Chrysostome Homélies 18400


Quatrième homélie.

ANALYSE.

1. C'est le quatrième jour que l'orateur entretient son auditoire au sujet de la pénitence. - Combien la pénitence est consolante, et l'exemple des autres propre à nous encourager! - 2. La vertu est facile dans l'adversité, difficile dans la prospérité. - 3. Les saints ne se laissent ni abattre par la mauvaise fortune, ni enfler par la bonne. - 4. Cherchez, non auprès des hommes, mais dans le sein de Dieu, un refuge toujours facile à trouver. - 5. Si Dieu permet que nous soyons souvent affligés, c'est afin de nous forcer à recourir à lui.



18401 1. Les bergers conduisent habituellement leurs brebis aux endroits où ils voient l'herbe plus abondante, et ils ne les en retirent que lorsque le pâturage est entièrement dépouillé. Nous les imitons: voici le quatrième jour que nous faisons paître notre troupeau sur le champ de la pénitence et nous ne songeons pas encore aujourd'hui à le quitter: car nous voyons qu'il y a abondance d'excellente nourriture en même temps qu'abondance de contentement et de profit.

Le feuillage des arbres, qui sert aux troupeaux d'abri contre les ardeurs du midi, qui répare l'épuisement de leurs forces, qui leur fournit une ombre agréable et utile, qui les invite à un doux sommeil, ne vaut pas pour eux ce que vaut pour nous la méditation des divines Ecritures; elle repose et rafraîchit les âmes endolories et abattues de fatigue; elle tempère la violence et la fièvre de leurs peines, elle leur offre des consolations plus suaves et plus réparatrices que tous les ombrages. Lorsqu'un homme surpris et circonvenu par la tentation est tombé, lorsqu'il est rongé par ses remords, lorsqu'au souvenir de son péché il se plonge dans un abîme de découragement et se sent chaque jour davantage embrasé par des flammes secrètes, lorsque des milliers de consolateurs ne lui apportent aucune consolation, s'il entre dans l'église et s'il entend raconter qu'une multitude de saints se sont relevés après être tombés et sont rentrés en possession de leur dignité première, cet homme s'en retourne après avoir recouvré intérieurement son courage. Quand nous avons souvent offensé les hommes, nous n'osons pas découvrir notre faute, nous avons peur, nous avons honte; et si nous la découvrons, nous ne gagnons guère; mais quand c'est Dieu qui nous console et qui nous touche le coeur, toute la tristesse satanique s'enfuit rapidement. Aussi les chutes des saints nous ont été décrites à cette fin que justes et pécheurs en retirent un abondant profit. Le pécheur ne se laisse pas aller au découragement et au désespoir, quand il voit qu'un autre, tombé comme lui, a eu la force de se relever: le juste devient plus diligent et plus ferme; car, quand il voit que tant d'autres, meilleurs que lui, ont failli, il puise dans la crainte d'une chute pareille à la leur la circonspection, il fait bonne garde partout, il s'entoure de la plus active vigilance: de la sorte, celui qui a préservé sa vertu la préserve mieux encore, celui qui a péché se sauve du désespoir; l'un reste ferme, l'autre recouvre promptement ce qu'il a perdu. Lorsqu'un (292) homme nous console dans nos peines et que nous semblons reprendre courage pour un temps, bientôt nous retombons dans notre même faiblesse; mais lorsque Dieu se charge de nous exhorter par l'exemple de ces autres pécheurs qui se sont repentis et sauvés, il nous met sa bonté dans une telle lumière que, ne pouvant douter de leur salut, nous recevons par là un encouragement solide et efficace. Ainsi, dans le cas de péché comme dans les accidents périlleux pour nous, les antiques récits de l'Ecriture offrent un bon remède aux âmes affligées, à toutes celles du moins qui veulent y prêter attention. Sommes-nous frappés par la confiscation de nos biens ou par les délations de vils calomniateurs, ou par la condamnation à la prison ou par les verges ou par quelque autre malheur, jetons les yeux sur ces justes qui ont souffert les mêmes calamités et les ont supportées, et nous pourrons revenir promptement à nous-mêmes. Dans les maladies du corps, celui qui souffre ne fait, en contemplant les maux d'autrui, qu'augmenter son propre mal ou même se donner souvent celui qu'il n'avait pas: ainsi regarder certaines gens qui ont les yeux malades suffit pour contracter par la vue seule la même infirmité; en ce qui concerne l'âme, il n'en est pas ainsi, mais c'est tout l'opposé qui arrive; penser habituellement à ceux qui ont souffert les mêmes maux que nous est le moyen d'alléger le sentiment douloureux de nos propres misères. C'est pourquoi saint Paul exhortait les fidèles en leur mettant sous les yeux les saints non-seulement ceux qui étaient vivants, mais ceux encore qui étaient morts. S'adressant aux Hébreux qui chancelaient, qui menaçaient de faillir, il leur rappelait Daniel, les trois jeunes gens, Elie, Elisée; il leur disait.: Ils ont fermé la gueule des lions, ils. ont arrêté la violence du feu, ils ont échappé au tranchant du glaive, ils ont été lapidés, ils ont été en butte aux insultes et aux coups, ils ont subi les chaînes et la prison. Ils ont été errants, couverts de peaux de brebis et de chèvres, manquant de tout, affligés, persécutés, eux dont le, monde n'était pas digne (
He 11,34) - La communauté de souffrances console les malheureux être seul à supporter quelque mal considérable, c'est souffrir sans soulagement; mais trouver un compagnon de misère, c'est rendre la plaie plus douce.

