Chrysostome sur Jean 34

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HOMÉLIE XXXIV. CETTE FEMME CEPENDANT LAISSANT LA SA CRUCHE, S'EN RETOURNA A LA VILLE, ET COMMENÇA A DIRE A TOUT LE MONDE:

- VENEZ VOIR UN HOMME QUI M'A DIT TOUT CE QUE J'AI JAMAIS FAIT: NE SERAIT-CE POINT LE CHRIST? (VERS. 28,29, JUSQU'AU VERS. 39)

Jn 4,28-39

ANALYSE.

1. Suite de l'histoire de la Samaritaine: humilité de cette femme.
2. Pour quelle raison Jésus-Christ, ainsi que les prophètes, exprime souvent sa pensée par des comparaisons, des métaphores, des allégories. - Les prophètes ont semé, les apôtres ont moissonné.
3. Suivre l'exemple de la samaritaine; confesser soi-même ses péchés pour en faire pénitence. - On craint les hommes, on ne craint pas Dieu: on craint d'être déshonoré devant les hommes, et on ne craint pas de l'être devant Dieu. - On cache ses péchés aux hommes, et on ne s'efforce pas de les effacer devant Dieu par la pénitence. - Vraie pénitence, en quoi elle consiste. - Retourner au péché, c'est être semblable au chien qui retourne à ce qu'il a vomi. - Excellents moyens pour se corriger de ses vices: examiner ses péchés chacun en particulier, n'en passer aucun. - Saint Chrysostome a cru que la fin du monde était proche. - Le Seigneur arrivera subitement: se tenir toujours prêt à son avènement.


1. Il nous faut beaucoup de ferveur, il faut qu'un grand zèle nous anime, sans quoi nous ne pourrons acquérir les biens que Jésus-Christ nous a promis. Et certes, il le déclare lui-même, tantôt en disant: «Si quelqu'un ne se charge pas de sa croix et ne me suit pas, il n'est pas digne de moi». (Mt 10,38) Et tantôt: «Je suis venu pour mettre le feu sur la terre, et que désiré-je, sinon qu'il s'allume?» (Lc 12,49) Par ces paroles, Jésus-Christ nous apprend que son disciple doit être fervent, tout de feu et [260] toujours prêt à s'exposer à toutes sortes de périls. Telle était la Samaritaine: son coeur était si brûlant de la parole de Jésus-Christ qu'elle venait d'entendre, que laissant là sa cruche et l'eau pour laquelle elle est allée à ce puits, elle court à la ville inviter tout le peuple à venir voir Jésus. «Venez», dit-elle, venez voir un homme qui m'a dit tout ce que j'ai jamais fait». Remarquez son zèle, remarquez sa prudence: elle était venue puiser de l'eau, et ayant trouvé la véritable source, elle quitte, elle méprise la fontaine terrestre, pour nous apprendre, quoique par un exemple bien humble, que si nous voulons soigneusement nous appliquer à l'étude de la céleste doctrine, nous devons mépriser toutes les choses du siècle et n'en faire aucun cas. Ce qu'ont fait les apôtres, cette femme l'a fait aussi, et même avec plus d'ardeur dans la proportion de son pouvoir. Ceux-là étant appelés, ont abandonné leurs filets, mais celle-ci, volontairement, et sans que personne le lui commande, laisse sa cruche et fait l'office d'évangéliste; sa joie lui prête des ailes, et elle n'amène pas à Jésus-Christ une ou deux personnes, comme André et Philippe, mais elle met toute la ville en mouvement et lui attire tout le peuple.

Observez avec quelle prudence elle parle. Elle n'a point dit: venez voir le Christ; mais avec ces mêmes ménagements par lesquels Jésus-Christ avait gagné son coeur, elle attire, elle engage les autres. «Venez», dit-elle, «venez voir un homme qui m'a dit tout ce que j'ai jamais fait»; elle n'eut point de honte de dire: «Il m'a dit tout ce que j'ai jamais fait», quoiqu'elle eût pu dire: venez voir le Prophète. Mais quand une âme est embrasée du feu divin, rien de terrestre ne la touche plus, elle est insensible à la bonne et à la mauvaise réputation, elle va où l'emporte l'ardeur de sa flamme. «Ne serait-ce point le Christ?» Remarquez encore la grande sagesse de cette femme: elle n'assure rien, mais elle ne garde pas non plus le silence. Car elle ne voulait pas les attirer à son opinion par son propre témoignage, mais elle voulait qu'ils vinssent entendre Jésus-Christ, afin qu'ils partageassent tous son sentiment, jugeant bien que, par là, ce qu'elle avait dit acquerrait et plus de force, et plus de vraisemblance. Toutefois Jésus-Christ ne lui avait pas découvert toute sa vie, mais ce qu'elle en venait d'entendre lui fit juger qu'il avait aussi la connaissance de tout le reste. Elle n'a point dit: venez, croyez; mais, «venez, voyez»; ce qui, certainement, était moins fort et plus propre à les attirer. L'avez-vous bien remarquée, la sagesse de cette femme? Elle savait, oui, elle savait à n'en point douter, qu'aussitôt qu'ils auraient goûté de cette eau, il leur arriverait ce qui lui était arrivé à elle-même. Au reste, une personne d'un esprit plus grossier aurait parlé du reproche qu'on lui avait fait dans des termes plus enveloppés; mais cette femme déclare ouvertement sa vie, et en fait une confession publique pour attirer et gagner tout le monde à Jésus-Christ.

