Chrysostome sur Jean 1



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HOMÉLIE I.

ANALYSE.

1. Excellence et utilité de l'Evangile de saint Jean. - Eloge de cet apôtre. - Qui sont ceux qui peuvent comprendre son Evangile?
2. Dispositions nécessaires pour entendre la parole de Dieu.
3. sermons fréquents de saint Chrysostome.
4. Infamie des spectacles et des théâtres. - Obligations des chrétiens.

1. S'il se présente aux jeux publics un athlète ferme et courageux, qui ait déjà remporté le prix, les spectateurs accourent tous pour considérer sa contenance dans le combat, son adresse et sa force. Vous verriez alors, mes frères, le théâtre plein d'une multitude d'hommes, dont l'esprit et les yeux sont entièrement appliqués à tout voir, afin que rien de ce qui s'y passe, ne puisse leur échapper.

S'il arrive un excellent musicien, ces mêmes curieux remplissent également le théâtre; quelque affaire qu'ils aient, nécessaire, pressante, de quelque nature qu'elle puisse être, ils la quittent pour aller prendre place en foule sur les gradins du théâtre, écouter avec grande attention le chant et le son des instruments, et juger si l'un et l'autre sont bien d'accord.

Voilà pour le vulgaire. Ceux qui sont versés dans la rhétorique en font autant à l'égard des orateurs; car il y a de même pour ceux-ci des théâtres, des auditeurs, des applaudissements, des battements de mains et des éclats de voix, et des critiques capables d'apprécier rigoureusement le talent des adversaires.

Si donc les orateurs, les joueurs d'instruments et les athlètes trouvent des auditeurs, des spectateurs si attentifs; vous, mes frères, vous, avec quelle ardeur et quel zèle ne devez-vous pas venir ici? Ce n'est point un musicien ou un orateur qui vous appelle au spectacle, c'est un homme dont la voix du haut du ciel se fait entendre plus clairement que le tonnerre. En effet, par cette voix il a attiré, captivé et rempli tout l'univers, non par la grandeur et l'éclat du son, mais par une langue que le [101] mouvement de la grâce faisait parler. Et, ce qui est admirable, cette voix, qui se fait entendre si loin, n'a rien de rude, rien de désagréable, mais elle est plus douce, plus aimable que la musique la plus harmonieuse.

Ajoutons à cela, que c'est un homme très-saint, très-respectable, plein de tant de trésors et de secrets, et qui apporte de si grands biens, que ceux qui le reçoivent avec empressement, et qui savent le retenir avec eux, ne sont plus des hommes, ni ne demeurent plus sur la terre, mais s'élèvent au-dessus de toutes les choses terrestres; et, devenant semblables aux anges, ils sont sur la terre, comme étant déjà habitants du ciel. Cet enfant du tonnerre (Mc 3,17) que Jésus aimait, qui est la colonne de toutes les églises du monde, qui a les clefs du ciel, qui a bu au calice de Jésus-Christ, et a été baptisé de son baptême, qui s'est reposé avec une grande confiance sur le sein du Seigneur, vient maintenant chez nous, non pour donner une pièce de théâtre, non couvert d'un masque pour jouer un rôle (ce n'est point de ces sortes de vanités qu'il doit nous entretenir): il ne va pas monter à la tribune, aux harangues, ni danser dans l'orchestre; il n'est pas couvert d'un habit d'or, mais il se présente à nous avec un vêtement d'une beauté extraordinaire, il est revêtu de Jésus-Christ; ses pieds sont beaux (Rm 10,15), ils sont chaussés (Ep 6,15) et tout prêts à partir pour aller annoncer l'Évangile de la paix; il a une ceinture, non sur son sein, mais autour de ses reins; elle n'est pas dorée ni d'un cuir couleur de pourpre, mais elle est tissue et formée de la vérité même.

Tel est celui qui s'offre à nous: son visage n'est pas couvert d'un masque, car il n'y a dans lui ni déguisement, ni fiction, ni mensonge; mais ayant la tête nue, il annonce la pure vérité. Il ne cherchera point à se montrer à ses auditeurs par son geste, son regard, sa voix, différent de ce qu'il est en réalité. Pour remplir sa mission, il n'aura besoin d'aucun accompagnement, ni de harpe, ni de lyre, ni d'aucun instrument pareil. C'est par sa voix qu'il fait tout, et cette voix fait entendre une harmonie plus salutaire et plus douce que le son de la harpe ou de la musique la plus mélodieuse.

Tout le ciel est la scène, toute la terre est le théâtre, tous les anges sont ses spectateurs et ses auditeurs, et tous ceux d'entre les hommes qui sont ou qui désirent devenir des anges.

Voilà ceux qui peuvent attentivement entendre cette harmonie, et s'en inspirer pour leur propre conduite; voilà les dignes auditeurs. Tous les autres, semblables aux enfants, écoutent à la vérité mais ils ne comprennent rien à ce qu'ils ont écouté, parce qu'ils s'amusent à des bagatelles et à des puérilités (1). Adonnés aux ris et aux délices, livrés aux, richesses et à l'ambition, et ne songeant qu'à leur ventre, ils entendent véritablement quelquefois la divine parole, mais attachés qu'ils sont à des ouvrages de fange et de boue (2), ils ne font rien de grand, rien de noble, rien d'élevé.

1. Littéralement: à des gâteaux.
2. Vils. Lett. A des ouvrages de brique et de tuile.

Les puissances célestes accompagnent cet apôtre, elles voient avec admiration la beauté de son âme, sa prudence et cette brillante vertu, par laquelle il a attiré Jésus-Christ même dans son coeur, et reçu les grâces spirituelles cartel en quelque sorte qu'une lyre que les pierres précieuses et les cordes d'or dont elle est ornée, font briller, il fait retentir des sons spirituels qui ont quelque chose de grand et de sublime.

2. C'est pourquoi écoutons-le, mes frères, non comme le pécheur, ou comme le fils de Zébédée, mais comme un homme plein de «l'esprit qui pénètre ce qu'il y a de plus caché et dans la profondeur de Dieu (1Co 2)», comme une lyre, dis-je, que l'Esprit-Saint pince et fait résonner. Ce n'est point la voix d'un homme que vous allez entendre, mais c'est la voix de Dieu. Tout ce qu'il vous dira est puisé dans les sources divines; dans ces secrets, dans ces mystères que les anges mêmes n'ont point connus, avant qu'ils aient eu leur accomplissement: car c'est avec nous, par la voix de Jean, c'est par nous qu'ils ont appris ce que nous avons connu nous-mêmes: un autre apôtre nous le déclare par ces paroles: «Afin que maintenant les principautés et les puissances connaissent par l'Église la sagesse de a Dieu si merveilleuse dans les différents ordres de sa conduite». (Ep 3,10) Si donc les Principautés, les Puissances, les Chérubins et les Séraphins ont appris ces choses de l'Église, il est évident que c'est avec une grande attention qu'ils les ont apprises: et certes, que les anges aient appris avec nous 102 des choses qu'ils ignoraient, nous n'y avons pas peu de gloire: mais que ce soit aussi de nous qu'ils les ont apprises, je n'expliquerai point encore comment cela. est arrivé.

