Chrysostome, choix d'Homélies 1301

PREMIER DISCOURS SUR LA MORT ET LA RÉSURRECTION

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Gardez un profond silence, mes frères, afin qu'une parole utile et maintenant nécessaire ne vous échappe pas. C'est quand une grave maladie se déclare qu'il faut recourir à l'art du médecin; c'est quand l'oeil est troublé par la souffrance qu'on doit appliquer le collyre avec empressement. Et quant à ce-lui qui n'éprouverait pas une telle douleur, qu'il se garde bien d'interrompre; mais plutôt qu'il écoute attentivement, vu que la connaissance du remède n'est pas indifférente à celui-là même qui jouit d'une bonne santé. Une plus vive attention convient néanmoins à celui dont les yeux sont malades et que stimule l'aiguillon de la douleur: qu'il ouvre les yeux pour recevoir le collyre de la parole sainte; ce n'est pas seulement un adoucissement qu'il obtiendra de la sorte, c'est la guérison. Il est certain que, si le malade s'obstine à fermer les yeux quand le médecin y verse le collyre, le remède se répand au dehors, et l'oeil demeure dans le même état de souffrance. La même chose a lieu pour une âme malade: si la tristesse la subjuguant entièrement en défend l'entrée à nos salutaires instructions, le mal ne fera qu'augmenter, et peut-être réalisera-t-elle cette sentence du Livre saint: "La tristesse selon le monde opère la mort." (
2Co 7,10) Le bienheureux Paul, ce grand apôtre, ce docteur des chrétiens, cet habile médecin des âmes nous apprend qu'il y a deux sortes de tristesses: l'une bonne, l'autre mauvaise; l'une produisant un heureux effet, l'autre stérile; l'une conduisant au salut, l'autre causant la perte de l'âme. Et pour que personne n'ait un doute là-dessus, voici ses expressions mêmes: "La tristesse selon Dieu inspire la componction et sert d'inébranlable fondement au salut." Telle est la tristesse que nous avons appelée bonne. Il ajoute aussitôt: "Mais la tristesse selon le monde opère la mort." C'est la mauvaise tristesse.

Examinons donc, mes frères, celle que nous avons actuellement sous la main, qui s'agite dans les coeurs, qui se trahit dans la parole; et voyons si cette tristesse est avantageuse ou nuisible, si elle peut produire le bien ou le mal. Devant nous gît un corps immobile, un homme est étendu là qui n'est pas un homme, des membres qui ne sont pas animés; on crie, et il ne répond pas; on l'appelle, et il n'entend pas; sous nos yeux est un visage livide, aux traits altérés, qui manifestent la présence de la mort. On songe à ce silence éternel, aux plaisirs qui ne sont plus, aux espérances brisées, aux nécessités subies, aux douces paroles échangées, aux relations d'une longue vie: et voilà ce qui nous arrache des larmes et des sanglots déchirants, ce qui jette notre âme tout entière dans une tristesse sans fond. A ces coups si terribles, à ces armes si bien trempées de la douleur, il faut opposer avant tout cette conviction, que tout ce qui naît dans ce monde doit mourir. Tel est la loi de Dieu, telle son immuable sentence, Il la fulmine contre le premier homme après la chute de celui-ci: "Tu es poussière et tu retourneras à la poussière." (Gn 3,19) Faut-il donc tant s'étonner si, l'homme ayant cette destination, la loi divine s'accomplit en lui, si la sentence est exécutée? Ce qui fut tout le temps n'a rien d'étrange, ce qui se renouvelle chaque jour n'est pas une chose inouïe, le sort commun n'est pas une exception. Si nous avons vu passer par ce même chemin de la mort nos pères et leurs pères, si nous avons appris que les patriarches et les prophètes depuis Adam, dont la chute entraîna tout, n'ont pas autrement quitté le monde, élevons nos coeurs, sortons de cet abîme de tristesse: après tout c'est une dette que le mort a payée. Et pourquoi s'attrister, en effet, quand on acquitte une dette? Et c'est une dette que la mort, une detce qu'on ne saurait payer d'une autre manière, une dette dont la vertu ne nous affranchit pas plus que l'argent, ni la sagesse, ni la puissance, ni la royauté, puisque les rois ne peuvent pas plus s'y soustraire que leurs sujets. Volontiers je ne vous parlerais que pour augmenter votre tristesse dans le cas où la mort serait de nature à pouvoir être évitée ou même différée par le sacrifice de vos biens, sans que vous eussiez rien fait pour cela, plongés dans la négligence ou retenu par l'avarice mais, puisque c'est là un décret immuable que Dieu même a porté, c'est en vain que nous pleurons et gémissons; nous semblons nous en prendre à nous-mêmes de la mort qui vient d'arriver, alors cependant qu'il est écrit: "Les sorties de la mort appartiennent au Seigneur Dieu;" (Ps 67,21) Si nous acceptons donc pleinement dans notre coeur cette condition essentielle de toute vie, l'oeil de notre âme commencera d'être soulagé, comme après une première ablution.

