Chrysostome Homélies 6590

HOMÉLIE SUR CETTE PAROLE DE L'APÔTRE: PLUT A DIEU QUE VOUS VOULUSSIEZ SUPPORTER MON IMPRUDENCE

ANALYSE.

1. Différence entre l'amour charnel et l'amour spirituel. - 2. Si nous ne voyons pas saint Paul des yeux du corps, ne l'en aimons pas moins; si nous n'avons pas sa présence, nous avons ses oeuvres, nous avons ses écrits dont nous devons chercher à pénétrer le sens. - 3. Que veulent dire ces paroles: Plût à Dieu que vous voulussiez un peu supporter mon imprudence? Elles s'expliquent d'elles-mêmes si l'on fait attention à la circonstance où elles furent dites. - 4. Précautions multipliées que prend saint Paul avant de faire son propre éloge. - 5. humilité de saint Paul, s'il a été sauvé, dit-il, c'est pour que personne ne désespère de son salut. - 6. Avouer ses fautes et oublier ses mérites. - 7. Les saints savent se taire quand il n'y a point nécessité de parler et rompre le silence quand la nécessité les contraint. Exemple de David. - 8. - 9. Exemple de Samuel. - 10. Conclusion. On ignore le lieu et la date de cette homélie.



6591 1. J'aime tous les saints, mais j'aime entre tous saint Paul, le vase d'élection, la trompette céleste, celui qui fiance les âmes au Christ. Je vous dis ces paroles, je vous fais connaître l'amour que j'ai pour lui, afin de vous le faire partager. Ceux qui aiment d'un amour charnel rougissent de l'avouer, parce qu'ils se couvrent eux-mêmes de honte et nuisent à ceux qui les entendent; mais ceux qui sont enflammés de l'amour spirituel ne le doivent point taire un moment. Car eux-mêmes et ceux qui les entendent retireront du fruit de ce noble aveu. L'un est une honte, l'autre un honneur; l'un est une maladie de l'âme, l'autre est sa joie, sa félicité, son plus bel ornement. Le premier porte la guerre dans le coeur où il pénètre, l'autre y apaise les luttes et y établit une paix profonde. L'une ne procure nul avantage; c'est la perte des richesses, la dépense effrénée, le bouleversement de la vie, la ruine des maisons; l'autre nous ouvre un trésor de bonnes oeuvres, une source féconde de vertus. En outre, ceux qui aiment un beau corps, qui s'éprennent d'un beau visage, s'ils sont eux-mêmes laids et difformes, ne trouvent pas dans leur passion un remède à leur propre difformité; au contraire, leur laideur semble s'accroître. Dans l'amour spirituel il en est tout autrement. Celui qui aime une âme sainte, belle, glorieuse, parfaite, serait-il laid et difforme, devient par le constant amour des saints, semblable à celui qu'il aime. Car c'est un effet de la bonté de Dieu qu'un corps difforme et mutilé ne puisse point être corrigé, mais qu'une âme dégradée et hideuse puisse devenir belle et glorieuse. Car, de la beauté du corps il ne vous peut revenir aucun avantage, mais la beauté de l'âme vous peut procurer fa jouissance de tous les biens qui sont dus à ceux qui prennent Dieu pour objet de leur amour. C'est de cette beauté que parle David dans sais psaumes: Ecoute, ma fille, et vois, et incline l'oreille, et oublie ton peuple et la maison de ton père, et le Roi s'éprendra de ta beauté. (Ps 45,11-12) (536) C'est la beauté de l'âme, qui consiste dans la vertu et la piété.

65922. Puisqu'on retire tant d'avantages de la communion des saints, unissez-vous à moi pour aimer ce saint avec la plus extrême ardeur. Si cet amour entre dans nos coeurs et y allume sa brillante flamme, trouverait-il dans les voies de notre pensée des épines et des pierres, la dureté, l'insensibilité, il consumera les épines, amollira les pierres, et fera de notre âme une terre profonde et fertile, prête à recevoir la semence divine. Et qu'on ne dise point: Paul n'est point ici, il n'est pas visible à nos yeux; or, comment aimer ce qu'on ne voit pas? - L'absence n'est point un obstacle à cet amour. On peut aimer un absent, un ami qu'on ne voit pas, surtout quand on a chaque jour devant les yeux tant de témoignages de sa vertu, si nombreux et si manifestes, les Eglises établies sur toute la terre, l'impiété détruite, les moeurs coupables changées en moeurs pures, l'erreur abattue, les autels des faux dieux renversés, leurs temples fermés, les démons réduits au silence. Tous ces cultes mensongers cédèrent à la puissance de Paul, à sa parole inspirée par la grâce du ciel et qui alluma partout le flambeau de la religion. Après ses oeuvres, ses lettres sacrées nous peignent exactement le caractère de cette âme sainte. Comme si nous parlions à Paul, comme s'il était sous nos yeux, au milieu de nous, attachons-nous à ses paroles, développons-en le sens profond et caché, cherchons ce qu'il veut dire aujourd'hui quand il s'écrie: Plût à Dieu que vous voulussiez un peu supporter mon imprudence! Car j'ai pour vous un amour de jalousie et d'une jalousie de Dieu. (2Co 11,1-2) Que dites-vous, Paul? Vous qui ordonnez à vos disciples de marcher dans la sagesse aux regards des profanes, vous qui dites: Que vos paroles soient toujours assaisonnées du sel de la grâce, afin que vous sachiez comment vous devez répondre à chaque personne (Col 4,6); vous qui recommandez à tous les hommes de se pénétrer de la sagesse de l'Esprit-Saint, c'est vous qui demandez qu'on supporte un peu votre imprudence? Il ne vous suffisait pas d'avoir prononcé une parole imprudente; vous la faites encore entendre à vos disciples, vous la faites connaître à tous ceux qui, dans la suite, liront votre lettre? Ces paroles, si on les lit sans les expliquer, sont dangereuses pour les auditeurs; si on les développe, elles montrent la profonde sagesse de Paul, son ineffable charité.