«Cependant ses disciples le priaient de prendre quelque chose, en lui disant: Maître, mangez (31)». Ces mots: «ils le priaient», signifient dans leur langage: «Ils l'exhortaient». Voyant qu'il était accablé de chaud et de lassitude, ils l'exhortaient: ce n'était point une liberté trop familière qui les portait à le presser de prendre quelque chose, mais l'amour qu'ils avaient pour leur. Maître. Que leur répondit donc Jésus-Christ? «J'ai une viande à manger que vous ne connaissez pas (32). Ils se disaient donc l'un à l'autre: «Quelqu'un lui aurait-il apporté à manger? (33)» Pourquoi donc vous étonnez. vous qu'une femme, entendant nommer l'eau, ait cru qu'il s'agissait d'eau naturelle, lorsque les disciples eux-mêmes n'ont pas d'autres sentiments et ne s'élèvent à rien de spirituel; ils doutent, tout en montrant, selon leur coutume, la vénération et le profond respect qu'ils ont pour leur Maître, et discourent ensemble sans oser l'interroger. Ils font de même dans une autre occasion, où, souhaitant de lui demander la raison d'une chose, ils s'en abstiennent pourtant. Que dit encore Jésus-Christ? «Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé, et d'accomplir son oeuvre, (34)». Ici Jésus-Christ appelle sa nourriture le salut des hommes, en quoi il nous montre le soin extrême qu'il a de nous, et la grandeur de sa divine Providence. Car cet ardent désir que nous avons des, choses nécessaires à la vie, Dieu l'éprouve à l'égard de notre salut.

Mais faites attention à ceci: d'abord, Jésus-Christ ne découvre pas tout, mais premièrement il met l'auditeur en suspens, il le jette dans le doute, afin qu'après avoir commencé [261] à chercher le sens de ce qu'il a entendu, tourmenté par l'incertitude, il reçoive ensuite avec plus d'empressement et de joie l'explication qu'il cherchait, et redouble d'empressement à écouter. Pourquoi donc le Sauveur n'a-t-il pas d'abord dit: Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père? quoique cela ne fût pas tout à fait clair, ce l'était pourtant plus que ce qu'il avait déjà dit; mais que dit-il? «J'ai une viande à manger que vous ne connaissez pas». Premièrement donc, comme j'ai dit, par le doute même où il les met, il les rend plus attentifs, et il les accoutume à comprendre ce qu'il dit énigmatiquement et par figures. Au resté, Jésus-Christ déclare dans la suite quelle est la volonté de son Père.

2. «Ne dites-vous pas vous-mêmes que dans «quatre mors la moisson viendra? mais moi je vous dis: Levez vos yeux et considérez les campagnes qui sont déjà blanches et prêtes à moissonner (35)». Voilà encore que Jésus-Christ, par des paroles simples, par une comparaison familière, élève l'esprit de ses disciples à la contemplation des choses les plus grandes et les plus sublimes: sous le nom de viande, il n'a voulu leur faire connaître autre chose, sinon que le salut futur et prochain des hommes! Par ceux de champ et de moisson il exprime encore la même chose, c'est-à-dire cette multitude d'âmes qui était prête à recevoir la prédication. Par les yeux, il entend ici et ceux de l'âme et ceux du corps. Ils voyaient effectivement alors les Samaritains accourir en foule vers lui; leur volonté ainsi disposée et soumise, c'est ce qu'il appelle les campagnes blanches. Comme les épis, lorsqu'ils sont blancs, sont tout prêts à moissonner, ainsi ceux-ci sont tout préparés et disposés pour le salut. Mais pourquoi Jésus-Christ n'a-t-il pas dit clairement: Les Samaritains viennent pour croire en moi; déjà instruits par les prophètes, ils sont disposés et tout prêts à recevoir la parole et à porter du fruit? et pourquoi les a-t-il désignés sous les noms de campagne et de moisson? ces figures, que signifient-elles? En effet, ce n'est pas ici seulement, mais c'est encore dans tout l'Evangile qu'il en use de la sorte: les prophètes font de même, et prédisent bien des choses sous l'enveloppe des métaphores et des figures. Quelle en est donc la raison? l'Esprit-Saint n'a pas vainement établi cette coutume. Mais enfin pourquoi? Pour deux raisons: la première, pour donner au discours plus de force et d'énergie, pour l'animer et le rendre plus sensible, car l'objet que représente une image naturelle excite et réveille davantage, et l'esprit qui le voit comme peint sur un tableau en est plus vivement frappé: voilà la première raison. La seconde, afin que la narration soit plus agréable et que le souvenir s'en conserve plus longtemps. En effet, rien ne se fait mieux écouter de la plupart des auditeurs, rien aussi ne les persuade davantage, qu'un discours qui nous présente les choses mêmes dont nous avons l'expérience. Cette parabole en fournit un exemple admirable.

«Et celui qui moissonne reçoit la récompense, et amasse les fruits pour la vie éternelle (36)». Les fruits qu'on recueille de la moisson des biens de la terre ne servent point pour la vie éternelle, mais pour cette vie présente et passagère; au contraire, ceux qui proviennent de la moisson spirituelle, sont réservés pour la vie immortelle. Voyez-vous comment, si la lettre est grossière, le sens est spirituel, et comment les paroles elles-mêmes distinguent et séparent les choses terrestres des choses du ciel? Comme, à l'égard de l'eau, Jésus-Christ en a marqué la qualité propre par ces paroles: «Celui qui boira de cette eau n'aura jamais soif»; de même ici, à l'égard de la moisson, il déclare que le moissonneur récolte pour la vie éternelle: «Afin que celui qui sème et celui qui moissonne se réjouissent ensemble».

