieu et non point de nous-mêmes (Ibid). Quand vous voyez les apôtres ressusciter les morts, et cependant demeurer infirmes et incapables de se guérir, vous êtes sûrs qu'ils (41) n'ont point opéré ce miracle en vertu de leur propre puissance, mais par la puissance de l'Esprit-Saint. Que les envoyés de Dieu soient souvent malades, n'est-ce pas ce que vous dit l'Apôtre dans ce conseil à Timothée: Buvez un peu de vin, lui dit-il, à cause de votre estomac et de vos fréquentes indispositions. (1Tm 5,23) Ne dit-il pas encore: Quant à Trophime, je l'ai laissé malade à Milet? (2Tm 4,20) Et dans son épître aux Philippiens: Epaphrodite a été malade presque au point d'en mourir. (Ph 2,27) Malgré tout cela ne les prenait-on peint pour des dieux, ne voulait-on pas leur offrir des sacrifices, ne disait-on pas: Des dieux cachés sous une forme humaine sont descendus jusqu'à nous? (Ac 14,10) S'ils n'eussent point été sujets aux maladies, à quelles impiétés n'en serait-on point ventru, à la vue de leurs miracles? Ici donc pour ne pas exposer les hommes à les prendre pour des dieux à raison des prodiges qu'ils opéraient, le Seigneur a permis que leur corps ne fût pas exempt d'infirmités, et que souvent ils fussent en proie aux tentations c'est ce qu'il a fait aussi en créant le monde: il lui a donné de la beauté et de la grandeur, mais en même temps il l'a fait périssable. Les Ecritures nous parlent de ce double dessein du Tout-Puissant. Ici elles nous redisent la beauté des cieux: Les cieux racontent la gloire de Dieu, s'écrie le Psalmiste (Ps 18,11); et ailleurs: Il a élevé le ciel comme une voûte, et il l'a étendu comme un pavillon au-dessus de la terre. (Is 40,20) Et encore: Celui qui soutient la voûte des cieux. (Si 11,43) D'autre part elles nous le montrent périssable, malgré tant de grandeur et de beauté; dans ce passage, par exemple: Au commencement Seigneur, vous avez établi la terre sur ses fondements, et les cieux sont l'oeuvre de vos mains. Ils périront, et vous demeurerez, et ils vieilliront, comme un vêtement; et vous les changerez comme on change un manteau, et ils seront changés. (Ps 18,6) Et David ne dit-il pas ailleurs au sujet du soleil: Il s'avance comme un époux qui sort de la chambre nuptiale: pour fournir sa course il bondira comme un géant. Ne vous met-il pas sous les yeux la grandeur et la beauté de cet astre? C'est un époux qui sort de la chambre nuptiale. Aussitôt après l'aurore, il lance de tous côtés ses rayons, il orne le ciel comme d'un voile de safran, il donne aux nuages la couleur des roses, tout le jour il poursuit sa course sans trouver d'obstacles qui viennent l'interrompre. Vous avez vu sa beauté, vous avez vu sa grandeur. Voici maintenant que l'Ecriture vous parle de sa faiblesse. Qu'y a-t-il de plus brillant que le soleil, disait un écrivain sacré? et cependant il s'éclipse. Ce ne sont pas seulement les éclipses qui attestent son imperfection, mais encore les nuages qui passent au-dessous de lui. En vain lance-t-il ses rayons, en vain s'efforce-t-il de rompre les nuages, il reste impuissant contre une nuée trop dense et qui refuse de céder. C'est lui, dites-vous, qui fait croître les semences; oui, mais ce n'est pas lui tout seul; il lui faut le concours de la terre et de la rosée, de la pluie et du vent, et aussi des différentes saisons de l'année. Sans ces auxiliaires le soleil ne sert de rien aux plantes.