Ecoutons saint Jean avec modestie, gardons un grand silence, non-seulement aujourd'hui, ou dans le jour seulement auquel nous l'écoutons, mais aussi pendant toute notre vie: il est avantageux d'être en tout temps attentifs à sa voix. Si nous sommes curieux d'apprendre ce qui se passe à la cour, ce que fait l'empereur, ce qu'il a résolu de faire pour ses sujets, quoique souvent il n'y ait rien en cela qui nous regarde, nous devons beaucoup plus désirer de savoir ce que Dieu a dit, et surtout puisqu'ici tout nous importe, tout est pour nous. Jean nous donnera la connaissance de toutes ces choses, parce qu'il est l'ami du Roi, ou plutôt parce qu'il a en lui-même le Roi qui parle par sa bouche, et qu'il sait de lui tout ce qu'il apprend de son Père. Jésus-Christ dit: «Je vous ai appelé mes amis, parce que je vous ai fait savoir tout ce que j'ai appris de mon Père». (Jn 15,15) Or, si nous voyions descendre tout à coup du ciel quelqu'un qui nous promît de nous dire ce qui s'y passe, nous accourrions tous auprès de lui: accourons donc présentement de même.

Cet homme nous parle du haut du ciel: il n'est pas de ce monde, c'est Jésus-Christ lui-même qui le déclare: «Vous n'êtes point», dit-il, «de ce monde». (Jn 15,19) L'Esprit-Saint dont il est rempli lui parle, cet Esprit qui est présent partout, qui connaît ce qui est en Dieu, de même que l'esprit de l'homme, qui est en lui, connaît ce qui se passe en lui (1Co 2,11), c'est-à-dire l'Esprit de sainteté, l'Esprit de vérité, qui conduit et mène au ciel, qui donne de nouveaux yeux, qui nous rend présentes les choses futures, et qui, quoique nous soyons encore dans notre chair, nous fait voir les choses célestes.

C'est pourquoi, mes frères, présentons-nous à lui avec un esprit paisible et tranquille durant tout le cours de notre vie; qu'aucun indifférent, aucun homme sans ferveur, aucun débauché, une fois entré ici, ne demeure tel qu'il était. Mais élevons-nous, au ciel, c'est là que l'évangéliste parle à ceux qui y vivent. Si nous sommes habitants de la terre, nous ne rapporterons aucun fruit. La doctrine de saint Jean n'est pas pour ceux qui mènent une vie sensuelle et toute animale, de même que les choses terrestres ne le touchent et ne le regardent point. Certes, le tonnerre qui gronde dans l'air nous épouvante et nous effraye par son bruit confus; mais la voix de Jean ne trouble point les âmes fidèles, elle les délivre au contraire du trouble et de la terreur, et n'est terrible qu'aux démons et aux esclaves des démons. Pour voir et pour connaître comment il les effraye et les met en fuite, que notre esprit, que notre langue gardent un profond silence, mais surtout notre esprit: de quelle utilité serait-il que la langue fût dans le silence, lorsque l'esprit serait dans l'agitation et dans le trouble? Je demande la paix de l'âme, parce que je veux que l'âme soit attentive et m'écoute. Que la cupidité, l'amour de la gloire, que la colère, ce cruel tyran, que toutes les autres passions cessent donc de nous agiter: l'oreille qui n'est pas bien purifiée ne peut dignement entendre, ni pleinement concevoir la sublimité de ces paroles, la formidable grandeur de ces ineffables mystères,- en un mot, l'excellence de ces divins oracles. Si, faute de prêter une exacte attention, il est impossible de bien apprécier un air joué sur la flûte ou la lyre, comment l'auditeur appelé à entendre une. voix mystique, le pourra-t-il si son âme sommeille?

3. Voilà pourquoi Jésus-Christ nous donne cet avertissement: «Gardez-vous de donner les choses saintes aux chiens, et: ne jetez point vos perles devant les pourceaux.» (Mt 7,6) Il appelle ses paroles des perles (quoiqu'elles soient infiniment plus précieuses que ne le sont celles-ci), parce que les perles sont ce qu'il y a de plus précieux sur la terre. Il a coutume aussi de comparer leur douceur au miel, non que le miel puisse l'égaler, mais parce que nous n'avons rien de plus doux. Mais qu'elles surpassent en effet, et de beaucoup, et le prix des pierres précieuses, et la douceur du miel; si vous en doutez, écoutez ce qu'en dit le Prophète: «Elles sont plus désirables que l'abondance de l'or et des pierres précieuses, et plus douces que n'est le miel, et qu'un rayon plein de miel» (); mais pour ceux-là seulement qui se portent bien; aussi a-t-il ajouté: «Car votre serviteur les garde». Et ailleurs encore, après avoir dit: douce, il joint: à moi: «Que vos paroles», dit-il, «me sont douces!» Et pour marquer leur excellence, il ajoute: [103] «Elles le sont plus que le miel et le rayon (1) de miel ne le sont à ma bouche». (Ps 118,103) Le prophète parle de la sorte, parce que son âme était pure et saine. N'entrons donc pas ici, si nous sommes malades, et ne mangeons de ce pain qu'après avoir purifié nos âmes. Voilà pourquoi tant de paroles et un si long discours: avant d'arriver à notre texte j'ai voulu vous préparer et vous porter à purifier vos âmes, afin que chacun de vous se guérît de toutes ses maladies, et n'abordât ce texte sacré qu'avec une âme exempte de colère, de soucis, d'inquiétudes terrestres et de toute autre passion, comme s'il allait entrer dans le ciel. Nous ne pourrions faire ici aucun profit considérable, si nous n'avions auparavant purifié nos âmes.

1. Le rayon. N. Vulg. dit seulement le miel, mais le saint Auteur n'est pas le seul qui ajoute: et le rayon de miel. Saint Ambroise, saint Jérôme, salut Augustin, et les anciens psautiers lisent de même: Super mel et favum ori meo.

Qu'on ne me dise point: mais comment se préparer? le temps qui nous reste jusqu'à la prochaine assemblée est très-court. A quoi je répondrai: Vous pouvez, mes frères, vous pouvez changer de vie, non-seulement dans l'espace de cinq jours, mais vous le pouvez même en un instant.

