Chrysostome sur Jean 73

HOMÉLIE LXXIII. SIMON PIERRE LUI DIT: SEIGNEUR, OU ALLEZ-VOUS? JÉSUS LUI RÉPONDIT: VOUS NE POUVEZ MAINTENANT ME SUIVRE OU JE VAIS,

MAIS VOUS ME SUIVREZ APRÈS. (VERS. 36, JUSQU'AU VERS. 7 DU CHAP. 14)

Jn 13,36-38 Jn 14,1-7

ANALYSE.

1. Vivacité et ardeur de saint Pierre. - L'amour n'est rien sans la grâce. - Chute de saint Pierre prédite. - Saint Pierre, Coryphée ou chef du collège apostolique.
2. Jésus-Christ, pour ne pas attrister ses disciples, leur cachait certaines choses. - Jésus-Christ montre une fois de plus qu'il est égal au Père - Vision se prend pour connaissance.
3. Avoir grand soin de laver toutes les souillures de l'âme: premièrement, c'est le baptême qui les efface, ensuite plusieurs autres moyens. - Le premier, l'aumône. - Qualité qu'elle doit avoir pour être bonne, juste et utile. - Offrir à Dieu une oblation de ses rapines, c'est lui offrir son péché, c'est souiller l'autel et les âmes des saints. - Autel de pierre. - La moindre rapine infecte toutes les richesses. - On se lavait les mains en entrant dans l'église. - Il est indifférent de prier sans avoir lavé les mains. - On fait avec grand soin les petites choses, on néglige les plus grandes. - Faire l'aumône de rapines, c'est un crime. - Il vaut mieux ne point faire des oeuvres de miséricorde, que de les faire de nos vols et de nos concussions.

1. L'amour est un grand bien: c'est quelque chose de plus impétueux que le feu, qui s'élève jusqu'au ciel même, et dont rien ne peut arrêter la violence. Pierre, cet homme vif et bouillant, ayant entendu dire à son Maître: «Vous ne pouvez pas venir où je vais», que répond-il? «Seigneur, où allez-vous?» Il ne le dit pas tant pour être instruit que par le désir qu'il a de le suivre. Il n'ose pas dire: Je vais, je vous suis, mais il dit: «Où allez-vous?» Jésus-Christ ne répond point à ses paroles, mais à sa pensée, comme sa réponse le fait connaître. Et que lui répond-il? «Vous ne pouvez maintenant me suivre où je vais». A ces paroles, ne voyez-vous pas que Pierre désirait de suivre son Maître, et que c'est pour cela qu'il lui a demandé où il allait? Et, chose étonnante, cette réponse: «Vous me suivrez après», ne lui suffit pas pour le retenir, ni pour réprimer la violence de son désir, encore qu'il entende qu'il a lieu d'espérer, mais il se laisse emporter jusqu'à dire: «Pourquoi ne vous puis-je pas suivre maintenant? Je donnerai ma vie pour vous (Jn 13,37)». Comme il n'avait plus la crainte d'être le traître, et qu'il était regardé comme un bon et fidèle disciple, il interroge enfin hardiment et avec confiance lorsque tous les autres gardent le silence.

Ah! Pierre, que dites-vous? Votre Maître vous dit: «Vous ne pouvez pas», et vous répondez: Je puis! Vous apprendrez donc, par votre propre expérience, que votre amour n'est rien sans la grâce d'en-haut. Et par là on voit clairement que ce fut pour l'utilité de Pierre que le Sauveur permit sa chute. Pierre ayant dit avec trop de confiance et de hardiesse: «Je vous suivrai», Jésus-Christ voulut l'instruire en lui faisant connaître sa faiblesse. Or, comme il persévérait dans sa véhémence, Jésus-Christ, à la vérité, ne le porta point, ni le poussa point à le renoncer, mais il l'abandonna, afin qu'il connût sa faiblesse.

Jésus prédit qu'il serait livré et mis à mort. Pierre répondit: «Epargnez-vous à vous-même tous ces maux, cela ne vous arrivera point» (Mt 26,22); il en fut repris, et il ne se corrigea point; Jésus voulant lui laver les pieds, il s'y opposa et dit: «Vous ne me laverez jamais les pieds!» (Jn 13,8) Et encore, son Maître lui dit: «Vous ne pouvez maintenant me suivre», et il répond «Quand même tous vous renonceraient, je [465] ne vous renoncerai point». (Jn 13,35) Comme donc il était visible que Pierre tombait dans l'arrogance et ne cherchait qu'à contester, son Maître l'avertit enfin de ne plus disputer ni s'opposer à ce qu'il veut. Saint Luc nous insinue ces choses, en rapportant que Jésus-Christ dit: «J'ai prié pour vous, afin que votre foi ne vienne point à manquer» (Lc 22,32); c'est-à-dire, afin que vous ne périssiez pas entièrement et jusqu'à la fin. Le Sauveur nous apprend aussi qu'il faut pratiquer l'humilité en toutes choses, et il nous fait connaître que la nature humaine n'est rien par soi, «qu'elle n'est en soi que faiblesse et qu'infirmité». Comme Pierre était toujours prêt à disputer, se laissant emporter à la violence de son amour, Jésus-Christ l'avertit de s'en corriger, de peur que, dans la suite, lorsqu'il aura reçu le gouvernement de tout le monde, il ne tombe dans la même faute; et il permet sa chute, afin qu'il se connaisse bien lui-même par le souvenir de ce qui lui est arrivé.

