Chrysostome sur Jean 17

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HOMÉLIE XVII. CECI SE PASSA A BÉTHANIE, AU DELA DU JOURDAIN, OU JEAN BAPTISAIT.

- LE LENDEMAIN JEAN VIT JÉSUS QUI VENAIT A LUI, ET IL DIT: VOICI L'AGNEAU DE DIEU, VOICI CELUI QUI ÔTE LE PÉCHÉ DU MONDE. VERS. 28, JUSQU'AU VERS. 35

Jn 1,28-34

ANALYSE.

1. Je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers; voici l'agneau de Dieu, voici celui qui ôte le péché da monde; ces paroles de Jean-Baptiste sont d'admirables témoignages rendus à la grandeur de Jésus-Christ.
2. Jésus-Christ n'avait besoin d'aucun baptême.
3 et 4. On a faussement avancé que Jésus-Christ avait fait des miracles dans son enfance.- Pourquoi les Juifs n'ont point cru en Jésus-Christ, ayant ouï la prédication de saint Jean-Baptiste, et vu tant de prodiges et de miracles. - Quoiqu'il y ait eu des visions sous des figures sensibles, tous cependant ne les ont pas vues. - Si l'on ne voit pas que saint Jean-Baptiste ait rendu en témoignage à Jésus-Christ, qu'il était le Fils de Dieu, c'est que tout n'est pas écrit. - Fidélité des évangélistes. - Contre les Gentils du temps de saint Chrysostome. - On trouve des défenseurs du théâtre, on n'en trouve point de la vérité et de la religion. - Ecrits des philosophes contre les chrétiens du temps du saint Docteur.


1. C'est un grand bien de parler hardiment et avec une entière liberté; de mépriser tout, quand il s'agit de confesser Jésus-Christ: ce bien est si grand et si admirable, que le Fils unique de Dieu fera lui-même l'éloge de celui qui l'aura ainsi confessé devant les hommes. Et certes, il n'y a point de proportion dans la récompense. Vous le confessez et le reconnaissez sur la terre, et lui vous reconnaîtra dans le ciel (Mt 10,32): vous le reconnaissez devant les hommes, et lui vous reconnaîtra devant son Père et devant tous les anges. Tel était Jean-Baptiste: il ne regardait ni à la multitude, ni à la gloire, ni à quoi que ce soit; mais toutes ces choses, il les foulait aux pieds, et, avec cette liberté qui convenait à son ministère, il prêchait Jésus-Christ devant tout le mondé. Car, si l'évangéliste marque le lieu où Jean prêchait, c'est pour montrer la liberté avec laquelle ce héraut faisait tonner et retentir sa voix. Ce n'est point dans sa maison, ni dans lin coin reculé, ni dans le fond d'un désert, mais c'est sur les bords du Jourdain, au milieu d'une multitude d'hommes, et en présence de tous ceux qu'il baptisait; car les Juifs y étaient: c'est là, dis-je, qu'il fit cette admirable confession, pleine d'une très-grande, très-profonde et très-sublime doctrine, par où il déclara qu'il n'était Pas digne lui-même de dénouer les cordons des souliers de Jésus-Christ!

Mais comment l'évangéliste marque-t-il le lieu? par ces paroles: «Ceci se passa à Béthanie». Sur quoi il est à observer que les meilleurs textes portent à Béthabara. Car Béthanie n'est pas au delà du Jourdain, ni dans le désert, mais proche de Jérusalem.

Saint Jean marque aussi le lieu pour d'autres raisons. Comme il avait à raconter des choses qui n'étaient point anciennes, mais qui s'étaient tout récemment passées, il en prend à témoin ceux qui s'y étaient trouvés présents et qui les avaient vues. Etant bien sûr qu'il n'ajoutait rien à la vérité, et qu'il rapportait véritablement et simplement les choses comme elles s'étaient passées, il tire sa preuve du lieu qui ne pouvait point être, comme j'ai dit, une faible démonstration de la vérité.

«Le lendemain Jean vit Jésus qui venait à lui, et il dit: Voici l'agneau de Dieu qui ôte le péché du monde». Les évangélistes se sont partagés les temps. Saint Matthieu passant légèrement sur le temps qui a précédé l'emprisonnement de Jean-Baptiste, se hâte de venir à ce qui s'est fait après: Saint Jean l'évangéliste, non-seulement ne passe pas en peu de mots sur ces faits, mais il y insiste [179] particulièrement. Saint Matthieu, après. que Jésus est sorti du désert, laissant ce qui s'est passé dans l'intervalle, par exemple: les interrogations des envoyés des Juifs, les réponses de Jean-Baptiste, et toutes les autres choses, vient tout à coup à sa prison: «Jésus», dit-il, «ayant ouï dire que Jean avait été mis en prison, se retira de là!»: Mais saint Jean ne fait pas de même, il ne parle point du départ de Jésus pour le désert, comme ayant été rapporté par saint Matthieu; mais il raconte ce qui s'est passé après que Jésus fut descendu de la montagne, et, omettant bien des circonstances, il ajoute: «Car alors Jean- n'avait pas encore été mis en prison». (Jn 3,24)

Et pourquoi, direz-vous, Jésus vint-il alors auprès de Jean, non une fois, mais deux? Saint Matthieu le fait venir, parce qu'il le fallait, pour recevoir le baptême, et Jésus le déclare, en disant: «C'est ainsi que nous devons accomplir toute justice». (Mt 3,15) Mais Jean dit qu'il vint une seconde fois, après qu'il eut reçu le baptême; ce qu'il fait visiblement connaître par ces paroles: «J'ai vu le Saint-Esprit descendre du ciel comme une colombe, et demeurer sur lui». (Jn 1,32) Pourquoi vient-il donc à Jean? non-seulement il vint à lui, mais il fit une marché pour venir le trouver: «Jean vit Jésus», dit-il, «qui venait à lui». Pourquoi donc est-il venu? C'est parce que Jean l'ayant baptisé avec plusieurs autres, on aurait pu croire qu'il était venu à lui pour le même sujet qu'eux, c'est-à-dire pour confesser ses péchés, et en faire pénitence en les lavant dans le fleuve: il fut le voir une seconde fois, pour lui donner lieu par là d'effacer un pareil soupçon. Car lorsque Jean dit: et Voici l'agneau de Dieu qui ôte le «péché du monde», il éloigne et dissipe entièrement cette fausse opinion. Il est évident, en effet, que celui qui est si pur, qu'il peut laver les péchés des autres, ne, vient point pour confesser ses péchés; mais pour donner occasion à cet admirable prédicateur d'imprimer plus profondément dans l'esprit de ses auditeurs ce qu'il avait dit auparavant, en le leur répétant une seconde fois, et d'y ajouter encore quelqu'autre chose.

