Chrysostome Homélies 19500

19500

Cinquième homélie.


ANALYSE.

Dans la cinquième homélie, saint Jean Chrysostome, après avoir loué la vertu de Paul, qu'aucun obstacle ne pouvait arrêter ni ralentir, discute fort subtilement les moyens qu'il employait pour parvenir à son but, toutes les formes que prenait son zèle pour ramener tous les hommes à Dieu, s'accommodant toujours aux temps et aux personnes autant qu'il était possible.



195011. Où sont-ils maintenant, ceux qui accusent la mort, et ce corps sensible et périssable, d'être pour eux un obstacle aux progrès dans la vertu? Qu'ils écoutent les glorieuses actions de Paul, et renoncent à cette injuste accusation. Quel dommage la mort a-t-elle causé à notre nature? en quoi la corruption du corps est-elle un obstacle à la vertu? Considérez Paul, et vous verrez de quelle très-grande utilité est pour nous notre mortalité. Car si Paul n'avait pas été mortel, il n'aurait pas pu dire, ou plutôt, il n'aurait pas pu montrer ce qu'il a proclamé par sa conduite: Tous les jours je meurs, je vous l'assure par la gloire que je reçois de vous en Jésus-Christ. (1Co 15,31) C'est qu'en toutes circonstances, il faut de l'âme, il faut de l'ardeur, et alors rien ne s'oppose à ce que l'on s'élève au premier rang parmi les saints. Est-ce que Paul n'était pas mortel? Est-ce que ce n'était pas un homme vulgaire? Un pauvre, qui, chaque jour, gagnait sa vie du travail de ses mains? Son corps n'était-il pas assujetti à toutes les nécessités de la nature? Quel obstacle l'a empêché de devenir ce qu'il a été? aucun. Donc, que nul pauvre ne se décourage; que nul ne s'irrite de son obscurité, ne s'afflige de la bassesse de son état; les plaintes ne conviennent qu'aux mous, qu'aux énervés. La mollesse, voilà le seul obstacle à la vertu; supprimez la corruption de l'âme, la mollesse du caractère, le reste n'est rien. C'est ce que nous fait voir ce bienheureux, qui nous rassemble en ce moment. Car, de même que tant de circonstances fâcheuses n'ont en rien gêné son action, de même les avantages contraires n'ont servi en rien les hommes en dehors de notre foi: ni l'habileté de la parole, ni les richesses, ni l'illustration de la naissance, ni la gloire, ni la puissance.

Mais que fais-je, en ne parlant que des hommes! je m'arrête à la surface de la terre, quand je puis dire qu'il en est de même des vertus d'en-haut, des principautés, des dominations, des anges des ténèbres, des princes de ce monde? Car à quoi leur a servi leur nature? N'est-il pas vrai que toutes ces puissances subiront le jugement de Paul, et de ceux qui lui ressemblent? Ne savez-vous pas que nous serons les juges des anges mêmes? à combien plus forte raison, de la vie présente? (1Co 6,3) Ne nous affligeons donc jamais que de notre corruption; ne nous réjouissons jamais que de la vertu. Si nous avons le zèle de la vertu, aucun obstacle ne nous empêchera de (353) ressembler à Paul. Car ce n'est pas la grâce seulement qui a fait de lui ce qu'il est devenu; il a dû sa vertu à son ardeur aussi, et si la grâce l'a servi, c'est qu'il avait son ardeur personnelle. Car il posséda pleinement, d'une part, les dons de Dieu; d'autre part, la volonté personnelle. Voulez-vous reconnaître les dons de Dieu? les vêtements de Paul inspiraient la terreur aux démons. Mais ce n'est pas là ce que j'admire, non plus que l'ombre de Pierre, qui dissipait les maladies; ce que j'admire, t'est-ce qu'il fit d'admirable, avant la grâce, dès son entrée, ses débuts dans la carrière, quand il n'avait pas encore toute sa force, quand il n'avait pas encore reçu sa mission; c'est l'ardeur de son zèle pour le Christ, qui alla jusqu'à soulever contre lui tout le peuple juif; au milieu de si grands dangers, dans une ville dont toutes les issues étaient fermées, descendu à l'aide d'une corbeille le long du mur, fugitif, il ne s'engourdit pas, ne se laissa pas surprendre par la terreur, par la crainte; son zèle ne fit que s'accroître; il se retirait des dangers par sagesse, il ne se retirait jamais de la prédication; mais toujours, saisissant la croix, il suivait le Seigneur; il voyait l'exemple d'Etienne encore étendu à ses pieds; il voyait les Juifs surtout, acharnés contre lui, et comme avides de le dévorer. Ainsi on ne pouvait lui reprocher, ni de se jeter imprudemment dans les périls, ni d'écouter la lâcheté qui ne songe qu'à les fuir. Il tenait fortement à la vie présente, parce que sa vie était utile; et en même temps il méprisait tout à fait la vie, à cause de la sagesse qu'il puisait dans le mépris du monde, et aussi parce qu'il ressentait un violent désir d'aller à Jésus-Christ. Ce que je dis toujours en parlant de Paul, je ne cesserai jamais de le répéter; nul autant que lui, dans des situations contraires, n'a mieux su accommoder son âme à ces situations: nul n'a jamais attaché plus de prix à la vie présente, même parmi ceux qui tiennent le plus à vivre; nul ne l'a plus méprisée, parmi ceux qui se précipitent le plus volontairement dans la mort. C'est ainsi qu'il était affranchi de toute passion; il ne tenait à rien des choses présentes; partout la volonté de Dieu pénétrait sa volonté; tantôt, il dit que la vie présente est plus nécessaire que la société, la conversation du Christ; tantôt, il la trouve si importune et si pesante, qu'il gémit, qu'il soupire douloureusement après la décomposition. Car il désirait uniquement ce qui lui était utile et profitable auprès de Dieu, quelque contradiction qui parût dans ses désirs. Esprit souple et varié, non point dissimulé, loin de nous cette pensée, mais prenant tous les aspects qui pouvaient servir à la prédication et au salut des hommes; et en cela, il imitait encore le Seigneur, son Maître. Car Dieu aussi se montrait sous la figure d'un homme, quand il fallait qu'il en fût ainsi; il se montra autrefois dans le feu, quand les circonstances l'exigèrent, tantôt on l'a vu sous la forme d'un soldat armé; tantôt sous les traits d'un vieillard; tantôt dans les vents, tantôt en voyageur, tantôt dans la vérité de la nature humaine, et alors il n'a pas refusé de mourir. Ce que j'ai dit, quand il fallait qu'il en fût ainsi, ne veut pas dire que cela était rigoureusement nécessaire; gardons-nous bien de le croire; c'était un pur effet de la bonté de Dieu pour nous. Il s'est montré assis, tantôt sur un trône, tantôt sur les chérubins. Il a fait tout cela pour accomplir ses divers conseils. J'ai multiplié les visions, et les prophètes m'ont représenté à vous. (Os 3,10) Ainsi Paul, imitant le Seigneur son Maître, n'a pas été en faute, pour avoir tantôt suivi, tantôt négligé la loi des Juifs; parfois il s'attachait à la vie présente; parfois il la dédaignait; dans certaines circonstances, il demandait de l'argent, dans d'autres il refusait l'argent qu'on voulait lui donner; il sacrifia comme les Juifs et il se rasa la tête, et, par un mouvement contraire, il frappa d'anathème ceux qui observaient ces pratiques; un jour, il soumettait un disciple à la circoncision; un autre jour, il la rejetait. Contradiction dans les actions, mais non dans la pensée, non dans l'esprit qui dirigeait cette conduite, et où régnait une parfaite harmonie.

