Chrysostome Homélies 8200


Deuxième catéchèse

Adressée à ceux qui se disposent à recevoir le baptême. - Des femmes qui composent avec trop d'art leur chevelure et qui portent des ornements d'or; contre ceux qui se livrent aux superstitions païennes, telles que présages, ligatures, enchantements; toutes choses sévèrement condamnées pas la doctrine chrétienne.

AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

La seconde Catéchèse lut prêchée la même année 387; ce qui paraît en ce qu'elle rappelle le souvenir de la sédition d'Antioche, comme d'un fait qui n'était point éloigné. - L'orateur explique le nom de fidèle que l'on recevait par le baptême. - On le donnait aux nouveaux baptisés, parce qu'ils croyaient en Dieu, et parce que Dieu leur confiait la justice, la sainteté, la pureté de l'âme, l'adoption, le royaume des cieux; et parce que les nouveaux baptisés lui contaient aussi de leur côté leurs aumônes, leurs prières, leur humilité et toutes leurs autres vertus. - Le saint Docteur s'étend ensuite sur les obligations qu'imposait le baptême, fait sentir aux catéchumènes l'étendue des promesses renfermées dans ces paroles: Je renonce à Satan, et montre de quelle conséquence il est de ne point souiller l'excellente image que Dieu trace dans l'âme des baptisés. - Il leur conseille dont de répéter sans cesse ces paroles: Je renonce à Satan et à ses pompes, mais en même temps de remplir ce que ce renoncement signifie: «J'appelle pompe diabolique, dit-il, le théâtre, le cirque, la superstitieuse observation des jours, les présages, les ligatures, les enchantements et autres abominations semblables, dont un homme élevé dans la doctrine de Jésus-Christ doit avoir horreur.» (DOM REMY CEILLIER)



82011. Il n'y a que peu de jours, mes frères, que je vous ai parlé, et je viens déjà réclamer les fruits de mon instruction. Nous ne parlons pas en effet que pour vos oreilles, mais pour vos esprits, afin qu'ils retiennent nos paroles, et pour que vous nous le fassiez voir par vos oeuvres, ou plutôt pas à nous, mais à Dieu qui connaît le fond des coeurs. Aussi appelons-nous notre instruction Catéchèse, parce qu'il faut que même en notre absence l'écho de nos paroles retentisse dans vos âmes. Ne vous étonnez pas, si après un délai de six jours seulement je viens pour réclamer les fruits de la semence que j'ai répandue; en effet, semer et moissonner le même jour dans les âmes n'est pas chose impossible, par la raison que ce n'est point appuyés sur nos seules forces, mais sur le secours divin que nous sommes invités aux combats contre le mal. O vous donc, qui avez reçu nos paroles et les avez mises en pratique, persévérez et avancez! et vous qui n'avez point encore mis la main à l'oeuvre, commencez dès maintenant, et qu'à l'avenir vos efforts vous sauvent de l'accusation de négligence! On peut toujours, si négligent qu'on ait été, on peut, avec de la diligence, réparer le temps perdu. Ecoutez le Psalmiste: Si aujourd'hui vous entendez sa voix, n'endurcissez pas vos coeurs comme au jour de la colère. (Ps 95,8) C'est nous avertir et nous conseiller de ne (139) jamais désespérer, mais, tant que nous sommes en ce inonde, de conserver l'espérance que nous arriverons au but et que nous obtiendrons la palme de notre glorieuse vocation. Suivons ces conseils, et recherchons les noms de la grâce si précieuse que nous recevrons bientôt. Quand on ignore l'importance d'une fonction, on en tient moins de compte, on la remplit avec plus de négligence;mais si on la connaît, on l'exerce avec plus de zèle et d'intérêt. Pour nous en particulier, à qui Dieu accorde un si grand honneur, ne serait-ce pas une honte et une absurdité d'en ignorer les noms et le sens de ces noms? Mais pourquoi parlé-je de la grâce baptismale? Notre nom générique lui-même, bien compris, sera pour vous une leçon et un encouragement à la plus haute vertu. Nous ne définissons pas en effet le mot homme, comme les profanes, mais comme le veut la sainte Ecriture. N'est pas un homme quiconque a simplement des mains et des pieds d'homme, ou est seulement doué de raison, mais celui qui remplit fidèlement les devoirs de la piété et de la vertu. Voici comment la sainte Ecriture nous parle de Job. Après ces paroles Il y avait en la terre d'Ausitide, un homme, elle ne nous le dépeint pas à la manière païenne, elle ne dit pas qu'il avait deux pieds et de larges ongles. Mais nous retracent les marques de sa piété, elle dit: Un homme juste, sincère, honorant Dieu, et s'abstenant de tout mal (Jb 1,1), nous indiquant ainsi ce qui fait l'homme. C'est ce que nous dit aussi l'Ecclésiaste: Craignez Dieu, observez ses commandements, car c'est là tout l'homme. (Qo 12,13) Mais si ce nom d'homme a tant de force pour exhorter à la vertu, que sera-ce de ce mot fidèle? Pourquoi, en effet, êtes-vous appelés fidèles? N'est-ce pas parce que vous croyez eu Dieu, et que vous- gardez fidèlement la justice qu'il vous a donnée, la sainteté, la pureté de l'âme, votre divine adoption-, le royaume des cieux, tous biens qu'il vous a recommandés? N'est-ce pas parce qu'en retour vous lui avez confié et recommandé d'autres trésors, l'aumône, vos prières, la sagesse et tonte autre vertu. Et que parlé je d'aumône? Si vous lui donnez un verre d'eau froide, vous ne le perdrez même pas, il vous le conservera avec soin pour le grand jour, et il vous le rendra au centuple; ce qu'il y a d'admirable, en effet, c'est qu'il ne conserve pas seulement les dépôts, mais il les multiplie encore par ses largesses.

