Chrysostome Homélies 28000

HOMÉLIE SUR LES MARTYRS ÉGYPTIENS.




AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

Nous n'avons aucun renseignement qui puisse nous apprendre d'une manière certaine si cette homélie fut prononcée à Antioche ou à Constantinople. Tillemont pense que ce fut dans cette dernière ville, et voici sur quoi il se fonde: l'occasion de ce discours fut une translation de reliques que l'on avait amenées d'Egypte dans la ville où il fut prononcé: or, on en transportait beaucoup plus souvent à Constantinople qu'à Antioche. Du reste, il n'y a pas d'autre preuve; c'est aux érudits à juger de la valeur de cette conjecture.


1. Saint Chrysostome loue les Egyptiens de répandre en tous pays les reliques de leurs saints; elles sont pour les villes une protection puissante. - 2. Tourmenter les martyrs, c'est s'attaquer à Dieu même. - Les chrétiens condamnés aux mines. - Nous devons préférer la vie pénible et dure à une existence molle et passée dans les plaisirs.


280011. Dieu soit béni de ce qu'il nous vient des martyrs de l'Egypte même, de cette terre de révolte contre Dieu, de ce pays d'insigne folie, de ce foyer du langage de l'athéisme et des paroles blasphématoires; béni soit Dieu de ce qu'il se trouve des martyrs non-seulement en Egypte, mais encore dans le voisinage, dans les contrées environnantes et même par toute la terre. Lorsqu'il arrive une année où les denrées sont abondantes, les habitants du pays voyant que le rapport est plus que suffisant aux besoins de la population, envoient une partie de la récolte aux contrées étrangères, tant pour leur prouver leur bon vouloir que pour acheter d'elles avec facilité, en échange des biens dont ils regorgent, ceux dont ils ont besoin à leur tour. C'est ce qu'ont fait les Egyptiens pour les champions de la foi. Voyant que la grâce de Dieu en avait produit chez eux un grand nombre, ils n'ont pas voulu restreindre à leur pays cet insigne présent de Dieu; ils ont envoyé ces trésors par toute la terre, afin de prouver leur charité pour leurs frères, de rendre gloire à notre Maître à tous, et en même temps pour faire honneur auprès de toutes les nations à leur propre pays, et montrer qu'il est la métropole de la terre entière. Ainsi des motifs frivoles et mesquins, des bienfaits qui ne profitent qu'à notre vie actuelle ont été assez puissants pour attirer cet honneur à plusieurs cités; or, voici une contrée qui nous envoie dans sa munificence, non pas un de ces dons fragiles et périssables, mais des héros qui ont valu, même après leur mort, une puissante protection aux villes qui ont eu le bonheur de les posséder: je vous le demande, n'est-il pas juste qu'un tel pays, bien plus que tout autre, recueille d'un tel bienfait ce titre de prééminence? En effet, les corps de ces martyrs sont pour notre ville un rempart plus assuré que les murailles les plus solides, les plus indestructibles; tels que des roches élevées qui s'avancent de tous côtés, ils repoussent non-seulement les attaques de ces ennemis sensibles et visibles, mais encore les embûches des esprits invisibles, ils renversent et détruisent toutes les combinaisons de Satan, avec autant de facilité qu'un homme vigoureux renverserait et bouleverserait des jeux d'enfants. Les différentes inventions humaines, telles que les murailles, les fossés, les armes, la multitude des soldats, tous les moyens enfin qu'on a pu imaginer pour la sécurité des habitants, un ennemi peut en venir à bout avec des ressources (429) de même nature, mais plus nombreuses et plus puissantes encore; lorsqu'au contraire, une ville est défendue par les corps des saints, ses ennemis auront beau dépenser des sommes immenses, ils ne pourront jamais opposer à cette place des moyens d'attaque proportionnés. Mais ce n'est pas seulement contre les piéges des hommes et les artifices des démons que ce trésor nous est utile, mes chers auditeurs; notre commun Maître fût-il irrité contre nous à cause du nombre de nos péchés, nous pourrions encore, en lui présentant ces corps sacrés, obtenir pour notre cité une prompte miséricorde. Même du temps de nos ancêtres, les personnages qui avaient accompli de grandes choses se servaient ainsi des noms des saints; en ayant recours à l'invocation d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, ils obtenaient des consolations et recueillaient un grand fruit de la mémoire qu'ils faisaient de leurs noms; et nous, qui avons à présenter à Dieu, non pas de simples appellations, mais les corps même qui ont combattu, combien ne pourrons-nous pas davantage obtenir sa miséricorde, nous le rendre indulgent et favorable! Ce que je vous dis là n'est point une vaine exagération, plusieurs le savent tant parmi les gens d'ici que parmi ceux qui sont venus d'autre part, ils savent quelle est la puissance de ces saints et ils rendent témoignage à mes paroles, ayant appris par expérience de quel crédit ces martyrs jouissent auprès de Dieu, et cela est tout naturel. En effet, ce n'est pas avec indifférence qu'ils ont lutté pour la cause de la vérité; ils ont résisté contre la violence impétueuse et insupportable du démon avec autant de patience et d'énergie que s'ils eussent été dans des corps de pierre ou de fer, et non dans une enveloppe périssable et mortelle; ils ont combattu comme s'ils eussent déjà passé à l'état impassible et immortel que ne sauraient abattre les dures et douloureuses nécessités de la matière. Des bourreaux, pareils à une troupe de bêtes sauvages, cruelles et féroces, environnaient leur corps de toutes parts, occupés à déchirer leurs flancs, à lacérer leurs chairs, à dépouiller, à mettre à nu leurs os, sans que rien pût les arrêter dans leur fureur inhumaine et sanguinaire. Tourmentant avec acharnement leur dos et leurs entrailles et pénétrant jusqu'au plus profond de leur organisation, ils ne pouvaient parvenir à trouver, pour l'en arracher, le trésor de la foi renfermé en eux. Vous eussiez dit le siège d'une ville très-opulente, regorgeant de richesses, renfermant d'immenses trésors, et une soldatesque qui, après s'être emparée des murs, serait arrivée auprès de la précieuse cachette, et là enlevant les portes, arrachant les verroux, creusant le sol et fouillant partout, n'aurait pu trouver enfin les trésors, pour s'en aller chargée de ce butin. Tels sont, en effet, les biens de l'âme: les souffrances physiques ne nous les font pas livrer si notre âme les garde avec fermeté; quand même on enfoncerait notre poitrine, qu'on y saisirait le coeur et qu'on le déchirerait en mille pièces, du moment que la foi a confié à notre âme ce trésor, notre âme ne le lâchera point. Or, ceci est l'oeuvre de la grâce de Dieu qui gouverne toutes choses et qui a le pouvoir d'opérer des choses extraordinaires dans des corps débiles. Et ce qui est le plus étonnant, c'est qu'avec toute leur rage, non-seulement ils n'ont pu rien soustraire de ces trésors si bien renfermés, mais qu'ils les ont fait garder avec plus de sûreté encore, et qu'ils ont même ajouté à leur éclat et à leur abondance. Car ce n'était plus seulement leur âme, mais leur corps lui-même qui avait reçu un accroissement de grâce, et ce corps, loin de perdre par ce morcellement et ces déchirements multipliés la force qu'il avait déjà, acquérait au contraire une plus grande et plus puissante énergie. Quoi de plus admirable qu'une pareille victoire? ces captifs complètement réduits que l'on garrottait, et que l'on torturait ensuite arbitrairement, on ne put parvenir à les vaincre, au contraire, ce furent leurs persécuteurs qui éprouvèrent un pitoyable, un misérable échec. C'est qu'ils ne faisaient pas la guerre à leurs victimes, mais à Dieu qui habitait en elles; or, lorsqu'on s'attaque à Dieu, il est de toute nécessité que l'on soit vaincu, et d'une manière notable; on est puni rien que pour sa tentative: ce sont là, je crois, des vérités claires pour tout le monde.