Car il n'avait qu'un but, pour ceux qui l'entendaient, qui le voyaient: les sauver tous. Voilà pourquoi, tantôt il exalte la loi, tantôt il la détruit. La souplesse, la variété n'était pas seulement dans ses actions, mais dans ses paroles, sans qu'il y eût changement dans sa pensée; il était toujours le même,. demeurant fidèle à lui même, mais il adaptait chacune de ses paroles aux besoins du moment. Gardez-vous donc de le reprendre, à ce sujet, quand, au contraire, c'est par là qu'il mérite surtout la gloire et les couronnes. Un médecin tantôt brûle, tantôt alimente son malade, tantôt il emploie le fer, tantôt les médicaments; un jour, il défend nourriture et breuvage; un autre (354) jour, il prescrit nourriture et breuvage largement; une fois, il entasse les couvertures de tous côtés; une autre fois, il veut que ce malade brûlant boive toute une fiole d'eau glacée; et quand vous le voyez agir de la sorte, vous ne lui reprochez pas la diversité des traitements; vous ne l'accusez pas d'une continuelle inconstance; au contraire, vous louez l'habileté qui se sert en toute sécurité, des choses qui paraissent nuisibles, opposées à la santé, qui cependant la rétablissent. C'est même à cette marque que vous reconnaissez le médecin consommé dans son art. Si vous acceptez le médecin qui pratique ainsi des traitements contraires, à bien plus forte raison, il faut louer Paul, qui sait si bien s'accommoder à nos maladies. Car, autant que ceux dont le corps est malade, ceux que tourmentent les maladies de l'âme, ont besoin de la diversité bien entendue des traitements; si vous les abordez sans ménagement, leur salut est tout à fait compromis. Et faut-il s'étonner que les hommes pratiquent ce que le Dieu Tout-Puissant met lui-même en usage, lui qui, pour nous guérir, ne nous prend pas toujours de la manière la plus expéditive et sans ménagement? Il veut que nous soyons vertueux librement, et non par nécessité; par violence; il emploie une méthode, non parce qu'il n'a pas assez de puissance, loin de nous cette pensée, mais parce que nous sommes faibles. Il peut certes se contenter de faire un signe, ou plutôt se contenter de vouloir, et accomplir tout ce qu'il veut; mais nous, une fois devenus maîtres de nous-mêmes, nous ne supportons pas le joug léger de son obéissance. Si donc il nous entraînait malgré nous, il nous enlèverait-ce qu'il nous a donné, je veux dire le choix de nos volontés, notre liberté. Pour qu'il. n'en soit pas ainsi, Dieu a besoin de moyens d'action nombreux et différents. Ces réflexions ne sont pas superflues ici; elles nous sont inspirées par l'ingénieuse sagesse du bienheureux Paul: quand vous le voyez qui se soustrait aux dangers, admirez-le, comme vous l'admirez quand il court affronter les périls; courage d'un côté, sagesse de l'autre. Quand il tient un langage superbe, admirez-le comme vous l'admirez quand il se tempère; humilité d'un côté, de l'autre grandeur d'âme. Quand il se glorifie, admirez-le; quand il s'abaisse en parlant de lui, admirez-le encore; d'un côté nul orgueil; de l'autre affection et charité: il recherchait le salut d'un grand nombre, voilà la raison de sa conduite. Aussi disait-il: Soit que nous soyons emportés comme hors de nous-mêmes, c'est pour Dieu; soit que nous nous tempérions, c'est pour vous. (2Co 5,13) Car nul n'a jamais eu tant de raisons pressantes d'orgueil, nul n'a été aussi pur de toute pensée d'arrogance. Méditez ces paroles: La science enfle (1Co 8,1), nous répéterons tous ces paroles avec lui; or il portait en lui une science telle qu'aucun homme certes n'en posséda jamais de pareille; cependant cette science ne l'exaltait pas; au contraire, il s'abaisse en y pensant: Ce que nous avons de science et de prophétie, nous ne l'avons qu'en partie (1Co 13,9); Et encore: Je ne crois pas, mes frères, avoir encore atteint où je tends (Ph 3,13); et encore: Si quelqu'un se flatte de savoir quelque chose, il ne sait encore rien (1Co 8,2); le jeûne enfle aussi, et le Pharisien le montre, en disant: Je jeûne deux fois la semaine. (Lc 18,12) Mais Paul qui faisait plus que jeûner, qui souffrait là faim, s'appelait un avorton. (1Co 15,8)