Imitez-le donc selon votre pouvoir, et d'après son ordre, dans tout ce qu'il vous a confié. Ajoutez à la sainteté que vous avez reçue; faites briller et éclater davantage la justice et la grâce de votre baptême; agissez comme saint Paul qui augmentait chaque jour par ses travaux, par son activité et son zèle les richesses que Dieu lui avait communiquées. Remarquez ici la suprême sagesse de Dieu. Il ne nous a pas tout donné; il ne nous a pas tout refusé. Il nous a fait des dons, il nous a fait des promesses. Mais pourquoi ne vous a-t-il pas tout accordé dès ici-bas? C'est pour que vous prouviez votre confiance en lui, croyant sur sa seule promesse aux faveurs que vous n'avez point encore obtenues. Et pourquoi d'un autre côté n'a-t-il pas tout réservé pour l'autre Nie, mais vous a-t-il fait part des grâces du Saint-Esprit, de la justice et de la sanctification? C'était pour alléger vos peines, et, par ses dons passés, vous établir dans une solide espérance de ses dons à venir. Aussi doit-on vous appeler un nouvel illuminé. Pour vous, en effet, si vous le voulez; la lumière est toujours nouvelle, et ne s'éteint jamais. Ce jour qui éclaire les yeux de nos corps ne luit pas constamment, et sans prendre nos ordres la nuit vient régulièrement l'interrompre, mais le jour divin, jamais les ténèbres n'ont prévalu sur lui. La lumière a brillé dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point comprise. (Jn 1,15) Le soleil levant verse moins de rayons sur le monde, que l'Esprit -Saint ne répand de splendeur sur une âme qu'il Inonde de sa grâce. Considérez avec attention ce qui se passe dans la nature. Quand la nuit couvre la terre de ses ombres épaisses, aperçoit-on une corde, souvent on la prend pour un serpent; si un ami s'approche, on le fuit comme un ennemi; le moindre bruit nous épouvante. Mais dans le jour rien de pareil; les objets nous apparaissent tels qu'ils sont. Voilà ce qui arrive dans notre âme. A peine la grâce l'a-t-elle visitée, a-t-elle chassé les ténèbres de notre esprit, crue nous voyons les choses dans leur réalité. Alors ce qui nous effrayait auparavant nous paraît méprisable; nous ne craignons plus la mort, le baptême nous a convaincu qu'elle n'est point une mort, mais un repos, un sommeil passager. Et la pauvreté, la maladie, et d'autres semblables misères, pourquoi les redouteraient-ils, ceux qui aspirent à une vie meilleure, sans fin, (140) sans vicissitudes, et exempte de toute inégalité.