65933. Quel en est donc le sens?Il y avait chez les Corinthiens grand nombre de faux apôtres qui corrompaient le peuple, accusaient Paul, minaient sourdement la réputation qu'il s'était acquise auprès de ses disciples, le raillaient, le traitaient d'imposteur. C'est à eux qu'il s'adresse en plusieurs passages de sa lettre. Quand il dit: Nous ne sommes pas comme plusieurs qui altèrent la parole de Dieu. (2Co 2,17) Et ailleurs: J'ai pris garde de ne vous être à charge en quoi que ce soit (2Co 11,9); et quand il promet de maintenir la loi immuable: La vérité de Jésus-Christ est en moi, et on ne me ravira point cette gloire dans toute l'Achaïe. (2Co 11,9) Et quand il fait connaître ses motifs, il désigne ces impies, en disant: Et pourquoi? Est-ce parce que je ne vous aime pas? Dieu le sait. Non, je fais cela et le ferais encore afin d'ôter une occasion de se glorifier à ceux qui la cherchent. (2Co 11,12) Plus haut, il prie ses disciples de ne le point mettre dans la nécessité de montrer son pouvoir: Je vous prie, qu'étant présent, je ne sois point obligé d'user envers vous avec confiance de cette autorité et de cette hardiesse avec laquelle on m'accuse d'agir envers quelques hommes qui s'imaginent que nous mous conduisons selon la chair. (2Co 10,2) Ces hommes dont il parle l'accusaient et le raillaient, disant que les lettres de Paul étaient pleines d'orgueil et d'arrogance, mais qu'il était lui-même sans valeur, sans mérite, un objet de dédain; que lorsqu'on le verrait, on s'apercevrait qu'il n'en faisait faire aucun cas. C'est ce qu'il nous apprend lui-même quand il dit: Je crains de paraître vouloir vous étonner par des lettres, parce qu'à la vérité, disent-ils, les lettres de Paul sont graves et fortes, mais lorsqu'il est présent, il paraît bas en sa personne et méprisable en ses discours. (2Co 10,9-10) Et plus loin, il accuse les Corinthiens qui se sont laissé persuader: Ai-je fait une faute, dit-il, lorsqu'afin de vous élever, je me suis abaissé moi-même? (2Co 11,7) Et ensuite, répondant à l'accusation de ses ennemis, il dit: Etant présent, nous nous conduisons de la même manière que nous parlons dans nos lettres étant absent. (2Co 10,11) Il y avait donc chez les Corinthiens beaucoup de faux apôtres qu'il appelle artisans d'erreurs: Ceux-là, dit-il, sont de faux apôtres, artisans d'erreurs, qui se transforment en envoyés de Jésus-Christ. Et on ne s'en doit pas étonner, puisque (537) Satan même se transforme en ange de lumière. Il n'est donc pas étrange que ses ministres aussi se transforment en ministres de justice. (2Co 11,13-15) Comme ils inventaient contre lui mille calomnies, et nuisaient à ses disciples en leur donnant de leur maître une fausse opinion, il est forcé de faire son propre éloge, car son silence en ce point eût été dangereux. Au moment de nous entretenir des luttes qu'il a soutenues, des révélations qu'il a eues, des travaux qu'il a endurés, pour nous montrer qu'il le fait malgré lui, et pressé toutefois par la nécessité, il taxe cependant ses paroles d'imprudence et dit: Plût à Dieu que vous voulussiez un peu supporter mon imprudence. Je commets une imprudence, dit-il, d'entreprendre de me louer moi-même; mais la faute n'en est pas à moi, elle est à ceux qui m'ont réduit à cette nécessité; c'est pourquoi je vous prie de souffrir ce que je fais et de n'en demander compte qu'à mes ennemis.

65944. Et voyez ta profonde sagesse de Paul! après avoir dit: Plût à Dieu que vous voulussiez un peu supporter mon imprudence. Supportez-la, car j'ai pour vous un amour de jalousie et d'une jalousie de Dieu, il n'entre pas aussitôt dans le récit de ses oeuvres méritoires, mais ce n'est qu'après avoir dit d'autres choses qu'il reprend: Je vous le dis encore une fois, que personne ne me juge imprudent; ou au moins, souffrez-moi comme imprudent. (2Co 11,16) Et encore ne commence-t-il pas son récit sans avoir ajouté: Ce que je dis, je ne le dis pas selon le Seigneur, mais je fais paraître de l'imprudence dans ce que je prends pour matière à me glorifier. (2Co 11,17) Il n'ose point encore commencer, il diffère, il dit: Puisque plusieurs se glorifient selon, la chair, je puis bien me glorifier comme eux. Car étant sages comme vous êtes, vous souffrez sans peine les imprudents (2Co 11,18-19) Après ces mots, il hésite encore, il dit autre chose et reprend ensuite: Je veux bien faire une imprudence en rue rendant aussi hardi que les autres. (2Co 11,21) Et ce n'est qu'après s'être ainsi excusé d'abord qu'il commence ses propres louanges. De même qu'un cheval sur le point de franchir un précipice, s'élance comme pour bondir, mais voyant la profondeur de l'abîme, il s'arrête, il recule; ensuite, se sentant pressé par son cavalier, il essaye encore, de nouveau recule, et pour témoigner qu'on lui fait violence, il se tient au bord du gouffre, il hennit, il cherche à se rassurer, à prendre de l'audace. Ainsi saint Paul, comme s'il allait s'élancer dans un abîme en faisant son propre éloge, recule une fois, deux fois, trois fois et plus souvent encore, disant Plût à Dieu que vous voulussiez supporter mon imprudence; et ensuite: Que personne ne me juge imprudent, ou au moins souffrez-moi comme imprudent; et: Ce que je dis, je ne le dis pas selon le Seigneur, mais je fais paraître de l'imprudence dans ce que je prends pour matière à me glorifier; et plus loin: Puisque plusieurs se glorifient selon la chair, je puis bien me glorifier comme eux. Car étant sages comme vous êtes, vous souffrez sans peine les imprudents; et encore: Je veux bien faire une imprudence en me rendant aussi hardi que les autres. Il se donne mille fois les noms d'imprudent et d'insensé, et c'est à peine s'il ose ensuite commencer ses propres louanges. Ils sont Hébreux? je le suis aussi; Israélites? je le suis aussi; de la race d'Abraham? j'en suis aussi; ministres du Christ? je le suis comme eux. (2Co 11,22-23) Mais, même en disant ces mots, il est sur ses gardes; il ajoute, en manière de correction: Devrais-je passer pour imprudent, j'ose dire que je le suis plus qu'eux. (2Co 11,22-23) Et cela ne lui suffit point; après avoir énuméré ses mérites, il dit: J'ai été imprudent en me louant de la sorte, mais c'est vous qui m'y avez contraint. (2Co 12,11) C'est comme s'il disait: Je n'aurais eu nul souci de ces calomnies si vous eussiez été forts, inébranlables, invincibles. Eusse-je été sans cesse attaqué, la malice de mes ennemis ne me pouvait point nuire. Mais quand j'ai vu mon troupeau atteint, et mes disciples s'enfuir, je n'ai plus hésité à me rendre déplaisant et malséant, à me montrer imprudent par nécessité, en vous faisant mon propre éloge dans votre intérêt et pour votre salut.