Répondez-moi à votre tour, je vous le demande: Est-il quelqu'un de plus scélérat qu'un larron et un assassin? N'est-ce pas là le comble de l'iniquité? Toutefois un larron est parvenu du premier coup au faîte de la vertu, il est entré dans le paradis, et n'a pas eu besoin pour cela de plusieurs jours, ni de la moitié d'un jour, mais seulement d'un petit moment: on peut donc changer de vie en un instant, et de boue que l'on était auparavant, on peut devenir un or pur; comme ce n'est point par nature que nous sommes ou vertueux, ou vicieux; le changement est facile, notre volonté étant libre et nullement nécessitée. «Si vous voulez et si vous m'écoutez» dit l'Ecriture, «vous serez rassasiés des biens de la terre». (Is 1,19)

Ne le voyez-vous pas, mes frères, qu'il ne faut que la seule volonté? Non point cette volonté banale qui ne fait défaut à personne, mais une volonté ferme et vigilante. Je le sais fort bien: il n'y a personne qui ne veuille aller promptement au ciel; mais c'est par les oeuvres qu'il faut montrer sa volonté. Le marchand qui veut s'enrichir, ne se contente pas d'en avoir la pensée et la volonté, mais il fait construire un vaisseau, il engage des matelots, prend un bon pilote, équipe son vaisseau de toutes choses, il emprunte de l'argent, traverse les flots, il va dans les pays étrangers, il s'expose à beaucoup de périls, et souffre tous les maux que connaissent ceux qui ont coutume d'aller sur mer. C'est de cette manière que nous devons faire connaître notre volonté. Nous avons aussi nous-mêmes à naviguer, non d'une terre à une autre, mais de la terre au ciel. Préparons donc nos âmes à cette navigation, afin qu'elle nous conduise au ciel: pourvoyons-nous de matelots obéissants et d'un bon navire, si nous ne voulons être en butte aux périls, aux naufrages du monde, ou être emportés par le vent de l'orgueil; si nous voulons être alertes et dispos. Que si nous nous pourvoyons ainsi d'un navire, d'un pilote et de nautoniers, notre navigation sera heureuse, nous obtiendrons le secours du Fils de Dieu, ce vrai pilote, qui ne permettra pas que notre esquif soit submergé, mais qui, au fort des plus terribles orages, commandera aux vents et à la mer (Mt 8,26), et fera succéder un grand calme à la tempête.

4. Venez à l'assemblée prochaine, mes chers frères, avec ces dispositions, si vous désirez en profiter, et garder en dépôt dans votre coeur ce qu'on vous dira. Que personne ne soit «chemin», que personne ne soit «pierre», que personne ne soit «rempli d'épines». (Lc 8,5) Faites de vos âmes une terre bien cultivée, et nous sèmerons avec ardeur, quand nous verrons une terre franche. Alois si nous trouvons une terre pierreuse et en friche, excusez-nous de ne vouloir pas travailler en vain; car si, cessant de semer, nous commencions par arracher les épines... d'un autre côté, jeter la semence dans une terre inculte, serait une conduite insensée.

Il n'est point permis à un homme qui assiste à ces entretiens de participer à la table des démons (1Co 10,21); car quelle société peut-il y avoir entre la justice et l'iniquité (1Co 6,24)? vous êtes auditeurs de Jean, vous apprenez de lui des choses qui sont de l'Esprit de Dieu: et vous iriez ensuite entendre des courtisanes qui disent des obscénités (1) et font des (104) représentations encore plus obscènes; et vous iriez voir des infâmes échanger des soufflets sur la scène ! Comment pourrez-vous vous purifier, après vous être vautré dans un bourbier si immonde? Est-il nécessaire de faire ici le détail de toutes ces indécences? Dans ces lieux tout est ris dissolus, tout est infamie, tout est injure atroce, tout est traits satyriques, tout est débauche, tout est perdition. Je vous le dis, et je vous le déclare à vous tous: qu'aucun de ceux qui participent à cette table, n'aille corrompre son âme à ces spectacles pernicieux. Tout ce qui s'y dit, tout ce qui s'y fait est pompe de Satan.

1. Des femmes montaient sur le théâtre comme les bouffons, et jouaient tous les mêmes personnages; leurs paroles et leurs gestes étaient pleins d'ordures et d'obscénités, ce qui excitait souvent le zèle de notre saint Docteur.

Vous tous qui avez été initiés à nos saints mystères, vous savez à quelles conditions nous vous avons reçus, et ce que vous nous avez promis, ou plutôt à Jésus-Christ, puisque c'est lui-même qui vous initie: vous savez ce que vous lui avez dit, quelle parole vous lui avez donnée sur les pompes de Satan, comment vous avez renoncé et à Satan et à ses anges; et vous avez promis de n'y point retourner? Celui donc qui viole ces promesses a infiniment à craindre de se rendre indigne de ces mystères. Ne voyez-vous pas qu'à la cour ce ne sont pas ceux qui ont commis des fautes dans leurs charges, mais ceux qui s'en sont acquittés avec honneur, qu'on élève aux premières dignités, qu'on fait entrer au conseil du roi, et que l'on met au rang de ses amis? Il nous est venu du ciel un ambassadeur, que Dieu nous envoie lui-même pour nous parler de choses très-importantes et très-nécessaires. Mais vous, sans vous mettre en peine de savoir ce qu'il vous veut, ou ce qu'il a à vous dire, vous courez aux spectacles écouter des bouffons. Une telle conduite ne mérite-t-elle pas les foudres et toute la colère du ciel? Car, comme il n'est pas permis de participer à la table des démons, il ne l'est pas non plus d'assister à ces démoniaques assemblées, ni de se présenter vêtu d'un habit sale à cette table magnifique, couverte de toutes sortes de mets exquis, que Dieu a dressée lui-même, et dont la vertu est si grande, qu'elle élève tout d'un coup dans le ciel ceux qui y participent, si toutefois ils sont attentifs et vigilants. Oui, certes, celui qu'enchante constamment cette divine parole, ne reste pas sur cette terre vile et abjecte: il prend des ailes, il s'envole, il entre dans la sublime et céleste région, où il jouit de ses biens immenses, desquels puissions-nous tous entrer cri possession, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire soit au Père et au Saint-Esprit, aujourd'hui et toujours, et dans tous les siècles des siècles! Ainsi soit-il.



2

HOMÉLIE II. AU COMMENCEMENT ÉTAIT LE VERBE. (VERSET 1)

Jn 1,1

ANALYSE.

1. Saint Jean était pauvre et sans lettres.
2. Combien néanmoins l'apôtre de Jésus-Christ l'emporte sur les plus fameux philosophes. - Les peuples barbares, en embrassant le Christianisme, ont appris à philosopher.
3. Contre les doctrines des philosophes et en particulier contre la métempsycose.
4. Pourquoi saint Jean a parlé du Fils sans parler du Père. - Quelle est la vraie philosophie?
5. L'esprit ne peut tout à la fois s'appliquer à plusieurs choses. - Avec quelle attention on doit lire l'Evangile de saint Jean.


