Chrysostome sur Jean 13

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HOMÉLIE 13. JEAN REND TÉMOIGNAGE DE LUI, ET IL CRIE,

EN DISANT: VOICI CELUI DONT JE VOUS DISAIS, CELUI QUI DOIT VENIR APRÈS MOI, EST AVANT MOI, PARCE QU'IL EST PLUS ANCIEN QUE MOI. (VERSET 15)

Jn 1,15

ANALYSE.

1. Le prédicateur ne perd point sa récompense par la paresse de ses auditeurs. Saint Jean l'évangéliste fait souvent valoir le témoignage de saint Jean-Baptiste, pourquoi?
2 et 3. Témoignage de saint Jean-Baptiste
4. Rien de plus beau ni de plus brillant qu'une vie bien réglée.- Les dons faits de biens mal acquis sont rejetés.


1. Courons-nous en vain? est-ce inutilement fille nous travaillons? Jetons-nous la semence sur des pierres? Tombe-t-elle le, long du chemin ou demeure-t-elle cachée dans des épines 1? J'ai peur, je tremble que mon labourage ne soit inutile, quoique d'ailleurs je ne puisse rien perdre de la récompense qui est attachée à ce travail. La condition du laboureur est autre que celle du prédicateur de la parole souvent le laboureur, après avoir travaillé toute une année, après avoir souffert tant de peines et de sueurs, ne récolte rien qui réponde à ses soins; et alors rien ne peut plus le dédommager de ses peines; triste et confus il revient de l'aire dans sa maison, auprès de sa femme et de ses enfants, et n'a personne à qui il puisse demander la récompense de ses longs travaux. Nous n'avons rien de pareil à craindre: quand bien même la terre que nous avons cultivée ne donne aucun fruit; si nous avons employé tous nos soins et toutes nos peines, le Seigneur de la terre et du laboureur ne permettra pas que nous soyions frustrés de nôs espérances, mais il nous donnera une rémunération. «Chacun», dit l'Ecriture, «recevra sa récompense particulière selon son travail» (1Co 3,8); et non pas selon l'événement. Pour preuve que cela est ainsi, écoutez ce que dit le Seigneur: «Vous donc, fils de l'homme, exhortez ce peuple, pour voir s'ils écouteront enfin et s'ils comprendront». Et voici l'explication d'Ezéchiel: «Si la sentinelle», dit-il, «avertit de ce qu'il faut fuir et de ce qu'il faut suivre, elle a délivré son âme, quoique personne ne l'écoute (1)». (Ez 2,5-6)

1. Allusion à la parabole des semences. Saint (Mt 11,2 Mc 4,1 Lc 8,4).
1. On ne lit point ces deux passages, ni dans les Septante, ni dans la Vulgate. L'auteur en prend seulement le sens.

Toutefois; encore que nous ayions cette ferme consolation, encore que nous soyions sûrs de la récompensé, lorsque nous ne vous voyons pas profiter de nos instructions, nous ne sommes ni plus consolés ni en meilleure disposition que les laboureurs, qui gémissent et pleurent, qui sont honteux et confus; Telle est la charité d'un prédicateur, telle est la sollicitude pastorale. Moïse pouvait se délivrer de l'ingrate nation des Juifs et obtenir un plus glorieux gouvernement, celui d'un peuple beaucoup plus nombreux. Dieu lui dit: «Laisse-moi faire, et je les exterminerai, et je t'établirai chef d'un plus grand peuple». (Ex 32,10) Mais comme il était saint et serviteur de Dieu; comme il était vrai ami et homme de bien, il ne put même pas entendre cette parole; au contraire, il aima mieux périr avec le peuple qui lui avait été confié, qu'être sauvé sans lui et élevé à une plus haute dignité.

Tel doit être celui à qui est confié le soin des âmes; car si un père qui a de méchants enfants veut continuer néanmoins à être appelé leur père et ne consentirait point à en changer, il serait absurde que continuellement 159 un maître changeât de disciples, qu'il les abandonnât pour prendre tantôt ceux-ci, tantôt ceux-là et ensuite d'autres, sans s'attacher jamais à aucun.

Mais, Dieu nous garde de rien craindre de semblable à votre sujet! Nous avons au contraire cette confiance de croire que votre foi croît toujours de plus en plus en Notre-Seigneur Jésus-Christ, et que la charité mutuelle que vous avez les uns pour les autres et pour tous les hommes s'augmente chaque jour. Ce que nous venons de dire, nous l'avons dit pour ajouter encore à votre zèle et vous faire croître en vertu. Si les yeux de votre âme ne sont point chassieux, si la corruption de la malice ne les obscurcit pas et n'en trouble pas la clairvoyance, vos pensées pourront atteindre à la profondeur des matières que nous avons à traiter.

