Chrysostome sur Jean 48

HOMÉLIE XLVIII. DEPUIS CELA JÉSUS VOYAGEAIT EN GALILÉE, NE VOULANT POINT VOYAGER EN JUDÉE, PARCE QUE LES JUIFS CHERCHAIENT A LE FAIRE MOURIR.

- MAIS LA FÊTE DES JUIFS, APPELÉE DES TABERNACLES, ÉTAIT PROCHE. (CHAP. 7, VERS. 1, 2, JUSQU'AU VERS. 8)

Jn 7,1-8

ANALYSE.

1. Jalousie des Juifs et incrédulité des parents de Jésus-Christ.
2. Jacques, frère du Seigneur, premier évêque de Jérusalem.
3. Imiter la douceur et la bonté de Jésus-Christ. - Souffrir patiemment les railleries, les injures, les outrages. - La colère est une bête féroce et furieuse. - Honte et chagrin qu'elle produit: remèdes pour se guérir de cette maladie. - Raisons qu'on allègue pour se venger. - Gens en colères: leur image, leur supplice en ce monde et en l'autre.


1. Rien n'est plus mauvais que la jalousie; rien n'est pire que l'envie: c'est par elles que la mort est entrée dans le monde. Le diable voyant que l'homme était en honneur, et ne pouvant souffrir la félicité dont il jouissait, n'omit rien pour le perdre. Et nous voyons tous les jours le même arbre produire le même fruit. C'est l'envie qui a tué Abel: c'est elle quia attenté aux jours de David; c'est elle qui a fait souffrir tant de justes; c'est elle qui a poussé les Juifs à faire mourir Jésus-Christ. L'évangéliste le déclare en disant: «Depuis cela Jésus voyageait en Galilée. Car il n'avait pas le pouvoir de voyager en Judée, parce que les Juifs cherchaient à le faire mourir». Que dites-vous, bienheureux Jean? Celui qui peut tout ce qu'il veut, ne pouvait pas! Celui qui ayant dit: «Qui cherchez-vous», a renversé par terre tous ceux qui l'étaient venus chercher? Celui qui étant devant nous, n'est point vu quand il lui plaît: quoi! celui-là n'a pas eu tout pouvoir? Comment dans la suite, au milieu d'eux, dans le temple, un jour de fête solennelle où tous les Juifs étaient assemblés, où étaient présents ceux qui le voulaient faire mourir, a-t-il dit ce qui les piquait et les irritait le plus? Les Juifs en étant étonnés eux-mêmes, disaient: «N'est-ce pas là celui qu'ils cherchent pour le faire mourir? Et néanmoins le voilà qui parle devant tout le monde, sans qu'ils lui disent rien». (Jn 7,25-26)

Quelle est cette énigme? Ah! loin de nous ces paroles: l'évangéliste n'a point dit ces choses pour qu'on les regarde comme une énigme, mais pour déclarer que Jésus-Christ a fait des oeuvres qui découvrent sa divinité, et qu'il en a fait aussi qui ont fait connaître son humanité. Quand il dit: «Il n'avait pas le pouvoir», il a parlé de Jésus comme d'un homme qui fait bien des choses à la manière humaine; mais lorsqu'il dit qu'étant au milieu d'eux, personne n'osa mettre la main sur lui pour l'arrêter, il montre la puissance de sa divinité. Car il se retirait comme homme; il apparaissait comme Dieu; représentant l'un et l'autre véritablement. En effet, lorsqu'étant au milieu de ceux mêmes qui tendaient des piéges pour le prendre, il n'était point arrêté, il faisait alors connaître son invincible puissance; mais lorsqu'il se retirait, il établissait la vérité de son incarnation, afin que ni Paul de Samosate, ni Marcion, ni ceux qui sont attaqués de leur même maladie, ne pussent y contredire. Par cette conduite donc il ferme la bouche à tous ces hérétiques.

«Après cela vint la fête des Juifs», appelée «des tabernacles». (Jn 6,3) Cette particule, «après cela», ne signifie autre chose, sinon qu'après le dernier sermon que Jésus avait [334] prêché, l'évangéliste omet un long intervalle de temps; en voici la preuve: Lorsque Jésus-Christ gravit la montagne et s'y assit avec ses disciples, c'était la fête de Pâques. Mais l'évangéliste parle ici de la fête appelée des tabernacles. Quant aux cinq mois intermédiaires, saint Jean ne nous offre aucun régit; aucune instruction qui s'y rapporte, sinon le miracle des pains et le sermon prêché à ceux qui les mangèrent: d'ailleurs, Jésus-Christ n'avait pas cessé de faire des miracles et de prêcher non-seulement le jour ou le soir, mais encore la nuit, car c'est de nuit que Jésus vint à ses disciples, comme le rapportent tous les évangélistes. Pourquoi ont-ils donc négligé cette période? Parce qu'ils ne pouvaient pas tout raconter. Au reste, ils se sont attachés à rapporter les choses qui devaient dans la suite attirer les reproches ou les murmures des Juifs, et ces choses revenaient souvent. Ils ont souvent, en effet, répété dans leur histoire que Jésus guérissait les malades, qu'il rendait la vie aux morts, ce qui avait excité l'admiration et l'étonnement du peuple. D'ailleurs, lorsqu'il se présente quelque chose de grand et d'extraordinaire, ou quelque accusation dirigée contre Jésus-Christ, ils en font le récit, comme on le voit maintenant. qu'ils disent que ses frères ne croyaient point en lui: ce qui pouvait devenir un grave sujet d'accusation. Et certes, il est admirable de voir combien les disciples ont été fidèles et véridiques dans ce qu'ils ont écrit, eux qui n'ont pas craint de transmettre à la postérité des choses qui semblaient être à la honte de leur Maître et paraissent même raconter ces sortes de faits de préférence aux autres.

