Chrysostome sur Jean 46

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HOMÉLIE XLVI - LES JUIFS SE MIRENT DONC A MURMURER CONTRE LUI DE CE QU'IL AVAIT DIT: JE SUIS LE PAIN VIVANT, QUI SUIS DESCENDU DU CIEL,

ET ILS DISAIENT: N'EST-CE PAS LA JÉSUS FILS DE JOSEPH, DONT NOUS CONNAISSONS LE PÈRE ET LA MÈRE? COMMENT DONC DIT-IL QU'IL EST DESCENDU DU CIEL? (VERS. 41, 42, JUSQU'AU VERSET 53)

Jn 6,41-53

ANALYSE.

1. Dieu attire à lui les hommes sans détruire leur liberté; réfutation des Manichéens sur ce sujet.
2. Différence entre la manne et le véritable pain de vie.
3 et 4. Grandeur et excès de l'amour de Jésus-Christ dans la divine Eucharistie. - Quel amour nous-mêmes ne devons-nous pas avoir pour lui. - Effets admirables de cet auguste sacrement; Jésus-Christ, de lui et de nous, ne fait qu'un seul corps, dont il est le Chef, et nous les membres. - Il a pris notre chair pour être de même nature que nous. - vertu du sang de Jésus-Christ. - Economie et dispensation de ce précieux sang. - Les mystères que Jésus-Christ a confiés à son Église, l'autel sur lequel il est immolé, sont véritablement terribles et redoutables. - De la sainte Table sortent des sources d'eau et de lumière: leurs effets.- Ceux qui participent aux saints mystères deviennent tout d'or. - Le sang de Jésus-Christ est le prix de la rédemption de tout le monde: c'est avec quoi il a acheté et embelli l'Église son épouse. - Selon les dispositions avec lesquelles on approche de la sainte Table, on y reçoit ou la vie ou la mort: Quiconque reçoit indignement le corps de Jésus-Christ, sera puni comme ceux qui l'out crucifié. - Veiller, être attentif sur soi, penser aux biens dont le Seigneur nous a comblés: cette pensée calme les passions et les réprime.

4601 1. Saint Paul, écrivant aux Philippiens, dit de quelques-uns d'entre eux, «qu'ils font leur Dieu de leur ventre, et qu'ils mettent leur gloire dans leur propre honte» (Ph 3,19): [321] Que la même chose pouvait se dire aussi des Juifs, ce qui précède le fait voir, et aussi ce que disaient ceux qui venaient trouver Jésus-Christ. Car quand il leur donnait à manger et qu'il les rassasiait, ils l'appelaient prophète et le voulaient faire roi; mais lorsqu'il leur fait connaître la nourriture spirituelle et la vie éternelle; lorsqu'il les détourne des choses terrestres, lorsqu'il leur parle de la résurrection et qu'il élève leur esprit, lorsqu'enfin ils devaient le plus l'admirer; c'est alors qu'ils se mettent à murmurer, et qu'ils se retirent. Cependant s'il était le prophète, comme auparavant ils l'avaient reconnu en disant: «Voici celui de qui Moïse a parlé: Le Seigneur votre Dieu vous suscitera un prophète comme moi, d'entre vos frères, c'est lui que vous écouterez» (Dt 18,15); ils devaient donc l'écouter quand il disait: «Je suis descendu du ciel». Mais ils ne l'écoutaient point, et au contraire ils se mettaient à murmurer, gardant néanmoins encore quelque respect pour lui, à cause du miracle qu'il venait de faire pour eux: c'est aussi pour cette raison qu'ils ne le contredisaient pas ouvertement, quoique par leurs murmures ils fissent assez éclater leur dépit et leur colère, de ce qu'il ne leur donnait pas la nourriture qu'ils désiraient. Et en murmurant ils lui faisaient ce reproche: «N'est-ce pas là le fils de Joseph?» ce qui montre qu'ils n'avaient nulle connaissance de son admirable génération; c'est pour cela qu'ils l'appelaient encore fils de Joseph. Et toutefois le divin Sauveur ne les reprend point, il ne leur dit pas: Je ne suis point le fils de Joseph: non qu'il fût le fils de Joseph, mais parce qu'ils n'étaient pas encore capables d'entendre parler de son admirable génération. Que s'ils ne pouvaient point encore comprendre sa naissance charnelle, bien moins auraient-ils compris sa génération ineffable et céleste. S'il ne leur découvrit pas le secret de sa naissance terrestre, à plus forte raison n'aurait-il pas entrepris de leur révéler un mystère aussi sublime. Cependant c'était pour eux un sujet de scandale que de le croire de naissance vulgaire: néanmoins, il ne leur découvre pas la vérité, de peur qu'en étant une pierre d'achoppement, il ne fît qu'en mettre une autre à la place.

A ces murmures, que répond donc Jésus-Christ? «Personne ne peut venir à moi, si mon Père qui m'a envoyé ne l'attire (Jn 6,44)».

Les manichéens s'emparent de ces paroles malentendues pour s'élever contre la liberté de l'homme, et dire que nous ne pouvons rien faire de nous-mêmes, et toutefois ces paroles prouvent invinciblement que notre volonté est libre et qu'il dépend de nous de vouloir. Eh quoi! si l'on peut venir à lui, dit le manichéen, quel besoin a-t-on d'être attiré? Mais que le Père nous attire, cela ne détruit pas notre libre arbitre, cela fait seulement connaître que nous avons besoin d'aide et de secours: le Sauveur ne dit point que, pour venir, on a besoin d'un grand secours. Il montre ensuite de quelle manière le Père attire. Car, de peur que les Juifs ne se figurent ici encore une action sensible, il ajoute: «Ce n'est pas qu'aucun homme ait vu le Père, si ce n'est celui qui est né de Dieu, c'est celui-là qui a vu le Père (Jn 6,46)». Comment attire-t-il? dit le manichéen. Déjà depuis longtemps un prophète l'a expliqué par ces paroles: «Ils seront tous enseignés de Dieu (Jn 6,45)». Remarquez ici, mes frères, quelle est la dignité et l'excellence de la foi: Ceux que le Père attire, ne sont point instruits par les hommes, ni par le ministère d'un homme, mais par Dieu même. C'est pourquoi, afin de persuader ce qu'il dit, il les renvoie aux prophètes. Et s'il est dit que tous seront enseignés de Dieu, objecte encore le manichéen, pourquoi en est-il qui ne croient pas? parce que ce que dit là le prophète, il le dit seulement de la plupart: à le bien prendre, il ne parle pas absolument de tous, mais de tous ceux qui voudront «croire». En effet, le Maître se présente à tous, prêt à les enseigner tous, à leur donner sa doctrine qu'il répand sur tous.

«Et je le ressusciterai au dernier jour». Dans ces paroles la dignité du Fils éclate merveilleusement. Le Père attire, et le Fils ressuscite. L'Ecriture ne divise point les oeuvres du Père et du Fils: et comment le pourrait-elle? mais elle montre une égalité de puissance, de même qu'en cet endroit: «Et mon Père qui m'a envoyé rend témoignage de moi». Après, de peur que quelques-uns ne cherchassent avec trop de curiosité à sonder ces paroles, il les a renvoyés aux Ecritures; ici de même il les renvoie aux prophètes, il les leur cite fréquemment, pour leur faire voir qu'il n'est pas contraire au Père.