184022. Donc, si nous voulons ne pas succomber aux maux qui semblent devoir nous accabler, méditons avec soin les récits de l'Ecriture c'est là que nous recueillerons de nombreuses ressources de patience, non - seulement en nous consolant par les exemples de ceux qui ont subi les mêmes afflictions que nous, mais aussi en apprenant les moyens de nous délivrer des peines qui nous ont frappés, de conserver la grâce du pardon après l'avoir reconquise, de nous préserver de la négligence et de ne pas nous laisser emporter par une folle témérité. Que sous la pression de l'adversité nous soyons soumis et humbles, nous montrions une grande religion, ce n'est pas étonnant: la nature des épreuves est telle précisément qu'elle force les âmes (fussent-elles rudes comme la pierre) à en venir là, à sentir la douleur: mais c'est le fait d'une âme religieuse et tenant toujours Dieu présent à son regard -de ne pas retomber, même après qu'elle est sortie des épreuves, dans l'insouciance et dans l'oubli du devoir. Ce qui arriva souvent aux Juifs. C'est pourquoi le Prophète leur disait en se raillant d'eux: Quand Dieu les faisait périr, ils le recherchaient, ils revenaient à lui, ils accouraient dès le petit jour. (Ps 77,34) Et Moïse, qui les connaissait par expérience, les exhortait souvent en ces termes: Quand tu auras mangé et bu, quand tu seras rassasié, prends garde à toi, de peur que tu n'oublies le Seigneur ton Dieu. (Dt 6,12) Aussi ne faut-il pas tant admirer les saints parce que au fort de la tribulation ils furent pieux et sages, que parce que, la tempête passée et le calme revenu, ils ont persévéré dans la prudence et la ferveur. Il faut admirer un cheval qui peut, sans le secours du frein, fournir une course parfaitement régulière; mais que, maintenu par le mors et la bride, il aille droit son chemin, je n'y vois rien d'extraordinaire: en ce cas, ce n'est pas à l'excellence du sang, mais à la nécessité imposée par le frein, qu'il convient d'attribuer la régularité de sa marche. Disons la même chose de l'âme: qu'elle soit docile sous la pression de la crainte, ce n'est pas étonnant; mais lorsque les épreuves sont passées et que le frein de la terreur est écarté, montrez-moi une âme se possédant dans la sagesse et dans une parfaite ordonnance. Ah! je crains bien qu'en voulant accuser les Juifs, je ne fasse le procès à notre propre vie: dans le temps où nous étions poursuivis par la faim, la peste, la grêle, la sécheresse, l'incendie, les incursions (293) d'ennemis, les églises ne se trouvaient-elles pas chaque jour trop petites pour la multitude qui y affluait? Alors nous avions une belle sagesse, un grand mépris pour les choses de cette vie plus de soif d'argent, plus d'ambition de gloire, plus d'appétits et d'amour lascifs, aucune pensée mauvaise enfin ne nous agitait; tous, nous nous adonnions avec des prières et des larmes au culte divin. En ce temps-là le fornicateur se conduisait avec modestie, le rancunier courait à la réconciliation, l'avare s'adoucissait jusqu'à faire l'aumône, l'homme emporté et brutal se convertissait à l'humilité et à la mansuétude. Mais, lorsque Dieu eut déposé sa colère, chassé cette tempête, et ramené le calme après de tels orages, nous sommes rentrés dans nos habitudes d'autrefois. Or, à l'époque même de la tribulation, je ne cessais de vous prédire cela et de l'attester à l'avance; mais je n'ai rien gagné: sous avez écarté de vos souvenirs toutes - ces choses comme un songe, comme une ombre qui passe. C'est pourquoi je crains maintenant plus que je ne craignais alors; et je redoute à présent davantage ce que je vous annonçais alors, je crains que nous n'attirions sur nous des calamités plus terribles et que nous ne recevions de la main de Dieu une irrémédiable blessure. Celui qui, après avoir souvent péché, a obtenu de Dieu le pardon et qui néanmoins n'a pas ensuite profité de cette divine tolérance pour déposer son iniquité, Dieu le traite enfin de telle sorte que bon gré mal gré il accumule sur lui une montagne de maux, il l'en écrase, il ne lui laisse aucun recours à la pénitence c'est ce qui arriva au Pharaon égyptien. Après avoir éprouvé l'immense longanimité de Dieu dans la première, la deuxième, la troisième, la quatrième plaie et dans toutes les autres qui suivirent, après en avoir négligé tout le bénéfice, il fut enfin renversé et anéanti totalement avec tout son peuple. Les Juifs éprouvèrent le même sort. C'est pourquoi le Christ, qui se disposait à les perdre et à les frapper d'une ruine irréparable, leur disait: Que de fois j'ai voulu rassembler vos enfants, et vous ne l'avez pas voulu! Voilà que votre maison sera abandonnée à la solitude! (Lc 13,34) Je crains que nous n'ayons à subir, nous aussi, le même châtiment, puisque ni les maux d'autrui ni les nôtres ne nous out ramenés à la sagesse. Ce que je dis, je ne le dis pas seulement à vous qui êtes ici présents, je le dis encore à ceux qui ont fait divorce avec la ferveur quotidienne et qui ont oublié les calamités passées, à ceux que je m'épuisais à avertir, en ne cessant de leur dire: lors même que les épreuves seraient passées, gardez-en dans vos âmes le souvenir, afin que nous rappelant sans cesse le bienfait, nous rendions sans cesse grâces à Dieu qui l'a octroyé.

184033. Voilà ce que je disais alors, ce que je dis encore aujourd'hui; voilà ce que je dis par vous aux autres. Imitons les saints qui ne se laissèrent ni abattre par le malheur ni amollir par la prospérité, comme ont fait bien des gens de notre temps, pareils à ces barques légères qui sont enveloppées et submergées par la moindre agitation des flots. Souvent la pauvreté, arrivant à l'improviste, nous coule à fond et nous noie; d'autres fois la richesse, en nous favorisant, nous enfle et nous jette dans la plus complète oisiveté. Je vous en supplie donc, dédaignez tout le reste pour songer, chacun de votre côté, à préparer vos âmes pour le salut; votre salut une fois assuré, peu importe quels maux vous frappent; la faim, la maladie, la délation, le pillage de vos biens, un malheur quelconque, tout vous sera tolérable et léger en raison du précepte de Dieu et de l'espérance que nous avons en lui; mais au contraire, c'est en vain que la richesse abonde, que les enfants prospèrent, que des biens infinis vous fournissent toutes les jouissances, l'homme qui les possède ne fait qu'accumuler des chagrins et des peines, quand son âme est mal disposée vis-à-vis de Dieu. Ne poursuivons pas l'opulence et ne fuyons pas la pauvreté; ayons avant tout le souci de notre âme, mettons-la en bon ordre non-seulement pour l'arrangement de notre vie présente, mais encore pour notre départ de ce monde en l'autre. Encore un peu de temps, et l'examen de chacun de nous aura lieu, lorsque devant le tribunal redoutable du Christ nous comparaîtrons tous, entourés de nos oeuvres personnelles, et voyant de nos propres yeux, ici les larmes des orphelins, là les honteuses débauches dont nous avons souillé nos âmes, ailleurs les gémissements des veuves, plus loin les outrages faits aux malheureux et les rapines commises contre les pauvres, et non-seulement ces actes coupables et tous les autres semblables, mais encore tout ce que nous avons fait de mal par la pensée: Dieu est en effet le scrutateur des pensées et le juge des intentions. (He 4,42); (294) c'est lui qui examine les coeurs et les reins, (Ps 7,10), lui qui rend à chacun selon ses oeuvres. (Mt 16,27)