280022. Telles sont donc les victoires des saints. Or, si les luttes et les combats sont si admirables et si surprenants, que dirons-nous des récompenses et des couronnes qui leur sont réservées pour leur patience. Car ils n'en furent pas quittes pour ces épreuves, et là ne s'arrêta pas leur course; ils avaient encore à s'avancer plus loin dans la carrière: l'esprit du mat espérait, en ajoutant de nouveaux supplices aux premiers, faire tomber les athlètes, et (430) Dieu, dans sa miséricorde, le permit ainsi au lieu de s'y opposer, car c'était rendre plus évidente à tous les yeux la fureur des infidèles et faire tresser pour les martyrs des couronnes plus nombreuses et plus brillantes. On vit se renouveler l'exemple de Job et du démon: celui-ci demandait à Dieu contre Job un surcroît de tourments, espérant qu'en ajoutant à ses malheurs il viendrait à bout de ce valeureux champion de la foi; et Dieu y consentait; il acquiesçait aux malicieuses demandes de l'esprit malin, rendant ainsi plus illustre son propre athlète. C'est ce qui eut lieu pour nos martyrs. Quand le tyran, avec plus de cruauté que les bêtes les plus féroces, eut lacéré leur corps de toutes parts, et ensanglanté sa langue et sa bouche, sinon du sang même des martyrs, du moins de ces sentences barbares et inhumaines, vaincu enfin par la fermeté des victimes, et suffisamment gorgé de cet atroce festin, il se retira pris de satiété. Voyez en effet combien fut grande la patience des saints, pour avoir pu, avec leurs souffrances, rassasier une pareille rage. Mais il revint à la charge avec fureur, jaloux de surpasser les bêtes sauvages par d'autres espèces de cruautés. Car les bêtes ne vont à leurs sanglants repas que poussées par la nécessité de leur nature, et quand elles sont rassasiées, elles s'éloignent; verraient-elles alors des milliers de cadavres, elles ne toucheraient à aucun. Mais ce monstre ne vint assouvir sa voracité que par une méchanceté calculée, et une fois repu de leurs chairs, il trama contre eux un autre stratagème, ce fut de les livrer à la mort la plus lente et la plus cruelle, en les condamnant à travailler sans relâche dans les mines. O démence! après une preuve si claire de leur courage et de leur constance, il espéra encore qu'il en viendrait à bout par ce nouveau moyen. Les voilà donc dans la compagnie des bêtes sauvages, ces saints personnages, les compagnons des anges, les citoyens du ciel, inscrits pour l'éternité au nombre des habitants de la Jérusalem d'en-haut. Le désert était devenu désormais plus saint que n'importe quelle cité. Car chaque jour dans les cités on avait l'audace de donner de ces ordres inouïs et tyranniques; tandis que le désert était exempt de ces mesures d'inhumanité. Ce n'étaient dans les tribunaux qu'actes impies et ordres sacrilèges;les déserts, au contraire, n'avaient pour citoyens que les plus fidèles observateurs des lois, des hommes qui étaient devenus des anges; et le désert était devenu le rival du ciel quant à la vertu de ses habitants. Et si par nature le supplice était des plus cruels, il devenait par le zèle des victimes, léger, facile, aisément supportable. Ils croyaient alors voir une multiplication de lumière, et selon l'expression du Prophète: La lune sera comme le soleil et le soleil sera septuple (Is 30,26), ils croyaient que cette lumière était déjà leur partage. Car il n'est rien, non, rien de plus joyeux qu'une âme que Dieu a jugée digne de souffrir pour Jésus-Christ quelqu'une de ces choses qui nous paraissent terribles et intolérables. Ils se figuraient déjà être transportés au ciel et mêlés aux choeurs des anges. En effet, qu'avaient-ils besoin dès lors du ciel et des anges, puisque Jésus-Christ, le Maître des anges était avec ces saints martyrs dans le désert? Si Jésus-Christ est au milieu de nous, lorsque nous sommes deux ou trois rassemblés en son nom, à plus forte raison était-il au milieu d'eux, puisqu'ils étaient réunis là pour être continuellement tourmentés, non pas en son nom, mais pour son nom. Car, sachez-le, sachez-le bien, il n'est pas de supplice plus cruel que celui-là, ceux que cette sentence vint frapper, eussent préféré souffrir mille morts d'un genre différent, plutôt que d'avoir à supporter les douleurs dont cette condamnation est la source. On les jeta dans les mines, où il fallait déterrer l'airain, eux qui étaient bien plus précieux qu'une mine d'or, eux qui étaient d'un or immatériel, que ne déterrent pas les mains des condamnés, mais qu'avait découvert le zèle de ces hommes fidèles; ils travaillaient aux mines, eux qui regorgeaient de trésors immenses. Quoi de plus dur et de plus douloureux qu'une pareille existence? Ils voyaient s'accomplir aussi sur eux ce que dit saint Paul en parlant des grands hommes, des saints illustres d'autrefois: Ils allèrent çà et là, vêtus de peaux de moutons, de peaux de chèvres, dans les privations, dans l'oppression et les mauvais traitements, eux dont le monde n'était pas digne. (He 11,37 He 11,38) Ils erraient dans les déserts, les montagnes, les antres et les cavernes. C'est l'exemple qui s'est renouvelé sous notre génération.