Mais, direz-vous, auparavant par qui les hommes ont-ils été enseignés? est-ce qu'ils [322] n'ont pas été enseignés de Dieu? qu'est-il en ceci de si extraordinaire et de si admirable? C'est qu'alors des hommes servaient de ministres pour instruire les hommes des choses divines, et que maintenant c'est Jésus-Christ et le Saint-Esprit qui les instruisent. Jésus-Christ conclut ensuite par ces paroles: «Ce n'est pas qu'aucun homme ait vu le Père; si ce n'est celui qui est né de Dieu»: où il ne parle pas de ceux qui sont nés de Dieu en tant que cause, mais de celui qui est engendré de sa substance. S'il disait: Nous sommes tous nés de Dieu, on dirait: En quoi donc le Fils l'emporte-t-il sur les autres, en quoi diffère-t-il d'eux?

Et pourquoi, dira-t-on encore, ne l'a-t-il pas plus clairement expliqué? c'est à cause de la faiblesse et de la grossièreté des Juifs. Si, lorsqu'il a dit: «Je suis descendu du ciel», ils s'en sont si fort scandalisés, ne se seraient-ils pas encore beaucoup plus scandalisés et irrités, s'il avait dit: Je suis engendré de la propre substance du Père? Il se dit le pain de Dieu, parce que c'est lui qui nous donne cette vie et la vie future. Voilà pourquoi il ajoute: «Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement (Jn 6,52)». Mais ici Jésus-Christ appelle pain la doctrine du salut et la foi en lui, ou bien son corps; car l'une et l'autre chose fortifie et vivifie l'âme. Cependant il a dit ailleurs «Celui qui écoutera ma parole, ne mourra jamais» (Jn 8,52), et ils s'en sont scandalisés. Maintenant ils ne se scandalisent point, peut-être, parce qu'ils le considéraient et le respectaient encore à cause des pains qu'il leur avait donnés à manger.

4602 2. Remarquez, mes frères, la différence que met le divin Sauveur entre ce pain et la manne, différence qu'il tire de l'effet que produisent l'un et l'autre. Premièrement, il montre que la manne n'a rien produit de nouveau, en disant: «Vos pères ont mangé la manne dans le désert; et ils sont morts (Jn 6,49)». En second lieu, il s'attache principalement à les convaincre qu'ils ont reçu de beaucoup plus grands biens que leurs pères, faisant allusion par là à Moïse même et aux hommes admirables de ce temps. C'est pourquoi, ayant dit que ceux qui avaient mangé la manne étaient morts, il a incontinent ajouté: «Celui qui mange de ce pain, vivra éternellement». Or, ce n'est pas sans raison qu'il a mis ce mot: «Dans le désert». C'est pour leur faire entendre que la manne n'a pas duré longtemps et qu'elle n'est pas venue jusque dans la terre promise, mais ce pain n'est pas de même nature. «Et le pain que je donnerai, c'est ma chair que je dois livrer pour la vie du monde (Jn 6,52)».

Il est probable que quelqu'un demandera ici avec étonnement quelle était l'opportunité d'un langage qui, loin d'être utile ou édifiant, ne pouvait que nuire à ceux qui étaient déjà édifiés. «Dès lors», dit l'évangéliste, «plusieurs de ses disciples se retirèrent de sa suite (Jn 6,66) et dirent: Ces paroles sont bien dures, et qui peut les écouter?» (Jn 6,60) En effet, Jésus-Christ aurait pu ne découvrir et ne communiquer ces mystères qu'à ses disciples seuls, comme dit saint Matthieu: «Etant en particulier, il expliquait tout à ses disciples». (Mt 13,36) Que répondrons-nous à cela? Nous répondrons qu'aujourd'hui encore de telles paroles sont très-utiles et très-nécessaires. Comme les Juifs pressaient instamment Jésus-Christ de leur donner des viandes à manger, mais des viandes corporelles et sensibles; et que, rappelant la nourriture qui avait été donnée à leurs pères, ils vantaient la manne comme quelque chose de grand, il voulut leur faire connaître que ces choses n'étaient que des ombres et des figures, et que la nourriture qu'il leur promettait était seule la vérité: voilà pourquoi Jésus leur parle de cet aliment spirituel.

Mais, répartirez-vous, il fallait dire: Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et moi je vous ai donné du pain. Mais la différence était grande: les Juifs regardaient le pain comme inférieur à la manne, parce que celle-ci était tombée du ciel, et que le miracle des pains avait été fait sur la terre. Comme donc ils demandaient une nourriture qui leur fût envoyée du ciel, c'est pour cela même que le divin Sauveur leur disait souvent: «Je suis descendu du ciel». Que si quelqu'un demande pourquoi il leur a parlé des mystères, nous répondrons que c'était là un temps propre à les en entretenir. L'obscurité des paroles excite et réveille toujours l'auditeur et le rend plus attentif. Ils ne devaient donc pas se choquer, ni s'en scandaliser; mais plutôt il fallait interroger, chercher à s'éclaircir et à s'instruire; loin de là, ils se retirent. Ils l'appelaient prophète: s'ils le croyaient tel, il fallait donc ajouter foi à ce qu'il disait. C'est pourquoi, qu'ils se soient choqués et scandalisés, [323] cela vient uniquement de leur folie et non de l'obscurité des paroles. Considérez ici, je vous prie, mes frères, de quelle manière le Sauveur gagne le coeur de ses disciples et se les attache; car ce sont eux qui lui disent: «Vous avez les paroles de la vie éternelle: à qui irions-nous, Seigneur (Jn 6,69)?»

Au reste, Jésus-Christ dit ici que c'est lui-même qui donnera; il ne dit pas que c'est son Père: «Le pain que je donnerai», dit-il, «c'est ma chair» que je dois livrer «pour la vie du monde». Mais le peuple ne parle pas de même; il dit au contraire: «Ces paroles sont bien dures». Et voilà pourquoi ils se retirent. Cependant cette doctrine n'était point nouvelle, elle n'était point différente de celle qu'on leur avait enseignée. Déjà auparavant Jean-Baptiste leur avait insinué la même vérité, lorsqu'il appela Jésus agneau. Mais, direz-vous, ils n'avaient point compris ce que cela voulait dire. Je le sais: les disciples eux-mêmes ne l'avaient pas entendu. S'ils n'avaient pas encore une trop claire connaissance de la résurrection, puisqu'ils ignoraient ce qu'avait voulu dire Jésus par ces paroles: «Détruisez ce temple et je le rétablirai en trois jours» (Jn 11,19), ils comprenaient bien moins les paroles de Jean-Baptiste, qui étaient plus obscures. En effet, ils avaient appris que les prophètes étaient ressuscités, quoique l'Ecriture ne le dise pas clairement: mais que quelqu'un eût mangé de la chair «d'un homme», c'est ce qu'aucun d'eux n'avait dit: toutefois, ils étaient dociles et soumis à Jésus-Christ. Ils le suivaient, et ils confessaient qu'il avait les paroles de la vie éternelle. Car c'est le devoir d'un disciple de ne pas examiner avec trop de curiosité les paroles de son maître, mais d'écouter, d'obéir et d'attendre une occasion pour demander ensuite l'explication de ce qu'il n'a point compris. Pourquoi donc en est-il autrement arrivé, dira-t-on, et pourquoi les Juifs rebroussèrent-ils chemin? Ce fut là un pur effet de leur folie. Lorsque cette douteuse et dangereuse question: «Comment», entre dans l'esprit, l'incrédulité y entre alors avec elle. Ainsi, Nicodème se trouble et s'embarrasse; ainsi il dit: «Comment un homme peut-il entrer une seconde fois dans le sein de sa mère?» (Jn 3,4) Ainsi se troublent ceux-ci, et ils disent: «Comment celui-ci nous peut-il donner sa chair à manger? (Jn 6,53

