Chrysostome sur Mt 38

HOMÉLIE XXXVIII - « ALORS JÉSUS DIT CES PAROLES: JE VOUS RENDS GLOIRE, MON PÈRE,

Mt 11,25-30

SEIGNEUR DU CIEL ET DE LA TERRE, DE CE QUE VOUS AVEZ CACHÉ CES CHOSES AUX SAGES ET AUX PRUDENTS, ET QUE VOUS LES AVEZ RÉVÉLÉS AUX SIMPLES ET AUX PETITS. OUI, MON PÈRE, PARCE QU’IL VOUS A PLU AINSI. » (CHAP. 11. 25,26, JUSQU’A LA FIN DU CHAPITRE)

ANALYSE

1. Qu’il faut fuir l’orgueil et aimer la simplicité.
2. Que le Fils est consubstantiel au Père. Contre l’hérétique Marcion. Que l’humilité est la mère des vertus.
3. Que la loi de Jésus-Christ est un fardeau léger.
4. Il en coûte encore plus pour satisfaire ses passions que pour les vaincre.


3801 1. Considérez, mes frères, de combien de moyens Jésus-Christ se sert pour exciter les Juifs à croire en lui. Premièrement, il donne des louanges extraordinaires à saint Jean en leur présence, parce qu’en leur représentant la grandeur et la sainteté d’un homme si admirable, il leur faisait voir en même temps qu’ils devaient ajouter foi aux témoignages si avantageux qu’il rendait de lui. Secondement, il dit que le royaume des cieux souffrait violence, ce qui était non pas les porter simplement, mais comme les pousser et les entraîner à la foi. Troisièmement, il les assure que les prophéties ont cessé, leur déclarant ainsi que c’était lui que les prophètes avaient promis. Quatrièmement, il leur apprend qu’il avait fait de son côté tout ce qu’il devait faire pour leur salut, ce qu’il exprime par la comparaison de ces enfants que nous avons vue. Cinquièmement, il reproche aux incrédules leur peu de foi, il déplore leur misère, et tâche de les étonner par les maux terribles dont il les menace. Et enfin il rend grâces à son Père pour ceux qui avaient cru en lui. Car ce mot: «Je vous rends gloire,» est la même chose que s’il disait: «Je vous rends grâces. Je vous rends grâces,» dit-il, «de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents.»

Quoi donc! est-ce qu’il se réjouit de la perte de ceux qui n’ont pas voulu croire? Nullement, mais Dieu garde cette conduite très-sage pour notre salut. Lorsque les hommes s’opposent à la vérité, et refusent de la recevoir, il ne les force point, mais il les rejette, afin qu’ayant méprisé celui qui les appelait, et ne s’étant point corrigés de leurs désordres, ils rentrent en eux-mêmes, en se voyant rejetés, et qu’ils commencent à désirer ce qu’ils avaient négligé. Cette conduite servait aussi à rendre plus ardents ceux qui avaient embrassé la foi.

Ces mystères donc, si grands et si divins, ne pouvaient être révélés aux uns sans que Jésus-Christ en ressentît de la joie, ni cachés aux autres, sans lui causer une profonde tristesse, comme il le témoigna en effet en pleurant sur cette Ville malheureuse. Ce n’est donc point parce que ces mystères sont cachés aux sages que Jésus-Christ se réjouit, mais parce que ce qui était caché aux sages était révélé aux petits. C’est ainsi que saint Paul dit: «Je rends grâces à Dieu de ce qu’ayant été auparavant esclaves du péché, vous avez obéi du fond du coeur à la doctrine de l’Evangile, à laquelle vous vous êtes conformés comme à votre modèle.» (
Rm 6,7) Il ne se réjouit pas de ce qu’ils avaient été esclaves du péché, mais de ce qu’ayant été tels, ils se sont convertis à Dieu.

Jésus-Christ, par ce mot de «sages,» entend les scribes et les pharisiens. Et il parle de (311) la sorte pour relever le courage de ses disciples, en leur représentant que tout pécheurs et grossiers qu’ils sont, ils ne laissent pas d’avoir reçu des lumières et des connaissances que les sages et les prudents avaient laissé perdre. Jésus-Christ marque donc par ce mot de « sage » non ceux qui le sont véritablement, mais ceux qui le croient être, parce qu’ils ont cette sagesse que le monde estime. Aussi il ne dit pas: «Et vous les avez révélées» aux fous et aux insensés, mais «aux petits, » c’est-à-dire à ceux qui sont simples et sans déguisement. Ce qui fait voir que si ces faux sages n’ont pas reçu cette grâce, ç’a été par une grande justice de Dieu.