Mais voyez combien est grande cette chute: Pierre ne renonça pas une ou deux fois son Maître, mais il s'oublia au point de le renoncer trois fois en peu de temps, afin qu'il connût qu'il n'avait point tant aimé son Maître qu'il n'en avait été aimé. Et néanmoins, à celui-là même qui avait fait une si grande chute, Jésus dit encore: «M'aimez-vous plus que ne font ceux-ci?» (Jn 21,15) Ce n'est donc pas pour avoir été froid que Pierre est tombé, mais c'est pour avoir été privé du secours d'en-haut: Jésus reçoit son amour, mais l'esprit de contradiction qui naît de cet amour, il le retranche et le rejette: Pierre, si vous m'aimez, vous devez vous soumettre et obéir à celui que vous aimez.

Jésus-Christ vous a dit, et à vous et à vos compagnons: «Vous ne pouvez pas»; pourquoi disputez-vous? Quoi! Vous ne concevez pas ce que c'est qu'une négation que Dieu prononce? Eh bien! puisque cela ne suffit point à vous convaincre que ce que je déclare impossible ne saurait arriver, vous l'apprendrez par votre renoncement, qui vous a paru d'abord incroyable. L'une de ces choses vous était inconnue: de l'autre, vous aviez une connaissance au fond de votre âme: néanmoins, vous voyez se réaliser cela même à quoi vous ne vous attendiez pas.

«Je donnerai ma vie pour vous». (Jn 13,37) Comme Pierre avait entendu dire à son Maître que personne ne peut montrer un plus grand amour qu'en donnant sa vie (Jn 15,13), aussitôt cet homme plein de feu, dont l'amour est insatiable, saisit cette, parole et croit pouvoir atteindre à ce qu'il y a de plus élevé. Mais Jésus-Christ, pour lui montrer qu'il n'appartient qu'à lui seul de promettre avec infaillibilité un pareil sacrifice, lui repartit: «Le coq ne chantera point que vous ne m'ayiez renoncé trois fois (Jn 13,38)»; c'est-à-dire, tout à l'heure. Et, en effet, le moment n'était plus très-éloigné. C'était fort avant dans la nuit que Jésus disait ces choses, et déjà la première et la seconde veille étaient passées.

«Que votre coeur ne se trouble point. (Jn 14,1)» Jésus-Christ le dit, parce qu'il y avait toute apparence que ses paroles avaient troublé ses disciples. Si le chef, qui était si zélé et si plein d'ardeur, s'entendit faire cette terrible prédiction, qu'il renoncerait son Maître avant que le coq eût chanté trois fois, il était bien croyable que les disciples devaient être dans une grande affliction, et dans une tristesse capable de briser même des coeurs de diamant. Comme donc la pensée de ces choses ne pouvait manquer de troubler les disciples, et de les jeter dans l'effroi, leur Maître les console en leur disant: «Que votre coeur ne se trouble point»: commençant à montrer par là la vertu et la puissance de sa divinité; puisque ce qu'ils ont dans le coeur il le connaît, et il le leur découvre publiquement.

«Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi (Jn 14,1)»; c'est-à-dire, toutes vos afflictions passeront: car, croire en moi et en mon Père, c'est quelque chose de plus fort que toutes les afflictions, et cette foi ne vous laissera point succomber aux épreuves. Le Sauveur ajoute ensuite: «Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père. (Jn 14,2)». Comme il a consolé Pierre dans sa tristesse, en disant: «Mais vous me suivrez après», il console de même ses autres disciples en leur donnant la même espérance. Car, de peur qu'ils ne croient que la promesse qu'il fait ne regarde que Pierre seul, il dit: «Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père. Si cela n'était, je vous l'aurais dit, car je m'en vais vous préparer le lieu». Et c'est comme s'il disait vous serez reçus dans la même maison que Pierre. Il y a là un grand nombre de demeures, [466] et on ne peut pas dire qu'il y ait besoin de préparatifs. Et encore, comme Jésus avait dit «Vous ne pouvez maintenant me suivre», de peur qu'ils ne pensent qu'ils étaient exclus de cette maison, il ajoute: «Afin que là où je suis, vous y soyez aussi (Jn 14,3)». J'ai, dit-il, un si grand soin de vos demeures, que je les aurais déjà préparées, si elles ne l'étaient depuis longtemps: par là, le divin Sauveur leur fait connaître qu'ils doivent avoir en lui une grande confiance.

2. Ensuite, afin que ses paroles ne leur paraissent pas une flatterie, et qu'ils croient que la chose est réellement telle qu'il la dit, il ajoute: «Vous savez bien où je vais, et vous en savez la voie (Jn 14,4)». Ne voyez-vous pas, mes frères, de quelle manière Jésus-Christ leur montre qu'il n'a point dit ces choses vainement et témérairement? Ces paroles: «Vous savez où je vais», Jésus les dit, parce qu'il voyait qu'ils avaient un grand désir de savoir où il allait. En effet, Pierre ne lui avait point demandé «où il allait», pour être instruit, mais pour le suivre. Et comme il avait été repris, comme Jésus-Christ avait montré la possibilité de ce qui paraissait impossible: et aussi l'apparente impossibilité ayant inspiré aux disciples le désir d'apprendre où il allait, Jésus leur dit: «Et vous en savez la voie». Car, comme au moment où il a dit à Pierre: «Vous me renoncerez», sans que personne en eût dit une seule parole, parce qu'il sonde et qu'il voit ce qui se passe dans les coeurs, il ajoute: «Ne vous troublez point»; de même ici, en disant: «Vous savez», il a découvert et déclaré le désir de leur coeur, et il leur donne lieu de l'interroger. Mais cette demande: «Où allez-vous?» Pierre l'a faite par un violent amour, et Thomas, au contraire, dit par crainte: «Seigneur, nous ne savons où vous allez (Jn 14,5)». Nous ne connaissons pas ce lieu, dit-il, «et comment pouvons-nous en savoir la voie?»

