Chrysostome sur Actes 1805

HOMÉLIE XIX. CEPENDANT UN ANGE DU SEIGNEUR PARLA A PHILIPPE, ET LUI DIT : LÈVE-TOI ET VA VERS LE MIDI, (CHAP. VIII, 26, 27, JUSQU'AU VERS. 9 DU CHAP. 9)

SUR LE CHEMIN QUI DESCEND DE JÉRUSALEM A GAZA, CELLE QUI EST DÉSERTE. ET SE LEVANT IL PARTIT.
1900 Ac 8,26-9,9

Traduit par M. l'abbé DEVOILE.

ANALYSE. 1-3. Baptême de l'eunuque éthiopien. — Philippe transporté miraculeusement de Gaza à Azoth. — Conversion de saint Paul.
4. L'abandon des Livres saints nous conduit à notre perte.
5. Dans l'Eglise même il y a une inattention générale, lorsque la voix du lecteur fait entendre la sainte parole des Ecritures, et pourtant les auditeurs sont très-ignorants des mystères.

1901 1. Il me semble qu'il a reçu cet ordre pendant qu'il était à Samarie : car, en partant de Jérusalem, on ne va pas vers le midi, mais vers le nord, tandis qu'en partant de Samarie, on va vers le midi. «Celle qui est déserte » (Ac 8,26). L'ange dit cela, pour le rassurer contre l'attaque des Juifs. Philippe ne demande pas pourquoi; mais il se lève et part. « Et voilà qu'un Ethiopien, eunuque, puissant auprès de Candace, reine d'Ethiopie, et préposé sur tous ses trésors, était venu adorer à Jérusalem et s'en retournait, assis sur son char, et lisant le prophète Isaïe » (Ac 8,27-28). Ces paroles contiennent un grand éloge. Il demeurait en Ethiopie, il était accablé d'affaires, ce n'était point un jour de fête, il se trouvait dans une ville livrée aux superstitions, et il était venu adorer à Jérusalem. Son empressement était grand, car il lisait assis sur son char. «Alors l'Esprit dit à Philippe : Approche et tiens-toi contre ce char. Et Philippe accourant, entendit l'eunuque qui lisait le prophète Isaïe, et il lui dit : Croyez-vous comprendre ce que vous lisez? Il répondit : Comment le pourrais-je, si personne ne me l'explique? » (Ac 8,29-31) Voyez cette nouvelle preuve de piété. Quelle est-elle ? C'est qu'il lit sans comprendre, et qu'après avoir lu, il cherche le sens. « Et il prie Philippe de monter et de s'asseoir près de lui. Or le passage de l'Ecriture qu'il lisait était celui-ci : Comme une brebis, il a été mené à la boucherie, et comme un agneau sans voix devant celui qui le tond, il n'a pas ouvert sa bouche. Dans l'humiliation son jugement a été aboli. Qui racontera sa génération, puisque sa vie est retranchée de la terre? Or, répondant à Philippe, l'eunuque dit : De qui, je vous prie, dit-il cela? Est-ce de lui ou de quelque autre? Alors Philippe ouvrant la bouche, et commençant par ce passage de l'Ecriture, lui annonça Jésus » (Ac 8,31-35). Vous voyez comme la Providence arrange tout en faveur de l'eunuque. D'abord il lit et ne comprend pas; ensuite il lit le passage où sont racontés la passion, la résurrection et le don. « Et comme ils allaient par le chemin, ils rencontrèrent de l'eau, et l'eunuque dit : « Voilà de l'eau ; qu'est-ce qui empêche que je ne sois baptisé? » Voyez-vous son ardeur ? Voyez-vous son empressement ? « Et il fit arrêter le char; alors tous deux, Philippe et l'eunuque, descendirent dans l'eau, et il le baptisa. Lorsqu'ils furent remontés de l'eau, l'Esprit du Seigneur enleva Philippe, et l'eunuque ne le vit plus. Mais il continuait son chemin, plein de joie » (Ac 8,36-39).

Pourquoi, direz-vous, l'Esprit du Seigneur enleva-t-il Philippe? Parce qu'il devait traverser d'autres villes et y prêcher l'Evangile; et aussi pour le faire admirer, et prouver à l'eunuque que ce qui venait de se passer n'était pas l'effet de la puissance de l'homme, (83) mais de celle de Dieu. « Pour Philippe, il se trouva dans Azoth, et il évangélisait en passant toutes les villes, jusqu'à ce qu'il vînt à Césarée » (Ac 8,40). Ceci démontre qu'il était un des sept, puisqu'on le trouve ensuite à Césarée. L'Esprit l'enleva à propos; autrement l'eunuque l'aurait prié de venir avec lui, et Philippe l'aurait peut-être affligé par son refus ; car le moment n'était pas encore venu. Voyez-vous les anges coopérer à la prédication? Sans prêcher eux-mêmes, ils appellent les prédicateurs. Et c'est là qu'est la merveille : ce, qui était rare et difficile autrefois, devient maintenant très-fréquent. Ce qui s'était passé, présageait d'ailleurs qu'ils triompheraient des étrangers. Car le témoignage des croyants était digne de foi et propre à inspirer le même zèle à ceux qui les écoutaient. Voilà pourquoi l'eunuque s'en allait plein de joie; mais il n'eût pas été aussi joyeux s'il avait tout su. Mais qu'est-ce qui empêchait, direz-vous, qu'il n'apprit tout en détail, pendant qu'il était assis sur son char, surtout dans le désert? C'est qu'il ne s'agissait point de faire de l'ostentation.

Mais examinons ce qui a été lu plus haut. « Et voilà qu'un Ethiopien, eunuque, puissant auprès de Candace, reine d'Ethiopie » (Ac 8,27). Il est clair que Candace régnait sur les Ethiopiens. Autrefois les femmes régnaient, et c'était la loi en Ethiopie. Philippe ne savait pas pourquoi il se trouvait dans le désert, parce que ce n'était pas l'ange, mais l'Esprit qui l'avait enlevé. L'eunuque ne voit rien de cela, ou parce qu'il est encore imparfait, ou parce que c'est l'affaire des hommes spirituels et non des hommes charnels, et il ne sait pas ce qu'a appris Philippe. Et pourquoi l'ange ne lui apparaît-il pas, pour le conduire à Philippe ? Parce que peut-être il eût été plutôt frappé d'étonnement que convaincu. Voyez la sagesse de Philippe ! Il ne blâme pas, il ne dit pas : Vous êtes un ignorant, moi je vous instruirai. Il ne dit pas : je sais cela parfaitement. Il ne le flatte pas en disant : Vous êtes bienheureux de lire. Son langage est donc également éloigné de la présomption et de la flatterie ; c'est plutôt celui du véritable intérêt et de la bonté. Il fallait que l'eunuque questionnât, exprimât un désir. Mais Philippe fait assez voir qu'il connaît son ignorance, quand il lui dit : « Croyez-vous comprendre ce que vous lisez? » (Ac 8,30) Il lui indique en même temps qu'il y a là un grand trésor caché.