Et que parlé-je de ses jeûnes, et de sa science, quand il eut, avec Dieu, des entretiens plus nombreux, plus suivis, qu'aucun prophète, qu'aucun apôtre, et que ce fut pour lui une raison de plus pour s'humilier? Ne me parlez pas des conversations sublimes que rapporte l'Ecriture; il en a caché le plus grand nombre; il ne les a pas dites toutes, ne voulant pas ajouter à fa grandeur de sa gloire; il ne les a pas ensevelies toutes dans le silence, pour ne pas laisser un libre cours aux paroles des faux apôtres. Car Paul ne faisait rien sans raison, sans un motif toujours justifié par la sagesse; et il déployait tant d'habileté, de prudence, au milieu des circonstances les plus contraires, que toujours il méritait les louanges, les mêmes louanges. Je m'explique. C'est une grande vertu que la modestie, en parlant de soi; mais Paul, en se louant, parlait avec tant d'à-propos, qu'il mérite encore plus d'être honoré pour ce qu'il dit de lui-même, que pour son silence; s'il n'avait pas fait entendre ce qu'il a dit, il serait plus coupable que ceux qui se glorifient sans raison; s'il ne s'était pas, glorifié, il aurait tout perdu et trahi; il aurait exalté les ennemis de l'Evangile. Il savait si bien profiter partout de l'opportunité des circonstances, et, avec une pensée droite, faire exceptionnellement les choses ordinairement (355) défendues, et il les faisait avec tant d'utilité, qu'il mérite, à ce titre, autant d'éloges et de gloire, que pour l'accomplissement des ordres absolus de Dieu. Paul, en se glorifiant, a droit à plus d'éloges, que tout autre qui cache ses vertus; car personne, en tenant sa conduite secrète, ne fait autant de bien que Paul en racontant ses actions. Et maintenant, ce qui est plus admirable encore, ce n'est pas qu'il en ait parlé, mais qu'il l'ait fait dans la juste mesure. Car, s'il a saisi l'opportunité, ce n'est pas pour se louer avec excès; il a compris où il devait s'arrêter. Cette prudence ne lui a pas suffi; il n'a pas voulu donner un exemple pernicieux, il n'a pas voulu apprendre aux autres à se décerner des louanges sans sujet; il s'appelle un imprudent. Voilà ce qu'il a fait, quand la nécessité le provoquait. Il pouvait croire que les autres, jetant les yeux sur lui, abuseraient de son exemple: c'est ce qui arrive aux médecins; souvent un d'entre eux emploie un médicament dans le temps convenable; un autre l'administre à contretemps, et le remède se trouve nuisible ou sans effet. Paul, en ce qui le concerne, prévoit ce danger: considérez les précautions qu'il prend quand il va se louer; une fois, deux fois,-bien plus souvent encore, il hésite, il recule: Plût à Dieu que vous voulussiez un peu supporter mon imprudence (2Co 11,1-21)1 et encore: Ce que je dis, je ne le dis pas selon le Seigneur, mais je fais paraître mon imprudence. Ce qu'un autre ose, je dirai, parole imprudente, que je l'ose aussi. Et, après tant de précautions, il ne se rassure pas encore, mais, au moment d'entreprendre son éloge, il se dérobe aux yeux: Je connais un homme; et plus loin: Je pourrais me glorifier, en parlant d'un tel homme, mais, pour moi, je ne veux pas me glorifier: et, après toutes ces paroles: J'ai été imprudent, dit-il, c'est vous qui m'y avez forcé. (2Co 12,2 2Co 12,5 2Co 12,11) En voyant ce saint apôtre ainsi retenu par la crainte de parler avantageusement de lui-même, hésiter, malgré des motifs pressants, comme un coursier qui arrive au bord d'un précipice et recule avec horreur, quel homme serait assez dépourvu d'intelligence et de sentiment pour ne pas comprendre que, quelle que soit la grandeur des intérêts dont il est chargé, il doit éviter avec soin de faire son éloge, qu'il ne peut le faire qu'à une condition, à savoir que la nécessité l'y contraigne?