C'est pourquoi saint Jean passe ici rapidement sur un nombre de miracles, de prodiges, de sermons, pour arriver à ceci: «Ses frères lui dirent: Quittez ce lieu, et vous en allez en Judée, afin que vos disciples voient aussi les oeuvres que vous faites (3). Car personne n'agit en secret lorsqu'il veut être connu dans le public. Faites-vous connaître au monde (4). Car ses frères ne croyaient point en lui (5)». Et en quoi, direz-vous, sont-ils incrédules, puisqu'ils le prient de faire des miracles? Oui, certes, ils le sont, et beaucoup; leurs paroles, leur hardiesse, cette liberté prise à contre-temps, marquent leur incrédulité. Car ils croyaient que la parenté leur donnait droit de parler et de demander hardiment. Et si, en apparence, ils lui font une remontrance d'ami, leurs paroles n'en sont pas moins très-piquantes et très-amères: ils l'accusent de timidité et de vaine gloire. En effet, quand ils disent: «Personne n'agit en secret», ils font l'office d'accusateurs, puisqu'ils lui reprochent sa timidité, et que ses oeuvres leur sont suspectes; et quand ils disent: «Il veut être connu dans le public», ils soupçonnent qu'il y a de la vaine gloire en ce qu'il fait.

2. Pour vous, mon frère, admirez la vertu de Jésus-Christ. Car des rangs de ceux qui parlaient de la sorte sortit le premier évêque de Jérusalem, savoir, le bienheureux Jacques, dont saint Paul dit: «Je ne vis aucun des autres apôtres, sinon Jacques, frère du Seigneur». (Ga 1,49) Il est dit aussi que Judas avait été un homme admirable. Cependant ces frères de Jésus étaient à Cana, lorsque Jésus changea l'eau en vin, mais ce miracle ne fit point alors d'impression sur leur esprit. D'où leur venait donc une si grande incrédulité? De leur mauvaise volonté et de leur envie. Car les parents ont coutume de porter envie à ceux de, leurs parents qu'ils voient dans une plus haute réputation et dans une plus grande estime qu'eux. Qui sont ceux qu'on appelle ici disciples de Jésus-Christ? Le peuple qui le suivait et non les douze qu'il avait choisis. Que répondit donc le divin Sauveur? Remarquez avec quelle douceur il répond. Il n'a point dit: Qui êtes-vous, pour m'oser donner des avis, et m'instruire sur ce que je dois faire? Mais qu'a-t-il dit? «Mon temps n'çst pas encore venu (6)». Il me semble que l'évangéliste veut nous insinuer ici quelque autre chose: que peut-être leur envie les poussait à le livrer aux Juifs, et qu'ils méditaient ce dessein; c'est pour le faire connaître qu'il dit: «Mon temps n'est pas «encore venu», c'est-à-dire le temps de ma croix et de ma mort. Pourquoi vous hâtez-vous de me faire mourir avant le temps? «Mais pour le vôtre, il est toujours prêt». C'est-à-dire, les Juifs, encore que vous soyez toujours parmi eux, ne vous feront point mourir, vous qui êtes dans leurs sentiments; mais moi, aussitôt qu'ils m'auront entre leurs mains, ils chercheront à me faire mourir. De sorte que c'est toujours pour vous le temps d'être avec eux: vous n'avez point à craindre qu'ils vous fassent aucun mal: pour moi, ce sera mon temps, lorsque le temps sera venu pour moi d'être crucifié et de mourir. Ce qui suit fait [335] manifestement voir que c'est là ce qu'a voulu dire Jésus-Christ.

«Le monde ne saurait vous haïr (7)». Et, comment vous haïrait-il, puisque vous êtes dans ses sentiments et dans ses intérêts, et que vous recherchez ce qu'il recherche? «Mais pour moi, il me hait, parce que je lui fais des reproches de ce que ses oeuvres sont mauvaises»; c'est-à-dire, je lui suis odieux, parce que je lui fais des reproches et des réprimandes. Une réponse si douce et si modeste doit nous apprendre que, quelque vils et méprisables que soient ceux qui se mêlent de nous donner des conseils, nous devons retenir notre colère et notre indignation. Si Jésus-Christ a souffert avec douceur et avec patience les conseils de gens qui ne croyaient point en lui, lors même que, par malignité et avec une mauvaise intention, ils lui conseillaient ce qui ne convenait point, quel pardon obtiendrons-nous, nous qui, n'étant que terre et que cendre, ne pouvons supporter ceux qui nous donnent des avis et des conseils, et qui nous regardons comme offensés pour peu que ceux qui nous reprennent soient inférieurs à nous? Considérez donc avec quelle douceur Jésus-Christ repousse le reproche qu'on lui fait. Ses frères lui disaient: «Faites-vous connaître au monde»; il leur répond: «Le monde ne saurait vous haïr: mais pour moi, il me hait», détournant ainsi leur accusation tant s'en faut, dit-il, que je cherche les hommages des hommes, qu'au contraire je ne cesse point de les reprendre, quoique je sache bien que par là je m'attire leur haine et la mort.