1902 2. Mais voyez avec quelle prudence l'eunuque s'excuse. « Comment le pourrais-je», dit-il, « si personne ne me l'explique? » (Ac 8,31) Il n'a point regardé à l'habit, il n'a point dit : Qui es-tu? Il ne blâme pas, il ne parle pas avec arrogance, il ne se vante pas de savoir, mais il confesse qu'il ignore; et voilà pourquoi on l'instruit. Il montre sa plaie au médecin; il comprend que celui-ci sait et veut l'instruire. Il le voit exempt de faste : car Philippe était modestement vêtu. Voilà pourquoi il est avide d'entendre et attentif à ce qui se dit; en lui s'accomplissait cette parole : « Celui qui cherche, trouve. (Mt 7,3) Il pria Philippe « de monter et de s'asseoir près de lui » (Ac 8,31). Voyez-vous son empressement ? Voyez-vous son désir? Il le prie de monter et de s'asseoir près de lui; il ne savait pas ce qu'il allait lui dire, mais il s'attendait simplement à entendre expliquer une prophétie. C'était de sa part une plus grande marque d'honneur de ne pas seulement faire monter Philippe, mais de l'en prier. « Et Philippe accourant l'entendit qui lisait » (Ac 8,30). La course indique un homme avide d'enseigner, la lecture un homme avide de savoir. Car il lisait précisément à l'heure où le soleil est le plus ardent. Or le passage était celui-ci : « Comme une brebis, il a été mené à la boucherie » (Ac 8,32). Une autre preuve de son désir de s'instruire, c'est qu'il a dans les mains le plus sublime des prophètes. Aussi Philippe s'explique-t-il avec lui sans vivacité mais avec calme; il ne parle même qu'après avoir été interrogé, après en avoir été prié. Questionnant de nouveau, l'eunuque demande : « De qui, je vous prie, le prophète dit-il cela? » (Ac 8,34) Il me semble qu'il ignorait que les prophètes parlent des autres, ou tout au moins d'eux-mêmes, sous des noms supposés. Pauvres et riches, que l'exemple de cet intendant nous fasse rougir. « Ensuite ils rencontrèrent de l'eau, et il dit : Voilà de l'eau » (Ac 8,36). Ceci est l'indice de son extrême ferveur. « Qu'est-ce qui empêche que je ne sois baptisé? » (Ac 8,36) Voyez-vous son désir? Il ne dit pas : Baptisez-moi; il ne se tait pas non plus; mais son langage tient en quelque sorte le milieu entre le désir et le respect : « Qu'est-ce qui empêche que je ne sois baptisé ». Voyez comme il a la doctrine complète; car le prophète embrasse tout : l'incarnation, la passion, la résurrection, l'ascension, le jugement futur; et c'est ce qui inspire à l'eunuque un grand (84) désir. Rougissez aussi, vous qui n'êtes pas encore éclairés. « Et il fit arrêter le char » (Ac 8,38). Il parle, il commande, avant même d'écouter. « Lorsqu'ils furent remontés de l'eau, l'Esprit du Seigneur enleva Philippe » (Ac 8,39). C'était pour montrer l'action de la divinité, et faire comprendre à l'eunuque que Philippe n'était point un homme ordinaire. « Et il continuait son chemin, plein de joie » (Ac 8,39). Ces paroles indiquent qu'il se fût attristé, s'il avait tout su ; mais la vivacité de sa joie l'empêchait de voir le présent, quoiqu'il eût été honoré de la visite de l'Esprit. « Et il se trouva dans Azoth » (Ac 8,40). Il y eut ici grand profit pour Philippe : car ce qu'il avait ouï dire des prophètes, d'Habacuc, d'Ezéchiel et d'autres, se réalisait en lui, puisqu'en un instant il avait parcouru une grande distance et se trouvait à Azoth, où il resta, parce qu'il devait y prêcher l'Evangile.

« Cependant Saul respirant encore menaces et meurtre contre les disciples du Seigneur, alla trouver le prince des prêtres, et lui demanda des lettres pour la synagogue de Damas, afin que s'il y trouvait des hommes et des femmes de cette voie, il les conduisît enchaînés à Jérusalem » (Ac 9,1-2). C'est à propos qu'il parle ici du zèle de Paul, pour montrer qu'il a été attiré au milieu de son extrême ardeur. Non encore rassasié par le meurtre d'Etienne, par la persécution et la dispersion de l'Eglise, il va trouver le prince des prêtres. Ici s'accomplit la parole du Christ à ses disciples : « L'heure vient où quiconque vous fera mourir, croira rendre hommage à Dieu ». (Jn 16,2) Ainsi agissait Paul, mais non pourtant comme les Juifs, tant s'en fallait ! Et la preuve que c'est le zèle qui l'anime, c'est qu'il passe aux villes étrangères. Mais eux ne s'inquiétaient pas même de ce qui se passait à Jérusalem ; ils n'avaient qu'une chose en vue, l'honneur. Et pourquoi allait-il à Damas? C'était une grande ville, une ville royale; il craignait qu'elle ne fût envahie. Et voyez son empressement, voyez son ardeur, et comme il se conforme bien à la loi! Il ne va pas trouver le gouverneur, mais le prince des prêtres. « Il lui demande des lettres, afin que s'il en trouvait de cette voie ». Il applique ce mot « voie » aux croyants, parce qu'alors tout le monde les appelait ainsi, peut-être parce qu'ils suivaient la voie qui mène au ciel. Mais pourquoi ne reçoit-il pas le pouvoir de les punir sur place, mais de les conduire à Jérusalem ?

Afin que le châtiment leur fût infligé par une puissance plus élevée. Voyez dans quel péril il se jette, et aussi comme il craint que mal ne lui arrive. Il s'associe des compagnons, peut-être par peur; ou bien, comme il marchait contre une multitude, il s'entoure d'une multitude, afin de pouvoir plus hardiment « amener, enchaînés, à Jérusalem, les hommes et les femmes qu'il trouverait ». Il voulait, d'ailleurs, montrer à tous, le long du chemin, qu'il était seul l'auteur de l'entreprise, dont les autres n'avaient pas autant de souci. Et voyez que déjà auparavant il jetait en prison. Les autres n'en avaient pas le pouvoir, mais son ardeur le lui donnait. « Et comme il était en chemin et qu'il approchait de Damas, tout à coup une lumière du ciel brilla autour de lui; et, tombant à terre, il entendit une voix qui lui disait: Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? » (Ac 9,3-4)

1903 3. Pourquoi cela ne s'est-il point passé à Jérusalem? à Damas? Afin que d'autres ne pussent pas en altérer le récit, et que celui qui était parti pour un tel motif, fût cru quand il le raconterait. En effet, il l'expose lui-même, quand il se défend devant Agrippa. Ses yeux sont malades, parce qu'une lumière trop vive est nuisible; car les yeux ont leur mesure de force. On dit aussi qu'un son trop éclatant rend sourd et stupide. Mais il fut seul aveuglé, et la crainte éteignit sa colère, en sorte qu'il entendit ces paroles : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » On ne lui dit pas: crois, ni rien de semblable; mais on l'accuse. Et celui qui l'accuse lui dit à peu près: quel tort, grand ou petit, t'ai-je fait, pour que tu agisses ainsi? « Il dit : Qui êtes-vous, Seigneur ? » Déjà il se reconnaît serviteur. Le Seigneur répondit : « Je suis Jésus que tu persécutes ». Comme s'il disait: Ne t'imagine pas que tu fasses la guerre aux hommes. Ceux qui étaient avec lui entendirent bien la voix de Paul, mais ne virent point celui à qui il répondait. Et c'était juste : ils n'entendirent que ce qu'il y avait de moins important. Car s'ils avaient entendu cette voix, ils n'eussent pas cru : mais en voyant que Paul répondait, ils furent frappés d'étonnement. « Lève-toi, entre dans la ville, et là on te dira ce que tu dois faire ». Remarquez qu'on ne lui révèle pas tout, d'abord, qu'on se contente en premier lieu de calmer son âme et de lui donner bon espoir qu'il recouvrera la vue. « Or (85) les hommes qui l'accompagnaient demeuraient tout étonnés, entendant bien la voix, mais ne voyant personne. Saul se leva donc de terre et, les yeux ouverts, ne voyait personne. Alors le conduisant par la main, ils le firent entrer à Damas ». Ce sont les dépouilles du démon, ce sont ses instruments qu'ils introduisent, comme il est d'usage après la prise d'une ville ou d'une capitale. Et ce qu'il y a d'étonnant, c'est que ce sont des adversaires, des ennemis qui l'amènent, à la vue de tout le monde. « Et il fut trois jours sans voir, et il ne mangea ni ne but ». A-t-on jamais rien vu de semblable? La conversion de Paul console du chagrin causé par le meurtre d'Etienne, bien que le genre de mort de celui-ci renferme en lui-même sa consolation ; et que la conversion du pais des Samaritains soit aussi un très-grand sujet de joie.