Si vous demandez comment cela se peut faire, pourquoi ne dites-vous pas de même des pains: Comment Jésus a-t-il multiplié cinq pains en tant d'autres? c'est qu'alors ils ne se mettaient en peine que de se rassasier, et qu'ils ne faisaient point d'attention au miracle. Mais ici, direz-vous, l'expérience les a instruits. Donc aussi, vu l'expérience qu'ils avaient déjà faite, ils auraient dû croire plus facilement. Le Sauveur a fait précéder le grand miracle des pains, afin qu'ayant reconnu sa puissance et l'efficacité de sa parole, ils n'y fussent plus incrédules dans la suite. Que si les Juifs, en ce temps-là, n'ont point profité de sa doctrine, ni de sa parole, nous, aujourd'hui, nous en retirons réellement tout le fruit et tout l'avantage. C'est pourquoi il faut apprendre quel est le miracle qui s'opère dans nos mystères, pourquoi ils nous ont été donnés, quel profit, quel avantage il nous en doit revenir. «Nous ne sommes tous qu'un seul corps», dit l'Ecriture, «et les membres de sa chair et de ses os» (Ep 5,30). Que ceux qui sont initiés à nos saints mystères écoutent attentivement ce que je vais dire.

4603 3. Afin donc que nous devenions tels non-seulement par l'amour, mais encore réellement, mêlons-nous à cette chair divine. C'est l'effet que produit l'aliment que le Sauveur nous a octroyé pour nous faire connaître l'ardeur et l'excès de son amour. Voilà pourquoi il a uni, confondu son corps avec le nôtre, afin que nous soyons tous comme un même corps, joint à un seul chef. En effet, c'est là le témoignage et la marque d'un ardent amour. Job insinue cette vérité, quand il dit de ses serviteurs qu'ils l'aimaient si fort, qu'ils auraient souhaité de le manger. Car pour marquer leur vif et tendre attachement, ils disaient: «Qui nous donnera de sa chair pour nous en rassasier?» (Jb 31,31) Voilà ce que Jésus-Christ a fait pour nous; il nous a donné sa chair à manger pour nous engager à avoir pour lui un plus grand amour, et nous montrer celui qu'il a pour nous; il ne s'est pas seulement fait voir à ceux qui ont désiré le contempler, mais encore il s'est donné à toucher, à manier, à manger, à broyer avec les dents, à absorber de manière à contenter le plus ardent amour.

Sortons donc de cette table, mes frères, comme des lions remplis d'ardeur et de feu, terribles au démon, pleins du souvenir de [324] notre chef, et de cet ardent amour dont il nous a donné de si vives marques. Souvent les parents confient à des nourrices leurs enfants; moi, au contraire, je les nourris de ma chair, je me donne moi-même à manger. Je veux tous vous ennoblir et vous donner à tous une bonne espérance des biens à venir. Celui qui s'est livré pour vous dans ce monde vous fera dans l'autre beaucoup plus de bien encore. J'ai voulu être votre frère pour l'amour de vous; j'ai pris votre chair et votre sang afin que l'un et l'autre fût commun entre nous: je vous rends cette chair et ce sang, par lesquels je suis devenu de même nature que vous. Ce sang forme en nous une brillante et royale image: il produit une incroyable beauté, il ne laisse pas la noblesse de l'âme se flétrir, lorsqu'il l'arrose souvent et la nourrit. Les aliments ne se tournent pas d'abord en sang, mais auparavant ils se convertissent en quelqu'autre chose. Mais ce sang se répand dans l'âme aussitôt qu'on l'a bu, il l'arrose et la nourrit. Ce sang, quand on le reçoit dignement, met en fuite les démons, il appelle et fait venir à nous les anges, et même le Seigneur des anges. Car, aussitôt que les démons voient le sang du Seigneur, ils fuient, mais les anges accourent. Ce sang, par son effusion, a lavé et purifié tout le monde.

Saint Paul, dans son Epître aux Hébreux, dit sur ce sang bien des choses qui sont pleines d'une admirable sagesse. C'est ce sang qui a purifié l'intérieur du temple et le Saint des saints. (He 9) Que si le symbole de ce sang, et dans le temple des Hébreux, et dans la ville capitale de l'Egypte, seulement jeté par aspersion sur les jambages des portes, a eu tant de puissance et de vertu, la vérité en a bien une plus grande et plus efficace. C'est ce sang qui a consacré l'autel d'or: le grand prêtre n'osait entrer dans le sanctuaire sans en avoir auparavant été arrosé. C'est avec ce sang que se faisait la consécration des prêtres: ce sang figuratif lavait les péchés; si donc la figure a eu tant de vertu et de puissance, si la mort a eu tant de frayeur de l'ombre, combien, je vous prie, craindra-t-elle la vérité? Ce sang est la sanctification et le salut de l'âme. C'est lui qui la lave, la purifie, l'orne, l'enflamme c'est lui qui rend notre intelligence plus brillante que le feu, notre âme plus resplendissante que l'or. C'est ce sang qui, ayant été répandu, a ouvert le ciel.

4604 4. Les mystères que Jésus-Christ a confiés à son Eglise sont véritablement terribles: l'autel, sur lequel est immolée cette divine victime, est véritablement redoutable. (Gn 2,10) Du Paradis sortait une source qui se partageait de tous côtés en des fleuves d'eau sensible: de cette table rejaillit une source qui répand des fleuves d'eau spirituelle. Ce ne sont pas des saules stériles qui s'élèvent autour de cette fontaine, mais des arbres dont la hauteur atteint jusqu'au ciel, qui portent toujours du fruit dans la saison, qui jamais ne se flétrissent. Si quelqu'un est échauffé, qu'il aille à cette fontaine, il y tempérera sa fièvre car elle dissipe la chaleur et rafraîchit tout ce qui est brûlé et en feu, non ce qui est échauffé par l'ardeur du soleil, mais ce que des flèches de feu ont enflammé. C'est d'en-haut, c'est du ciel que cette fontaine prend sa source et qu'elle tire son origine; c'est là qu'elle se renouvelle. Elle donne naissance à plusieurs ruisseaux que l'Esprit-Saint fait couler, et dont le Fils fait la distribution: Ce n'est pas avec le hoyau qu'il leur trace leur route, mais il ouvre notre coeur et nous dispose à les recevoir. Cette source est une source de lumière qui répand les rayons de la vérité.