Voulez-vous que je vous montre encore un titre de Paul à notre admiration? Le voici il ne lui a pas suffi du témoignage de sa conscience, il a voulu de plus nous montrer la règle à suivre dans l'éloge personnel; il ne s'est pas contenté pour lui seulement de l'excuse qu'il trouvait dans la nécessité; il a voulu enseigner qu'il y a des circonstances où l'on ne peut pas éviter de se louer soi-même; mais il a soin d'insinuer qu'il faut se garder de le faire à contre-temps. Car les paroles que nous avons citées, reviennent à ceci: c'est un grand mal de se louer, de dire de soi des choses admirables; il est de la dernière démence, mon bien-aimé, quand la nécessité ne fait pas violence, de célébrer ses propres louanges. Ce n'est pas parler selon le Seigneur, mais plutôt faire preuve de folie, d'une folie qui fait perdre la récompense mérite par des sueurs et des fatigues sans nombre. Ce sont là les enseignements qu'il nous donne et il nous en propose d'autres encore, quand il s'excuse en se fondant sur la nécessité pressante. Ce qui est plus remarquable encore, c'est que, quelle que fut la nécessité, il n'a pas tout publié, il a caché le plus grand nombre des merveilles qui l'ont honoré. Je viendrai maintenant, dit-il, aux visions et aux révélations du Seigneur; je me retiens de peur que quelqu'un ne m'estime au-dessus de ce qu'il voit ou de ce qu'il entend de moi. (2Co 12,1 2Co 12,6) Ces paroles enseignaient à tous que, même en cas de nécessité, nous ne devons pas publier tout ce dont nous avons conscience, mais seulement ce qui peut être utile à ceux qui nous écoutent.

Samuel en use de même: il n'y a rien d'étrange à ce que nous fassions aussi mention de ce saint prophète, puisque ses louanges peuvent nous être profitables; il se glorifia lui aussi quelquefois, et dit les belles actions qu'il avait faites. Quelles actions? Celles qui pouvaient servir à ceux qui entendaient. Il ne s'étendit pas sur la, chasteté, sur l'humilité, sur l'oubli des injures! sur quel sujet donc? Sur la vertu que le roi d'alors avait le plus d'intérêt à apprendre, sur la justice, sur la nécessité de rejeter les présents qui souillent les mains. David aussi, en se glorifiant, ne recherche que l'édification de celui qui l'entendra. En effet, ce saint roi ne s'est loué qu'en parlant du lion et de l'ours, sans rien ajouter à ce récit. (1S 17,34) Des paroles plus hautes conviendraient à l'orgueil fanfaron, à la vanité; mais (356) ce qu'il racontait alors, se justifiait par la nécessité du moment, et montrait en lui un homme bon et occupé de l'intérêt du grand nombre. C'est ainsi que Paul se montra. On le calomniait, on disait qu'il n'était pas approuvé comme apôtre, qu'il n'avait aucun pouvoir. Il était donc dans la nécessité de prouver sa dignité. Comprenez-vous la force de son enseignement, pour démontrer qu'on ne doit pas se glorifier sans raison? D'abord il prouve que lui-même ne l'a fait que par nécessité; secondement, il s'appelle un insensé, et il s'entoure d'un grand nombre d'excuses; troisièmement, il ne dit pas tout, il cache ce qu'il y a de plus glorieux pour lui, et cela malgré la nécessité de parler; quatrièmement, il parle de lui-même comme d'une autre personne et dit: je connais un homme; cinquièmement, il ne parle pas de toute espèce de vertus, il dit partiellement, il publie seulement ce que demandaient et l'intérêt des auditeurs, et les circonstances. Cette mesure, il ne la gardait pas seulement quand il se louait, mais quand il adressait des paroles injurieuses. Il est défendu d'injurier son frère; Paul savait pourtant adresser des injures si bien justifiées par les circonstances, qu'il mérite encore plus d'être honoré que ceux qui décernent des éloges. C'est ainsi qu'il écrit: O Galates insensés (Ga 3,1)! il le répète une fois, deux fois; il appelle les Crétois des ventres paresseux, de méchantes bêtes (Tt 1,12), et néanmoins ces paroles font honneur à saint Paul. Son exemple nous a donné la règle et la mesure, pour nous empêcher de traiter avec indulgence ceux qui négligent le Seigneur; pour nous apprendre aussi à diriger comme il convient le discours qui doit les frapper. On trouve dans Paul des mesures pour toutes choses, et voilà pourquoi toutes ses actions, toutes ses paroles sont justement célèbres, soit qu'il adresse des injures ou des éloges, soit qu'il accuse, soit qu'il caresse, soit qu'il s'exalte, soit qu'il s'abaisse, soit qu'il se glorifie, soit qu'il déplore sa misère. Et qu'y at-il d'étonnant qu'on approuve les injures, les vifs reproches qu'il adresse, si l'on accepte et le meurtre, et la tromperie, et la ruse, soit dans l'Ancien, soit dans le Nouveau Testament? Méditons avec soin toutes. ces réflexions, ne les oublions pas, admirons le bienheureux Paul et glorifions le Seigneur, et prenons en main sa cause, afin d'obtenir les biens éternels, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la glaire, avec la puissance, maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