Et pourquoi, dira-t-on, cela n'est-il pas arrivé plus tôt? Pour montrer que le Christ était vraiment ressuscité. Car, comment celui qui le persécute, qui ne croit ni à sa mort ni à sa résurrection, qui s'acharne sur ses disciples ; comment, dites-moi, celui-là aurait-il cru, si le crucifié n'eût eu une grande puissance ? Les autres ont cru, soit! mais que direz-vous à celui-ci? D'ailleurs il n'est venu qu'après la résurrection, et pas immédiatement encore, afin que son hostilité devînt plus manifeste. Car ce furieux qui verse le sang, qui jette en prison, croit sur-le-champ. Ce n'était point assez qu'il ne fût pas avec le Christ, il fallait encore qu'il fit une guerre violente aux fidèles ; il n'est excès de fureur auquel il ne se livre; il est le plus emporté de tous. Mais dès qu'il a perdu la vue, il y voit un signe de la puissance et de la clémence divine. Peut-être aussi fallait-il qu'on ne le soupçonnât pas de dissimulation. Mais comment soupçonner de dissimulation un homme altéré de sang, qui va trouver les prêtres, qui se précipite dans les dangers, qui pourchasse et punit même les étrangers? Et c'est donc après tout cela qu'il reconnaît la puissance de Dieu. Et pourquoi la lumière ne l'enveloppe-t-elle pas dans la ville, et non en dehors? Parce que la foule n'aurait pas cru, et s'en serait peut-être amusée; puisque un jour ceux qui étaient présents et qui avaient entendu une voix du ciel, disaient : « C'est le tonnerre ». (
Jn 12,29) Lui, au contraire, sera bien plutôt cru quand il racontera ce qui le touche de si près. On le conduit enchaîné, quoique sans liens ; on traîne celui qui espérait traîner les autres. Et pourquoi ne mange-t-il ni ne boit-il? Il condamne sa conduite, il s'avoue coupable, il prie, il conjure le Seigneur. Que si l'on objecte que la nécessité l'y forçait (car il en arriva autant à Elymas), nous répondrons : Soit ! mais Elymas demeura comme il était. Et comment se fait-il qu'il n'ait pas été forcé de croire? Eh ! qu'y avait-il de plus propre à faire violence que le tremblement de terre au moment de la résurrection; que le témoignage même des gardes qui, après tant d'autres signes, affirmaient avoir vu le Christ ressuscité? Tout cela instruit, mais ne force point à croire. Et pourquoi les Juifs n'ont-ils pas cru, bien qu'ils connussent tout cela? Il était évident que Paul disait la vérité : car si rien n'était arrivé, il ne se serait pas converti; tous devaient donc croire. Il n'était point au-dessous de ceux qui prêchaient la résurrection du Christ, il était même bien plus digne de foi, puisqu'il s'était converti subitement. Il n'avait eu de rapport avec aucun fidèle; c'est à Damas, ou plutôt près de Damas, qu'a eu lieu sa conversion. Je demande maintenant aux Juifs: Pourquoi, de grâce, Paul s'est-il converti? Il a vu tant de prodiges et il ne s'est pas converti ; son maître a changé, et lui n'a point changé ; qui l'a convaincu, ou plutôt qui lui a inspiré subitement cette si grande ardeur, qui lui faisait désirer d'être anathème pour le Christ? Ici la vérité des choses apparaît dans tout son éclat. En attendant, comme je le disais tout à l'Heure, que la conduite de l'eunuque éclairé et appliqué à la lecture nous fasse rougir. Voyez-vous comme il est puissant, riche, et pourtant occupé, même en voyage? Que devait-il être chez lui, lui qui ne supportait pas même d'être oisif en route ? qu'était-il pendant la nuit?

1904 4. Vous tous qui êtes dans les dignités, écoutez et imitez son humilité et sa piété. Quoi qu'il retournât chez lui, il ne dit point : Je rentre dans ma patrie, j'y recevrai le baptême : froid langage que tiennent la plupart. Il n'est pas besoin de signes, il n'est pas besoin de prodiges : il crut sur la parole du prophète. C'est pourquoi Paul s'afflige sur lui-même, en disant : « Moi j'ai obtenu miséricorde de Dieu, parce que j'ai agi par (86) ignorance, dans l'incrédulité, et afin qu'en moi le premier, le Christ Jésus montrât toute sa patience». (1Tm 1,13-16) Certainement, cet eunuque est digne d'admiration. Il n'a point vu le Christ, il n'a point vu de miracle; il voyait Jérusalem encore debout, et il a cru à Philippe. Qui l'a donc rendu tel? son âme était pleine de sollicitude, il s'appliquait aux Ecritures, il s'adonnait à la lecture. Or le larron avait vu des prodiges, les mages avaient vu l'étoile; mais lui n'avait rien vu de pareil, et pourtant il crut, tant est utile la lecture des Ecritures ! Mais Paul, dira-t-on, ne méditait-il pas la loi? Oui, mais il me semble qu'il a été réservé à dessein pour le but que j'indiquais plus haut, à savoir, parce que le Christ voulait attirer les Juifs de tout côté, car rien ne pouvait leur être plus utile que sa conversion, s'ils eussent eu de l'intelligence. Elle devait plus les attirer que les signes, que tout autre moyen ; comme aussi rien n'était plus propre à scandaliser des âmes grossières. Voyez donc Dieu faire des prodiges après la dispersion des apôtres. Les Juifs avaient accusé les apôtres, les avaient jetés en prison; Dieu fait des miracles. Et voyez comment les tirer de prison, amener Philippe, attirer Paul, se montrer à Etienne : autant de signes de sa main. Et puis voyez quel honneur est fait à Paul, quel honneur à l'eunuque ! Au premier le Christ se montre, peut-être durement, parce qu'autrement il n'eût pas cru. Et nous qui sommes familiers avec ces prodiges, rendons-nous-en dignes. Beaucoup de gens entrent maintenant à l'église et ne savent pas ce qui s'y dit; mais l'eunuque, même sur la place publique, même sur son char, s'appliquait à la lecture des Ecritures.