65955. Car telle est la manière des saints: font-ils quelque chose de mal? ils le disent tout haut, le déplorent chaque jour, le font savoir à tous, mais les actions grandes et nobles, ils les cachent et les ensevelissent dans l'oubli. C'est ainsi que saint Paul, sans y être forcé, avouait fréquemment et divulguait ses fautes: Jésus-Christ, dit-il, est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, et je suis le plus grand pécheur. (1Tm 1,15) Ailleurs il écrit: Je rends grâces au Christ qui m'a affermi, m'a compté au nombre des fidèles, et m'a établi dans son ministère, moi qui étais auparavant un (538) blasphémateur, un persécuteur outrageux. Mais j'ai obtenu miséricorde, parce que j'agissais dans l'ignorance et l'incrédulité. (1Tm 1,12-13) Et ailleurs: Après tous les autres, le Seigneur s'est fait voir â moi-même, être misérable, car je suis le plus infirme des apôtres et même je ne suis pas digne d'être appelé apôtre, parce que j'ai persécuté l'Eglise de Dieu. (1Co 15,8-9) Ailleurs encore: J'ai reçu cette grâce, moi qui suis le plus petit d'entre les saints. (Ep 3,8) Voyez-vous comme il se déclare le plus petit non-seulement des apôtres, mais même des fidèles! J'ai reçu, dit-il, cette grâce, moi qui suis le plus petit d'entre les saints. Ce salut même qu'il a obtenu, il déclare qu'il n'en est point digne: après avoir dit: le Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs et je suis le plus grand pécheur, il nous dit la cause de son salut: Si j'ai reçu miséricorde, c'est afin que je fusse le premier en qui Jésus fit éclater son extrême miséricorde et que j'en devinsse comme un modèle et un. exemple; afin que ceux qui croiront en lui espèrent la vie éternelle. (1Co 16) Voici le sens de ces paroles: ce n'est pas à cause de mon retour au bien que Dieu m'a fait miséricorde, ne le croyez point. C'est afin de préserver du désespoir tous ceux qui ont mal vécu, ceux même qui ont été les ennemis de Jésus-Christ, en leur montrant le dernier des hommes, le plus grand adversaire du Christ, sauvé par sa bonté. Le Christ dit lui-même: C'est un instrument que j'ai choisi pour porter mon nom devant les gentils et les rois. (Ac 9,15) Mais Paul ne s'enorgueillit point de ces louanges; il est en paix devant Dieu, mais il ne cesse point de déplorer le malheur de ses fautes, il s'appelle le dernier des pécheurs, et déclare qu'il n'a été sauvé qu'afin que le plus criminel des hommes ne désespère point de son salut en voyant la grâce que Dieu lui a faite.

65966. Ainsi sans y être contraint, il confesse et divulgue ses fautes chaque jour dans ses lettres, les affichant, les dévoilant aux yeux non seulement de ceux qui vivaient alors, mais aux yeux de tous les hommes à venir; quant à ses mérites, malgré la nécessité manifeste, il hésite, il recule à les exposer. Ce qui le prouve, c'est qu'il se nomme mille fois imprudent; ce qui le prouve encore, c'est le long espace de temps qu'il tient secrète sa révélation merveilleuse et céleste: car il n'y avait pas deux ou trois ans qu'il l'avait eue, mais bien davantage. Il en marque l'époque dans ces paroles: Je connais un homme qui fut ravi. il y a quatorze ans, au troisième ciel. (2Co 12,2) Il veut vous apprendre que, même alors, il n'eût point parlé sans une extrême nécessité. S'il eût voulu faire son propre éloge, il aurait, aussitôt après l'avoir eue, fait connaître sa révélation, ou du moins au bout d'un an, de deux ans, ou trois ans. Mais il garde pendant quatorze ans le silence, sans livrer son secret à personne. Il ne le dévoile enfin qu'aux Corinthiens. Et à quel moment? Quand il vit les faux apôtres s'élever: encore déclare-t-il qu'il n'aurait point parlé, s'il n'avait vu la contagion gagner ses disciples. Mais nous ne l'imitons point, au contraire: nos fautes en un jour s'effacent de notre mémoire, et si les autres en parlent, nous nous irritons, nous nous indignons, nous crions à l'outrage, nous les accablons d'injures. Mais avons-nous fait le moindre bien, nous en parlons sans cesse; nous rendons grâce à ceux qui le prônent et des regardons comme nos amis. Cependant le Christ a ordonné le contraire, c'est-à-dire d'oublier le bien qu'on a fait et de ne se souvenir que de ses fautes. Il nous donne manifestement ce précepte quand il dit à ses disciples: Quand vous aurez tout fait, dites nous sommes des serviteurs inutiles. (Lc 16,10), ainsi que dans la parabole du pharisien, auquel il préfère le publicain. L'un se souvient de ses fautes, et il est justifié: l'autre se souvient de ses bonnes oeuvres, et il est condamné. Dieu fait aux Juifs le même commandement quand il dit: Je suis celui qui efface vos péchés et ne dois point m'en souvenir; mais vous, gardez-en la mémoire. (Is 3,25)