1. «De là» i. e. dans la Galilée. (Mt 4,12)

2. Jean dit: «le voici», parce que plusieurs le cherchaient depuis longtemps à cause de ce qu'ils avaient entendu dire. Il le montre présent, et il dit: «le voici», pour leur faire connaître que c'était là celui même qu'on cherchait depuis si longtemps. «Celui-ci est l'agneau», il l'appelle agneau, rappelant ainsi à l'esprit des Juifs la prophétie d'Isaïe (Is 16,1 Is 53,7), et encore l'agneau figuratif qu'on immolait du temps de Moïse, pour les mieux conduire à là vérité par la figure. Et certes, cet agneau n'a pris, ni effacé le péché de personne, mais celui-ci a pris et effacé les péchés de tout le monde: ce monde qui était prêt à périr, il l'a tout à coup délivré de la colère de Dieu. (1Th 1,10) «C'est celui-là même de qui j'ai dit: Il vient après moi un homme, qui est avant moi (1) (30)». Ne voyez-vous pas ici, mes frères, l'explication que donne saint Jean à ce qu'il a dit ci-dessus? Après avoir appelé Jésus agneau, et dit de lui qu'il ôte le péché du monde, il dit maintenant: «Il est avant moi», par où il fait entendre que le mot: «avant», doit s'expliquer par là: que c'est lui qui ôte le péché du monde, que c'est lui qui baptise dans le Saint-Esprit. Mon avènement n'a rien opéré de plus, que de vous annoncer le commun bienfaiteur de tout l'univers, et de vous administrer le baptême de l'eau; mais l'avènement de celui-ci purifie tous les hommes, et donne l'efficace vertu du Saint-Esprit. Celui-ci est avant moi, c'est-à-dire il est plus grand, plus illustré que moi, «parce qu'il est plus ancien que moi». Que ceux qui ont adopté les folles erreurs de Paul de Samosate (2) rougissent de combattre une vérité si claire et si évidente!

1. «Avant». i. e. Plus grand, plus considérable, comme le saint Docteur l'explique quelques lignes après.
2. Paul de Samosate enseignait que le Fils n'avait point d'hypostase, ou qu'il n'était point une personne, avant qu'il naquit de Marie.

«Pour moi je ne le connaissais pas (31)». Voyez comment il ôte tout soupçon par ce témoignage, montrant qu'il ne parlé point ainsi de lui par faveur et par amitié; mais que c'est par la révélation que Dieu lui en a faite. «Je ne le connaissais pas», dit-il, comment êtes-vous donc un témoin digne de foi? Comment le ferez-vous connaître aux autres, si vous-même, vous ne le connaissez pas? Jean-Baptiste n'a point dit: je ne le connais pas; mais: «Je ne le connaissais pas», en sorte que par cela même il se montre très-digne de foi. Comment, en effet, aurait-il eu de la complaisance pour celui qu'il ne connaissait pas? «Mais je suis venu baptiser dans l'eau, afin qu'il soit connu dans Israël». Jésus-Christ 180 n'avait donc pas besoin du baptême de Jean Et ce bain n'a été institué que pour acheminer tous les autres hommes à la foi en Jésus-Christ. Car Jean-Baptiste n'a point dit: je suis venu baptiser pour rendre purs ceux que j'aurai baptisés, ni pour les délivrer de leurs péchés; mais, «afin qu'il soit connu dans Israël».

Mais quoi! est-ce que sans le baptême de Jean, on ne pouvait ni prêcher, ni attirer le peuple? Je réponds que cela n'eût pas été si facile. Si le baptême n'eût pas accompagné la prédication, tous n'auraient pas accouru de même, et ils n'auraient point connu la prééminence d'un baptême sur l'autre, sans en faire la comparaison. Si le peuple sortait des villes, ce n'était point pour aller entendre la prédication de Jean-Baptiste. Pourquoi donc? Afin que, confessant leurs péchés, ils fassent baptises. Mais, une fois arrivés, ils apprenaient à connaître Jésus-Christ, et aussi la différence des baptêmes: le baptême de Jean était plus excellent que celui des Juifs, et voilà pourquoi tous y accouraient, mais cependant ce baptême était lui-même imparfait.

Comment donc l'avez-vous connu? c'est, dit-il, par la descente du Saint-Esprit. Mais de peur que quelqu'un ne fût par là induit à croire qu'il avait eu besoin du Saint-Esprit, comme nous-mêmes nous en avons besoin, écoutez comment il ôte encore ce soupçon, faisant voir que le Saint-Esprit était seulement descendu pour lui révéler qu'il devait prêcher Jésus-Christ. Car ayant dit: «Pour moi, je ne le connaissais pas», il a ajouté: «mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau, m'a dit: Celui sur qui vous verrez descendre et demeurer le Saint-Esprit, est celui qui baptise dans le Saint-Esprit (33)». Ces paroles ne vous font-elles pas voir, mes frères, que le Saint-Esprit est uniquement descendu pour faire connaître Jésus-Christ? Le témoignage de Jean-Baptiste était sans doute par lui-même exempt de tout soupçon; mais le saint précurseur, pour donner encore plus de poids et de créance à son témoignage, le rapporte à Dieu et au Saint-Esprit. Comme la vérité qu'il avait annoncée, que Jésus-Christ seul ôtait tous les péchés du monde, et qu'il était si grand et si puissant qu'il suffisait seul pour opérer une si grande rédemption, était si excellente et si admirable, qu'elle pouvait jeter tous les auditeurs dans l'étonnement, il la fortifie et la confirme; il la confirme en faisant voir que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, qu'il n'avait nullement besoin du baptême, et que le Saint-Esprit n'est descendu que pour le faire connaître. Car il n'était pas au pouvoir de Jean de donner le Saint-Esprit, ce que déclarent ceux qui avaient reçu de lui le baptême; puisqu'ils disent: «Nous n'avons pas seulement ouï dire qu'il y ait un Saint-Esprit». (Ac 19,2) Jésus-Christ n'avait donc besoin, ni du baptême de Jean, ni d'aucun autre; mais plutôt le baptême avait besoin de la puissance de Jésus-Christ car ce qui lui manquait encore était le bien suprême, je veux parler du don de l'Esprit fait au baptisé. C'est Jésus-Christ qui, par son avènement, a apporté au monde le don du Saint-Esprit.

«Et Jean rendit alors ce témoignage, en disant: J'ai vu le Saint-Esprit descendre du ciel comme une colombe, et demeurer sur lui. Pour moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau m'a dit: Celui sur qui vous verrez descendre et demeurer le Saint-Esprit, est celui qui baptise dans le Saint-Esprit; je l'ai vu, et j'ai rendu témoignage qu'il est le Fils de Dieu n (32, 33, 34)». Jean répète souvent: «Je ne le connaissais pas», et ce n'est pas sans raison; c'est parce qu'il lui était parent selon la chair. «Sachez», dit l'Ecriture, «qu'Elisabeth, votre cousine, a conçu aussi elle même un fils». (Lc 1,36) De peur donc qu'il ne parût rendre ainsi de lui des témoignages si avantageux à cause de sa parenté, il dit souvent: «Je na le connaissais pas». Et véritablement il ne le connaissait pas, puisqu'éloigné de la maison de son père, il passait sa vie dans le désert.

Mais pourquoi, s'il ne le connaissait pas avant la descente du Saint-Esprit, et si ce n'est qu'alors qu'il l'a connu pour la première fois, «se défendait-il» avant le baptême, en disant: «C'est moi qui dois être baptisé par vous?» (Mt 3,14) C'était là effectivement un signe qu'il lui était parfaitement connu. Mais ce n'était que depuis peu, et même il n'en aurait pu être autrement car ces miracles qui s'étaient faits dans l'enfance de Jésus, comme à l'égard des Mages, et d'autres semblables, étaient arrivés longtemps auparavant. Jean lui-même étant encore enfant: et pendant tout le temps qui avait suivi, Jésus était demeuré inconnu à tout le monde. En effet, s'il eût été connu, Jean n'aurait pas dit: [181] «Je suis venu baptiser, afin qu'il soit connu dans Israël».