19600

Sixième homélie.


ANALYSE.

Dans la sixième homélie, l'orateur détruit les reproches que l'on pourrait faire à saint Paul sur les coups et la mort qu'il avait témoigné craindre dans quelques occasions, sur les malédictions et les injures qu'il s'était permises quelquefois; il tourne quelques-uns de ces reproches à l'avantage de l'Apôtre, et en fait le sujet d'un plus grand éloge.



Voulez-vous aujourd'hui, mes bien-aimés, que négligeant les grandes vertus de Paul, et ce qu'on admire en lui, nous considérions ensemble les actions qui ont donné prise à quelques accusations? Nous verrons qu'elles ne contribuent pas moins que les autres à sa grandeur et à sa gloire. Que lui reproche-t-on? Il a paru, dit-on, craindre les supplices, par exemple, quand il fut battu de verges; et ce n'est pas tout, dans une autre circonstance encore, lorsqu'il fut mis en prison après avoir converti la marchande de pourpre, il mit dans l'embarras les magistrats qui voulaient secrètement le renvoyer après l'avoir maltraité et emprisonné contre tout droit. Car il n'avait d'autre but alors que de ménager sa sûreté, et d'éviter de retomber peu de temps après dans les mêmes périls. Que répondrons-nous donc? Si ce n'est que rien ne montre mieux la grandeur admirable de son âme que l'accusation articulée contre lui; avec une âme comme la sienne, sans témérité ni présomption, dans un corps sensible aux verges et redoutant les coups, il a égalé les puissances incorporelles par le mépris qu'il avait pour tout ce qui semble terrible, par son courage dans l'occasion. Quand vous le voyez toujours ardent quoique ému à la vue des tortures, souvenez-vous de ces paroles, qui l'ont élevé au-dessus des cieux, égalé aux anges: Qui nous séparera de l'amour de Dieu? l'affliction, les angoisses, la persécution, la faim, les périls, l'épée? (Rm 8,35) Souvenez-vous de ces paroles, où il déclare que tout cela n'est rien: Le moment rapide de nos afflictions légères produit en nous le poids éternel d'une souveraine et incomparable gloire,si nous ne considérons point les choses visibles, mais les invisibles. (2Co 4,17 2Co 4,18) Ajoutez à cela ses afflictions de chaque jour, ses morts de chaque jour, et, sous l'empire de ces pensées, admirez Paul, et ne désespérez plus de vous-mêmes. Cette faiblesse même qui semble inséparable de la nature, est précisément la marque la plus éclatante de sa vertu; l'infirmité commune ne l'a pas empêché de se montrer tel qu'il a paru. Les épreuves extraordinaires dont il avait triomphé avaient répandu l'opinion qu'il était au-dessus de la nature ordinaire; alors Dieu a permis ces souffrances pour vous montrer que cet homme, qui n'était qu'un homme comme les autres, par la nature, a dû à son courage non-seulement de surpasser les autres hommes, mais d'égaler les anges. Doué des vertus de l'âme, avec un corps si faible, il a enduré mille et mille fois la mort, il a méprisé les choses (358) présentes, les choses futures. De là ces grandes et belles paroles qui semblent incroyables à tant de personnes: J'eusse désiré de devenir moi-même anathème, et d'être séparé de Jésus-Christ pour mes frères, mes parents selon la chair. (Rm 60,3) C'est qu'il est possible, nous n'avons qu'à le vouloir, de surmonter toutes les frayeurs de la nature par la force de la volonté, et il n'est rien d'impossible pour l'homme dans ce que le Christ lui commande. Car si nous donnons au Seigneur toute la vigueur d'âme qui est en nous, Dieu à son tour nous accorde un secours puissant, et c'est ainsi que nous pouvons échapper à tous les dangers qui nous épouvantent. Il n'y a rien de répréhensible à craindre les coups, mais ce qui est répréhensible, c'est de commettre, parce que l'on craint les coups, une action que la piété réprouve; en vertu même de cette crainte, l'homme qui craint les coups, et ne succombe pas, mérite plus l'admiration que celui qui est sans crainte. Sa vertu brille d'un plus vif éclat; la crainte des coups est un effet de la nature; mais ce qui ne faiblit pas lâchement sous cette crainte, c'est 1a vertu, qui corrige l'infirmité de la nature, c'est l'héroïsme qui triomphe,de la lâcheté et de la faiblesse. S'affliger n'a rien de répréhensible; ce qu'il faut condamner, c'est l'affliction qui s'abandonne à des paroles ou à des actions qui déplaisent à Dieu. Si je vous disais que Paul n'était pas un homme, vous auriez raison de me rappeler les défauts de la nature, pour réfuter mes paroles; mais je dis et j'insiste sur ce point que c'était un homme, dont la nature n'avait rien de supérieur à la nôtre, je dis qu'il est devenu meilleur par le fait de sa volonté; dès lors vos objections sont vaines, ou plutôt elles ne sont pas vaines; vous célébrez la gloire de Paul; vous montrez par là sa grandeur, puisque avec une telle nature, il a pu s'élever au-dessus de la nature. Et non-seulement vous exaltez Paul, mais vous fermez la bouche à ceux qui succombent, vous ne leur permettez plus de se réfugier derrière le prétexte de l'excellence de sa nature, vous les forcez à reconnaître en lui la ferveur qui vient de la volonté.