Ce sermon ne regarde pas uniquement ceux qui vivent dans le siècle, mais ceux aussi qui, pour mener la vie monastique, sont allés dans les montagnes dresser leurs tentes; ils doivent non-seulement garder leurs corps purs de toute souillure de fornication, mais aussi préserver leurs âmes de la satanique envie de posséder. C'est aux hommes et à l'Eglise tout entière, autant qu'aux femmes, que saint Paul s'adresse quand il dit que l'âme virginale doit être pure de corps et d'esprit (1Co 7,34); et ailleurs: Offrez à Dieu vos corps purs comme une vierge chaste. (2Co 11,2) Comment chaste? N'ayant ni souillure ni ride. (Ep 5,27) Ces vierges, qui n'avaient que des lampes éteintes, possédaient lai virginité du corps, mais non pas la pureté du coeur; aucun homme ne les avait souillées sans doute, mais l'amour de l'argent les avait corrompues. Leur corps était pur, mais leur âme était remplie par d'autres adultères: là régnaient les pensées mauvaises, et l'avarice, et la dureté, et la colère, et l'envie, et l'oisiveté, et la négligence, et l'orgueil, et tous les autres vices qui insultaient à leur dignité de vierges. C'est pourquoi saint Paul disait: Que la vierge soit sainte de corps et d'esprit (1Co 7,34); et ailleurs: La vierge doit s'offrir parfaitement chaste au Christ. (2Co 11,2) De même que le corps se souille dans la fornication, ainsi l'âme se déshonore par les pensées sataniques, les dogmes pervers, les maximes déraisonnables. Celui qui dit: je suis vierge de corps, mais dans le coeur je porte envie à mon frère; celui-là n'est pas vierge, il a corrompu sa virginité en la mêlant de haine. Celui qui ambitionne une misérable gloire, n'est pas vierge non plus, il a corrompu sa virginité par l'amour des sottes fascinations; cette passion une fois entrée dans le coeur y ruine la virginité. Celui qui hait son frère s'appellerait plutôt assassin que vierge. En résumé, toute passion mauvaise, en s'emparant d'un homme, en a, du même coup, empoisonné la virginité. Pour cette raison, saint Paul repousse tous ces funestes mélanges et nous ordonne d'être vierges, de telle sorte que nous ne donnions librement accès dans notre âme à aucune pensée mauvaise.

184044. Que dire à cela? Comment obtiendrons-nous miséricorde, et comment nous sauverons-nous? Je vais vous le dire: ouvrons toujours notre coeur à la prière et à ses fruits, c'est-à-dire à l'humilité et à la douceur. Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur; et vous trouverez le repos pour vos âmes. (Mt 11,29) Et David: Le sacrifice agréable à Dieu est une âme pénitente; Dieu ne méprisera pas un coeur contrit et humilié. (Ps 1,19) Dieu ne recherche et n'aime rien tant qu'une âme douce, humble et reconnaissante. Et vous aussi, mon frère, remarquez ceci lorsqu'un accident vous frappe à l'improviste et vous chagrine, ne cherchez pas refuge auprès des hommes, ne jetez pas les yeux sur un secours périssable; mais, laissant tout cela de coté, courez par la pensée au médecin des âmes. Le seul qui puisse apporter remède aux blessures de votre coeur est Celui qui a fait le coeur de chacun de nous et qui connaît toutes nos oeuvres (Ps 32,15); voilà celui qui peut entrer dans notre conscience, poser la main sur notre âme et l'émouvoir. S'il n'y parvient pas, tout ce qu'essayeront les hommes restera inutile et vain; au contraire, lorsque Dieu nous console et nous exhorte, rien n'est capable de nous faire le moindre préjudice, lors même que les hommes nous écraseraient de mille chagrins; quand Dieu affermit notre coeur, rien ne peut l'ébranler.

Puisque nous savons cela, mes amis, cherchons toujours notre refuge auprès de Dieu, auprès de celui qui a volonté et pouvoir de nous délivrer du malheur. Lorsqu'il nous faut implorer les puissances humaines, nous sommes obligés de parlementer d'abord avec les portiers, puis de nous adresser aux habitués de la maison et aux courtisans, et enfin de parcourir un long détour; avec Dieu, rien de semblable, il nous écoute sans intermédiaire, il accueille nos requêtes sans dépense et sans frais; il suffit de crier du fond du coeur vers lui, de lui offrir nos larmes, à peine admis en sa présence nous l'attirons à nous. Recourons-nous à un homme, souvent nous avons à craindre qu'un de nos ennemis, un de leurs affidés, un adversaire quelconque, entendant l'exposé de notre affaire ou l'apprenant par autrui, né vienne à la traverse de notre droit; avec Dieu nous n'avons aucune inquiétude de ce genre. Lorsque vous voulez me prier, nous dit-il, venez à moi, venez tout seul, sans témoins, c'est-à-dire priez du coeur, sans remuer même les lèvres. Entrez dans votre chambre, fermez-en la porte sur (295) vous et priez votre Père en secret; et votre Père, qui voit ce qui se passe en secret, vous accordera en public ce que vous demanderez. (Mt 6,6) Voyez quel excès d'honneur! Lorsque vous me priez, dit-il, faites que personne ne s'en aperçoive; mais lorsque je vous favorise, je rends toute la terre témoin de mon bienfait. Laissons-nous donc persuader prions; mais ne prions ni pour l'apparence, ni contre nos ennemis, et ne prétendons pas enseigner à Dieu la manière dont il nous doit secourir. Quand nous nous adressons aux avocats et aux rhéteurs qui plaident devant les tribunaux, nous leur exposons simplement nos affaires, nous les laissons libres de choisir eux-mêmes le mode de la défense et de traiter de nos intérêts comme ils l'entendront; à plus juste titre, faut-il en agir de même sorte avec Dieu. Lui avez-vous expliqué votre cause et raconté vos souffrances? eh bien! prenez garde de lui expliquer aussi de quelle façon il doit vous aider; il sait parfaitement ce qui vous convient. Il est certaines gens qui, pour prier, récitent à la file des milliers de phrases: Seigneur, donnez-moi la santé du corps; Seigneur, augmentez au double mes possessions; Seigneur, protégez-moi contre cet ennemi. Tout cela est pleinement absurde. Il faut écarter toutes ces sottes réclames, et prier uniquement à la manière de ce publicain qui disait: Mon Dieu, ayez pitié d'un pauvre pécheur. (Lc 18,13) Et Dieu saura bien comment vous secourir. Cherchez d'abord le royaume de Dieu, dit l'Evangile, et tout le reste vous sera donné par surcroît. (Mt 6,33) Pratiquons donc, mes chers amis, pratiquons cette laborieuse et humble sagesse, frappons notre poitrine à l'exemple du publicain, et nous obtiendrons ce que nous demandons; si notre prière sort d'une âme remplie par la colère et la haine, nous serons trouvés devant le Seigneur, abominables et odieux. Broyons notre coeur, humilions notre âme, prions pour nous et pour ceux qui nous persécutent. Si vous voulez attirer le Juge souverain au secours de votre âme et l'attacher à votre parti, ne l'interpellez jamais contre votre ennemi. Ce Juge, en effet, est de tel caractère, qu'il accueille et exauce les demandes de ceux qui prient pour leurs ennemis, qui oublient les injures reçues, qui rie s'emportent pas contre leurs adversaires; et d'autant qu'ils entrent davantage en ces dispositions, d'autant Dieu traite plus rigoureusement leurs ennemis, si ces derniers ne se convertissent pas à une sincère pénitence.