Qu'est-ce qu'on nous propose aujourd'hui? «Jean rend témoignage de lui, et il crie en disant: Voici Celui dont je vous disais: Celui qui doit venir après moi est avant moi, parce qu'il est plus ancien que moi». Notre évangéliste fait souvent paraître Jean, le produit à tout instant et en toute occasion, et fait valoir souvent son témoignage. Et ce n'est pas sans raison: il fait preuve en cela d'une extrême prudence. Comme les Juifs admiraient extraordinairement cet homme, (Josèphe, qui s'étend beaucoup sur son éloge, attribue à la mort qu'Hérode lui fit souffrir et la guerre (1), et la ruine de Jérusalem (2)); comme, dis-je, les Juifs l'admiraient extraordinairement, l'évangéliste, pour les couvrir de confusion, leur répète souvent son témoignage. Et véritablement les autres évangélistes renvoient leurs auditeurs, sur chaque action qu'ils rapportent, aux anciens prophètes qu'ils leur citent. Quand ils racontent la naissance du Fils de Dieu, ils disent: «Or; tout cela se fit pour accomplir ce que le Seigneur avait dit par le Prophète, en ces termes (Mt 1,22): Une Vierge concevra, et elle enfantera un fils». (Is 7,14) Quand ils décrivent les pièges qu'on lui tendait; les exactes recherches, les poursuites qu'on faisait pour le perdre, et le massacre qu'Hérode fit des innocents, ils produisent ce que Jérémie avait autrefois prophétisé «On a entendu un grand bruit dans Rama, on y a ouï des cris mêlés de plaintes et de soupirs: Rachel pleurant ses enfants». (Jr 31,15) Et quand ils rapportent son retour de l'Égypte, ils citent cette prédiction d'Osée: «J'ai rappelé mon Fils d'Égypte». (Os 11,1) Partout ils en usent de même; mais saint Jean, qui parle avec plus d'élévation que les autres évangélistes, apportant un témoignage plus clair et plus récent, ne produit pas seulement des morts, mais un homme vivant qui avait montré Jésus-Christ présent et qui l'avait baptisé: non toutefois pour prouver qu'il fallait croire en Jésus-Christ sur le témoignage du serviteur, mais pour s'accommoder à la faiblesse de ses auditeurs. Car comme on n'aurait pas reçu le Seigneur s'il n'avait pris la forme de serviteur, de même la plus grande partie des Juifs n'aurait pas cru à sa parole, s'il n'y eût accoutumé leurs oreilles par une voix semblable à la leur.

1. La guerre qu'Arétas, roi de Pétra, déclara à Hérode le Tétrarque.
2. Ce que le saint Docteur rapporte ici de Josèphe ne nous paraît pas tout à fait conforme à ce que nous lisons dans son histoire. Voici le passage: Plusieurs Juifs ont cru que cette défaite de l'armée d'Hérode était une punition de Dieu à cause de Jean, surnommé Baptiste. C'était un homme de grande piété qui exhortait les Juifs à embrasser la vertu, à exercer la justice, et à recevoir le Baptême, après s'être rendu agréable à Dieu en ne se contentant pas de ne point commettre quelque péché, mais en joignant la pureté du corps à celle de l'âme. Aussi, comme une grande quantité de peuple le suivait pour écouter sa doctrine, Hérode, craignant que le pouvoir qu'il aurait sur eux, n'excitât quelque sédition, Parce qu'ils seraient toujours prêts à entreprendre tout ce qu'il leur ordonnerait, crut devoir prévenir ce mal pour n'avoir pas sujet de se repentir d'avoir attendu trop tard à y remédier. Pour cette raison il l'envoya prisonnier dans la forteresse de Machera, dont nous venons de parler. Et les Juifs attribuèrent la défaite de son armée à un juste châtiment de Dieu d'une action si injuste». Arn. d'And. hist. de Josep. in-fol. Tom. 1, p. 689. N. 781.


2. Ajoutons que l'évangéliste, en en usant ainsi, avait en vue un autre résultat, grand et merveilleux: comme celui qui avance quelque chose de grand sur son propre compte, se rend suspect; et déplaît souvent à ceux qui l'entendent, voici venir un nouveau témoin pour appuyer son autorité de la sienne: et aussi comme la multitude a coutume d'accourir à la voix qui lui est naturelle et familière, parce qu'elle a moins de peine à la reconnaître, c'est pour cela que la voix du ciel ne s'est fait entendre qu'une ou deux fois, et que la voix de Jean-Baptiste se fait ouïr très-souvent. En effet, ceux qui s'élevaient au-dessus de la faiblesse et de la grossièreté du peuple, qui s'étaient dépouillés des choses sensibles et terrestres, étaient capables d'entendre la voix du ciel, et n'avaient pas tant de besoin de celle de l'homme, puisqu'ils obéissaient à la première et se laissaient guider par elle; mais il fallait une voix plus humble à ceux qui [159] étaient encore attachés à la terre, et plongés dans les ténèbres. Voilà donc pourquoi Jean-Baptiste, s'étant entièrement dépouillé des choses terrestres, n'a pas eu besoin d'avoir des hommes pour maîtres, mais il a reçu sa doctrine du ciel. Car il dit: «Celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau m'a dit: Celui sur qui vous verrez descendre le Saint-Esprit, est le Fils de Dieu». (Jn 1,33-34) Les Juifs au contraire qui n'étaient encore que des enfants, et qui ne pouvaient atteindre à cette élévation, avaient pour maître un homme qui leur annonçait non sa propre doctrine, mais celle du ciel.

Que dit donc celui-ci? «Il rend témoignage de lui, et il crie, en disant». Que veut dire ce mot: «Il crie?» il prêche avec confiance, avec liberté, exempt de toute crainte. Et quelle est cette prédication, ce témoignage, ce cri? «Voici celui dont je vous disais: Celui qui est venu après moi, est avant moi, parce qu'il est plus ancien que moi». Ce témoignage est obscur et bien terrestre encore; en effet, Jean n'a point dit: Celui-ci est le Fils unique de Dieu; il a dit: «Voici celui dont je vous disais: Celui qui est venu après moi, est avant moi, parce qu'il est plus ancien que moi». De même que les mères des petits oiseaux ne montrent pas tout d'un coup, ni dans un seul jour à leurs petits la manière de voler, mais qu'au commencement elles ne font que les faire sortir de leur nid, les laissent ensuite reposer, puis les remettent au vol; et le lendemain leur font faire de plus grands efforts, les excitant de la sorte peu à peu et insensiblement à s'élever à une hauteur convenable: ainsi le bienheureux Jean-Baptiste n'amène pas sur-le-champ les Juifs à ce qu'il y a de plus sublime, mais il commence par les élever un peu de terre, en leur disant que Jésus-Christ lui est supérieur. Ce n'était pas peu en effet que ses auditeurs pussent croire que celui quine s'était point encore fait voir, et qui n'avait point opéré de miracles, était supérieur à Jean, cet homme si illustre et si admirable, vers qui tout le peuple accourait, et qu'on regardait comme un ange.