Ainsi, mes chers auditeurs, puisque nous savons, nous aussi, que de nos jours comme autrefois, depuis enfin qu'il existe des hommes, tous ceux qui ont été chéris de Dieu ont eu en partage une vie de tristesse et de peines, une (431) vie remplie de maux, ne recherchons pas cette existence molle, relâchée, pleine de langueurs, mais au contraire la vie laborieuse, pénible, féconde en tribulations et en malheurs. De même en effet que ce n'est pas en se livrant au sommeil, à la nonchalance et au luxe, qu'un athlète peut obtenir des couronnes, ni un soldat conquérir des trophées, ni un pilote arriver au port, ni un cultivateur voir ses greniers bien garnis; de même, ce n'est pas non plus en passant sa vie dans la nonchalance que le fidèle peut obtenir les biens promis. Ainsi, pour toutes les choses de la vie, on fait passer la peine avant le plaisir, les dangers avant la sécurité, et cela, quand il doit nous revenir de ces peines un si mesquin et faible avantage; eh bien! quand c'est le ciel qui nous est proposé, quand il s'agit d'arriver aux mêmes honneurs que les anges, de jouir d'une vie sans fin dans la société des anges, et au milieu de biens tels qu'il n'est pas même possible de l'imaginer ou de l'exprimer, ne serait-il pas insensé de s'attendre à obtenir tout cela par la mollesse et la lâcheté de la vie, par l'indolence de l'âme, et de ne pas daigner y mettre autant d'ardeur qu'à la poursuite des choses de cette vie? Non, je vous en conjure, ne soyons pas si mal avisés pour nous-mêmes et pour notre salut, mais considérons ces saints martyrs, ces généreux et patients athlètes, qui nous. ont été donnés pour nous servir de flambeaux; réglons notre vie sur leur constance et leur fermeté, afin qu'aidés de leurs prières nous puissions après notre départ d'ici-bas, les voir, les embrasser, et être admis dans leurs célestes tabernacles: fasse le ciel que nous obtenions tous ce bonheur par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel gloire au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


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HOMÉLIE EN L'HONNEUR DU SAINT MARTYR PHOCAS

ET CONTRE LES HÉRÉTIQUES AINSI QUE

SUR LE PSAUME CXLI: «J'AI CRIÉ VERS LE SEIGNEUR,

J'AI FAIT ENTENDRE A DIEU MA PRIÈRE.»




AVERTISSEMENT ET ANALYSE.


Il est surprenant que Fronton du Duc mette en doute si ce discours a été prononcé à Constantinople ou à Antioche, lorsqu'il est clair comme le jour que c'est à Constantinople. En effet, outre ce qu'on trouve au début, que le saint martyr est arrivé la veille du Pont, ce qui fait voir que c'est dans la ville impériale; qu'y a-t-il de plus significatif, pour désigner Constantinople, que le passage suivant: Laissons la ville déserte, et accourons au tombeau du martyr; car les princes eux-mêmes y conduisent comme nous leur cortège. Quelle excuse y a-t-il pour un particulier, quand les princes quittent leur demeure royale pour venir s'asseoir au tombeau du martyr? C'est donc, sans aucun doute, à Constantinople que saint Chrysostome a prononcé ce discours.

Après quelques mots sur le saint martyr Phocas, il prend à partie les anoméens contre lesquels il eut à lutter, non pas à Antioche seulement, mais aussi à Constantinople. - Tout dans ce discours est visiblement de Chrysostome: style, argumentation, figures, comparaisons: il est donc singulier que Savile ne soit pas sûr de son authenticité (peri gnesiotetos); du reste, comme il n'apporte aucun motif de son hésitation, et qu'en effet il ne pouvait en donner aucun, on peut dire en toute sûreté qu'il a porté ce jugement an hasard, sans avoir examiné la question.

On ne peut guère assigner de date certaine à cette homélie. Il y a quelque indication vague dans ces paroles de Chrysostome: Et moi. donc pareillement, si je combats les hérétiques, ce ne sont pas les hommes eux-mêmes que j'attaque, mais c'est l'erreur que je veux détruire en eux, c'est que je veux les purifier de la contagion. J'ai pour habitude d'endurer la persécution, et non d'être persécuteur; de souffrir qu'on me chasse, et non de chasser moi-même les autres. S'il désigne par là la première persécution qu'il eut à souffrir, celle où il fut exilé, après quoi il ne tarda pas à venir reprendre possession de son siège, il faut rapporter cette homélie à la fin de l'année 403, ou au commencement de 404. Comme il est certain que Chrysostome n'avait pas eu d'autres persécutions à souffrir avant celle-là, cette date parait assez vraisemblable.