Il n'en est pas de même de vous; personne n'a ce livre entre les mains; tout plutôt que la Bible. Mais pourquoi n'a-t-il pas vu Philippe avant d'entrer à Jérusalem, mais seulement après? Parce qu'il ne devait pas voir les apôtres chassés, vu qu'il était encore faible ; et parce qu'il n'aurait pas cru aussi facilement qu'il l'a fait après avoir été instruit par le prophète. Il en sera de même pour vous : si quelqu'un veut lire attentivement les prophètes, il n'aura pas besoin de signes; et si vous le voulez, voyons la prophétie elle-même. « Comme une brebis, il a été mené à la boucherie ; dans l'humiliation, son jugement a été aboli ». Par là l'eunuque apprit que le Christ a été crucifié, que la vie terrestre lui a été enlevée, qu'il n'avait pas commis de péché, qu'il a pu sauver les autres, que sa génération ne saurait être racontée, que les pierres se sont fendues, que le voile s'est déchiré, que les morts sont sortis de leurs tombeaux; ou plutôt Philippe lui dit tout cela en expliquant le texte du prophète. La lecture des Ecritures est donc une grande chose. Ainsi s'accomplissait la parole de Moïse : « Assis, couché, debout, marchant, souviens-toi de ton Dieu ». (Dt 6,7) Les voyages surtout, quand ils se font dans la solitude, nous donnent occasion de réfléchir, parce que personne ne nous distrait. C'est en route que l'eunuque obtient la foi, et Paul aussi; mais c'est le Christ lui-même, et non un autre, qui attire Paul. Ceci dépassait le pouvoir des apôtres; le plus merveilleux encore, c'est que, quoique les apôtres fussent à Jérusalem et qu'aucun d'eux ne se trouvât à Damas, Paul revint croyant de cette ville ; et ceux qui étaient à Damas savaient qu'il n'avait point la foi en sortant de Jérusalem, puisqu'il portait des lettres pour enchaîner les fidèles. Comme un excellent médecin, le Christ l'a guéri au fort même do la fièvre; car il fallait le saisir dans l'accès de sa fureur. C'est alors que sa chute a été plus sensible, et qu'il s'est mieux condamné lui-même pour avoir formé de si criminelles entreprises. Mais il serait bon de reprendre le fil du discours que nous vous adressions. A quoi bon les Ecritures? je vous le demande? En ce qui vous regarde, elles n'existent plus. A quoi bon l'église? Enfouissez les livres; peut-être le jugement sera-t-il moins terrible, la punition moins forte. Oui, celui qui les enfouirait et ne les écouterait plus, les outragerait moins que vous ne le faites maintenant. Quel serait en effet son tort à leur égard ? De les avoir enfouis. Quel est le nôtre? De ne pas les écouter. Or, je vous le demande, lequel est le plus injurieux de ne pas répondre à qui se tait, ou de ne pas répondre à qui parle? Evidemment c'est ce dernier. Donc vous qui n'écoutez pas cette voix qui vous parle, vous commettez une plus grave injure, vous montrez un plus grand mépris. « Ne nous parlez pas », disaient autrefois les Juifs aux prophètes; mais vous, vous faites pire, en disant : Ne nous parlez pas, nous ne ferons rien. Car les Juifs engageaient les prophètes à ne pas parler, de peur (87) que leur parole ne leur inspirât quelque sentiment de piété; mais vous, par un mépris plus grand, vous ne faites pas même cela. Croyez-moi : quand vous nous fermeriez la bouche de votre propre main, vous ne commettriez pas un aussi grand outrage que maintenant. Car enfin, celui qui écoute et n'obéit pas, ne montre-t-il pas un plus grand mépris que celui qui n'écoute pas?

1905 5. Traitons ce sujet plus à fond. Si quelqu'un contenait celui qui l'injurie et lui fermait la bouche, à cause de la peine qu'il éprouverait à se voir injurié, et qu'un autre rien eût aucun souci, n'eût pas même l'air d'y faire attention, lequel montrerait le plus grand mépris? N'est-ce pas celui-ci? Le premier fait voir qu'il sent le coup; le second ferme, pour ainsi dire, la bouche à Dieu. Ce mot nous fait horreur mais écoutez comment cela se fait. La bouche par laquelle Dieu parle, est la bouche de Dieu. Car de même que notre bouche est celle de notre âme, bien que notre âme n'ait pas de bouche; ainsi la bouche des prophètes est la bouche de Dieu. Ecoutez et tremblez. Un diacre se tient debout, élève la voix et crie : « Attention ! » et cela bien des fois. Cette voix est celle de toute l'Eglise, et personne ne fait attention. Après lui, le lecteur commente la prophétie d'Isaïe, et personne encore ne fait attention, bien que ce langage n'ait rien d'humain. Ensuite, s'adressant à l'auditeur, il dit : « Voici ce que dit le Seigneur », et personne encore n'est attentif. Que dis-je? Il raconte des choses effrayantes, horribles, et personne n'est attentif. Mais que dit la foule? — On nous lit toujours les mêmes choses. — Et voilà surtout ce qui vous perd. Quand même vous sauriez cela, ce n'est pas une raison pour en détourner votre esprit; au théâtre, le spectacle est toujours le même et vous ne vous en lassez pas. Comment osez-vous parler ainsi, vous qui ne connaissez pas même les noms des prophètes? Vous ne rougissez pas de vous excuser en disant qu'on vous lit toujours les mêmes choses, quand vous ne savez pas même les noms des écrivains, bien que vous les entendiez toujours? Vous convenez vous- même qu'on dit toujours les mêmes choses. Si je disais cela par manière de reproche, vous devriez recourir à une autre excuse, et ne pas ainsi vous accuser vous-même. Dites-moi : Ne donnez-vous point d'avis à votre fils? Et s'il vous disait que vous répétez toujours les mêmes choses, ne prendriez-vous pas cela pour une injure? Il serait permis de ne pas répéter, si nous savions bien ces choses, et que nous le prouvassions par notre conduite; et encore la lecture n'en serait-elle pas inutile. Qui égale Timothée? Et pourtant Paul lui écrit : « Appliquez-vous à la lecture et à l'exhortation ». (1Tm 4,13) Car il est impossible, absolument impossible d'épuiser le sens des Ecritures; c'est une source qui n'a pas de fond. J'ai su, dit-on ordinairement, et cela m'a échappé (1).