6597 7. Telle, fut la conduite des apôtres, des prophètes et de tous les justes. David se souvenait toujours de ses fautes, et jamais de ses bonnes oeuvres, à moins d'y être contraint. (1S 5,17) Lorsque les étrangers. portèrent la guerre en Judée, et la remplirent de dangers, il était jeune encore et n'avait point vu les combats; il quitte ses troupeaux, vient à l'armée, et trouve partout la frayeur, l'épouvante, la terreur. Il ne fut plus homme alors: au milieu de son peuple abattu par la crainte, il n'eut point peur. La foi l'éleva au-dessus des choses terrestres, jusqu'au Roi des cieux, et le remplit d'ardeur. Il s'avance vers les soldats, vers ses frères, et leur annonce qu'il va les délivrer du péril qui les menace. Ses frères se moquèrent de ses paroles, car ils ne voyaient (539) point Dieu qui excitait son courage, ils ne voyaient point cette âme généreuse, céleste, et pleine de la divine sagesse; il les quitte et s'adresse à d'autres. On le conduit au roi, qu'il trouve mourant de crainte. Il ranime d'abord ses esprits en lui disant: Que le coeur de mon seigneur ne soit point abattu; car ton serviteur ira et combattra contre cet étranger. (1S 17,32) Mais comme le roi désespérait et disait: Tu ne pourras marcher contre lui tu n'es qu'un enfant, tandis qu'il connaît la guerre depuis sa jeunesse (1S 17,33). David alors, ne sachant comment exécuter son projet, est obligé de faire son propre éloge. Il ne lè voulait point faire; car nous voyons qu'auparavant il ne parle de ses actes de courage ni à ses frères, ni aux soldats, ni au roi lui-même, si ce n'est quand il le voit manquer de confiance, s'opposer à ses desseins et l'empêcher de marcher contre l'ennemi. Que pourrait-il faire? taire ses louanges? Mais il n'eût point obtenu la permission de combattre et de délivrer son peuple du péril qui le menaçait. Il garde le silence aussi longtemps qu'il faut; mais quand la nécessité triomphe, il parle, il dit au roi: Je gardais les troupeaux, moi, ton serviteur, dans les pâturages de mon père, et quand survenait un lion ou un ours qui enlevait une brebis de mon troupeau, je le poursuivais, je le frappais, j'arrachais la proie à ses dents, je le saisissais à la gorge et le tuais. Ton serviteur a frappé le lion et l'ours. Cet étranger incirconcis périra comme eux. (1S 17,34-36) Vous voyez comme il montre la cause qui lui fait entreprendre sa propre louange? Alors seulement le roi prit confiance et lui permit d'aller combattre. Il alla, combattit et vainquit. S'il n'eût point fait son propre éloge, le roi n'aurait pas eu confiance en ce combat; n'y ayant point confiance, il ne lui eût pas permis de descendre en lice; lui refusant cette permission, il eût empêché un succès; le succès empêché, Dieu n'eût point alors été glorifié, ni le peuple délivré du danger qu'il courait. Ainsi ce fut pour empêcher tant d'événements d'arriver contre l'ordre souverain que David fut obligé de faire son propre éloge. Car les saints savent se taire quand il n'y a point nécessité de parler, et rompre le silence quand la nécessité les contraint.

65988. Nous voyons non-seulement David, mais encore Samuel se conduire de même sorte. Pendant longues années, par la volonté de Dieu, il gouverna le peuple juif, sans jamais parler de ses grandes actions, quoiqu'il en eût beaucoup à proclamer s'il l'avait voulu: l'éducation de son enfance, son séjour dans le temple, le don de prophétie qu'il reçut au berceau, ses guerres, les victoires qu'il remporta moins par la force des armes que par la bonté du Seigneur qui combattit avec lui. Il s'abstint de vanter ces mérites jusqu'au moment où il quitta le pouvoir et le transmit aux mains d'un successeur. Alors il fut obligé de faire son propre éloge, et avec quelle discrétion! Il appela le peuple, fit venir Saül, et dit: Voici que j'ai entendu votre voix et que je vous ai donné un roi. J'ai vécu devant vous depuis ma jeunesse jusqu'à ce jour, et j'ai vieilli. Déclarez maintenant devant le Seigneur et devant son Christ si j'ai reçu le veau ou l'âne de personne d'entre vous, si j'ai opprimé quelqu'un par la violence, si j'ai accepté de quelqu'un des présents, des chaussures et fermé les yeux sur ceux qui me les donnaient? Portez témoignage contre moi et je vous rendrai ces présents. (1S 12,1-3) Et quelle nécessité de parler ainsi, dites-vous! Elle est grande et pressante. Sur le point de mettre Saül à la tête du peuple, il veut, par son apologie, lui apprendre comme il faut régner et prendre soin de ses sujets, et c'est pourquoi il appelle ses sujets à témoigner de la sagesse de son gouvernement. Et il ne le fait point tant qu'il conserve le pouvoir, car on pourrait dire que la crainte et la terreur ont fait porter de faux témoignages. C'est du moment que son autorité cesse et passe en d'autres mains, au moment qu'on peut en sécurité porter une accusation contre lut, qu'il se fait juger au tribunal de ceux qui ont été ses sujets. Et s'il eût été autre, il aurait montré du ressentiment contre les Juifs, et n'aurait pas engagé son successeur à être juste et modéré, non-seulement pour satisfaire son ressentiment, mais pour gagner plus de louanges à la comparaison.

65999. Car c'est une dangereuse maladie des rois de souhaiter que leurs successeurs soient méchants et pervers. Ont-ils été grands princes, ils s'imaginent que leurs vertus auront plus d'éclat si leurs successeurs ne leur ressemblent pas. Ont-ils été méchants et corrompus, ils espèrent trouver leur défense dans la perversité de celui qui règne après eux. Tel n'était pas ce saint homme. Il voulait, il souhaitait, il (540) désirait que son peuple lui préférât son successeur, tant il était bon, tant il était pur de tout sentiment de jalousie et de vanité! Il ne cherchait qu'une chose, le salut des hommes. C'est pourquoi, dans son apologie, il instruisait le roi qu'il avait choisi. S'il eût appelé le roi, et lui eût dit: Sois doux, modéré, incorruptible; ne commets ni violence, ni injustice, garde-toi de la cupidité, ses conseils auraient blessé celui qui les aurait reçus; garder le silence eût été trahir son peuple. Sous ombre de faire son apologie, il évite un double inconvénient; il enseigne au roi ses devoirs et lui fait accepter sans peine ses conseils. Il semble ne parler que pour lui-même, mais il fait voir à son successeur de quelle manière il doit prendre soin de ses sujets. Et voyez comme il prouve incontestablement qu'il n'est point coupable d'avoir reçu des présents, il ne dit point Ai-je reçu vos champs ou votre or? il cite des objets de la plus mince valeur: Ai je reçu, dit-il, des chaussures? il nous fait paraître ensuite une autre grande vertu. Beaucoup de princes dépouillent leurs sujets, et se montrent après, doux et cléments: ce n'est point leur nature qui les y porte, mais leur remords; la conscience de leurs déprédations leur ôte leur liberté d'action. D'autres, au contraire, repoussent les présents et se montrent durs et tyranniques; ce n'est point non plus leur nature qui les y porte, c'est une certaine vanité qu'ils font d'être incorruptibles. Mais ces deux qualités se rencontrent rarement réunies chez le même prince. Le saint homme Samuel, pour montrer qu'il savait vaincre à la fois, et l'amour des richesses, et l'esprit de tyrannie, après avoir dit: Ai-je pris le veau de quelqu'un? ajoute: Ai-je opprimé quelqu'un par la violence? c'est-à-dire, ai-je tyrannisé quelqu'un? Voici le sens de ses paroles: Personne ne pourra dire que je n'ai point, à la vérité, reçu de présents, mais que, me sentant incorruptible, j'ai été dur, tyrannique, cruel et sanguinaire. C'est pourquoi il dit: Ai-je opprimé quelqu'un par la violence? Que répondent ses sujets? Tu ne nous as ni opprimés, ni tyrannisés, tu n'as point reçu de présents de nos mains. Et pour que cous sachiez que ses paroles étaient pour le roi un enseigne ment, il ajoute: Devant Dieu et devant son Christ. (1S 5) Et afin de montrer clairement qu'il ne veut point d'un témoignage de complaisance, il prend à témoin Celui qui connaît les secrets de la pensée, ce qui est le signe d'une conscience pure. Car personne, si ce n'est un fou, un insensé, ne prendra Dieu à témoin s'il n'a sur lui-même la plus entière assurance. Quand le peuple a confirmé de son témoignage la vérité de ses paroles, il nous fait connaître encore une de ses vertus. Après avoir rapporté tous les prodiges autrefois accomplis en Egypte par la protection de Dieu, et les guerres qui suivirent, il mentionne le combat livré sous sa conduite, et la victoire remportée contre toute attente; il rapporte à son peuple que souvent, en punition de ses fautes, il fut livré aux ennemis; que lui-même invoqua le Seigneur, et délivra les Juifs, et mêlant les faits anciens aux faits nouveaux, il dit: Le Seigneur envoya Jérobaal et Gédéon, et Barac, et Jephté, et Samuel; il vous délivra des mains de vos ennemis qui vous entouraient et vous établit dans une pleine sécurité. (1S 12,11)