Remarquez, mes frères, avec quel respect Thomas parle à son Maître. Il n'a point dit: Faites-nous connaître ce lieu, mais «nous ne savons où vous allez:» car c'est là ce qu'ils désiraient tous d'apprendre depuis longtemps. Si les Juifs, lorsqu'ils entendaient ainsi parler Jésus, étaient en peine du lieu où il irait, encore qu'ils souhaitassent être délivrés de lui, à combien plus forte raison ceux qui ne voulaient jamais se séparer de lui devaient-ils désirer de l'apprendre? Mais quoique le respect qu'ils ont pour lui les retienne, cependant leur amour et leur inquiétude l'emportent, et ils font leur demande. Que leur répond donc Jésus-Christ? «Je suis la voie, la vérité et la vie; personne ne vient au Père que par moi (Jn 14,6)». Pourquoi donc, Pierre ayant demandé à son Maître où il allait, ne lui a-t-il pas aussitôt répondu: Je m'en vais à mon Père; pour vous, vous ne pouvez pas maintenant y venir? pourquoi fait-il un si long circuit de paroles, pourquoi tant de questions et de réponses? On comprend qu'il n'ait point découvert la vérité aux Juifs; mais à ses disciples, pourquoi ne l'a-t-il pas déclarée? Il a déclaré et à ses disciples et aux Juifs, qu'il était sorti de Dieu, et qu'il retournait à Dieu. (Jn 13,3 Jn 16,27) Et maintenant il le dit plus clairement qu'auparavant. A la vérité, aux Juifs, il ne s'est pas si ouvertement expliqué. S'il eût dit: vous ne pouvez pas venir à mon Père, ils auraient cru qu'il le disait par vanité et par ostentation. Mais, leur parlant d'une manière obscure, il les tient dans le doute.

Mais, direz-vous, pourquoi a-t-il répondu de même à ses disciples et à Pierre? Comme il connaissait son esprit vif et bouillant, et qu'il était toujours prêt à presser et à interroger, il lui a fait une réponse obscure pour l'arrêter et pour détourner ses questions. Mais l'obscurité de sa réponse ayant produit l'effet qu'il voulait, il lui découvre de nouveau et plus clairement ce qu'il demandait, car ayant répondu: «Personne ne peut venir où je vais», il ajoute: «Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père». Et encore: «Personne ne vient au Père que par moi». Jésus-Christ ne voulait pas au commencement découvrir ces choses à ses disciples, pour ne les pas jeter dans une trop grande tristesse. Mais après les avoir consolés, il les leur déclare. Car il a beaucoup diminué leur tristesse par la réprimande qu'il a faite à Pierre; et la crainte qu'ils avaient de s'en attirer une pareille, les rendait alors plus retenus et plus circonspects.

«Je suis la voie». C'est l'explication de la phrase: «Personne ne vient au Père que par moi»; et ces paroles: «Je suis la vérité et la vie», marquent que tout ce qu'il a prédit arrivera infailliblement. Si je suis la vérité, il ne sortira point de mensonge de ma bouche; si je suis aussi la vie, la mort même ne pourra [467] point vous empêcher d'entrer dans la maison de mon Père. Mais de plus, «si je suis la voie», vous n'aurez pas besoin de conducteur; si je suis la vérité, je ne dis rien de faux; si je suis la vie, encore que vous mouriez, vous posséderez les biens que je vous ai promis. Ce que Jésus disait de la voie, les disciples l'ont compris et l'ont confessé; mais les autres choses, ils ne les comprenaient point; cependant ils ne lui en ont pas osé demander l'explication, et néanmoins ils ont reçu beaucoup de consolation de l'intelligence de cette parole: «Je suis la voie». Puis donc qu'il est en mon pouvoir de mener au Père, sûrement vous y viendrez; car il n'y a point d'autre voie qui vous y puisse mener. Jésus-Christ ayant donc dit auparavant: «Personne ne peut venir à moi, si mon Père ne l'attire» (Jn 6,44); et encore: «Pour moi, quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tous les hommes à moi» (Jn 12,32); et derechef maintenant: «Personne ne vient au Père que par moi»; il montre qu'il est égal au Père.

Comment donc Jésus-Christ, après avoir dit «Vous savez où j'irai, et vous en savez la voie (Jn 14,4)», ajoute-t-il: «Si vous m'aviez connu, vous auriez aussi connu mon Père, et vous le connaîtrez bientôt, et vous l'avez déjà vu (Jn 14,7)?» Dans ces paroles le Sauveur ne se contredit point: les disciples le connaissaient, mais non pas comme il fallait le connaître. Ils connaissaient Dieu, mais ils ne connaissaient point encore le Père. Ils ne l'ont connu que dans la suite, lorsque le Saint-Esprit, descendant sur eux, leur en a donné toute la connaissance. Au reste, voici ce que veut dire Jésus-Christ: Si vous connaissiez mon essence et ma dignité, vous connaîtriez aussi celle de mon Père. «Et vous le connaîtrez bientôt, et vous l'avez déjà vu»; c'est-à-dire: «Vous le connaîtrez» dans la suite, «vous l'avez vu», vous le voyez par moi, en me voyant.