184055. Quand une injure vient vous atteindre, prenez garde, mes frères, de vous livrer de suite à l'indignation et au découragement; rendez plutôt grâces à Dieu avec une sage modération et attendez son secours. Dieu ne pouvait-il pas, avant toute prière, nous accorder tous les biens? Ne pouvait-il pas nous faire une vie exempte de douleurs et libre de tout souci? Eh bien! il réalise ces deux choses par un ingénieux procédé de son amour. Pourquoi permet-il que nous souffrions, sans venir immédiatement à notre aide? Pourquoi! Pour nous obliger à recourir à lui sans cesse, à réclamer son appui, à chercher près de lui un refuge, à invoquer perpétuellement son assistance. Voilà d'où viennent les douleurs physiques, d'où vient la disette des fruits de la terre, d'où viennent les famines; par toutes ces calamités, il nous montre que nous dépendons de lui entièrement, et par les malheurs du temps il nous fait conquérir l'héritage de la vie éternelle. Aussi devons-nous, même pour ces maux, rendre grâces à Dieu qui les emploie comme de nombreux moyens de guérir et de sauver nos âmes. Les hommes qui nous ont rendu quelque mince service et que, plus tard, nous contrarions légèrement, même sans le vouloir, ces hommes, dis-je, nous reprochent aussitôt le bienfait reçu et nous le jettent au visage, de telle sorte que souvent nous regrettons amèrement de l'avoir accepté; Dieu n'agit pas ainsi, outragé et insulté après les plus magnifiques largesses, il s'excuse encore, il entre en explications avec celui qui l'offense: O mon peuple que t'ai-je fait? dit-il. Le peuple ne voulait pas l'appeler son Dieu, mais Dieu ne cessait de l'appeler son peuple; les Juifs reniaient son autorité, mais Dieu ne les reniait pas, ne cessait pas de les traiter comme siens et de les attirer à lui, en disant: O mon peuple, que t'ai-je fait? Est-ce que j'ai été pour toi une charge, un fardeau, un embarras? Tu ne peux pas le dire; et, quand cela serait, faudrait-il donc résister de la sorte? Quel est le fils que son père ne corrige jamais? (He 12,7) Et pourtant vous ne pouvez pas même dire cela. Et ailleurs il demande encore Quel sujet de plaintes vos pères ont-ils trouvé en moi? (Jr 2,15) Grande et étonnante parole! En l'employant, il semble dire: En quoi ai-je péché? Et c'est Dieu qui demande (296) à des hommes en quoi il a péché, Dieu qui s'exprime comme des esclaves ne voudraient pas s'exprimer en parlant à leurs maîtres. Dieu ne dit pas: En quoi ai-je péché contre vous, mais il dit: contre vos pères; vous ne pouvez pas même prétexter que vous conservez contre moi une inimitié que vous auraient transmise vos ancêtres. Dieu ne dit pas tout simplement: Qu'est-ce que vos pères ont eu contre moi, mais il dit: Qu'est-ce que vos pères ont trouvé contre moi. Après avoir bien cherché, après avoir examiné dans tous les sens pendant les années si nombreuses qu'ils ont passés sous- mon autorité, ils n'ont pas trouvé un seul reproche à me faire. - Pour tous ces motifs, courons nous réfugier auprès de lui, dans tous les chagrins demandons-lui la consolation, dans toutes les calamités la délivrance et sa miséricorde, dans toutes les tentations son secours; quelle que soit la grandeur de nos maux et de nos misères, il peut tout dissiper et écarter, et non-seulement cela, mais encore sa bonté nous accordera la pleine sécurité, et la force, et la vraie gloire, et la santé du corps, et la sagesse de l'âme, et les plus belles espérances, et la grâce de ne plus pécher si facilement. Ne murmurons plus à la manière de serviteurs ingrats, n'accusons plus le Seigneur, mais rendons-lui grâces en toutes choses, et n'estimons comme un mal que le péché qui l'outrage. Si nous mettons en nous ces dispositions envers Dieu, rien ne nous séparera de lui, ni la maladie, ni la pauvreté, ni les outrages, ni la disette, ni quoi que ce soit de ce qu'on range parmi les maux de ce monde; mais, après avoir recueilli ici-bas de pures et chastes joies, nous obtiendrons les biens éternels par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient ainsi qu'au Père et à l'Esprit-Saint la gloire maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. l'abbé A. SONNOIS.




18500

Cinquième homélie (1).

Du jeûne; - sur le prophète Jonas; - sur Daniel et les trois jeunes hommes; - sur la Pénitence; - elle a été prononcée au commencement du Carême.


1. Traduction de l'abbé Auger, revue.

ANALYSE.