Vous me direz: Je n'ignore pas que ce malheur frappe indistinctement tout le monde, je sais qu'en mourant on acquitte une dette; mais je songe au bonheur passé, je repasse dans ma mémoire les relations que la mort est venue rompre. - Si c'est pour cela que vous vous abandonnez à la tristesse vous êtes le jouet d'une erreur, vous n'obéissez pas à la raison. Vous devez savoir aussi que le Seigneur qui vous avait donné cette joie, peut vous en donner une plus grande,qu'il est en son pouvoir de remplacer par de meilleures relations celles que vous avez fatalement perdues. Ne songez pas seulement à votre avantage, et tenez compte du bien de celui qui n'est plus; car la mort est peut-être un bien pour lui, selon cette parole de l'Écriture: "Il a été ravi pour que l'iniquité ne pervertît pas son intelligence. Son âme était agréable à Dieu; aussi s'est-il hâté de l'enlever aux perversités de la terre." (Sg 4,11-14) Quant aux habitudes rompues, que vous dirai-je, si ce n'est que le temps les fait oublier à la longue, si bien qu'elles paraissent n'avoir jamais existé? Ce que le temps fait donc tout seul et par la simple succession des jours, beaucoup mieux la raison et la réflexion doivent-elles le faire. Mais ce qu'il faut avant tout méditer, c'est la divine sentence qui nous est transmise par l'Apôtre: "La tristesse selon le monde opère la mort." Par conséquent, si les plaisirs, les avantages et les relations de la vie sont des choses terrestres et passagères, prenez garde que l'abattement et la tristesse qui les suivent ne soient une maladie mortelle. Je ne cesserai donc de vous la répéter cette belle sentence: "La tristesse selon le monde opère la mort." Et comment la mort en est-elle la conséquence? C'est qu'une tristesse excessive jette l'âme dans le doute et la conduit même quelquefois jusqu'au blasphème.

Quelqu'un peut-être me dira: Vous défendez donc de pleurer les morts, alors cependant que les patriarches, Moïse, ce grand serviteur de Dieu, et beaucoup de prophètes sont un exemple du contraire, alors surtout que Job, cet homme si juste, alla jusqu'à déchirer ses habits à la mort de ses enfants? - Non, je ne défends pas de pleurer les morts; c'est l'Apôtre, cette lumière des nations, qui parle en ces termes: "Je ne veux pas que vous ignorez, mes frères, ce qui concerne les morts, de peur que vous ne vous abandonniez à la tristesse comme ceux qui n'ont pas d'espoir." (1Th 4,12) L'éclat de l'évangile ne saurait être obscurci parce que les hommes vivant avant la loi ou même sous les ombres de la loi, pleuraient leurs morts. Ils avaient raison de les pleurer; le Christ n'était pas encore descendu des cieux, Lui qui devait par sa résurrection tarir cette source de larmes. Ils avaient raison de pleurer; car la croyance à la résurrection n'était pas encore prêchée dans le monde. Sans doute, les saints espéraient la venue du Sauveur; mais en attendant ils pleuraient leurs morts, parce qu'ils n'avaient pas vu l'objet de leurs espérances. Enfin, Siméon, l'un des saints de la loi ancienne, après avoir vécu dans la solitude touchant sa propre mort, n'eut qu'à recevoir dans ses mains le Seigneur Jésus, l'enfant qui devait sauver les hommes, pour se réjouir aussitôt à cette même pensée de la mort: "Tu laisse, Seigneur, ton serviteur, s'en aller en paix; car mes yeux ont vu le salut qui vient de Toi." (Lc 2,29-30) Bienheureux Siméon! parce qu'il avait vu ce qu'il espérait, il regarde la mort comme un doux repos.

Vous me direz peut-être aussi: Mais nous lisons dans l'évangile même que la fille du chef de la synagogue fut pleurée, et de plus que les soeurs de Lazare le pleuraient. - On ne pouvait avoir encore que la sagesse de l'ancienne loi, par la raison qu'on n'avait pas vu le Christ ressusciter d'entre les morts. Le Seigneur Lui-même pleura Lazare gisant dans le tombeau, non certes pour nous donner l'exemple d'un regret ainsi manifesté, mais pour nous montrer par ses larmes qu'il avait réellement pris un corps humain. Peut-être pleura-T-il à cause des Juifs eux-mêmes, sachant qu'ils ne croiraient pas en Lui sans un tel signe. La mort de Lazare, en effet, ne pouvait pas être un sujet de larmes, puis-que Jésus avait déclaré qu'elle n'était qu'un sommeil, en promet-tant de ressusciter son ami, ce qu'Il fit en réalité.