Qui est-ce qui sème?qui est-ce qui moissonne? les prophètes ont semé, mais ce sont les apôtres qui ont moissonné (Jn 4,28). Ceux-là néanmoins n'ont pas été privés de la joie, ni de la récompense de leurs travaux, et quoiqu'ils ne moissonnent pas avec nous, ils partagent notre allégresse: car le travail de la moisson n'est pas le même que celui des semailles: là donc où il y a moins de travail, il y a aussi plus de joie: je vous ai réservés pour moissonner et non pour semer, en quoi il y a beaucoup à travailler. En effet, dans la moisson le profit est considérable et le travail n'est pas si grand, il est au contraire aisé et facile'. Au reste, par ces paroles, Jésus-Christ veut dire: la volonté des prophètes mêmes est que tous les hommes viennent à moi, la loi a proposé la voie; ils ont semé pour produire ce fruit: le Sauveur montre aussi que c'est lui qui les a 262 envoyés, et qu'il y a beaucoup d'affinité entre l'ancienne et la nouvelle loi; et tout cela il le fait par cette parabole. Il cite encore ce proverbe qui était dans la bouche de tout le monde: «Car», dit-il, «ce que l'on dit d'ordinaire est vrai en cette rencontre: que l'un sème et l'autre moissonne (37)». En effet, plusieurs disaient: Quoi! les uns ont eu toute la peine, et les autres ont recueilli tout le fruit? Et Jésus-Christ dit que cette parole trouve ici sa juste application: les prophètes ont travaillé, et vous, vous recueillez le fruit de leurs travaux. Il n'a point dit la récompense, car ils n'ont pas accompli gratuitement un si grand travail; il dit seulement: le fruit.

1. En effet, il est toujours plus doux de recueillir que de semer.

Daniel s'est vu dans le même cas; il cite ce proverbe: «C'est aux méchants à faire le mal (1). David aussi, en répandant des larmes, rappelle le même proverbe (2). (1S 24,14) Jésus-Christ avait déjà dit auparavant: «Ainsi que celui qui sème soit dans la joie, aussi bien que celui qui moissonne». Comme il devait dire que l'un sèmerait et l'autre moissonnerait, afin qu'on ne crût pas, comme j'ai dit, que les prophètes seraient privés de leur récompense, il ajoute quelque thèse de tout nouveau et à quoi on ne pouvait pas s'attendre, quelque chose qui n'arrive point dans les choses sensibles, mais qui distingue les choses spirituelles. Car s'il arrive dans les choses sensibles que l'un sème et que l'autre moissonne, le semeur et le moissonneur ne sont pas ensemble dans la joie; mais l'un est dans la tristesse d'avoir travaillé pour l'autre, et celui-ci est seul dans la joie. Or, ici il n'en est pas de même: ceux qui ne moissonnent pas ce qu'ils ont semé sont dans la joie comme ceux qui moissonnent; d'où il est visible qu'ils participent tous à la récompense. «Je vous ai envoyé moissonner ce qui n'est pas venu par votre travail: d'autres ont travaillé, et vous êtes entrés dans leurs travaux (38)». Par ces paroles Jésus-Christ les excite et les encourage davantage. S'il paraissait dur et pénible de parcourir toute la terre et de prêcher, il fait voir au contraire que cela leur serait facile. En effet, ce qui était laborieux et causait de grandes sueurs, c'était d'ensemencer et d'amener à la connaissance de Dieu une âme qui n'en avait nulle idée.

1. Ou: «Le mal est venu des méchants».
2. En disant: «Les impies agiront avec impiété». ().

Mais à quelle fin Jésus-Christ dit-il ceci? Afin que, quand il les enverrait prêcher, ils ne se troublassent et ne se décourageassent point, comme s'ils étaient envoyés à une oeuvre laborieuse et bien difficile. La fonction des prophètes était effectivement pénible, leur dit-il; et les faits confirment ce que je dis, que votre tâche, à vous, est facile. Ainsi que dans la moisson il est facile d'amasser des fruits, et qu'en peu de temps on remplit l'aire de gerbes, sans attendre la saison, ni l'hiver, ni le printemps, ni les pluies; c'est la même chose ici: les faits l'attestent assez haut. Pendant que Jésus-Christ discourait ainsi avec ses disciples, les Samaritains sortirent de leur ville et arrivèrent; et le fruit fut amassé sur-le-champ, Voilà pourquoi il disait: «Levez vos yeux et considérez les campagnes qui sont déjà blanches». Le Sauveur dit ces choses, et l'effet suit aussitôt, la parole. «Il y eut beaucoup de Samaritains de cette ville-là qui crurent en lui sur le rapport de cette femme, qui les assurait qu'il lui avait dit tout ce qu'elle avait jamais fait (39)». Car ils voyaient bien que ce n'était ni par faveur, ni par complaisance, qu'elle avait loué Jésus, puisqu'il l'avait reprise de ses péchés et qu'elle n'aurait pas découvert ainsi à tout le monde la honte de sa vie pour faire plaisir à quelqu'un.

3. Suivons donc l'exemple de la Samaritaine, et que la crainte des hommes ne nous empêche pas de confesser publiquement nos péchés; mais craignons Dieu comme il est juste de le craindre: Dieu qui à présent voit nos oeuvres, Dieu qui punira un jour ceux qui maintenant ne font pas pénitence. Mais, hélas! nous faisons tout le contraire: nous ne craignons pas celui qui nous doit juger; et ceux dont nous n'avons rien à craindre, qui ne nous peuvent faire, aucun mal, nous les redoutons, nous ne craignons rien tant que d'être flétris par eux. Voilà pourquoi nous serons punis en cela même en quoi nous craignons de l'être (1): car celui qui ne prend garde qu'à n'être point déshonora devant les hommes, et qui ne rougit point de commettre le mal devant Dieu, s'il ne fait pénitence, sera diffamé au jour du jugement, non devant une ou deux personnes, mais aux yeux de tout le monde entier. En effet, que là il se doive trouver une grande assemblée, pour voir

1. Je rirai à mon tour à votre mort, dit le Seigneur, et je me raillerai lorsque ce que vous craignez sera arrivé, lorsque le malheur imprévu tombera sur vous, etc. (Pr 1,16). - 263 -

vos bonnes et vos mauvaises oeuvres, c'est ce que vous apprend la parabole des brebis et des boucs. (Mt 25,34) Saint Paul vous en avertit aussi: «Car nous devons tous», dit-il, «comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ; afin que chacun reçoive ce qui est dû aux bonnes ou aux mauvaises actions qu'il aura faites pendant qu'il était revêtu de son corps». (2Co 5,40) Et encore: «Il découvrira les plus secrètes pensées du «coeur». (1Co 4,5)