Voici la dissertation de Fronton du Duc à propos de saint Phocas, martyr: «Saint Grégoire de Nazianze parlé du martyr Phocas à Vitatianus: il lui écrit qu'il y avait, auprès de Trapézonte, une église sous son invocation. Dans le catalogue de la bibliothèque d'Augsbourg, il est fait mention d'André Chartophylax, auteur d'un panégyrique du saint martyr Phocas le Thaumaturge, dont le manuscrit est conservé dans cette bibliothèque. Et dans te martyrologe romain, nous lisons, à la date du 5 mars, cette indication empruntée à Grégoire de Tours: De gloria Mortyrum: Natalis S. Phocoe opud Antiochiam. (Naissance de saint Phocas auprès d'Antioche). Et le 14 Juillet: Sinope in Ponto S.. Phocoe martyris ejusdem civitatis episcopi (A Sinope, ville du Pont, naissance de saint Phocas, martyr, évêque de la même ville); saint Adon, dans sa chronique, atteste «que ses reliques furent transportées à Vienne, en Gaule. Dans l'Horologium des Grecs, on trouve au 22 juin: e akanomide tou Deipsanou tou agiou ieromarturos phoka ce qui, dans l'édition d'Usuard, publiée par Molanus, est traduit par: Reportatio Lipsani sancti Hieroinartyris Phocae; et dans le calendrier des Grecs, traduit par Génébrard: Translatio Reliquiarum Phocae Martyris; puis encore, au 22 septembre, tou agiou ieromarturos phoka. Dans le Menologium publié en grec à Venise, le martyre des deux Phocas est brièvement résumé à la même date du 22 septembre. A l'égard du premier tou agiou ieromarturos phoka tou Thaumatourgou (le saint hiéromartyr Phocas le Thaumaturge), il est dit qu'il était fils de Pamphile et «de Marie, qu'il naquit à Sinope, ville du Pont, et que, dés sa plus tendre enfance, il fut célèbre par ses miracles, et que son martyre lui fut annoncé par le prodige que voici: une colombe vint se poser sur sa tête et y plaça une couronne en prononçant d'une voix humaine les paroles suivantes: «Le calice est mêlé et il faut que tu le boives.» Dieu lui accorda en effet cette grâce, car, sous l'empereur Trajan, il souffrit le martyre par le glaive et par le feu, et, après sa mort, ses miracles continuèrent à le rendre célèbre. - Quant an second Phocas, suivant le même Menologium, il était jardinier, natif aussi de Sinope; il donna l'hospitalité à des satellites qui le cherchaient pour le tuer; il leur découvrit qui il était, comme le d raconte saint Astère, dans Lippomani; les satellites lui coupèrent la tête et il devint ainsi une victime agréable à Dieu. De ces deux saints, nous pensons que le premier, celui qui fut évêque, est celui dont l'homélie suivante fait l'éloge, parce que, en tête du discours, il est qualifié de hiéromartyr, et l'on voit par le Menologium que les Grecs donnent plus ordinairement ce titre d'honneur aux évêques ou aux prêtres qui ont eu la gloire du martyre, tels que saint Ignace, saint Denis, saint Blaise, de même qu'ils appellent ieromonakous; les moines qui ont été créés prêtres et introduits dans la hiérarchie ecclésiastique.»



1. Saint Chrysostome engage les fidèles qui ont été absents à la cérémonie de la veille, à assister à celle-ci; il leur représente que les princes mêmes y sont venus, ce qui rendrait plus inexcusable la négligence des simples particuliers. - Les honneurs que nous rendons aux martyrs n'augmentent point leur gloire, mais nous attirent des bénédictions. - L'orateur profitera du psaume (434) du jour pour combattre l'hérésie. - Il ne combattra pas les hommes, mais leurs mauvaises doctrines. - 2. Jésus-Christ lui-même a pardonné à ceux qui le maltraitaient, tandis qu'il a puni les offenses fades à ses serviteurs; nous devons donc pardonner à nos persécuteurs, mais venger les offenses faites à Dieu. - 3. Il prouve aux anoméens, par différentes citations de l'Écriture, que les noms de Seigneur et de Dieu conviennent également soit an Père, soit an Fils, que par conséquent ces deux noms ont la même valeur, et que par conséquent aussi, le Fils et le Père ne sont pas moins grands l'un que l'autre. - 4. Ces fidèles qui assistent à un sermon. doivent y faire assez d'attention pour en reporter la substance à qui les interroge, soit en les rencontrant sur le chemin, soit quand ils sont rentrés chez eux. - Les maris particulièrement doivent cette édification à leurs femmes.



29001 1. Elle était brillante hier, notre cité, brillante, resplendissante, non pas à cause de ses colonnades, mais à cause du martyr qui nous arrivait du Pont en grand cortége. Il a vu votre hospitalité, et il vous a comblés de bénédictions; il a loué votre ardeur, et béni cette foule accourue pour le recevoir. J'ai félicité ceux qui s'y étaient rendus et qui avaient participé au parfum de sainteté qu'il répand, et j'ai plaint ceux qui étaient restés ailleurs. Mais afin que leur perte ne soit pas irréparable, voici encore un second jour où nous le célébrons, afin que ceux qui, par négligence, n'étaient point venus, doublent par leur zèle les bénédictions que le martyr envoie. Je vous l'ai déjà dit plusieurs fois, et je ne cesserai de le répéter: je ne demande pas la punition des péchés, mais je prépare de quoi guérir les malades. Vous n'êtes parvenus hier; accourez du moins aujourd'hui, pour voir le saint martyr conduit à l'endroit qui lui est réservé. Si au contraire vous l'avez vu hier escorté à travers la place publique, contemplez-le porté aussi sur les flots de la mer, afin que l'un et l'autre élément soit également rempli de ses bénédictions.