Il nous avertit aussi par ces paroles de fuir la vaine gloire, et de rechercher avec ardeur la simplicité et l’humilité. C’est ce que saint Paul marque clairement et avec force, lorsqu’il dit: «Que nul ne se trompe soi-même: Si quelqu’un d’entre vous pense être sage selon le monde, qu’il devienne fou à l’égard du monde pour devenir vraiment sage.» (1Co 3,18). C’est dans cette sainte folie que paraît la grâce de Dieu.

Mais pourquoi Jésus-Christ rend-il grâces de cette conduite à son Père, puisqu’il en est lui-même l’auteur? Comme il prie ailleurs son Père pour nous, il lui rend à cette occasion ces actions de grâces pour nous, et dans les deux cas il montre l’excès de l’amour qu’il nous porte. Il fait voir encore par ces paroles que ces sages superbes sont rejetés de son Père comme de lui. Il pratique ici par avance ce qu’il a commandé à ses apôtres, lorsqu’il leur a dit: «Ne donnez point les choses saintes aux chiens.» (Mt 7,6)

Il montre encore par là, et que lui et que son Père nous préviennent de leur bonne volonté, le Fils en se réjouissant et en rendant grâces des faveurs que nous recevons, et le Père en nous faisant voir qu’il les a faites de son mouvement propre, et sans y être excité par aucune prière. «Oui,» dit-il, «mon Père, parce qu’il vous a plu ainsi.» Saint Paul nous apprend pourquoi il a plu à Dieu de cacher ses mystères à ces faux sages: «Parce que cherchant,» dit-il, «à établir leur propre justice, ils n’ont pas été assujétis à la justice de Dieu.» (Rm 1,3)

Dans quels sentiments croyez-vous qu’étaient alors les apôtres d’avoir des connaissances que les sages du monde n’avaient pas, de les avoir en demeurant toujours petits, et de les avoir par la révélation de Dieu même? Saint Luc marque que Jésus-Christ vit alors ses soixante-douze disciples revenir à lui, et lui dire «que les démons leur étaient assujétis,» et qu’il commença à se réjouir en esprit, et à dire ces paroles précédentes, qui leur inspiraient tout ensemble, et du zèle pour Dieu, et un humble sentiment d’eux-mêmes.

3802 2. Cet empire qu’ils exerçaient sur les démons élevait naturellement les coeurs des disciples. Jésus-Christ les rabaisse par ces paroles, en leur montrant que les 1umières qu’ils avaient ne venaient que de la pure volonté de Dieu, et non point de leur mérite; comme s’il leur disait: Les scribes et les pharisiens qui ont été sages et prudents en eux-mêmes sont tombés par leur orgueil. Si donc Dieu leur a caché ces mystères à cause de leur présomption, vous, mes apôtres, appréhendez un traitement semblable, et demeurez toujours petits, puisque c’est cette simplicité et cette humilité d’enfants qui vous a fait mériter ces secrets du ciel, comme il n’y a que l’orgueil qui en ait privé ces sages. Lorsque Jésus-Christ dit à son Père: « Vous leur avez caché ces choses, » il ne marque pas qu’il soit le seul auteur de cette punition, sans qu’ils y aient contribué de leur part. Mais comme lorsque saint Paul, en disant que Dieu «a livré et abandonné les sages du monde à l’égarement d’un esprit dépravé et corrompu (Rm 1,28),» n’entend pas que ce soit Dieu qui, de lui-même, les ait jetés dans ces ténèbres, mais qu’ils s’y sont précipités par leur faute; il faut entendre de même ce que Jésus-Christ dit en ce lieu: «Vous avez caché ces choses aux sages, et les avez révélées aux petits.»

Mais Jésus-Christ voulant empêcher qu’on ne crût par ces paroles «Je vous rends gloire, mon Père, de ce que vous avez révélé ces choses aux petits,» qu’il n’eût pas lui-même la puissance de faire ces révélations, il ajoute: «Mon Père m’a mis toutes choses entre les mains (Mt 11,27).» Il semble dire à ses disciples qui se réjouissaient de ce que les démons leur étaient assujétis Pourquoi admirez-vous tant que les démons vous obéissent? Tout est à moi: «Mon père m’a mis toutes choses entre les mains. » Quand vous entendez ces paroles: «Mon Père m’a mis toutes choses entre les mains, » n’ayez point de pensées basses et terrestres. Car, de peur que (312) vous ne crussiez qu’il y eût deux dieux non engendrés, il se sert à dessein du mot de «Père», et il montre ainsi en plusieurs autres endroits qu’il est, et engendré du Père, et en même temps le Seigneur souverain de toutes choses. Mais il ajoute encore quelque chose de plus grand pour élever nos esprits plus haut.