Jésus-Christ appelle ici vision la connaissance intérieure et spirituelle de l'âme, car ceux que l'on voit «extérieurement», nous pouvons en même temps les voir et ne les pas connaître, mais ceux que l'on connaît, nous ne pouvons pas les connaître et ne pas savoir ce qu'ils sont. C'est pourquoi le Sauveur dit: «Et vous l'avez vu», comme, dit-il, il a été vu des anges mêmes; mais nul n'a vu sa propre substance, et néanmoins Jésus-Christ dit que les disciples l'ont vue; entendez, au degré où ils pouvaient la voir. Il a parlé de la sorte pour vous apprendre que celui qui l'a vu, connaît aussi le Père. En un mot, les disciples le voyaient, non à la vérité dans sa substance pure et simple, mais revêtu de la chair. Ailleurs encore Jésus-Christ appelle la vision la connaissance, comme lorsqu'il dit: «Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu!» (Mt 5,8) Or, le Sauveur appelle purs, non ceux qui s'abstiennent seulement de la fornication, mais ceux qui s'abstiennent de tous péchés, car tout péché souille l'âme.

3. Faisons donc tout ce que nous pouvons pour laver nos souillures. En premier lieu, le baptême les efface, ensuite, beaucoup d'autres différents moyens. Dieu, qui est la clémence et la bonté mêmes, nous a ouvert bien des différentes voies pour nous purifier. L'aumône est la première. «La foi et l'aumône», dit l'Ecriture, «expient les péchés (1)» (Si 3,33); je dis l'aumône qui n'est point faite d'un bien mal acquis, car celle-ci n'est point une aumône, mais une inhumanité et une cruauté. En effet, que peut-on gagner à dépouiller l'un pour vêtir l'autre? Il faut commencer par la miséricorde, et c'est là de l'inhumanité. Quand même nous donnerions tout le bien d'autrui, nous n'en retirerions aucun fruit. Zachée nous l'apprend, il dit qu'il apaise la colère de Dieu en restituant au quadruple tout le bien qu'il a pris. (Lc 19,8) Mais nous, qui commettons mille rapines, nous croyons, par quelques aumônes, apaiser la colère de Dieu, et nous ne voyons pas que nous l'irritons davantage.

1. Ce passage n'est pas tout à fait de même, ni dans les Septante ni dans la Vulgate. Saint Chrysostome en a seulement pris le sens.

Dites-moi, je vous prie, si, prenant dans un carrefour un âne mort et puant, vous le traîniez à l'autel pour en faire un sacrifice, tout le monde ne vous lapiderait-il pas comme un impie et un sacrilège? Eh bien! si je prouve qu'un sacrifice fait d'un bien volé est plus exécrable, quelle excuse aurons-nous? Supposons un bijou, un meuble dérobé n'est-il pas plus infect que cet âne mort? Voulez-vous l'apprendre, combien est grande l'infection du péché? Ecoutez ce que dit le prophète: «Mes plaies ont été remplies de corruption et de pourriture». (Ps 27,5) Pour vous, vous priez Dieu des lèvres - 468 - d'oublier vos crimes, et par vos fraudes et vos rapines vous faites qu'il s'en souvient toujours, mettant votre péché sur l'autel (1).

Mais ce n'est point là le seul péché que vous commettez; ce qui est pire, c'est que vous souillez les âmes des saints (2). L'autel est de pierre, et il est sanctifié: les âmes des saints portent continuellement Jésus-Christ, et vous ne craignez pas d'offrir des oblations si impures? Nullement, direz-vous: ce n'est point de cet argent que je les offre, mais d'un autre. Excuse absurde et ridicule. Eh! ne savez-vous pas encore que si une goutte d'injustice tombe sur une masse d'argent, elle la corrompt entièrement? Comme si l'on jette du fumier dans une fontaine d'eau pure, on gâte toute l'eau; de même si, dans les richesses, il se mêle de la rapine, cette rapine les infecte totalement.

1. «Mettant votre péché sur l'autel», parce que l'offrande que vous nous présentez pour être mise sur l'autel, et offerte à Dieu, est une offrande de rapine et de péché: offrir de pareilles hosties, c'est offrir à Dieu son péché; quel sacrilège, quelle abomination!
2. C'est-à-dire: Vous souillez les reliques des saints, vous déshonorez les saints, dont les reliques sont sur l'autel.


Quoi donc? nous nous lavons les mains en entrant dans l'église, et nous ne purifions pas notre coeur? Sont-ce les mains qui parlent, qui prononcent les cantiques de louanges? c'est au coeur à proférer ces saintes paroles, c'est lui que Dieu regarde: s'il est souillé, la pureté du corps ne sert de rien. Quel fruit, quel avantage retirerons-nous de laver les mains du corps, si nous laissons dans l'impureté les mains de l'âme? Voici ce qui est étonnant, et à quoi vous devez faire attention; voici ce qui renverse tout, et met tout dans la confusion: c'est que, nous attachant scrupuleusement à faire avec soin les petites choses, nous négligeons les plus grandes. Prier, sans avoir lavé ses mains, certes, cela est indifférent: mais prier, sans avoir purifié sa conscience, c'est le plus horrible de tous les maux. Ecoutez ce que dit le prophète aux Juifs, qui étaient fort soigneux de laver ces sortes de souillures corporelles: «Purifiez votre coeur de sa corruption. Jusques à quand les pensées de vos travaux 3 demeureront-elles en vous?» (Jr 4,14) Purifions-nous ainsi nous-mêmes, non avec la boue, mais avec l'eau pure; par l'aumône, non par l'avarice. Commencez par vous abstenir de toute rapine, et alors vous ferez l'aumône. «Détournons-nous du mal, et faisons le bien». (Ps 37,27) Retenez vos mains loin de la rapine, et ensuite étendez-les, ouvrez-les pour faire l'aumône. Mais si des mêmes mains avec lesquelles nous dépouillons les uns, nous revêtons les autres, quand bien même nous n'userions pas pour cela des biens que nous avons pillés, nous n'éviterons point pour cela le supplice. Car, de cette façon, la matière du sacrifice de propitiation 1 devient matière d'iniquité.