3. Il est donc évident que les miracles qu'on attribue à Jésus-Christ dans son enfance sont faux, et qu'ils ont été inventés et imaginés. Si Jésus avait fait des miracles dès son enfance, Jean l'aurait connu, et tout le reste du peuple n'aurait pas eu besoin d'un docteur pour le lui faire connaître. Or, voici que Jean dit lui-même que s'il est venu, c'était afin que Jésus fût connu dans Israël, et c'est pour cela aussi qu'il disait: «C'est moi qui dois être baptisé par vous». Ensuite, comme le connaissant mieux, il l'annonce au peuple, en disant: «C'est celui-là même de qui j'ai dit: Il vient a après moi un homme qui est avant moi, et qui m'a envoyé baptiser dans l'eau». Il a envoyé Jean pour se faire connaître dans Israël, et lui-même s'est révélé à Jean avant la descente du Saint-Esprit. Voilà pourquoi celui-ci disait avant que Jésus fût venu à lui: «Celui qui est avant moi vient après moi». Jean ne le connaissait donc pas avant qu'il vînt auprès du Jourdain, et qu'il baptisât tout le peuple mais il le connaissait quand il vint pour se faire baptiser. Le Père lui-même le révéla au prophète, et le Saint-Esprit le fit connaître aux Juifs pendant qu'on le baptisait. Car c'est pour eux que le Saint-Esprit descendit. En effet, de peur qu'on ne méprisât le témoignage de Jean, qui disait: «Il est avant moi», et: «Il baptise dans le Saint-Esprit», et: «Il jugera le monde»; le Père annonçant son Fils fit entendre sa voix; le Saint-Esprit vint, qui fit tomber cette voix sur la tête de Jésus-Christ. Comme Jean baptisait, comme Jésus était baptisé, quelqu'un de ceux qui étaient présents aurait pu croire que c'était à Jean que s'appliquaient ces paroles; le Saint-Esprit vint ôter ce soupçon. Lors donc que Jean dit: «Je ne le connaissais pas», il faut entendre cela du temps passé, et non de celui qui avait précédé immédiatement le baptême; autrement, comment se serait-il défendu en disant: «C'est moi qui dois être baptisé par vous?» Comment aurait-il dit de lui de si grandes choses?

Pourquoi donc, direz-vous, les Juifs n'ont-ils point cru en Jésus-Christ? Jean n'était pas le seul qui eût vu le Saint-Esprit sous la figure d'une colombe. Qu'ils l'aient vu, je veux bien l'admettre. Toutefois ces prodiges, pour être bien vus, n'ont pas tant besoin des yeux du corps que des yeux de l'âme: autrement on les regarde comme de vaines illusions et de pures imaginations. Si les Juifs, quand ils ont vu Jésus-Christ faire des miracles, quand ils l'ont vu toucher de ses mains les corps des malades et des morts, et les rappeler à la vie, à la santé, par le seul attouchement, ont été tellement possédés de l'ivresse de l'envie, qu'ils n'ont pas craint de publier le contraire de ce qu'ils venaient de voir, comment se seraient-ils guéris de leur incrédulité pour une simple apparition du Saint-Esprit? Mais quelques-uns répondent que tous n'ont pas vu ces choses, mais seulement Jean et ceux qui étaient dans de bonnes dispositions. Quoiqu'en effet tous ceux qui avaient des yeux pussent voir le Saint-Esprit descendre en forme de colombe, il ne s'ensuit pas pourtant de là que tous l'aient manifestement vu. Zacharie, Daniel et Ezéchiel, ont vu bien des choses sous des figures sensibles, et toutefois ils n'ont point eu de compagnons ni de témoins de leurs visions. Moïse aussi a vu bien des choses, et de telles choses que nul autre que lui ne les a vues. Tous les disciples n'ont pas été jugés dignes de voir la transfiguration de Notre-Seigneur sur la montagne: bien plus, tous n'ont pas vu sa résurrection. Saint Luc le déclare en disant: «Il s'est montré aux témoins que Dieu avait choisis avant tous les temps». (Lc 10,41)

«Je l'ai vu», dit saint Jean, «et j'ai rendu témoignage qu'il est le Fils de Dieu (34)». Mais où l'a-t-il rendu ce témoignage qu'il est le Fils de Dieu? Il l'a appelé Agneau et il a dit qu'il devait baptiser dans le Saint-Esprit, mais jamais il n'a dit qu'il était le Fils de Dieu. D'ailleurs les autres évangélistes écrivent qu'il a cessé de prêcher après le baptême, et passant sur ce qui s'est fait dans cet intervalle de temps, ils rapportent les miracles que Jésus a opérés après que Jean-Baptiste fut pris et mis en prison. D'où nous pouvons conjecturer qu'ils ont passé sous silence ces choses et bien d'autres encore. (Jn 21,25) Saint Jean lui-même nous en avertit à la fin de son Evangile; les évangélistes ont été si éloignés de rien inventer à la gloire de Jésus-Christ, qu'au contraire, ce qui paraissait le rabaisser, ils l'ont tous rapporté comme de concert, et l'on ne trouvera pas qu'aucun d'eux en ait rien omis; mais, à l'égard des miracles, quelques-uns n'ont point parlé de ceux dont les [182] autres avaient déjà fait mention, et il y en a aussi qu'ils ont omis tous ensemble.

Je ne dis pas ceci sans sujet, je le dis pour réprimer l'impudence des gentils. Car ce que je viens d'exposer sur le caractère des évangélistes suffit pour montrer leur zèle et leur amour pour la vérité, et pour prouver qu'ils n'ont rien écrit par faveur ou par complaisance. Vous pourrez vous servir de cette raison, entre autres, pour les réfuter. Mais donnez-y tous vos soins et toute votre attention. il serait absurde et honteux, quand on voit les médecins, les corroyeurs, les tisserands, en un mot les hommes de toute profession apporter tous leurs soins à plaider la cause de leur industrie, que celui qui se vante d'être chrétien ne pût pas même dire un seul mot pour la défense de sa foi. Cependant, si un artisan néglige de faire valoir son talent, il ne risque que de perdre de l'argent; mais, en négligeant de défendre sa foi, c'est son âme que l'on tue. Et cependant nous sommes dans de si misérables dispositions, que nous donnons à la première de ces choses toute notre application; et qu'à l'égard de ces soins nécessaires, qui sont le fondement de notre salut, nous les négligeons, nous les méprisons comme s'ils n'avaient aucune importance.