Ainsi il tâchait d'abord, et s'efforçait de persuader à ses auditeurs que celui dont il rendait témoignage, était plus grand que le témoin; que celui qui devait venir était au-dessus de celui qui était venu; et que l'inconnu surpassait l'homme célèbre. Voyez avec quelle prudence Jean-Baptiste rend témoignage! Non-seulement il montre Jésus, lorsqu'il est présent; mais il le prédit avant qu'il paraisse. Car telle est l'allusion renfermée dans ces paroles: «Voici celui dont je vous disais». C'est ainsi que, selon saint Matthieu, il disait à tous ceux qui venaient à lui: «Pour moi, je vous a baptise dans l'eau; mais il en doit venir un autre qui est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers». (Mt 3,11 Mc 1,7 Lc 3,17) Pourquoi donc a-t-il ainsi parlé, avant que Jésus vînt? C'est afin que quand il paraîtrait, son témoignage trouvât créance, les esprits y étant disposés par les discours tenus auparavant à son sujet, et que le vil vêtement qu'il portait ne nuisît pas à son crédit. Si les Juifs n'eussent rien ouï dire de Jésus-Christ, avant de le voir, s'ils n'eussent reçu qu'en le voyant ce grand et admirable témoignage, la simplicité et la pauvreté de ses habits aurait sans doute fait tort à la majesté de sa parole. En effet, Jésus-Christ marchait dans les rues si simplement et si pauvrement vêtu, que les femmes de Samarie, les femmes de mauvaise vie, les publicains, tous osaient librement et hardiment l'approcher et lui parler.

3. Si les Juifs donc; comme je l'ai dit, avaient entendu ces paroles, et vu sa personne en même temps, ils auraient ri du témoignage de Jean-Baptiste; mais ayant souvent entendu ce témoignage avant la venue de Jésus-Christ, et ce qu'ils en avaient ouï dire leur ayant inspiré le désir de le voir, tout le contraire est arrivé: ils ont pu voir ce Sauveur annoncé, sans rejeter sa doctrine, et la foi qu'ils ont eue en lui sur ce qu'ils en avaient ouï dire le leur a fait regarder comme plus grand encore.

Ces paroles: «Celui qui doit venir après moi», signifient: celui qui doit prêcher, et non pas naître, après moi. Saint Matthieu le déclare, en disant: «Il vient un homme après moi»; où il ne parle point de la naissance du Fils de Marie; mais de sa venue pour prêcher. En effet, si l'évangéliste eût voulu parler de sa naissance, il ne se serait pas servi d'un temps présent, mais d'un temps passé; il n'aurait pas dit: «Il vient», mais: «Il est venu». Car Jésus-Christ était déjà né, lorsque Jean-Baptiste disait ces choses.

Mais que veut dire ce mot: «Il est avant moi»? Entendez: il est plus illustre et plus célèbre que moi. De plus, quoique je sois venu [161] prêcher le premier, ne croyez pas pour cela que je sois plus grand que lui: je suis de beaucoup inférieur à lui, et si inférieur, que je ne suis pas digne d'être même regardé comme son serviteur. Et c'est là ce que signifient ces paroles: «Il est avant moi»: idée que saint Matthieu exprime autrement, en disant: «Et je ne suis pas digne de délier les cordons de ses souliers (1)». (Mt 3,11) Or que ces paroles: «Il est avant; moi», ne s'entendent point de la naissance de Jésus-Christ, celles qui suivent le montrent visiblement: si Jean-Baptiste avait voulu qu'elles s'entendissent de la naissance, il lui eût été inutile d'ajouter: «Parce qu'il est plus ancien que moi». Qui en effet eût été assez stupide et assez fou pour ignorer que celui qui était né avant lui était plus ancien que lui? Que si l'on entend ces paroles, de cette existence qui est avant les siècles, elles ne signifient autre chose que ceci: «Celui qui vient après moi, est avant moi»; autrement il aurait parlé inconsidérément, et ce serait en vain qu'il aurait produit la raison de cette ancienneté. Encore une fois, s'il avait voulu parler de la naissance, il devait construire sa phrase d'une autre façon, et dire: «Celui qui vient après moi, est plus ancien que moi, parce qu'il est né avant moi»: car que quelqu'un soit avant, on en peut justement donner cette raison, qu'il est né le premier; mais on n'établit point qu'une personne est née avant une autre en disant qu'elle est la première.

1. Saint Matthieu, que cite le saint Docteur, dit: «Et je ne suis pu digne de porter ses souliers». Mais saint Marc et saint Luc disent: «de dénouer le cordon de ses souliers». (Mc 1,7 Lc 3,16) Tout revient au même. La différence ne doit point arrêter.

Ce que nous disons là est juste et bien fondé, vous le savez tous: c'est des choses obscures, qu'il faut donner la raison et l'explication, et non de celles qui sont claires et évidentes. Si ce discours tombait sur la naissance, il n'y aurait ni doute, ni difficulté à admettre que le premier est le premier né mais comme Jean parle de la dignité et de la prééminence, il a raison d'ôter la difficulté qui y paraissait. Effectivement, il est vraisemblable que plusieurs auraient eu des doutes, et n'auraient pu concevoir comment et pour quelle raison celui qui est venu après, est avant, c'est-à-dire, est plus honorable. Voilà pourquoi Jean-Baptiste en donne aussitôt la raison: c'est parce que, dit-il, «il est plus ancien que moi»: Ce n'est pas, dit-il, que, me trouvant d'abord devant lui, il ait réussi à prendre le pas sur moi: mais il est plus ancien que moi, quoiqu'il vienne après moi.