3. «De vos travaux». C'est la leçon des Septante et de mon texte. Aquila dit: «De votre perte, de votre malheur». Et saint Jérôme l'a suivi. Symmaque traduit: «De votre injustice», ce qui vient à notre Vulgate, qui dit: «Vos mauvaises pensées».
1. «De propitiation». C'est-à-dire, du sacrifice que vous offrez pour vous rendre Dieu propice.

Sûrement il vaut mieux ne point faire d'oeuvres de miséricorde, que de les faire de cette sorte. Il eût été plus avantageux à Caïn de ne rien offrir du tout. Or, si Caïn, pour avoir offert ce qu'il avait de moindre prix, a offensé Dieu, celui qui fait l'aumône du bien d'autrui, comment n'irritera-t-il pas sa colère? Je vous ai défendu, dit le Seigneur, de ravir le bien d'autrui, et vous voulez m'honorer en m'offrant vos rapines? Quels sentiments avez-vous de moi? Croyez-vous que de pareilles offrandes me puissent être agréables? Le Seigneur vous dira donc: «Vous avez cru, ô homme plein d'iniquité, que je vous serai semblable. Je vous reprendrai sévèrement, et je mettrai vos péchés devant vos yeux (2)». (Ps 49,22) Mais à Dieu ne plaise qu'aucun de vous entende une parole si terrible? fasse plutôt le ciel, qu'après avoir distribué aux pauvres des aumônes pures et saintes, portant dans nos mains des lampes brillantes, nous entrions tous dans la chambre nuptiale, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire, dans tous les siècles! Ainsi soit-il.

2. «Je mettrai vos péchés devant vos yeux». Saint Chrysostome, Théodoret, et plusieurs bibles grecques et latines, lisent de même. Saint Jérôme, sur Isaïe, dit: «J'exposerai devant vos yeux tous vos crimes». La Vulgate: «Je vous exposerai vous-même devant votre face».

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74

HOMÉLIE LXXIV. PHILIPPE LUI DIT: SEIGNEUR, MONTREZ-NOUS VOTRE PÈRE, ET IL NOUS SUFFIT.

- JÉSUS LUI RÉPONDIT: PHILIPPE, IL Y A SI LONGTEMPS QUE JE SUIS AVEC VOUS, ET VOUS NE ME CONNAISSEZ PAS ENCORE? CELUI QUI ME VOIT, VOIT MON PÈRE. (VERS. 8,9, JUSQU'AU VERS. 14)

Jn 14,8-14

ANALYSE.

1. Jésus-Christ proclame sa consubstantialité avec le Père.
2. Autorité et puissance de Jésus-Christ.
3. Suivre Jésus-Christ et porter sa croix. - Le sacrifice de la nouvelle loi beaucoup plus excellent que celui de l'ancienne. - Sacrifice du chrétien; en quoi il consiste. - Les passions et les mauvais désirs étouffent la divine parole. - Ce n'est pas l'amour des richesses qui est notre tyran, c'est notre lAcheté. - On a été longtemps sans connaître l'or et l'argent, d'où naît en nous l'amour des richesses. - Différents désirs: naturels, nécessaires, superflus. - Omettre de faire ce qui est facile, c'est s'ôter toute excuse. - Ne faire pas au moins quelques légères aumônes, c'est se rendre inexcusable.


7401 1. Le prophète disait aux Juifs: «Vous avez pris le visage d'une prostituée, vous avez été sans pudeur envers tous». (Jr 3,3) Comme on le voit, ces paroles s'appliquent justement, non-seulement à la ville de Jérusalem, mais à tous ceux encore qui résistent impudemment à la vérité. Car Philippe ayant dit à Jésus-Christ: «Seigneur, montrez-nous votre Père», Jésus-Christ lui répondit: «Philippe, il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas encore?» Et cependant il se trouve des gens qui, après ces paroles, séparent encore le Fils du Père. Mais, ô hérétiques, quelle plus grande et plus étroite union pourriez-vous demander? Sur cette réponse du Sauveur, quelques-uns sont tombés dans l'hérésie de Sabellius. Mais laissons-là les sabelliens et les autres hérétiques, comme étant, par une impiété détestable, diamétralement opposés à la vérité, et attachons-nous à examiner avec exactitude le vrai sens de ces paroles.

«Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas encore, Philippe?» Quoi? Etes-vous le Père que je cherche à connaître? Non, répond Jésus-Christ. C'est pourquoi il n'a point dit: Vous ne l'avez pas connu, mais «vous ne me connaissez pas encore». Par où il déclare uniquement que le Fils n'est autre chose que ce qu'est le Père, demeurant néanmoins lui-même toujours le Fils.