Vous avez commis un péché, ou vous avez eu la pensée de le commettre, cela, à l'insu des hommes? mais ce ne sera point à l'insu de Dieu: et cependant vous n'en êtes nullement en peine, et vous ne craignez que les yeux des hommes. Pensez donc que, dans ce jour, il ne vous sera pas possible de vous cacher aux hommes, et qu'alors tout sera exposé à nos yeux comme dans un tableau, afin que chacun prononce la sentence contre soi-même. C'est là de quoi. l'exemple du riche ne nous permet pas de douter. Il vit debout devant ses yeux le pauvre qu'il avait méprisé, je veux dire Lazare, et celui qu'il avait rejeté avec horreur: maintenant il le prie de soulager sa soif d'une goutte d'eau sur le bout de son doigt. (Lc 16,49) Je vous en conjure donc, mes frères, encore que personne ne voie ce que nous faisons, que chacun de vous entre dans sa conscience, qu'il prenne la raison pour juge, et qu'à ce tribunal il fasse comparaître ses péchés. Et s'il ne veut pas qu'ils soient divulgués au jour terrible du jugement, qu'il y applique les remèdes de la pénitence et qu'il guérisse ses plaies. Car chacun peut, quoique chargé de mille plaies, chacun peut s'en aller guéri. «Si vous pardonnez», dit Jésus-Christ, «vos fautes vous seront pardonnées; mais si vous ne pardonnez point, elles ne vous seront point pardonnées». (Mt 6,14-15) En effet, comme les péchés noyés dans le baptême ne reparaissent plus, ainsi les autres seront effacés, si nous faisons pénitence.

Or, la pénitence consiste à ne plus commettre les mêmes péchés. «Car celui qui y retourne est semblable à un chien qui retourne à ce qu'il avait vomi» (2P 11,21-22), et à celui aussi qui, comme dit le proverbe, bat le feu (1), et qui tire de l'eau dans un vase percé (2). Il faut donc s'abstenir du vice, et de fait et de coeur, et appliquer à chaque péché le remède qui lui est contraire. Par exemple: avez-vous ravi le bien d'autrui? avez-vous été avare? abstenez-vous de voler, et appliquez à votre plaie le remède de l'aumône. Vous avez commis le péché de fornication? cessez de le commettre et appliquez à cette plaie la chasteté. Vous avez terni la réputation de votre frère par votre langue? cessez de médire et appliquez le remède de la charité. Faisons ainsi la revue de chacun de nos péchés en particulier, et n'en passons aucun; car le temps de rendre compte est proche, certainement il est proche: c'est pourquoi saint Paul disait. «Le Seigneur est proche: Ne vous inquiétez de rien». (Ph 4,5-6) Mais à nous, au contraire, peut-être faut-il nous dire: le Seigneur est proche, soyez dans l'inquiétude. Ces fidèles avaient de la joie d'entendre ces paroles: «Ne vous inquiétez de rien», eux qui passaient leur vie dans les calamités, dans les travaux, dans les combats. Mais à ceux qui, vivant dans les rapines et dans les voluptés, ont un terrible compte à rendre, ce n'est point cela qu'il leur faut dire, mais: le Seigneur est proche, inquiétez-vous!

1. Qui bat le feu a. Ou qui remué, qui agite, qui souffle le leu celui qui retombe dans les mêmes péchés, lui est semblable.; parce qu'au lieu d'éteindre sa passion et sa concupiscence, il l'allume, de même que celui qui bat, ou souffle le feu, le ranime et l'enflamme davantage, bien loin de l'éteindre. Vid. Adag. Erasm.
2. On sait que tirer de l'eau dans un vaisseau percé, ou dans un crible, c'est perdre son temps et sa peine; c'est ne rien faire. Il en est de menue de celui qui retombe toujours dans les mêmes péchés qu'il a pleurés, et dont il a fait pénitence, etc.

Et certes la consommation du siècle n'est point éloignée, déjà le monde se hâte vers sa fin. Les guerres, la misère, les tremblements de terre, le refroidissement de la charité, la prédisent et l'annoncent. Comme le corps qui expire et qui est près de mourir est accablé de mille douleurs; comme aussi d'une maison qui va s'écrouler se détachent du toit et des murailles bien des morceaux qui tombent à terre, de même la fin du monde est proche, et voilà pourquoi toutes sortes de maux l'attaquent de toutes parts. Si alors le Seigneur était proche, il l'est bien plus à présent; si plus de quatre cents ans se sont écoutés depuis que saint Paul à dit: le Seigneur est proche; s'il appelait son époque l'accomplissement des temps, à plus forte raison, du temps présent, doit-on dire qu'il est la fin du monde. Mais peut-être c'est pour cela que quelques-uns ne le croient pas. Eh! n'est-ce pas, au contraire, une nouvelle raison de le croire? D'où le savez 264 vous, ô homme, que la fin n'est pas proche, que cette prédiction de saint Paul est encore loin de son accomplissement? Comme ce n'est pas le dernier jour que nous disons être la fin de l'année, mais aussi le dernier mois, quoiqu'il soit de trente jours; de même, quand il s'agit d'un si grand nombre d'années, un espace de quatre cents années peut être appelé la fin. Quoi qu'il en soit, dès lors l'apôtre a prédit la fin du monde.