Les anciens avaient donc leurs usages; on comprend leur fragilité, par la raison que le Christ n'était pas encore venu. Mais, du moment où le Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous, depuis que le second Adam a détruit la sentence portée contre le premier, que par sa Mort Il a tué notre mort, et qu'Il est ressuscité le troisième jour, la mort n'a plus rien de terrible pour les fidèles; plus de chute à prévoir, plus d'accident à craindre depuis que l'orient nous est venu du haut des cieux. Le Seigneur Lui-même nous crie de sa Voix qui ne saurait mentir: "Je suis la Résurrection et la Vie; celui qui croit en Moi, serait-il déjà mort, vivra; et celui qui vit et croit en Moi, ne verra jamais la mort." (Jn 11,25-26) La parole divine ne laisse aucun doute, mes frères bien-aimés, celui qui croit en Jésus Christ et qui garde ses préceptes, vivra, lors même qu'il serait déjà mort. Recueillant cette parole Paul nous donnait cette leçon: "Je ne veux pas que vous soyez dans l'ignorance, mes frères, concernant ceux qui dorment dans le tombeau, afin que vous ne vous abandonnez pas à la tristesse." Admirable expression de l'Apôtre! avec un mot il nous enseigne la résurrection, avant d'aborder même cette doctrine. En déclarant que les morts dorment seulement, il fait évidemment pressentir qu'ils se lèveront. Donc, "au sujet de ceux qui dorment, ne soyez pas tristes comme les infidèles le sont." Qu'on soit plongé dans le chagrin quand on n'a pas l'espérance, cela se comprend; mais nous qui sommes les enfants de l'espérance, réjouissons-nous. Quelle est cette espérance dont nous sommes nourris, le même apôtre nous le dit: "Si nous croyons que le Christ est mort et ressuscité, Dieu nous arrachera par Jésus à notre dernier sommeil, pour nous réunir à Lui." ( (1Th 4,13) En effet, Jésus est notre salut dans la vie, et notre vie dans la mort. "La vie pour moi, dit l'Apôtre, c'est le Christ, et la mort m'est un gain." (Ph 1,21) Oui, vraiment un gain; car les tribulations et les angoisses que multiplie une vie prolongée, la mort les supprime en se précipitant.

Voici comment Paul décrit ensuite la future réalisation de nos espérances: "Nous vous le disons, sur la parole même du Seigneur, nous qui vivons encore et qui sommes réservés jusqu'à son avènement, nous ne préviendrons pas ceux qui dorment dans la tombe; car, dès que le signal aura été donné par la voix de l'archange, au son de la trompette de Dieu, le Seigneur Lui-même descendra du ciel, et les morts qui reposent dans le Christ ressusciteront les premiers; après cela, nous qui vivons, nous serons enlevés avec eux sur les nuées pour aller au-devant du Christ dans les airs; et de la sorte nous serons éternellement avec le Seigneur. (1Th 4,14-16) Il veut dire par là que le Seigneur, à son second avènement, trouvera beaucoup de chrétiens possédant encore la vie corporelle, qui n'auront pas subi l'épreuve de la mort; et cependant ils ne seront pas enlevés au ciel avant que les saints qui auront subi cette épreuve ne soient sortis de leurs tombeaux, rappelés à la vie par le son de la divine trompette et par la voix de l'archange. Après leur résurrection, ceux-ci se joindront aux vivants et seront enlevés avec eux sur les nuées pour aller au-devant du Christ dans les airs et pour régner à jamais avec Lui. Il n'est pas possible de douter, au reste, que des corps ne soient en état de s'élever dans les airs malgré la pesanteur inhérente à leur nature, puisque, sur l'ordre du Seigneur, Pierre ayant encore ce même corps marcha sur les flots de la mer, et que le patriarche Elie fut enlevé au ciel sur un char de feu, nous donnant ainsi un gage assuré de nos espérances.

Peut-être me demanderez-vous dans quel état seront les saints ressuscités d'entre les morts. C'est votre Seigneur Lui-même qui va le dire: "Les justes rayonneront alors comme le soleil dans le royaume de leur Père." (Mt 13,43) Qu'est-ce encore que la splendeur du soleil? Les fidèles devront nécessairement être transfigurés à l'image du Christ Lui-même et briller de sa Clarté, comme nous l'atteste l'Apôtre: "Nous vivons déjà dans le ciel; c'est de là aussi que nous attendons le Sauveur notre Seigneur Jésus Christ;, qui transformera notre corps humilié en le rendant semblable à son Corps glorieux." (Ph 3,20-21) Oui, sans doute, cette chair mortelle sera transformée sur le modèle de la clarté du Christ, ce corps mortel revêtira l'immortalité, car "ce qui avait été semé dans l'infirmité surgira dans la puissance." (1Co 15,43) La chair n'aura plus à craindre la corruption, elle n'aura plus à souffrir ni la faim ni la soif, ni les maladies ni les autres accidents malheureux. Une paix assurée, une sécurité parfaite sera le partage de cette nouvelle vie. C'est donc une tout autre gloire que celle du ciel; là règne une joie que rien n'altérera jamais.

Voilà ce que Paul avait dans le coeur et devant les yeux, quand il disait: "Je désirais être affranchi de mes liens, et m'en aller avec le Christ m'était bien préférable. (Ph 1,23) Ail-leurs il s'exprime encore plus clairement: "Tandis que nous habitons dans le corps, nous sommes exilés loin du Seigneur; car nous marchons dans la foi et non dans la vision. Notre désir serait bien plutôt de nous éloigner du corps et d'être en la présence du Seigneur." (2Co 5,6-8) Et nous, hommes de peu de foi, que faisons-nous, en tombant ainsi dans l'abattement et l'angoisse parce qu'une personne qui nous était chère s'en est allée vers le Seigneur? Que faisons-nous, en préférant ainsi notre exil sur la terre à la vue du Christ dans l'éternelle patrie? Oui, oui, la vie présente tout entière est un exil: comme des exilés, nous n'avons ici-bas qu'une demeure incertaine, nous sommes accablés de fatigues et de sueurs, nous marchons par des voies difficiles et semées de périls; de tout côté des embûches, de tout côté des sentiers détournés où nous courons risque de nous perdre. Et, quand nous sommes entourés de tant de dangers, non seule-ment nous ne désirons pas en être nous-mêmes affranchis, mais encore nous regrettons et pleurons ceux qui viennent de l'être comme s'ils étaient perdus.