Qu'est-ce qui porta Philippe à faire cette question? C'est cette parole de son Maître «Si vous m'aviez connu, vous auriez aussi connu mon Père» (Jn 14,7); c'est aussi que le Sauveur avait souvent dit la même chose aux Juifs. Comme donc Pierre, les Juifs, ainsi que Thomas, ayant souvent demandé à Jésus qui était son Père, ni les uns ni les autres n'en avaient pas été mieux renseignés, et qu'ils étaient tous demeurés dans l'ignorance: Philippe, qui ne veut point paraître importun, en se joignant aux Juifs pour faire la même question, dit: «Montrez-nous votre Père», mais aussitôt il ajoute: «Et il nous suffit»: Seigneur, nous ne vous demandons rien de plus. Jésus-Christ avait dit: «Si vous m'aviez connu, vous auriez aussi connu mon Père», et il faisait connaître son Père par lui-même. Philippe, au contraire, change cet ordre, en disant: Montrez-nous votre Père, comme s'il eût parfaitement connu Jésus-Christ. Mais le Sauveur ne se rendit pas à sa demande; le remettant dans la voie, il lui fit entendre que c'était par lui-même qu'il devait connaître son Père. Philippe voulait voir le Père avec les yeux de la chair, peut-être parce [470] qu'il avait entendu dire que les prophètes avaient vu Dieu. Mais, Philippe, c'est par condescendance que l'Écriture s'exprime ainsi. Aussi Jésus-Christ disait-il: «Nul n'a jamais vu Dieu» (Jn 1,18); et encore «Tous ceux qui ont ouï la voix de Dieu, et ont été enseignés de lui, viennent à moi. Vous n'avez jamais entendu sa voix, ni vu son visage». (Jn 6,45) Et dans l'Ancien Testament il est écrit: «Nul ne verra ma face sans mourir». (Ex 33,20)

Que répond donc Jésus-Christ? Il lui fait cette forte réprimande: «Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas encore, Philippe?» (Jn 14,9) Le Sauveur n'a point dit: Vous ne m'avez pas vu, mais «vous ne me connaissez pas encore?» Mais est-ce vous que je demande à connaître? c'est votre Père que je cherche à voir maintenant; et vous me répondez: Vous ne me connaissez pas: quel rapport y a-t-il entre cette réponse et la demande que Philippe a faite? Il y en a un très-grand. Comme le Fils est une même chose que le Père, tout en demeurant le Fils, c'est avec raison qu'il montre et fait connaître le Père en lui-même. Et ensuite il distingue et sépare les personnes, disant: «Celui qui me voit, voit mon Père», de peur que quelqu'un ne dît que le Père et le Fils étaient le même. Si le Père était le même que le Fils, le Fils ne dirait pas: «Celui qui me voit, voit mon Père».

Mais pourquoi Jésus-Christ n'a-t-il pas répondu à Philippe: Vous demandez une chose impossible, et qui est au-dessus de la nature humaine: il n'y a que moi seul qui aie le pouvoir de voir mon Père? C'est parce que cet apôtre avait dit: «Il nous suffit» (Jn 14,8), comme s'il l'avait vu lui-même. Mais Jésus-Christ lui fait connaître qu'il se trompe, et qu'il n'a pas vu le Fils lui-même; car il aurait vu le Père, s'il avait pu voir le Fils. C'est pourquoi il dit: «Celui qui me voit, voit mon Père» (Jn 14,9). Quiconque m'a vu, verra aussi mon Père; c'est-à-dire, nul ne peut voir ni moi, ni mon Père. En effet, Philippe cherchait â voir de ses yeux et comme il croyait avoir vu le Fils, et qu'il voulait voir de même le Père, Jésus-Christ lui montre qu'il n'a vu ni l'un ni l'autre. Que si quelqu'un prétend qu'ici la vision doit s'entendre de la connaissance, je ne m'y opposerai pas: car celui qui me connaît, dit-il, connaît aussi mon Père. Mais ce n'est point là ce que dit Jésus-Christ; il veut montrer sa consubstantialité, et dit: Celui qui connaît ma substance, connaît aussi celle de mon Père.

Qu'est-ce que cela signifie? Ne suffit-il pas même de connaître la créature pour connaître aussi Dieu? Non, il n'en est point de la sorte tous les hommes connaissent la créature et la voient, mais tous les homme ne connaissent point Dieu. De plus, examinons ce que Philippe voulait connaître. Était-ce la sagesse du Père? était-ce sa bonté? Nullement, mais il voulait connaître ce que c'est que Dieu, il voulait connaître sa substance. C'est pour cela que Jésus-Christ répond: «Celui qui me voit» (Jn 14,9). Mais celui qui voit la créature, ne voit point la substance de Dieu. «Celui qui me voit, voit aussi mon Père», dit Jésus-Christ; ce qu'il n'aurait point dit, s'il eût été d'une autre substance. Mais, pour me servir d'un exemple plus grossier, je dis: Celui qui n'a jamais vu d'or, ne peut point connaître sa substance en voyant l'argent; car on ne connaît pas une nature par une autre: Voilà pourquoi Jésus-Christ a justement repris Philippe par ces paroles: «Il y a si longtemps que, je suis avec vous». Quoi! J'ai eu la bonté de vous enseigner une si grande et si sublime doctrine, vous avez vu les miracles que j'ai faits, avec autorité et avec une puissance absolue, vous avez vu tout ce qui est propre et n'appartient qu'à la divinité, et ce que le Père seul peut faire, vous me l'avez vu faire à moi: vous m'avez vu remettre les péchés, découvrir et relever ce qu'il y a de plus caché dans le coeur, chasser la mort, ressusciter les morts, vous m'avez vu créer des yeux avec de la terre, «et vous ne me connaissez pas encore?»