Mais comment, direz-vous, si Jean a en vue l'éclatant avènement du Christ et la gloire qui doit l'accompagner, parle-t-il d'une chose qui n'était point encore, comme si déjà elle était arrivée? car il ne dit pas: il sera, mais il est c'est parce que depuis la plus haute antiquité les prophètes étaient dans l'usage d'annoncer les choses futures, comme si elles étaient déjà accomplies. Isaïe, parlant de la mort de Jésus-Christ, n'a point dit: «Il sera mené à la mort comme une brebis qu'on va égorger»: ce qui devait arriver; mais: «Il a été mené à la mort comme une brebis qu'on va égorger (1)». (Is 53,7-10) Et toutefois il ne s'était point encore incarné; mais le prophète raconte ce qui devait arriver, comme étant déjà accompli. Et David, prédisant le crucifiement, n'a point dit: ils perceront mes mains et mes pieds; mais: «Ils ont percé mes mains et mes pieds». Et: «ils ont partagé entr'eux mes habits, et ils ont jeté le sort sur ma robe». (Ps 21,18-19) Et parlant du traître Judas, qui n'était point né encore, il dit. «Celui qui mangeait avec moi, a fait éclater sa trahison contre moi». (Ps 40,10) De même, rapportant ce qui s'est passé, lorsqu'il était attaché sur la croix, il dit: «Ils m'ont donné du fiel pour ma nourriture, et dans ma soif ils m'ont présenté du vinaigre à boire». (Ps 69,26)

1. Il faut observer que c'est ici la leçon des Septante. Notre Vulgate dit: «Il sera mené à la mort».

4. Voulez-vous que nous vous apportions encore d'autres autorités, ou celles-là vous suffisent-elles? pour moi, je le crois. Si nous n'avons pas donné toute son étendue au sujet que nous venons d'examiner, du moins nous l'avons suffisamment approfondi. Et certes il n'y a pas un moindre travail à ceci qu'à cela, et nous craindrions de vous ennuyer, si nous vous arrêtions plus longtemps sur cette question. Finissons donc: cela est juste. Mais par où finirons-nous le mieux? C'est en rendant à Dieu la gloire qui lui est due, et cela, non-seulement par nos paroles, mais encore plus par nos oeuvres.

Que votre lumière luise, dit Jésus-Christ, «afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres, et «qu'ils glorifient votre Père qui est dans les 162 cieux». (Mt 5,16) Rien en effet n'est plus brillant, mes chers frères, qu'une vie bien réglée. Le sage le déclare: «La voie des justes», dit-il, «brillera comme la lumière». (Pr 4,18) Certes, elle éclairera non-seulement ceux qui allument leurs lampes parleurs bonnes oeuvres, et qui marchent dans la voie droite, mais encore tous leurs voisins: mettons donc de l'huile dans ces lampes, afin que le feu en soit plus vif et la lumière plus abondante. Ce n'est pas seulement aujourd'hui que cette huile a une grande force, elle a fait aussi merveilleusement éclater la vertu de ceux qui ont vécu au temps des sacrifices. C'est pourquoi Dieu dit: «C'est l'huile que je veux, et non le sacrifice». (Os 6,6 Mt 9,13) Et en vérité, rien de plus juste. L'autel des sacrifices était inanimé, mais notre autel est animé; le feu consumait tout, tout se réduisait en cendres et se dissipait, la fumée s'évanouissait dans l'air: mais ici, il n'arrive rien de semblable; il se produit d'autres fruits. C'est ce que déclare saint Paul, lorsque, décrivant les trésors de charité des Corinthiens, il dit: «Cette obligation, dont nous sommes les ministres, ne supplée pas seulement aux besoins des saints; mais elle est riche et abondante envers Dieu, par le grand nombre d'actions de grâces qu'elle lui fait rendre». Et encore: «Parce que ces saints se portent à glorifier Dieu de la soumission que vous témoignez à l'Evangile de Jésus-Christ, et de la bonté avec laquelle vous faites part de vos biens, soit à eux, soit à tous les autres, et à témoigner par les prières qu'ils font pour vous, l'amour qu'ils vous portent». (2Co 9,12-14) Ne voyez-vous pas qu'ici l'offrande aboutit à des actions de grâces, à un tribut d'hommages, à des prières continuelles de la part des pauvres secourus, à un redoublement de charité?

1. Saint Chrysostome lit ici elaion (huile) et non eleon (miséricorde): ces deux mots se prononçant de même, la confusion s'explique aisément. Au reste, le sens est le même puisque l'huile est prise dans l'Ecriture pour le symbole de la miséricorde. Voyez, dans le commentaire sur saint Matthieu, l'explication de la parabole des dix vierges. (Mt 25)

Sacrifions donc, mes chers enfants, sacrifions tous lès jours sur ces autels. Ce sacrifice est plus excellent que les prières, que le jeûne et mainte autre pratique, pourvu qu'on le fasse d'un bien acquis légitimement par un honnête travail, et qui ne soit point souillé d'avarice, de rapine ou de violence. Telles sont les oblations que Dieu reçoit; il hait, il rejette les autres. Il ne veut pas qu'on l'honore au détriment d'autrui; un pareil sacrifice est impur et profane; il irritera plutôt Dieu qu'il ne l'apaisera. C'est pourquoi nous devons apporter tous nos soins et toute notre vigilance à ne pas outrager, sous prétexte d'hommage, celui que nous voulons honorer. Si Caïn, pour avoir offert à Dieu la moindre et la plus vile partie de ses biens (Gn 4), sans toutefois avoir fait tort à personne, fut puni, ne recevront-ils pas un plus rigoureux châtiment, ceux qui lui présenteront les fruits de leurs rapines et de leur avarice? Si Dieu nous a donné ce précepte, c'est pour que nous fassions l'aumône au prochain, et non pour que nous l'opprimions. Celui qui ravit le bien d'autrui et le donne à un autre, celui-là n'est point miséricordieux, mais injuste et souverainement criminel. Comme donc on ne tire pas de l'huile d'une pierre, la cruauté de même ne produit pas l'humanité. On ne peut pas appeler aumône ce qui sort de cette source impure.