4. Voilà, mes frères, voilà ce qui fait que les gentils persistent à prendre au sérieux leurs erreurs; car eux, qui ne se fondent et ne s'appuient que sur le mensonge, n'omettent rien pour colorer et couvrir la turpitude de leurs dogmes; et nous, au contraire, qui faisons profession d'aimer et de suivre la vérité, nous ne savons même pas ouvrir la bouche pour la défendre; comment de là ne prendraient-ils pas occasion d'accuser notre doctrine de faiblesse? Comment ne regarderaient-ils pas notre religion comme fausse et insensée? Comment ne blasphémeraient-ils pas Jésus-Christ comme un fourbe et un séducteur, qui a su profiter de la folie de plusieurs pour nous tromper tous? Oui, mes chers frères, oui, c'est nous qui sommes la cause de ces blasphèmes, pour n'avoir pas voulu consacrer nos veilles à étudier les preuves qui servent à défendre notre religion, pour avoir négligé cette occupation comme une chose superflue et inutile, et ne nous être attachés qu'aux biens de la terre. Et certes, celui qui aime un danseur, ou un cocher (1), ou un athlète qui se prépare à combattre contre les bêtes, met tout en ceuvre et n'oublie rien pour qu'ils soient victorieux dans leurs combats; il les loue extrêmement, il est tout prêt à les défendre contre ceux qui osent les blâmer, et charge de mille injures leurs ennemis. Mais quand il s'agit de la défense du christianisme, tous baissent la tête, se grattent, bâillent et s'en vont bafoués.

1. Ces cochers, dont parle ici saint Chrysostome, étaient ceux qui dans les jeux publics du cirque disputaient avec leurs concurrents, à qui remporterait le prix de la course des chariots.

De quelle indignation, de quelle horreur n'êtes-vous pas dignes, vous qui faites état d'un danseur plus que de Jésus-Christ? Quoi 1 vous êtes tout prêt à défendre par mille raisons ces sortes de gens, encore qu'ils soient les plus infâmes de tous les hommes,: et quand il s'agit de prendre la défense des miracles de Jésus-Christ qui ont converti l'univers, on ne voit même pas que vous y pensiez un instant, ni que vous vous en mettiez en peine. Nous croyons en Dieu le Père, en Dieu le Fils, en Dieu le Saint-Esprit, en la résurrection de la chair, en la vie éternelle. Si donc quelque gentil vous interroge et dit: Qui est ce Père? Qui est ce Fils? Qui est ce Saint-Esprit? Et comment, vous qui dites qu'il y a trois Dieux, nous reprochez-vous d'admettre la pluralité des dieux? Que direz-vous? que répondrez-vous? Comment repousserez-vous cette objection? Et encore: Que répondrez-vous, si votre silence leur donne lieu de vous faire cette autre question: Quelle est cette résurrection? Est-ce dans ce corps que nous ressusciterons? Est-ce dans un autre? Si c'est dans celui-ci, quel besoin a-t-il de se dissoudre? A ces questions, que répondrez-vous? Mais que répliquerez-vous s'il vous objecte ceci: Pourquoi Jésus-Christ n'est-il pas venu plus tôt? N'est-ce qu'à présent qu'il s'avise de prendre soin du genre humain, et l'a-t-il négligé dans tout le temps passé? Et s'il vient à examiner plusieurs autres articles de notre foi, que lui repartirez-vous? Je n'en dis pas davantage: il ne convient pas de multiplier les questions sans en donner la solution, de peur qu'elles ne soient un sujet de scandale et de chute pour les simples. En effet, en voilà assez pour vous tirer de votre profond assoupissement.

Eh bien! si l'on vous fait donc ces questions et que vous ne soyez pas même en état d'en comprendre les termes, pensez-vous, je vous prie, que vous serez légèrement punis, vous [183] qui aurez tant contribué à égarer ceux qui sont dans les ténèbres? Je voudrais, si vous en aviez le loisir, vous apporter et vous lire ici un écrit qu'a composé contre nous un exécrable philosophe païen, et aussi celui d'un autre beaucoup plus ancien, afin de vous réveiller par cette lecture, et de chasser votre extrême paresse. Quand ces philosophes ont passé tant de nuits sans dormir pour nous attaquer, quel pardon pouvons-nous espérer si nous ne savons pas même repousser les traits qu'ils ont lancés contre nous? Pourquoi Dieu nous a-t-il créés et mis au monde? N'entendez-vous pas l'apôtre qui vous dit: «Soyez toujours prêts à répondre pour votre défense à tous ceux qui vous demanderont raison de l'espérance que vous avez». (1P 3,15) Saint Paul aussi vous donne le même avertissement: «Que la parole de Jésus-Christ», dit-il, «demeure en vous avec plénitude». (Col 3,16) A cela que répondent ces étourdis, ces insensés? Soit bénie toute âme simple, et «celui qui marche simplement marche en assurance». (Pr 10,9) Ils appliquent mal les passages de l'Ecriture: et voilà la cause de tous les maux, que bien des gens ne sachent point les employer à propos. Par exemple, à l'endroit cité, l'Ecriture ne parle point d'un homme insensé, ni de l'ignorant, mais de celui qui n'est ni méchant ni artificieux: du sage. S'il fallait entendre ce passage selon l'application qu'ils en font, ce serait en vain qu'il est dit: «Soyez prudents comme des serpents et simples comme des colombes». (Mt 10,16) Mais pourquoi nous arrêter davantage à des choses dont vous ne ferez aucun profit? Aux reproches que nous vous avons déjà faits, nous en pourrions ajouter bien d'autres encore sur vos moeurs et sur la conduite de votre vie. Car de quelque côté qu'on nous envisage, on ne voit en nous que misères et sujets de risée; toujours prêts à reprendre les autres, nous sommes des lâches et des paresseux quand il s'agit de nous corriger des imperfections qu'on relève en nous. C'est pourquoi, je vous en conjure, rentrons en nous-mêmes et ne nous bornons pas à censurer; cela ne nous suffirait pas pour apaiser la colère de Dieu et nous le rendre propice; mais attachons-nous à nous perfectionner en toutes choses, afin qu'après avoir vécu en vue de la gloire de Dieu, nous jouissions de la gloire future; puissions-nous tous l'obtenir, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit la gloire et l'empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. - 184 -



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HOMÉLIE XVIII. LE LENDEMAIN JEAN ÉTAIT ENCORE LA AVEC DEUX DE SES DISCIPLES. (VERS. 35, 36, 37)

- ET JETANT LA VUE SUR JÉSUS QUI MARCHAIT, IL DIT: VOILA L'AGNEAU DE DIEU. - CES DEUX DISCIPLES L'AYANT ENTENDU PARLER AINSI, SUIVIRENT JÉSUS.
Jn 1,35-37


ANALYSE.

1. Pourquoi saint Jean-Baptiste répétait souvent les mêmes choses? - Quelques catéchumènes différaient de recevoir le baptême jusqu'à l'extrémité.
2. Les prophètes et les apôtres ont prêché Jésus-Christ absent, saint Jean-Baptiste l'a annoncé présent.
3. et 4. Un passage de saint Chrysostome qui demande à être interprété avec précaution. - Préférer la doctrine de Jésus-Christ à toute autre chose. - Regarder toute sorte de temps comme propre et convenable. - Plus on donne de nourriture au corps, plus on l'affaiblit: plus on en donne à l'âme, plus on la fortifie. - Le dégoût des viandés est un signe de la maladie du corps le dégoût de la parole de Dieu, l'est de même de celle de l'âme. - Quelle est sa nourriture? - Contre le théâtre et les spectacles.