Modérons-nous donc, changeons de vie, complaisons-nous dans la crainte de Dieu. Car dans le temps même où nous aurons le plus de confiance, lorsque nous y penserons le moins et que nous ne nous y attendrons pas, c'est alors que tout à coup le Seigneur arrivera. Voilà de quoi Jésus-Christ nous avertit, en disant: «Il arrivera, à la consommation de ce siècle, ce qui arriva au temps de Noé et au temps de Loth». (Mt 24,37) Saint Paul nous le prédit de même: «Lorsqu'ils diront»: Nous voici en «paix» et en «sûreté, ils se trouveront surpris tout d'un coup d'une ruine imprévue, comme l'est une femme grosse des douleurs de l'enfantement». (1Th 5,3) Qu'est-ce que cela veut dire, des douleurs d'une femme grosse? Souvent les femmes grosses, au moment où elles jouent, dînent, sont au bain, se promènent sur la place publique, ne pensent à rien moins qu'à ce qui va leur arriver, se trouvent subitement attaquées des douleurs de l'enfantement: puis donc que nous sommes également menacés d'être surpris, tenons-nous toujours prêts. On ne nous dira pas toujours ces choses, nous n'aurons pas toujours la même faculté, «Qui est celui», dit l'Ecriture, «qui vous louera dans l'enfer?» (Ps 6,5) Faisons donc pénitence en ce monde, afin que Dieu ait, pitié de nous au jour futur, et que nous obtenions le pardon entier de nos péchés. Je le demande pour nous tous, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit la gloire et l'empire, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



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HOMÉLIE XXXV. LES SAMARITAINS ÉTANT DONC VENUS LE TROUVER, LE PRIÈRENT DE DEMEURER CHEZ EUX, ET IL Y DEMEURA DEUX JOURS.

- ET IL Y EN EUT BEAUCOUP, PLUS QUI CRURENT EN LUI, POUR L'AVOIR ENTENDU PARLER. - DE SORTE QU'ILS DISAIENT A CETTE FEMME: CE N'EST PLUS SUR CE QUE VOUS NOUS EN AVEZ DIT QUE NOUS CROYONS EN LUI, CAR NOUS L'AVONS OUÏ NOUS-MÊMES, ET NOUS SAVONS QU'IL EST VRAIMENT LE CHRIST, SAUVEUR DU MONDE. - DEUX JOURS APRÈS IL SORTIT DE CE LIEU, ET S'EN ALLA EN GALILÉE. (VERS. 40, 41, 42, 43, JUSQU'AU VERS. 53)

Jn 4,40-53

ANALYSE.

1. Plus docile à la grâce que les Juifs, les Samaritains confessent, après avoir seulement vu et entendu Jésus-Christ, qu'il est le sauveur du monde.
2. Guérison du fils d'un officier de la cour d'Hérode.
3. Ne point demander à Dieu des miracles, ou des gages de sa puissance. - Louer et aimer Dieu dans l'une et l'autre fortune: dans la joie et dans les afflictions; dans la santé et dans la maladie: et souffrir tout pour son amour.


1. Il n'est rien de pire que l'envie et la jalousie. Rien n'est plus dangereux que la vaine gloire: elle corrompt le plus souvent tout le bien que l'on fait. Les Juifs en sont un exemple. Avec de plus grandes connaissances que les Samaritains, grâce aux prophètes qui les [265] avaient élevés, ils leur furent néanmoins inférieurs. Les Samaritains crurent au témoignage d'une femme, et sans avoir vu de miracles ils sortirent de leur ville pour venir, prier Jésus-Christ de demeurer chez eux; mais les Juifs, même après avoir vu des prodiges et des miracles, bien loin de l'engager à demeurer avec eux, le chassèrent et n'omirent rien pour l'éloigner tout à fait de leur pays; eux, pour qui il était venu, ils le repoussèrent, tandis que d'autres le sollicitaient de demeurer chez eux. Jésus-Christ ne devait-il donc pas aller chez ceux qui l'en priaient, et se donner à ceux qui brûlaient de le posséder? Devait-il s'obstiner à ce point à rester parmi des ennemis, parmi des traîtres? cela n'aurait pas été digne de sa providence. Voilà pourquoi il se rendit à la prière des Samaritains et demeura deux jours chez eux. lis auraient bien voulu 1e retenir et le garder dans leur ville; l'évangéliste l'insinue par ces paroles: «Ils le prièrent de demeurer chez eux»; mais il ne le voulut pas, il y demeura seulement deux jours, et dans ce peu de temps un grand nombre crurent en lui; cependant il n'y avait point d'apparence qu'ils crussent en lui, soit parce qu'ils n'avaient vu aucun miracle, soit à cause de la haine qu'ils portaient aux Juifs. Mais néanmoins, jugeant avec impartialité ses paroles, ils conçurent de si grands sentiments de lui, que tous ces obstacles ne purent les étouffer, et ils l'admirèrent à l'envi: «De sorte qu'ils disaient à cette femme: Ce n'est plus sur ce que vous nous avez dit que nous croyons en lui, car nous l'avons ouï nous-mêmes et nous savons qu'il est vraiment le Christ, sauveur du monde». Les disciples surpassèrent leur maîtresse; ils auraient pu, avec justice, accuser les Juifs, eux qui avaient cru en Jésus-Christ et qui l'avaient reçu. Ceux-là pour qui il avait entrepris l'oeuvre du salut lui jetèrent souvent des pierres, mais ceux-ci, lorsqu'il n'allait point chez eux, l'engagèrent à y venir; ceux-là, après avoir vu des miracles, persistent dans leur obstination et dans leur incrédulité; mais ceux-ci, sans en avoir vu, font paraître une grande foi, et même ils se glorifient d'avoir cru en Jésus sans le secours des miracles; mais ceux-là ne cessent point de le tenter et de lui demander des miracles. Ainsi, toujours il est nécessaire qu'une âme soit bien disposée; la vérité venant alors à se présenter, entrera facilement en elle et s'en rendra la maîtresse. Que si elle ne se rend pas la maîtresse, cela ne vient point de la faiblesse de la vérité, mais de l'endurcissement de l'âme. En effet, le soleil éclaire facilement les yeux qui sont purs et nets, mais s'il ne les éclaire pas, c'est la maladie des yeux, ce n'est point la faiblesse du soleil qui en est cause.