2. Si Jésus-Christ a dit: «Vous ne me connaissez pas encore» (Jn 14,9), c'est parce qu'il était revêtu de la chair. Vous avez vu mon Père, n'en demandez pas davantage: en me voyant, vous l'avez vu. Si vous m'avez vu, ne cherchez pas curieusement à connaître mon Père; car vous l'avez connu en moi-même. «Ne croyez-vous pas que je suis dans mon Père (Jn 14,10)?» C'est-à-dire, je parais dans cette même substance. «Ce que je vous dis, je ne le vous dis pas de moi-même». (Jn 14,10) Ne voyez-vous pas, mes frères, combien est grande et excellente l'union qui est entre le Père et le Fils? ne remarquez-vous pas la preuve d'une seule et même substance? «Mais mon Père, qui demeure en moi, fait [471] lui-même les oeuvres» (Jn 14,10) que je fais. Comment donc le Sauveur, ayant commencé sa preuve par les paroles, passe-t-il aussitôt aux oeuvres? Car ce qu'il voulait prouver demandait qu'il dît: Le Père dit les paroles que je dis: c'est qu'ici il présente en même temps deux choses, et la doctrine et les miracles: ou encore, il en use de la sorte, parce qu'en Dieu les paroles sont aussi les oeuvres. Comment le Père fait-il donc les oeuvres? En effet, le Fils dit en un autre endroit: «Si je ne fais pas les oeuvres de mon Père, ne me croyez pas». (Jn 10,37) Comment, dis-je, Jésus-Christ, après avoir dit qu'il fait les oeuvres, dit-il ici que le Père les fait? Il le dit, pour montrer qu'il n'y a point de milieu ou d'intervalle entre le Père et le Fils: et c'est comme s'il disait: Le Père ne fait pas une chose, et moi une autre (1). Car il est écrit ailleurs que le Père agit également: «Mon Père ne cesse point d'agir jusqu'à présent, et j'agis aussi incessamment». (Jn 5,17) Là, Jésus-Christ fait voir qu'entre les oeuvres du Père et les oeuvres du Fils, il n'y a nulle différence; ici il déclare que le Père et le Fils sont une même chose.

1. Le Père n'agit pas séparément de moi, il ne fait pas une autre oeuvre que celle que je fais: ce qu'il fait, je le fais; ce que je fais, il le fait: Car Nous sommes une même chose.

Que si ces paroles présentent d'abord quelque chose de bas, ne vous en étonnez point. Le Sauveur ayant dit auparavant: «Vous ne croyez pas», il a parlé ensuite dans ces termes, pour vous faire connaître qu'il n'a tempéré ses paroles de cette manière, qu'afin d'amener ses disciples à la foi. Jésus-Christ était dans leur coeur, il voyait tout ce qui s'y passait. «Ne croyez-vous pas que je suis dans mon Père, et que mon Père est dans moi (Jn 14,11)?» Sûrement il fallait, dit le Sauveur, qu'ayant entendu nommer le Père et le Fils, vous n'allassiez rien chercher de plus: il fallait aussitôt reconnaître que la substance est égale et la même. Que si cela n'est pas pour vous une suffisante démonstration de l'égalité de rang et de la consubstantialité, apprenez-le encore par les oeuvres, que la substance et la dignité sont égales. Et si Jésus-Christ, en disant «Celui qui me voit, voit mon Père», avait voulu parler des oeuvres, il n'aurait pas ensuite ajouté: «Croyez-le au moins à cause des oeuvres» que je fais. Après quoi, voulant montrer que, non-seulement il pouvait faire ces choses, mais aussi de beaucoup plus grandes, il s'élève et parle hyperboliquement. Car il ne dit pas: Je puis faire de plus grandes oeuvres, mais, ce qui est beaucoup plus admirable: Je puis, dit-il, je puis donner aux autres le pouvoir d'en faire de plus grandes.

«En vérité, en vérité, je vous le dis: Celui qui croit en moi, fera lui-même les oeuvres que je fais, et en fera encore de plus grandes, parce que je m'en vais à mon Père (Jn 14,12)». C'est-à-dire, ce sera à vous désormais à faire les miracles, car je m'en vais. Ensuite, ayant fini d'expliquer ce que demandait la suite de son discours, le Sauveur dit: «Quoi que ce soit que vous demandiez en mon nom, vous l'obtiendrez, et je le ferai, afin que mon Père soit glorifié en moi (Jn 14,13)». Ne le remarquez-vous pas, mes frères, que c'est encore le Fils qui fait les oeuvres? Je le ferai, dit-il; et il n'a point dit: «Je prierai mon Père»; mais: «Afin que le Père soit glorifié en moi». Et cependant il avait dit ailleurs: «Dieu glorifiera son Fils en lui-même» (Jn 8,54); mais ici il dit: Le Fils glorifiera le Père. Comme on verra que le Fils a le pouvoir de faire de grandes oeuvres, son Père en sera glorifié.