Je vous conjure donc, mes frères, de n'être point seulement zélés et attentifs à donner l'aumône, mais encore de ne pas la faire au préjudice du prochain. Car «si l'un prie et que l'autre maudisse, de qui Dieu exaucera-t-il la voix?» (Qo 34,29) Si nous sommes ainsi vigilants sur nous-mêmes, nous pourrons, par la grâce de Dieu, obtenir ses bontés, sa clémence, sa miséricorde, la rémission de tous les péchés que nous avons commis pendant notre vie, et éviter le fleuve de feu. Fasse le ciel que nous nous en garantissions tous, et que tous nous entrions dans le royaume des cieux, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui la gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles! Ainsi soit-il. - 163 -



14

HOMÉLIE 14. ET NOUS AVONS TOUS REÇU DE SA PLÉNITUDE, ET GRACE POUR GRACE. (VERSET 16)

Jn 1,16

ANALYSE.

1. Ce que nous avons reçu de la plénitude de Jésus-Christ:
2. Différence entre l'ancienne et la nouvelle Loi.- Signification de ces paroles: Grâce pour grâce.- Dieu nous prévient toujours de ses bienfaits.
3 et 4. Les figures de l'Ancien Testament ont en leur accomplissement dans le Nouveau.- Explication de quelques-unes de ces figurés.- Dans les combats publics on n'excite point à la course ceux qui se sont laissé renverser, mais seulement les braves athlètes.- Au contraire, dans les combats spirituels on exhorte, on anime indifféremment les uns et les autres, parce que ceux qui sont tombés, peuvent se relever, et remporter encore la victoire.- L'amertume des remèdes ne doit décourager ni rebuter personne: leur utilité se montrera dans la suite.- Les pécheurs et les justes même, tous ont besoin de remèdes, de corrections et de bons avis.

l. Nous disions dernièrement, mes frères, que Jean-Baptiste; pour lever les doutes de ceux qui se demanderaient comment Jésus-Christ, venu après lui pour prêcher, pouvait être plus ancien et plus illustre que lui, avait ajouté ces mots: «Parce qu'il est plus ancien a que moi». C'est là une des raisons; mais il en ajoute une autre que nous avons maintenant à vous expliquer. La voici: «Nous avons tous reçu de sa plénitude, et grâce pour grâce». Et après celle-là il en ajoute encore une autre: «Car la loi a été donnée par Moïse, mais la grâce et la vérité a été apportée par Jésus-Christ (17)».

Que signifient ces paroles, direz-vous: «Nous avons tous reçu de sa plénitude?» C'est à quoi je dois d'abord m'attacher. Donner, pour lui, veut-il dire, ce n'est point partager, il est lui-même le principe et la source de tous les biens; il est la vie même, la lumière même, la vérité même; il ne retient pas en lui-même ses trésors, mais il les répand sur tous les autres; et après qu'il les a répandus, il demeure plein; après qu'il a donné, aux autres, il n'à rien de moins; mais il prodigue ses biens, toujours il les répand, et en les répandant avec profusion sur les autres, il demeure dans la même perfection, dans la même plénitude. Ce que j'en ai moi-même n'est qu'une petite portion que j'ai reçue d'un autre, et la moindre partie du tout, et comme une goutte d'eau si on la compare à cette ineffable source, à cette mer immense.

Mais cette comparaison même n'explique point assez ce que nous tâchons de vous faire entendre. Car si vous puisez dans la mer une goutte d'eau, dès lors vous l'avez diminuée, quoique cette diminution soit imperceptible aux yeux. Or, on ne peut pas dire la même chose de cette source; quelque quantité d'eau que vous y puisiez, elle demeure néanmoins entière et ne souffre aucune diminution. C'est pourquoi il faut prendre un autre exemple; mais il est encore faible et ne suffit pas pour représenter ce que nous voudrions décrire; toutefois il nous achemine mieux que l'autre à l'idée dont il s'agit. Supposons un foyer où l'on allume mille, deux mille, trois mille flambeaux, et beaucoup plus encore; ce feu, après avoir communiqué sa lumière et sa vertu à tous ces milliers de flambeaux, ne demeure-t-il pas plein et entier? Personne ne l'ignore. Que si parmi les corps, choses divisibles, que le partage diminue, on en trouve qui peuvent donner. du leur aux autres, sans souffrir de diminution, à combien plus forte raison en sera-t-il de même pour l'Etre incorporel et impérissable? Car s'il n'y a pas nécessairement partage quand la chose communiquée est une substance corporelle, lorsqu'on parle d'une vertu, et d'une vertu provenant d'une substance incorporelle, n'est-il pas plus évident [164] encore qu'elle ne doit subir aucune division? Voilà pourquoi saint Jean dit: «Nous avons «tous reçu de sa plénitude», et joint son témoignage à celui de Jean-Baptiste. Car ce n'est pas le précurseur, mais l'Apôtre qui dit ces paroles: «Nous avons tous reçu de sa plénitude». Et voici ce qu'il veut dire par là. Ne croyez pas que nous, qui avons demeuré longtemps avec Jésus-Christ, et mangé à sa table, nous rendions témoignage de lui par faveur et par complaisance. Jean-Baptiste, qui ne l'avait point vu ni rencontré avant de le baptiser, le voyant alors avec les autres, s'est écrié: «Il est plus ancien que moi». Mais nous, tous les douze, les trois cents personnes, cinq cents, trois mille, cinq mille, plusieurs milliers de Juifs, toute la multitude des fidèles, qui a été. alors, qui est maintenant, et qui sera, nous avons tous reçu de sa plénitude.