Ecoutez donc ce que disent les Samaritains «Nous savons qu'il est vraiment le CHRIST, Sauveur du monde». Remarquez-vous en combien peu de temps ils ont connu qu'il attirerait à soi tout le monde, qu'il était venu pour opérer le salut de tous les hommes, que sa providence ne devait point se renfermer et se borner aux Juifs seulement, et que sa parole se ferait entendre et se répandrait partout? Mais les Juifs, bien différents d'eux, «s'efforçant d'établir leur propre justice, ne se sont point soumis à Dieu, pour recevoir cette justice qui vient de lui». (Rm 10,3) Les Samaritains, au contraire, confessent que tous les hommes sont coupables, et publient hautement cet oracle de l'Apôtre: «Tous ont péché et ont «besoin de la gloire de Dieu, étant justifiés «gratuitement par sa grâce». (Rm 3,23-24) Car en disant qu'il est le Sauveur du monde, ils font voir que le monde était perdu; ils montrent en même temps la puissance d'un tel Sauveur. Plusieurs sont venus pour sauver les hommes, des prophètes, des anges: mais celui-ci est le vrai Sauveur, qui donne le salut véritablement et réellement, et non pas seulement pour un temps limité. Voilà un témoignage évident de la sincérité et de la pureté de leur foi.

En effet, les Samaritains sont doublement admirables: ils le sont et pour avoir cru, et pour avoir cru sans voir de miracles; aussi ce sont eux que Jésus-Christ déclare heureux, eu disant: «Heureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru» (Jn 20,29): ils sont encore admirables pour avoir cru sincèrement, puisqu'ayant ouï une femme dire, avec quelque sorte de doute: «Ne serait-ce point le CHRIST? Ils ne dirent pas: Nous doutons aussi, nous en jugeons de même; mais: «Nous savons», non-seulement cela, mais encore «qu'il est vraiment le Sauveur du monde». Ils ne le regardaient plus comme un homme ordinaire, mais ils le reconnaissaient pour le vrai Sauveur. Cependant, qui avaient-ils vu qu'il eût sauvé? ils n'avaient entendu que des paroles, et toutefois ils parlent, comme ils auraient pu le [266] faire, s'ils avaient vu beaucoup de miracles et des plus grands. Et pourquoi les évangélistes ne rapportent-ils pas ce que Jésus-Christ a dit, et ne font-ils pas mention de ces discours admirables? C'est afin que vous sachiez que, parmi les grandes choses qu'il a dites et qu'il a faites, ils en passent beaucoup sous silence; mais néanmoins, en rapportant l'issue, ils indiquent suffisamment tout le reste. En effet, Jésus-Christ a converti par sa parole tout le peuple et toute la ville. C'est quand les auditeurs n'ont été ni dociles, ni soumis, qu'ils sont dans la nécessité de rapporter ce qu'a dit Jésus-Christ, de peur qu'on ne rejette sur le prédicateur ce qui n'est imputable qu'à l'aveuglement des auditeurs. «Deux jours après, il sortit de ce lieu, et s'en alla en Galilée. Car Jésus témoigna lui-même qu'un prophète n'est point honoré dans son pays (44)». Pourquoi l'évangéliste ajoute-t-il cela? Parce qu'il ne fut pas à Capharnaüm, mais en Galilée, et de là à Cana. Et afin que vous ne demandiez pas pourquoi il ne demeura pas chez les siens, mais chez les Samaritains, il vous en donne la raison, en disant que c'est parce qu'ils ne l'écoutaient point: il n'y alla donc pas, pour ne les pas rendre plus coupables, et dignes d'un jugement plus rigoureux.

2. Au reste, par sa patrie, je crois que l'évangéliste entend ici Capharnaüm: Jésus-Christ nous apprend lui-même qu'il n'y a point été honoré; écoutez ce qu'il dit: «Et toi, Capharnaüm, qui as été élevée jusqu'au ciel, tu seras précipitée jusque dans le fond des enfers». (Lc 10,15) Il l'appelle sa patrie dans le langage de l'incarnation, comme y résidant habituellement. Quoi donc! direz-vous, ne voyons-nous pas bien des personnes fort estimées et honorées de leurs compatriotes? D'abord, de ces exceptions, il n'y a rien à conclure. De plus, si quelques-uns se sont fait une réputation dans leur patrie, ils en avaient une bien plus grande au dehors: l'habitude de vivre ensemble engendre souvent le mépris.

«Etant donc revenu en Galilée, les Galiléens le reçurent» avec joie, «ayant vu tout ce qu'il avait fait à Jérusalem au jour de la fête, à laquelle ils avaient été aussi (45)». Ne remarquez-vous pas que ceux dont on parlait mal sont ceux-là mêmes qui accoururent à lui plus promptement? Qu'on en parlât mal, ce que rapporte l'évangéliste ne nous permet pas d'en douter: «Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth?» (Jn 1,46) Et d'autres: «Lisez avec soin les Ecritures, et apprenez qu'il ne sort point de prophète de Galilée». (Jn 7,52) Les Juifs tenaient ce langage pour insulter Jésus-Christ, car plusieurs le croyaient de Nazareth. Ils lui faisaient encore ce reproche, comme s'il eût été samaritain: «Vous êtes un samaritain, et vous êtes possédé du démon» (Jn 8,48): Mais voilà, dit l'Ecriture, que les Samaritains et les Galiléens croient, pour la honte des Juifs: et même les Samaritains se montrent meilleurs que les Galiléens. En effet, ils ont reçu Jésus-Christ sur le seul témoignage d'une femme, mais les Galiléens n'ont cru en lui qu'après avoir vu les miracles qu'il avait faits.