Et quand, direz-vous, les a-t-il repris? Mais plutôt, quand a-t-il cessé de les reprendre? Ne disait-il pas: «Ne pensez pas que ce soit moi qui vous doive accuser devant le Père: vous avez un accusateur qui est Moïse». (Jn 5,45) Et: «Je vous connais: je sais que vous «n'avez point en vous l'amour de Dieu». (Jn 5,42) Et: «Comment pouvez-vous croire, vous qui recherchez la gloire que vous vous donnez les uns aux autres, et qui ne recherchez point la gloire qui vient de Dieu seul?» (Jn 5,44) Ne voyez-vous pas que, par toutes ces choses, le divin Sauveur fait connaître que la haine qu'ils avaient conçue contre lui venait de ce qu'il les reprenait librement, et non de n'avoir pas gardé le sabbat?

Mais pourquoi les envoie-t-il à la fête, leur disant: «Allez, vous autres, à cette fête: pour moi, je n'y vais point encore?» Par là, il fait voir qu'il ne le dit point pour s'excuser, ou pour leur complaire, mais pour permettre l'observance du culte judaïque. Pourquoi donc Jésus est-il allé à la fête, après avoir dit: «Je n'irai pas?» Il n'a point dit simplement: Je n'irai pas, mais il ajoute: Maintenant», c'est-à-dire avec vous, «parce que mon temps n'est pas encore accompli». Cependant il ne devait être crucifié qu'à la Pâque prochaine. Pourquoi donc n'y alla-t-il pas avec eux? car s'il n'y fut pas avec eux, parce que son temps n'était pas encore venu, alors il n'y devait point aller du tout? Mais il n'y fut point pour souffrir la mort, seulement il y fut pour les instruire. Pourquoi y alla-t-il secrètement; car il pouvait y aller publiquement, se présenter au milieu d'eux, et réprimer leur fureur et leur violence comme il l'a souvent fait? C'est parce qu'il ne le voulait pas faire trop souvent. S'il y eût été publiquement, et s'il les eût encore frappés d'une sorte de paralysie, il aurait découvert sa divinité avant le temps d'une manière trop claire, et l'aurait trop fait éclater par ce nouveau miracle. Mais comme ils croyaient que la crainte le retenait et l'empêchait d'aller à la fête, il leur fait voir au contraire qu'il n'a nulle crainte; que ce qu'il fait, c'est par prudence, et qu'il sait le temps auquel il doit souffrir: quand ce temps sera venu, il ira alors librement et volontairement à Jérusalem. Pour moi, il me semble que ces paroles: «Allez, vous autres», signifient ceci: Ne croyez pas que je veuille vous contraindre de demeurer avec moi malgré vous. Et quand il ajoute: «Mon temps n'est pas encore accompli», il veut dire qu'il faut qu'il fasse des miracles, qu'il prêche et qu'il enseigne le peuple, afin qu'un plus grand nombre croie, et que les disciples, voyant la constance et l'assurance de leur Maître, et aussi les tourments qu'il a endurés, en deviennent plus fermes dans la foi.

3. Enfin, que ce que nous venons d'entendre nous apprenne, mes chers frères, à avoir de la bonté et de la douceur: «Apprenez de moi», dit Jésus-Christ, «que je suis doux et humble de coeur». (Mt 11,29) Et chassons toute aigreur. On nous insulte, donnons des marques de notre humilité; on s'emporte de colère et de fureur, adoucissons, apaisons cette fureur et cette colère; on nous chagrine, on nous [336] calomnie, on nous déshonore, on se rit, on se moque de nous; ne nous troublons point, ne nous abattons pas, et pour vouloir nous venger ne nous perdons pas nous-mêmes. La colère est une bête, et une bête furieuse et cruelle. C'est pourquoi chantons-nous à nous-mêmes les cantiques des divines Ecritures, et disons-nous: «Tu n'es que terre et que cendre» (Gn 3,19): pourquoi la, terre et la cendre «s'élèvent-elles d'orgueil?» (Si 10,9) Et: «L'émotion de la colère qu'il a dans le coeur est sa ruine». (Si 1,28) Et: «L'homme colère n'est point agréable».(Pr 11,25) En effet, rien n'est plus laid, rien n'est plus affreux que l'aspect d'un homme en colère. Que si son aspect est hideux et horrible, son âme l'est bien plus. Car comme d'un bourbier qu'on remue, il sort et se répand une odeur empestée, de même l'âme que la colère agite sera difforme et infecte.

Mais, direz-vous, je ne puis souffrir les injures que me dit mon ennemi. Pourquoi, je vous prie? Si ce qu'il dit de vous est vrai, vous devez en sa présence même donner des marques de votre componction, et lui être obligé; mais si ce qu'il dit est faux, méprisez ses discours. Dit-il que vous êtes pauvre? riez-en; que vous êtes de basse naissance, ou que vous avez perdu la raison? gémissez pour lui. «Celui qui dit à son frère: Vous êtes un fou, méritera d'être condamné au feu de l'enfer». (Mt 5,22) S'il vous outrage; pensez au supplice qui l'attend, et non-seulement vous retiendrez votre colère, mais encore vous répandrez des larmes. Personne ne se fâche contre un homme qui a la fièvre ou qu'une maladie aiguë transporte de fureur; au contraire, on en a pitié, on pleure sur lui. Or, voilà l'image d'une âme en colère. Mais si vous voulez vous venger, gardez le silence; cela mortifiera plus votre ennemi que tout ce que vous lui pourriez dire. Si, au contraire, vous repoussez l'injure par l'injure, vous attisez le feu.