1. L'homme est indolent et enclin à se perdre, non par la condition même de la nature, mais par une indolence volontaire. Voilà pourquoi elle a besoin de remontrances multipliées; et c'est pour cela que saint Paul, écrivant aux Philippiens, disait: «Il ne m'est pas pénible, et il vous est avantageux que je vous écrive les mêmes choses». (Ph 3,1) Quand une fois la terre a reçu la semence, elle porte aussitôt du fruit et n'a pas besoin de nouvelles semailles; mais il n'en est pas ainsi de notre âme: après y avoir souvent jeté la semence et l'avoir cultivée avec grand soin, on est trop heureux encore, si elle a reçu une seule fois la graine. En effet, ce qu'on dit ne s'imprime pas tout d'abord dans l'esprit, parce que le sol est très-dur, encombré d'épines, et que l'âme est entourée d'une multitude d'ennemis qui ne cherchent qu'à lui tendre des piéges et à arracher la semence. En second lieu, après que la semence est entrée et a jeté des racines, il faut les mêmes soins pour que la tige se fortifie, qu'elle croisse et porte son fruit et que rien ne l'en empêche. A l'égard des semences, on peut dire que l'épi une fois formé et parvenu à toute sa vigueur, n'a plus de peine à braver la nielle, la sécheresse, ni les autres dangers; mais à l'égard de la doctrine, il n'en est pas de même: même après que l'oeuvre est achevée, un orage qui survient, des difficultés, des troubles qui naissent, les embûches des méchants, une foule de tentations peuvent renverser tout l'édifice.

Ce n'est pas sans raison que nous disons tout ceci; mais, comme Jean-Baptiste répète les mêmes choses, c'est afin que vous ne le preniez pas pour un conteur importun. Il aurait bien voulu qu'il lui eût suffi de parler une fois pour se faire entendre; mais, s'apercevant que l'assoupissement où étaient plongés la plupart de ses auditeurs, les empêchait de comprendre sur-le-champ ce qu'il leur enseignait, il les réveille par ces répétitions; mais vous-mêmes, soyez attentifs, Jean-Baptiste a dit: «Celui qui vient après moi est avant moi». Et: «Je ne suis point digne moi-même de dénouer les cordons de ses souliers», et: «C'est lui qui vous baptisera dans le Saint-Esprit et dans le feu»; et qu'il «a vu le Saint-Esprit descendre comme une colombe et demeurer sur lui, et il a rendu témoignage qu'il est le Fils de Dieu». (Mt 3,11). Et personne n'y a fait attention, nul ne l'a interrogé ou lui a dit: Pourquoi dites-vous ceci, à quel sujet, pour quelle raison?

Il a dit encore: «Voilà l'agneau de Dieu, (183) qui ôte le péché du monde»: et ils n'en sont ni plus touchés, ni moins nonchalants. Voilà pourquoi il est dans l'obligation de répéter les mêmes choses, d'en user comme un laboureur qui voudrait amollir une terre dure et en friche à force de la remuer, de soulever par la parole comme avec la charrue leur esprit lourd et pesant, afin que la semence qu'il y jettera ensuite puisse pénétrer plus avant; voilà pourquoi il ne fait pas de longs discours, n'ayant en vue que de les amener à Jésus-Christ. Il savait bien que s'ils avaient une fois accueilli avec soumission sa parole, ils n'auraient plus besoin, à l'avenir, de son témoignage: comme effectivement il arriva. Car si les samaritains, aussitôt qu'ils l'ont entendu parler, disent à la femme qui le leur avait annoncé: «Ce n'est plus sur ce que vous nous avez dit que nous croyons en lui; car nous l'avons ouï nous-mêmes, et nous savons qu'il est le Christ, le Sauveur du monde» (Jn 4,42); des disciples devaient être encore plus promptement gagnés, comme véritablement ils le furent; puisque l'ayant suivi et entendu seulement un soir, ils ne retournèrent plus à Jean, mais s'attachèrent si fort à Jésus qu'ils en reçurent le ministère de leur premier Maître, et prêchèrent le nouveau. «André trouva», dit l'évangéliste, «son frère Simon et lui dit: Nous avons trouvé le Messie, c'est-à-dire le Christ». (Jn 1,41)

Ici, mes frères, je vous prie de considérer une chose avec moi; c'est que quand Jean-Baptiste disait: «Celui qui vient après moi est avant moi». Et: «Je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers», il n'a gagné personne; mais que, lorsqu'il a parlé de l'incarnation et tenu un langage moins sublime, c'est précisément alors que les disciples l'ont suivi. Et ce n'est point là seulement à quoi vous devez vous arrêter; mais vous avez à observer encore qu'on n'attire point tant de gens lorsqu'on dit de Dieu des choses grandes et relevées, que lorsqu'on parle de sa clémence, de sa miséricorde, et de ce qui regarde le salut des auditeurs. En effet, ils ont ouï que Jésus ôtait le péché, et aussitôt ils sont accourus. S'il est possible de laver nos péchés et nos crimes, disaient-ils, pourquoi temporisons-nous? il y a quelqu'un ici qui sans peine et sans travail nous en délivrera; ne serait-il pas d'une extrême folie de remettre à un autre temps pour recevoir un si grand bienfait? Que les catéchumènes écoutent ceci, eux qui remettent leur salut, qui diffèrent de recevoir le baptême, jusqu'au dernier souffle de vie.

«Jean était encore là» (Jn 1,35), dit l'Ecriture, «et il dit: Voilà l'agneau de Dieu» (Jn 1,36). Jésus-Christ ne parle point, c'est Jean qui dit tout: l'Epoux a coutume de faire de même, il ne dit rien à l'épouse; mais il se présente et se tient dans le silence. D'autres l'annoncent et lui présentent l'épouse. Elle paraît et l'époux ne la prend pas lui-même, mais il la reçoit des mains d'un autre. Après qu'il l'a ainsi reçue d'autrui, il se l'attache si fortement qu'elle ne se souvient plus de ceux qu'elle a quittés pour le suivre. La même chose s'est passée à l'égard de Jésus-Christ. Il est venu pour épouser l'Eglise, il n'a rien dit lui-même, il n'a fait que se présenter. Jean, l'ami de l'époux, a mis dans sa main la main de l'épouse, en d'autres termes, les âmes des hommes persuadés par sa prédication; Jésus-Christ les ayant reçus, les a comblés de tant de biens, qu'ils ne sont plus retournés à celui qui les lui avait amenés.

2. C'est n'est point là seulement, mes frères, sur quoi vous devez porter votre attention: comme dans les noces, ce n'est pas l'épouse qui va trouver l'époux; mais l'époux qui court avec empressement vers l'épouse, fût-il lui-même fils de roi, et l'épouse fût-elle au contraire de basse condition, voire même une servante; ici de même la nature de l'homme n'est point montée au ciel, mais l'époux s'est lui-même abaissé jusqu'à cette vile et méprisable nature. Et après la célébration des noces, l'époux n'a pas permis qu'elle demeurât davantage ici-bas, mais l'ayant prise avec soi, il l'a menée dans la maison paternelle.

Mais pourquoi Jean-Baptiste ne tire-t-il pas ses disciples à l'écart, pour les instruire de ces grandes vérités, et les donner ensuite à Jésus-Christ? Pourquoi leur dit-il en public et en présence de tout le monde: «Voilà l'agneau de Dieu?» (Jn 1,36) C'est de peur que la chose ne parût concertée. Si ses disciples eussent été trouver Jésus-Christ à la suite d'exhortations particulières et comme pour lui faire plaisir, peut-être auraient-ils eu hâte de s'en aller mais s'étant au contraire portés à suivre Jésus-Christ sur ce qu'ils avaient publiquement ouï dire de lui, ils ont persévéré avec fermeté, et sont devenus de fidèles disciples; comme l'ayant suivi, non par complaisance pour leur [185] maître, mais pour leur propre utilité et leur avantage.