«Jésus vient donc de nouveau à Cana en Galilée, où il avait changé l'eau en vin (46)». L'évangéliste rapporte ici le miracle à la louange des Samaritains. Les Galiléens crurent en Jésus-Christ, mais après avoir vu les miracles qu'il avait opérés et à Jérusalem et chez eux; les Samaritains, au contraire, le reçurent pour sa doctrine seulement. Saint Jean rapporte que Jésus vint en Galilée pour mortifier la jalousie des Juifs; mais pourquoi alla-t-il à Cana? Il y fut la première fois parce qu'il était invité aux noces; mais, maintenant pourquoi y va-t-il? Pour moi, il me semble véritablement qu'il y fut pour confirmer, par sa présence, la foi au miracle qu'il y avait opéré, et aussi pour s'attacher plus sûrement ces hommes, en allant chez eux de son propre mouvement, sans qu'ils l'en eussent prié, et en quittant même sa patrie pour leur donner la préférence sur les siens.

«Or, il y avait un seigneur de la cour dont le fils était malade à Capharnaüm, lequel ayant appris que Jésus venait de Judée, en Galilée, l'alla trouver, et le pria de vouloir venir chez lui, pour guérir son fils (47)» ainsi qualifié seigneur de la cour (1), ou comme étant de la race royale, ou comme exerçant quelque dignité. Quelques-uns croient que c'est le même que celui dont parle saint Matthieu, mais on prouve visiblement que c'est un autre, et par sa dignité et par sa foi; celui-là, quoique Jésus-Christ voulût bien aller chez 267 lui, le prie de ne pas se donner cette peine; celui-ci, au contraire, le presse de venir dans sa maison, quoiqu'il ne s'y offre pas; l'un dit «Je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison» (Mt 8,8), l'autre fait de grandes instances: «Venez,» dit-il, «avant que mon fils meure (29)». Celui-là, descendant de la montagne, vint à Capharnaüm; celui-ci fut au-devant de lui, de Samarie, comme il allait non à Capharnaüm, mais à Cana. Le serviteur de celui-là était attaqué d'une paralysie, le fils de celui-ci d'une fièvre. «Et il le pria de vouloir venir chez lui pour guérir son fils qui allait mourir:». Que lui répondit Jésus-Christ? «Si vous ne voyez des miracles et des prodiges, vous ne croyez point (48)». Toutefois, que cet officier vînt le trouver et le priât, c'était une marque de sa foi, de quoi l'évangéliste lui, rend témoignage, en rapportant ensuite que Jésus lui ayant dit: «Allez, votre fils se porte bien, il crut a la parole que Jésus lui avait dite, et s'en alla (50)».

1. «Seigneur de la cour». C'est ce que signifie le mot Basilikos dans le grec, et celui de Regulus dans la Vulgate, qui a la même signification que Regius, ou, comme l'explique saint Jérôme, Palatinus. i. e. un officier de la cour du prince, ou d'Hérode, que les Galiléens appelaient roi, quoique les Romains ne lui donnassent que le nom de Tétrarque.

Que prétend donc ici l'évangéliste? ou nous faire admirer avec lui les Samaritains pour avoir cru sans voir de miracles, ou pour censurer en passant la ville de Capharnaüm, qu'on regardait comme la patrie de Jésus. Car un autre qui dit, dans saint Luc (1): «Seigneur, je crois, aidez-moi dans mon incrédulité» (Mc 9,23), s'est servi des mêmes paroles. Au reste, cet officier a cru, mais sa foi n'était point pleine et entière; il le fait voir en s'enquérant de l'heure où la fièvre avait quitté son fils. Car il voulait savoir si la fièvre l'avait quitté d'elle-même, ou si c'était par le commandement de Jésus-Christ. «Et comme il reconnut que c'était la veille à la septième heure» du jour, «il crut en lui, et toute sa famille (53)». Ne voyez-vous pas qu'il crut, non sur ce qu'avait dit Jésus-Christ, mais sur le témoignage de ses serviteurs? Aussi le Sauveur lui fait un reproche sur l'esprit dans lequel il était venu le trouver, et par là il l'excitait davantage à croire en lui. En effet, avant le miracle, il ne croyait qu'imparfaitement. Que si cet officier est venu trouver Jésus et le prier, il n'est rien en cela de merveilleux; les pères, dans leur tendresse pour leurs enfants, s'ils en ont un de malade, courent précipitamment aux médecins, et non-seulement à ceux en qui ils ont une entière confiance, mais aussi à

1. C'est par erreur que Chrysostome cite saint Luc.

ceux mêmes sur qui ils ne comptent pas entièrement, tant ils craignent de rien négliger. Et toutefois, celui-ci n'est venu trouver Jésus que par occasion, lorsqu'il allait en Galilée; s'il eût pleinement cru en lui, son fils étant à la dernière extrémité et prêt à mourir, il n'aurait pas manqué de l'aller chercher jusque dans la Judée. Que s'il craignait, c'est aussi en quoi on ne peut l'excuser.

Remarquez, je vous prie, mes frères, que ses paroles mêmes montrent sa faiblesse et son peu de foi. Car il est constant qu'il aurait dû avoir une plus grande opinion de Jésus-Christ, sinon avant, du moins après qu'il eut fait connaître les bas sentiments qu'il avait de lui, et qu'il en eut été repris. Cependant écoutez-le parler, vous verrez combien il rampe encore à terre: «Venez,» dit-il, «venez avant que mon, fils meure (49);» comme si Jésus-Christ n'aurait pas pu ressusciter son fils s'il était mort, comme s'il ne savait pas l'état où il était. Voilà pourquoi il le reprend et parle à sa conscience un langage sévère, lui faisant connaître que les miracles se font principalement pour le salut de l'âme. Ainsi il guérit également et le père qui est malade d'esprit, et le fils qui est malade de corps, pour nous apprendre qu'il ne faut pas tant s'attacher à lui à cause des miracles, que pour la doctrine. Le Seigneur opère les miracles, non pour les fidèles, mais pour les infidèles et les hommes les plus grossiers.