82022. Ne soupirons donc plus après les biens périssables, après les plaisirs de la table, et la parure des vêtements. N'avez-vous pas en effet l'habit le plus précieux, un festin spirituel et la gloire du ciel? Jésus-Christ ne s'est-il pas fait tout pour vous, et la table et le vêtement, et la demeure, et le chef et la racine? Vous tous qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous avez revêtu Jésus-Christ. (Ga 3,27) Le voilà votre vêtement. Voulez-vous savoir comment il est votre table? Comme je vis pour mon Père, dit-il, ainsi celui qui me mange vivra pour moi. N'est-il pas aussi votre demeure? Celui qui mange ma chair demeure en moi et je demeure en lui. (Jn 6,57 Jn 6,58) Puis il est votre racine: Je suis la vigne et vous en êtes les branches. A se nomme également votre frère, votre ami, votre époux. Je ne vous appellerai plus mes serviteurs, car vous êtes mes amis. (Jn 15,5) Ecoutez saint Paul: Je vous ai fiancés à votre unique époux pour vous présenter comme une vierge sans tache à Jésus-Christ. (2Co 11,2) Et encore: Afin qu'il soit lui-même le premier-né entre beaucoup de frères. (Rm 8,29) Il n'est pas même satisfait du nom de frères, nous sommes ses petits enfants: Me voici avec les petits enfants que Dieu m'a donnés. (Is 8,18) Il va plus loin; nous sommes ses membres et son corps (1Co 12,27); et comme si toutes ces grâces ne suffisaient pas pour nous convaincre de sa bonté et de son amour,il nous en donne encore une preuve et plus forte et plus touchante: il s'appelle notre tête. (Ep 1,22)

Connaissez tous les bienfaits de Jésus-Christ et témoignez, mon cher frère, votre reconnaissance à votre bienfaiteur par une conduite vertueuse; et que la pensée de ce sacrifice si grand vous porte à honorer les membres de votre corps. Réfléchissez à ce que saisit votre main, et ne la laissez frapper aucun de vos frères; qu'honorée d'un si noble don, elle ne se déshonore pas par de criminelles blessures. Oui, pensez à ce qu'elle saisit, et gardez-la pure de toute avarice et rapine. Ce n'est pas seulement votre main qui saisit, c'est encore votre bouche qui reçoit les dons du ciel, et défendez à votre langue toutes paroles injurieuses, impudiques, blasphématoires, parjures, et autres pareilles iniquités. Quel sacrilège, si une langue qui touche aux plus redoutables mystères, une langue empourprée du sang d'un Dieu, et devenue plus précieuse que l'or, se changeait en une épée meurtrière, en instrument d'insultes, d'outrages et d'ignobles plaisanteries! Respectez donc l'honneur que Dieu lui a fait, et ne la faites point servir au péché. Remarquez encore qu'après la main et la langue c'est le coeur qui reçoit nos augustes mystères: n'ourdissez donc jamais la fraude contre votre prochain; et que votre âme reste exempte de toute méchanceté. Vous pourrez ainsi préserver et vos oreilles et vos yeux. Combien n'est-il pas inconvenant en effet qu'après cette mystérieuse voix descendue du ciel, et des chérubins, nos oreilles se laissent profaner par des chants lascifs et efféminés! ne mérite-t-on pas le dernier châtiment, si de ces yeux, qui ont contemplé nos secrets et vénérables mystères, l'on regarde des prostituées, et l'on commet l'adultère dans son, coeur? Vous êtes convié à des noces, mon ami, n'y entrez pas avec une robe souillée; mais prenez un vêtement digne de la solennité. L'homme le plus pauvre, engagé à des noces mondaines, souvent achète ou emprunte un habit convenable, et se présente ainsi à ceux qui l'ont invité. Mais vous, vous êtes appelé à un mariage spirituel, à un banquet royal; considérez combien vous êtes obligé. de vous procurer une robe nuptiale. Mais ne cherchez pas ce vêtement, c'est inutile; Celui qui vous invite vous en donne un gratuitement; vous ne pouvez donc pas vous excuser sur votre pauvreté. Mais conservez-le, cet habit, car si vous le perdiez, vous ne pourriez plus en acheter ou en emprunter un autre; ce vêtement précieux, en effet, ne se vend nulle part. Avez-vous entendu les gémissements des initiés qui l'avaient perdu, et comment ils se frappaient la poitrine, déchirés par les remords de leur conscience? Prenez garde, mon cher frère, d'éprouver un jour le même sort. Mais comment l'éviterez-vous si vous ne rompez avec vos mauvaises habitudes? Aussi je l'ai déjà dit, je le dis encore, et toujours je le répéterai: si quelqu'un ne corrige pas ses moeurs vicieuses, et ne se rend la vertu facile, qu'il ne reçoive pas le baptême. Le baptême sans doute peut effacer nos premiers crimes. Mais combien n'est-il pas à craindre, combien n'est-il pas dangereux que nous n'y revenions, et que le remède ne se change en poison! Plus en effet la grâce a été abondante, plus terrible est le châtiment pour ceux qui retombent.