Les prophètes et tous les apôtres ont prêché Jésus-Christ absent, ceux-là avant son avènement, ceux-ci après son ascension: mais Jean-Baptiste seul l'a annoncé présent: c'est pourquoi il est appelé l'ami de l'époux, étant le seul qui ait été présent aux noces. En effet, c'est lui qui a tout fait et tout achevé: c'est lui qui a commencé l'ouvrage; c'est lui qui, «jetant la vue sur Jésus qui marchait, dit: «Voilà l'agneau de Dieu» (Jn 1,36), montrant que ce n'était pas seulement par la voix, mais encore des yeux qu'il lui rendait témoignage. Il admirait Jésus-Christ, et en le contemplant son coeur tressaillait de joie. D'abord il ne le prêche pas, mais il se contente de l'admirer présent; il fait connaître le don que Jésus est venu nous apporter, et il enseigne aussi de quelle manière on doit se purifier et se préparer à le recevoir, car le nom d'agneau marque l'une et l'autre chose. Il n'a point dit: c'est lui qui doit ôter, ou qui a ôté; mais c'est lui qui ôte le péché du monde, parce qu'il l'ôte toujours. Il n'a pas ôté les péchés seulement dans sa passion, quand il a souffert la mort pour nous; mais depuis ce temps jusqu'à celui-ci il les ôte, quoiqu'il ne soit pas tous les jours crucifié, toujours attaché à la croix: il n'a offert qu'un seul sacrifice pour les péchés, mais par ce sacrifice seul il purifie toujours.

De même que le nom de Verbe montre son excellence, et celui de Fils sa prééminence et sa supériorité sur les autres, ainsi les noms d'agneau et de Christ et de prophète, de vraie lumière, de bon pasteur, et universellement tout autre nom qu'on lui donne, en y ajoutant l'article, marquent une grande distinction. Car il y a eu plusieurs agneaux, plusieurs prophètes, plusieurs christs, plusieurs fils; mais l'article met celui-ci infiniment au-dessus de tous les autres. L'Ecriture établit et confirme cette vérité, non-seulement par l'article, mais encore par l'addition du mot «unique». Effectivement, ce Fils n'a rien de commun avec la créature.

Que s'il semble à quelqu'un que la dixième heure ne soit pas un temps propre à d'aussi sérieux entretiens; car, dit l'Ecriture: «Il était alors la dixième heure» du jour (Jn 1,39), pour moi, j'en juge autrement, et je dis que penser ainsi c'est se tromper beaucoup. Je conviens qu'à l'égard de plusieurs et de tous ceux qui vivent selon la chair, et lui sont asservis après le dîner, le temps n'est point propre à discourir de choses sérieuses, parce que le poids des viandes appesantit l'esprit: mais songeons que celui qui parlait n'usait même pas des aliments communs, et était aussi léger le soir que nous le sommes le matin, ou plutôt beaucoup plus: il pouvait donc parfaitement, même à une heure avancée du soir, former ces sortes d'entretiens. Pour nous, souvent les restes et les fumées des viandes reviennent à pareille heure troubler notre imagination: mais ce lest n'appesantissait point le corps du saint prédicateur. De plus, il demeurait dans le désert et auprès du Jourdain, où tous accouraient au baptême avec beaucoup de crainte et de respect, fort indifférents à tous les soins charnels: à ce point qu'ils demeurèrent trois jours continus avec Jésus-Christ sans rien manger (Mt 15,32). Il est d'un prédicateur courageux et zélé et d'un laboureur vigilant, de ne point quitter son champ qu'il n'ait vu sa semence prendre racine.

Mais pourquoi Jean-Baptiste, au lieu de parcourir toute la Judée, pour prêcher Jésus-Christ, s'est-il arrêté au long du fleuve à l'attendre, pour le montrer quand il viendrait? C'est parce qu'il voulait que cela se fit par les oeuvres, et cependant il s'appliquait à le leur faire connaître, et à persuader à quelques-uns d'écouter celui qui a les paroles de la vie éternelle; mais il a laissé à Jésus-Christ la tâche de se rendre à lui-même le plus grand témoignage, celui des oeuvres, selon ce que dit Jésus-Christ lui-même: «Pour moi, ce n'est pas d'un homme que je reçois le témoignage, car les oeuvres que mon Père m'a donné pouvoir de faire, ces oeuvres», dis-je, «rendent témoignage de moi». (Jn 5,34-36) Voyez combien ce témoignage est plus grand et plus efficace. Jean avait jeté une petite étincelle de feu; Jésus-Christ a paru, et aussitôt la flamme s'allume et s'élève. En effet, ceux qui auparavant ne faisaient pas même attention à la parole de Jean, disent enfin: «Tout ce que Jean a dit de celui-ci, s'est trouvé vrai». (Jn 10,42) Or, si Jean fût allé partout tenant ce langage au sujet de Jésus-Christ, son témoignage aurait paru naître d'une affection toute humaine, et on n'aurait point eu de foi à sa prédication.

3. «Deux de ses disciples l'ayant entendu parler ainsi, suivirent Jésus (Jn 1,37)». Jean [187] avait pourtant encore d'autres disciples; mais ceux-ci, non-seulement ne suivirent point Jésus, mais encore ils lui portaient envie, car ils disaient: «Maître, celui qui était avec vous au delà du Jourdain, auquel vous avez rendu témoignage, baptise maintenant, et tous vont à lui». (Jn 3,26) Et de plus, ces mêmes disciples, faisant des reproches à Jésus, disaient: «Pourquoi jeûnons-nous, et vos disciples ne jeûnent point?» (Mt 9,14) Mais ceux qui étaient meilleurs que les autres n'étaient pas dans les mêmes sentiments, ni dans les mêmes dispositions; aussi, dès qu'ils eurent entendu parler de Jésus, ils le suivirent. Et ils le suivirent, non par mépris pour leur premier maître, mais parce qu'ils lui étaient très-obéissants, et montrèrent par là que la droite raison, qu'un esprit de sagesse dictait leur docilité. Ce ne sont pas des exhortations qui les ont portés à suivre Jésus-Christ; cela aurait été suspect; ils l'ont suivi sur la seule annonce qu'il baptiserait dans le Saint-Esprit. Ils n'ont donc pas quitté leur maître, mais ils ont voulu savoir ce que Jésus apportait de plus que lui. Faites attention à leur prudente conduite et à leur retenue. Arrivés auprès de Jésus, ils ne l'interrogent pas tout aussitôt sur les choses importantes et nécessaires au salut, ni sur les grandes vérités qu'on leur avait annoncées; ils ne l'interrogent pas publiquement en présence de tout le monde, ni comme en passant; mais ils cherchent à conférer avec lui en particulier. Ils savaient bien que ce que leur maître leur avait dit de Jésus était véritable, et non pas seulement inspiré par l'humilité.