10. Voyez-vous que les saints ne racontent leurs oeuvres méritoires que dans la dernière nécessité? Paul se conforme sur eux, s'instruit par leur exemple, et, sachant qu'il pourra déplaire en parlant de lui-même, il a soin de dire: Plût à Dieu que vous voulussiez un peu supporter mon imprudence! Ce n'est point beaucoup, c'est un peu seulement.. Car, malgré la nécessité, il n'a point dessein de faire au long son propre éloge; il le fait à la hâte, en quelques mots, et encore n'est-ce que pour le salut de ses disciples. Car de même que faire son propre éloge sans nécessité, est le comble de la démence, de même, quand le besoin devient pressant, c'est commettre une trahison que de garder le silence sur le bien qu'on a fait. Cependant, malgré la contrainte, Paul hésite, appelle la chose une imprudence, afin de nous montrer sa prudence, sa sagesse, son assurance. Après avoir dit: Ce que je dis, je ne le dis pas selon le Seigneur, il ajoute: En ce que j'ai pris pour matière à faire mon éloge. (2Co 11,7) Ne croyez pas, dit-il, que je parle en général. Aussi je loue ce saint, je l'admire, je l'appelle sage par excellence, pour avoir regardé comme une imprudence, l'éloge qu'il fait de lui-même. Mais si-, pressé par la nécessité, il se donnait encore le nom d'imprudent, quelle excuse auront ceux qui, sans besoin, font d'eux-mêmes un pompeux éloge, ou forcent les autres à le faire? Qu’il ne nous suffise donc point de louer les paroles du saint: (541) imitons-le, rivalisons avec lui; oublions nos actions méritoires pour ne nous souvenir que de nos péchés, afin que nous vivions dans la modestie, et que, nous efforçant d'atteindre ces récompenses qui nous sont proposées, nous emportions le prix de l'élection céleste, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui partage, avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire, la puissance et l'honneur, aujourd'hui et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduction de AL WIEREYSKI.





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HOMÉLIE SUR LA FÊTE DE PAQUES.




AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

Dans cette homélie, saint Jean Chrysostome célèbre les grands avantages et les heureux effets de la résurrection, il montre la joie que cette fête doit causer dans le ciel parmi les puissances incorporelles, la joie qui doit éclater sur la terre parmi les hommes, parmi les pauvres, comme parmi les riches; il exhorte les fidèles à ne pas déshonorer cette tète, à prendre des sentiments et à tenir une conduite qui soient dignes de la solennité sainte qu'ils célèbrent; enfin il adresse la parole aux néophytes, c'est-à-dire à ceux qui étaient nouvellement baptisés; il leur rappelle les prodiges qu'opèrent les eaux du baptême; il les engage à montrer beaucoup de vigilance pour honorer et conserver les faveurs qu'ils ont reçues.

Fronton du Duc a rejeté cette homélie parmi les ouvrages supposés, parce que, sans doute, plusieurs morceaux en sont pris d'une autre homélie sur la résurrection et de celle sur le mot Coemeterium et sur la croix: mais d'autres savants ont pensé différemment, fondés sur ce que saint Jean Chrysostome se répète quelquefois lui-même.