1 Une note du texte dit que cette phrase ne se lie point avec ce qui précède.

Voulez-vous que je vous prouve que ce n'est pas toujours la même chose? A combien portez-vous le nombre de ceux qui ont parlé sur les évangiles? Eh bien ! tous ont dit quelque chose d'extraordinaire et de nouveau. Car plus on s'y applique, plus la vue devient perçante, plus on est éclairé de la pure lumière. Elles sont grandes, les choses dont je parle. Qu'est-ce qu'une prophétie, dites-le moi? qu'est-ce qu'un récit? qu'est-ce qu'une parabole? une allégorie? une figure? un symbole? les évangiles? Ou plutôt répondez seulement à cette question si claire : pourquoi les appelle-t-on évangiles? Vous avez souvent ouï dire que les évangiles ne doivent renfermer rien de triste; néanmoins ils sont remplis de passages bien sévères. « Leur feu ne s'éteindra pas et leur vie ne mourra point ». (Mc 9,43) Et cet autre : « Et il le divisera et il lui donnera sa part avec les hypocrites » (Mt 24,51) ; et ceci : « Il leur dira : Je ne vous connais pas, retirez-vous de moi, vous qui commettez l'iniquité ». (Mt 7,23) Ne nous faisons donc point d'illusion, en nous imaginant que c'est là un langage à la façon des Grecs. Est-ce que cela ne nous regarde pas? Mais vous êtes sourds, et, dans votre stupidité, vous baissez la tête. Les évangiles, dit-on, ne doivent contenir rien de pratique, mais simplement donner de bons conseils. Et les choses pratiques y abondent, comme celle-ci : « Si quelqu'un ne hait pas son père et sa mère, il n'est pas digne de moi ». (Lc 16,26) «Je ne suis pas venu apporter la paix sur la terre, mais le glaive ». (Mt 10,34) « Vous aurez des tribulations dans le monde». (Jn 16,33) Voilà qui est bien, mais ce ne sont pas de bonnes nouvelles; la bonne nouvelle, c'est ceci : vous aurez tels biens; comme on se dit familièrement les uns aux autres : qu'ai-je à faire avec les évangiles? Votre père ou votre mère viendra. L'évangile ne dit pas : Faites cela ! Dites-moi donc encore: quelle différence y a-t-il entre les évangiles et les livres des prophètes? Pourquoi ceux-ci ne s'appellent-ils pas évangiles? car ils disent les mêmes choses, comme, par exemple : « Le boiteux sautera comme un cerf ». (Is 125,6); « Le Seigneur donnera la parole à ceux qui évangélisent ». (Ps 57) « Je vous donnerai un ciel nouveau et une terre nouvelle ». (Is 65,17) Pourquoi ces livres ne s'appellent-ils pas évangiles? Pourquoi l'évangile ne s'appelle-t-il pas prophétie? Mais si, ne sachant pas même ce que c'est que les évangiles, vous méprisez ainsi la lecture des Ecritures, que vous dirai-je ? Je vous dirai encore autre chose : Pourquoi quatre Evangiles? Pourquoi pas dix? Pourquoi pas vingt? Pourquoi un plus grand nombre n'ont-ils pas entrepris de composer des évangiles ? Pourquoi pas un seul? Pourquoi des disciples? Pourquoi d'autres qui n'étaient pas disciples? En deux mots, pourquoi les Ecritures ? Pourtant l'Ancien Testament dit le contraire : « Je vous donnerai un Testament nouveau ». (Jr 31,31)

Où sont ceux qui disent : c'est toujours la même chose? Vous ne parleriez pas ainsi, si vous saviez que quand même un homme vivrait dix mille ans, il n'y trouverait pas toujours la même chose. Croyez-moi bien : je ne résoudrai aucune de ces questions ni en particulier, ni en public; si quelqu'un trouve la solution, j'approuverai par un signe de tête; sinon je resterai tranquille. Nous avons fait de vous des hommes inutiles, en expliquant toujours tout sur-le-champ, et en ne refusant pas quand il aurait fallu. Vous avez maintenant de nombreuses questions : étudiez-les, cherchez en la raison. Pourquoi évangiles? Pourquoi pas prophéties ? Pourquoi des choses pratiques dans les évangiles? Si quelqu'un est embarrassé, qu'un autre cherche, et communiquez-vous le fruit de vos réflexions; quant à nous, nous garderons le silence. Car si ce que nous avons dit jusqu'ici ne vous a servi à rien, ce que nous pourrions ajouter serait encore plus inutile. En vérité, nous puisons dans un tonneau percé; mais votre punition n'en sera que plus terrible. Nous nous tairons donc. Il dépend de vous qu'il n'en soit pas ainsi. Si nous voyons en vous du zèle, peut-être reprendrons-nous la parole, afin que vous deveniez de plus en plus agréables à Dieu et que nous nous réjouissions en vous : glorifiant en tout Dieu, le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire, la puissance, la grandeur et l'honneur, avec le Père, qui n'a pas de commencement, et son Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. l'abbé DEVOILE.


HOMÉLIE XX. OR, IL Y AVAIT A DAMAS UN DISCIPLE NOMMÉ ANANIE, (VERS. 10, 11, 12, JUSQU'AU VERS. 25)

A QUI LE SEIGNEUR DIT, DANS UNE VISION « ANANIE ». ET IL RÉPONDIT : « ME VOICI, SEIGNEUR ». LE SEIGNEUR LUI DIT : « LEVEZ-VOUS, ET VOUS EN ALLEZ DANS LA RUE QU'ON APPELLE DROITE, CHERCHER DANS LA MAISON DE JUDAS UN NOMMÉ SAUL DE TARSE, CAR IL Y EST EN PRIÈRES ». ET IL A VU, DANS UNE VISION, UN HOMME NOMMÉ ANANIE, QUI ENTRAIT ET LUI IMPOSAIT LES MAINS, AFIN QU'IL RECOUVRAT LA VUE.
2000 Ac 9,10-25
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ANALYSE. 1 et 2. Paul aveugle, à Damas, guéri par Ananie. — Zèle ardent de Paul; sa prudence et son courage.
3 et 4. Beau développement sur cette pensée : la grande accusation que le chrétien doit redouter, c'est d'avoir été inutile.

2001 1. Pourquoi le Seigneur n'appelle-t-il, n'envoie-t-il aucun des principaux apôtres pour l'instruction de Paul? C'est qu'il ne fallait pas un homme pour amener Paul à la foi, il fallait le Christ lui-même. Ananie ne l'a pas enseigné, mais seulement baptisé. A peine baptisé, Paul s'attire la grâce de l'Esprit par l'ardeur de son zèle. Maintenant, qu'Avanie fut un personnage considérable, c'est ce qui est évident, et parce qui lui. est communiqué, et par la réponse qu'il oppose : « Seigneur, j'ai entendu dire à plusieurs, combien cet homme a fait de maux à vos saints, dans Jérusalem (13) ». S'il, a pu opposer, à Dieu, une pareille réponse, que n'aurait-il pas dit à un ange que Dieu lui aurait envoyé? Nous avons vu que Philippe ne fut pas averti de ce qui doit arriver; un ange se montre à lui; l'Esprit lui ordonne d'avancer, de s'approcher du chariot. Ici, l'Esprit fait plus; il rassure Ananie; il semble lui dire : C'est un homme qui est en prières, c'est un aveugle, et vous avez peur. Moïse aussi nous fait voir une peur semblable. Les paroles d'Avanie marquent plutôt la peur que le manque de foi. Ecoutez-les : « Seigneur, j'ai entendu dire à plusieurs, combien cet homme.... » Que dites-vous ? Dieu parle, et vous hésitez ! Ainsi, on ne connaissait pas encore la puissance du Christ. « Et même il est venu en cette ville, avec un pouvoir des princes des prêtres, pour emmener prisonniers tous ceux qui invoquent votre nom (14) ». D'où le savait-on ? Il faut croire que la terreur était générale, et l'on avait eu grand soin de courir aux informations. Ananie ne parle donc pas pour apprendre au Christ quelque chose, mais Ananie ne comprend pas, dans une pareille conjoncture, la possibilité de ce qu'on lui demande. C'est ainsi qu'ailleurs les disciples disent : « Qui peut être sauvé ? » (Mc 10,26) Mais voyez comme tout est disposé de manière à lui inspirer de la confiance. Un songe, une vision, une voix qui avertit : Il est en prières, dit le Seigneur, donc ne craignez rien. Et pourquoi ne lui annonce-t-il pas clairement la victoire remportée? C'est pour nous apprendre à ne pas publier nos triomphes, ou plutôt, c'est précisément parce que le Seigneur voyait la crainte d'Avanie. Et ce n'est pas pour Dieu une raison de lui dire : Il ne refusera pas de vous croire. Mais que lui dit-il? « Levez-vous, et vous en allez. Car il a vu, dans une vision, un homme qui lui imposait les mains. Dans une vision », parce qu'il était aveugle. Et la grandeur du miracle n'a pas transporté le disciple, tant il avait peur ! C'est de lui pourtant que Dieu s'est servi pour rendre la vue à Paul devenu aveugle. Le Seigneur lui repartit : « Allez le trouver, parce que cet homme (90) m'est un vase d'élection pour porter mon nom devant les gentils, devant les rois, et devant les enfants d'Israël; car je lui montrerai combien il faudra qu'il souffre pour mon nom (15, 16) ». Non-seulement, ce sera un fidèle, dit le Seigneur, mais un docteur, et il parlera, en toute liberté, « devant les gentils et devant les rois ». Sa doctrine grandira au point de prévaloir sur toutes les nations et sur les rois. « Ananie s'en alla donc, et, étant entré dans la maison, il lui imposa les mains et lui dit: Saul, mon frère, le Seigneur m'a envoyé Jésus, qui vous est apparu dans le chemin par où vous veniez, afin que vous recouvriez la vue, et que vous soyez rempli du Saint-Esprit (17). Jésus », dit-il, « qui vous est apparu dans le chemin ».