«Nul ne connaît le Fils que le Père, comme nul ne connaît le Père que le Fils, et celui à qui le Fils l’aura voulu révéler (Mt 11,27).» Ces paroles paraîtront peut-être à ceux qui n’ont pas assez de lumière n’avoir aucune liaison avec ce qui les précède, mais cette liaison existe. Après avoir dit: «Mon Père m’a mis toutes choses entre les mains,» il semble qu’il ajoute: Pourquoi vous étonnez-vous que, je sois le Maître souverain? J’ai quelque chose encore de bien plus grand, savoir, de connaître parfaitement mon Père, et d’être de même substance que lui. Car c’est ce qu’il donne à entendre en disant qu’il est le seul qui connaît son Père.

Mais il ne leur parle ainsi, que lorsqu’il leur a donné par ses miracles une preuve de sa puissance, et que non-seulement ils lui voyaient faire ces miracles à lui-même, mais qu’ils en faisaient eux-mêmes, par la vertu de son nom. Et comme il venait de dire en parlant à son Père: «Vous avez révélé ces choses aux petits,» il montre que cette révélation venait aussi de lui-même en disant: «Nul ne connaît le Père que le Fils, et celui à qui le Fils l’aura voulu révéler;» non celui à qui Dieu aura ordonné, ou à qui il aura commandé de révéler le Père, « mais à qui le Fils l’aura voulu révéler.» Que «s’il révèle son Père,» il se révèle aussi lui-même; mais il ne le dit pas expressément parce que c’est une chose qui s’entend assez d’elle-même. Mais il marque positivement qu’il révèle son Père, il le fait ici et ailleurs encore, comme lorsqu’il dit: «Nul ne peut venir à mon Père, sinon par moi.» (Jn 14,8)

Il montre encore par ces paroles, qu’il n’a qu’une même volonté et qu’un même sentiment avec son Père: Je suis, dit-il, si éloigné d’avoir jamais de différend avec lui et de le combattre en rien, qu’il est au contraire impossible de venir à lui que par moi. Comme les Juifs étaient particulièrement scandalisés de ce que Jésus-Christ leur paraissait un adversaire de Dieu, un homme qui usurpait la Divinité, il s’efforce par tout, et par ses actions, et encore plus ici par ses paroles, de détruire cette pensée.

Quand il dit «que personne ne connaît le Père que le Fils,» il ne veut pas dire que tout le reste des hommes l’ignore entièrement, mais seulement que les hommes n’ont pas la même connaissance du Père qu’en a le Fils, et que de même ils ne connaissent point le Fils, comme le connaît le Père. Car Jésus-Christ ne dit pas ces paroles comme l’impie Marcion le croit, de quelque Dieu inconnu dont jamais personne n’ait eu la moindre connaissance; mais il marque ici une connaissance très-claire et très-parfaite; et cette connaissance, nous ne la possédons ni du Père, ni du Fils, selon cette parole de saint Paul: «Ce que nous avons maintenant de connaissance et de prophétie est très-imparfait.» (1Co 13,12)

Le Fils de Dieu, après avoir excité par ces paroles l’ardeur de ses disciples, et leur avoir montré qu’il est tout-puissant, commence ensuite à les appeler à lui.

«Venez à moi vous tous qui êtes fatigués et qui êtes chargés, et je vous soulagerai (Mt 11,28).» Il n’appelle point celui-ci ou celui-là en particulier, mais en général tous ceux qui sont accablés de soins, de tristesses, d’inquiétudes et de péchés. «Venez à moi,» leur dit-il, non pas afin que je tire vengeance de vos crimes, mais afin que je vous en délivre. «Venez à moi,» je vous invite, non que j’aie aucun besoin de vos louanges, mais parce que j’ai une ardente soif de votre salut. «Et je vous soulagerai.» Il ne dit pas seulement: Je vous sauverai, mais: Je vous établirai dans un très parfait repos. «Prenez mon joug sur vous et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur et vous trouverez le repos de vos âmes. Car mon joug est doux et mon fardeau est léger (Mt 11,29-30).» Ne tremblez point quand vous entendez parler de « joug,» car il est «doux.» Ne craignez point quand je vous parle d’un «fardeau,» car il est «léger.» Comment donc, me direz-vous, Jésus-Christ dit-il ailleurs: «que la porte est petite et la voie «étroite? » Elle est petite si vous êtes lâche, elle est étroite si vous êtes paresseux. Mais quand vous accomplirez ce que Jésus-Christ vous commande, son fardeau vous sera léger. C’est dans ce sens qu’il lui donne ici ce nom.