Là se trouvent les vertus célestes, qui contemplent la beauté des sources et des canaux, parce qu'ils en connaissent la vertu mieux que nous, et qu'ils voient plus clairement cette lumière inaccessible. Et comme s'il pouvait se faire que quelqu'un mit sa main ou sa langue dans de l'or fondu, il la retirerait toute dorée, de même ceux qui participent aux saints mystères dont nous parlons, changent plus véritablement leur âme en or. Ce fleuve fait bouillonner l'eau à plus gros bouillons et avec plus de véhémence que le feu, mais il ne brûle pas; seulement il lave, il purifie. Les autels, les cérémonies et les sacrifices de l'ancienne loi étaient des figures qui nous annonçaient d'avance ce précieux sang. Voilà le prix de la rédemption de tout le monde; voilà avec quoi Jésus-Christ a acheté son Eglise, c'est par ce sang qu'il l'orne et l'embellit tout entière. De même que celui qui achète des esclaves donne de l'or et les habille d'une étoffe d'or, s'il veut les orner et les parer, ainsi Jésus-Christ nous a achetés et ornés par son sang. Ceux qui participent à ce sang vivent dans la société des anges, des archanges et des puissances des cieux; ils sont revêtus de la robe royale de [325] Jésus-Christ et équipés des armes spirituelles. Mais c'est trop peu dire; ils sont revêtus du roi même.

Or, comme c'est là quelque chose de grand et d'admirable, si vous approchez de cette table avec une véritable pureté de coeur, vous vous approchez du salut; mais si votre conscience est impure, vous vous précipitez au supplice et vous avez attiré sur vous la vengeance du Seigneur: car, dit saint Paul, «quiconque en mange et en boit d'une manière indigne du Seigneur, mange et boit sa propre condamnation». (1Co 11,29) S'il est vrai que ceux qui souillent la pourpre royale sont punis comme s'ils l'avaient mise en pièces, doit-on s'étonner que ceux qui reçoivent le corps de Jésus-Christ avec une âme impure, soient condamnés au même supplice que ceux qui le percèrent de clous? Remarquez combien est terrible le supplice que l'apôtre expose à nos yeux! «Celui qui a violé la loi de Moïse», dit-il, «est condamné à mort sans miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins. Combien donc croyez-vous que méritera de plus grands supplices celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, qui aura tenu pour une chose vile et profané le sang de l'alliance, par lequel il avait été sanctifié». (He 10,28-29) Veillons donc sur nous-mêmes, mes très-chers frères, puisque nous avons eu le bonheur de recevoir de si grands biens, et lorsqu'il nous vient dans l'esprit quelque mauvaise pensée, lorsque nous nous sentons portés à dire quelque parole honteuse, ou lorsque nous nous apercevons qu'il s'élève en nous quelque mouvement de colère ou quelqu'autre mauvais sentiment, pensons alors en nous-mêmes aux bienfaits dont le Seigneur nous a honorés, représentons-nous combien grand et excellent est l'esprit que nous avons reçu. Cette pensée réprimera et calmera nos passions. Jusqu'à quand nous attacherons-nous aux choses présentes? Quand nous réveillerons-nous? Jusqu'à quand serons-nous nonchalants, indifférents pour notre salut? Considérons la grandeur et la magnificence des dons de Dieu, rendons-lui des actions de grâces, glorifions-le, non-seulement par la foi, mais encore par les oeuvres, afin que nous obtenions les biens futurs, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui la gloire appartient, et au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi-soit-il.

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HOMÉLIE XLVII - JÉSUS LUI DIT: EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ, JE VOUS LE DIS: SI VOUS NE MANGEZ LA CHAIR DU FILS DE L'HOMME,

ET NE BUVEZ SON SANG, VOUS N'AUREZ POINT EN VOUS LA VIE ÉTERNELLE: - CELUI QUI MANGE MA CHAIR ET BOIT MON SANG, A LA VIE EN LUI-MÊME. (VERS. 54, 55, JUSQU'À LA FIN DU CHAPITRE)

Jn 6,54-70

1. Suite des admirables effets de la divine Eucharistie. - Jésus-Christ parle souvent de vie, pourquoi?
2. Les disciples de Jésus-Christ trouvent dures les paroles de leur Maître.
3. Faire les reproches et les réprimandes avec douceur.
4. Jésus prédit à Judas sa trahison. - Notre salut comme notre perte dépend de notre libre arbitre.
5. L'exemple de Judas doit faire trembler ceux mêmes dont la vocation est plus visible et plus certaine. - L'avarice, cause de la trahison de Judas, le sera aussi de notre perte. - Mépriser le pauvre dans sa misère, c'est trahir Jésus-Christ. - Celui qui communie indignement, sera puni comme ceux qui ont fait mourir Jésus-Christ. - Les richesses superflues et inutiles. Mépris des choses de la terre. - Contre ceux qui, non-seulement nourrissent des chiens, des ânes sauvages, des ours, et d'autres bêtes. - Le ciel est un plus beau toit que tous nos plafonds dorés, il est plus à nous que ceux-là: le regarder, il nous appelle, il nous invite d'aller au Créateur. - Jésus-Christ est nu, nos plafonds sont dorés, quelle honte pour nous, quelle folie! - Mépriser toutes les choses passagères, ne rechercher que celles qui sont permanentes.

4701 1. Quand nous parlons des choses spirituelles, qu'il ne reste dans nos âmes aucune pensée charnelle ou terrestre; chassons, éloignons de nous toute idée semblable, pour nous attacher uniquement et tout entier à la divine parole. Si lorsque le roi vient dans la ville, on écarte de sa personne tout ce qui peut faire de l'embarras et du tumulte, n'est-il pas beaucoup plus juste que, lorsque le Saint-Esprit nous parle, nous l'écoutions dans une grande paix et une grande tranquillité, et avec beaucoup de crainte et de respect? Et véritablement elles sont effrayantes, les paroles qu'on nous a lues aujourd'hui. Ecoutez ce que dit Jésus-Christ: «En vérité, je vous le dis, quiconque ne mange pas ma chair et ne boit pas mon sang n'aura point la vie en soi». Auparavant les Juifs avaient dit que cela était impossible, le divin Sauveur leur montre que non-seulement cela n'est point impossible, mais que c'est encore très-nécessaire. C'est pourquoi il ajoute: «Celui qui mange ma chair et boit mon sang, a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour». Comme il disait: «Si quelqu'un mange de ce pain, il ne mourra jamais», et qu'il y avait toute apparence qu'ils s'en scandaliseraient de même qu'auparavant, lorsqu'ils avaient fait paraître leur scandale par ces paroles: «Abraham est mort, et les prophètes aussi, comment donc pouvez-vous dire: il ne mourra jamais?» (Jn 8,52) Il leur présente la résurrection, par laquelle il résout la difficulté, et leur fait voir que celui qui mange de ce pain ne mourra pas pour toujours.