Certes, ce n'est pas le Christ qui lui a dit ces choses, mais l'Esprit. « Et aussitôt, il tomba de ses yeux comme des écailles, et il recouvra la vue; et s'étant levé, il fut baptisé (18). Ayant ensuite mangé, il reprit des forces (19) ». Il ne fit que lui imposer les mains, et aussitôt de ses yeux tombèrent les écailles. On a trouvé, dans ces écailles, la cause de cette cécité. Mais pourquoi le Seigneur ne lui enleva-t-il pas les yeux? Voici ce qu'il y eut de plus étrange : Saul, ayant les yeux ouverts, ne voyait point: il subit cette infirmité jusqu'à ce qu'il eut quitté la loi pour Jésus. « Et aussitôt », dit le texte, « il fut baptisé. Ayant ensuite mangé, il reprit des for« ces». Il va sans dire qu'il était brisé par le voyage, par l'épouvante, par la faim, par le trouble de son coeur. Pour prolonger ce trouble, le Seigneur le laissa dans la cécité jusqu'à l'arrivée d'Avanie. Il ne fallait pas non plus qu'on prît cette cécité pour une imagination ; de là, les écailles. Ce qui est certain, c'est que Saul n'eut pas besoin d'autre enseignement; ce qui lui était arrivé lui tint lieu d'enseignement. « Et il demeura, durant quelques jours, avec les disciples qui étaient à Damas. Et il se mit aussitôt à prêcher Jésus dans les synagogues, assurant qu'il était le Fils de Dieu (20) ». Voyez, tout de suite il se met à enseigner dans les synagogues. Il ne rougit pas de son changement, il n'a pas peur de démentir ce qui l'a rendu fameux auparavant. Et non-seulement il enseigne, mais il enseigne dans les synagogues. Ainsi, il a commencé par donner la mort, il était prêt à commettre mille meurtres. Voyez-vous la puissance du signe qui l'a frappé? Par le même signe, Saul, à son tour, surprend tous les hommes. Ce que montre le texte, en ajoutant : « Tous ceux qui l'écoutaient étaient frappés d'étonnement, et ils disaient : N'est-ce pas là celui qui, persécutait avec tant d'ardeur, dans Jérusalem, ceux qui invoquaient ce nom, et qui est venu ici pour les emmener prisonniers aux princes des prêtres ? Mais Saul se fortifiait de plus en plus, et confondait les Juifs qui demeuraient à Damas, leur prouvant que Jésus était le Christ (21, 22) ». Dans sa connaissance de la loi, il leur fermait la bouche, il ne leur permettait pas de souffler le mot. Ils avaient cru se délivrer de tous les discours de ce genre en se délivrant d'Etienne, et ils retrouvaient un autre Etienne encore plus véhément.
2002 2. Mais reprenons ce qui concerne la vision d'Avanie. Le Seigneur ne lui dit pas : Allez lui parler et l'instruire. Car si ces paroles: « Il est en prières, et il a vu un homme qui lui imposait les mains », ne suffisaient pas pour persuader Ananie, à plus forte raison, les autres paroles eussent été peu convaincantes. « Il a vu », dit le texte, « dans une vision » ; par conséquent il ne se défiera pas de vous; donc ne craignez rien, mettez-vous en route. C'est ainsi qu'il arrive à Philippe de ne pas tout comprendre au premier moment. « Parce qu'il m'est un vase d'élection ». Paroles qui ont pour but de dissiper la crainte, et d'inspirer la confiance; puisque ce persécuteur devait prendre les intérêts du Seigneur, au point de souffrir beaucoup de maux. L'expression, « C'est un vase », montre que la perversité n'est pas naturelle en lui ; « d'élection », montre qu'il a été trouvé bon, car on ne choisit que ce qui a été trouvé bon. La réponse d'Avanie ne prouve pas qu'il refuse de croire, ni qu'il pense que le Christ se soit trompé; rejetons ces pensées; mais Ananie effrayé, tremblant, n'a rien entendu de ce qu'on lui disait, du moment que le nom de Paul eut frappé son oreille ; telle fut son épouvante aussitôt qu'il eût entendu ce nom; et cependant, en apprenant la cécité dont le Seigneur l'avait frappé, Ananie devait se rassurer. « Et même il est venu en cette ville, dit-il, pour emmener prisonniers tous ceux qui invoquent votre nom ». C'est comme s'il disait J'ai peur qu'il n'aille, moi aussi, m'emmener à Jérusalem; voulez-vous me jeter dans la (91) gueule du lion ? Voulez-vous me livrer à lui ? Il a peur; et ce qu'il dit, c'est pour nous faire connaître, par tous les moyens, la vertu de Paul. Que les Juifs tiennent un pareil langage, il n'y a là rien de merveilleux; mais que ce soit Ananie qui parle ainsi et avec une telle épouvante, c'est la plus grande preuve de la puissance de Dieu.