1. Le jeûne nous rassemble dans la maison de Dieu notre Père, et nous ramène dans les bras de l'Eglise notre Mère. - Il met en fuite les démons, il soutient la vertu des solitaires, il conduisait Moïse et Elie en présence de Dieu. - 2. Vous méprisez le jeûne, Dieu porte contre vous une sentence de mort; vous le pratiquez, Dieu la révoque. -Exemple des Ninivites. - 3. Un jeûne de trois jours les sauva. - C'est moins la longue durée que l'énergie de la pénitence qui efface les péchés. - Exemple de saint Pierre. - 4. Ce fut par le jeûne que Daniel se fit respecter du lion, et les trois jeunes hommes de Babylone des flammes dans lesquelles ils avaient été jetés. - 5. Le jeûne est utile, même pour la santé. - Il s'excuse d'en dire davantage sur ce que l'évêque Flavien devait parler après lui.


185011. C'est aujourd'hui un jour de fête et d'allégresse, et notre assemblée est plus nombreuse qu'à l'ordinaire. A quoi faut-il l'attribuer? au jeûne. C'est le fruit de sa présence, ou plutôt de son approche. Le jeûne nous rassemble dans la maison de notre père; le jeûne réveille notre zèle, et nous ramène dans les bras de notre mère. Mais si l'attente seule nous inspire une telle ardeur, combien plus sa présence même nous rendra-t-elle vigilants et attentifs! Une ville que doit visiter un gouverneur sévère sort de son engourdissement, et déploie toute son activité. Mais que cette comparaison du jeûne avec un gouverneur sévère ne vous effraye pas; ce n'est pas pour vous qu'il est redoutable, c'est pour les démons. Qu'un homme soit agité de l'esprit impur, montrez-lui seulement la figure du jeûne; enchaîné par la crainte, il deviendra calme et aussi immobile qu'un terme, surtout s'il voit associée au jeûne sa soeur et sa compagne, je veux dire la prière. Cette espèce de démon, dit Jésus-Christ, ne se chasse que par te jeûne et la prière. (Mt 17,20) Puisque le jeûne chasse les ennemis de notre salut, et qu'il est redoutable à nos adversaires les plus terribles, nous devons, loin de le craindre, le chérir et l'embrasser avec joie. C'est l'ivresse, c'est l'intempérance, et non le jeûne, qu'il faut redouter. L'intempérance nous charge de fers, elle nous livre à la tyrannie de nos passions comme à un maître dur et cruel, au lieu que le jeûne, brisant nos liens, nous affranchit du joug insupportable d'une odieuse servitude, et nous rend la liberté que nous avions perdue. Si donc il combat nos ennemis, s'il nous fait passer de l'esclavage à la liberté, où trouver une preuve plus forte de son amour pour l'espèce humaine? La plus forte preuve d'amitié que l'on puisse donner à quelqu'un, n'est-ce pas d'aimer ce qu'il aime et de haïr ce qu'il hait? Voulez-vous apprendre comment le jeûne est (298) le plus bel ornement de l'homme, et sa plus forte défense, pensez à l'ordre bienheureux et admirable des solitaires. Ils ont fui le tumulte de ce monde pour se réfugier sur le sommet des montagnes, et se formant des cabanes dans la solitude, comme dans un port tranquille, ils ont pris le jeûne pour leur associé et pour leur compagnon. Le jeûne en a fait des anges; il les élève au faîte d'une philosophie sublime, et non-seulement eux, mais tous ceux encore qui dans les villes suivent fidèlement ses leçons. Moïse et Elie, qui s'élèvent comme des tours sublimes parmi les prophètes de l'Ancien Testament, ces hommes si illustres et si grands, avaient beaucoup de crédit auprès de Dieu; cependant toutes les fois qu'ils voulaient en approcher et converser avec lui, autant qu'il est possible à un simple mortel, ils avaient recours au jeûne, qui les conduisait comme par la main auprès de la Divinité. Aussi lorsque Dieu eut créé l'homme, il le mit aussitôt entre les mains du jeûne, comme entre les mains d'une mère tendre et d'un excellent maître. Ces paroles: Tu peux manger de tous les fruits des arbres de ce jardin, mais ne touche pas au fruit de l'arbre de la science du bien et du mal (Gn 2,16 Gn 2,17), sont une espèce de précepte du jeûne. Or, si le jeûne était nécessaire dans le paradis terrestre, à plus forte raison l'est-il dans le monde. Si le remède était utile avant la blessure, à plus forte raison l'est-il après; si nous avions besoin d'armes lorsque les passions ne nous avaient pas encore déclaré la guerre, à plus forte raison le jeûne nous est-il nécessaire, maintenant que les passions et les démons se liguent pour nous combattre. Si Adam avait écouté la première parole de Dieu, il n'eût pas entendu cette seconde: Tu es terre et tu retourneras en terre. (Gn 3,19) C'est parce qu'il a désobéi qu'il a trouvé la mort, les ronces, les épines, le travail, une vie agitée par les inquiétudes, une vie plus triste que la mort même.