Mais qu'avons-nous reçu? «Grâce pour grâce». Quelle grâce, pour quelle grâce? Nous avons reçu la, nouvelle grâce pour l'antienne. Comme il y avait une justice et une justice: «Pour ce qui est», dit saint Paul, «de la justice de la loi, ayant mené une vie irréprochable» (Ph 3,6), il y a aussi une foi et une foi: «De la foi dans la foi» (Rm 1,17), une adoption et une adoption: «A qui appartient l'adoption» (Rm 9,4), dit le même apôtre. Il y a aussi, selon lui, deux gloires: «Si le ministère qui devait finir a été glorieux, celui qui durera» toujours «le doit être beaucoup davantage» (2Co 3,11); et deux lois, car il dit encore: «La loi de l'esprit de vie m'a délivré». (Rm 8,2); et deux cultes: «Dont la servitude», c'est-à-dire le culte; et ailleurs: «Servant Dieu en esprit». Il y a aussi deux testaments: «Je ferai avec vous», dit le Seigneur, «une nouvelle alliance, non une alliance pareille à celle que je fis avec vos pères». (Jr 31,31-32) Il y a aussi une sanctification et une sanctification, un baptême et un baptême, un sacrifice et un sacrifice, un temple et un temple, une circoncision et une circoncision, et de même il y a une grâce et une grâce. Mais les premières de ces choses sont en quelque sorte la figure, celles-ci sont la vérité: ces mots sont homonymes, mais ils ne sont pas synonymes; c'est ainsi que, dans les images, une figure dessinée avec du noir sur du blanc s'appelle homme, tout aussi bien que l'homme peint au naturel avec les couleurs convenables. De même les statues, qu'elles soient d'or ou de terre cuite, on les appelle également statues; mais d'une part il n'y a qu'une figure, de l'autre se trouve la vérité.

2. De la seule conformité des noms, ne concluez donc pas, que les choses soient les mêmes, ni davantage qu'elles soient différentes. Les figures anciennes, en tant que figures, avaient quelque chose de la vérité, mais l'ombre dont elles restaient couvertes les rendaient inférieures à la vérité proprement dite. Quelle différence donc y a-t-il entre ces deux ordres de choses? Voulez-vous que nous l'examinions dans une ou deux de celles que j'ai rapportées ci-dessus? par là vous connaîtrez parfaitement toutes les autres. Nous verrons que celles-là contenaient des lois et des préceptes pour des enfants; que celles-ci sont faites pour des hommes mûrs et forts; que celles-là étaient données comme pour former des hommes; que celles-ci sont établies comme pour faire des anges. Par où commencerons-nous donc? Souhaitez-vous que ce soit par l'adoption? Quelle différence y a-t-il entre l'ancienne et la nouvelle? La première n'était qu'une prérogative nominale, la seconde est réelle et véritable. De celle-là il est écrit: «J'ai dit: vous ôtes des Dieux, et vous êtes tous «enfants du Très-Haut». (Ps 82,6) Mais de celle-ci: «Ils sont nés de Dieu même». (Jn 1,13) Comment, de quelle façon? «C'est par l'eau de la renaissance, et par le renouvellement du Saint-Esprit». (Tt 3,5) Et certes, les Juifs, quoiqu'appelés enfants de Dieu, avaient encore l'esprit de servitude; ils demeuraient esclaves, tout en étant honoris du nom d'enfants: mais nous, devenus libres, nous avons reçu l'honneur d'être faits enfants de Dieu; non de nom, mais réellement et de fait: et c'est là ce que nous déclare saint Paul, en disant: «Vous, n'avez point reçu l'esprit de servitude pour vous conduire encore par la crainte: mais vous avez reçu l'esprit de l'adoption des enfants, par lequel nous «crions: Mon père, mon père». (Rm 8,15) En effet, c'est régénérés par la vertu d'en haut, et comme entièrement renouvelés, que nous avons été appelés enfants de Dieu.

Mais si l'on apprend quelle était la mesure de leur sainteté, en quoi ils la faisaient consister: si l'on considère ce qu'est le Juif, ce [165] qu'est le chrétien, on y trouvera encore bien de la différence. Les Juifs, quand ils n'adoraient pas les idoles, quand ils ne commettaient ni fornications, ni adultères, étaient appelés saints; mais nous, nous devenons saints, non pour nous être seulement abstenus de ces vices, mais par la possession des plus éminentes vertus. Ce don, nous l'acquérons premièrement par la descente du Saint-Esprit en nous, et ensuite par une vie beaucoup plus excellente que celle du Juif. Mais, afin que vous ne croyiez pas que je vous parle ainsi par ostentation, écoutez ce que leur dit l'Ecriture: «Gardez-vous de laver et de purifier vos enfants, parce que vous êtes un peuple saint (1)». (Dt 18,10) S'abstenir du culte des idoles, c'était donc là en quoi, consistait leur sainteté, mais il n'en est pas ainsi de nous: «Il faut être saint de corps et d'esprit» (1Co 7,34): il faut «tâcher d'avoir la paix et de vivre dans la sainteté, sans laquelle nul ne verra Dieu». (He 12,14) Et: «Achever l'oeuvre de notre sanctification dans la crainte de Dieu». (2Co 7,1) Le nom de «saint» n'a pas la même signification appliqué à tous. Bien est appelé saint, mais non comme nous. Faites attention à ce que dit le prophète quand il entendit les séraphins prononcer ce nom

«Malheur à moi, que je suis malheureux, parce qu'étant homme, j'ai des lèvres impures et que j'habite au milieu d'un peuple qui a aussi des lèvres souillées». (Is 6,5) Voilà comme Isaïe parle de lui-même, quoiqu'il fût pur et saint: mais pour nous, si nous comparons notre sainteté à cette sainteté qui habite dans les cieux, nous sommes impurs. Les anges sont saints, les archanges, les chérubins et les séraphins sont saints: mais il y a encore une autre sainteté supérieure à celle de ces puissances célestes non moins qu'à la nôtre. Je pourrais parcourir ainsi les différences de toutes les autres saintetés, mais je m'aperçois que mon discours est déjà trop long; c'est pourquoi, sans nous arrêter davantage à cette recherche, nous la laisserons à votre examen. Vous pouvez, quand vous serez dans vos maisons, vous rappelant ce que nous venons de vous faire observer, envisager cette différence et l'étendre à tout le reste: «Donnez une occasion au sage», dit l'Ecriture, et il deviendra encore plus sage». (Pr 9,9) Nous avons commencé, ce sera maintenant à vous de finir.