Au reste, Jésus-Christ revient souvent sur ces mystères, pour faire connaître aux Juifs que la vérité, qu'il leur annonce, est très-importante et très-nécessaire, et qu'absolument il faut manger sa chair et boire son sang. Car il ajoute encore: «Ma chair est véritablement viande, et mon sang est véritablement breuvage (Jn 6,56)». Que signifie cela? Ou que la viande véritable est celle qui nourrit l'âme, ou qu'il veut confirmer et persuader ce qu'il dit; afin qu'ils ne croient pas que ce soit là une énigme ou une parabole, et qu'ils sachent qu'il faut nécessairement manger son corps. Il dit ensuite: «Celui qui mange ma chair demeure en moi (Jn 6,57)», pour marquer qu'il s'incorpore en lui. Mais ce qui suit ne nous paraîtra pas se lier avec ce qui précède, [327] si nous n'y faisons beaucoup d'attention. En effet, après avoir dit: «Celui qui mange ma chair demeure en moi», ajouter: «Comme mon Père qui m'a envoyé est vivant, moi aussi je vis par mon Père (Jn 6,58)»; où est la suite, où est le rapport? Ces choses ont une étroite liaison et un parfait rapport entre elles. Car le Sauveur ayant souvent promis la vie éternelle, pour confirmer sa promesse, il ajoute: «Il demeure en moi». Or, s'il demeure en moi, comme je vis, il est visible qu'il vivra aussi. Il dit ensuite: «Comme mon Père qui m'a envoyé est vivant», ce qui est une similitude, et revient à dire: Je vis comme mon Père vit. Et de peur que vous ne le crussiez «non engendré», il a incontinent ajouté: «par le Père», non que pour vivre il ait besoin d'aucune opération: car, afin d'en ôter la pensée, il a déjà dit: «Comme le Père a la vie en lui-même, il a aussi donné au Fils d'avoir la vie en lui-même». (Jn 5,26) Que si pour vivre il a besoin d'opération et de secours, il s'ensuivra ou que le Père n'a pas donné au Fils d'avoir la vie, et que cette proposition est fausse; ou, s'il la lui a donnée, qu'il n'a plus besoin dans la suite d'autre aide ni de secours. Que veut dire ce mot: «Par le Père?» Il insinue seulement la cause, le principe. Au reste, il veut dire ceci: Comme mon Père vit, moi je vis aussi: «De même, celui qui me mange, vivra aussi par moi». Ici Jésus-Christ appelle vie, non toutes sortes de vies, mais la vie glorieuse: que le divin Sauveur n'entende point parler ici de la vie simple et commune, mais de cette vie glorieuse et ineffable, cela se voit manifestement, puisque tous les infidèles et les catéchumènes qui ne sont point initiés aux saints mystères vivent, quoiqu'ils n'aient point goûté à cette chair divine. Voyez-vous que Jésus-Christ ne parle point de cette vie, mais de celle du ciel? Voici ce que signifie ce qu'il dit: Celui qui mange ma chair, quoiqu'il meure et disparaisse à nos yeux, ne périra point et ne tombera point dans le lieu des supplices. D'ailleurs, il ne parle point de la résurrection qui est commune à tous les hommes, car tous ressusciteront pareillement; mais de cette adorable et glorieuse résurrection, qui sera suivie de la récompense.

«C'est ici le pain qui est descendu du ciel. Ce n'est pas comme la manne que vos pères ont mangée, et qui ne les a pas empêchés de mourir. Celui qui mange ce pain, vivra éternellement (Jn 6,58)». Jésus-Christ parle souvent de la résurrection, pour imprimer cette vérité dans l'esprit de ses auditeurs. Car c'était là le point le plus important de sa doctrine, d'établir et d'affermir la foi en ces choses, la résurrection et la vie éternelle. Et voilà pourquoi il ajoute la résurrection; soit parce qu'il a parlé de la vie éternelle, soit pour montrer que la vie qu'il promet n'est pas pour le temps présent, mais pour celui qui suivra la résurrection. Et par où, direz-vous, le prouvera-t-on? Par les Ecritures. Jésus-Christ y renvoie incessamment les Juifs, afin que par elles ils s'instruisent de ces vérités. Il a dit que «ce pain donne la vie au monde» (Jn 6,33), pour les exciter à en manger et leur donner de l'émulation et même du dépit, en voyant les autres jouir d'un si grand bien, de telle sorte qu'ils s'efforcent d'y participer eux-mêmes: et il fait souvent mention de la manne, tant pour leur en faire connaître la différence, que pour les attirer à la foi. Si effectivement, sans moisson, sans blé, sans aucun préparatif, Dieu a pu les nourrir pendant quarante ans, maintenant il le pourra bien mieux, puisqu'il est venu pour opérer de plus grandes merveilles. Et d'ailleurs, si ces choses étaient des figures, et si, sans sueurs et sans travail, ils ramassaient alors de quoi se nourrir, à plus forte raison aurons-nous toutes choses avec abondance, maintenant qu'il y a une si grande différence, qu'il n'y a véritablement point de mort, et que nous jouissons d'une véritable vie.

Au reste, c'est très à propos que le divin Sauveur parle souvent de la vie: la vie est ce que les hommes désirent le plus; rien aussi n'est plus doux ni plus agréable que de ne point mourir. Dans l'Ancien Testament Dieu promettait aux hommes une longue vie, maintenant non-seulement il nous promet une vie longue, mais aussi il nous en fait attendre une qui n'aura point de fin. De plus, Jésus-Christ veut en même temps nous faire connaître que la peine à laquelle le péché nous avait assujettis, est maintenant révoquée, et qu'il a aboli notre sentence de mort par l'institution non d'une vie ordinaire, mais d'une vie éternelle, contrairement au régime antérieur. «Ce fut en enseignant dans la synagogue de Capharnaüm, que Jésus dit ces choses (Jn 6,59)»; il a fait dans ce lieu un [328] très-grand nombre de miracles; ainsi on ne devait être nulle part plus attentif à sa parole.

4702 2. Mais pourquoi Jésus enseignait-il dans la synagogue et dans le temple? C'était pour attirer le peuple et pour montrer qu'il n'était pas contraire au Père. «Plusieurs donc de ses disciples, qui l'avaient ouï, disaient: Ces paroles sont bien dures (Jn 6,60)». Que veut dire cela: «ces paroles sont dures?» Elles sont rebutantes et fâcheuses, elles ordonnent des choses trop difficiles et trop pénibles. Mais Jésus-Christ ne disait rien de rebutant, ni de pénible: rien qui prescrivît des règles de vie; seulement il enseignait ce qu'il fallait croire, parlant de temps en temps de la foi qu'on devait avoir en lui. Comment donc ces paroles sont-elles dures? Est-ce parce que le Sauveur promettait la résurrection et la vie éternelle? Est-ce parce qu'il disait qu'il était descendu du ciel? Est-ce parce qu'il enseignait que personne ne peut être sauvé, s'il ne mange sa chair? Ces choses, je vous prie, sont-elles dures? Qui le peut dire? Que signifie donc ce mot, «dur?» Une chose difficile à entendre, qui surpassait leur force et leur intelligence, qui les épouvantait et les effrayait. Ils croyaient que Jésus-Christ leur parlait de lui-même en termes trop magnifiques. Voilà pourquoi ils disaient: «Qui peut les écouter?» Et peut-être aussi parlaient-ils de la sorte pour excuser leur prochaine retraite.