185022. Vous voyez comme Dieu s'irrite lorsqu'on dédaigne le jeûne: écoutez comme il s'apaise lorsqu'on le pratique. Vous méprisez le jeûne, Dieu porte contre vous une sentence de mort; vous le pratiquez, Dieu la révoque. Comme il voulait vous montrer toute la vertu de ce pieux exercice, il lui a donné le pouvoir de rappeler des voies du trépas et de ramener à la vie des hommes déjà condamnés, déjà sous le poids d'une sentence et qu'on traînait au supplice, et cet effet ne s'est pas étendu à deux ou trois, à vingt hommes seulement, mais à tous les Ninivites. Une ville immense et magnifique, couchée dans la poussière, sur le bord du précipice, allait recevoir du ciel le coup qui devait la faire rouler dans l'abîme, lorsque le jeûne, comme une vertu survenue d'en-haut, l'a arrachée des portes de la mort et l'a ramenée à la vie. Mais déroulons ensemble des pages de cette grande histoire. Le Seigneur adressa la parole à Jonas, dit l'Ecriture, allez, lui dit-il, dans la grande ville de Ninive. (Jon 1,12) D'abord Dieu cherche à intéresser le prophète, dont il prévoit la fuite, par la grandeur et l'importance de la ville. Mais entendons la prédiction: Encore trois jours, et Ninive sera détruite. (Jon 3,4) Pourquoi annoncer à l'avance tout le mal que vous allez faire? -Afin de n'être pas obligé d'accomplir ce que j'annonce. Ainsi, vous l'entendez, il menace ce peuple des feux de l'enfer, pour ne pas l'y jeter. Que mes paroles, dit-il, vous inspirent un salutaire effroi, afin que vous n'en éprouviez pas l'effet. Pourquoi resserre-t-il le temps dans un si court espace? c'est pour nous montrer toute la vertu de ces barbares, je veux dire des Ninivites qui, en trois jours, savent écarter de leurs têtes les maux qu'avaient mérités leurs crimes. C'est aussi pour que vous admiriez la clémence de Dieu, dont une pénitence de trois jours suffit pour désarmer le courroux, et que vous ne tombiez pas dans l'abattement, quel que soit d'ailleurs le nombre de vos péchés. En effet, de même qu'une âme engourdie dans la paresse ne travaille que faiblement à son salut et à sa réconciliation avec Dieu, quoiqu'elle ait tout le temps nécessaire à la pénitence, de même une âme embrasée d'une sainte ardeur, et qui s'empresse de se laver de ses péchés dans les eaux de la pénitence, peut, dans un court espace de temps, effacer jusqu'à la trace de ses souillures. Pierre n'a-t-il pas renié trois fois son maître? trois fois n'a-t-il pas juré qu'il rie le connaissait pas? Les paroles d'une misérable servante n'avaient-elles pas glacé son courage? Eh bien! a-t-il eu besoin de plusieurs années de pénitence? Non, sans doute, il s'est relevé la même nuit qu'il était tombé; blessure et remède se sont suivis de près; malade, il a recouvré soudain la santé. Comment? par son repentir et par ses larmes. Que dis-je? par des torrents de larmes (299) qu'il versa. Car l'Evangéliste ne dit pas seulement qu'il pleura, mais qu'il pleura amèrement. (Mt 26,75) il n'y a pas d'expression assez forte pour peindre l'abondance de ses pleurs; l'événement le fait voir clairement. Après cette chute déplorable sans doute, puisque rien ne peut égaler l'horreur de ce reniement honteux, après cette chute, Pierre remonte à sa dignité première, et Dieu lui confie le gouvernement du monde entier, et ce qu'il y a de plus admirable, il nous le montre plus attaché au Seigneur que tous les apôtres ensemble. Pierre, lui dit-il, m'aimez-vous plus que ne font ceux-ci? (Jn 21,15) Est-il un exemple plus éclatant de ce que peut le repentir? Pour qu'on ne dise pas que si Dieu a pardonné aux Ninivites, cela n'a rien d'étonnant, puisque c'étaient des hommes grossiers et ignorants, et pour que l'on n'atténue pas la miséricorde divine en s'autorisant de ces paroles: Le serviteur qui n'aura pas su la volonté de son maître, et quine l'aura pas exécutée, sera moins battu (Lc 12,48), voilà Pierre qui vient rendre témoignage: Pierre connaissait parfaitement cette sainte volonté. Cependant, tombé de si haut et si bas, il recouvre toute la confiance du Sauveur. Vous-même, donc, quelque faute que vous ayez commise, ne désespérez pas de votre salut. Ce qu'il y a de plus terrible dans le péché, c'est d'y persévérer. Il n'y a pas de chute plus lourde que celle dont on ne saurait se relever; c'est ce malheur qui arrache des larmes des yeux de Paul, des soupirs de sa poitrine. Puisse Dieu, dit-il, lorsque je serai revenu chez vous, ne pas m'humilier! Puissé-je ne pas être obligé d'en pleurer plusieurs, non-seulement de ceux qui auront péché, mais de ceux qui, étant tombés dans des impuretés, dans des fornications et des dérèglements infâmes, n'en auraient point fait pénitence. (2Co 12,21) Certes il n'y a pas pour la pénitence de temps plus propice que le temps du jeûne.