Que personne ne manque à cette solennité sainte; que la jeune fille ne reste. pas au logis, que la femme ne garde pas la maison; laissons la ville déserte, et accourons au tombeau du martyr; car les princes eux-mêmes y conduisent comme nous leur cortége. Quelle excuse y a-t-il pour un particulier, quand les princes quittent leur demeure royale pour venir s'asseoir au tombeau du martyr? Car le pouvoir des martyrs est si grand, qu'ils enveloppent dans leurs filets non pas seulement les particuliers, mais aussi les têtes couronnées; c'est là l'opprobre des païens, la honte de leurs erreurs, et l'extermination des démons; ce sont là nos titres de noblesse, et, l'auréole de l'Église. Je m'unis au choeur dés martyrs, et je bondis de joie; c'est qu'en guise de prairie, j'ai sous les yeux leur trophée, et que les sources dont elle est arrosée, c'est le sang qu'ils ont versé: leurs ossements ont été consumés, et leur mémoire devient chaque jour plus nouvelle. Car il est aussi impossible d'éteindre la mémoire des martyrs que la lumière du soleil; c'est Jésus-Christ lui-même qui l'a déclaré: Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point. (
Mt 24,35). Mais différons jusqu'au moment convenable les éloges du saint martyr: nous venons d'en dire suffisamment touchant le zèle de ceux qui doivent se réunir ici, et donner de l'éclat à ce jour de fête. Ce que je vous disais hier, je le répète aujourd'hui, la présence d'une multitude nombreuse n'ajoutera rien à la gloire du martyr; mais c'est vous qui gagnerez, à venir visiter le martyr, des bénédictions plus abondantes. Celui qui regarde le soleil, ne rend pas l'astre plus resplendissant, mais il éclaire ses propres yeux; de même celui qui honore un martyr n'augmente pas la splendeur du martyr, mais c'est lui-même qui attire sur sa personne les rayons de ce foyer de bénédictions.

Faisons encore une fois de la mer un temple, en nous y rendant avec des flambeaux, portant le feu au milieu de l'eau, et couvrant l'eau de feu; que personne ne redoute la mer; le martyr n'a pas craint la mort, et vous craindriez l'eau? Mais nous avons déjà suffisamment parlé dans ce sens; prenons donc dans les paroles que vous avez entendues aujourd'hui de quoi vous servir votre nourriture accoutumée. Si nos corps sont à l'étroit, que notre âme ait des ailes; car je ne fais pas attention au peu de place que vous avez, mais bien au zèle qui vous anime. Comme un pilote aime une mer agitée, un orateur chrétien aime une église où un nombreux auditoire semble onduler comme les flots; car il n'y a ici ni onde amère, ni écueils, ni monstres: ce sont les vagues d'un océan qui exhale mille parfums; où les barques ne vont point d'une terre à une terre, mais s'élancent de la terre au ciel; ces barques ne sont point chargées de richesses, ce n'est pas de l'or ou de l'argent qu'elles portent, mais la foi, la charité, le zèle et la science chrétienne.