3. Dans sa tristesse et dans sa douleur, cet officier ne faisait pas beaucoup d'attention aux paroles de Jésus-Christ, il n'écoutait guère que celles qui tendaient à la guérison de son fils; mais dans la suite il devait se les rappeler et en faire un grand profit: c'est ce qui arriva. Mais pourquoi Jésus-Christ, sans en être prié, offre-t-il d'aller chez le centenier, et ne fait-il pas la même offre à celui qui le presse et le sollicite vivement? C'est que la foi du centurion étant parfaite, voilà pourquoi Jésus-Christ offre d'aller chez lui, afin de nous faire connaître la vertu de cet homme; mais l'officier n'avait encore qu'une foi imparfaite. Comme donc il le pressait instamment en lui disant: «Venez,» faisant voir par là qu'il ne savait point encore que Jésus pouvait guérir son fils, quoique absent et éloigné, Jésus lui montre qu'il le peut, afin que la connaissance qu'avait le centurion par lui-même, cet officier l'acquît, voyant que Jésus avait guéri [268] son fils sans aller chez lui. Ainsi quand il dit: «Si vous ne voyez des miracles et des prodiges, vous ne croyez point», c'est comme s'il disait: Vous n'avez point encore une foi digne de moi, et vous me regardez encore comme un prophète. Jésus-Christ donc, pour manifester ce qu'il est et montrer qu'il faut croire en lui, même indépendamment des miracles, s'est servi des mêmes paroles par lesquelles il. s'est fait connaître à Philippe

«Ne croyez-vous pas que je suis dans mon Père et que mon Père est en moi? (Jn 14,10) Quand vous ne me voudriez pas croire, croyez à mes oeuvres». (Jn 10,38)

«Et comme il était en chemin, ses serviteurs vinrent au-devant de lui, et lui dirent: a Votre fils se porte bien (51).

«Et s'étant enquis de l'heure qu'il s'était a trouvé mieux, ils lui répondirent: Hier, environ la septième heure» du jour «la fièvre le quitta (52).

«Son père reconnut que c'était à cette heure-là que Jésus lui avait dit: Votre fils se porte bien; et il crut, lui et toute sa famille (53)».

Ne le remarquez-vous pas, mes très-chers frères, que le bruit de ce miracle se répandit aussitôt? En effet, cet enfant ne fut pas délivré d'une manière ordinaire du péril où il était, mais sa guérison eut lieu sur-le-champ; d'où il est visible qu'elle n'était point naturelle, et que c'est Jésus-Christ qui l'avait opérée par sa vertu et par sa puissance. Déjà il était arrivé aux portes de la mort, comme le déclarent ces paroles du père: «Venez avant que mon fils meure», lorsque tout à coup il en fut arraché; voilà aussi ce qui étonna les serviteurs. Peut-être même accoururent-ils non-seulement pour apporter cette bonne nouvelle, mais encore parce qu'ils regardaient comme inutile que Jésus-Christ vînt: ils savaient effectivement que leur maître devait être arrivé; voilà pourquoi ils furent à sa rencontre par le même chemin. Au reste, cet officier cessant de craindre, ouvre son coeur à la foi, pour montrer que c'est son voyage qui lui a procuré le miracle de la guérison de son fils; il déploie toute sa diligence de peur qu'on ne croie qu'il l'ait fait inutilement; et c'est aussi pour cela qu'il s'informe exactement de tout: «Et il crut, lui et toute sa famille». Ce témoignage était exempt de tout doute et de tout soupçon. En effet, ses serviteurs, qui n'avaient point été présents au miracle, qui n'avaient point entendu Jésus-Christ, ni su l'heure, ayant appris de leur maître que c'était à cette même heure que lui avait été accordée la guérison de son fils, eurent une preuve très-certaine et très-évidente de la puissance de Jésus-Christ, et voilà pourquoi ils crurent aussi eux-mêmes.

Quel enseignement, mes frères, tirerons-nous de là? Que nous, ne devons point attendre des miracles, ni demander au Seigneur des gages de sa divine puissance. Je vois des gens qui font paraître un plus grand amour de Dieu lorsque leurs fils ou leurs femmes ont reçu quelque soulagement dans leur maladie; mais quand bien même nos voeux et nos désirs ne sont point exaucés, il est juste de persévérer toujours dans la prière, de ne pas cesser de chanter des cantiques d'actions de grâces et de louanges. C'est là le devoir des serviteurs fidèles; c'est là ce que doivent au Seigneur ceux qui l'aiment et le chérissent comme il faut; ils doivent, dans la prospérité et dans l'adversité, dans la paix et dans la guerre, toujours également accourir et s'attacher à lui! Rien, en effet, n'arrive que par l'ordre de sa divine providence: «Car le Seigneur châtie celui qu'il aime, et il frappe de verges tous ceux qu'il reçoit au nombre de ses enfants». (He 12,6) Celui qui ne le sert et qui ne l'honore que lorsqu'il vit dans la paix et dans la tranquillité, ne donne pas des marques d'un fort grand amour, et ne montre pas qu'il aime purement et sincèrement Jésus-Christ; mais pourquoi parler de la santé, des richesses, de la pauvreté, de la maladie? Quand même vous seriez menacés du feu, des plus cruels et des plus horribles tourments, vous ne devriez pas pour cela cesser un instant de chanter les louanges du Seigneur; mais il vous faudrait tout souffrir pour son amour: tel doit être le fidèle serviteur, telle est une âme ferme et constante. Avec ces dispositions, vous supporterez facilement, mes chers frères, les afflictions et les calamités de la vie présente, vous acquerrez les biens futurs, et vous vous présenterez avec beaucoup de confiance devant le trône de Dieu. Veuille le ciel nous la départir à tous, cette confiance, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire dans tous les siècles des siècles! Ainsi soit-il.


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Chrysostome sur Jean 34