Chrysostome, choix d'Homélies 305

305 Vous le voyez, partout la prière avec le jeûne. La lyre rend alors des sons plus mélodieux et plus suaves. Les cordes n'en sont pas relâchées par l'ivresse des sens; l'intelligence est pleine de vigueur, l'âme veille au sein de la lumière. Voilà comment il faut s'approcher de Dieu et Lui parler, seul à seul. Quand nous avons quelque chose d'important à dire à nos amis, nous les prenons à part afin de leur parler. A combien plus forte raison ne devons-nous pas en agir de même envers Dieu? Entrons pour Lui parler dans le lieu le plus calme et le plus retiré de notre demeure, et nous obtiendrons absolument tout ce que nous Lui demandons, pourvu que nous Lui demandions des choses utiles. C'est un grand bien que la prière, encore une fois, quand elle part d'une âme reconnaissante et vigilante. Mais comment prouvons-nous que nous sommes reconnaissants? C'est en nous appliquant à rendre grâces au Seigneur, non seulement lorsqu'Il nous accorde, mais aussi lorsqu'Il nous refuse l'objet de notre demande. Dans l'un et l'autre cas c'est pour notre bien qu'Il agit. Que vous avez donc reçu ou non, il dépend de vous de recevoir en ne recevant pas, et que vos voeux soient remplis alors même qu'ils paraissent déçus. Parfois, il vaut mieux pour nous ne pas obtenir qu'obtenir ce que nous demandons. Si cela n'était pas, Dieu nous accorderait toujours; mais il arrive que son refus soit une faveur éminente. C'est encore ainsi qu'Il diffère souvent de nous exaucer; ce n'est pas pour nous imposer une privation, ce retard est un artifice de sa Sagesse pour nous faire persévérer dans la prière. Trop souvent, après que nous avons obtenu ce que nous demandions, nous perdons le zèle pour la prière; c'est donc pour l'entretenir en nous qu'il diffère ses dons. Ainsi font les pères qui aiment vraiment leurs enfants: les voyant adonnés à la paresse et pleins d'ardeur seulement pour le jeu, ils tâchent de les retenir en leur faisant les plus belles promesses; de là de fréquents délais, ou même quelquefois des refus. Il n'est pas rare que nous demandions des choses nuisibles; or, Dieu qui connaît mieux que nous en quoi consiste notre bien, n'a garde alors d'écouter notre demande, Il nous fait du bien à notre insu et comme en dépit de nous-mêmes.

Faut-il s'étonner que nous ne soyons pas exaucés, quand nous savons que Paul éprouva la même chose? Il demanda souvent sans obtenir; et non seulement il ne s'en attrista pas, mais encore il en rendit grâces à Dieu. "Voilà pourquoi, dit-il, j'ai par trois fois prié le Seigneur." (
2Co 12,8) Trois fois est ici pris pour un grand nombre de fois. Si l'Apôtre a si souvent demandé en vain, n'est-il pas bien juste que nous persévérions dans la prière? Mais examinons de plus près dans quelles dispositions il était après avoir essuyé de tels refus. Au lieu de s'en attrister, nous venons de le dire, il s'en glorifiait. Vous l'avez entendu: "Voilà pourquoi j'ai prié par trois fois le Seigneur; et Il m'a répondu: Ma grâce te suffit; car ma Puissance éclate dans l'infirmité." Puis il ajoute: "Volontiers donc je me glorifierai dans mes infirmités." (2Co 9)

306 Quelle reconnaissance dans le serviteur! Il a demandé d'être délivré de ses infirmités, et Dieu n'a pas voulu; bien loin cependant de s'abandonner à la tristesse, Paul se glorifie de ces mêmes infirmités. Mettons nos âmes dans de semblables dispositions: que Dieu nous accorde ou nous refuse ce que nous Lui demandons, rendons-Lui également grâces; car dans les deux cas, c'est pour notre bien qu'Il agit. S'il a le pouvoir de donner, Il a celui de donner quand il veut et ce qu'il veut, ou même de ne pas donner. Vous ne savez pas ce qui vous est profitable; Il le sait parfaitement. Vous demandez souvent des choses nuisibles et pernicieuses; et pourvoyant à votre salut beaucoup mieux que vous-même, Il refuse de vous exaucer, Il a tout prévu pour votre bien sans attendre votre prière. Si les pères selon la chair n'accordent pas tout à leurs petits enfants qui les sollicitent, ce n'est certes pas qu'ils dédaignent leur bonheur, c'est plutôt par sollicitude pour eux: à plus forte raison devons-nous reconnaître cette même conduite en Dieu, lui dont l'amour et la prévoyance n'ont pas d'équivalent sur la terre. Vaquons donc sans cesse à la prière, non seulement le jour, mais encore la nuit. Écoutez ce que dit notre saint prophète: "Au milieu de la nuit je me levais pour rendre hommage à l'équité de tes jugements." (Ps 118,62) Voilà donc un roi, occupé de tant de soins, chargé de tant de peuples, de cités et de provinces, obligé de pourvoir à la direction des affaires et dans la paix et dans la guerre, voyant toujours se dresser devant lui de nouveau sujets de sollicitude, au point de ne pouvoir pas respirer un instant, et qui malgré cela s'applique à l'exercice de la prière le jour et la nuit. S'il en était ainsi d'un monarque, au milieu des délices et des soucis, des distractions et des labeurs de la royauté; si, dans une telle condition, il montrait plus de zèle et d'assiduité que les moines eux-mêmes qui vivent sur les montagnes, quel espoir de pardon pouvons-nous avoir, je vous le demande, nous qui, menant une vie si calme et si libre, n'ayant à nous occuper que de nous, non seulement dormons les nuits entières, mais encore dans le jour ne nous acquittons pas avec l'application convenable des prières obligées?