Mais, dites-vous, il lui est arrivé de craindre la mort? Sans doute, et c'est encore un effet de la nature. Cependant ce même homme qui craignait la mort, disait aussi: Pendant que nous sommes dans cette tente, nous gémissons sous sa pesanteur (2Co 5,4); et encore Nous gémissons en nous-mêmes (Rm 8,23). Voyez-vous comme il compense la faiblesse de la nature par la force de la volonté? Souvent nombre de martyrs, conduits à la mort, ont pâli; ils étaient pleins de terreurs et d'angoisses; et c'est pour cela même surtout qu'il les faut admirer; ces hommes qui craignaient la mort, ne la fuyaient pas pour Jésus-Christ. Ce Paul qui craignait la mort, se déclare prêt à endurer les tourments de l'enfer, pour l'amour qu'il porte à Jésus-Christ; il a peur de mourir, et il désire d'être délivré de son corps. Et il ne fut pas le seul animé de tels sentiments; le prince des apôtres, lui aussi, disait souvent qu'il était prêt à donner sa vie, et cependant il avait horreur de la mort. Ecoutez les paroles que le Christ lui adresse à ce sujet: Lorsque vous serez vieux, un autre vous ceindra et vous mènera où vous ne voulez pas (Jn 21,18); le Christ exprimait ainsi l'infirmité de la nature, non celle de la volonté. Car la nature éclate malgré nous; impossible à nous de maîtriser ses surprises, quelle que soit l'ardeur de notre volonté, de notre zèle; et maintenant, il n'en résulte pour nous aucun dommage; au contraire, nous n'en méritons que plus d'être admirés. Quelle accusation pouvez-vous intenter à celui qui redoute la mort? quelle louange, au contraire, ne mérite-t-il pas, si, redoutant la mort, il montre toujours un généreux courage? Ce qu'il faut accuser, ce n'est pas l'infirmité de la nature, mais l'asservissement à cette infirmité; on a raison d'appeler grand, de juger digne d'admiration celui qui surmonte la malignité de la nature par le courage viril de la volonté. Par cette victoire, il montre la puissance de l'homme qui sait vouloir, et il ferme la bouche à ceux qui demandent pourquoi la nature ne nous a pas faits vertueux? Qu'importe que ce soit la nature qui opère ce qui est possible à la volonté! Et de combien l'oeuvre de la volonté n'est-elle pas au-dessus de l'action de la nature! Elle la surpasse de tout ce qui mérite les couronnes et la gloire. Mais, dira-t-on, le don de la nature est solide. Mais si vous êtes résolus à faire preuve d'une volonté généreuse, cette volonté a plus de force que la nature. Ne voyez-vous pas les corps des martyrs déchirés par les glaives, la nature cède au fer, la volonté n'y cède pas, rien ne l'ébranle. N'avez-vous pas vu, répondez-moi, la volonté d'Abraham maîtrisant (359) la nature, quand il reçut l'ordre d'immoler son fils, la nature domptée en lui par l'énergie de la volonté? N'avez-vous pas vu les trois enfants hébreux vous donner le même exemple? N'entendez-vous pas le proverbe, que l'habitude fait de la volonté une seconde nature? le dirais volontiers, que c'est la première nature; tout ce que nous avons déjà dit le démontre. Ne voyez-vous pas que l'on peut conquérir jusqu'à la fermeté de la nature, par une volonté généreuse et vigilante, et qu'il y a plus de gloire à recueillir de la vertu volontaire que de la vertu pratiquée par contrainte? Voilà le bien par excellence. Aussi quand je l'entends prononcer ces paroles: Je traite rudement mon corps, et je le réduis en servitude, de peur qu'ayant prêché aux autres, je ne sois réprouvé moi-même (1Co 9,27), c'est alors surtout que je célèbre ses louanges; je vois ce que sa vertu lui a coûté de peines, de sorte que les hommes venant après lui ne peuvent pas colorer leur mollesse par sa facilité naturelle à faire le bien. Et quand il prononce encore ces paroles: Je suis crucifié au monde (Ga 6,14), je célèbre encore sa volonté. C'est qu'il est possible, par l'ardeur de la volonté, oui, il est possible d'imiter la force de la nature. Et si nous pouvions mettre sous vos yeux ce modèle de la vertu parfaite, vous verriez que son zèle a su donner aux vertus volontaires toute la fermeté qui vient de la nature. Il ressentait la douleur des coups, cependant il les méprisait comme feraient les puissances incorporelles de là ces paroles qui le feraient prendre pour un homme supérieur à notre nature. Car lorsqu'il dit: Je suis crucifié au monde, et le monde est crucifié pour moi; autre part: Je vis, ou plutôt ce n'est pas moi qui vis, mais c'est Jésus-Christ qui vit en moi (Ga 2,20), n'est-ce pas comme s'il disait qu'il est sorti de son corps? Que signifient encore ces paroles: Dieu a permis que je ressentisse dans ma chair. un aiguillon qui est l'ange et le ministre de Satan? (2Co 12,7) C'est pour montrer que la douleur n'allait pas plus loin que le corps; sans doute elle pénétrait jusqu'à l'âme, mais par l'énergie de sa volonté, il la repoussait. Que veulent dire tant d'autres paroles encore plus admirables, quand il se réjouit d'avoir été battu de verges, quand il se glorifie d'être chargé de chaînes? Essayez de les expliquer autrement que nous ne l'avons fait en rapportant ce texte: Je châtie mon corps et je le réduis en servitude; je crains qu'ayant prêché aux autres, je ne sois moi-même réprouvé. Ces paroles montrent la faiblesse de la nature; et j'en ai tiré comme conséquence la noble vigueur de la volonté.