«Mais Jésus connaissant en lui-même que ses disciples murmuraient sur ce sujet (Jn 6,61)», il était de sa divinité de révéler publiquement ce qu'il y avait de plus caché dans leur coeur. C'est pourquoi il leur dit aussitôt: «Cela vous scandalise-t-il?» Que sera-ce donc si vous voyez le Fils de l'homme monter où il était auparavant? (Jn 6,62)» Jésus-Christ avait dit la même chose à Nathanaël: «Parce que je vous ai dit que je vous ai vu sous le figuier, vous croyez». (Jn 1,50) Et à Nicodème: «Personne n'est monté au ciel, sinon le Fils de l'homme qui est dans le ciel». (Jn 3,13) Quoi donc? le Sauveur ajoute-t-il difficulté à difficulté? Non, loin de nous cette pensée; mais il tâche d'attirer ses auditeurs et de les gagner par la grandeur et l'excellence de sa doctrine. Si, ayant dit: «Je suis descendu du ciel», il n'avait rien ajouté de plus, il leur eût donné un plus grand sujet de scandale et de chute; mais quand il dit: «Mon corps donne la vie au monde», et: «Comme mon Père qui est vivant, m'a envoyé, je vis aussi par mon Père»; et: «Je suis descendu du ciel», il aplanit, il résout la difficulté. Celui qui dit de soi quelque chose de grand se rend suspect de mensonge; mais celui qui y joint ensuite de telles choses, ôte tout soupçon. Au reste, il n'omet rien pour les empêcher de croire qu'il soit le fils de Joseph. Jésus-Christ n'a donc pas dit ces choses pour augmenter le scandale, mais pour l'ôter. En effet, le regarder comme fils de Joseph, c'était montrer qu'on n'avait pas compris ce qu'il avait dit. Mais être persuadé qu'il était descendu du ciel, et qu'il y devait monter, c'était le vrai moyen d'entendre plus aisément et plus facilement ses paroles.

Après cela il apporte une autre solution de la difficulté: «C'est l'esprit», dit-il, «qui vivifie; la chair ne sert de rien (Jn 6,63)»; c'est-à-dire, ce que je dis de moi, il faut l'entendre spirituellement; celui qui l'écoute avec un esprit charnel et terrestre n'y comprend rien et n'en retire aucun fruit. Or, c'était être charnel que de douter que Jésus-Christ fût descendu du ciel, et de le croire fils de Joseph, et de dire: «Comment peut-il nous donner sa chair à manger?» Toutes ces pensées sont charnelles, et ce que disait Jésus-Christ, il fallait le prendre dans un sens mystique et spirituel. Et comment, repartirez-vous, pouvaient-ils entendre ce que cela voulait dire: «Mangez ma chair?» Certes, il fallait attendre un temps propre et favorable, il fallait interroger, et ne point cesser de faire des questions.

«Les paroles que je vous dis sont esprit et vie»; c'est-à-dire, ce que je dis est tout divin et spirituel: je ne parle point de choses charnelles et qui soient soumises à la nature, mais de choses qui sont exemptes de ces sortes de nécessités et des lois de cette vie: ce que je dis a un sens tout autre et tout différent de celui que vous lui donnez. Comme donc ici le Sauveur a dit: Les paroles que je vous dis sont esprit, au lieu de dire, sont des choses spirituelles; de même lorsqu'il dit: La chair ne sert de rien, il ne l'entend pas de la chair en elle-même, mais il insinue qu'ils prenaient dans un sens charnel ce qu'il disait, eux qui n'avaient de goût et de désir que pour les choses charnelles, en un temps où tout les invitait à rechercher celles qui sont spirituelles. Prendre dans un sens charnel ce que dit Jésus-Christ, c'est en perdre tout le fruit et [329] le profit. Quoi donc? Est-ce que sa chair n'est pas chair? Elle l'est, sûrement. Pourquoi donc a-t-il dit: «La chair ne sert de rien?» Le divin Sauveur ne l'entend pas de sa chair, Dieu nous garde d'une telle pensée, mais de ceux qui recevaient charnellement ce qu'il disait; et qu'est-ce qu'entendre charnellement? C'est prendre tout simplement et à la lettre ce qu'on dit, et ne rien penser, et ne rien imaginer de plus; c'est là voir les choses avec des yeux charnels. Or il n'en faut pas juger selon ce qu'elles paraissent aux yeux du corps, mais, tout ce qui est mystère, il faut le voir et le considérer avec les yeux de l'âme, c'est-à-dire spirituellement. N'est-il pas vrai, n'est-il pas certain, que celui qui ne mange point la chair de Jésus-Christ et ne boit point son sang, n'a pas la vie en lui-même? Comment donc la chair ne sert-elle de rien, cette chair sans laquelle nous ne pouvons pas vivre? Vous voyez bien que le Sauveur ne parle point là de sa chair, mais de ce qu'on entend ses paroles d'une manière charnelle.

«Mais il y en a quelques-uns d'entre vous qui ne croient pas (Jn 6,64)». Jésus-Christ, selon sa coutume, relève ce qu'il dit et lui donne de la dignité; il prédit ce qui doit arriver et fait voir que c'est pour le salut de ses auditeurs qu'il leur parle de ces choses, et non pour s'attirer de la gloire. Au reste, en disant: «Quelques-uns», il sépare ses disciples de ce nombre. Au commencement, il avait dit «Vous m'avez vu et vous ne m'avez point cru». (Jn 6,36) Mais il dit ici: «Il y en a quelques-uns d'entre vous qui ne croient pas». En effet, il savait dès le commencement qui étaient ceux qui ne croiraient point, et qui était celui qui devait le trahir. «Et il leur disait: C'est pour cela que je vous ai dit que personne ne peut venir à moi, s'il ne lui est donné par mon Père (Jn 6,65)». L'évangéliste insinue ici que la dispensation des dons et des grâces du Père se fait librement et volontairement. Et il montre la patience de Jésus-Christ. Et ce n'est pas sans raison qu'il met ici ce mot: «Dès le commencement»; c'est pour vous faire connaître la prescience de Jésus-Christ, et qu'il avait connu leur incrédulité et la trahison de Judas avant qu'ils eussent ouvert la bouche et qu'ils se fussent déclarés par leurs murmures; ce qui était une preuve bien évidente de sa divinité. Il ajoute ensuite: «S'il ne lui est donné par mon Père», pour les persuader et les engager à croire que Dieu était son Père et non pas Joseph, et leur faire connaître que ce n'était pas une chose commune que de croire en lui; comme s'il disait: Qu'il y en ait qui ne croient pas en moi, je n'en suis nullement troublé, ni étonné; car longtemps auparavant que cela arrivât, je l'ai su, j'ai connu qui sont ceux à qui mon Père a donné.

4703 3. Lorsque vous entendez ce mot: «Il a donné», ne pensez pas que le Père donne au hasard ou à l'aventure, mais croyez que celui qui s'est rendu digne de ce don, le reçoit. «Dès lors, plusieurs de ses disciples se retirèrent de sa suite et n'allaient plus avec lui (Jn 6,66)». C'est avec juste raison que l'évangéliste n'a pas dit: Ils s'en allèrent, mais: «Ils se retirèrent de sa suite»; pour montrer qu'ils avaient abandonné le chemin de la vertu, et qu'en se séparant de Jésus ils avaient quitté la foi dont jusqu'alors ils avaient fait profession; mais les douze disciples ne firent pas de même. C'est pourquoi Jésus leur dit: «Et vous, voulez-vous aussi vous en aller? (Jn 6,67)». Par où il leur fait connaître qu'il n'a pas besoin de leur ministère, ni de leur service, et que ce n'est pas pour cela qu'il les mène avec lui. Celui qui leur parle de cette manière, quel besoin aurait-il pu avoir d'eux?