Quelle arme que la prière et quelle beauté! c'est un port assuré, un trésor inépuisable, une richesse qu'on ne peut nous ravir. Quand nous allons solliciter les hommes, il ne faut pas reculer devant les frais ni devant les flatteries les plus obséquieuses, il y a mille démarches à faire, mille précautions à s'imposer. Souvent il n'est pas permis d'aborder directement le maître et de lui demander la faveur qu'on attend de lui; on est dans la nécessité de recourir avant tout à ceux qui gèrent ses intérêts et sa maison, de les gagner par des présents, par des paroles adroites, par tous les moyens possibles, si l'on veut arriver au but qu'on s'est proposé. Les choses ne vont pas ainsi par rapport à Dieu: Il nous accorde sa grâce beaucoup plus aisément sur notre propre demande que sur la demande d'autrui. Et d'ailleurs, nous trouvons ici notre avantage, comme nous l'avons déjà dit, soit qu'Il nous accorde, soit qu'Il nous refuse; tandis que là nous éprouvons la plupart du temps un dommage dans les deux cas. Puisqu'il nous est donc plus profitable et plus facile de nous adresser à Dieu, gardons-nous de négliger la prière. Dieu vous sera d'autant plus favorable et vous octroiera d'autant mieux l'objet de vos désirs, que vous le prierez par vous-même avec une conscience pure, un esprit vigilant, une attention soutenue, contrairement à ce que font un si grand nombre, dont la langue prononce les paroles de la prière, mais dont la pensée erre partout ailleurs, dans leur maison, sur les places publiques et les grandes routes. Il faut reconnaître en cela les manoeuvres du diable: comme il sait bien que nous pouvons alors obtenir le pardon de nos péchés, il s'efforce de nous fermer le port de la prière, il fait tout ce qui est en son pouvoir pour éloigner notre âme des paroles que nous prononçons, afin que cet exercice soit pour nous une perte plutôt qu'un gain.

N'ignorant pas ces choses, quand tu approches de Dieu, n'oublie pas, ô homme, à qui tu parle. Pour exciter ta vigilance, il suffit que tu te souvienne, en effet, de celui qui doit t'accorder sa grâce. Porte tes yeux vers le ciel, et que la foi te rende présent le Dieu qui t'écoute. Quand tu abordes un homme revêtu de quelque dignité, n'importe laquelle, serais-tu du caractère le plus insouciant, toutes tes facultés sont aussitôt éveillées, ton âme est là tout entière: combien plus, en pensant que nous allons parler au souverain Maître des anges, puiserons-nous dans cette pensée une vive et profonde attention? S'il faut t'indiquer une autre voie pour secouer ta torpeur, je consens à te la dire. La prière finie, nous nous apercevons fréquemment que nous n'avons rien entendu de ce que nous venons de dire. Dans ce cas, reprenons aussitôt notre prière; et, si la même chose nous arrive encore, reprenons-la trois et quatre fois, s'il le faut, et ne la quittons pas que nous ne l'ayons faite tout entière avec un esprit attentif. Dès que le démon verra cette persévérance et cette énergie, il cessera de nous tendre ses embûches, sachant désormais qu'il n'obtient d'autre résultat que de nous obliger à redire plusieurs fois notre prière. Nous recevons, mes bien-aimés, de nombreuses blessures, soit de la part de la famille, soit de la part des étrangers, dans notre maison et sur le marché, dans les affaires publiques et privées, de la part des voisins et des amis. Portons remède à toutes ces blessures dans le temps de la prière. Si nous allons à Dieu d'un coeur ardent et sincère, avec autant d'attention que de ferveur, en Lui demandant pardon de nos fautes, Il nous accordera pleinement ce pardon. Puissions-nous tous l'obtenir par la grâce et l'amour de notre Seigneur Jésus Christ, à qui gloire, en même temps qu'au Père et au saint Esprit, dans les siècles des siècles. Amen.







Chrysostome, choix d'Homélies 305