1. Si c'était Jean qui dût nous parler lui-même et nous entretenir de ce qui le regarde personnellement, il serait de mon sujet, mes frères, de vous rapporter l'histoire de sa famille, de sa patrie et de son éducation; mais comme ce n'est point lui, comme c'est Dieu qui parle par sa bouche, il semble qu'il soit inutile et superflu d'entrer dans ce détail: mais non, ce n'est pas inutile; bien au contraire, il est important et nécessaire de vous en faire le récit. Quand vous saurez d'où, et de quels parents il est sorti, quel il était, et que vous entendrez ensuite sa voix et toute sa doctrine, alors vous connaîtrez que ce qu'il vous dit, il ne vous le dit pas de lui-même; mais qu'il parle sous l'impulsion de la puissance divine.

Quelle est donc sa patrie? il n'en eut point, à vrai dire: il naquit dans un pauvre bourg et dans un pays décrié qui ne produisait rien de bon. En effet, c'est par mépris pour la Galilée que les Scribes disent: «Demandez et apprenez qu'il ne sort point de prophète de la Galilée». (Jn 7,52) Le vrai Israélite de même n'en fait point de cas, quand il dit: «Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth?» (Jn 1,46) Le lieu même de ce pays où il était né, n'avait rien d'illustre, ni de recommandable; son nom n'y était point connu, son père était un pauvre pêcheur, et si pauvre, qu'il élevait ses enfants dans sa profession.

1. Nathanaël.

Or, vous le savez tous, mes frères, nul artisan n'aime à laisser son métier pour héritage à son fils, s'il n'y est forcé par son extrême pauvreté, et surtout si l'art qu'il professe est vil et abject: vous savez aussi qu'il n'est rien de plus pauvre, de plus dédaigné, et même de plus ignorant que les pêcheurs. Là cependant, comme partout, il y a des degrés et des rangs. Mais l'apôtre était d'un rang inférieur: car il ne pêchait même pas dans la mer, mais dans un petit étang: et c'est là que Jésus-Christ l'appela, comme il était avec son père (1), et Jacques, son frère, raccommodant ensemble leurs filets (Mt 4,21), ce qui est la marque d'une très-grande indigence. C'est dire assez qu'il était complètement étranger à toutes les sciences profanes: et d'ailleurs saint Luc nous assure que non-seulement il était du commun du peuple, mais aussi un homme sans lettres. (Ac 4,13)

1. Zébédée.

Et pouvait-il en être autrement? un homme qui ne fréquentait ni le barreau, ni ce qu'il y a d'honnêtes gens dans une ville, qui s'occupait uniquement de pêche et n'avait de société et de commerce qu'avec des marchands de poissons et des cuisiniers, comment aurait-il pu être au-dessus des animaux et des brutes? comment n'aurait-il pas été aussi muet, que les poissons eux-mêmes?

Voyons néanmoins; mes chers frères, voyons ce que dit et ce qu'avait appris ce pêcheur, qui passait sa vie autour des étangs, occupé 106 de filets et de poissons, cet homme de Bethsaïde de Galilée, ce fils d'un pêcheur pauvre, extrêmement pauvre, cet ignorant dont l'ignorance était si profonde et qui demeura illettré et avant et après qu'il se fût attaché à Jésus-Christ. Ne va-t-il pas nous parler de champs, de rivières et de commerce de poissons? On ne s'attend peut-être pas à d'autres discours d'un pêcheur; mais ne craignez point. Nous n'entendrons rien de ce genre, il ne nous entretiendra que de choses célestes, que de choses que personne ne savait avant lui: il va nous enseigner une doctrine aussi sublime, une morale aussi excellente, et une philosophie aussi belle que le peut et le doit celui qui a puisé dans les trésors de l'Esprit-Saint, et qui vient tout présentement de descendre du ciel: ou plutôt, il est à croire que les anges mêmes qui sont dans le ciel ne savaient pas encore, avant qu'il eût parlé, ce qu'il va nous apprendre.

Je vous le demande: Est-ce là le langage d'un pêcheur, ou même d'un rhéteur? d'un sophiste, d'un philosophe? de l'homme le plus profondément versé dans la science humaine? Non, certes. Car il n'est point d'intelligence humaine capable de philosopher, ou de raisonner comme lui sur la nature bienheureuse et immortelle; sur les puissances qui lui sont subordonnées; sur l'immortalité et la vie éternelle, ni sur les corps mortels qui doivent dans la suite devenir immortels; sur le supplice et le jugement futurs; sur le compte que chacun rendra de ses paroles, de ses actions, de ses pensées; ni de savoir ce que c'est que l'homme, ce que c'est que le monde, ce qu'est véritablement l'homme, à la différence de ce qui semble l'être, et ne l'est pourtant point; en quoi consiste le vice, en quoi consiste la vertu.

2. Platon et Pythagore ont agité quelques-unes de ces questions: pour les autres philosophes, ils ne méritent pas qu'on les nomme, tant ils se sont rendus ridicules: les plus célèbres chez les païens, ceux qui sont regardés par eux comme les princes de la science, je les ai nommés: c'est à eux qu'on doit, par exemple, certains traités sur la République et les lois: tout cela ne les a pas empêchés de se ridiculiser par des opinions dont rougiraient des enfants, la communauté des femmes, le bouleversement de la société, l'avilissement du mariage. C'est à promulguer ces absurdités et d'autres encore, qu'ils ont dépensé leur vie tout entière. Mais rien de plus honteux que leurs doctrines sur la nature de l'âme: ils ont enseigné que les âmes des hommes devenaient des mouches, des moucherons, des arbrisseaux; que Dieu même était l'âme, et d'autres infamies pareilles. Et ce n'est pas seulement pour cela qu'ils sont à reprendre, ils le sont encore pour leurs innombrables contradictions: agités comme l'Euripe (1), ce n'est que flux et reflux dans leurs sentiments et dans leur doctrine; aussi n'avaient-ils rien de vrai, rien de solide à dire.

1. L'Euripe est un canal, ou détroit entre la Béotie et l'Eubée, continuellement agité par le flux et le reflux. D'où sont venus ces dictons proverbiaux: Homme euripe, pour dire homme inégal: Esprit euripe, pour dire esprit flottant: Fortune euripe, pour fortune changeante. Euripixein, être dans une agitation continuelle. Cicéron compare les assemblées du peuple romain à l'Euripe. Quel détroit, dit-il, quel Euripe, avec ses agitations et ses bourrasques, apprécie, des bourrasques et des agitations qui règnent dans nos assemblées! Pro Planc.


Mais le pêcheur ne dit rien que de certain, rien que de vrai; fondé sur la pierre, il est inébranlable et ne peut chanceler. Admis dans le sanctuaire même du ciel, parlant par l'inspiration du Seigneur, sa parole n'éprouve aucune des défaillances de l'humanité.

Les philosophes, au contraire, qui n'ont jamais été reçus à cette cour céleste, pas même en songe, qui pêle-mêle avec le reste des hommes n'ont hanté que les places publiques, voulant s'élever jusqu'aux êtres invisibles par la seule force de leur esprit, sont tombés dans de grandes erreurs: ils ont osé discourir de choses ineffables, et, comme des aveugles ou des ivrognes, ils se sont heurtés mutuellement dans leur course à l'aventure; que dis-je? ils se sont contredits eux-mêmes, perpétuellement infidèles à leurs propres opinions.