« Saul, mon frère ». L'épouvante est grande; mais l'obéissance est plus grande encore, après l'épouvante. Le Seigneur avait dit : « C'est un vase d'élection»; on pouvait croire que Dieu agissait seul; pour corriger cette pensée, le texte ajoute : «Pour porter mon nom devant les gentils, devant les rois et devant les enfants d'Israël ». Ananie entend ici ce qui devait le plus réjouir son coeur ; le persécuteur allait donc se tourner contre les Juifs. Aussi ce n'est pas de la joie seulement, mais de la confiance qui remplit l'âme d'Ananie. « Car je lui montrerai », dit le texte, « combien il faudra qu'il souffre pour mon nom ». Ces paroles révèlent l'avenir, et en même temps opèrent la persuasion : un jour, il souffrira tout, ce persécuteur si furieux, et Ananie ne veut pas le baptiser pour qu'il recouvre la vue; tant mieux, dit Ananie, laissez-le dans sa cécité; ce qui fait sa douceur aujourd'hui, c'est qu'il est aveugle. A quoi bon m'ordonner de lui ouvrir les yeux? pour, qu'il continue à nous emmener prisonniers? Eh bien ! non, ne redoutez pas l'avenir : quand ses yeux se rouvriront, ce n'est pas contre nous, mais pour nous, qu'il se servira de ses yeux; donc, « pour qu'il recouvre la vue ». Puis il ajoute: N'ayez pas peur, il ne vous fera aucun mal; au contraire, il souffrira un grand nombre de maux. Et ce qu'il y a d'étonnant, c'est qu'il souffrira d'abord ; et ensuite, il se précipitera dans les dangers. « Saul, mon frère, Jésus qui vous est apparu dans le chemin, m'a envoyé (47) ». Il ne lui dit pas : qui vous a aveuglé, mais « qui vous est apparu » ; langage plein de mesure, et qui n'a rien de présomptueux. Ainsi, de même que Pierre disait à propos du boiteux « Pourquoi nous regardez-vous comme si c'était par notre vertu ou par notre puissance, « que nous eussions fait marcher ce boiteux? » (
Ac 3,12) De même Ananie, en cette circonstance : « Jésus qui vous est apparu ». Il lui imposait les mains, en prononçant ces paroles, et la double cécité était guérie. Quant à cette observation, « ayant mangé, il reprit des forces »; c'est pour montrer l'affaiblissement de Saul, et par suite du chagrin que lui causait sa cécité, et par suite de la peur, et par suite de la faim. Car il ne voulut prendre de nourriture qu'après qu'il eût été baptisé, et gratifié ainsi des plus précieux dons. Et Ananie ne dit pas : Jésus le crucifié, le Fils de Dieu, celui qui fait des miracles; mais que lui dit-il? « Qui vous est apparu ». Il ne le désigne que parce que Saul connaît de lui; le Christ n'avait rien ajouté, n'avait pas dit : Je suis le crucifié, le ressuscité, mais : « Celui que vous persécutez ». Ananie ne lui dit pas : le persécuté, afin de ne pas prononcer des paroles de triomphe ni de sarcasme. « Qui vous est apparu », dit-il, « dans le chemin ». Sans doute, il n'a pas été vu, mais ce qu'il a opéré, l'a fait voir. Et pour alléger ce qu'il y a de pénible dans ces paroles, vite Ananie ajoute : « Afin que vous recouvriez la vue, et que vous soyez rempli du Saint-Esprit ». Ainsi, il n'est pas venu pour le confondre à propos de ce qui est arrivé, mais pour lui apporter la grâce. Quant à moi, il me semble que Saul et que Corneille ont reçu le Saint-Esprit tout de suite après que ces paroles eurent été prononcées. Cependant celui qui le communiquait, n'était pas un des douze. Qu'importe ? il n'y avait, dans ces circonstances, rien qui appartînt à l'homme, rien qui se fît par l'énergie de l'homme. C'était Dieu qui était là, opérant tout. Et, en même temps, le Seigneur fait deux choses : il enseigne à Saul la modération de la sagesse, en ne le conduisant pas vers ceux qui reçurent les premiers le titre d'apôtres; de plus, le Seigneur montre qu'il n'y a, dans ce fait, rien d'humain. Ce qui n'empêche pas que Saul fût jugé digne de posséder l'Esprit qui donne des signes, afin que, par là encore, sa foi éclatât; car il ne fit pas de miracle. « Et aussitôt », dit le texte, « il se mit à prêcher Jésus dans les synagogues, assurant qu'il est le Fils de Dieu ». Il ne prêchait pas le Christ ressuscité, le Christ -vivant; qu'annonçait-il donc? Il avait choisi avec une admirable précision son dogme, « que Jésus est le Fils de Dieu». Les infidèles refusent d'ajouter foi à ces paroles, quand ils auraient dû non-seulement y ajouter foi, mais les recevoir avec transport. Et pourquoi ne se bornent-ils pas à dire que c'était un persécuteur? pourquoi disent-ils qu'il exterminait ceux qui invoquent ce nom? Ils montraient (92) bien ainsi tout ce qu'il y avait d'insensé dans leur fureur; ils ne prononçaient pas le nom de Jésus; leur jalousie ne voulait pas entendre ce nom, tant ils étaient semblables à des bêtes fauves ! « Et même il est venu en cette ville pour ». Nous ne pouvons pas dire, dit le texte, qu'il fut d'abord avec les apôtres.
2003 3. Voyez combien de témoignages pour montrer que Paul faisait partie des ennemis de la foi. Quant à lui, loin d'en rougir, au contraire, il s'en glorifiait. « Mais Saul se for« tifiait de plus en plus et confondait les Juifs (22) »; c'est-à-dire, leur fermait la bouche, ne leur permettait pas de souffler le mot; « leur prouvant que Jésus est le Christ ». Il instruisait, dit le texte, car il fut tout de suite docteur. « Longtemps après, les Juifs résolurent « ensemble de le faire mourir (23) ». Les Juifs reprennent l'argument toujours en vigueur chez eux, désormais ils ne cherchent plus sycophantes, accusateurs, faux témoins: ils n'en veulent plus. Que veulent-ils donc ? Désormais ils font eux-mêmes la besogne. Ils voyaient la doctrine se propager, ils ne veulent plus avoir recours à des jugements. « Mais Saul fut « averti du dessein qu'ils avaient formé contre « sa -vie; et comme ils faisaient bonne garde, « jour et nuit, aux portes, pour le tuer (24) ». Pourquoi ? c'est que Paul leur était plus insupportable que tous les miracles que l'on avait vus, que la conversion des cinq mille, que la conversion des trois mille. Et maintenant voyez-le sauvé, non par la grâce de Dieu, mais par l'habileté humaine; c'est pour vous faire connaître la vertu de l'homme qui brille même en l'absence de tout miracle, de son éclat propre. « Les disciples le prirent et le descendirent, durant la nuit, par la muraille, a dans une corbeille (25) ». Naturellement pour déjouer tous les soupçons. Eh bien, après, échappé à ce danger, renonce-t-il à sa mission? Nullement; il se retire, afin de mieux les attaquer; la sincérité de sa foi tenait encore en défiance un grand nombre de personnes. Voilà pourquoi cette fuite eut lieu longtemps après. Qu'est-ce à dire ? il est vraisemblable que Paul refusa longtemps de partir, malgré peut-être un grand nombre d'avertissements; mais, quand il sut le dessein formé contre lui, il permit à ses disciples d'agir; car il eut des disciples tout de suite.

C'est ce qu'il indiquait, en disant : « Celui qui était à Damas gouverneur de la province pour le roi Arétas, faisait faire la garde dans la ville des Damascéniens, afin de me prendre ». (
2Co 11,32) Et, voyez : l'évangéliste ne dit rien avec exagération; il ne cherche pas la gloire de Paul ; il dit seulement que l'on excita le roi. Les disciples le firent donc partir seul, et personne avec lui. Ce qui s'explique, parce qu'il fallait qu'il allât se montrer aux apôtres à Jérusalem ; ou plutôt les disciples le firent partir de telle sorte que, dans la suite, c'était lui seul qui devait pourvoir à sa sûreté. Mais lui, bien loin d'y penser, fit tout le contraire, et aussitôt il s'élança au milieu des furieux. Voilà le zèle brûlant; voilà le comble de la ferveur. Et, voyez, sans discontinuer, dès le premier jour, comme il observe le précepte qu'entendirent les apôtres: « Celui qui ne prend pas sa croix, et ne me suit pas ». (Mt 10,38). Ce fait, qu'il venait après les autres, ne le rendait que plus ardent. Et sa conduite était l'application de cette parole : « Celui à qui on remet beaucoup, aimera davantage » .(Lc 7,47) Aussi, plus il se fit attendre, plus il prouva son amour; condamnant ouvertement sa vie première, se reprenant à chaque instant à la flétrir, il ne croyait jamais avoir assez fait pour effacer ses premières actions. « Assurant », dit le texte, c'est-à-dire, qu'il était plein de douceur dans son enseignement. Et, voyez, on ne lui dit pas: Toi qui désolais les fidèles, d'où vient que tu es changé? Ses ennemis rougissaient, et ne faisaient ces réflexions qu'en eux-mêmes; il, aurait pu leur dire avec beaucoup plus de raison : C'est vous surtout qu'il convient d'instruire, car c'est ainsi qu'il se défend auprès d'Agrippa.