185033. Mais je reviens à l'histoire de Ninive. Le prophète entendant ces paroles descendit au rivage de Joppé, pour se retirer à Tarsis, et fuir de devant la face du Seigneur. (Jon 1,3) Homme, où donc fuis-tu? n'as-tu pas entendu la voix du Prophète? Où irai-je pour me dérober à votre esprit? et où m'enfuirai-je de devant votre face? (Ps 139,7) Sur la terre? mais la terre et tout ce qu'elle renferme est au Seigneur. (Ps 23,1) Dans l'enfer? Si j'y descends, vous y êtes encore. (Ps 139,8) Dans le ciel? Si j'y monte, vous y êtes. (Ps 10) Dans la mer? Votre main m'y soutiendra. Jonas l'éprouva. Mais la nature du péché est telle, qu'il jette les âmes dans les ténèbres de l'ignorance. Quand l'ivresse, en rendant la tête pesante, éteint en l'homme la lumière de la raison, il marche au hasard et sans rien voir, et tombe dans le précipice, le gouffre ouvert sous ses pas; c'est ainsi que ceux qui pèchent sont enchaînés par les liens d'une sorte d'ivresse et ne savent plus ce qu'ils font; le présent et l'avenir échappent à leurs yeux éblouis. Dites-moi, est-ce le Seigneur que vous fuyez? Attendez un peu, et l'événement vous prouvera que la mer elle-même, son esclave obéissante, ne saurait vous soustraire à son pouvoir. Jonas, en effet, avait à peine mis le pied sur le vaisseau, que la mer souleva ses flots et amoncela ses vagues comme des montagnes; et de même qu'une servante fidèle, venant à rencontrer un de ses compagnons fuyant loin de son maître après lui avoir fait un larcin, ne le quitte pas et fait auprès de ceux qui voudraient le recevoir tous ses efforts pour les en détourner, jusqu'à ce qu'enfin elle le ramène à la maison; de même la mer, reconnaissant en Jonas l'esclave fugitif, suscite aux matelots mille embarras, fait naître mille obstacles, gronde, élève sa grande voix, non pas pour le condamner, mais pour menacer le vaisseau et ceux qui le montent d'un prochain naufrage, s'ils ne lui rendent pas celui qui, comme elle, doit obéir au Seigneur. Que firent donc les matelots? Ils jetèrent dans la mer la charge du vaisseau qui n'en fut pas soulagé (Jon. 1, 5); car le même fardeau y était resté, le corps du prophète, charge pesante, moins par elle-même que par la grandeur du péché. Car rien n'est plus lourd en effet que le péché et la désobéissance. Zacharie le comparait à une masse de plomb. (Za 5,7) David nous en fait connaître la nature en disant. Mes iniquités se sont élevées jusqu'au-dessus de ma tête, et elles se sont appesanties sur moi comme un fardeau insupportable. (Ps 38,5) Jésus-Christ ne disait-il pas lui-même aux pécheurs endurcis: Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et qui êtes chargés, et je vous soulagerai. (Mt 2,28) Le poids du péché allait submerger le vaisseau; cependant Jonas dormait profondément, mais d'un sommeil lourd et non réparateur; du sommeil de la douleur, et non pas de la tranquille innocence; car les serviteurs qui (300) ont l'âme généreuse s'aperçoivent vite de leurs fautes. C'est ce qui arriva à Jonas. A peine avait-il commis cet acte coupable de désobéissance, qu'il en sentit toute la gravité. A ces traits, reconnaissez le péché. Dès qu'il se montre, il cause à l'âme qui l'a conçu des douleurs surnaturelles. En venant au monde, l'enfant fait cesser les douleurs de sa mère, au contraire le péché, aussitôt qu'il est commis, déchire par des tourments affreux le coeur qui l'a engendré. Mais que fait le pilote? Il s'approche de Jonas, et lui dit: Levez-vous et invoquez le Seigneur votre Dieu. (Jon 1,6) Son expérience lui a appris que ce n'est point une tempête ordinaire; il voit dans les coups qui le frappent la main de Dieu, qui, supérieure à tous les efforts humains; bouleverse les flots, et fait que tout l'art qu'il saurait employer ne leur sera d'aucun secours. Cette tempête, pour être vaincue, demandait un pilote plus grand qu'un homme, le pilote même qui gouverne à son gré le monde entier, elle ne pouvait être apaisée que par un secours d'en-haut. C'est pourquoi tout l'équipage, laissant là rames, voiles et cordages, élevait au ciel ses mains suppliantes, et priait Dieu. Voyant l'inutilité de leurs prières, les matelots jetèrent le sort, dit le prophète, et le sort leur révéla quel était le coupable. Ils ne se précipitèrent pas sur lui pour le plonger dans les flots; mais, au milieu du tumulte et dans les horreurs de la tempête, calmes comme s'ils eussent été à l'abri, ils érigèrent sur le vaisseau une sorte de tribunal, et permirent à Jonas de parler, de se défendre, et s'informèrent de la vérité avec autant de scrupule que s'ils eussent eu à rendre compte du jugement qu'ils allaient prononcer. A quoi vous occupez-vous? d'où venez-vous? où allez-vous? quel est votre pays, votre peuple? L'accusateur, c'était la mer dont les flots grondaient; le sort avait prononcé et porté témoignage contre Jonas, et cependant malgré les clameurs de la ruer, malgré l'arrêt du sort, les matelots hésitaient encore, et comme dans les tribunaux civils, la présence de l'accusateur, les dépositions des témoins, les indices, les preuves ne suffisent pas pour que les juges condamnent l'accusé, et qu'ils attendent ses propres aveux, ainsi ces hommes barbares et remplis d'ignorance n'observent pas moins l'ordre de la procédure, et cela quand leur vaisseau lutte contre les flots de la mer qui leur permet à peine de respirer, et qui s'abandonne à toute sa fureur. D'où provenaient toutes ces précautions? De Dieu même, qui voulait qu'il en fût ainsi, afin sans doute d'inspirer à son prophète des sentiments de douceur, et auquel il semblait dire: Imitez ces matelots, ces hommes ignorants; ils tiennent compte d'une âme, ils n'osent perdre votre corps; et vous, au contraire, vous avez compromis, autant qu'il a été en vous, le salut d'une ville où tant d'hommes respirent. Ils savent, ces matelots, que vous êtes la cause de tous leurs maux, et ils ne se sont pas jetés sur vous pour vous punir; et cependant, bien que vous n'ayez rien à reprocher aux Ninivites, vous les avez plongés dans l'abîme de perdition. Je vous ai ordonné d'aller auprès d'eux et de les sauver par votre prédication, vous m'avez désobéi. Les matelots, sans qu'on leur ait rien dit, s'inquiètent, s'agitent et cherchent tous les moyens de vous soustraire au supplice que vous avez mérité. En effet, la mer eut beau accuser Jonas, le sort tomber sur lui; en vain il porta témoignage contre lui-même, et fit l'aveu de sa fuite, ils ne donnèrent point la mort au coupable; on les vit, au contraire, tenter tous les moyens de le dérober, après sa faute, à la violence de la mer. Mais la mer, ou plutôt Dieu ne le permit pas, car il voulait le ramener dans la bonne voie par l'épreuve de la baleine, ainsi qu'il l'avait essayé par l'exemple que lui donnèrent les matelots. Quand ceux-ci eurent entendu Jonas leur dire: Prenez-moi, et jetez-moi dans la mer, et elle s'apaisera (Jon. 1,12), ils tâchaient néanmoins de regagner la terre; mais les flots qui s'élevaient de plus en plus les en empêchèrent.