Saint Jean est un homme sans lettres, grossier, de Bethsaïde, fils de Zébédée. Que les Grecs se moquent et rient de la rudesse de ces noms; je ne parlerai pas pour cela avec moins de confiance, j'en aurai même davantage: car plus cette nation leur paraît barbare et éloignée de leurs moeurs et de leurs coutumes, plus aussi ce que j'en dirai paraîtra grand et admirable. En effet, un barbare, un ignorant dit des choses qui ont été jusqu'à présent inconnues au reste des hommes; et non-seulement il les dit, mais il les persuade: se fût-il borné à les dire, ce serait déjà une grande merveille: mais voici qui la surpasse: il ne 107 cesse de persuader tous ceux qui l'écoutent, et confirme par cette nouvelle preuve qu'il est inspiré de Dieu. Qui n'admirerait un pareil pouvoir? Ce talent, ce don de persuasion, comme je l'ai fait voir, prouve manifestement que la doctrine et les préceptes qu'il enseigne ne sont pas de lui. Ce barbare a donc fait entendre sa voix jusqu'aux extrémités de la terre (Ps 18,4), et a répandu son Evangile dans tout le monde. Il l'a semé par lui-même en personne dans la moitié de l'Asie, là où les sages, où les philosophes grecs tenaient leurs écoles de philosophie. C'est en quoi il est formidable aux démons, car il brille au milieu des ennemis, il dissipe leurs ténèbres et renverse leurs forts: mais son âme s'est élevée au ciel, dans le séjour qui convient à Celui qui opère de si grands prodiges. Et voici que tous les dogmes des philosophes sont tombés et anéantis, tandis que la doctrine de Jean acquiert tous les jours plus de force et une nouvelle splendeur. A peine a-t-il paru avec les autres pêcheurs que les doctrines de Platon et de Pythagore, naguère puissantes, tombent dans le silence et l'oubli, jusque-là que la plupart ignorent aujourd'hui le nom même de ces philosophes.

Cependant Platon passe pour avoir été appelé à la cour des tyrans; il eut, dit-on, beaucoup d'amis et fit le voyage de Sicile. Pythagore domina sur la grande Grèce et mit en oeuvre mille prestiges: ainsi s'explique ce qu'on raconte de lui, qu'il parlait avec les boeufs (1). En quoi il paraît visiblement qu'un philosophe qui parlait ainsi avec les bêtes n'était nullement utile aux hommes, ou plutôt qu'il ne pouvait que leur être très-nuisible. C'est à l'homme qu'il appartient spécialement par sa nature de s'élever à la philosophie; toutefois celui-ci parlait, à ce que l'on dit, ou feignait de parler avec les aigles et avec les boeufs. Non que d'une nature irraisonnable, il sût faire (ce qui est interdit à l'homme) quelque chose de raisonnable (ce que l'homme ne peut point), il ne faisait que tromper les sots par des prestiges et des illusions. Au lieu d'enseigner aux hommes une doctrine utile, il leur disait que manger des fèves et avaler la tête de leurs parents c'était une même chose. Il persuadait à ses disciples que l'âme de leur maître devenait tantôt un arbrisseau, tantôt une jeune fille, tantôt un poisson. N'est-il pas naturel que de semblables rêveries aient fini par tomber dans un profond oubli? Oui, certes, et la raison le voulait ainsi. Mais on n'en peut pas dire autant de ce qu'a enseigné l'homme grossier et sans lettres: les Syriens, les Indiens, les Perses, les Egyptiens, et une infinité d'autres nations, ayant traduit en leurs langues la doctrine et les instructions qu'il leur a données, ont appris à philosopher, quoique ce ne fussent que des barbares.

1. Le Révérend Père Dom Bernard de Montfaucon dit sur cet endroit, qu'il ne se souvient pas d'avoir lu nulle part, que Pythagore ait parlé avec les boeufs et avec les aigles; si ce n'est qu'on y veuille rapporter ce qu'écrit Diogène Laërce, dans la vie de ce philosophe, que l'âme de Pythagore avait passé dans les arbres et dans les animaux qu'elle avait voulu choisir». LE MÈRE. - Le conte auquel saint Chrysostome fait allusion est rapporté dans les Vies de Pythagore par Porphyre (chap. XXIII), et par Iamblique (chap. XIII). Note du nouveau traducteur.


3. Je n'ai donc pas eu tort de dire que tout le monde entier lui a servi de théâtre. Il n'a pas, comme Pythagore, quitté et rejeté ceux qui étaient de même nature que lui, pour aller vainement instruire les bêtes: travail infructueux et inutile, qui marque une très-grande folie en celui qui l'entreprend. Mais exempt de ce vice, aussi bien que de tout autre, il s'attachait uniquement à apprendre aux hommes ce qui leur est utile, et ce qui peut les élever de la terre au ciel. C'est pourquoi il n'a point enveloppé ses dogmes de nuages et de ténèbres, comme ceux qui couvraient d'obscurités, ou d'une espèce de voile la mauvaise doctrine qu'ils débitaient: mais la doctrine de saint Jean est plus lumineuse que les rayons du soleil; aussi généralement tous les hommes la voient à découvert. Car il ne prescrivait pas à ses disciples cinq années de silence: de même que ce philosophe, il ne leur ordonnait pas de rester immobiles comme des pierres en l'écoutant (1); enfin il ne soutenait pas faussement qu'on pouvait tout définir, tout expliquer par les nombres: mais, rejetant toute cette vaine et fastueuse doctrine, écartant de nous ces pernicieux pièges de Satan, il a mêlé et répandu tant de lumière et de facilité dans ses paroles, qu'il n'a rien dit qui ne soit clairement entendu, non-seulement des hommes et des sages, mais des plus simples femmes et des enfants. Car il croyait cette parole véritable et bonne pour tous ceux qui l'écouteraient: et c'est ce qui résulte de toute la suite des temps, car elle a attiré à soi tous les hommes qui 108 l'ont écoutée, et les a délivrés de tous les maux et des tragiques événements dont leur vie était perpétuellement agitée. Voilà pourquoi, nous tous qui l'avons entendue, nous aimerions mieux perdre la vie que l'héritage de vérité qui nous a été légué par ce saint apôtre.

1. Comme s'il eût eu à instruire des pierres insensibles. Autrement: Comme s'il eût été assis au milieu d'un monceau de pierres insensibles, etc.