Imitons-le, nous aussi, je vous en conjure, et soyons prêts à braver tous les dangers. plais pourquoi, dira-t-on, a-t-il pris la fuite? ce n'est pas par lâcheté; mais il voulait se conserver pour la prédication. S'il eût été lâche, il ne serait pas allé à Jérusalem ; il ne se serait pas aussitôt chargé de répandre la doctrine; il aurait modéré sa fougue. Non, il n'y avait en lui aucune lâcheté, mais il y avait de la prudence. Le meurtre d'Etienne l'avait instruit; aussi ne craignait-il pas de mourir pour la prédication, si toutefois sa mort était d'une grande utilité. C'était un homme qui ne voulait pas même voir le Christ, malgré l'ardent désir qu'il éprouvait de le voir, parce qu'il n'avait pas encore rempli sa tâche auprès des (93) hommes. Voilà ce que doit être l'âme d'un chrétien.
2004 4. Dès le commencement, dès les premiers pas de sa course, le caractère de Paul se déclarait; disons mieux, même avant ce temps. Car, dans la conduite même qu'il tint avant de posséder la vraie science, il agissait conformément à la raison humaine. Si, après tant de temps, il n'éprouvait pas encore le désir de quitter la vie, à bien plus forte raison, au commencement de sa mission, quand il ne faisait que de sortir du port. Et maintenant le Christ ne l'arrache pas au danger, mais le laisse aller, parce qu'il est un grand nombre d'actions que le Seigneur tient à voir accomplir par la sagesse humaine. Autre raison encore de le laisser aller. C'est pour nous apprendre que les apôtres mêmes furent des hommes, et que ce n'est pas toujours, en toute occasion, la grâce seule qui opère; autrement, on aurait pu ne les prendre que pour des morceaux de bois. Voilà donc pourquoi ces hommes, en beaucoup de circonstances, administraient d'eux-mêmes. Faisons ainsi pour ce qui nous concerne, et sachons, de la même manière, prendre soin du salut de nos frères. Le martyre n'est pas plus glorieux que la force qui ne refuse aucune souffrance pour procurer le salut d'un grand nombre; rien ne réjouit tant le coeur de Dieu. Je veux redire ce que j'ai souvent dit; je le redirai pour exprimer mon vif désir: d'ailleurs, le Christ faisait de même quand il rappelait le devoir de pardonner : « Lorsque vous priez, remettez ce que vous pouvez avoir contre quelqu'un ». (Mt 5,23) Il dit encore à Pierre : « Je ne vous dis pas de pardonner jusqu'à sept fois, mais jusqu'à septante fois sept fois ». (Mt 18,22) Et en fait, il a pardonné lui-même le mal qu'on lui faisait; et c'est parce que nous savons que c'est là le but du christianisme, que nous revenons sans cesse sur ce sujet.

Non, rien n'est plus froid qu'un chrétien qui ne sauve pas ses frères. Vous ne pouvez pas ici objecter la pauvreté; la femme aux deux petites pièces de monnaie parlerait contre vous. Pierre disait : « Je n'ai ni or ni argent ». (Ac 3,6) Paul était pauvre, à tel point que souvent il ressentit la faim et manqua de la nourriture nécessaire. Vous ne pouvez pas objecter votre obscurité : les apôtres étaient obscurs et sortis d'hommes obscurs. Vous ne pouvez pas prétexter de votre ignorance dans-la littérature; eux aussi étaient des hommes sans lettres. Et seriez-vous un esclave, seriez-vous un esclave fugitif, vous pouvez toujours faire ce qui dépend de vous. Tel était Onésime ; et voyez le nom que Paul lui donne, à quelle dignité il l'élève : « Afin », dit-il, « qu'il communique avec moi dans mes liens ». (Phm 1,10) Vous ne pouvez pas objecter vos maladies ; car Timothée aussi avait des maladies fréquentes ; écoutez la preuve qu'en donne Paul : « Usez d'un peu de vin, à cause de votre estomac et de vos fréquentes maladies ». (1Tm 5,23) Il n'est personne qui ne puisse être utile au prochain, avec la volonté de faire ce qui dépend de lui. Ne voyez-vous pas combien les arbres stériles sont vigoureux, beaux, élancés, unis, élevés; cependant, si nous avions un jardin, nous préférerions à ces arbres des grenadiers, des oliviers couverts de fruits; car ces arbres stériles sont pour le plaisir, non pour l'utilité; l'utilité qu'ils peuvent avoir est mince; à eux ressemblent ceux qui ne considèrent que leur intérêt propre; ou plutôt ils ne leur ressemblent même pas, ils ne sont bons qu'à subir la vengeance. Ces arbres stériles servent à construire des édifices, à en consolider l'intérieur. Telles étaient ces vierges, chastes, parées, pratiquant la continence, mais inutiles; aussi on les brûle. Tels sont ceux qui n'ont pas nourri le Christ. Et maintenant, voyez : aucun d'eux n'est accusé pour ses péchés, pour ses fornications, pour ses parjures, pour rien; la grande accusation, c'est d'avoir été inutile. Tel était celui qui enfouissait le talent; sa vie était sans reproche, mais inutile. Comment, je vous le demande, un tel homme peut-il être un chrétien ? Répondez-moi : si le ferment, mêlé à la farine, ne transforme pas toute la pâte, est-ce, à vrai dire, un ferment? Et encore, si un parfum n'embaume pas ceux qui approchent, pouvons-nous l'appeler un parfum? Ne dites pas qu'il vous est impossible d'agir sur les autres; si vous êtes chrétien, ce qui est impossible, c'est que vous n'agissiez pas. Ce qui est dans la nature n'admet pas de contradiction ; il en est de même de ce que nous disons ici : Ce que nous demandons est dans la nature du chrétien; n'outragez pas Dieu. Dire que le soleil ne peut pas briller, c'est outrager le soleil; dire qu'un chrétien ne peut pas être utile, c'est outrager Dieu et l'accuser de mensonge. Car il est plus facile pour le soleil de (94) n'avoir ni chaleur ni clarté, que pour le chrétien de n'avoir pas de lumière; il est plus facile à la lumière de devenir les ténèbres, que de voir une telle contradiction. Ne dites pas impossible ; l'impossible c'est le contraire. N'outragez pas Dieu. Si nous disposons bien nos affaires, ce que je dis se fera comme une conséquence naturelle; la lumière du chrétien ne peut rester cachée ; on ne peut dérober aux regards cette lampe brillante. Donc, pas de négligence. De même que la vertu profite et à nous et à ceux à qui notre vertu est utile, ainsi la malignité est doublement funeste et à nous et à ceux que nous blessons. Supposez un ignorant, si vous voulez, souffrant, de la part d'un ennemi, des maux sans nombre, et personne ne le venge, et il répond à ses ennemis par des bienfaits; quel enseignement, quelle parole, quelle exhortation ne serait pas au-dessous de cette conduite ? Donc, pénétrés de ces vérités, attachons-nous à la vertu, puisque c'est le seul moyen de conquérir le salut, puisqu'il faut les bonnes oeuvres de la vie présente pour entrer dans le partage des biens à venir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la force, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.





Chrysostome sur Actes 1805