1. Saint Chrysostome cite ici de mémoire, ou il ne prend que la substance de ce passage; car il est autrement dans, les Septante et dans la Vulgate, où on peut le voir au lieu cité.

Poursuivons notre discours. L'évangéliste ayant dit: «Nous avons tous reçu de sa plénitude», ajoute: «Et grâce pour grâce». Par où il nous fait connaître que les Juifs ont aussi été sauvés par la grâce. Car, dit le Seigneur, ce n'est pas parce que vous vous êtes multipliés que je vous ai choisis, mais c'est à cause de vos pères. Si ce n'est donc pas pour leurs propres mérites que Dieu les a choisis, il est évident que c'est par la grâce qu'ils ont reçu cet honneur. Et nous aussi nous avons été sauvés par la grâce, mais non de la même manière. Nous ne l'avons pas été par les mêmes voies, mais par des moyens beaucoup plus grands et plus sublimes. C'est pourquoi la grâce que nous avons reçue n'est pas la même que la leur. Nous n'avons pas seulement reçu la rémission de nos péchés; en quoi il n'y a nulle différence entre eux et nous, également pécheurs: mais Dieu nous donne aussi la justice, la sainteté, l'adoption, la grâce du Saint-Esprit avec plus de magnificence et d'abondance. C'est cette grâce qui nous rend chers et agréables à Dieu, non plus comme de simples serviteurs, mais comme étant ses enfants et ses amis. Voilà pourquoi saint Jean dit: «Grâce pour grâce».

Les lois et les cérémonies légales étaient aussi des grâces: comme c'en est une encore d'avoir été tiré du néant. Car ce n'est point là une grâce de nos mérites précédents: comment cela se pourrait-il, puisque nous n'étions pas? mais Dieu nous prévient toujours de ses bienfaits. Et non-seulement notre création est une grâce, mais c'en est encore une que Dieu ait donné aux hommes qu'il a créés la connaissance de ce qu'ils doivent faire et ne point faire; et que cette loi, nous la trouvions dans la nature: que dans nous il ait placé l'incorruptible tribunal de la conscience; c'est une très-grande grâce et un effet de son ineffable bonté. C'est encore une grâce d'avoir rétabli par la loi écrite la loi naturelle que nous avions violée; car la conséquence naturelle eût été le supplice et la vengeance de ceux qui avaient défiguré la loi une fois donnée. Cependant Dieu ne l'a point fait; mais il leur a fourni les moyens de se corriger, il leur a accordé le pardon, qu'il ne leur devait point, par un pur effet de sa grâce et de sa miséricorde [166]. Que ce fut là un pur don de sa miséricorde et de sa grâce, David nous l'apprend; écoutez ce qu'il dit: «Le Seigneur fait ressentir les effets de sa miséricorde, et il fait justice à tous ceux qui souffrent l'injustice et la violence; il a fait connaître ses voies à Moïse et «ses volontés aux enfants d'Israël». (Ps 103,6-7) Et derechef: «Le Seigneur est plein de douceur et de droiture, c'est pour cela qu'il donnera à ceux qui pèchent la loi qu'ils doivent suivre dans leur conduite». (Ps 24,9)

3. La loi que le Seigneur nous a donnée est donc l'ouvrage de sa miséricorde, de sa compassion, de sa grâce. C'est pourquoi saint Jean ayant dit: «Grâce pour grâce», insiste avec plus de force sur la grandeur de ses dons, et il ajoute: «La loi a été donnée par Moïse; mais la grâce et la vérité a été apportée par Jésus-Christ». Considérez avec quelle douceur et quel ménagement Jean-Baptiste et le disciple élèvent peu à peu, et par une seule parole, leurs auditeurs à la plus haute connaissance; après les y avoir préparés par ce qu'il y a de plus simple et de plus bas. Jean-Baptiste commence par comparer avec lui-même celui qui, sans comparaison, surpasse tous les autres; mais ensuite il fait connaître son excellence, en disant: «Celui-ci est avant moi», et ajoutant après: «Il est plus ancien que moi». Le disciple a fait quelque chose de plus; mais il est pourtant demeuré au-dessous de ce que demandait la dignité de Fils unique. Car il ne le compare pas à Jean-Baptiste, mais à celui que les Juifs admiraient plus Jean-Baptiste, c'est-à-dire à Moïse. «La loi», dit-il, «a été donnée par Moïse: mais la grâce et la vérité a été apportée par Jésus-Christ». Voyez, mes frères, voyez sa prudence, il ne fait ni comparaison, ni examen des personnes, mais des choses. Comme les choses que Jésus-Christ avait opérées se montraient visiblement beaucoup plus grandes, nécessairement aussi les plus aveugles devaient-ils consentir au témoignage qui lui était rendu: alors, en effet, que les oeuvres mêmes, qu'on ne peut soupçonner ni de flatterie, ni d'envie, ou de haine, parlent et rendent témoignage; quelque prévenus que soient ceux qui les voient, ils ne peuvent les nier, tant ce témoignage est sûr et certain: car elles demeurent à tous les yeux telles qu'elles ont été faites: c'est pourquoi elles sont au-dessus de tout soupçon et de toute réplique.

Mais observez, mes frères, combien l'évangéliste a soin de ménager les esprits de ses auditeurs, de manière à ne pas choquer même les plus faibles. Il n'entasse point les paroles pour faire ressortir la supériorité que l'un a sur l'autre; mais en opposant la grâce et la vérité à la loi, et ce mot: «A été apportée», à celui-ci: «A été donnée», il montre la différence des choses par leur simple dénomination. Cette différence est grande, car ces mots: «A été donnée», marquent un ministre qui donne ce qu'il a reçu à ceux à qui il lui a été ordonné de le transmettre: mais ceux-ci: «La grâce et la vérité a été apportée», désignent un roi qui remet les péchés par sa puissance et par son autorité, et qui dispose lui-même de ses dons. Voilà pourquoi il disait «Vos péchés vous seront remis». Et encore: «Or, afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés, il dit au paralytique: Levez-vous, je vous le commande, emportez votre lit, et allez-vous-en en votre maison». (Mc 2,9-11)

Ne voyez-vous pas de quelle manière la grâce est apportée par Jésus-Christ? voyez aussi comment il a apporté la vérité. Ses paroles, ce qu'il a fait à l'égard du larron, le don du- baptême, la grâce du Saint-Esprit qui nous est donnée par lui, et plusieurs autres choses, montrent visiblement la grâce.