Tout ce récit vous fait clairement voir, mes chers frères, que saint Jean ne nous a rien dit, ni rien enseigné d'humain, mais qu'au contraire tout ce qui part de cette âme sublime, tout ce qui d'elle est venu jusqu'à nous renferme une doctrine toute céleste et toute divine. Sa voix n'éclatera point, elle ne fera point retentir nos oreilles. Nous entendrons un discours simple, sans enflure, sans fard, sans vains ornements, toutes choses très-éloignées de l'amour de la vraie sagesse; nous n'y trouverons qu'une force invincible et divine, une abondance inépuisable de vérités, un trésor sans pareil. Le prédicateur doit dédaigner un vain faste qui ne sied qu'à des sophistes, ou plutôt à de jeunes sots: à ce point qu'un philosophe païen (1) nous montre son maître rougissant de sa profession et disant à ses juges qu'il leur répondra dans les premiers termes venus, et non point par un discours apprêté ni orné de mots étudiés et choisis. «Car», disait-il, « il ne serait pas convenable et à mon âge, ô citoyens, de venir devant tous comme un enfant, avec un discours soigneusement composé (3)». Mais considérez, je vous prie, le ridicule qui éclate en ceci: ce philosophe, qui nous montre son maître fuyant l'éloquence et les ornements, comme une chose honteuse, indigne de la philosophie et bonne pour des jeunes gens, s'y est lui-même appliqué plus que personne, tant il est vrai que ces philosophes n'avaient en vue que leur vanité! et il n'y a pas autre chose à admirer chez Platon. De même donc que si vous ouvriez des sépulcres blanchis au dehors, vous les trouveriez au dedans pleins de pourriture, d'infection et d'ossements hideux et corrompus; ainsi, si vous dépouillez des ornements de l'éloquence la doctrine de ce philosophe, vous y verrez bien des sentiments et des préceptes abominables, et surtout quand il raisonne sur l'âme qu'il exalte jusqu'au blasphème.

1. Platon.
2. Socrate.
3. Apologie de Socrate.

Car c'est un des pièges du diable de ne garder aucune mesure, de ne point tenir de milieu, mais de pousser à l'une et à l'autre extrémité ceux qu'il a infectés d'une mauvaise doctrine. Tantôt Platon dit que l'âme est formée de la substance de Dieu; tantôt, après l'avoir ainsi excessivement élevée, et d'une manière impie, il la déshonore par une autre hyperbole, et la fait passer dans les pourceaux, dans les ânes et dans les plus vils animaux (1); mais en voilà assez sur la doctrine de ces philosophes, nous nous y sommes même un peu trop étendus. On aurait raison de s'y arrêter davantage, s'il en pouvait revenir quelque profit: mais comme nous n'en avons dû parler qu'autant qu'il fallait, pour en découvrir la honte et l'infamie, ce que nous en avons rapporté est plus que suffisant. C'est pourquoi laissons là leurs fables et passons à notre doctrine qui nous est envoyée du Ciel par le canal et l'entremise de ce pêcheur: venons, dis-je, à cette doctrine qui n'a rien d'humain.

1. Platon avait pris la métempsycose de Pythagore. S'il l'a véritablement crue et enseignée, c'est sur quoi il me semble que les sentiments sont partagés. Il a exposé ses opinions d'une manière si enveloppée, qu'il n'y a pas lieu de s'étonner que les uns les expliquent d'une façon, et les autres d'une autre: que les uns prennent sa métempsycose dans un sens physique et réel, les autres dans un sens moral: une âme passe dans un lion, disent-ils, et en prend la figure, lorsque la fureur de la colère l'agite et l'emporte; elle passe dans un pourceau, lorsqu'elle se livre aux sales voluptés, etc. Quoi qu'il en soit, il est certain qu'après avoir fait un fort beau dialogue sur l'immortalité de l'âme, il est tombé dans de grandes erreurs sur cette matière, soit paf rapport à la substance de l'âme, soit par rapport à son origine, soit encore par rapport à ses autres opinions. Platon mourut la première année de la 108e Olympiade, à l'âge de 81 ans, et le même jour qu'il était né.

Commençons donc, exposons ses paroles, et comme nous vous avons exhorté au commencement à les écouter avec une grande attention, nous vous y exhortons encore. Par où l'évangéliste commence-t-il donc? «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu». Voyez, mes frères, avec quelle confiance et quelle énergie il s'exprime. Considérez qu'il ne doute point, qu'il ne forme point de conjectures, mais qu'il parle d'un ton terme et décisif. En effet, il est d'un docteur de ne point vaciller dans ce qu'il avance. Celui qui, voulant enseigner les autres, a besoin d'un second pour appuyer et confirmer ce qu'il dit, ne mérite pas d'être mis au rang des docteurs, mais seulement parmi les disciples. Que si quelqu'un me demande la raison pour laquelle saint Jean, omettant la cause première, passe tout à coup à la seconde, je répondrai que nous ne connaissons point ici 109 de premier ni de second: car la divinité est au-dessus du nombre, du temps et des siècles. C'est aussi pour cela que, passant là-dessus, nous confessons que le Père ne tire son origine de personne, et que le Fils est engendré du Père.

4. Nous l'entendons, direz-vous, mais pourquoi omettant le Père parle-t-il du Fils? Le voici: c'est parce que le Père était très-connu de tous, sinon comme Père, du moins comme Dieu: et qu'au contraire le Fils unique n'était point connu. Il a donc raison de se hâter d'en donner d'abord au commencement la connaissance à ceux qui ne le connaissaient point; mais cependant il ne laisse pas de parler du Père dans ce discours. Considérez avec moi l'esprit et la prudence de ce saint docteur. Il sait due les hommes, depuis très-longtemps, et même avant toute autre connaissance, ont celle de Dieu, et qu'ils l'adorent sur toutes choses. C'est pourquoi, sur ce fondement il établit son principe, et en tirant la conséquence, et avançant ensuite, il assure que le Fils est Dieu.

Il ne fait pas comme Platon, qui dit que l'un est esprit, l'autre âme: idées très-indignes de cette nature divine et immortelle. Car elle n'a rien de commun avec nous, mais elle est très-éloignée de rien avoir qui participe des créatures: je dis quant à la substance, et non quant à la forme extérieure (1); c'est pour cela qu'il l'a appelé Verbe. Car voulant nous apprendre que ce Verbe était le fils unique de Dieu; de peur que quelqu'un ne pensât que c'était par une génération passible, il écarte toutes les fausses idées qui pourraient naître dans l'esprit; faisant précéder le nom de Verbe, et déclarant que ce Verbe est né de lui, et qu'il est né de lui impassiblement (2).

1. «Quant à là forme extérieur», ou «Quant à ce qui a paru de lui au dehors». Le grec dit skesis, en latin, habitus. J'explique ce mot sur ce que saint Paul nous apprend du Verbe, lorsqu'il dit: «Il s'est anéanti lui-même, en prenant la forme de serviteur, en se rendant semblable aux hommes, et étant reconnu pour homme, par tout ce qui a paru de lui au dehors. Voilà la forme extérieure; voilà en quoi et comment le Verbe divin, qui n'a rien de commun avec l'homme, quant à la substance, participe des créatures dans son incarnation, s'étant revêtu de nette chair et rendu semblable aux hommes.