«André, frère de Simon Pierre, était l'un des deux qui avaient entendu dire ceci à Jean, et qui avaient suivi Jésus (Jn 1,40)». Pourquoi donc l'évangéliste ne nomme-t-il pas l'autre? Quelques-uns disent que c'est celui-là même qui a écrit cet Evangile; d'autres, au contraire, que ce disciple n'étant pas des plus remarquables, il importait peu de rapporter son nom, et que saint Jean avait cru ne devoir rien dire que de nécessaire. Quelle utilité en reviendrait-il de l'avoir nommé, puisqu'on ne rapporte pas les noms des soixante-douze disciple? Observez aussi que saint Paul en a usé de même: «Nous avons», dit-il, «envoyé aussi avec lui notre frère, qui est devenu célèbre par l'Évangile». (2Co 8,18) Au reste, l'évangéliste nomme André pour une autre raison. Quelle est cette raison? Afin qu'entendant que Simon, aussitôt qu'il avait ouï dire à Jésus: «Suivez-moi, et je vous ferai devenir pêcheurs d'hommes» (Mt 4,19), n'avait point douté d'une promesse si grande et si peu attendue, vous soyez avertis que son frère avait jeté depuis longtemps dans lui les fondements de la foi.

«Jésus se retourna, et voyant qu'ils le suivaient, il leur dit: Que cherchez-vous?» (Jn 1,38) Ceci nous apprend que Dieu ne prévient pas notre volonté de ses dons, mais que lorsque nous avons commencé et contribué de notre volonté, il nous donne alors un très-grand nombre de moyens de salut (1).

1. Haec cum quadam exceptione intelligenda sunt, dit fort bien le R. P. Bern. de Montf. Et nous disons de même qu'il ne faut pas prendre à la lettre ce que dit ici saint Chrysostome; mais expliquer sa pensée par plusieurs autres endroits, où visiblement et conformément à la doctrine et à la foi de l'Église, il reconnaît et établit la nécessité de la grâce et du secours divin, comme on en pourra juger par ces témoignages que nous en apportons, auxquels il nous serait facule d'en joindre assez d'autres, pour composer un traité de la grâce très-orthodoxe, et former un gros volume; mais nous devons nous bornera ce court éclaircissement, qui excède même les bornes d'une note.
Nécessité de la grâce: «Nous devons nous dégager de tout, dit le saint Docteur, pour pouvoir courir dans la voie de Dieu. ET NOUS NE LE POURRONS FAIRE A MOINS QUE D'ÊTRE SOULEVÉS SUR LES AILES DU SAINT ESPRIT. S'il faut donc que notre âme soit non-seulement déchargée des soins du siècle, mais qu'ELLE SOIT ENCORE SOUTENUE DE LA GRACE DE DIEU POUR NOUS ÉLEVER EN HAUT. Comment le pourrons-nous faire, puisque bien loin de cette disposition nous nous engageons tous les jours dans une autre toute contraire? etc. In Matth. Hom. 2,7, p. 24. a».

Et encore: «Que si les uns sont punis si rigoureusement, c'est par une grande justice, et ce sont leurs péchés qui les condamnent; et si les autres sont si glorieusement récompensés, c'est par une GRANDE MISÉRICORDE, ET C'EST LA GRACE QUI LES COURONNE, QUI LES A PRÉVENUS DE SA BONTÉ. Car quand ils auraient fait mille actions de vertu, ce ne peut être que, L'OUVRAGE DE LA GRACE de rendre de et grands biens pour DES CHOSES SI PETITES, et de récompenser des actions si légères et d'un moment, d'un poids éternel de gloire et de tout le bonheur du Paradis. In Matth. Hom. 79, tom. 7, p. 761, a».
Et derechef parlant de la chute de saint Pierre, il dit: «Ce fut cette chute dont nous parlons ici, qui fut comme le principe et la source de son humilité dans toute la suite de sa vie. Jusque là c'était à ses propres forces qu'il attribuait tout ce qu'il était, comme lorsqu'il disait: «Quand vous seriez pour tous les autres un sujet de chute et de scandale, vous ne le serez jamais pour moi. Quand il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renoncerai point.. (Mt 26,33 Mt 26,35) AU LIEU QU'IL DEVAIT PRIER LE SAUVEUR DE L'ASSISTER DE SA GRACE, ET RECONNAÎTRE QUE SANS SON SECOURS IL NE POUVAIT RIEN... Nous apprenons d'ici cette grande vérité, que LA BONNE VOLONTÉ DE L'HOMME NE LUI SUFFIT PAS POUR LE BIEN, SI ELLE N'EST SOUTENUE ET ANIMÉE PAR LE SECOURS DE LA GRACE. Et que de même ce secours du ciel ne nous peut servir de rien, lorsque notre volonté lui résiste. Judas et saint Pierre sont deux preuves de l'une et de l'autre de ces vérités. In Matth. LXXXII. - Tom. 7, p. 787, a. Edit. Nov. B.»


«Que cherchez-vous?» (Jn 1,38) Que veut dire cela? Quoi! «Celui qui connaît les coeurs de tous les hommes (Ac 1,24); celui devant qui toutes nos pensées sont à nu et à découvert» (He 4,13), interroge et demande? mais ce n'est pas pour apprendre. Et comment pourrait-on le dire? il les interroge, pour se les attacher davantage, pour leur inspirer une plus grande confiance et pour faire voir qu'ils sont dignes de son entretien. Car il est vraisemblable qu'étant inconnus, ils étaient honteux et craintifs avec un maître dont ils avaient ouï dire de si grandes choses. Jésus donc les interroge; par là il chasse leur crainte et leur honte, et il ne permet pas qu'ils aillent en silence jusqu'à sa demeure. Mais quand même il ne leur aurait pas demandé ce qu'ils cherchaient, ils ne l'auraient pas moins suivi et ne seraient pas moins allés avec lui jusqu'à sa maison. Pourquoi donc les interroge-t-il? C'était pour ce que j'ai dit, c'est-à-dire pour les encourager, pour chasser leur honte et leur timidité, et leur inspirer de la confiance. Mais ce n'est pas seulement en suivant Jésus que ces disciples marquèrent leur désir et leur envie de s'attacher à lui, mais encore par la (188) réponse qu'ils firent à sa demande. Avant d'avoir rien appris de lui, de lui avoir rien ouï dire, ils ne laissent pas de l'appeler leur maître, s'introduisant comme de force au nombre de ses disciples, et faisant connaître que s'ils le suivent, c'est pour apprendre de lui des choses utiles.

Considérez, je vous prie, leur prudence. Ils ne disent pas: Instruisez-nous, ou apprenez-nous quelque chose d'utile et de nécessaire; mais que disent-ils? «Où demeurez-vous?» (Jn 1,38) Ils désiraient, comme j'ai dit, lui parler, l'entendre, se faire instruire tout à leur aise. Voilà pourquoi ils ne diffèrent point et ne disent pas: Nous viendrons demain, et nous vous entendrons, lorsque vous parlerez en public; mais ils montrent leur grand désir de l'entendre, en cela même qu'ils ne s'en retournent pas chez eux, quoique l'heure les presse, le soleil étant près de se coucher. L'Écriture le fait remarquer: «Il était alors», dit-elle, «environ la dixième heure du jour» (Jn 1,39). Aussi Jésus-Christ ne leur indique point le lieu de sa demeure, ni les moyens de la reconnaître, mais il les engage encore plus à le suivre; en quoi il fait voir qu'il les a déjà reçus au nombre de ses disciples. Voilà pourquoi il ne leur dit rien de semblable: il est bien tard, il n'est pas temps de venir à présent dans ma maison, vous apprendrez demain ce que vous voudrez, maintenant allez-vous-en chez vous: mais il leur parle comme à des amis familiers attachés depuis longtemps à sa personne.