82033. Ne retournons donc plus à notre ancien vomissement, dès aujourd'hui instruisons-nous nous-mêmes. Or, sur la nécessité d'un repentir antérieur, d'un divorce avec nos précédentes iniquités, pour s'approcher du sacrement, écoutez les paroles de saint Jean-Baptiste et du prince des apôtres à ceux qui devaient être baptisés: Faites de dignes fruits de pénitence, s'écrie le premier, et ne commencez point ci dire: nous avons Abraham pour père. (Lc 2,8) Et le second, répondant aux questions qu'on lui adressait: Faites pénitence, dit-il, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. (Ac 2,38) Or, celui qui fait une vraie pénitence ne commet plus les fautes dont il s'est repenti. C'est pourquoi l'on nous fait dire: Je renonce à toi, Satan, pour que nous ne retournions plus sous son empire. En ce moment imitons donc les peintres: Ils déploient d'abord leurs toiles, ils les environnent de lignes blanches, ils dessinent des figures, l'image d'un roi, peut-être; mais avant d'appliquer les couleurs, en toute liberté ils effacent, ils ajoutent, changent et transposent les traits manqués et mal réussis. Mais les couleurs une fois appliquées, ils ne sont plus libres d'effacer pour recommencer; ils gâteraient leur tableau, ils pécheraient contre les règles de leur art. Suivez cet exemple, et regardez votre âme comme un portrait que vous avez à peindre. Avant donc que le Saint-Esprit vienne y passer son divin pinceau, effacez vos mauvaises habitudes. Ainsi, êtes-vous dans l'habitude de jurer, de mentir, de proférer des paroles outrageantes ou déshonnêtes, ou de vous livrer à des bouffonneries, à toute autre action défendue? hé bien! détruisez cette habitude, pour ne point y revenir après le baptême. L'eau sainte efface le péché; mais c'est à vous de corriger les coupables habitudes. Les couleurs sont appliquées, l'image royale resplendit par l'effet du coloris: n'effacez plus, ne faites ni déchirures ni taches à la beauté que Dieu vous a donnée.

Réprimez donc la colère, éteignez les flammes de la fureur; ou bien si quelqu'un vous injurie et vous outrage, poursuivez-le de vos armes et non de votre indignation; de votre pitié et non de votre ressentiment; et ne dites pas: Je suis blessé dans mon âme. L'injure n'atteint pas notre âme, à moins que nous ne nous la fassions à nous-mêmes. En voici la preuve. On a dérobé votre bien; vous a-t-on blessé dans votre âme? non, mais dans votre fortune.