Or Dieu peut-il avoir besoin d'autrui pour faire ce qu'il veut? Le propre de la nature divine, n'est-ce pas de n'avoir besoin de quoi que ce soit? Ce n'est pas de la sorte que Dieu fit germer les semences: il n'eut qu'à ordonner, et toutes aussitôt sortirent de terre. Et pour vous apprendre que ce ne sont pas les éléments, mais son commandement qui fait tout et qui tire du néant les éléments eux-mêmes, il envoie la manne aux Hébreux sans le concours d'aucun élément: Il leur donna le pain du ciel, dit le Psalmiste. (Ps 77,24) Le soleil a besoin de la nature entière pour faire croître les, plantes et les fortifier; que dis-je? n'est-il pas lui-même composé de beaucoup d'éléments, et peut-il se suffire à lui-même? Pour se mouvoir, il lui faut les cieux, qui sont, pour ainsi parler, le sol où il s'appuie; pour briller, il lui faut un air pur et transparent. Que l'air devienne trop dense, il ne peut montrer son éclat; pour qu'on puisse supporter sa chaleur, pour qu'il ne brûle pas notre terre, il faut de la fraîcheur et de la rosée. Voilà donc un astre dont les éléments triomphent, un astre dont ils tempèrent la violence. Un nuage, un mur, un autre corps nous en dérobe la lumière; la rosée, les fontaines, la fraîcheur de l'air en corrigent les ardeurs; et cet astre serait Dieu? Il est de l'essence de Dieu de n'avoir aucune imperfection, de n'avoir besoin de rien, d'être pour toutes les créatures l'auteur de tous les biens, de n'être gêné dans son action par quoi que ce soit. N'est-ce pas l'idée que nous en donnent tour à tour saint Paul et le prophète Isaïe? Voici le langage que ce (42) dernier prête au Seigneur: Je remplis le ciel et la terre, dit le Seigneur (Jr 33,24); et encore: Je suis le Dieu toujours proche de sa créature et jamais éloigné d'elle. (Jr 23) Ecoutez aussi David: J'ai dit au Seigneur: Vous êtes mon Dieu, car vous n'avez pas besoin de mes biens (Ps 15,2) Saint Paul voulant nous montrer ce même Dieu comme ne manquant de rien et nous faire comprendre qu'il est de son essence de ne manquer de rien et de dispenser tout à tous, nous dit: C'est Dieu qui a fait le ciel et la terre; il n'a besoin de quoi que ce soit, il donne à tous la vie, la respiration et toutes choses. (Ac 17,24 Ac 17,25)

71055. Nous aurions pu passer en revue les autres éléments, le ciel, l'air, la terre, la mer, en faire ressortir les imperfections, faire voir comment chacune de ces créatures ne peut se passer d'une autre, sous peine de périr et de se corrompre. La terre, en effet, sans les fontaines, sans cette humidité que la mer et les fleuves y répandent, ne serait-elle pas bien vite consumée? L'air n'a-t-il pas besoin du soleil comme le soleil a besoin de l'air? Mais ne prolongeons pas trop cet entretien. Nous en avons dit assez pour mettre sur la voie ceux qui voudront continuer cette étude. Si la plus belle de toutes les créatures, le soleil, vous apparaît cependant si imparfaite et si défectueuse, que sera-ce des autres parties de l'univers? Cette conclusion, je laisse aux hommes studieux le soin de la développer; et maintenant, avec le secours des Ecritures, je vais vous démontrer que ce n'est pas seulement le soleil, mais le monde tout entier qui est périssable. Les éléments se détruisent réciproquement; une trop grande fraîcheur tempère l'ardeur du soleil, et une chaleur trop forte dissipe à son tour cette humidité; en un mot, les éléments, par une influence réciproque, se donnent ou reçoivent des qualités et une manière d'être différentes. Tout cela ne nous prouve-t-il pas qu'ils sont périssables et que toutes les choses visibles sont matérielles? Mais tout cela est trop au-dessus de nos forces il vaut mieux vous conduire à la source si délicieuse des saintes Ecritures, afin de reposer un peu vos esprits.

Là il ne s'agit plus simplement du ciel et de la terre; l'Apôtre va vous révéler, vous montrer jusqu'à l'évidence que toute la création est asservie à la corruption, pourquoi elle y est asservie, quand est-ce qu'elle sera transformée, et quelle sera ensuite sa condition. Il commence par dire que les souffrances du temps présent ne sont point en rapport avec la gloire future qui nous sera un jour manifestée; et ensuite il ajoute: La création tout entière attend la manifestation des enfants de Dieu; car elle est assujettie à la vanité, non de plein gré, mais à causé de celui qui l'a constituée dans cet état en lui laissant l'espérance. (
Rm 8,18-20) Quand il nous dit: La création est assujettie à la vanité, n'est-ce pas pour nous faire entendre qu'elle est périssable? C'est Dieu qui l'a voulu, et il l'a voulu à cause de nous. Elle devait alimenter l'homme sujet à la mort. Ne devait-elle point périr elle-même? Il était juste que des corps périssables vécussent au sein d'un monde périssable. Mais, dit l'Apôtre, elle ne restera pas éternellement dans le même état: Elle sera elle-même un jour tirée de cet esclavage de la corruption. Et voulant nous indiquer ensuite le temps et le but de cette transformation, il ajoute: Ce sera pour la liberté et la gloire des enfants de Dieu. (Rm 8,21) Quand nous serons ressuscités, dit-il, et que nous aurons revêtu des corps incorruptibles, alors le ciel et la terre, le monde tout entier sera lui-même incorruptible et immortel.-Si donc vous voyez le soleil se lever, admirez la puissance du Créateur; si vous le voyez se cacher et disparaître, reconnaissez l'imperfection de sa nature et gardez-vous de l'adorer comme Dieu. Et ce n'est pas seulement par la nature des éléments que le Seigneur a voulu vous en montrer, la faiblesse. N'a-t-il pas donné à certains hommes, ses serviteurs, la puissance de leur commander, en sorte que si l'aspect des éléments ne vous convainc point de leur servitude, vous appreniez par leur soumission aux ordres de l'homme, qu'ils sont, comme vous, de simples créatures? C'est pourquoi Josué, fils de Nun, dicta cet ordre au soleil: Que le soleil s'arrête en face de Gabaon, et la lune en face de la vallée d'Elon. (Jos 10,12) Et le prophète Isaïe ne fit-il pas rétrograder le soleil, sous le règne d'Ezéchias? (Is 38,8) Moïse ne commanda-t-il pas à l'air, à la mer, à la terre, aux rochers? Elisée ne changea-t-il pas la nature des eaux? les trois enfants ne triomphèrent-ils pas des flammes de la fournaise? Voyez quel soin la Providence a pris de nos intérêts! Par la beauté des éléments elle nous révèle sa divine puissance, par leur imperfection elle nous tient en garde contre (43) l'impiété et nous empêche de leur rendre nos hommages.