29002 2. Lançons donc à la mer avec ardeur cette barque qui ne périt jamais, et qui n'essuie jamais de naufrage. Mais prêtez une grande (435) attention à nos paroles; car le psaume d'aujourd'hui nous engage dans une campagne contre les hérétiques, non pas pour renverser des hommes qui sont debout, mais pour relever des adversaires abattus: telle est la guerre que nous entreprenons; des vivants,- elle n'a pas pour but de faire des morts, mais des morts elle doit faire des vivants; c'est une guerre toute de douceur et de clémence. Et en effet, je n'attaque pas par mes actions, mais je poursuis par mes paroles, non pas l'hérétique, mais l'hérésie; je n'ai pas d'aversion pour l'homme, mais je déteste son erreur, et je veux le ramener à nous; je ne fais pas la guerre à l'être, car l'être est l'ouvrage de Dieu; mais je veux redresser la croyance, que le démon a pervertie. C'est ainsi qu'un médecin, lorsqu'il soigne un malade, ne fait pas la guerre au corps, mais cherche à détruire le vice qui est dans le corps. Et moi donc pareillement, si je combats les hérétiques, ce ne sont pas les hommes eux-mêmes que j'attaque, mais c'est l'erreur que je veux détruire en eux, c'est que je veux les purifier de la contagion. J'ai pour habitude d'endurer la persécution, et non d'être persécuteur; de souffrir qu'on me chasse et non de chasser moi-même les autres. C'est par ce moyen que Jésus-Christ, lui aussi, a triomphé: il n'a pas crucifié les autres, il s'est laissé crucifier; il n'a souffleté personne, mais on l'a souffleté. Si j'ai mal parlé, dit-il, témoignez du mal que j'ai dit; et si j'ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous? (Jn 18,23) Ainsi le Maître de la terre se justifie à l'esclave du grand prêtre, quoique de cette bouche que l'on frappait, fussent sorties les paroles qui avaient dompté la mer et ressuscité Lazare depuis quatre jours au nombre des morts, ces paroles qui mettaient en fuite le mal, qui guérissaient les infirmités et les péchés. Voilà ce qu'il y a d'admirable cirez le Dieu crucifié. Il pouvait lancerla foudre, ébranler la terre, dessécher la main de cet esclave; et il n'a rien fait de tout cela; bien plus, il se justifie, et il triomphe par la douceur, vous apprenant, à vous qui êtes hommes, à ne jamais vous emporter; si l'on vous met en croix, si vous recevez un soufflet, vous devez dire comme votre Maître: Si j'ai mal parlé, témoignes du mal que j'ai dit; et si j'ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous? Et vous allez voir sa charité pour les hommes; vous allez voir comme il venge les injures que l'on fait à ses serviteurs, lui qui néglige ainsi la vengeance de celles qu'il reçoit lui-même. Il y eut autrefois un prophète qui vint pour confondre l'impiété d'un roi: il arriva, et s'écria: O autel, ô autel! écoute mes paroles! (1R 13,2) Le roi Jéroboam était alors à offrir de l'encens aux idoles: le prophète arrive, et c'est à l'autel qu'il s'adresse. Que fais-tu, ô prophète? tu laisses l'homme de côté, et c'est à l'autel que tu parles? Oui, vous répondra-t-il? Et quel motif as-tu d'agir ainsi? C'est que l'homme est devenu plus insensible que la pierre même, voilà pourquoi je le laisse de côté, et je m'adresse à la pierre, pour vous apprendre que la pierre entend, et que l'homme n'entend pas. Ecoute, ô autel, écoute! et à l'instant l'autel se brisa. Le roi étendit la main, voulant se saisir du prophète, et il ne put la ramener à lui. Vous le voyez, l'autel entendit mieux que le roi; vous voyez que si le prophète a laissé de côté l'être raisonnable pour s'adresser à l'ubjet privé de raison, c'est afin de corriger, par l'obéissance de l'objet inanimé, l'insensibilité et la perversité de l'homme. L'autel se brisa, et la perversité du roi ne fut point brisée. Mais considérez ce qui arriva: le roi étendit la main pour s'emparer du prophète, et aussitôt sa main sécha. Comme la vengeance exercée sur l'autel n'avait pas rendu le roi meilleur, celui-ci apprend alors à ses propres dépens que l'on doit obéir à Dieu. j'ai voulu, pour t'épargner, détourner ma colère sur cette pierre; mais puisque la pierre ne t'a point servi de leçon, subis donc toi-même ton châtiment. Alors, il étendit sa main, qui à l'instant fut desséchée. Le prophète avait désormais le témoignage de sa victoire: le roi ne pouvait ramener à lui sa main. Où fut alors son diadème? qu'étaient devenus, et sa pourpre royale, et les armures, et les boucliers, et cette multitude de soldats et de lances? Dieu donna un ordre, et tout cela s'évanouit; les grands de la cour étaient là, mais ils ne pouvaient secourir le roi; ils n'étaient plus que les spectateurs de son châtiment. Il avait étendu la main: elle était devenue sèche: il avait sa récompense. Considérez l'exemple de l'arbre du paradis, et celui de l'arbre de la croix. Le premier était couvert d'un vert feuillage, et il enfanta la mort; le bois de la croix était sec, et il engendra la vie; il en fut de même de la main de Jéroboam: quand elle était vivante, elle enfanta l'impiété, et lorsqu'elle fut devenue sèche, elle amena l'obéissance; voyez-donc par là (436) combien sont étranges les oeuvres de Dieu. Mais je reviens à ce que je disais: lorsque le Christ reçut un soufflet, il ne fit point de mal à celui qui le lui donna; et lorsqu'un de ses propres serviteurs allait être maltraité, Notre-Seigneur punit un roi; vous enseignant ainsi à venger les injures faites à Dieu, et à négliger celles qu'on vous fait. Mais, prêtez-moi votre attention, car lorsqu'il s'agit de combattre, on a besoin de prêter une oreille extrêmement attentive; écoutez donc bien, afin de savoir exactement dans quelle mesure je lie et je délie les péchés de nos adversaires, et comment je les combats et les accable. Lorsque dans un théâtre on voit lutter deux hommes, on se penche, on tient ses regards fixes et tout son corps tendu, pour voir une lutte pleine d'opprobre, une lutce qu'on aurait honte d'imiter à plus forte raison devons-nous être, nous autres, très-appliqués à écouter les saintes Ecritures. Car si vous donnez des éloges à l'athlète, que ne vous faites-vous athlète? et si c'est une honte pour lui d'être athlète, pourquoi irritez-vous ce public qui lui donne des éloges? Mais ce ne sont point ici des luttes semblables, ce sont des luttes communes à tous, et également utiles à ceux qui parlent et à ceux qui écoutent. Car si je combats l'hérétique, c'est pour vous rendre athlètes vous-mêmes, et pour que vous puissiez, non-seulement par les paroles de vos psaumes, mais encore par votre discussion, réduire leur langue au silence. Que dit donc le Prophète: J'ai crié vers le Seigneur; j'ai fait entendre à Dieu ma prière. (Ps 141,2) Faites attention: cette parole peut-être ne vous semble pas contenir un motif de lutte. Voyez comment je vais préparer le triomphe et développer l'objet du combat. J'ai crié vers le Seigneur; j'ai fait entendre à Dieu ma prière. Appelez ici l'hérétique, présent ou non. S'il est présent, qu'il soit instruit par notre voix; s'il est absent, vous l'instruirez d'après ce que vous aurez entendu dire. Seulement, je le répète, s'il est ici, je neveux point le persécuter, mais lui donner un asile contre la persécution qui lui vient non pas de nous, mais de sa propre conscience, suivant cette parole de l'Ecriture: L'impie fuit sans que personne le poursuive. (Pr 28,1) L'Eglise, notre mère, n'accueille pas seulement ses propres enfants: elle ouvre encore son sein aux étrangers. L'arche de Noé était un asile pour toutes les créatures, mais l'Eglise est plus parfaite. L'arche, en effet, recevait les animaux sans raison, et elle les gardait tels: l'Eglise reçoit les créatures déraisonnables, mais elle les transforme. Par exemple, s'il entre ici un renard partisan de l'hérésie, j'en ferai une brebis; qu'il entre un loup, j'en ferai un agneau, autant qu'il sera en moi: s'il s'y refuse, cela ne dépendra nullement de moi, mais de sa propre déraison; en effet, parmi les douze disciples de Jésus-Christ lui-même, il y en eut un qui fut traître, non pas par la faute de Jésus, mais par son propre sens perverti; Elisée aussi avait un disciple avare; et ce n'était pas par suite de la faiblesse du maître, mais par la lâcheté du disciple. Je répands des semences; c'est vous qui les recevez; si vous êtes une bonne terre, vous produirez une moisson; si vous êtes un terrain pierreux et stérile, cela ne dépend pas de moi; que vous écoutiez, ou que vous n'écoutiez pas, je ne cesserai de faire retentir à vos oreilles le chant spirituel, et de panser vos blessures, pour ne pas m'entendre dire au jour suprême: Mauvais serviteur, tu aurais dû confier mon argent aux banquiers. (Mt 25,26 Mt 25,27) J'ai crié vers le Seigneur; j'ai fait entendre à Dieu ma prière.