185044. Vous avez vu fuir le prophète, entendez-le maintenant parler du fond des entrailles de la baleine. Dans le premier cas, c'est l'homme qui a souffert; dans le second, c'est le prophète qui se manifeste. La mer le reçut donc, le déposa dans le ventre de la baleine, comme dans une prison, pour conserver à Dieu son esclave fugitif; il ne périt ni dans les eaux, ni dans le ventre de l'énorme poisson qui le transporta jusque sous les murs de Ninive. Ainsi la mer et la baleine, par l'effet d'une force surnaturelle, se soumirent à l'ordre qui leur fut prescrit, pour que tout, dans cette circonstance, contribuât à l'instruction du prophète. Il arriva donc, et, comme s'il eût été chargé de lire une lettre du prince, qui eût contenu la condamnation à une peine sévère, il parcourait la ville (301) en criant: Encore trois jours, et Ninive sera détruite. (Jon 3,4) Les Ninivites entendirent cette menace, ils en crurent le prophète; et aussitôt hommes, femmes, serviteurs, maîtres, magistrats, simples particuliers, enfants, vieillards, pratiquèrent le jeûne; les animaux même ne furent pas dispensés d'une austère abstinence. On voyait partout le sac de la pénitence, partout la cendre, partout les pleurs et les lamentations. Celui même dont le front était orné du diadème descendit du trône royal, se revêtit du sac, se couvrit de cendres; et c'est ainsi que la ville fut arrachée au désastre dont elle était menacée. Chose étonnante! le sac, alors plus honoré que la pourpre, fit ce que la pourpre n'avait pu faire; la cendre produisit l'effet que n'avait pu produire le diadème. N'ai-je donc pas eu raison de dire que nous devions craindre l'ivresse et l'intempérance, et non le jeûne? L'ivresse et l'intempérance furent à la veille de détruire une grande ville, et de la renverser de fond en comble; le jeûne la soutint lorsqu'elle était sur le penchant de sa ruine. C'est parce que Daniel entra avec le jeûne dans la fosse aux lions qu'il en sortit comme s'il se fût trouvé avec des brebis. Ces animaux, qui par eux-mêmes ne respirent que meurtre et carnage, excités par leur férocité naturelle (car rien de plus féroce qu'un lion), et par leur faim qu'on avait irritée en ne leur donnant aucune nourriture pendant sept jours; ces animaux, dis-je, quoique pressés par un bourreau intérieur qui les sollicitait à déchirer les entrailles du prophète, respectèrent leur proie et n'osèrent pas toucher à cette nourriture qu'on offrait à leur avidité. C'est parce que les trois enfants à Babylone entrèrent avec le jeûne dans la fournaise ardente, qu'après avoir été longtemps au milieu des flammes, ils n'en sortirent que plus brillants et plus beaux. Toutefois si le feu qui les environnait était vraiment du feu, comment n'agissait-il pas selon sa nature? Si leurs corps étaient vraiment des corps, comment n'éprouvèrent-ils pas ce qu'ils devaient éprouver au milieu des flammes? Comment! interrogez le jeûne, il vous répondra, il vous donnera le mot de cette énigme, car c'en était une; il vous expliquera pourquoi des corps passibles combattirent contre le feu et triomphèrent du feu. Quelle lutte admirable! quelle victoire plus admirable encore! Appréciez la vertu du jeûne, et recevez-le avec empressement. Eh! puisqu'il secourt dans la fournaise ses fidèles observateurs, et les garde dans la fosse aux lions, puisqu'il chasse les démons, révoque les sentences de Dieu, réprime la fureur des passions, nous ramène à la liberté, et rappelle le calme dans notre âme, ne serait-ce pas le comble de la folie que de le fuir et de le craindre lorsqu'il nous offre de si grands avantages? Il macère, dit-on, le corps et l'affaiblit. Oui; mais, dit l'Apôtre, plus l'homme extérieur se détruit en nous,plus l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour (2Co 4,16). Ou plutôt, si l'on veut examiner la chose avec attention, on verra que le jeûne est le père de la santé. Si vous n'en voulez pas croire mes discours, interrogez les médecins, et ils vous diront clairement que l'abstinence est la mère de la santé; qu'au contraire une foule de diverses maladies, telles que la goutte, la migraine, l'apoplexie, l'hydropisie, les inflammations, les tumeurs, sont engendrées par les délices et par l'intempérance, qu'elles en émanent comme de funestes ruisseaux d'une source funeste, et qu'en ruinant la santé du corps elles ruinent aussi la sagesse de l'âme.

185055. Ne craignons donc pas le jeûne, puisqu'il nous délivre de si grands maux. Et ce n'est pas sans raison que je vous exhorte à ne pas le craindre; car j'en vois plusieurs qui, comme si on voulait les livrer à un maître dur et farouche, hésitent, balancent, se permettent aujourd'hui tous les excès de l'intempérance et de la débauche. Je vous exhorte donc à ne pas détruire d'avance, par ces excès, les avantages que vous pouvez retirer du jeûne. Ceux qui, avant de prendre des médecines amères pour remédier à des dégoûts, se remplissent de nourriture, ressentent toute l'amertume du remède, sans en recueillir le fruit, parce qu'ils l'empêchent d'agir comme il devrait sur les humeurs vicieuses. Aussi les médecins recommandent-ils de se coucher à jeun, afin que le remède attaque d'abord, avec toute sa vertu, l'abondance des humeurs qui causent la maladie. De même, si vous vous livrez aujourd'hui à l'ivresse pour prendre demain le remède du jeûne, vous le rendrez inutile, vous en éprouverez toute la peine sans en retirer le profit, parce que vous userez, pour ainsi dire, toute sa vertu contre le mal récent produit par la débauche, au lieu que si vous préparez votre corps, si vous l'allégez par l'abstinence, si vous recevez avec un esprit sobre un remède spirituel, vous pourrez par son moyen effacer (302) un grand nombre de vos anciennes fautes. N'allons donc pas au jeûne par l'ivresse, et ne terminons pas une sainte abstinence par des excès honteux; n'agissons pas, en un mot, comme celui qui précipiterait un corps malade en le poussant rudement. C'est ce qui arrive à notre âme lorsque, répandant les nuages de l'ivresse sur les- commencements et sur la fin du jeûne, nous nous privons de tout le fruit que nous pourrions en recueillir. Les hommes qui combattent contre les bêtes féroces ont soin de bien munir les parties principales de leurs corps, afin d'attaquer avec moins de risque ces terribles animaux; ainsi maintenant plusieurs d'entre nous, comme s'ils allaient combattre dans le jeûne un animal féroce, se fortifient contre lui, et se munissent par les excès du boire et du manger. Les insensés! ils obscurcissent et abrutissent leur raison par l'ivresse pour recevoir le jeûne, dont l'oeil est doux et tranquille. Si je fais cette demande à un de ces hommes: Pourquoi courez-vous aujourd'hui au bain? il me répondra: C'est pour recevoir le jeûne avec un corps pur. Si je lui demande ensuite: Pourquoi vous enivrez-vous aujourd'hui? C'est, dira-t-il, parce que je vais entrer dans le jeûne. Mais n'est-il donc pas absurde de se préparer à cette fête du jeûne avec un corps purifié par l'eau et un coeur souillé par la débauche?

Je pourrais m'étendre davantage sur ce sujet; mais j'en ai dit assez pour ramener les personnes sages. Je termine donc ici mon discours, d'autant plus que je désire d'entendre notre père commun. Nous, comme de simples bergers, assis à l'ombre d'un hêtre ou d'un chêne, nous chantons des airs rustiques sur un chalumeau champêtre; au lieu que notre saint pontife, semblable à un excellent musicien qui enlève tous les spectateurs par les accords sublimes qu'il sait tirer de sa lyre d'or, nous charme et nous instruit tous, moins par l'harmonie des paroles que par le concert heureux des actions et des discours. Tels sont les maîtres que demande Jésus-Christ: Celui qui fera, dit-il, et qui enseignera, sera grand dans le royaume des cieux. (
Mt 5,19) Tel est notre Maître; aussi est-il grand dans le royaume des cieux! Puissions-nous, grâce à ses prières et à celles de ses pieux coopérateurs, être jugés dignes nous-mêmes du royaume céleste par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire soit au Père et à l'Esprit-Saint, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles! Ainsi soit-il.



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Chrysostome Homélies 18400