En gardez-vous du ressentiment? alors vous blessez vous-même votre âme. Le vol en effet n'a pas nui à votre âme, il lui a même été avantageux; mais vous, qui n'oubliez pas votre colère, vous serez puni pour avoir conservé la mémoire de cette offense. Quelqu'un vous a-t-il indignement méprisé, insulté, quel tort a-t-il fait à votre âme, et même à votre corps? Mais lui avez-vous rendu ses insultes et ses mépris, alors vous avez fait du mal à votre âme, et vos paroles recevront un jour leur châtiment. Voici une vérité dont je voudrais avant tout bien vous convaincre: c'est que personne, pas même le démon, ne peut faire tort à un chrétien, à un fidèle dans son âme; et ce qui est admirable, ce n'est pas seulement que Dieu nou&ait rendus supérieurs à toutes les embûches, mais encore qu'il nous ait donné de l'aptitude pour la pratique de toutes les vertus. Pour une bonne volonté, il n'est aucun obstacle, fussions-nous pauvres, faibles, vils, méprisables ou esclaves. Non, ni l'indigence, ni la faiblesse, ni la mutilation, ni la servitude, ni aucun autre accident semblable ne peuvent entraver la vertu. Et que parlé je de pauvre, d'esclave, d'homme abject? Les chaînes mêmes ne peuvent nous ôter la faculté d'être vertueux. Par exemple: un de vos compagnons vous a contristé, irrité, pardonnez-lui. Est-ce que la captivité, la pauvreté, l'abjection vous en empêchent? Non; elles vous y aident plutôt, car elles contribuent à la répression de votre orgueil qui se révolte. En voyez-vous un autre réussir dans ses affaires? n'en soyez point jaloux; la pauvreté ne s'y oppose pas. S'agit-il de prier? faites-le avec modestie et recueillement; la pauvreté n'y met pas d'obstacle. Soyez obligeant, affable à tous, réservé, honnête; ces vertus n'ont pas besoin de secours étrangers. Et voilà en effet le mérite de la vertu, c'est qu'elle n'a pas besoin de richesses, de puissance, ni de gloire, ou de rien de semblable; une âme sanctifiée lui suffit, elle n'en demande pas davantage. Telle est l'opération de la grâce: quelqu'un est-il boiteux, aveugle, mutilé, accablé de la plus extrême infirmité, rien n'empêche la grâce de le visiter. Elle ne demande qu'une âme qui la reçoive en toute affection, et ne prête aucune attention aux avantages extérieurs. Ceux qui enrôlent des soldats dans la milice profane recherchent la beauté de la taille et la vigueur de la constitution; ces avantages ne suffisent pas pour le (142) service; il faut encore la liberté: tout esclave est rejeté. Or le roi des cieux ne fait pas ces enquêtes; il admet dans son armée les esclaves, les vieillards, les invalides, et il n'en rougit point. Peut-on voir une bonté, une obligeance plus grandes? Pour nous, on ne nous demande que ce qui est en notre pouvoir; mais le monde réclame ce qui n'est pas à notre disposition. En effet, est-ce que la liberté ou l'esclavage dépendent de nous, ainsi que la grandeur ou la brièveté de la taille, ou la vieillesse, ou tout autre accident pareil? Mais il ne tient qu'à notre volonté de pratiquer la bonté, la douceur, et autres vertus semblables. Dieu n'exige de nous que ce qui est en notre pouvoir, et la raison en est facile à concevoir: ce n'est point par intérêt, mais par bonté qu'il nous appelle à la jouissance de sa grâce; les rois de la terre, au contraire, n'attirent à eux que ceux dont le service leur est utile; les guerres auxquelles ils envoient leurs soldats sont des guerres matérielles et visibles, mais Dieu soumet les siens à l'épreuve des combats spirituels et invisibles: Les jeux publics nous offriraient aussi un terme de comparaison. Ceux qui se disposent à paraître sur le théâtre de ces jeux ne sont admis à descendre en lice qu'après qu'un héraut les a promenés tout autour de l'assemblée en disant à haute voix: quelqu'un a-t-il un reproche à faire à l'athlète? Comment! il s'agit d'une lutte purement corporelle, et où l'âme n'est pour rien, et il faut, pour y être admis, pouvoir présenter certaines conditions de noblesse! C'est tout le contraire pour la lice des combats spirituels: ici les luttes n'ont pas lieu par l'entrelacement des mains; mais la sagesse de l'âme et la vertu du coeur décident seuls de la victoire, et cependant le juge des jeux n'exige nullement de l'athlète qu'il produise ses titres de noblesse; il ne le fait point conduire sous les yeux des spectateurs, en demandant: quelqu'un a-t-il quelque chose à reprocher à celui-ci? Mais voici ce qu'il proclame: Quand tous les hommes, quand tous les démons, leur prince en tête, se lèveraient pour l'accuser et lui reprocher les dernières hontes, je ne le rejetterai pas, je ne le réprouverai pas; au contraire, je le délivrerai de ses accusateurs, je l'affranchirai de son iniquité, et ensuite je le mènerai au combat. Autre différence: dans les jeux publics le président n'aide pas les combattants à vaincre, il faut qu'il reste neutre; au contraire, dans l'espèce de combat où Dieu préside, il est l'auxiliaire de la vertu, et il prend une part active à la lutte contre le diable.

82044. Voici ce qu'il y a de merveilleux: non-seulement Dieu remet les péchés, mais il ne les révèle pas, il ne les fait pas connaître, il n'oblige pas les coupables à les accuser en public, mais il leur recommande de n'en rendre compte et de ne les confesser qu'à lui seul. Si un juge de ce monde disait à un voleur pris sur le fait ou à un violateur des tombeaux; avoue ton crime, et je te délivrerai; avec quelle joie, sacrifiant la honte à l'amour de la vie, n'accueillerait-il pas cette parole? Pour nous, rien de pareil. Le péché est remis, et l'on n'est point tenu de le dévoiler devant des assistants. Dieu ne demande qu'une chose, c'est que le pénitent absous comprenne la grandeur du bien. fait. Mais quelle absurdité! Dieu nous comble de faveur et se contente de notre témoignage; et nous, dans les hommages que nous lui rendons, nous voulons d'autres témoins, et nous n'agissons que par ostentation? Ah! plutôt, pleins d'admiration pour sa bonté, offrons-lui tout ce que nous possédons; et avant tout réprimons la fougue de notre langue, et ne parlons pas sans cesse: Les longs discours ne seront point exempts de péché. (Pr 10,49) Si vous avez quelque chose d'utile à dire, dites-le; si vous n'avez rien de pressant, taisez-vous, cela vaut mieux.