Maintenant, si nous étudions le sens des figures, nous découvrirons plus manifestement la vérité que Jésus-Christ a apportée. Car ce qui devait avoir son accomplissement dans le Nouveau Testament, des figures l'avaient marqué à l'avance autant qu'il appartient à des figures, et Jésus-Christ venant au monde les a accomplies. Examinons donc ces figures dans un petit nombre d'exemples: car le temps ne nous permet pas d'épuiser ce sujet. Le petit nombre de celles que je vais expliquer vous donnera l'intelligence des autres. Voulez-vous que nous commencions par celles qui regardent la Passion de Notre-Seigneur? Que dit la figure? «Prenez un agneau pour chaque maison, immolez-le et faites comme le Seigneur vous l'a prescrit, et vous le commande». (Ex 12,3) Jésus-Christ ne parle pas de même, il ne commande pas de faire cela, mais il s'offre et s'immole lui-même à son Père comme une hostie. - 167 -


4. Voyez, mes frères, comment la figure a été donnée par Moïse, et la vérité a été apportée par Jésus-Christ. Et encore: sur le mont Sina, lorsque les Amalécites vinrent attaquer les Hébreux, les bras de Moïse étaient soutenus des deux côtés par Hor et Aaron (Ex 17), mais Jésus-Christ a tenu lui-même ses mains étendues sur la croix. En quoi vous voyez comment la figure a été donnée et la vérité a été apportée. La loi disait: «Maudit quiconque ne demeure pas ferme dans ce qui «est écrit dans ce livre (1)». (Dt 27,26) Mais que dit la grâce? «Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et qui êtes chargés, et je vous soulagerai». (Mt 11,23) Et saint Paul: «Jésus-Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, s'étant rendu lui-même malédiction pour nous». (Ga 3,13) Puisque nous jouissons donc d'une si grande grâce, et de la vérité, je vous en conjure, mes chers frères, prenons garde que la grandeur de ce don ne nous rende plus lâches et plus paresseux. Plus est grand l'honneur que nous avons reçu, plus aussi doit être grande notre vertu. Celui qui, ayant peu reçu, rapporte peu, n'est pas beaucoup à blâmer mais on jugera digne du plus grand supplice celui qui, élevé au plus haut degré d'honneur, ne fait ensuite rien que de bas et de méprisable.

1. Autrement: Maudit celui quine demeure pas ferme dans les ordonnances de cette Loi. Vulg.

Mais, à Dieu ne plaise que nous ayons jamais à craindre pour vous rien de semblable: au contraire, nous avons dans le Seigneur cette ferme confiance que vos âmes, comme portées par des ailes, se sont absolument détachées de la terre et élevées jusque dans le ciel, et que, quoique vous demeuriez encore dans ce monde, vous ne vous occupez nullement de ce qui s'y passe. Toutefois, avec cette bonne confiance, nous ne cessons pas de vous réitérer souvent les mêmes avis. Ainsi, dans les combats publics, les spectateurs ne s'attachent qu'à encourager ces braves athlètes qui luttent et courent. vaillamment, et ils ne disent mot à ceux qui se sont laissé renverser et jeter par terre; ils savent que leurs exhortations n'auraient pas le pouvoir de relever ceux qui se sont une fois exclus de la victoire, et ne perdent point leur peine à les réprimander: ici, dans ces combats spirituels, il y a toujours à espérer, non-seulement de vous qui veillez et vous tenez sur vos gardes, mais encore de ceux qui sont tombés, s'ils veulent se relever et changer de vie. Voilà donc pourquoi nous mettons tout en oeuvre: nous usons de prières, d'exhortations, de reproches, de réprimandes, de louanges, pour opérer votre salut.

Ne trouvez donc pas mauvais qu'on vous exhorte souvent à mener une vie simple et honnête. Nos exhortations ne sont point des imputations de négligence; elles attestent seulement les bonnes espérances que nous avons pour vous. Au reste, ce que nous disons et ce que nous avons encore à dire ne vous regarde pas seuls, mais nous aussi. Nous aussi, nous avons besoin des mêmes leçons: quoiqu'elles soient dans notre bouche, ce n'est pas à dire qu'elles ne nous regardent point. La prédication corrige le pécheur, et elle éloigne de plus en plus du péché l'homme de bien qui en est exempt. Et certes, nous-mêmes, nous ne sommes pas sans péché. La médecine nous est commune, les remèdes nous sont également offerts à tous, mais la guérison dépend de notre volonté. Celui qui use du remède comme il faut, recouvre la santé; celui qui n'applique point de remède à sa plaie, augmente le mal et marche à sa ruine. Gardons-nous donc de murmurer du traitement: au contraire, il faut nous en réjouir, quand la prédication nous causerait d'amères douleurs. le fruit n'en sera que plus délicieux. N'oublions, n'omettons rien, pour arriver à la vie éternelle, exempts des plaies et des blessures que les dents du péché font à l'âme; afin que nous étant rendus dignes de paraître devant Jésus-Christ, nous ne soyons pas en ce terrible jour livrés aux puissances cruelles et vengeresses, mais à celles qui nous introduiront dans l'héritage des cieux, qui est préparé pour ceux qui aiment Dieu. Je le prie de nous en faire part à nous tous, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ; à qui soit, la gloire et l'empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




Chrysostome sur Jean 13