Mais comment, me direz-vous, pourrai-je accomplir ce que Jésus-Christ commande? Vous l’accomplirez, si vous êtes doux, modeste et humble. Car l’humilité est la mère de toutes les vertus. C’est pour cette raison que lorsque (313) Jésus-Christ, prêchant sur la montagne, veut apprendre aux hommes la loi de Dieu, il commence par l’humilité. Il confirme encore ici ce qu’il a dit alors, et il promet à cette vertu une grande récompense. Elle ne vous rendra pas, dit-il, seulement utile aux autres; vous serez le premier qui en recevrez le fruit, puisque «vous trouverez le repos de vos âmes.» Il vous donne dès ce monde ce qu’il vous prépare en l’autre, et il vous fait goûter par avance le repos» du ciel.

3803 3. Mais pour vous rendre plus doux et plus agréable ce qu’il vous commande, il se propose lui-même pour modèle. Que craignez-vous? dit-il. Appréhendez-vous de paraître méprisable en vous humiliant? Regardez-moi; considérez en combien de manières je me suis humilié, et vous reconnaîtrez quel bien c’est que l’humilité.

Remarquez, mes frères, par combien de raisons Jésus-Christ exhorte ses apôtres à être humbles. Il leur propose son exemple: « Apprenez de moi,» dit-il, «que je suis doux et humble de coeur.» (
Mt 11,29) Il leur marque les récompenses des humbles: « Vous trouverez,» dit-il, «le repos de vos âmes.» Il leur promet lui-même de les assister: «Car je vous soulagerai,» dit-il. Enfin il les assure qu’il leur adoucira son joug: «Car mon Joug est doux, et mon fardeau est léger.» C’est ce que saint Paul tâche de persuader aux chrétiens, lorsqu’il leur dit: «Le moment si court et si léger des afflictions que nous souffrons, produit en nous le poids éternel d’une souveraine et incomparable gloire.» (2Co 4,17)

Mais comment, me direz-vous, peut-on appeler ce fardeau léger; puisqu’il nous dit: «Si quelqu’un ne hait son père et sa mère et s’il ne porte sa croix et ne me suit, il n’est pas digne de moi. Si quelqu’un ne renonce à toutes choses, il ne peut être mon disciple (Lc 14,26-29);» et qu’il nous commande même de donner notre propre vie? Il faut que saint Paul vous apprenne comment ces deux choses peuvent s’allier: «Qui nous séparera,» dit-il, de l’amour de Jésus-Christ? Sera-ce «l’affliction, ou les déplaisirs, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou les périls, ou le fer et la violence?» (Rm 8,35)

Il dit encore au même endroit: «Quand je considère les souffrances de la vie présente, je trouve qu’elles n’ont aucune proportion avec cette gloire que Dieu doit découvrir un jour, et faire éclater en nous.» Mais passez des paroles aux actions, et considérez la joie que recevaient les apôtres, lorsqu’après avoir été fouettés dans les synagogues, ils s’en retournaient avec joie: «Parce qu’ils avaient été trouvés dignes de souffrir cette ignominie pour le nom de Jésus-Christ.» (Ac 5,54) Que si après cela vous tremblez encore en entendant ce mot de «joug et de fardeau,» vous n’en devez accuser que votre propre paresse. Quand vous serez prêts à tout, et que vous vous offrirez de bon coeur à ce qui vous arrivera, tout vous paraîtra facile.

C’est pourquoi Jésus-Christ voulant nous montrer que nous devons nous efforcer de notre part à nous faire violence, évite également ou de ne nous dire que des choses douces et agréables, ou de ne nous en dire aussi que de pénibles et sévères; mais tempérant les unes par les autres, il appelle sa loi un «joug,» mais un joug agréable; et un «fardeau,» mais un fardeau «léger ;» afin que vous n’en ayez ni horreur comme étant trop pénible, ni mépris comme étant trop léger.