Mais, direz-vous encore, si nous ne répliquons pas, on nous accusera de faiblesse. Non, on ne vous accusera pas de faiblesse, mais on admirera votre sagesse, votre philosophie. Que si l'injure qu'on vous dit allume votre colère, vous donnerez lieu de croire que ce qu'on vous reproche est véritable. Pourquoi, je vous prie, le riche, qui s'entend dire pauvre, en rit-il? N'est-ce pas parce qu'il sait bien qu'il n'est pas pauvre? Nous, de même, si nous rions quand on nous accuse, nous donnerons une très-grande preuve que nous ne sommes nullement coupables. Mais de plus, jusques à quand craindrons-nous les accusations des hommes? Jusques à quand mépriserons-nous notre commun Maître, et serons-nous attachés à la chair? «Car, puisqu'il y a parmi vous des jalousies», dit l'apôtre, «n'est-il pas visible que vous êtes charnels?» (1Co 3,3)

Soyons donc spirituels, domptons cette méchante et cruelle bête; entre la colère et la folie, il n'y a aucune différence: la colère est une espèce de démon passager, ou plutôt elle est pire qu'un démoniaque. On excuse un démoniaque, mais l'homme colère se rend digne de mille supplices; volontairement il court à sa perte et se jette dans l'abîme; perpétuellement agité de pensées tumultueuses, nuit et jour dans le trouble et dans les angoisses de l'âme, il souffre ici-bas même des tourments avant-coureurs de l'enfer. C'est pourquoi travaillons à nous délivrer et de ce supplice présent, et de la vengeance future. Chassons loin de nous cette maladie, et comportons-nous en toutes choses avec beaucoup de douceur, afin que nous procurions à nos âmes le repos et la tranquillité, et en ce monde et dans le royaume des cieux, que je vous souhaite, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles! Ainsi soit-il.

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HOMÉLIE XLIX. AYANT DIT CES CHOSES, IL DEMEURA EN GALILÉE.

- MAIS LORSQUE SES FRÈRES FURENT PARTIS, IL ALLA AUSSI LUI-MÊME A LA FÊTE, NON PAS PUBLIQUEMENT, MAIS COMME S'IL EUT VOULU SE CACHER. (VERS. 9, 1O, JUSQU'AU VERSET 24)

Jn 7,9-24

ANALYSE.

1. Jésus-Christ n'agit pas toujours en, Dieu, mais souvent aussi en homme, afin de nous laisser des exemptes à suivre.
2. Autre est l'hypostase de la personne du Père, autre celle du Fils. - Jésus-Christ se dit égal à Dieu son Père: embûches des Juifs.
3. Jésus-Christ réfute l'accusation de violation du sabbat portée contre lui. - Les instructions que Jésus-Christ a données aux Juifs, S'adressent à tous les hommes. - Dans l'exercice de la charité du prochain, ne pas faire acception de personne. - Etre incorruptible dans ses jugements. - Exercer la justice sans respect humain. - Vivre avec une mauvaise conscience, c'est vivre dans les tourments: - Point d'autre ami dans l'autre monde que la vertu: elle seule délivre de l'enfer, et fait entrer dans le paradis.


1. Les choses que, par une sage dispensation, Jésus-Christ a faites à la manière des hommes, non-seulement il les a faites pour confirmer le mystère de son incarnation, mais encore pour nous instruire et nous former à la vertu. Si en toute occasion il eût agi en Dieu, où aurions-nous pu apprendre la conduite que nous devons garder dans les rencontres épineuses et difficiles; comme ici, par exemple, s'il s'était présenté au milieu des Juifs qui ne respiraient que sa mort, arrêtant tout à coup leur violence et leur fureur? Si donc Jésus-Christ n'avait point cessé de faire des miracles et des prodiges, si toujours il avait agi en Dieu, nous, venant à tomber dans les mêmes périls, et ne pouvant nous en tirer de même que lui, comment saurions-nous ce qu'il faut faire; s'il faut nous livrer à la mort ou nous cacher et pourvoir à notre sûreté, afin de prêcher et de répandre la parole de Dieu? Comme donc, faute d'avoir la même puissance, nous n'aurions pas su la conduite à tenir en pareil cas; c'est pour cela même que Jésus-Christ nous l'a appris par son exemple. Car l'évangéliste rapporte que «Jésus, ayant dit ces choses, demeura en Galilée. Mais que, lorsque ses frères furent partis, il alla aussi lui-même à la fête, non pas publiquement, mais comme s'il eût voulu se cacher». Ces paroles: «Lorsque ses frères furent partis», marquent qu'il ne voulut pas aller à la fête avec eux. Voilà pourquoi il demeura en Galilée et ne se fit point connaître, quoiqu'ils le lui conseillassent.