Pourquoi ne les a-t-il pas loués, pourquoi n'a-t-il pas exalté leur vertu? Premièrement, pour conserver sa dignité de maître; en second lieu, pour montrer que c'est de cette manière qu'ils devaient être attirés et engagés à sa suite. Si Jésus les eût loués, croyant qu'ils l'avaient obligé, ils en auraient conçu quelques sentiments humains, quelque amour propre. Mais leur ayant fait connaître qu'il n'avait point besoin de leur compagnie, il les a mieux retenus dans leur devoir, et se les est encore plus fortement attachés.

Remarquez aussi, mes frères, avec quelle prudence il leur parle. Il ne leur a pas dit: Allez-vous-en, car ç'aurait été là leur donner leur congé et les renvoyer. Mais il les interroge et leur dit: «Et vous, voulez-vous aussi vous en aller?» Par là il ôte toute contrainte et toute nécessité; il les prévient, leur donne la liberté de faire ce qu'ils voudront, afin que ce ne soit pas la honte qui les retienne, et qu'au contraire, ils lui soient obligés de la bonté qu'il a de les garder. Et encore, en évitant de leur faire ce reproche publiquement, [330] en les sondant sur leur volonté avec douceur et avec bonté, le divin Sauveur nous apprend comment nous devons raisonner et nous conduire en ces sortes de rencontres. Pour nous, qui faisons tout par vanité et avec hauteur, et qui croyons perdre de notre gloire si ceux qui nous honoraient nous délaissent, nous méritons par cela même qu'ils nous quittent. En un mot, Jésus-Christ n'a point flatté ses disciples: il ne les a pas congédiés, mais il leur a demandé ce qu'ils voulaient faire, en quoi il ne leur marque aucun mépris, mais seulement il leur témoigne qu'il ne veut pas qu'ils restent avec lui par contrainte et par force, car autant vaudrait s'en aller que demeurer de cette manière.

Mais Pierre, que répondit-il donc à Jésus-Christ? «A qui irions-nous, Seigneur? vous avez les paroles de la vie éternelle (Jn 6,68). Nous croyons et nous savons que vous êtes le Christ Fils de Dieu (Jn 6,70)». Ne voyez-vous pas dans cette réponse que ce n'étaient point les paroles de Jésus-Christ qui scandalisaient ses auditeurs, mais bien leur propre étourderie, leur paresse, leur corruption et leur méchanceté? Quand il aurait gardé le silence ils n'auraient pas cessé de se scandaliser, eux qui ne lui demandaient que la nourriture corporelle, et qui étaient uniquement attachés à la terre. Les uns et les autres ont tous ensemble entendu ce qu'a dit Jésus-Christ; mais les vrais disciples, étant dans des dispositions toutes contraires, ont dit: «A qui irions-nous?» Paroles qui marquent une grande affection et un véritable attachement. Elles font connaître que leur Maître leur était plus cher que toute autre chose, que leurs pères, que leurs mères, que leurs biens; et que ceux qui se séparent de Jésus n'ont plus de refuge. Ensuite, de peur qu'on ne crût que Pierre avait dit: «A qui irions-nous?» parce que ni lui, ni ses compagnons, ne savaient chez qui se retirer désormais, il ajoute aussitôt la raison pour laquelle ils veulent demeurer: «Vous avez les paroles de la vie éternelle». Car les uns écoutaient la divine parole avec un esprit charnel et terrestre, mais les autres l'écoutaient spirituellement, mettant toute leur confiance dans la foi.

Voilà pourquoi Jésus-Christ disait: «Les paroles que je vous dis sont esprit»; c'est-à-dire: Ne pensez pas que ce que je vous dis soit sujet à l'enchaînement et à la dépendance des choses de ce monde: les choses spirituelles ne sont pas de cette nature, elles ne sont pas soumises aux lois de la terre. C'est aussi là ce que déclare saint Paul par ces paroles: «Ne dites point en votre coeur: Qui pourra monter au ciel? c'est-à-dire pour en faire descendre Jésus-Christ. Ou qui pourra descendre au fond de la terre? c'est-à-dire pour appeler Jésus-Christ d'entre les morts». (Rm 10,6-7) Déjà les disciples avaient reçu la doctrine de la résurrection et du partage céleste. Considérez, je vous prie, de quelle manière celui qui aime ses frères prend leur défense et répond pour tous. Pierre n'a point dit: Je sais, mais «nous savons». Ou plutôt remarquez de quelle manière il suit et il imite les propres paroles de son Maître, et s'éloigne du langage des Juifs. Les Juifs disaient: Celui-là est le fils de Joseph; mais Pierre répond: «Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant»; et: «Vous avez les paroles de la vie éternelle»; peut-être parce qu'il lui avait souvent entendu dire: «Celui qui croit en moi a la vie éternelle». Car, se servant des mêmes paroles, il fait voir qu'il les a toutes retenues. Et Jésus-Christ, que répond-il? Il ne loue point Pierre, ne le vante point, ce que toutefois il fait ailleurs. Mais que dit-il donc? «Ne vous ai-je point choisi au nombre de douze? et néanmoins un de vous autres est un démon (Jn 6,70)». Comme Pierre avait dit: «Et nous savons», Jésus, comme de juste, exempte Judas de ce nombre. Il ne parla point des disciples, lorsqu'en une autre occasion, sur cette demande du Christ: «Et vous autres, qui dites-vous que je suis?» Pierre lui répondit: «Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant». (Mt 10,15-16) Mais ici, attendu qu'il avait dit: «Nous croyons», il retranche justement Judas du nombre, et il le fait longtemps auparavant pour détourner ce traître de sa perfidie, sachant que c'était peine perdue, mais voulant faire tout ce qui était en lui.

4704 4. Admirez la sagesse du divin Sauveur: Il ne fit pas connaître Judas, et aussi il ne permit pas qu'il fût tout à fait inconnu; d'une part, afin qu'il ne devînt pas plus impudent, et qu'il ne s'obstinât pas dans son crime; d'autre part, afin que, ne se croyant pas connu, il ne s'y portât pas avec plus de hardiesse et d'insolence. Voilà pourquoi il le reprit dans la suite plus ouvertement. Et certes, la première [331] fois il le comprit parmi les autres incrédules, en disant: «Il y en a quelques-uns d'entre vous qui ne croient pas». C'est ce que l'évangéliste déclare par ces paroles: «Jésus savait dès le commencement qui étaient ceux qui ne croyaient point, et qui serait celui qui le trahirait». (Jn 6,64) Mais comme il persévérait dans son malheureux dessein, il lui en fait un reproche plus fort et plus piquant: «Un d'entre vous», dit-il, «est un démon». Il parle à tous en commun, pour leur inspirer de la crainte à tous et pour couvrir encore Judas. Sur quoi il y a lieu de demander pour quelle raison les disciples ne répondent point à une accusation si terrible, mais ils doutent, ils s'attristent, ils se regardent l'un l'autre et chacun d'eux dit: «Serait-ce moi, Seigneur?» (Mt 26,22) Et Pierre fit signe à Jean de s'enquérir du Maître qui était le traître. (Jn 13,24) Quelle en est donc la raison? Avant que Pierre eut entendu cette foudroyante parole: «Retirez-vous de moi, Satan» (Mt 17,23), il ne craignait point; mais après que son Maître l'eût si amèrement repris, et qu'ayant parlé avec beaucoup d'affection, il n'en fut point loué, mais il s'entendit même appeler Satan, il eut sujet de craindre pour lui, lorsque Jésus dit: «L'un de vous me trahira». De plus, maintenant Jésus-Christ ne dit pas: «L'un de vous me trahira» (Mt 26,21); mais: «Un de vous autres est un démon». Voilà pourquoi les disciples ne comprenaient pas ce qu'avait voulu dire leur Maître, et ils pensaient qu'il leur reprochait seulement leur peu de foi et leur imperfection.