Si donc la vertu vous paraît encore rude et austère, jetez les yeux sur les peines encore plus fâcheuses qui accompagnent la mauvaise vie. Jésus-Christ les indique assez, lorsqu’avant que de parler de son joug, il dit: « Venez à moi vous tous qui êtes fatigués et qui êtes chargés,» pour montrer combien le péché est pénible, et que c’est un fardeau accablant et insupportable. Il ne dit pas seulement «qui êtes fatigués;» mais il ajoute: «Qui êtes chargés,» ce que David marque plus clairement en exprimant quelle est la nature du péché: «Mes iniquités se sont appesanties sur moi comme un lourd fardeau.» (Ps 38,4) Et le prophète Zacharie décrivant le péché l’appelle «un talent de plomb.» (Za 5,9) Mais nous ne le sentons que trop par notre propre expérience. Rien ne rend l’âme si pesante, ne l’accable davantage, et ne la rend plus aveugle que le poids du péché, et la mauvaise conscience, comme il n’y a rien au contraire qui la rende plus légère, et qui l’élève plus à Dieu que la vertu.

Qu’y a-t-il de plus pénible en apparence que de ne rien posséder? que de tendre la joue droite quand on nous a frappés sur la gauche? que de ne point rendre le mal pour le mal, que de s’exposer à une mort violente? Cependant (314) si nous jugeons sainement des choses, non-seulement nous ne trouverons pas ces choses pénibles, mais elles nous paraîtront même très-douces et très-agréables. Ne soyez point surpris de ceci, et ne vous troublez pas de ce que je dis. Examinons avec soin chacune de ces choses dont je viens de vous parler. Commençons, si vous voulez, par ce qui paraît plus insupportable presque à tout le monde. Dites-moi donc lequel des deux vous choisiriez, d’avoir simplement le soin de votre nourriture de chaque jour, ou de vous charger l’esprit de mille inquiétudes pour l’avenir? de n’avoir qu’un habit sans en désirer davantage, ou d’en posséder un grand nombre, et d’être tourmenté jour et nuit par le soin de les garder, d’être toujours dans l’appréhension, ou que les vers ne les mangent, ou que les voleurs ne les emportent, ou qu’un serviteur ne vous les dérobe?

Je ne puis pas vous exprimer par mes paroles le bonheur de cet état autant qu’on le ressent par l’expérience, et je souhaiterais de tout mon coeur qu’il y eût ici un de ces chrétiens parfaits qui vivent retirés du monde. Vous reconnaîtriez le contentement ineffable dont il jouit dans cette profession, et vous verriez que, considérant sa pauvreté comme son trésor, il ne voudrait pas la changer contre tous les biens du monde. Mais les riches, dites-vous, voudraient-ils devenir pauvres, pour se décharger des soins qui les accablent? Il est vrai qu’ils ne le voudraient pas. Mais cet attachement qu’ils ont à leurs richesses n’est pas une preuve de la satisfaction qu’ils y trouvent, mais de la maladie et du dérèglement de leur esprit. Je n’en veux point d’autres juges qu’eux-mêmes, puisqu’ils se trouvent tous les jours accablés de nouvelles inquiétudes, et qu’ils protestent que la vie leur est à charge. Ces pauvres évangéliques dont je parle sont bien différents. Ils sont toujours dans la joie, toujours dans la paix, et ils se glorifient plus de leur pauvreté que les rois de leur diadème.

3804 4. Considérez aussi combien la pratique des conseils de l’Evangile peut contribuer à notre repos, puisqu’il est plus aisé de tendre l’autre joue à celui qui nous a donné un soufflet, que de se mettre en état de le lui rendre. L’un est la source des divisions et des guerres, l’autre apaise toutes les querelles. L’un allume encore davantage le feu de la passion qui brûlait dans notre frère, l’autre l’éteint, et dans lui et dans nous-mêmes. Or il est indubitable qu’il est plus doux de ne point brûler que d’être consumé du feu. Et si cela est vrai du corps, c’est encore plus vrai de l’âme.

Vous regardez de même la mort comme un grand mal, et cependant elle est un bien pour les serviteurs de Dieu. Car lequel est le plus agréable de lutter dans le combat, ou d’être déjà vainqueur; de courir dans la carrière, ou d’être déjà couronné; de combattre encore contre les flots, ou d’être déjà arrivé au port? La mort donc est préférable à la vie. L’une délivre de la tempête, l’autre en ajoute toujours de nouvelles, et nous expose à mille périls et mille malheurs qui nous rendent insupportables à nous-mêmes.