73011. C'est aujourd'hui qu'il faut nous écrier tous avec le bienheureux David: Qui racontera les oeuvres de la puissance du Seigneur et qui fera entendre toutes ses louanges? (Ps 106,2) Nous voici arrivés à une fête désirable et salutaire: c'est le jour de la Résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ, jour qui a vu finir la guerre, conclure la paix, sceller notre réconciliation, jour dans lequel la mort a été détruite et le démon vaincu. C'est aujourd'hui que les hommes se sont réunis aux anges, et que les mortels revêtus d'un corps chantent désormais des hymnes avec les puissances incorporelles. C'est aujourd'hui que l'empire du démon est aboli, que les liens de la mort sont rompus, que le triomphe de l'enfer est anéanti. C'est aujourd'hui qu'on peut répéter ces paroles du prophète: O mort, où est ton aiguillon? enfer, où est ton triomphe? (1Co 15,55) Aujourd'hui Jésus-Christ Notre-Seigneur a brisé les portes d'airain, et a fait disparaître les horreurs de la mort. Que dis-je, les horreurs de la mort? il a même changé son nom. La mort n'est plus appelée mort, mais repos et sommeil. Avant la naissance de Jésus-Christ et le bienfait de la croix, le nom même de la mort était redoutable. Le premier homme entendit prononcer cette sentence comme l'arrêt d'un grand supplice: Le jour où vous mangerez du fruit de cet arbre, vous mourrez de mort. (Gn 2,17) Le bienheureux Job l'appelle de ce nom: La mort, dit-il, est un repos pour l'homme. (Jb 3,23) Le prophète David disait: La mort des méchants est funeste. (Ps 33,22) Non-seulement la séparation de l'âme et du corps était appelée mort, mais enfer. Ecoutez le patriarche Jacob qui dit: Vous conduirez avec douleur mes cheveux blancs dans L'ENFER. (Gn 42,38) L'ENFER, dit encore un prophète, a ouvert son abîme. (Is 5,14) Il me délivrera, dit encore un autre prophète, de L'ENFER le plus profond. (Is 85,13) Enfin, vous trouverez plusieurs passages de l'Ancien Testament, où le départ de cette vie est appelé mort et enfer; mais depuis que Jésus-Christ Notre-Seigneur s'est offert pour nous en sacrifice, depuis qu'il s'est ressuscité lui-même, ce bien plein de bonté a anéanti ces noms, il a introduit parmi les hommes un genre de vie nouveau et extraordinaire. Le (541) départ de ce monde n'est plus appelé mort, mais repos et sommeil. Qu'est-ce qui le prouve? écoutez Jésus-Christ lui-même qui dit: Notre ami Lazare dort, mais je vais le réveiller (Jn 11,11); car il était aussi facile au Maître commun de tous les mortels de le ressusciter, qu'à nous de réveiller un homme qui dort. Et comme cette expression était étrange et nouvelle, les disciples rie la comprirent pas, jusqu'à ce que le Fils de Dieu, condescendant à leur faiblesse, leur eût parlé un langage plus clair. Le docteur des nations, le bienheureux Paul, écrivant aux Thessaloniciens, leur dit. Je ne veux pas que vous ignoriez ce que vous devez savoir touchant ceux qui dorment, afin que vous ne vous attristiez pas comme font les autres hommes qui n'ont point d'espérance. (1Th 4,12) Et encore ailleurs: Ceux qui dorment en Jésus-Christ sont-ils perdus sans ressource? (1Co 15,18) Et encore: Nous qui vivons et qui sommes réservés pour son avènement, nous ne préviendrons pas ceux qui sont endormis. (1Th 4,15) Et encore: Si nous croyons que Jésus est mort et ressuscité, nous devons croire aussi que Dieu amènera avec Jésus ceux qui seront endormis.

73022. Vous voyez que partout la mort n'est plus appelée que repos et sommeil, et que cette mort, dont l'aspect était si terrible avant Jésus-Christ, est devenue méprisable depuis sa résurrection. Vous voyez le triomphe éclatant de cette résurrection glorieuse. Par elle, nous avons recueilli une infinité d'avantages; par elle, les ruses du démon ont perdu tout leur effet; par elle, nous méprisons la mort; par elle, nous nous mettons au-dessus de la vie présente; par elle nous marchons à grands pas vers le désir des biens futurs; par elle, quoique revêtus d'un corps, nous pouvons jouir des mêmes privilèges que les puissances incorporelles. Aujourd'hui nous avons remporté une victoire éclatante; aujourd'hui Notre-Seigneur, après avoir érigé un trophée contre la mort, et avoir détruit la puissance du démon, nous a ouvert, par sa résurrection, la voie du salut. Ainsi réjouissons-nous, tressaillons et triomphons. Quoique Notre-Seigneur ait triomphé seul, quoiqu'il ait érigé seul un trophée, la joie et l'allégresse doivent nous être communes.

C'est pour notre salut qu'il a opéré tous ces prodiges, et il a triomphé du démon par les moyens mêmes avec lesquels le démon nous avait vaincus; il a pris ses propres armes pour le combattre. Ecoutez comment: Une vierge, le bois, la mort, avaient été les moyens et les instruments de notre défaite. La vierge était Eve, qui n'avait pas encore connu Adam, lorsqu'elle fut trompée par le démon; le bois était l'arbre, et la mort, la peine imposée au premier homme. Voyez-vous comme une vierge, le bois et la mort ont été les moyens et les instruments de notre défaite? voyez comme ils sont devenus ensuite les principes et les causes de notre victoire. Marie a remplacé Eve; le bois de la croix, le bois de la science du bien et du mal; la mort de Jésus-Christ, la mort d'Adam. Vous voyez que le démon a été vaincu par les moyens mêmes avec lesquels il avait triomphé. Le démon avait renversé Adam avec le bois de l'arbre, Jésus-Christ a terrassé le démon avec le bois de la croix. Le bois de l'arbre a jeté les hommes dans l'abîme, le bois de la croix les en a retirés. Le bois de l'arbre a dépouillé l'homme de ses privilèges, et l'a enfermé comme un vaincu et un captif dans l'obscurité d'une prison; le bois de la croix a élevé Jésus-Christ, et l'a montré à toute la terre, nu, cloué, et vainqueur. La mort d'Adam s'est étendue sur ceux qui sont venus après lui; la mort de Jésus-Christ a rendu la vie à ceux qui étaient nés avant lui. Qui racontera les oeuvres de lu puissance du Seigneur, et qui fera entendre toutes ses louanges? Lorsque nous étions tombés, nous avons été relevés, de vaincus nous sommes devenus victorieux, nous avons passé de la mort à l'immortalité.

73033. Tels sont les bienfaits signalés de la croix, telles sont les preuves frappantes de la résurrection. Aujourd'hui les anges tressaillent, toutes les puissances célestes triomphent, et se réjouissent du salut de tout le genre humain. En effet, si l'on se réjouit dans le ciel et sur la terre pour un seul pécheur qui fait pénitence, à plus forte raison l'on doit s'y réjouir pour le salut du inonde entier. Aujourd'hui le Fils de Dieu a délivré la nature humaine de l'empire du démon, et l'a rétablie dans son ancienne dignité. Sans doute, quand je vois que mes prémices ont triomphé de la mort, je ne crains plus, je ne redoute plus la guerre, je ne considère point ma faiblesse, mais j'envisage la puissance de celui qui doit me secourir. Eh! s'il a triomphé de l'empire de la mort, s'il lui a ôté toute sa force, que ne fera-t-il pas (545) désormais pour des hommes dont il n'a pas dédaigné, par un effet de sa bonté infinie, de prendre la nature, et de lutter dans cette nature contre le démon? Aujourd'hui règne par toute la terre une joie et une allégresse spirituelle. Aujourd'hui la troupe des anges et le choeur de toutes les puissances célestes tressaillent et triomphent pour le salut des hommes. Considérez donc, mes frères. combien doit être grand le sujet de réjouissance, puisque les dominations célestes elles-mêmes s partagent notre fête. Oui, elles se réjouissent de nos avantages; et si la grâce dont nous a favorisés le Seigneur nous est propre, la joie leur est commune avec nous. Voilà pourquoi elles ne rougissent pas de partager notre fête. Que dis-je? des créatures ne rougissent pas de partager notre fête! leur Seigneur lui-même et le nôtre ne rougit pas! je dis plus, il désire de célébrer avec nous la fête que nous célébrons. Qu'est-ce qui le prouve? Ecoutez-le lui-même qui dit: J'ai désiré ardemment de manger avec vous cette pâque. (Lc 22,15) Mais s'il a désiré de manger avec nous la pâque, sans doute il a désiré de la célébrer avec nous. Lors donc que vous voyez non-seulement les anges, et toute la troupe des puissances célestes, mais le Seigneur lui-même des anges, partager notre fête, quelle raison auriez-vous de ne point prendre des sentiments d'allégresse?