Mais pourquoi Jésus-Christ, qui parlait toujours publiquement, se conduit-il maintenant comme s'il eût voulu se cacher? L'évangéliste ne dit point qu'il se soit caché, mais, comme s'il eût voulu se cacher. Car il fallait, comme j'ai dit, qu'il nous apprît les ménagements que nous devons, garder en pareil cas. Et d'ailleurs, ce n'était pas la mmême chose de se faire voir à des gens en colère et en fureur contre lui, ou de se montrer plus tard, après la fête.

«Les Juifs donc cherchaient, et ils disaient: Où est-il (11)?» Voilà, certes, une belle action pour solenniser la fête! Ils cherchent Jésus avec empressement dans le dessein de le faire mourir; un jour de fête ils délibèrent sur les moyens de le prendre. En un atome endroit de même, ils disent: «Que pensez-vous de ce qu'il n'est point venu ce jour de fête?» (Jn 11,56) Et ici ils disaient: «Où est-il?» Par un excès de haine ils ne daignent même pas le nommer. Sûrement, c'est là bien célébrer, bien sanctifier la fête: c'est là montrer une grande piété. Ils voulaient profiter de la fête même pour [338] s'emparer de Jésus. «Et on faisait plusieurs discours de lui en secret parmi le peuple». Au reste, je crois qu'ils étaient entrés en fureur à cause du lieu où avait été opéré le miracle, et qu'ils n'en étaient point tant irrités par indignation de l'oeuvre qu'il avait faite; que par crainte qu'il n'en fît d'autres semblables. Mais il arriva tout le contraire de ce qu'ils méditaient Malgré eux-mêmes, ils relevèrent sa gloire et le rendirent illustre; n car les uns disaient «C'est un homme de bien; les autres disaient: Non, mais il séduit le peuple». La première opinion, je là crois du peuple; l'autre, des sénateurs et des prêtres. Car c'est à ces hommes méchants et jaloux qu'il appartenait de calomnier Jésus. Il séduit le peuple, disent-ils: En quoi, je vous prie? Est-ce en feignant d'opérer des miracles qu'il ne fait point? Mais vous savez le contraire par expérience. «Personne néanmoins n'osait en parler avec liberté, par la craince qu'on avait des Juifs (13)». Vous voyez partout que les grands, montrent un coeur corrompu, et que le peuple a de bons sentiments, mais manque du courage qui lui était si nécessaire.

«Or, vers le milieu de la fête, Jésus monta au temple où il se mit à enseigner (14)». L'attente où ils avaient été les rendit plus attentifs à sa parole. Remarquez, en effet, avec quel empressement ceux qui les premiers jours le cherchaient, et disaient: «Où est-il?» s'approchent de lui, et l'écoutent parler, tant ceux qui disaient: c'est un homme de bien, que les autres qui disaient c'est un méchant homme. Mais les uns l'écoutaient pour profiter de sa doctrine, l'admirer, et l'applaudir; les autres, pour le surprendre dans ses paroles et l'arrêter. Au reste, cette accusation: «Il séduit le peuple», était fondée sur sa doctrine, car ils ne la comprenaient pas. Et ces mots: «C'est un homme de bien», sur ses miracles. Jésus-Christ ayant donc apaisé leur fureur, leur parla avec tant de fermeté et d'assurance, qu'ils écoutaient avec attention, la colère ne leur bouchant plus les oreilles. L'évangéliste ne nous apprend point ce qu'il enseigna, seulement il rapporte qu'il disait des choses admirables, qu'il les adoucit, et changea leurs dispositions, tant sa parole avait de vertu et d'efficace! Ceux même qui disaient: «Il séduit le peuple», étant tout changés, s'étonnaient alors et l'admiraient, c'est pourquoi ils parlaient de lui en ces termes: «Comment cet homme sait-il les lettres, lui qui ne les a point étudiées (15)?» Ne voyez-vous pas que, par ces paroles, l'évangéliste veut nous faire connaître que leur admiration était pleine de malignité? Il ne dit pas qu'ils avaient admiré sa doctrine et reçu sa parole; mais seulement qu'ils admiraient, c'est-à-dire qu'ils s'étonnaient, disant: «D'où lui vient cette science,» quand ce doute aurait dû leur faire apercevoir qu'il n'y avait rien d'humain chez lui.

Mais, comme ils ne voulaient pas reconnaître cela ni le confesser, et qu'ils se bornaient au simple étonnement, voici ce que leur répond le divin Sauveur; écoutez-le: «Ma doctrine n'est pas ma doctrine (16)». Par là il répond encore à leur soupçon; les renvoyant au Père; pour leur fermer la bouche. «Si quelqu'un», dit-il, «veut faire la volonté de Dieu, il reconnaîtra si ma doctrine est de lui, ou si je parle de moi-même (17)». C'est-à-dire, défaites-vous de votre méchanceté, chassez la colère, l'envie, et cette, haine que vous avez conçue contre moi sans raison,, et alors rien ne vous empêchera de: connaître que ma parole est véritablement celle de Dieu: voilà ce qui maintenant couvre votre esprit de ténèbres, voilà ce qui pervertit votre jugement et ne vous permet pas de voir la Vérité: si vous ôtez ces obstacles vos soupçons et vos doutes tomberont, et disparaîtront. Mais Jésus ne leur parla point ainsi, pour ne leur pas faire un reproche trop dur et trop piquant; cependant il leur insinue tout cela par ces paroles: «Celui qui fait, la volonté de Dieu, reconnaîtra si ma doctrine est de lui, ou si je parle de moi-même», c'est-à-dire, si j'enseigne une doctrine étrangère ou nouvelle, ou contraire à côté de Dieu. Car, en employant ce mot «de moi-même», Jésus-Christ veut toujours dire ceci; Je ne dis rien de contraire à la volonté de Dieu: tout ce que veut le Père, je le veux. aussi. «Si quelqu'un fait la volonté de Dieu, il reconnaîtra si ma doctrine»... Que signifié cela? «Si quelqu'un fait la volonté de Dieu?» Si quelqu'un aime la vertu, il sentira bientôt la force de mes paroles. Si quel. qu'un. veut lire avec soin les prophéties, il connaîtra si ce que j'enseigne y est conforme ou non.