Vous voyez, mes chers frères, ce que je viens de dire, que saint Jean, en parlant du Fils, ne tait et n'omet pas le Père. Que si cela ne suffit pas encore pour vous mettre cette vérité dans toute son évidence, ne vous en étonnez pas: c'est de Dieu que nous vous parlons, dont la nature ne se peut représenter dignement ni en paroles, ni en pensées. Voilà pourquoi saint Jean ne se sert point ici du nom de substance, parce que personne ne peut dire ce que Dieu est selon sa substance; mais partout il nous le fait connaître par ses ouvrages. On voit que dans la suite ce Verbe est appelé lumière, et que la lumière est aussi appelée vie: ce n'est point pour cette seule raison qu'il l'a ainsi appelé; mais c'est la première, et voici la seconde: le Verbe devait nous apprendre ce qui regarde le Père; car il dit: «Je vous ai fait savoir tout ce que j'ai appris de mon Père». (Jn 15,15)

L'évangéliste appelle le Verbe et lumière et vie, parce qu'il nous a donné la lumière qui nous éclaire et fait connaître toutes choses, et que par la lumière il nous a donné la vie. En un mot: un seul, ni deux, ni trois, ni plusieurs noms ne suffisent pour nous faire connaître ce que Dieu est; mais il faut se tenir pour content, si par plusieurs noms même nous pouvons; du moins obscurément, nous former une idée de ses attributs. Saint Jean ne l'a pas simplement appelé «Verbe», mais en ajoutant l'article «le», il l'a désigné comme un être à part.

1. «Impassiblement», d'une manière impassible, c'est-à-dire, «sans passion, ni altération, ni diminution, ni changement de la part du Père qui engendre, ni du Fils qui est engendré. C'est là la vraie idée, ou explication du mot apathos; dans le langage des Pères grecs. Comme apathos appliqué à Dieu, marque que la nature divine est inaltérable, immuable, imperturbable, incapable de rien recevoir de nouveau en elle-même, ni d'être jamais autre chose que ce qu'elle a été une fois, et par conséquent, «indivisible». Voyez le premier avertissement aux protestants, de M. Bossuet, évêque de Meaux.

Faites ici attention, mon cher auditeur, que je n'ai pas vainement dit que cet évangéliste nous parle du haut du ciel; et pour cela remarquez jusqu'à quelle sublimité il a d'abord, dès le commencement, élevé l'esprit et l'âme de ses auditeurs. Car après l'avoir élevée au-dessus de tout ce qui peut tomber sous les sens, au-dessus de la terre, de la mer et du ciel, il lui fait entendre qu'il faut qu'elle monte encore plus haut, et qu'elle s'élève au-dessus même des Chérubins, des Séraphins, des Trônes, des Principautés, des Puissances, et enfin au-dessus de toutes les créatures. Quoi donc! Est-ce qu'après nous avoir élevé à de si hautes et de si sublimes idées, il a pu nous y arrêter? nullement; mais il en est comme d'un homme qui, voyant quelqu'un arrêté sur le bord de la mer, pour considérer les villes, les côtes et les ports, après l'avoir 110 transporté au milieu de l'Océan, et lui avoir ôté la vue des premiers objets qui l'occupaient, le placerait en un lieu qui, n'étant point borné, offrirait à ses yeux un spectacle immense. Ainsi l'évangéliste nous élève au-dessus de toutes les créatures, nous envoie au delà des siècles qui ont précédé la création, et nous tient les yeux en l'air et en suspens, sans nous fixer un terme, parce qu'il n'y en a point ; car la raison, qui veut pénétrer dans ce commencement, cherche quel est ce commencement; et trouvant qu'il est dit du Verbe: «Il était», elle veut encore aller plus loin, et ne voit point où se fixer; elle regarde sans relâche jusqu'à ce qu'enfin la fatigue la force à redescendre: car ce mot «Au commencement était», ne désigne et ne montre que ce qui a toujours été, et ce qui est éternel.

Vous le voyez, mes frères, qu'il n'en est pas de la vraie philosophie, et des dogmes divins, comme de ceux des Grecs: les païens reconnaissent et assignent des temps, et disent qu'entre leurs dieux, il y en a de vieux et de jeunes, d'anciens et de nouveaux: mais on ne trouve parmi nous rien de semblable. Car s'il y a un Dieu, comme il y en a sûrement un, il n'y a rien avant lui: s'il est le Créateur de toutes choses, il est avant toutes choses: s'il est le Seigneur et le Souverain de tous les êtres, rien ne vient qu'après lui, et les créatures et les siècles.

J'avais dessein d'entrer dans d'autres questions, mais peut-être votre esprit est déjà fatigué; c'est pourquoi, après avoir donné quelques avis utiles et nécessaires pour l'intelligence de ce que j'ai dit et de, ce qui me reste à vous dire, je finirai ce discours. De quoi veux-je donc vous avertir? le voici: Je sais que les longs sermons fatiguent bien des gens; mais cela n'arrive que lorsque l'esprit des auditeurs est préoccupé et accablé du soin et de l'embarras des affaires séculières. Car comme l'oeil, quand il est pur et net, voit les objets clairement et distinctement, et ne se fatigue point, lors même qu'il regarde les corps les plus petits et les plus subtils, tandis qu'au contraire, quand il découle du cerveau quelque mauvaise humeur, ou qu'il s'élève des entrailles quelque nuage épais qui vient s'attacher sur la prunelle, il ne peut même pas clairement distinguer les corps les plus gros et les plus matériels: ainsi, tant que l'âme reste pure et saine, et n'est infectée d'aucune maladie, elle regarde sans défaillance tout ce qu'elle doit voir; mais quand elle est souillée de mille passions, et qu'elle a perdu son ancienne vigueur, elle ne peut pas, facilement atteindre aux choses célestes, mais elle se fatigue aussitôt, elle tombe dans l'accablement, se laisse gagner par le sommeil et par la paresse, et néglige et abandonne ainsi ce qui la conduirait à la vertu et à une vie honnête, ou elle ne s'y porte que mollement et faiblement.

5. Pour ne pas tomber dans ce malheur, mes chers frères (car je ne cesserai point de vous répéter ce que je viens de vous dire), ranimez votre courage; de cette manière vous ne nous obligerez pas de vous faire le reproche que saint Paul faisait aux Hébreux nouvellement convertis à la foi: «Nous aurions», leur disait-il, «beaucoup de choses à dire qui sont difficiles à expliquer»: Non qu'elles le soient de leur nature, «mais à cause de notre lenteur et de notre peu d'application à les entendre». (He 5,11) En effet, celui qui a l'esprit lourd et paresseux se fatigue également d'un court comme d'un long discours, et trouve difficile à entendre ce qui est clair et aisé. Loin d'ici donc de tels auditeurs! mais qu'après s'être déchargé de tout le soin des choses terrestres, chacun vienne écouter la divine parole qu'on va vous expliquer.