Que nous a donné Dieu par son Fils seul-engendré, si nous craignons à ce point la mort? Pourquoi nous glorifions-nous d'avoir été régénérés dans l'eau du baptême et par la vertu de l'Esprit, s'il nous en coûte tant d'abandonner la terre? Le Seigneur Lui-même nous crie: Si quelqu'un veut me servir, qu'il me suive; où je suis moi-même, là sera mon serviteur." (Jn 2,26) Qu'un roi de la terre appelle quelqu'un dans son palais, à sa table, avec quel empressement et quelle reconnaissance ne ré-pondrait-on pas à son appel? Combien plus ne devons-nous pas accourir avec transport vers le Roi des cieux? Ceux qu'Il reçoit, Il ne se contente pas des les admettre à sa table, Il les fait participer à sa royauté, selon cette sentence de l'Écriture: "Si nous sommes morts avec Lui, avec Lui nous vivrons; si nous prenons part à ses souffrances, nous aurons part à sa royauté. (2Tm 2,11) En parlant de la sorte je n'entends certes pas vous engager à détruire votre santé, à vous ôter la vie contrairement à la Volonté du Créateur, je ne dis pas que l'âme ait le droit d'abréger son séjour dans le corps; ce que je me propose, c'est d'obtenir de chacun de vous qu'il parte volontaire, avec un sentiment de joie, quand il est lui-même appelé, ou qu'il félicite les autres, quand ils partent avant lui. Voilà le but où tend toute la foi chrétienne, la vie véritable après la mort, le retour après le départ. Acceptons donc cette leçon de l'Apôtre et rendons avec confiance grâces à Dieu, qui nous fait ainsi triompher du trépas par le Christ notre Seigneur, à qui gloire et puissance, maintenant et dans les siècles des siècles. Amen.





DEUXIEME DISCOURS SUR LA MORT ET LA RÉSURRECTION

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Dans le précédent entretien, nous avons succinctement parlé des consolations que nous pouvons avoir dans la mort et de l'espoir que nous avons de ressusciter un jour; nous venons en ce moment traiter ce même sujet d'une manière plus ferme et plus complète. Si les choses que nous avons dites sont certaines pour les fidèles, les infidèles n'y voient qu'une pure invention: c'est à ceux-ci que nous devons maintenant nous adresser. Tout incrédule parmi vous est par là même dans le doute pour ce qui regarde la substance corporelle; beaucoup ne croient pas que le corps, une fois réduit en poussière, puisse jamais ressusciter, revenir à la vie. Quant à l'âme, le doute n'est pas possible; les philosophes païens eux-mêmes, reconnaissent son immortalité. Qu'est-ce que la mort, si ce n'est la séparation du corps et de l'âme? Lorsque l'âme se retire, elle qui vit toujours, qui ne saurait mourir, parce qu'elle a pour principe le souffle même de Dieu, le corps meurt aussitôt: des deux substances qui sont en nous, l'une est immortelle, l'autre est sujette à la mort. Or, dès que l'âme a quitté la terre, cette substance invisible pour nous, est reçue par les anges, qui la placent dans le sein d'Abraham, si elle a été vertueuse, ou renfermée dans les prisons de l'enfer, si elle a été pécheresse; et cela, jusqu'à ce que paraisse le jour déterminé où, reprenant son corps, elle viendra au tribunal du Christ rendre compte de ses oeuvres. Donc, comme toute la question porte sur la chair, c'est de son infirmité qu'il faut prendre la défense, et sa résurrection qu'il faut démontrer.

1402 Si le doute et l'incrédulité suggèrent à quelqu'un cette demande: "Comment les morts ressusciteront-ils, dans quel corps les verrons-nous paraître," je leur répondrai par la bouche et les expressions mêmes de l'Apôtre: "Insensé, ce que tu sèmes n'est vivifié qu'après être mort, et cette semence n'est qu'un simple grain de froment, ou bien un autre grain du même genre," (1Co 15,35-37) lequel est mort et ne garde aucune fraîcheur; et puis, quand il a pourri dans la terre, il s'élève plus fécond, se revêt de tendres feuilles et porte de riches épis. Eh quoi, celui qui ressuscite un grain de froment à cause de toi, ne pourra-t-Il pas te ressusciter toi-même à cause de Lui? Celui qui fait chaque jour sortir le soleil du tombeau de la nuit, qui donne en quelque sorte à la lune une vie nouvelle, qui ramène le cours des saisons, toujours pour notre avantage, n'aura-t-Il plus aucun souci de nous, pour lesquels cependant Il rétablit toutes choses, et souffrira-t-Il qu'ils soient à jamais éteints ceux qu'Il avait allumés de son souffle, animés de son esprit? Serait-Il éternellement oublié, l'homme dont l'intelligence a connu Dieu et dont la vie s'est écoulée à son service? Mais, ce dont vous doutez, c'est que vous puissiez revivre après la mort, que votre corps puisse être reconstitué quand les os sont tombés en poussière.