Si vous ne me croyez pas, demandez à ceux qui ont été témoins de la constance des martyrs; Ils savent que ces saints ont été battus de verges et déchirés par des ongles de fer, avec un visage serein et tranquille, qu’ils se sont étendus sur des grils brûlants, comme s’ils se fussent couchés sur des roses, et qu’ils ont trouvé les délices et une joie toute céleste dans les supplices les plus effroyables, et dans la mort même. C’est pourquoi saint Paul, près de mourir, et d’une mort violente, dit: «Je me réjouis et je me conjouis pour vous tous, et vous, réjouissez-vous de même, et conjouissez-vous avec moi.» (
Ph 2,16-17) Qui n’admirera le zèle avec lequel ce grand apôtre exhorte toute la terre à prendre part à sa joie? Tant il croyait que c’est un grand avantage de sortir bientôt de cette vie, et que la mort qui paraît si terrible n’a rien que d’aimable et de désirable à un disciple de Jésus-Christ!

On pourrait prouver encore par beaucoup d’autres raisons combien le joug du Sauveur est doux et léger, mais considérons maintenant combien celui du péché est dur et insupportable. Examinons ces avares qui ne rougissent point de leurs rapines et de leurs usures. Qu’y a-t-il de plus pénible que ce commerce infâme? combien de soins, combien d’afflictions, combien de périls, combien de pièges, combien de guerres naissent tous les jours de ce désir d’amasser? Comme la mer n’est point sans agitation, ainsi ces personnes ne sont jamais sans trouble et sans crainte. Les peines et les inquiétudes se succèdent les unes aux autres, et avant que les unes soient finies les (315) autres recommencent, et trouvant l’âme déjà blessée, lui font encore de nouvelles plaies.

Que si vous passez des avares aux personnes colères et insolentes, où trouverez-vous un supplice aussi grand que le leur? Combien se blessent eux-mêmes en blessant les autres, et combien est ardente cette fournaise qu’ils allument sans cesse dans leur coeur, dont la flamme secrète et intérieure ne s’éteint jamais?

Qu’y a-t-il encore de plus misérable que ceux qui sont possédés d’une passion brutale et honteuse? ils vivent comme Cala, toujours dans l’agitation, toujours dans la crainte; et ils sont plus touchés de la mort des personnes qu’ils aiment criminellement, qu’ils ne le sont de celles de leurs plus proches.

Qu’y a-t-il aussi de plus inquiet et de plus furieux que l’orgueilleux? Venez donc, venez tous à moi, dit Jésus-Christ: «Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos âmes.» Car la douceur qui est humble est la mère de tous les biens. Ne craignez donc point ce joug, ne fuyez point ce fardeau, qui vous décharge de ces autres infiniment plus pesants. Soumettez-vous à ce joug de tout votre coeur, et vous reconnaîtrez combien il est doux. Il ne vous accablera point. Il vous sera un ornement plutôt qu’une charge. Il vous conduira dans la voie droite et royale sans tomber dans les précipices, à droite et à gauche, et il vous fera marcher avec plaisir et avec liberté dans le sentier de Jésus-Christ.

Puis donc que ce joug est si doux, qu’il nous met dans une si grande assurance, et qu’il nous remplit d’une joie ineffable, embrassons-le de tout notre coeur, et portons-le avec ardeur et avec zèle, afin que nous trouvions ici le repos de nos âmes, et dans le ciel les biens éternels, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ à qui est la gloire et l’empire maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



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HOMÉLIE XXXIX - «EN CE TEMPS-LA JÉSUS PASSAIT, UN JOUR DE SABBAT, A TRAVERS LES BLÉS;

ET SES DISCIPLES, AYANT FAIM, SE MIRENT A ROMPRE DES ÉPIS ET A MANGER. CE QUE VOYANT LES PHARISIENS, ILS LUI DIRENT: VOILA VOS DISCIPLES QUI FONT CE QU’IL N’EST POINT PERMIS DE FAIRE AU JOUR DU SABBAT. » (CHAP. 12,1. 2,JUSQUES AU VERSET 9)

Mt 12,1-8

ANALYSE

1. Comment Jésus-Christ se dispense d’observer le sabbat.
2. Comment il se justifie de la violation du sabbat que lui reprochaient les Juifs.
3. Utilité du sabbat. - le sabbat sous le règne de la Loi Ancienne et de la Loi Nouvelle.
4. Que nos efforts personnels doivent concourir avec la grâce divine. - Que les préceptes évangéliques sont faciles à pratiquer.