Lorsque l'auditeur est prévenu de l'amour des richesses, il ne peut plus être possédé de celui de l'instruction, attendu qu'un même coeur ne peut suffire à plusieurs passions, qu'une passion chasse l'autre, et qu'étant partagé il en devient plus faible (1): la passion dominante attire tout à soi. C'est ce qu'on a coutume de voir dans les pères à l'égard de leurs enfants. Si un père n'a qu'un seul enfant, il lui donné toute son affection et sa tendresse, mais quand il en a plusieurs, son amour se partage et s'affaiblit d'autant. Que s'il en est ainsi pour les attachements les plus impérieux de la nature et du sang, et quand l'affection, tout en se dispersant, ne sort pas de la famille, que sera-ce des amours qui proviennent de la volonté, surtout lorsqu'ils sont inconciliables à ce point? car l'amour des richesses est contraire à l'amour d'une telle doctrine. Nous entrons 111 dans le ciel quand nous entrons dans ce temple. Ce n'est pas du lieu, mais c'est du sentiment et de la disposition du coeur que je parlé. Celui qui est encore sur la terre peut être habitant du ciel, il peut se représenter les choses célestes, il peut les entendre. Que nul ne porte donc rien de terrestre dans le ciel; que nul ne s'occupe de ses affaires domestiques, lorsqu'il est en ce lieu. Il faudrait au contraire emporter dans sa maison et à la place publique les trésors que l'on amasse ici, bien loin d'embarrasser et de charger l'Eglise du bagage des maisons et des places. Si nous montons dans cette chaire de doctrine, c'est pour vous purifier de toute cette fange mondaine. Si ce peu d'attention et de tranquillité que nous demandons de vous, vous allez l'affaiblir et le perdre par des soins et des pensées vaines et étrangères, mieux eût valu ne pas venir.

1. Nul ne peut servir deux maîtres, dit notre souverain Maître, car ou il haïra l'un, et aimera l'autre, ou il se soumettra à l'un, et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et les richesses. (Mt 6,24)

Gardez-vous donc, mes très-chers frères, de penser dans l'Eglise à vos affaires domestiques, mais plutôt quand vous serez chez vous, entretenez-vous de ce qu'on vous apprend ici. Ces choses doivent vous être plus précieuses que toutes les autres: celles-ci regardent Pâme, celles-là le corps, ou plutôt ce qu'on vous enseigne ici sert au corps et à l'âme. Voilà pourquoi vous devez vous attacher aux unes comme étant les plus importantes et les plus nécessaires, et faire les autres par manière d'acquit: car celles-là sont utiles et pour la vie future et pour la vie présente, mais celles-ci ne servent ni à l'une ni à l'autre, si l'on ne se conforme à ce que prescrit la loi. En effet, nous devons apprendre ici, non-seulement quelle sera notre vie dans l'autre monde, mais encore comment nous devons nous conduire en celle-ci.

Cette maison est un laboratoire spirituel, où l'on prépare les médicaments, afin que nous y trouvions de quoi guérir les plaies que notas fait le monde: n'y venons donc pas nous en faire de nouvelles, pour en sortir ensuite en plus mauvais état que nous n'y étions entrés. Si nous ne sommes attentifs à la voix de l'Esprit-Saint qui nous parle, non-seulement nous ne laverons pas nos premiers péchés, mais encore nous nous souillerons de taches nouvelles. Soyons donc soigneusement attentifs à la lecture et à l'explication du Livre saint. Nous n'aurons pas dans la suite beaucoup de peine à l'entendre, si une fois nous en avons bien compris les principes et les buses: et si nous nous sommes donné un peu de peine au commencement, nous serons ensuite en état d'instruire les autres, comme saint Paul nous y exhorte. L'Evangile de l'apôtre saint Jean est très-élevé et très-sublime, et les dogmes surtout y abondent. Ne l'écoutons point négligemment, je vous en prie, mes chers frères: je vous l'expliquerai peu à peu, afin qu'il vous soit plus facile de tout entendre et de ne rien oublier.

Nous devons craindre que la sentence que prononce Jésus-Christ, quand il dit: «Si je n'étais point venu, et que je ne leur eusse point parlé, ils n'auraient point le péché qu'ils ont (Jn 15,22)», ne soit prononcée contre nous-mêmes. Quel avantage aurons-nous sur ceux qui n'ont rien entendu, si nous sortons du sermon sans en rien rapporter avec nous, et si nous nous sommes contentés d'admirer la beauté des paroles? Faites donc en sorte que nous jetions la semence dans une bonne terre; faites-le si vous voulez nous encourager toujours davantage: et si quelqu'un a des épines, qu'il les consume par le feu du Saint-Esprit; s'il a un coeur dur et obstiné, que par le même feu il l'amollisse, et le rende docile; s'il est attaqué dans le chemin d'une foule de pensées, qu'il se retire dans le secret de son coeur et qu'il n'écoute point ces ennemis, qui n'y voudraient entrer que pour voler de cette sorte nous aurons la consolation de vous voir faire de riches et d'abondantes moissons. Si nous veillons ainsi sur nous, et si nous écoutons la parole de Dieu avec soin, nous nous débarrasserons de tous les intérêts séculiers, sinon sur-le-champ, du moins peu à peu. Faisons donc en sorce qu'on ne dise pas de nous: «Leurs oreilles sont semblables à celles de l'aspic qui est sourd». (Ps 58,4)

Un auditeur sourd, dites-le-moi, en quoi diffère-t-il de la bête? Comment! celui qui n'écoute pas Dieu, lorsqu'il lui parle, n'est-il pas plus irraisonnable que tout ce qu'il y a de plus irraisonnable? Si plaire à Dieu, c'est là le tout de l'homme, qu'on n'appelle point autrement que bête celui qui ne veut pas apprendre ce qui lui procurerait ce bonheur. (Qo 12,13) Considérons donc quel mal nous commettons, lorsque Jésus-Christ voulant rendre les Hommes semblables aux anges, nous, d'hommes que nous sommes, nous nous changeons en bêtes: car se rendre esclave de la sensualité, [112] avoir de la passion pour les richesses, être colère, mordre et regimber, ce n'est pas d'un homme, mais d'une bête: or, chaque bête, pour ainsi dire, a les passions de son espèce mais l'homme qui a éteint en lui-même la lumière de la raison, et abandonné la manière de vivre que Dieu lui a prescrite, tombe sous le joug de toutes les passions: ce n'est plus une bête, c'est un monstre informe et bizarre qui n'a pas même l'excuse de la nature; car toute sa méchanceté vient de son libre arbitre et de sa volonté.

Mais à Dieu ne plaise que nous concevions jamais une telle idée de l'Eglise de Jésus Christ! nous avons une meilleure opinion de vous, et de votre salut (He 6,9), mes très chers frères, mais plus elle est grande et forte chez nous, cette bonne opinion, moins aussi cesserons-nous de vous mettre en garde par nos discours, afin qu'après que vous serez parvenus au comble des plus éminentes vertus, vous acquériez l'héritage qui nous est promis. Puissions-nous tous en être gratifiés, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui la gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles! Ainsi soit-il.




Chrysostome sur Jean 1