O homme, dis-moi ce que tu étais avant d'avoir été conçu dans le sein de ta mère? Rien, assurément. Celui qui t'a créé de rien ne pourra-t-Il donc te créer une seconde fois de quel-que chose? Crois-moi, il Lui sera plus facile de refaire un être qui fut déjà, que de créer un être qui n'avait jamais été. Une matière informe et vile s'est transformée, sous l'action de sa Puissance, en veines, en nerfs, en os; qui l'empêcherait de t'engendrer de nouveau du sein de la terre? Craindrais-tu que tes os arides ne puissent plus se couvrir de ton ancienne chair? Cesse donc, cesse de mesurer à ton impuissance la grandeur de la divinité. Ce même Dieu qui donne à toutes choses leur existence, qui revêt les arbres de feuilles et les prés de fleurs, pourra revêtir aussi tes os en un clin d'oeil, quand aura brillé le printemps de la résurrection. Jadis le prophète Ézéchiel avait aussi douté de cette vérité, et, Dieu lui demandant s'il pensait que dussent revivre les ossements arides dispersés dans la plaine, il répondit: "Toi seul le sais, Seigneur." (Ez 37,3) Lorsque, sur l'ordre de Dieu transmis par le prophète, les os se furent réunis en reprenant chacun leur place, lorsqu'il eut vu les nerfs les rattacher, les veines se rétablir dans toutes leurs ramifications, les chairs se former de nouveau et la peau les couvrir, il prophétisa encore, et l'âme de chacun rentra dans son propre corps, et tous ces morts se levèrent à la fois comme pour rendre un témoignage solennel de la résurrection future: confirmé dans sa foi par ce spectacle, le prophète a con-signé cette vision dans ses écrits, afin d'en transmettre la connaissance à la postérité. Isaïe s'écrie donc avec raison: "Les morts se lèveront, ils ressusciteront ceux qui sont renfermés dans la tombe, ils tressailliront ceux qui gisent dans le sein de la terre; car la rosée qui vient de Toi sera leur guérison." (Is 26,19) Et dans le fait, comme la semence, humectée par la rosée, germe et se développe, ainsi les os des fidèles germeront sous la féconde rosée de l'Esprit.

1403 Un doute vous reste encore: Comment, de ces ossements réduits en poussière, peut surgir l'homme entier? - Mais vous-même, avec une légère étincelle, vous allumez un grand feu, et Dieu ne pourrait pas, avec le léger ferment de votre cendre, rétablir la masse entière de votre corps, dont l'étendue d'ailleurs est si restreinte? En vain me diriez-vous: Il n'existe plus aucun reste de la chair elle-même; elle a été consumée par le feu ou dévorée par les bêtes. - Sachez d'abord que tout ce qui dis-paraît rentre dans le sein de la terre, et la puissance divine peut aisément l'en dégager. Vous-même, quand vous n'avez point de feu sous la main, vous frappez un fragment de pierre avec un petit morceau de fer, et vous dégagez autant de feu qu'il vous en faut. Quoi! par cette adresse et cette intelligence que Dieu même vous a données, vous produisez une chose qui n'apparaissait pas, et l'infinie Majesté ne pourrait pas faire reparaître, par sa propre vertu, ce qui n'était plus visible pour vous? Dieu peut tout, n'oubliez pas ce principe.

1404 Vous n'avez qu'une chose à demander, s'Il a promis de nous ressusciter; et puis, quand cette promesse vous sera certifiée par les plus imposants témoignages, quand vous en aurez pour caution l'infaillible Autorité du Christ Lui-même, n'hésitez plus dans votre foi, et désormais n'ayez de la mort aucune crainte. Celui qui craint n'a pas une foi solide, et celui qui n'a pas une telle foi contracte une sorte de maladie incurable, puisqu'il accuse Dieu d'impuissance ou de mensonge: c'est jusque-là que va l'incrédulité. Autres sont les enseignements que nous ont transmis les bienheureux apôtres et les saints martyrs. Les apôtres donnent pour base à notre résurrection future la résurrection même du Christ; ils vont annonçant partout que les morts ressusciteront en Lui, et, pour soutenir cette vérité, ils affrontent les tortures, ils ne reculent pas devant la croix. Si toute parole est inébranlable, quand elle a pour elle deux ou trois témoins, comment pourrait-on révoquer en doute la résurrection des morts, attestée non seulement par la parole, mais encore par le sang de tant de vénérables témoins? Et les martyrs, avaient-ils l'espoir de la résurrection ou ne l'avaient-ils pas? S'ils ne l'avaient pas eue, ils n'auraient certes pas accepté comme le bien par excellence une mort accompagnée des plus affreux tourments: ils avaient devant les yeux les récompenses futures et ne songeaient pas aux supplices présents. Ils n'ignoraient pas ce qui a été dit: "les choses visibles n'ont qu'un temps, les choses invisibles sont éternelles." (2Co 4,18)