Ainsi, qu'en ce jour l'indigence ne soit pas un sujet d'humiliation, puisque c'est une fête spirituelle; que l'opulence ne soit pas un motif d'orgueil, puisque les richesses ne sont d'aucune utilité pour la fête présente. Dans les fêtes profanes, dans les fêtes du monde, que l'on célèbre avec tout l'appareil d'un faste superbe, le pauvre doit être chagrin et mortifié, le riche doit être content et satisfait. Pourquoi? c'est que l'un peut se revêtir d'habits magnifiques, et faire servir des repas somptueux, tandis que l'indigence du pauvre le met hors d'état d'étaler tout ce faste. Ici, au contraire, il n'y a rien de tel; toute distinction est bannie; la même table est servie au pauvre et au riche, à l'esclave et à l'homme libre. Etes-vous riche, vous n'avez aucun avantage sur le pauvre; êtes-vous pauvre, vous n'aurez pas moins de privilège que le riche: votre indigence ne diminue rien de la joie que fait goûter un festin spirituel, où domine la grâce céleste, cette grâce qui ne connaît pas la distinction des personnes. Que dis-je? la même table est servie au riche et au pauvre! la même table est servie au prince dont le front est ceint du diadème, qui est revêtu de la pourpre, qui commande à toute la terre, et à l'indigent même qui attend les effets de la pitié publique; car, telle est la nature des dons spirituels, qu'ils ne se distribuent pas selon la dignité du rang, mais suivant les dispositions du coeur. L'indigent et le prince participent aux divins mystères avec la même confiance et le même avantage. Que dis-je? avec le même avantager le pauvre y apporte souvent plus de confiance. Pourquoi? c'est que le prince, obsédé de mille affaires qui le distraient, investi de soins et d'embarras, au milieu d'une mer orageuse dont les flots viennent sans cesse l'assaillir, est exposé à commettre une infinité de péchés; au lieu que le pauvre, affranchi de tous ces liens, occupé seulement de sa nourriture journalière, menant une vie tranquille et paisible, placé comme dans un port où il jouit du plus grand calme, approche de la table sainte pénétré de sentiments religieux.? Mais il est encore d'autres sources d'humiliation et de peine pour l'indigent dans les fêtes de ce siècle. Non-seulement l'abondance et la délicatesse de la table, mais encore le luxe et la magnificence des habits, inspirent au riche une satisfaction qui mortifie le pauvre. Lorsque le pauvre voit un riche superbement vêtu, c'est pour lui une grande douleur: il se trouve malheureux, il maudit mille fois son sort. On ne tonnait pas cette tristesse dans les fêtes de la religion, parce qu les chrétiens sont tous revêtus du même habit spirituel et sacré: Vous tous, s'écrie saint Paul, qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous avez été revêtus de Jésus-Christ. (Ga 3,27)

73044. Ne déshonorons donc pas cette fête,je vous en conjure; mais prenons des sentiments dignes des faveurs dont nous comble la grâce de Jésus-Christ. Ne nous livrons pas aux excès du boire et du manger; mais, considérant la libéralité du Maître commun, qui honore également les pauvres et les riches, les esclaves et les hommes libres, qui répand ses dons également sur tous, tâchons de reconnaître les bienfaits d'un Dieu qui nous témoigne tant d'amour. Et nous ne pouvons mieux les reconnaître que par une vie qui lui soit agréable, par beaucoup d'attention et fie vigilance. Il n'est pas besoin, dans la solennité que nous célébrons, de richesses et de grands frais, mais d'une volonté (546) droite et d'un coeur pur. On ne retire d'ici aucun avantage corporel, tout est spirituel; la prédication de la parole sainte, les prières antiques, les bénédictions des prêtres, la participation aux divins mystères, la paix et la concorde, enfin tous les dons spirituels dignes de la libéralité d'un Dieu. Célébrons donc avec joie le jour où le Seigneur est ressuscité. Oui, il est ressuscité, et avec lui il a ressuscité toute la terre. Il est ressuscité après avoir brisé les liens de la mort; il nous a ressuscités après avoir rompu les chaînes de nos crimes. Adam a péché, et il est mort; Jésus-Christ n'a point péché, et il est mort: chose étrange et extraordinaire. Eh! pourquoi Jésus-Christ est-il mort, puisqu'il n'a point péché? C'est afin que celui qui a péché et qui est mort pût être délivré des liens de la mort par celui qui est mort, quoiqu'il n'ait point péché. C'est ce que nous voyons souvent arriver dans les débiteurs de sommes d'argent. Un homme doit à un autre, et, hors d'état de payer, il est retenu en prison; un autre, qui ne doit pas, et qui est en état de; payer, délivre le débiteur en payant. La même chose a eu lieu par rapport à Adam et a jésus-Christ. Adam était redevable de la mort, et il étaie retenu par le démon; Jésus-Christ, qui n'était pas redevable, et qui n'était pas retenu, est venu dans le monde, et a payé la mort pour celui qui était retenu, afin de le délivrer des liens de la mort.

Vous voyez les bienfaits de la résurrection; vous voyez la bonté de notre divin Maître, vous voyez l'excès de sa tendresse. Ne soyons donc pas ingrats envers un pareil bienfaiteur, et ne nous relâchons pas, à présent que nous sommes parvenus à la fin du jeûne; mais prenons soin de notre âme encore plus qu'auparavant, de peur que, le corps étant engraissé, elle ne s'affaiblisse; de peur que, nous occupant trop de l'esclave, nous ne négligions la maîtresse. Eh! à quoi bon, je vous le demande, charger votre estomac outre mesure, et passer les bornes? l'intempérance détruit le corps et dégrade l'âme. Fidèles aux lois de la sobriété, ne prenons que les aliments nécessaires, afin de pourvoir en même temps à la santé du corps et à la dignité de l'âme, afin de ne pas perdre à la fois tous les fruits du jeûne. Je ne vous interdis pas l'usage des nourritures, ni les plaisirs honnêtes d'une table frugale: non, je ne m'oppose pas à ces plaisirs, mais je vous exhorte à supprimer tout excès, à vous en tenir au besoin, à ne pas nuire à la santé,et à la sérénité de l'âme, en passant les bornes. Celui qui passe les limites du besoin, ne trouvera plus de satisfaction dans le boire et dans le manier. C'est ce que ne savent que trop ceux qui l'ont éprouvé par eux-mêmes, ceux dont l'intempérance leur a attiré une foule d'infirmités désagréables, de dégoûts et d'ennuis.