Mais pourquoi le divin Sauveur a-t-il dit: «Ne vous ai je point choisi au nombre de douze, et néanmoins un de vous est un démon (Jn 6,70)?» C'était pour leur faire connaître que sa doctrine était éloignée de toute flatterie, que ce n'était point par l'adulation qu'il voulait se les attacher et les persuader. Lorsque tous se retiraient, qu'ils demeuraient seuls et qu'ils confessaient hautement le Christ par la bouche de Pierre, ne voulant même pas alors qu'ils s'attendissent qu'il les flatterait, il leur en ôte toute la pensée; c'est comme s'il leur disait: Rien n'est capable de m'empêcher de reprendre les méchants: ne croyez pas que, parce que vous demeurez avec moi, je vous flatte et je vous donne des louanges, ou que parce que vous me suivez, je m'abstienne de reprendre les méchants. Ce qui peut le plus flatter un maître ne me touche point, moi; celui qui demeure donne une marque de son amour. Il arrivera que celui que le maître a choisi sera outragé et chassé par les insensés, comme s'il était lui-même insensé. Mais toutefois rien de tout cela ne m'empêche de reprendre ceux qui font le mal. Voilà sur quoi les gentils reprennent, aujourd'hui encore, Jésus-Christ de la manière la plus ridicule. Dieu n'a pas coutume de contraindre ni de forcer personne à devenir homme de bien; son élection et sa vocation ne contraignent point, mais il opère par la persuasion. Voulez-vous savoir et vous convaincre que la vocation ne force et ne contraint personne? voyez, examinez combien il y en a parmi ceux qui ont été appelés qui se sont perdus. Par là vous verrez manifestement que le salut et la perte dépendent de notre libre arbitre et de notre volonté.

4705 5. Que ces vérités, mes frères, nous rendent donc extrêmement attentifs et toujours vigilants. Si celui qui était agrégé au sacré collège des apôtres, qui avait reçu un si grand don, qui avait fait des miracles; car il avait été envoyé avec les autres pour ressusciter les morts et guérir les lépreux; si, dis-je, un disciple, pour s'être laissé infecter de la cruelle et très-dangereuse maladie de l'avarice, a trahi son Maître; si tant de bienfaits et de grâces; si, ni le commerce, ni la familiarité avec Jésus-Christ, ni le lavement des pieds, ni la société de table, ni la garde de la bourse, ne lui ont servi de rien, ou plutôt si toutes ces choses lui ont ouvert le précipice où il s'est jeté; tremblons et craignons nous-mêmes d'imiter un jour ce perfide par notre avarice. Vous ne trahissez pas Jésus-Christ? Mais lorsque vous méprisez le pauvre qui sèche de faim, ou qui transit de froid, vous méritez le sort de Judas et la même condamnation. Et lorsque nous participons indignement aux saints mystères, nous tombons dans le même abîme, où se sont précipités ceux qui ont fait mourir Jésus-Christ. Lorsque nous volons, lorsque nous opprimons le pauvre et l'indigent, nous nous attirons une terrible vengeance: et certes nous la méritons bien. Jusques à quand serons-nous donc possédés de l'amour des biens de ce monde, de ces choses superflues et inutiles? car les richesses sont des choses vaines et sans utilité. Jusques à quand notre coeur [332] s'attachera-t-il à des vanités, à des bagatelles? Jusques à quand différerons-nous de lever les yeux au ciel? de veiller, de mépriser les biens de la terre, les choses qui passent? Notre propre expérience ne nous apprend-elle pas combien toutes ces choses sont viles et abjectes?

Pensons à ces riches qui ont été avant nous; tout ce que la mémoire nous rappelle d'eux, ne nous semble-t-il pas un songe? N'est-ce pas comme une ombre, une fleur, une eau qui coule, un conte et une fable? Cet homme était riche: mais ses richesses, que sont-elles devenues? Elles ont péri, elles se sont évanouies. Mais les péchés que ces richesses lui ont fait commettre demeurent, et le supplice qui lui est préparé l'attend à cause de ses péchés. Ou plutôt, quand même vous n'auriez point de supplice à craindre et de royaume à espérer, il vous faudrait avoir égard au sort de vos semblables qui ne diffèrent pas du vôtre.

Voyez plutôt: on nourrit des chiens; plusieurs même nourrissent des ânes sauvages, des ours et divers animaux; et l'homme que la faim dévore, nous l'abandonnons! Nous faisons plus de cas d'une nature qui nous est étrangère que de notre propre nature. N'est-ce pas quelque chose de beau, direz-vous, que de bâtir de brillantes maisons, d'avoir un grand nombre de domestiques; et quand nous sommes couchés dans nos appartements, de voir des lambris tout éclatants d'or? C'est là un luxe superflu et inutile. Il y a d'autres édifices beaucoup plus brillants et plus imposants que ceux-là, dont vous devez vous réjouir la vue, et que personne ne peut vous empêcher de contempler. Voulez-vous voir un beau plafond? sur le soir regardez le ciel orné d'étoiles. Mais, direz-vous, ce plafond n'est point à moi: c'est tout le contraire, il est plus à vous que l'autre. Car c'est pour vous qu'il a été fait, et il vous est commun avec vos frères. Mais celui que vous dites à vous, n'est point à vous, il est à ceux qui hériteront de vous après votre mort. Celui-là peut vous être très-utile puisqu'il vous annonce le Créateur et vous invite à vous élever jusqu'à lui; mais celui-ci vous nuira beaucoup et il sera votre plus sévère et plus dangereux accusateur au jour du jugement, lorsqu'il paraîtra devant vous tout brillant d'or, Jésus-Christ n'ayant pas un seul habit pour se couvrir.

C'est pourquoi, gardons-nous, mes chers frères, de tomber dans un si grand excès de folie. Ne courons pas après ce qui passe, ne fuyons pas ce qui demeure, ne perdons pas notre salut; mais attachons-nous tous à l'espérance des biens futurs: les vieux, parce qu'ils savent qu'il leur reste peu de temps à vivre; les jeunes, parce qu'ils doivent être persuadés que la vie est courte: le jour du jugement arrivera, comme un voleur qui vient dans la nuit. (
Lc 12,39) Puis donc que ces vérités nous sont parfaitement connues; que les femmes avertissent leurs maris, et les maris leurs femmes. Apprenons-les aux jeunes garçons et aux jeunes filles, et exhortons-nous tous mutuellement les uns les autres à fuir les choses présentes et à ne rechercher et n'aimer que les biens de la vie future; afin que nous puissions les acquérir, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles! Ainsi soit-il.

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HOMÉLIE XLVIII. DEPUIS CELA JÉSUS VOYAGEAIT EN GALILÉE, NE VOULANT POINT VOYAGER EN JUDÉE, PARCE QUE LES JUIFS CHERCHAIENT A LE FAIRE MOURIR.


Chrysostome sur Jean 46