Que veut dire cette parole: «En mon nom?» Ce que disaient les apôtres: «Au nom de Jésus-Christ, levez-vous et marchez». (Ac 3,6) Car tous les miracles que faisaient les apôtres, c'était lui-même qui les opérait. Et «La main du Seigneur était avec eux». (Ac 11,21) «Je le ferai», dit-il. Ne voyez-vous pas son autorité? Ce que font les autres, c'est lui-même qui le fait; et ce qu'il voudra faire par lui-même, il ne le pourra pas, si le Père ne lui en donne la vertu et le pouvoir? Qui oserait proférer une pareille absurdité? «Je le ferai»: pourquoi ne le dit-il qu'après? C'est afin de confirmer ce qu'il a dit d'abord, et de faire connaître qu'il a parlé d'abord le langage de la condescendance. «Je m'en vais à mon père». Par ces paroles, Jésus-Christ veut faire entendre ceci à ses disciples: Je ne mourrai point, mais je demeure dans toute ma dignité, et je suis dans le ciel. Au reste, le Sauveur disait toutes tels choses à ses apôtres pour leur consolation. Comme il était vraisemblable que, n'ayant pas encore une pleine connaissance de la résurrection, il leur venait dans l'esprit bien des idées tristes et [472] affligeantes, leur Maître leur promet qu'ils auront le pouvoir de faire à d'autres les mêmes choses qu'il a faites lui-même, qu'il aura toujours soin d'eux; il leur fait connaître qu'il demeure toujours, et que non-seulement il demeure, mais encore qu'il leur donnera des marques sensibles d'une plus grande vertu et d'un plus grand pouvoir.

3. Suivons donc Jésus-Christ et portons sa croix. Encore qu'aujourd'hui il n'y ait point de persécution, nous avons en perspective un autre genre de mort. «Faites mourir», dit l'apôtre, «les membres de l'homme terrestre qui est en vous». (Col 3,5) Faisons donc mourir la concupiscence, la colère, l'envie. C'est là le vivant sacrifice: et un sacrifice qui ne se réduit point en cendres, qui ne se dissipe point en fumée, qui n'a besoin ni de bois, ni de feu, ni d'épée: le feu et l'épée, il les a en soi; et c'est le Saint-Esprit. Servez-vous de cette épée pour couper, pour retrancher tout ce qu'il y a d'étranger et de superflu dans votre coeur, et pour ouvrir vos oreilles qui sont bouchées. Les maladies de l'âme, les passions et les mauvais désirs ferment l'entrée à la divine parole. Le désir des richesses ne nous permet pas d'entendre la parole qui nous excite à faire l'aumône, l'envie étouffe la parole qui nous exhorte à la charité: d'autres maladies encore rendent notre âme lâche et paresseuse en tout. Arrachons donc de nos coeurs les mauvais désirs: il suffit de vouloir, et tout s'éteint.

En effet, ne considérons pas, je vous prie, que l'amour des richesses est un tyran: n'imputons cette tyrannie qu'à notre lâcheté. Bien des gens disent qu'ils ne savent pas ce que c'est que l'argent. Ce désir ne nous est pas naturel: les désirs naturels sont nés avec nous dès le commencement, et on a longtemps ignoré ce que sont l'or et l'argent. D'où s'est-il donc produit en nous ce désir des richesses? De la vaine gloire et de notre extrême paresse. Parmi les désirs qui se trouvent dans l'homme, les uns sont nécessaires, d'autres sont naturels: et il y en a qui ne sont ni l'un ni l'autre. Par exemple: il y a des désirs qui, s'ils ne sont remplis, font mourir l'animal, et ceux-là sont naturels et nécessaires, comme le désir de manger, de boire, de dormir. La concupiscence de la chair est naturelle, mais n'est point nécessaire: plusieurs l'ont maîtrisée et domptée et n'en sont point morts. L'amour des richesses n'est ni naturel, ni nécessaire, mais superflu. Si nous le voulons, nous secouerons le joug de sa tyrannie.

Et certes, Jésus-Christ, parlant de la virginité, dit: «Qui peut comprendre ceci, le comprenne». (Mt 19,12) Mais sur les richesses, il ne parle pas de même; et que dit-il? «Quiconque d'entre vous ne renonce pas à tout ce qu'il a, ne peut être mon disciple». (Lc 14,33) A l'égard de ce qui est facile, le Sauveur use d'exhortation tout en laissant à la volonté ce qui surpasse les forces de plusieurs. Pourquoi nous rendons-nous donc inexcusables? Celui qui est attaqué d'une forte et violente maladie, ne sera pas rigoureusement puni; mais celui qui n'est atteint que d'une faible et légère infirmité, reste sans excuse. Qu'aurons-nous à répondre à Jésus-Christ, quand il nous dira: «Vous m'avez vu avoir faim, et vous ne m'avez pas donné à manger?» (Mt 25,42) Quelle excuse aurons-nous? Prétexterons-nous notre pauvreté? Mais nous ne sommes pas plus pauvres que cette veuve de l'Evangile, qui, pour avoir donné deux oboles (Mc 12,42), surpassa tout le monde. Dieu n'exige pas de nous de grandes offrandes ni de grandes aumônes; il ne mesure que notre bonne volonté. Et en cela même éclate sa providence. Admirons donc cette infinie bonté du Seigneur, et offrons-lui ce que nous pouvons, afin que dans cette vie et dans l'autre, nous puissions attirer sur nous sa grande miséricorde, et obtenir les biens qu'il nous a promis, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire, dans tous les siècles des siècles! Ainsi soit-il.

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HOMÉLIE LXXV. SI VOUS M'AIMEZ, GARDEZ MES COMMANDEMENTS.


Chrysostome sur Jean 73