Pourquoi donc Jésus dit-il ailleurs: «Le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête» (Lc 9,58); et ici: «Venez et voyez où je demeure (Jn 1,39)»? Mais ces paroles: «Il n'a pas où reposer sa tête», marquent qu'il n'avait pas de maison à lui, et nullement qu'il ne logeât point dans quelque maison. C'est ainsi qu'il faut entendre la parabole. Au reste l'évangéliste dit, qu' «ils demeurèrent chez lui ce jour-là» (Jn 1,39), mais il n'en a pas dit la raison, parce qu'elle est évidente. Ils n'ont en effet suivi Jésus, ou Jésus ne les a lui-même attirés et engagés à venir chez lui, que pour apprendre sa doctrine, qu'ils ont reçue en une nuit si abondamment et avec tant d'ardeur et de zèle, que chacun d'eux peu après a couru de son côté en appeler d'autres.

4. Apprenons de là, mes frères, à préférer la divine doctrine à toute autre chose, et à regarder toute sorte de temps comme propre et convenable pour notre instruction. Ne négligeons jamais de faire un si heureux commerce; fallût-il entrer dans une maison étrangère; fallût-il nous présenter devant de grands personnages sans être connus d'eux; fallût-il le faire à une heure indue et au moment le moins opportun. Que le manger, les bains, les repas, et les autres choses qui regardent la vie aient donc leur temps marqué, mais que l'étude de la céleste philosophie n'ait point d'heure fixe, que toute heure lui soit bonne et propre: «A temps, à contre-temps», dit l'Écriture, «reprenez, suppliez, menacez». (2Tm 4,2) Le Prophète dit aussi: «Il méditera jour et nuit la loi du Seigneur». (Ps 1,2) Moïse ordonnait de même aux Juifs de la méditer toujours. Ce qui regarde la vie, comme les bains et les aliments, quelle qu'en soit la nécessité, peut, si l'on en use trop fréquemment, affaiblir le corps et le faire dépérir: mais, à l'égard de la doctrine, plus on l'inculque dans l'âme, plus on rend celle-ci forte et vigoureuse.

Et, toutefois, nous consacrons tout notre temps à des bagatelles, à des inutilités; au lever de l'aurore, le matin, à midi, le soir, nous allons vainement le perdre dans un lieu assigné, et si nous entendons la parole de Dieu une ou deux fois la semaine, nous nous assoupissons, nous nous dégoûtons: pourquoi? Parce que notre esprit est gâté; nous l'usons, nous dissipons tout son feu et toute son [189] activité à ces bagatelles: voilà pourquoi il ne nous reste plus d'appétit pour les aliments spirituels. Entre autres signes de maladie, c'en est un bien grand de ne sentir ni faim ni soif, et de rebuter les aliments. Que si, à l'égard du corps, ce dégoût est le signe et la cause de dangereuses maladies, il en est de même, à plus forte raison, pour l'âme. Maintenant donc qu'elle est infirme et accablée du poids de son infirmité, comment pourrons-nous la relever et la rétablir? Que ferons-nous? que dirons-nous? Il faut écouter attentivement la divine parole, lire avec application les livres des prophètes, des apôtres, des évangiles et tous les autres. Nous connaîtrons alors qu'il est mieux et beaucoup plus avantageux d'user de pareils aliments que de mets impurs; car tel est le nom qu'on peut donner justement aux niaiseries et aux réunions frivoles dont j'ai parlé.

Dites-moi, je vous prie, lequel vaut le mieux, ou de parler de marché, de procès, de guerre, ou de s'entretenir des choses célestes et de ce qui doit arriver après cette vie? lequel est le plus profitable, de parler de son voisin, de ses affaires, et de s'informer curieusement de ce que font les autres, ou de discourir sur les anges et sur ce qui nous importe? Ce qui est à votre voisin n'est point à vous; mais ce qui concerne le ciel vous concerne aussi. Mais, direz-vous, il suffit de dire un mot de ces sortes d'affaires, pour être quitte de son devoir. Pourquoi donc ne pensez-vous pas ainsi de toutes ces choses sur lesquelles vous disputez vainement et témérairement? pourquoi y passez-vous toute votre vie? pourquoi trouvez-vous que ce genre de sujets n'est jamais épuisé?

Je ne dis point encore ce qu'il y a de pire. Les conversations dont je parle sont celles des honnêtes gens. Mais les hommes sans principes et sans moeurs ne savent parler que de baladins, de comédiens, de danseurs et de cochers; et par ces discours ils souillent leurs oreilles, ils corrompent leur âme, ils dégradent leur nature, gâtent leurs inclinations et se prédisposent à toute sorte de vices et de crimes. Car à peine a-t-on prononcé le nom d'un danseur, qu'aussitôt son image, sa figure, son ajustement efféminé, et toute sa personne plus efféminée encore, se peint et se retrace dans l'âme. Un autre se met à parler d'une prostituée, il entretient la compagnie de ses paroles, de ses gestes, de ses yeux, de ses regards lascifs, de l'arrangement de ses cheveux, du fard, du rouge qu'elle met sur ses joues et autour de ses yeux; et par là il ressuscite et embrase le feu de la concupiscence. Mais cette description, même dans ma bouche, n'a-t-elle fait aucune impression sur vous? Avouez-le, n'en soyez pas honteux, n'en rougissez point: car c'est là un effet tout naturel, l'âme reçoit l'impression des choses qu'elle entend. Or, si moi-même vous parlant, si, debouts dans l'église et bien éloignés de tous ces objets, seulement pour en entendre dire un mot, vous vous sentez émus, pensez dans quelle disposition doivent être ceux qui vont tranquillement s'asseoir au théâtre, où ils ne sont retenus par aucune crainte ni par le respect qu'éveille la vue de cette auguste assemblée, où ils voient et entendent sans rougir tout ce qui se fait et tout ce qui se dit. Et pourquoi, dira peut-être quelqu'auditeur inattentif, si cette affection de l'âme, si ce qui se passe en nous est une nécessité de la nature, n'en rejetez-vous pas le blâme sur elle, et nous en accusez-vous? C'est parce que, si la nature est responsable de l'ébranlement produit par ces discours, aller les entendre, ce n'est point le péché de la nature, c'est le péché de la volonté; de même, nécessairement, celui qui se jette dans le feu se brûle, l'infirmité de la nature le voulant ainsi mais ce n'est pas la nature qui nous jette dans le feu et cause ainsi notre perte: un tel malheur n'est imputable qu'à la corruption de notre volonté.

Voilà ce que je vous conjure de vaincre et d'amender. Prenez garde de vous jeter vous-mêmes dans le précipice, dans l'abîme, dans le brasier du vice; ne nous exposons pas aux flammes qui ont été préparées pour le diable. Je prie Dieu de nous délivrer tous de l'une et de l'autre de ces flammes, et de nous recevoir dans le sein d'Abraham, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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Chrysostome sur Jean 17