Car voici pourquoi ce double sujet de réflexions vous est proposé: il ne faut pas que la grandeur que vous admirez en lui vous fasse croire que sa nature diffère de la nôtre, et que cette pensée vous décourage; il ne faut pas non plus, pour quelques petites défaillances que vous pouvez remarquer, condamner cette âme sainte; voyez-y, au contraire, encore une raison de conserver le courage et de concevoir d'heureuses espérances. Voilà pourquoi il célèbre encore la grâce de Dieu, il l'exagère, non, il ne l'exagère pas; mais il en parle avec reconnaissance, il ne veut pas vous laisser croire qu'il ait rien de bon qui soit de son fonds à lui. Il parle aussi de son zèle, afin que vous n'alliez pas, ayant tout remis entre les mains de Dieu, vous endormir dans un profond sommeil. Vous trouverez dans cet apôtre les règles d'une conduite toujours exacte et mesurée.

Mais voici encore une objection. Il s'est emporté contre l'ouvrier en cuivre, Alexandre. Qu'importe? Il n'a pas prononcé des Paroles de colère, mais de douleur, au nom de la vérité; il ne se plaignait pas de ce qu'on l'attaquait, mais de ce qu'on s'apposait a l'Evangile. Il combat fortement, dit l'Apôtre, non pas moi, mais la doctrine que nous enseignons. (2Tm 4,15) De sorte que l'imprécation de Paul, non-seulement fait voir son amour pour la vérité, mais de plus est une consolation pour ses disciples. Il était naturel qu'ils fussent scandalisés au spectacle de blasphémateurs impunis, de là l'imprécation. Mais il a encore prié pour attirer la colère divine contre d'autres. personnes, par exemple: Il est bien juste, devant Dieu, qu'il afflige à leur tour ceux qui vous affligent maintenant (2Th 1,6); il ne désirait pas leur. châtiment, loin de là, mais la consolation de ceux qui étaient affligés. Aussi ajoute-t-il: Et qu'il vous console avec nous, vous qui êtes dans l'affliction. Et ce qui le prouve c'est, quand il souffre lui-même, la sagesse de ses paroles, sa manière de répondre à ses ennemis, écoutez: On nous maudit, et nous bénissons; on nous persécute, et nous souffrons; on nous dit des injures, et nous répondons par des prières. (1Co 4,12 1Co 4,13) Si ses actions, ses paroles à l'égard des autres, (360) vous paraissent des effets de la colère, vous êtes à même de dire que c'est par colère qu'il a aveuglé, maltraité Elymas (Ac 13), et qu'Ananie et Sapphire sont morts parce que Pierre eut un mouvement de colère. Quel homme assez insensé, stupide, soutiendra cette opinion? Beaucoup d'autres paroles ou actions de l'Apôtre semblent des marques d'emportement. C'est pourtant dans ces circonstances que se manifeste le plus la douceur de son âme. En effet, lorsqu'il livra à Satan le débauché de Corinthe, il n'obéit qu'à un sentiment d'affection profonde, qu'à une pensée de charité. Il le déclare dans la seconde épître aux Corinthiens. Lorsqu'il menaça les Juifs en écrivant ces paroles: La colère de Dieu est tombée sur eux et y demeurera jusqu'à la fin (1Th 2,16), il ne cédait pas à la colère (car vous entendez les continuelles prières qu'il fait pour eux), mais il voulait leur inspirer une crainte salutaire et les amener à la sagesse. Mais, autre objection encore, il a outragé le Grand Prêtre par, ces paroles: Dieu te frappera, muraille blanchie. (Ac 23,3) Nous savons que certains apologistes ont voulu y voir une prophétie; cette interprétation est acceptable; l'événement a justifié les paroles, le Grand Prêtre a fini ainsi. Mais dans le cas où un contradicteur pointilleux, serrant l'objection, nous viendrait dire: si c'était une prophétie, d'où vient que l'Apôtre s'est justifié en disant: Je ne savais pas que c'était le Grand Prêtre, nous lui répondrions que Paul a voulu par là nous avertir du respect dû à ceux qui exercent le commandement; ainsi faisait Jésus-Christ; après tant de malédictions et d'anathèmes, prononcés par lui contre les scribes et les pharisiens, il disait: Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse; observez donc et faites tout ce qu'ils vous disent, mais ne faites pas ce qu'ils font. (Mt 23,2 Mt 23,3)