2. Comment sa doctrine peut-elle être sa doctrine, et ne l'être pas? Car il n'a point dit: Cette doctrine n'est pas ma doctrine; mais [339] après avoir dit ma doctrine, et se l'être appropriée, il ajoute incontinent: ce n'est pas ma doctrine. Comment la même chose peut-elle être et n'être pas à lui,? Elle est sa doctrine, parce que là doctrine qu'il enseignait, il ne Pavait pas apprise: elle n'est pas sa doctrine, parce que c'est la doctrine de son Père. Pourquoi dit-il donc: «Tout ce qui est à mon Père est à moi, et tout ce qui est à moi est à mon Père?» (Jn 17,10) Car si la doctrine, pour être de votre Père, n'est point à vous, ce que vous venez de dire se contredit, puisque c'est pour cela même qu'elle doit être à vous. Mais cette parole: «N'est pas ma doctrine», déclare d'une manière très-forte et très-expresse, que la volonté du Fils et celle du Père ne sont qu'une seule et même volonté; c'est comme s'il disait: «Ma doctrine ne «diffère nullement de celle du l'ère», comme si elle était d'un autre. Car, quoique autre soit la personne du Père, autre la mienne, néanmoins je parle et j'agis de manière qu'on ne doit point croire que ce que le Père fait et ce qu'il dit soit différent de ce que je dis et de ce que je fais, et qu'au contraire ce que je fais et ce que je dis est absolument la même chose que ce que dit et ce que fait le Père. Jésus-Christ emploie ensuite un autre argument auquel on ne peut répondre, et qui est fondé sur l'usage et la pratique des hommes. Quel est-il, cet argument? «Celui qui parle de son propre mouvement, cherche sa propre gloire (18)». C'est-à-dire celui qui se veut faire une doctrine propre et particulière, ne cherche autre chose en cela que de s'acquérir de la gloire. Or, moi, si je ne cherche pas à m'attirer de la gloire, pourquoi voudrais je me faire une doctrine propre? Celui qui parle de son propre mouvement, c'est-à-dire, celui qui enseigne une doctrine différente et qui lui est propre, ne l'enseigne que pour se faire un nom, pour se faire valoir et pour en tirer vanité; mais si je n'agis, si je ne parle que pour la gloire de celui qui m'a envoyé, pourquoi voudrais-je enseigner une autre doctrine?

Ne remarquez-vous pas, mes frères, que Jésus-Christ a une raison pour dire qu'il ne kit rien de lui-même? Quelle est-elle, cette raison? C'est de convaincre les Juifs qu'il ne cherche point à se faire honorer du peuple. C'est pourquoi, quand il se sert d'expressions grossières comme: «Je cherche la gloire de mon Père»; c'est pour leur montrer partout qu'il ne cherche point sa propre gloire. Au reste, pour user ainsi de ces sortes d'expressions simples et grossières, le Sauveur avait plusieurs raisons, savoir: afin qu'on ne le crût pas non engendré, et contraire à Dieu; afin qu'on crût qu'il s'était revêtu de la chair, pour s'accommoder à la faiblesse et à la portée de ses auditeurs; afin de nous apprendre à rechercher l'humilité et à fuir l'ostentation. Mais il n'en avait qu'une seule pour parler d'une manière élevée, c'était la grandeur et la dignité de sa nature. En effet, si, pour l'avoir entendu dire qu'il était avant qu'Abraham fût au monde (Jn 8,58), les Juifs se choquèrent et se mirent en colère, à quel excès de fureur ne se seraient-ils pas portés, s'ils ne lui avaient jamais ouï dire que des choses sublimes et élevées?