Écoutez, mes frères, un exemple de vertu, celui d'une mère exhortant ses sept enfants, non avec des larmes, mais avec des transports de joie. Elle voyait leurs corps déchirés par des ongles de fer, meurtris de coups, consommés par les flammes, et cependant elle ne pleurait pas, elle ne poussait pas des cris plaintifs; elle ne cessait au contraire d'inspirer le courage à ses enfants. Or, ce n'est pas la cruauté, c'est la foi qui parlait en elle; elle aimait ses enfants avec force et non avec mollesse; elle les engageait à souffrir des tourments qu'elle souffrait ensuite elle-même d'un coeur content, et cela, parce qu'elle avait la certitude qu'elle ressusciterait avec eux. Et pourquoi parler des hommes? Que n'aurions nous pas à dire aussi des femmes, des enfants, des jeunes filles? Comme ils se sont fait un jeu d'une telle mort! avec quelle ardeur ils se sont jetés dans les rangs de la milice céleste! Ils pouvaient certes, s'ils l'avaient voulu, prolonger leur vie sur la terre, puisqu'on leur avait posé l'alternative, ou de vivre en reniant le Christ, ou de mourir en Le confessant; mais ils aimèrent mieux renoncer à la vie temporelle pour entrer dans l'éternelle vie, quitter la terre pour aller habiter les cieux.

1405 Après cela, mes frères, quel sujet de doute pourrait-il nous rester? où peut désormais trouver place la crainte de la mort! Si nous sommes les enfants des martyrs, si nous voulons avoir part à leur récompense, ne nous affligeons pas à la pensée de la mort, ne pleurons pas ceux qui nous sont chers et qui nous pré-cèdent auprès du Seigneur. Si nous nous obstinons à les pleurer, les bienheureux martyrs nous reprocheront notre conduite; ils diront: Ô fidèles, ô vous qui désirez le royaume de Dieu! vous pleurez les vôtres alors qu'ils meurent tranquillement dans leur lit, sur une couche molle et délicate, vous ne gardez aucune me-sure dans votre douleur; qu'auriez-vous donc fait, si vous les aviez vus torturer et mettre à mort par les infidèles en haine du Seigneur? Est-ce qu'un grand exemple ne vous fut pas anciennement donné? Le patriarche Abraham offrit son fils unique et le frappa du glaive de l'obéissance; celui qu'il aimait d'un si tendre amour, il ne l'épargna pas, pour montrer à quel point il était docile aux ordres du Seigneur. Si vous dites que le patriarche agit ainsi parce que Dieu le lui avait commandé, je vous répondrai que vous avez également un précepte par lequel il vous est dé-fendu de vous abandonner au chagrin, à l'occasion de ceux qui dorment dans la tombe. Quand on n'observe pas les devoirs les moins importants, comment observera-t-on les grands devoirs? Ignorez-vous qu'une âme qui se laisse abattre par de telles circonstances est rejetée lorsqu'il faut accomplir des oeuvres généreuses? Quel est celui qui, craignant un ruisseau, osera jamais s'engager dans la mer? De même, celui qui pleure un mort avec tant d'amertume, pourrait-il jamais descendre dans la lice du martyre? Au contraire, en se montrant ferme et généreux dans de semblables épreuves, on s'achemine vers de plus nobles combats.

1406 C'en est assez, mes frères, pour vous inspirer le mépris de la mort et confirmer en vous l'espérance de la résurrection. Je veux néanmoins mettre sous vos yeux un exemple tiré des temps anciens; aucun ne me paraît plus propre à nous consoler, et je désire que vous l'écoutiez tous du fond du coeur avec une attention soutenue. David, ce grand monarque, avait un fils qu'il aimait comme sa propre âme; cet enfant étant frappé d'une grave maladie, le père se consumait de douleur. Quand tous les secours humains furent connus inutiles, le roi se tourna vers le Seigneur: laissant de côté toute la pompe royale, il s'assit par terre, s'enveloppa d'un cilice, ne mangeant ni ne buvant, et pendant sept jours il ne cessa de prier Dieu de lui conserver son enfant. Les anciens de la maison vinrent à lui pour le consoler et le conjurer de prendre de la nourriture, craignant qu'il ne s'exposât lui-même à mourir tout en ne s'occupant que de rappeler son enfant à la vie. Ils ne purent rien obtenir, toutes leurs instances furent inutiles; un violent amour méprise ainsi tous les dangers. Le monarque gît là dans le triste appareil du cilice, tant que son enfant demeure dans le même état; les paroles ne lui procurent aucune consolation, le besoin de manger ne le sollicite même pas: son âme ne se nourrit que de tristes pensées, la douleur est le seul aliment qui le réconforte, il n'a d'autre breuvage que ses larmes. Voilà que cependant le décret de Dieu s'accomplit, l'enfant meurt; la femme est dans la désolation, la maison tout entière pousse des gémissements plaintifs, les serviteurs sont dans l'alarme, ne sa-chant ce qui va arriver: personne n'ose annoncer au maître la mort de son enfant, tant on redoute que l'ayant si amèrement pleuré quand cet être chéri vivait encore, il ne mette fin à sa propre vie en apprenant qu'il a rendu le dernier souffle. Comme les serviteurs s'agitent et se parlent tout bas pour s'encourager ou se retenir, David a compris, il prévient une telle communication et demande si son enfant est mort. Les serviteurs ne peuvent dire le contraire, leurs larmes parlent pour eux; on accourt, on se réunit, on tremble que le père, dans l'excès de sa tendresse, n'attente à ses jours. Mais tout à coup David se lève rejetant son cilice, avec un visage riant, comme si l'on venait de lui dire que son enfant est guéri; il se rend au bain, puis au temple, il adore Dieu, il mange avec ses amis, refoulant toute plainte, ne poussant aucun soupir, la joie peinte sur la figure. La famille est dans l'étonne-ment, les amis sont frappés d'un changement aussi subit qu'insolite; ils osent enfin demander au roi comment il se fait qu'il ait tant pleuré son fils vivant et qu'il ne gémisse pas sur sa mort. Cet homme si magnanime leur répond: Tant que mon enfant était en vie, je devais m'humilier, jeûner, pleurer devant le Seigneur; car je pouvais espérer d'obtenir une prolongation de vie. Maintenant que la Volonté de Dieu s'est accomplie, ce serait une chose insensée, impie même, de briser mon âme par d'inutiles lamentations. Il ajoute: "C'est moi qui dois aller vers lui, et non lui revenir vers moi." ( 2 Sam 12,23)