29003 3. Que dis-tu, hérétique? De qui parle le Prophète, et qui appelle-t-il Seigneur et Dieu? car il ne s'agit que d'une seule et même personne. C'est ainsi que dénaturant le sens des Ecritures pour leur propre malheur, et cherchant toujours des arguments aux dépens de leur propre salut, ils ne s'aperçoivent pas qu'ils se précipitent dans un gouffre de perdition; pour ce qui est du Fils de Dieu, ce ne sont pas nos bénédictions qui augmentent sa gloire, ni les blasphèmes qui la compromettent; car l'être incorporel n'a pas besoin de nos louanges; mais de même qu'en disant que le soleil est brillant, on n'ajoute rien à sa lumière, et qu'en disant qu'il est ténébreux, on n'enlève rien à l'essence de cet astre, mais que l'on montre par un tel jugement, que l'on est aveugle soi-même; ainsi, celui qui dit que le Fils de Dieu n'est point Fils, mais créature, donne une preuve de sa propre folie, tandis que celui qui reconnaît au Fils de Dieu son essence véritable, fait voir qu'il a lui-même le jugement sain. Le premier de ces hommes ne cause aucun dommage au Fils de Dieu; le second ne lui est point par là dé quelque utilité; mais l'un (437) d'eux lutte contre son propre salut, et l'autre pour son salut. Dénaturant, comme je le disais, le sens des Ecritures, les hérétiques y passent rapidement à côté de certaines choses, cherchant s'ils ne trouveront pas quelque part quelque argument qui leur semble concorder avec leur maladie. Et ne me dites pas que la faute en est aux Ecritures non, ce ne sont pas les Ecritures qui en sont cause, mais bien la déraison de ces hommes; le miel est bien réellement doux, mais le malade le trouve amer; la faute n'en est pas au miel, mais au mriuvais état de la santé. Quand on est dans le délire, on n'aperçoit pas ce que l'on voit: ce n'est pourtant pas la faute des objets visibles, mais c'est le jugement qui est perverti chez l'homme en délire. Dieu a fait le ciel, afin qu'en voyant l'ouvrage, nous adorious le Créateur; mais les païens ont déifié l'ouvrage: or, ce n'est pas non plus l'ouvrage qui en est cause, mais leur déraison. Et de même que l'insensé ne retire aucune utilité de personne, l'homme sensé en trouve jusqu'en lui-même. Qu'y a-t-il d'égal à Jésus-Christ? Pourtant Judas n'en retira aucun profit. Et qu'y a-t-il de pire que le démon? pourtant Job en a triomphé. Si le Christ n'a pas profité à Judas, c'est que Judas était insensé; et si le démon n'a pas nui à Job, c'est que Job était sage. Je vous tiens ce langage, pour que personne n'aille calomnier les Ecritures, et pour qu'on s'en prenne à la déraison de ceux qui interprètent mal ce qui a été bien dit. N'était-ce pas, en effet, en invoquant les Ecritures que le diable même discutait avec Jésus?

La faute n'en est donc pas à l'Ecriture, mais à la pensée qui interprète mal ce qui a été bien dit. En effet, voulant montrer que le Fils est moindre que le Père, ils se tourmentent pour aller chercher aux mots des sens étranges, et à propos de ces noms Dieu et Seigneur, ils disent que le Père est Dieu, et que le Fils est Seigneur; ils distinguent ces deux appellations, attribuant celle de Dieu au Père, et celle de Seigneur au Fils, comme s'ils prétendaient diviser la divinité et l'adjuger par portions. L'Ecriture, n'est-il pas vrai, se sert du mot Seigneur en s'adressant au Fils? Eh bien! n'avez-vous pas entendu le psaume d'aujourd'hui, qui dit à une seule et même personne: J'ai crié vers le Seigneur, j'ai fait entendre à Dieu ma prière! C'est donc qu'elle appelle le Fils Seigneur et Dieu. Maintenant, qui voulez-vous qui soit Dieu? Est-ce le Fils ou le Père? Les deux noms de Dieu et de Seigneur, direz-vous, s'appliquent évidemment ici au Père. Eh bien! alors le Fils est Dieu et le Père est Seigneur: car pourquoi traitez-vous les deux noms différemment, et, adjoignant le premier au second dans l'un des cas, séparez-vous le second du premier dans l'autre cas? Saint Paul (et plût au ciel que vous écoutassiez saint Paul; bienheureux seriez-vous alors! ), saint Paul dit aussi: Nous n'avons qu'un seul Dieu, c'est le Père, d'où proviennent toutes choses; et un seul Seigneur Jésus-Christ par lequel toutes choses existent. (
1Co 8,6) Il n'a pas, dira-t-on, donné au Fils le titre de Dieu. Et comment l'a-t-il appelé? Il l'a appelé Seigneur. Eh bien! répondez, en quoi le titre de Dieu est-il plus auguste que celui de Seigneur? Et en quoi Seigneur est-il moins que Dieu? Prêtez-moi, je vous prie, une grande attention: Si je vous montre que Seigneur et Dieu sont la même chose, qu'aurez-vous à dire? Prétendez-vous que Dieu soit plus, et que Seigneur soit moins? Ecoutez ce que dit le Prophète: Le Seigneur qui a fait le ciel; le Dieu qui a créé la terre. (Is 45,18) Ainsi, le Seigneur a fait le ciel, et Dieu a créé la terre; c'est donc pour la même personne qu'il a employé les deux mots Seigneur et Dieu. On lit encore ailleurs dans l'Ecriture: Ecoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est un seul Seigneur. (Dt 6,4) Le mot Seigneur y est deux fois, et le mot Dieu n'y est qu'une fois: la première fois, c'est le mot Seigneur; ensuite, c'est le mot Dieu, puis encore le mot Seigneur. Or, si ce dernier titre eût été inférieur au second, et celui-ci supérieur à l'autre, le Prophète n'aurait pas employé le moins noble en premier, ayant à parler d'un être si grand, d'un être plus grand que le langage ne peut l'exprimer. Après s'être servi du mot le plus noble, il s'en serait contenté, sans en ajouter un plus faible. Avez-vous bien saisi mes paroles? Je vais vous instruire encore.: car nous ne sommes pas ici dans un théâtre et pour la montre, mais à une école et dans un but de componction; il ne s'agit pas de s'en aller sans armes; il s'agit de s'éloigner d'ici bien armés. Tu prétends, ô hérétique, que Dieu est plus, et que Seigneur est moins? Je t'ai fait voir que le Prophète nous dit: Le Seigneur qui a fait le ciel, Dieu qui a créé la terre. Je t'ai montré encore les paroles de Moïse: Ecoute, (438) Israël, le Seigneur ton Dieu est un seul Seigneur. Comment serait-il un, si les noms sont deux, l'un désignant un être inférieur, et l'autre un être plus grand? Un être ne peut pas être à la fois plus grand et plus petit que lui-même; il est égal à lui-même et forme un tout harmonique: Le Seigneur ton Dieu est un seul Seigneur; et je t'ai fait voir que le titre de Seigneur vaut celui de Dieu; en définitive, si Seigneur est moins, et que Dieu soit plus, lequel des deux noms devait être le sien? Est-ce Seigneur, qui dit moins, ou Dieu, qui dit plus? S'il te disait: Quel est mon nom? que lui répondrais-tu, ô hérétique? lui dirais-tu que Seigneur est plus particulièrement le nom du Fils, et Dieu celui du Père? Et si je te montre que le nom de Seigneur, le nom inférieur, sert à désigner le Père, que feras-tu? Qu'ils sachent, dit le Prophète, que ton nom est le Seigneur. (Ps 82,19) Il n'a pas dit: que Dieu est ton nom. Pourtant, si Dieu est plus que Seigneur, pourquoi le Prophète n'a-t-il pas dit: Qu'ils sachent que Dieu est ton nom? Si Dieu est son nom spécial et particulier, et que Seigneur ne lui convienne pas, comme étant inférieur, pourquoi le Psalmiste dit-il: Qu'ils sachent que ton nom est Seigneur, en se servant du titre moindre, inférieur, moins noble, au lieu d'employer l'autre, qui est le plus grand, le plus élevé, le plus convenable à l'être qu'il désigne. Et afin de t'apprendre que le nom de Seigneur n'a rien de moindre, rien d'inférieur, mais qu'il a la même valeur que celui de Dieu, après avoir dit: Qu'ils sachent que ton nom est le Seigneur, le Prophète ajoute immédiatement: Toi seul es le Très-Haut, élevé au-dessus de toute la terre.