«Moïse ne vous a-t-il pas donné la loi (19)? Et néanmoins nul de vous n'accomplit la loi. Pourquoi cherchez-vous à me faire mourir (20)?» Quel rapport ces paroles ont-elles à celles qui précèdent? Les Juifs imputaient deux crimes à Jésus-Christ: l'un, qu'il ne gardait point le sabbat; l'autre, qu'il appelait Dieu son Père, et qu'il se faisait égal à Dieu. Il est même visible que réellement et de fait Jésus-Christ se disait Fils de Dieu et égal à Dieu, et que ce n'était pas là un vain soupçon des Juifs: il est également certain qu'il ne se disait pas Fils de Dieu, comme sont les hommes en général, mais qu'il s'attribuait cette qualité comme lui étant propre et particulière à lui seul. Plusieurs, souvent, ont appelé Dieu leur Père; en voici un exemple «Un même Dieu ne nous a-t-il pas tous créés? N'avons-nous pas tous un même Père?» (Ml 2,10) Mais ce n'était pas à dire que le peuple fût égal à Dieu. C'est pourquoi ceux qui l'entendaient dire ne se choquaient et ne se scandalisaient point.. Comme donc Jésus-Christ a souvent repris les Juifs, pour avoir dit qu'il n'était pas envoyé de Dieu, comme il s'est défendu de n'avoir pas gardé le sabbat; de même si ce n'eût été que sur un simple soupçon, sur une opinion qui se serait élevée parmi eux, qu'on l'accusât de se faire égal à Dieu, et non parce qu'il l'entendait lui-même ainsi, sans doute il les aurait repris et leur aurait dit: Pourquoi me croyez-vous égal à Dieu? je ne le suis point. Mais il ne leur a rien dit de semblable; au contraire, dans les [340] paroles suivantes, il montre qu'il est égal à Dieu. Ces paroles: «Comme le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, 1e Fils le fait de même» (Jn 5,21); et: «Afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père» (Jn 5,23); et: «Les oeuvres que le Père fait, le Fils les fait aussi comme lui». (Jn 5,19) Toutes ces choses, dis-je, établissent et confirment son égalité. Parlant de la loi, il dit: «Ne pensez pas que je sois venu «détruire la loi ou les prophètes». (Mt 5,17) C'est de cette manière qu'il a coutume d'arracher les mauvais soupçons. Mais ici, l'opinion de l'égalité à l'égard du Père, non-seulement il ne l'ôte pas, mais il l' appuie et l'affermit.

C'est pourquoi, lorsque les Juifs lui dirent «Vous vous faites vous-même Dieu», il ne les détourna point de ce sentiment; au contraire, il le confirma en disant: «Or, afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés: Levez-vous, dit-il alors au paralytique, emportez votre lit et marchez». (Mt 9,6) Donc, la première accusation de se faire égal à Dieu, loin de la détruire, il la confirme; il montre aussi qu'il n'est pas contraire à Dieu, mais qu'il dit et qu'il enseigne les mêmes choses que le Père. Enfin, la seconde, de ne point garder le sabbat, il la repousse par ces paroles: «Moïse ne vous a-t-il pas donné la loi? Et néanmoins nul de vous n'accomplit la loi». Comme, s'il disait: La loi défend de tuer; mais vous, vous tuez; et toutefois vous in' accusez d'être un violateur de la loi. Mais pourquoi a-t-il dit: «Nul de vous?» Parce que tous cherchaient à le faire mourir. Pour moi, dit-il, si j'ai violé la loi, je l'ai violée pour sauver la vie à un homme; mais vous, vous la violez pour faire du mal. Quand même je la violerais, je serais excusable, le faisant pour sauver; et ce ne serait point à vous de me le reprocher, à vous qui violez la loi dans les choses graves et importantes: car, ce que vous faites renverse entièrement la loi.

Il dispute ensuite contre eux: il l'avait déjà fait autrefois, et plus au long; mais alors d'une manière plus élevée et conforme a sa dignité, maintenant plus simple et plus grossières Pourquoi? Parce qu'il ne voulait pas si souvent les irriter; car cette fois, dans le transport de, leur colère, ils n'auraient pas reculé devant un meurtre. Voilà pourquoi il persiste à apaiser leur esprit, employant ces deux moyens et le reproche de leur crime: «Pourquoi cherchez-vous à me faire mourir?» et une remontrance pleine de modestie et de douceur: «Moi qui vous ai dit la vérité» (Jn 8,40); et en leur faisant connaître qu'eux, qui ne respirent que le sang et le carnage, ils ne doivent pas juger les autres.

Pour vous, mon cher auditeur, considérez, je vous prie, combien est humble l'interrogation de Jésus-Christ, combien est insolente et cruelle la réponse des Juifs: «Vous êtes possédé du démon. Qui est-ce qui cherche à «vous faire mourir (20)?» Parole de colère et de fureur, d'impudence; et cela parce qu'on leur fait un reproche auquel ils ne s'attendaient pas et qu'ils se croyaient insultés. Car, ainsi que les voleurs chantent lorsqu'ils se mettent en embuscade, et qu'ensuite, pour surprendre celui qu'ils veulent attaquer, ils se tiennent dans le silence; les Juifs agissent de même. Au reste, Jésus-Christ renonçant à les confondre, de peur de les rendre plus impudents, se justifie de nouveau sur la violation du sabbat, et dispute avec eux sur la loi.

3. Mais voyez avec quelle prudence. Il n'est pas surprenant, dit-il, que vous ne me croyiez point, que vous ne vous soumettiez pas à moi, vous qui n'écoute même pas la loi que vous paraissez suivre, et qui la violez, cette loi que vous prétendez tenir de Moïse. Il n'est donc pas extraordinaire que vous ne soyiez pas attentifs à ma parole. Comme ils avaient dit

«Dieu a parlé à Moïse: mais pour celui-ci, nous ne savons d'où il est» (Jn 9,29); Jésus leur montre qu'ils font une injure à Moïse, en ne se soumettant pas à la loi qu'il leur a donnée.