1. Saint Luc dit que ceci arriva le jour du sabbat appelé «le second premier. » Que veut dire ce mot, sinon qu’il y avait alors une double solennité: l’une du sabbat du Seigneur, et l’autre de quelque fête qui y survenait encore? Car les Juifs appelaient ces fêtes également du nom de sabbat. Mais d’où vient que celui qui prévoyait tout, conduisait ses disciples par cet endroit, sinon pour montrer qu’il ne voulait point alors observer le sabbat? Il ne le voulait pas garder alors pour de grandes raisons, Car on voit partout qu’il ne (316) se dispense de l’observer que lorsqu’il en avait un légitime sujet, afin de faire cesser la loi sans scandaliser personne.

Il y a néanmoins eu des occasions où il a témoigné vouloir à dessein ne la pas garder, comme lorsqu’il fit de la boue pour en frotter les yeux de l’aveugle-né, et lorsqu’il dit «Mon Père depuis le commencement du monde agit, et moi j’agis aussi avec lui.» (Jn 5,8) Jésus-Christ se conduisait avec cette modération ou pour glorifier son Père ou pour épargner la faiblesse de ce peuple. C’est ce qu’il fait dans notre évangile, lorsqu’il s’excuse de la violation du sabbat, par la nécessité où se trouvaient ses disciples. Or, ce qui est évidemment péché ne s’excuse par aucune raison. Un homicide ne peut point s’excuser sur sa colère, ni un adultère sur sa passion. Mais comme il ne s’agissait point ici d’une chose essentiellement mauvaise, la nécessité où les apôtres étaient réduits pouvait suffire pour les exempter de faute.

Mais admirons ici, je vous prie, le détachement des apôtres: comme ils n’avaient aucun soin du corps; comme les moindres choses leur suffisaient pour les nourrir, et comme dans les besoins même les plus pressants, ils ne pensaient point à s’éloigner tant soit peu de la compagnie de Jésus-Christ ! Car s’ils n’eussent souffert une grande faim, ils n’auraient jamais voulu violer le sabbat.

« Ce que voyant les pharisiens, ils lui dirent: Voilà vos disciples qui font ce qui n’est point permis de faire au jour du sabbat (Mt 12,2).» Les pharisiens ne paraissent pas ici aussi aigres qu’à l’ordinaire, quoique le sujet semble le comporter. Ils se contentent de dire assez simplement le mal qu’ils reprennent dans les disciples; au lieu que lorsque Jésus-Christ rétablit miraculeusement la main desséchée, on les vit s’emporter d’une si furieuse colère, qu’ils délibérèrent de le tuer. D’où vient cette différence? C’est que lorsqu’ils ne voient rien d’éclatant dans les actions de Jésus-Christ, ils sont un peu plus paisibles; mais lorsqu’ils voient des guérisons miraculeuses, ils deviennent cruels et furieux. Tant ils étaient ennemis du salut des hommes! Mais remarquez. comment Jésus-Christ excuse ses disciples.

«N’avez-vous pas lu ce que fit David lorsque lui et ceux qui l’accompagnaient furent pressés de la faim (Mt 12,3)? Comme il entra dans la maison de Dieu, et mangea les pains qui y étaient exposés, qu’il n’était permis de manger qu’aux seuls prêtres, et non point à lui ni à ceux qui étaient avec lui (Mt 12,4).» Quand Jésus-Christ défend ses apôtres, il allègue David ou quelque prophète; mais quand il se défend lui-même, il allègue son Père céleste. Il leur parle avec force: «N’avez-vous point lu,» leur dit-il, «ce que fit David?» La gloire et la réputation de ce saint roi était si grande que saint Pierre, après la résurrection de Jésus-Christ, parlant de lui devant les Juifs, se croit obligé d’user de ces termes: «Permettez-moi, mes frères, de vous dire avec liberté, touchant le patriarche David, qu’il est mort, et qu’il a été mis dans le sépulcre.» (Ac 2,29)

Mais pourquoi Jésus-Christ, lorsqu’il parle de ce saint prophète, soit ici, soit plus tard, ne lui donne-t-il jamais de louanges? C’était peut-être parce qu’il descendait de lui. Si les pharisiens eussent été plus doux et plus compatissants, Jésus-Christ se fût contenté d’excuser ses apôtres par la faim qu’ils enduraient; mais parce qu’ils étaient durs et inhumains, il leur rapporte cet exemple.