Travaillez-vous des mains? chantez en travaillant: vous ne voulez pas chanter de bouche? chantez de coeur. Le psaume est un utile compagnon. Vous n'en souffrirez aucun dommage, et vous pourrez vous trouver dans votre maison comme dans un monastère. Ce n'est point en effet la convenance des lieux, mais la sainteté de la vie qui nous fera jouir de la paix. Paul, exerçant son art dans un atelier, en vaut-il moins? Ne dites donc point: comment,, pauvre artisan que je suis, pourrai-je suivre la perfection chrétienne? C'est précisément ce qui vous donnera plus de facilité. Car la pauvreté est plus favorable à la piété que les richesses, et la vie occupée plus que l'oisiveté. Si l'on n'y prend garde, en effet, les richesses nous sont un obstacle. Mais faut-il calmer sa colère, étouffer l'envie, réprimer ses violences, faire oraison? faut-il se montrer honnête, doux, réservé, charitable? quel empêchement la pauvreté peut. elle y apporter? ce n'est point avec de l'argent que l'on pratique ces vertus, mais avec la (145) bonne volonté. L'aumône sans doute a besoin de richesses, mais la pauvreté la fait briller davantage. Celle en effet qui donna deux oboles, n'était-elle pas très-pauvre? et cependant elle eut plus de mérite que tous les autres. N'attachons donc pas d'importance à la for. tune, et ne donnons pas plus de prix à l'or qu'à la boue. La matière n'a pas de valeur par elle-même, mais d'après notre opinion. Pour un homme sérieux, le fer même est bien plus nécessaire que l'or. De quelle utilité en effet est l'or dans les besoins de la vie? au contraire le fer, employé dans un grand nombre de professions, nous procure la plupart des choses indispensables. Mais pourquoi comparer l'or et le fer? Les pierres même communes sont plus nécessaires que les pierres précieuses. Avec les unes on ne peut rien faire d'utile, mais avec les autres nous construisons des maisons, des remparts et des villes. Montrez-moi donc de quel avantage sont ces pierres précieuses, ou plutôt quel préjudice n'en découle point! En effet, pour que vous portiez une perle, il faut affamer une foule de pauvres. Quelle excuse présenterez-vous, quelle indulgence obtiendrez-vous donc?

Voulez-vous embellir votre visage? n'employez pas les pierres précieuses, mais la modestie et l'honnêteté, et votre époux vous trouvera plus aimable. Souvent en effet que résulte-t-il de la parure? des soupçons jaloux, des inimitiés, des injures, des luttes. Or est-il rien de plus désagréable qu'un visage suspect? au contraire la beauté de l'aumône et de la chasteté exclut tout soupçon défavorable; elle attache un mari plus fortement que toutes les chaînes. La nature en effet décore moins un visage que l'amour de celui qui le contemple; or rien n'attire cet amour comme la réserve et la pudeur. Aussi qu'une femme soit belle, si son époux est mal disposé à son égard, elle lui paraîtra la plus désagréable du monde; mais serait-elle privée de grâces, si elle lui plaît, il la regardera comme,la plus aimable de toutes. Nos jugements en effet ne se forment pas d'après la nature des choses qui nous frappent, mais d'après le sentiment de l'âme qui les voit par les yeux. Parez donc votre visage, mais que ce soit avec la modestie, l'honnêteté, l'aumône, l'affabilité, la charité, que ce soit avec la tendresse pour votre mari, votre douceur, votre bonté, votre patience dans les peines; voilà les fleurs de la vertu qui vous gagneront le coeur des anges et non des hommes, et qui vous mériteront les louanges de Dieu même; or, lorsque vous serez agréable à Dieu, il vous donnera tout le coeur de votre époux. Si en effet la sagesse de l'homme illumine son visage, quel éclat ne répandra pas la vertu de la femme? Mais enfin si vous tenez à cette parure, dites-moi, au grand jour, à quoi vous serviront toutes ces pierres précieuses? Hé! pourquoi rappeler ce grand jour? les circonstances présentes ne nous en offrent-elles pas une preuve frappante? Qu'avons-nous vu en effet lorsque ceux qui avaient outragé l'empereur étaient traînés devant les tribunaux et exposés au dernier supplice? Les mères, les épouses se dépouillaient de leurs colliers d'or, de leurs perles, de toute leur parure, de leurs vêtements somptueux; elles prenaient des habits simples et humbles, se couvraient la tête de cendres, et, se roulant devant les portes du tribunal, en cet état elles suppliaient leurs juges. Or, si dans ces jugements, les chaînes d'or, les perles, les riches vêtements sont regardés comme dangereux et perfides; si au contraire la douceur, la bonté, l'humiliation, les larmes, la négligence dans l'habillement, disposent mieux les juges, qu'arrivera-t-il donc, à plus forte raison, dans cet inévitable et redoutable jugement? Quelle raison pourrez-vous apporter, dites-moi, et quelle excuse, quand Dieu vous reprochera ces pierres précieuses, et fera paraître à vos yeux ces pauvres qui ont péri de misère?