73055. Mais je connais assez votre docilité pour croire que vous ne manquerez pas de suivre mes conseils; je ne vous parlerai donc point davantage sur cet objet, et je vais adresser la parole aux fidèles qui, dans cette nuit éclatante, ont reçu la grâce du divin baptême, à ces nouvelles plantes de l'Eglise, à ces fleurs spirituelles d'un champ mystique, à ces nouveaux soldats de Jésus-Christ. Il y a trois jours que le Seigneur est mort sur la croix, mais aujourd'hui il est ressuscité glorieux. Il y a trois jours que ces néophytes étaient retenus dans les liens du péché, mais ils sont aujourd'hui ressuscités avec le Sauveur. Jésus-Christ est mort corporellement, et il est ressuscité; ces néophytes étaient morts spirituellement par le péché, et ils sont ressuscités en sortant du péché. La terre, dans cette saison, se ranime, elle produit des fleurs de toute espèce; les eaux du baptême font naître aujourd'hui des prés plus brillants que les prés terrestres. Et ne vous étonnez pas, mes chers frères, si les eaux enfantent des prés émaillés de fleurs. Ce n'est point par sa propre vertu que la terre, dans le principe, a produit différentes espèces de plantes, mais parce qu'elle obéissait aux ordres du souverain Etre. Les eaux ont montré, dans leur sein, des animaux vivants, lorsqu'elles eurent entendu ces paroles: Que les eaux produisent des animaux vivants et rampants. (Gn 1,20) Le Créateur a ordonné, et l'effet a suivi; un élément inanimé a engendré des êtres animés. Les ordres du même Dieu opèrent les prodiges que nous voyons. Il dit alors: Que les eaux produisent des animaux vivants et rampants; aujourd'hui elles nous donnent, non des animaux rampants, mais des dons spirituels. Alors elles ont produit des animaux dépourvus de raison; aujourd'hui elles enfantent des poissons raisonnables et spirituels, pêchés par les apôtres: Venez après moi, dit Jésus-Christ, et je vous ferai pêcheurs d'hommes. (Mt 4,19) Nature de pêche absolument nouvelle. Les pêcheurs tirent de l'eau les poissons, et causent ta mort à tout ce qu'ils en (547) font sortir. Nous, nous jetons dans l'eau les poissons, et tout ce qui en sort trouve la vie. Il y avait anciennement chez les Juifs une piscine; mais apprenez quelle était sa vertu, afin que vous puissiez comparer l'indigence des Juifs avec notre opulence: Un ange descendait dans la piscine, dit l'Evangéliste, il en remuait l'eau; et le premier malade qui y entrait après que l'eau avait été remuée, obtenait sa guérison. (Jn 5,4) Le Maître des anges est descendu dans le fleuve du Jourdain, et en sanctifiant la nature des eaux, il a guéri toute la terre. Alors, celui qui descendait le second dans la piscine n'était plus guéri, parce que c'était une grâce accordée à des Juifs faibles et encore attachés à la terre. Aujourd'hui, quand un second entrerait dans les eaux spirituelles, quand il y entrerait un troisième, quand on y ferait descendre dix mille personnes, ou même tous les peuples de la terre, il est impossible que la faveur tarisse, que la grâce s'épuise, que les eaux se souillent, que la libéralité divine diminue.

Admirez donc, mes frères, la grandeur du bienfait; admirez-la principalement, vous qui cette nuit (1) avez été mis au nombre des citoyens de la Jérusalem céleste. Montrez une vigilance qui réponde à l'excellence des grâces que vous avez reçues, afin d'en attirer de plus abondantes; car la gratitude pour les bienfaits déjà accordés sollicite la libéralité du Seigneur. Il ne vous est plus permis, mon cher frère, de vivre au hasard; vous devez vous prescrire des lois et des règles, afin d'agir en tout avec exactitude, et de montrer la plus grande attention dans les choses même regardées comme indifférentes. La vie présente est un combat perpétuel, et il faut que ceux qui sont une fois entrés dans cette lice de la vertu gardent en tout une tempérance scrupuleuse. Un athlète qui dispute le prix, dit saint Paul, doit garder en tout une exacte tempérance. (1Co 9,25) Ne voyez-vous pas, dans les combats gymniques, combien les athlètes sont attentifs sur eux-mêmes, quoiqu'ils n'aient à lutter que contre des hommes? ne voyez-vous pas quel régime austère ils observent en exerçant leur corps? Nous devons les imiter, d'autant plus que nous n'avons pas à combattre contre des hommes, mais contre les esprits de malice répandus dans l'air. Notre tempérance et nos exercices doivent être spirituels, puisque les amies dont le Seigneur nous a revêtus sont spirituelles. Les yeux doivent avoir leurs bornes et leurs règles, pour qu'ils ne se jettent pas indistinctement sur tous les objets; la langue doit avoir une garde, pour qu'elle rie prévienne pas la réflexion; les dents et les lèvres ont été mises devant la langue, pour qu'elle ne franchisse point légèrement ces barrières, mais pour qu'elle ne produise des sons que quand nous aurons réglé ce qu'elle doit dire, et qu'alors, s'expliquant avec sagesse, elle ne profère que des paroles qui puissent satisfaire et édifier ceux qui les écoutent. Il faut éviter absolument les ris immodérés; notre démarche doit être paisible et tranquille, nos habits décents et honnêtes. Quiconque est inscrit pour la lice de la vertu ne peut être trop régulier et trop modeste dans tout son extérieur, parce que la décence du corps est un indice des dispositions de l'âme. Si nous contractons de bonne heure ces heureuses habitudes, nous marcherons sans peine dans le chemin de la vertu et nous le parcourrons tout entier; les routes s'aplaniront de plus en plus devant nous, et nous obtiendrons de grands secours d'en-haut. Ainsi, nous pourrons traverser sans crainte les flots de la vie présente, et, triomphant de toutes les ruses du démon, acquérir les biens éternels, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire, l'honneur et l'empire sont au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

1 Cette nuit, la nuit du samedi-saint à Pâques. On sait que cette nuit était un des temps où l'on baptisait le plus de catéchumènes.




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