Voilà un exemple de courage et de magnanimité. Si ce monarque, vivant encore sous la loi, ayant le droit dès lors, ce n'est pas assez dire, étant dans la nécessité de s'abandonner à la tristesse, a néanmoins surmonté la violence de ce sentiment, a mis de la sorte un terme à sa propre douleur comme à la douleur des siens; nous qui vivons sous le règne de la grâce, qui devons espérer la résurrection, à qui par là même cette tristesse est inter-dite, comment pouvons-nous pleurer nos morts à la façon des infidèles, nous livrer à des clameurs que la raison même con-damne et qui rappellent dans un autre sens les fureurs des bac-chantes, déchirer nos vêtements et découvrir notre poitrine, faire entendre des paroles insensées et des chants lugubres autour du corps et de la tombe des trépassés? je le demande encore, pour-quoi cet étalage d'habits noirs, et n'est-ce pas un trait de plus de ressemblance avec les malheureux infidèles? Ce sont là des emprunts faits à l'étranger, des choses qui ne nous sont pas permises; et, seraient-elles permises, elles ne conviendraient pas. - Mais nous avons des frères et des soeurs que l'influence des parents et des voisins entraîne à de pareilles faiblesses, alors que par eux-mêmes ils seraient forts et respecteraient le précepte du Seigneur: on les accuserait de froideur et de cruauté, s'ils ne portaient pas les mêmes vêtements que les autres, s'ils ne donnaient pas le mêmes signes de douleurs extravagante. - Quelle vanité, quelle ineptie de subir ainsi des idées fausses et qu'on ne partage pas, sans crainte de porter atteinte à la foi qu'on a reçue! Dans une telle situation, pourquoi ne pas apprendre à raffermir son courage? Pourquoi ne viendrait-il pas s'instruire sur la foi, celui qui conserve quelque doute? Et si votre coeur, après tout, suc-combe au poids de sa douleur, pourquoi ne pas la renfermer dans le silence, au lieu de la proclamer avec cette inconsidération?

1407 Je veux encore vous proposer un exemple, dans le but de corriger ceux qui croient devoir pleurer de la sorte les morts, et cet exemple, je le tire de l'histoire même des païens. Il fut un prince idolâtre qui n'avait qu'un fils, objet de sa tendresse; or, comme il sacrifiait au Capitole d'après les faux rites des gentils, on vint lui annoncer que ce fils unique était mort; il ne laissa pas l'offrande qu'il avait dans ses mains; il ne versa pas une larme, il ne poussa pas un soupir. Écoutez plutôt ce qu'il répondit: Qu'on l'ensevelisse; je savais bien que j'avais engendré un fils sujet à la mort. Quelle réponse, quel courage dans ce païen! Il n'exige pas même qu'on l'attende, il ne demande pas d'être présent à la sépulture de son fils. Que ferions-nous, mes frères, si le diable, au jour du jugement, plaçait cet homme en face de nous sous les yeux du Christ, et tenait ce langage: Celui-ci fut mon adorateur, je l'avais égaré par mes vains prestiges, en le faisant se prosterner devant des simulacres aveugles et sourds; je ne lui avais promis ni la résurrection, ni le paradis, ni le royaume céleste; et cet homme, en apprenant la mort de son fils unique, conserva le calme le plus parfait, n'interrompit pas même les cérémonies de mon culte: tandis que tes chrétiens, les fidèles, pour qui Tu es mort sur une croix, afin de leur apprendre à ne pas redouter la mort et de leur donner l'assurance de la résurrection, non seulement pleurent leurs morts, se couvrent de vêtements lugubres, mais encore refusent alors de se rendre à l'église; tes ministres eux-mêmes, les pasteurs de ton troupeau suspendent l'exercice de leur ministère, sans respect pour ta Volonté, sous le prétexte ou sous l'empire d'un deuil. Et pourquoi? parce que ta Voix a retiré des ténèbres du siècle, pour les rappeler à Toi, ceux que Tu as voulu.

A cela, que pourrions-nous dire, mes frères? Ne serons-nous pas couverts de confusion en voyant que sous ce rapport nous ne sommes pas même au niveau des infidèles? Et certes, ce serait à l'infidèle de pleurer; car, ne connaissant pas Dieu, dès qu'il meurt il va droit aux éternel supplices. Le juif aussi doit pleurer, puisqu'il a voué son âme à la damnation en refusant de croire au Christ. Il faut encore déplorer le sort de nos catéchumènes, si, par leur défaut de foi ou par la négligence du prochain, ils quittent la vie sans avoir reçu le baptême. Quant à celui qui meurt sanctifié par la grâce, marqué du signe de la foi, ou bien après une confession sincère, ou bien avec l'innocence justement présumée, il faut le proclamer heureux, non le pleurer et l'accompagner d'amers regrets et de larmes intarissables; que nos regrets du moins soient modérés, puisque nous savons que nous aurons à le suivre dans le temps marqué par la divine sagesse.