Aussi saint Paul disait-il: Que les femmes ne se parent pas avec des cheveux frisés, ni avec l'or, ni avec les pierres précieuses, ni avec des habits précieux. (1Tm 2,9) De là naissent en effet des dangers. Et quand nous jouirions de ces avantages toute notre vie, la mort ne nous en séparera-t-elle pas totalement? Mais avec la -vertu, toute sécurité pour nous, aucun changement, et pas de ruine; elle nous donne plus de sûreté en ce monde, et nous accompagne en l'autre. Voulez-vous donc toujours posséder vos pierres précieuses, et ne perdre jamais votre opulence? Enlevez toute cette parure, et déposez-la par les mains des pauvres, dans le sein de Jésus-Christ. Il vous conservera toutes ces richesses; et quand, après la résurrection, il aura revêtu votre corps d'une brillante clarté, alors il l'embellira avec des ajustements plus riches, avec des ornements préférables à nos vêtements (144) grossiers et ridicules d'ici-bas. Pensez-y en effet; à qui voulez-vous plaire? et pour qui cette parure.? Pour un cordier, pour un fondeur, pour un courtier! pour vous en faire regarder et admirer! Quelle confusion! quelle honte de vous donner en spectacle, de vous livrer à toutes ces folies devant des gens auxquels vous ne daignez pas même adresser la parole!

Quel moyen donc de mépriser toutes ces frivolités? ce sera de vous rappeler cette parole de votre baptême: Je renonce à toi, Satan, à tes pompes et à ton culte; car l'amour insensé des pierres précieuses tient à la pompe diabolique. Vous avez reçu de l'or, est-ce en effet pour vous enchaîner les membres, ou pour délivrer et nourrir les pauvres? Dites donc fréquemment: Je renonce à toi, Satan; rien de plus sûr que cette parole, si nous la mettons en pratique.

82055. O vous, qui allez être baptisés, apprenez-la, je vous en conjure! c'est la formule de votre pacte avec le Seigneur. Quand nous achetons des esclaves, nous demandons auparavant à ceux qui sont à l'encan: voulez-vous nous servir? Ainsi fait Jésus-Christ. Quand il doit nous prendre à son service, il commence par nous dire: Voulez-vous quitter votre cruel et impitoyable tyran? et il nous admet dans son alliance. Son empire en effet n'est point forcé. Et voyez la bonté de Dieu! Nous, avant de payer, nous nous informons. auprès de ceux qui sont en vente, et quand nous sommes certains de leur volonté, alors nous donnons le prix. Jésus-Christ n'agit pas de la sorte: il a livré d'avance pour notre rançon tout son sang précieux: Vous avez été achetés à un grand prix (1Co 7,23), dit saint Paul. Et cependant il ne vous oblige pas de le servir malgré vous, et à moins que vous n'ayez la grâce et la volonté de vous engager sous ses lois de vous-mêmes et de votre propre mouvement. Je ne force point, dit-il, je ne contrains personne. Pour nous, nous n'achetons pas d'esclaves vicieux, et si cela nous arrive quelquefois, c'est par erreur; Jésus-Christ, au contraire, a acheté pour- son service des hommes ingrats et méchants, et il a payé comme pour le meilleur serviteur; il a même payé un prix beaucoup plus élevé, et tellement supérieur que sa grandeur est incompréhensible à la raison et à l'intelligence. A-t-il donné en effet le ciel, la terre et la mer? Non, mais quelque chose qui vaut mieux, son précieux sang; et après tous ces sacrifices, il n'exige de nous ni témoins, ni signature; il se contente d'une seule parole; et si vous dites de coeur: Je renonce à toi, Satan, et à tes pompes, votre maître atout ratifié. Disons donc: Je renonce à toi, Satan; et comme au grand jour nous rendrons compte de cette parole, gardons-la avec soin, afin de remettre ce dépôt tout entier.

Or, appartiennent aux pompes du démon les théâtres, les jeux du cirque, le péché quel qu'il soit, l'observation des jours, les enchantements et les présages.