J'ai fait une seule action et vous en êtes «tout surpris (21)». Sur quoi remarquez, mon cher auditeur, que quand Jésus veut se justifier et réfuter le crime dont on l'accuse, il ne fait pas mention de son Père, mais il présente sa personne seule: «J'ai fait une seule action»; il veut faire voir que s'il ne l'avait point faite, ce serait alors qu'on pourrait dire que la loi aurait été violée, et qu'il y a des choses qu'il est plus nécessaire d'observer que la loi même, et que Moïse avait reçu contre la loi un commandement d'un ordre plus élevé que n'était la loi. Car la circoncision était [341] au-dessus du sabbat, quoiqu'elle vînt des patriarches et non de la loi. Or, moi j'ai fait une action meilleure et plus grande que la circoncision même. Il aurait pu arriver ensuite aux préceptes de la loi et montrer, par exemple, que les prêtres violaient le sabbat, comme il l'avait déjà dit; mais il parle d'une manière plus générale; au reste, ce mot: «Vous êtes surpris», signifie: vous êtes troublés.

Or, si la loi avait dû rester immuable, la circoncision ne serait pas au-dessus d'elle; au reste, Jésus-Christ ne dit pas avoir fait une action plus grande que la circoncision, mais ses paroles en impliquent la preuve lorsqu'il dit: «Si un homme reçoit la circoncision le jour du sabbat (23)». Remarquez-vous, mes frères, que lorsque le Sauveur détruit la loi, c'est alors qu'elle demeure plus ferme? Remarquez-vous que la violation du sabbat est l'observance de la loi, en sorte que, si le sabbat n'avait pas été violé, nécessairement la loi l'eût été? Par conséquent, dit-il,-j'ai affermi la loi. Jésus n'a point dit: Vous vous mettez en colère contre moi, parce que j'ai fait une action plus grande que- la circoncision: mais seulement il expose le fait et leur laisse à juger ensuite, si l'entière guérison d'un homme n'est pas plus nécessaire que la circoncision. On viole la loi, dit-il, pour faire à un homme une marque qui ne lui sert de rien pour la santé, et, pour l'avoir guéri d'une si grande maladie, on excite votre colère?

«Ne jugez point selon l'apparence (24)». Que veut dire cela, «selon l'apparence?» Quoique Moïse: soit parmi vous en plus grande réputation que moi, ne jugez pas pour cela sur la dignité des personnes, mais sur la nature des choses; c'est là en effet juger, selon la justice. Pourquoi personne n'a-t-il blâmé Moïse? Pourquoi personne ne s'est-il opposé à lui, quand il a ordonné de violer le sabbat par un précepte étranger à la loi? Mais il souffre que ce précepte, on le regarde comme supérieur à sa loi; ce précepte, dis-je, que la loi n'a point établi, mais. qui vient d'ailleurs véritablement il y a là de quoi s'étonner. Vous cependant, qui n'êtes pas des législateurs, vous vengez la loi d'une manière outrée, mais Moïse, qui ordonne de violer la loi par un précepte qui n'est point de la loi, est plus digne de toi que vous. Lors donc que Jésus-Christ dit: J'ai guéri un homme dans tout son corps, il fait entendre que la circoncision ne guérit qu'une partie du corps. Et quelle est cette guérison que procure la circoncision? «Tout homme», dit Moïse, «qui ne sera point circoncis, sera exterminé». (Gn 17,14) Pour moi, je n'ai pas guéri une maladie partielle, mais j'ai entièrement rétabli un corps qui était tout corrompu. «Ne jugez donc pas selon l'apparence».

Pensons, mes frères, que ces paroles du divin Sauveur ne s'adressent pas seulement aux Juifs, mais à nous encore. Ne manquons en rien à la justice, mais faisons tous nos efforts poux y rester fidèles. Ne regardons pas si celui qui se présente à nous est pauvre ou riche.; n'examinons pas les personnes, mais l'affaire que nous avons à juger. «Vous n'aurez point de pitié du pauvre en jugement». (Ex 23,3) Que veut dire cela? Si c'est un pauvre qui a commis une injustice et qui a fait du tort, que votre coeur ne s'amollisse point, ne vous laissez point fléchir. Mais s'il ne faut point avoir de compassion du pauvre, bien moins en faut-il avoir du riche. Au reste, ce n'est pas seulement aux juges, mais à tous que je m'adresse ici; il ne faut jamais blesser la justice, mais toujours inviolablement la garder. «Le Seigneur aime la justice», dit encore l'Ecriture, «mais celui qui aime l'iniquité, hait son âme». (Ps 10,6-8)

Ne haïssons pas notre âme, je vous en conjure, mes chers frères, et n'aimons pas l'iniquité. Ici-bas, nous n'en retirerions que peu ou point de profit, et en l'autre monde elle nous serait fatale. Disons mieux, nous ne jouirons point, même ici-bas de notre iniquité. Vivre dans les délices avec une mauvaise conscience, n'est-ce pas un tourment et un supplice? Aimons donc la justice et ne violons jamais cette loi. Et quel fruit emporterons-nous de cette vie, si nous n'en sortons avec la vertu? Qui nous protégera en l'autre monde? Sera-ce l'amitié, sera-ce la parenté, sera-ce la faveur? Que dis-je, la faveur? Quand bien même nous aurions Noé pour père, ou Job, ou Daniel, tout cela ne nous servira de rien si nos oeuvres nous accusent; pour tout aide et pour tout secours nous n'avons besoin que de la vertu. Elle seule nous pourra garantir de tous périls et nous délivrer du feu éternel; elle nous fera entrer dans le royaume des cieux, que je vous souhaite, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire soit au Père et au Saint- Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles! Ainsi soit-il.




Chrysostome sur Jean 48