1408 Essuies donc tes pleurs, suspends tes soupirs, refoule tes gémissements, ô fidèle; au lieu de cette tristesse, aie celle qui est selon Dieu et qui sait accomplir le salut sur une base solide, comme parle le bienheureux Paul; c'est du regret de nos fautes qu'il s'agir. Sonde tous les replis de ton coeur, interroge ta conscience, et, si tu y trouves quelque sujet de repentir, ce que tu trouveras infailliblement étant homme, gémis dans la confession, verse des larmes dans la prière; voilà une mort dont tu dois être en souci, le châtiment de ton âme; pleure sur tes péchés, et dis avec David: "Je connais mon iniquité, et mon péché est toujours devant moi." (Ps 50,5) Tu n'éprouves plus de la sorte les mêmes terreurs au sujet de ton corps, qui sera du reste rétabli dans un état, meilleurs, sur l'ordre même de Dieu et quand le moment sera venu. Vois comment la divine parole embrasse ce double objet: "L'heure vient où les morts qui sont dans leurs tombes ressusciteront." (Jn 5,28) Voilà pour nous donner la sécurité, pour nous inspirer le mépris de la mort. Quelle est la suite du teste? "Ceux qui ont fait le bien ressusciteront pour entrer dans la vie; ceux qui ont fait le mal ressusciteront pour subir leur jugement." (Jn 29) Telle est la différence que présentera le spectacle de la résurrection. Toute chair, du moins toute chair humaine, doit nécessairement ressusciter; mais l'homme de bien ressuscitera pour vivre, et le méchant pour souffrir, selon cette autre parole: "Voilà pourquoi les impies ne ressusciteront pas pour être jugés comme les justes, ni les pécheurs pour être admis dans leurs rangs." (Ps 1,5)

Si nous ne voulons donc pas ressusciter pour être condamnés, repoussons cette tristesse que la mort nous cause, et n'admettons dans nos coeurs que celle dont la pénitence est le principe, appliquons-nous aux bonnes oeuvres, faisons des progrès dans la vertu. Que la pensée de ce deuil et la vue de ce cadavre nous rappellent seulement que nous sommes mortels; c'est une leçon qui ne nous permettra pas de négliger notre salut, tant que nous sommes dans la possibilité de l'opérer, soit en nous élevant à des oeuvres plus parfaites et plus fructueuses, soit en nous corrigeant si nous nous étions égarés; de peur que, surpris tout à coup par la mort, nous demandions vainement le temps de faire pénitence, nous voulions alors répandre des aumônes et satisfaire pour nos péchés, sans pouvoir obtenir de réaliser cette inspiration tardive.

1409 Après avoir vu, mes frères, la commune loi de la mort, la défense portée contre les larmes, la fragilité des anciens, auxquels n'était pas encore donnée la vertu du christianisme; après avoir clairement entendu le mystère du Sauveur et les enseignements des apôtres touchant la résurrection; après avoir rappelé les Actes des apôtres eux-mêmes et les souffrances des martyrs, puis encore l'exemple de David et celui même d'un idolâtre; après avoir enfin compris qu'il est deux sortes de tristesse, l'une nuisible et l'autre avantageuse, l'une qui perd et l'autre qui sauve; après avoir recueilli tout cet enseignement, qu'avons-nous à faire autre chose, mes frères, que de rendre grâces à Dieu notre Père, et de Lui dire: "Que ta Volonté soit faite sur la terre comme au ciel!" (Mt 6,10) Tu nous as donné la vie, Tu as décrété la mort; tu nous introduis dans le monde, Tu nous en retires, et, quand Tu nous rappelles, c'est encore pour nous conserver la vie; car rien ne périt pour ceux qui T'appartiennent, et Tu nous assures qu'un cheveu ne tombera pas même de leur tête sans ta permission. (voir Luc 21,18) "Tu leur enlèveras le souffle, et ils seront frappés de mort, et ils retourneront dans la terre d'où ils sont sortis;" mais aussi "Tu enverras ton Esprit, et ils seront de nouveau créés, et Tu renouvelleras la face de la terre." (Ps 103,29-30) Voilà des paroles, chrétiens, dignes d'une bouche fidèle, voilà le remède qui procure la guérison: si nous l'appliquons à l'oeil de notre âme, et pour le déterger, et pour l'oindre, non seulement nous n'éprouverons pas la cécité qui provient du désespoir, mais encore nous écarterons les nuages que répand la tristesse; bien mieux, nous verrons toutes choses avec beaucoup plus de perspicacité, et nous dirons avec Job, ce grand modèle de patience: "Le Seigneur me l'avait donné le Seigneur me l'a ravi; tout s'est fait selon son bon plaisir. Béni soit le Nom du Seigneur," (Jb 1,21) dans les siècles des siècles. Amen.








Chrysostome, choix d'Homélies 1301