Que sont donc les présages? Souvent un homme au sortir de sa maison, voit un borgne, un boiteux, et il en tire un présage; pompes de Satan. Est-ce en effet la vue d'un homme ou la vie passée dans le péché qui rend le jour mauvais? Quand vous sortez, évitez donc la rencontre du péché, voilà ce qui est funeste, et sans le péché, le démon lui-même ne peut vous faire aucun mal. Mais que dites-vous? Vous apercevez un homme, et vous augurez! et vous ne découvrez pas le piège de Satan? vous ne voyez pas qu'il vous rend ennemi de qui ne vous fait aucun mal, et que sans aucun motif raisonnable, il vous met en opposition avec votre frère? Dieu nous ordonne d'aimer même nos ennemis; mais vous, vous prenez en aversion celui qui ne vous a causé aucun tort, et à qui vous n'avez rien à reprocher! Quel travers ridicule, quelle honte, ou plutôt quel péril! Dévoilerai-je encore une chose plus ridicule? J'en rougis, j'en suis confus, mais votre salut me force à parler. Si l'on rencontre une vierge, jour perdu, dit-on; mais si c'est une prostituée, jour favorable, heureux, grand commerce, Vous vous cachez, vous vous frappez le front, vous baissez la tête 1 Mais est-ce quand on prononce ces paroles, que l'on en doit rougir, ou quand on les met en pratique? Voyez donc comme le démon cache ici ses ruses! Il détourne vos regards d'une femme modeste, et il vous inspire des penchants et de l'amour pour une impudique: pourquoi? c'est qu'il a entendu cette sentence de Jésus-Christ: Quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis l'adultère (Mt 5,28); c'est qu'il a vu bon nombre d'âmes triompher de la luxure; alors voulant les ramener au péché par une autre voie, il les a portées, au moyen de ce présage, à fixer avec plaisir leur vue sur une femme débauchée.

Mais que dire de ceux qui emploient les (145) enchantements, les ligatures, et qui enveloppent leur tête et leurs pieds des médailles d'airain d'Alexandre de Macédoine? Dites-moi, après la croix et la mort de Notre-Seigneur, devions-nous nous attendre à ce que nous mettrions l'espoir de notre salut dans l'image d'un roi païen? Ignorez-vous donc l'immense pouvoir de la croix? N'a-t-elle pas détruit la mort, anéanti le péché, dépeuplé l'enfer, brisé la puissance du démon? et vous ne la jugeriez pas capable de sauver vos corps? Elle a rassuré tout l'univers, et elle ne serait pas digne de votre confiance? Oh! quel châtiment ne mériteriez-vous pas? Mais outre vos ligatures, vous vous entourez encore d'enchantements, introduisant à cet effet dans vos maisons de vieilles femmes ivres et chancelantes; et vous n'êtes pas confus, vous n'êtes pas honteux, après nos sublimes enseignements, de vous laisser encore fasciner à ces impostures? Et ce qui est encore plus funeste que l'erreur même, c'est qu'à nos avertissements pour en détourner, on oppose cette excuse imaginaire, on nous dit: Cette enchanteresse est chrétienne, elle ne profère que le nom de Dieu. Voilà précisément pourquoi je l'ai en abomination! car elle ne prononce le nom divin que pour l'outrager; elle se dit chrétienne, et elle fait les oeuvres des païens. Les démons eux-mêmes ne proféraient-ils pas ce saint nom? et cependant c'étaient des démons; ils disaient, il est vrai, à Jésus-Christ Nous savons que vous êtes le Saint de Dieu; et néanmoins il les réprimanda et les chassa. Je vous en supplie donc, n'ayez aucune part à ces fourberies, et prenez pour défense la parole de votre baptême. Voudriez-vous descendre au forum sans chaussures, ni vêtements? Eh bien 1 ne paraissez jamais en public sans cette sainte parole; et avant de franchir le seuil de votre porte, dites: Je renonce à toi, Satan, à tes pompes, à ton culte, et je m'attache à vous, ô Jésus-Christ! Ne sortez jamais sans cette parole: elle sera votre défense, votre bouclier, elle sera pour vous une tour imprenable. Avec cette parole, imprimez la croix sur votre front. Et alors ni la rencontre d'un homme, ni le démon lui-même ne pourra vous nuire grâce à cette armure qui vous couvrira de toutes parts. - Désormais instruisez-vous de ces vérités, afin que, quand vous entendrez le signal, vous soyez comme un soldat bien équipé, et que, triomphant du démon, vous receviez la couronne de justice que je vous souhaite à tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel soit la gloire, avec le Père et le Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


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