De même ici, l'Apôtre a conservé le légitime respect et, en même temps, prédit l'avenir. S'il a séparé Jean de lui (Ac 15,33), il ne l'a fait que dans l'intérêt de la prédication; car celui qui est chargé de ce ministère, ne doit pas être un lâche qui chancelle, mais un homme fort et décidé; pour aborder une fonction si belle, il faut être prêt à donner mille et mille fois sa vie, prêt à tous les périls, selon la parole du Christ lui-même: Si quelqu'un, dit-il, veut venir sur mes pas, qu'il renonce à soi-même, qu'il se charge de sa croix et me suive. (Mt 16,24) Celui qui n'est pas ainsi résolu en perd avec lui beaucoup d'autres; mieux vaut pour lui de se tenir en repos, de ne s'occuper que de lui-même, plutôt que de se montrer en public, avec un fardeau qu'il ne peut porter; car il se perd, et lui-même, et tous ceux qui lui ont été confiés. N'est-il pas insensé qu'un homme, qui ne sait ni conduire un vais. seau, ni lutter contre les vagues, supposé même qu'une foule de gens l'y contraigne, s'assoie au gouvernail; et de même qu'on se charge étourdiment de prêcher l'Evangile, qu'on accepte, sans y prendre garde, une mission qui vous expose à mille morts? Ni le pilote, ni le lutteur opposé aux bêtes féroces, ni le gladiateur, ni personne, ne doit être préparé dans l'âme à subir la mort, les blessures, au. tant que celui qui se charge de la prédication; celui-ci: rencontre des dangers plus redoutables, des ennemis plus terribles, une mort qui n'est pas sans épreuves; et quels risques sérieux ne court-il pas le ciel pour récompense, ou l'enfer pour châtiment, l'âme perdue ou sauvée! Et ce n'est pas seulement le prédicateur qui doit être ainsi préparé, mais le simple fidèle; car c'est à tous, sans exception, que s'adresse l'ordre de prendre la croix et de suivre. Et si cet ordre est pour tous, à plus forte raison est-il fait pour ceux qui enseignent; pour les pasteurs, dont faisait alors partie Jean, surnommé Marc. Aussi fut-il retranché avec justice, parce qu'il s'était mis à la tête de la phalange et qu'il s'y comportait tout à fait en lâche; aussi Paul le renvoya loin de lui afin que sa timidité n'ébranlât pas les courages. Mais maintenant, quant à la contestation que Luc rapporte à ce sujet (Ac 15,39), ne voyez là aucun motif d'accusation. Contester n'a rien de blâmable, ce qui est répréhensible c'est de le faire sans raison et sans justice. La colère injuste, dit l'Ecriture, ne sera pas innocente (Sirac. 1,28), il ne s'agit pas de la simple colère, mais de la colère injuste. Ecoutez maintenant le Christ Celui qui se met en colère contre son frère sans sujet (Mt 5,22), il ne dit pas simplement en colère. Et le prophète: Mettez-vous en colère et ne péchez point. (Ps 4,5 Ep 4,26) Si l'on ne peut se servir de cette passion, même dans l'occasion, elle est inutile et vaine; mais ce n'est pas pour être inutile que le Créateur l'a mise en nous, c'est pour corriger les pécheurs, pour réveiller les âmes lâches et indolentes, pour nous faire secouer le sommeil (361) de la mollesse; il a voulu que, semblable au tranchant du fer, la colère naturelle fût un instrument dont nous ferions usage au besoin. Aussi, Paul s'en est souvent servi, et sa colère était meilleure que la douceur, parce que toutes ses actions, faites à propos, n'avaient pour but que la prédication. En effet, la douceur n'est pas toujours bonne, il faut qu'elle s'exerce à propos; supprimez l'opportunité, la douceur est une lâcheté, de même que la colère est un emportement farouche. Dans tout ce discours je n'ai pas cherché à justifier Paul; il n'a aucun besoin que nous parlions pour sa défense; sa gloire ne lui vient pas des hommes mais de Dieu; j'ai voulu que ceux qui écoutent pussent apprendre à faire de toutes choses un bon usage; ce qui â déjà été dit. Nous pourrons ainsi, faisant notre profit de tout côté, dans l'abondance de tous les biens, naviguer jusqu'au port où règne la tranquillité, obtenir les couronnes immortelles; puissions-nous tous en être jugés dignes par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire avec la puissance, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.





Chrysostome Homélies 19500