71066. Empressons-nous de rendre gloire à ce Dieu qui veille ainsi sur nous; mais ne nous bornons pas à des hymnes de louange, glorifions-le par nos oeuvres, par la,sainteté de notre vie, et surtout abstenons-nous de jurer. Toutes les fautes, en effet, ne sont point punies de la même manière; Dieu punit plus sévèrement celles qu'il est aisé d'éviter. C'est ce que voulait faire entendre Salomon, quand il disait: Il n'y a rien d'étonnant que l'on surprenne un homme à s'emparer du bien d'autrui; il vole pour apaiser la faim qui le dévore; mais l'adultère, c'est le manque de raison qui le conduit à la perte de son âme. (Pr 6,30-32) Et voici ce qu'il veut dire; sans doute le vol est une faute grave, mais cependant moins grave que l'adultère. Si le motif qui fait agir le voleur ne peut l'excuser, du moins la pauvreté est une circonstance qui atténue sa faute; mais l'adultère, nulle nécessité ne peut le contraindre; c'est un insensé qui se précipite dans le gouffre du péché. N'est-ce pas aussi ce que l'on peut dire au sujet de ceux qui jurent? Ils ne peuvent mettre en avant le moindre prétexte, il y â chez eux mépris formel de la loi de Dieu. Je sais bien que je vous fatigue, que je vous ennuie en revenant sans cesse à ces conseils; toutefois, je ne cesserai de vous les adresser, afin que, redoutant mon impudence, vous renonciez enfin à cette funeste habitude. Si ce juge impitoyable et cruel se laissa fléchir par crainte des importunités d'une veuve (Lc 18,2), ne changerez-vous pas aussi de conduite, surtout quand je vous en conjure, non dans mon intérêt, mais au nom de votre propre salut. Que dis-je? mon salut n'y est-il pas intéressé? N'est-ce pas votre bonne conduite qui constitue mes propres mérites? Si je travaille, si je me fatigue en vue de votre salut, ne dois-je pas souhaiter que vous preniez soin vous-mêmes de vos âmes; s'il en était ainsi, vous finiriez par vous corriger entièrement. Qu'est-il besoin de vous tenir un long discours? Si les violateurs de la loi n'avaient ni enfer ni aucun supplice à redouter, si vous n'aviez aucune récompense à attendre pour l'avoir observée, et que je vous eusse demandé cet amendement dans votre conduite comme une pure faveur, est-ce que vous n'auriez pas dû vous mettre à l'oeuvre? Cette grâce,. si légère, n'auriez-vous pas dû l'accorder à mes instances? Or c'est Dieu qui vous la demande, et cela dans votre intérêt, non dans le sien. Qui donc serait:assez ingrat, assez misérable, assez insensé pour refuser à Dieu ce bienfait, quand surtout l'auteur du bienfait doit en retirer tout l'avantage? Réfléchissez donc à tout cela; rentrés chez vous,, répétez tout ce que vous venez d'entendre; ceux que vous verrez n'être pas fidèles à observer ce précepte, reprenez-les de toute manière, et alors vous serez récompensés pour vos mérites et pour ceux d'autrui, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire soit au Père et au Saint-Esprit maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




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Chrysostome Homélies 7900