29004 4. Mais tu ne te tiens pas encore pour vaincu, tu répètes toujours que Dieu est plus et que Seigneur est moins. Et si je te fais voir le Fils désigné par le nom le plus grand des deux, que diras-tu? Cesseras-tu le combat? Abandonneras-tu la discussion? Reconnaîtras-tu ton salut? Renonceras-tu à ta folie? As-tu compris mes paroles? Puisque tu attribues le nom de Seigneur au Fils, et celui de Dieu, comme plus grand, à la personne du Père; si je te montre le Fils désigné par le nom le plus grand, par celui de Dieu, le combat est terminé; car je te réduis avec tes propres armes, et je t'accable de tes propres ailes. Tu as prétendu que Dieu est plus et que Seigneur est moins: je veux te faire voir que le moindre ne conviendrait pas au Père, si le Père était plus grand, et que le plus grand ne conviendrait pas au Fils, si le Fils était moindre. Ecoute donc le Prophète qui dit: C'est notre Dieu; nul autre ne lui sera comparé: il a trouvé toutes les voies de la science; après cela on l'a vu sur la terre, et il a conversé avec les hommes. (Ba 3,36-38) Que réponds tu à cela? Yeux-tu contredire ces paroles? Mais tu ne le peux, car la vérité subsiste, faisant briller son flambeau, et, aveuglant les yeuxdes hérétiques qui ne veulent pas ajouter foi en elle. Quelque rudes que soient les luttes, quelque pénible que soit la chaleur, la parole est la plus forte: elle triomphe du malaise des auditeurs et elle tempère l'ardeur du jour par la rosée de la doctrine. Quoi que nous nous réunissions ici une ou deux fois par semaine, il ne faut pas que les auditeurs soient négligents. Car si vous sortez d'ici, et qu'on vous demande: Quel a eté le sujiA du discours? quand vous aurez répondu. Le prédicateur a parlé contre les hérétiques; si l'on ajoute. Qu'a-t-il dit? et que vous ne trouviez rien à répondre, ce sera pour vous la plus grande honte. Si an. contraire vous pouvez répondre, c'est alors votre interlocuteur que vous confondrez; s'il est hérétique, vous le redresserez; si c'est un de vos amis, et qu'il soit mou, vous le stimulerez; si c'est une femme déréglée, vous la rendrez plus sage, car vous devez aussi vos explications à vos femmes: Que les femmes, dit Saint Paul, gardent le silence dans l'église, et si elles veulent s'instruire de quelque chose, qu'elles interrogent leurs maris. (1Co 14,34 1Co 14,35) Si vous rentrez chez vous, et que votre femme vous demande: Que me rapportes-tu de l'église? Répondez-lui: Je ne rapporte ni viande, ni vin, ni or, ni parures pour embellir le corps, mais des paroles qui rendent l'âme, sage. Quand vous rentrez auprès de votre femme, servez-lui un banquet spirituel; dites-lui tout d'abord, pendant que votre mémoire est encore fraîche: Goûtons d'abord la nourriture spirituelle, et ensuite nous goûterons, les aliments matériels; car si nous réglons ainsi notre conduite, nous aurons Dieu au milieu de nous, qui bénira notre table et qui nous couronnera. Ainsi donc, mes chers auditeurs, rendons grâces pour tous ces bienfaits, au Père, au Fils et au Saint-Esprit, maintenant et toujours,et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


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Chrysostome Homélies 28000