Saint Marc dit que le fait concernant David se passa sous le grand prêtre Abiathar; en cela il ne contredit pas l’auteur du premier livre des Rois, mais montre seulement que ce prêtre avait deux différents noms. Il marque même que ce fut ce prêtre qui donna ces pains, pour mieux défendre ses disciples, en rappelant qu’un prêtre avait non-seulement permis une pareille action, mais y avait même contribué.

Et il serait inutile de dire que David était prophète, puisque les prophètes mêmes n’avaient point ce droit qui était uniquement réservé aux prêtres, ainsi que le dit expressément Jésus-Christ: «Il n’était permis de les manger qu’aux seuls prêtres.» Quand il eût été mille fois prophète, il n’était point prêtre. Et s’il était prophète, ceux qui l’accompagnaient ne l’étaient pas, et ils mangèrent néanmoins de ces pains que le grand prêtre leur donna.

Mais quoi ! me direz-vous, les apôtres étaient-ils égaux à David? Que me parlez-vous de dignité quand il est question d’une violation au moins apparente de la loi, et d’une pressante nécessité naturelle? Si la nécessité a excusé David, elle doit à plus forte raison excuser les apôtres. Et plus David aura été (317) grand, plus ceux qui l’auront imité seront excusables.

2. Mais à quoi sert toute cette histoire, me direz-vous, puisque David n’a point violé le sabbat? Il n’a point violé le sabbat, mais il a fait ce qui était encore moins permis: c’est donc une raison de plus pour admirer la sagesse de Jésus-Christ qui, pour justifier ses disciples d’avoir violé le sabbat, rapporte un exemple qui n’est pas tout à fait semblable, mais qui prouve beaucoup plus. Car ce n’était pas une égale faute de ne pas garder le respect dû au jour du sabbat, ou de toucher à cette table sacrée, dont il n’était pas permis d’approcher. Il y avait plusieurs exemples de la violation du sabbat. On le violait presque tous les jours, comme dans la circoncision, et dans plusieurs actions semblables. On voit même qu’il fut violé dans la prise de Jéricho. Mais il n’y avait que ce seul exemple de la profanation de ces pains; ce qui le rendait bien plus fort, et plus propre aux desseins de Jésus-Christ. Il aurait pu même insister davantage sur cet exemple, et leur dire: Comment personne n’a-t-il accusé David de cette profanation, puisqu’elle donna même lieu à la mort de tant de prêtres? Mais il ne le fait pas, et il se contente de prendre de cette histoire ce qui était entièrement attaché à son sujet. Il justifie encore ses apôtres d’une autre manière, et après avoir fermé la bouche aux pharisiens par l’exemple de David, et réprimé leur insolence par l’autorité de ce saint prophète, il leur apporte un autre argument pour les confondre encore davantage.

«N’avez-vous point lu dans la loi que les prêtres au jour du sabbat violent le sabbat dans le temple et ne sont pas néanmoins coupables (Mt 12,5)?» Dans l’action de David, c’est la circonstance qui produit la violation, mais il n’y avait rien de semblable dans la manière dont les prêtres violaient le sabbat. Néanmoins Jésus-Christ ne rapporte point d’abord cette raison si convaincante. Il défend premièrement cette action de ses apôtres, comme en l’excusant, et ensuite il la justifie entièrement. Il fallait ainsi réserver pour la fin ce qu’il y avait de plus fort, quoique cette première raison eût aussi sa force. On me dira que ce n’est pas décharger quelqu’un d’un crime que de dire qu’un autre y soit tombé. Mais lorsqu’une action s’est faite publiquement sans donner lieu à une accusation, il semble que son exemple est la justification de ceux qui l’imitent.

Cependant Jésus-Christ ne se contente pas de cela. Il apporte encore une raison plus puissante, et il montre que cette violation du sabbat n’est point un péché, ce qui lui donnait tout l’avantage sur ses ennemis. Il fait voir que la loi se détruisait elle-même; qu’elle se détruisait doublement, puisqu’elle ne permettait pas seulement de violer le sabbat, mais de le violer dans le temple même; ou plutôt qu’elle se détruisait triplement, car ce n’était pas simplement le sabbat qui était violé et dans le temple, mais encore c’étaient les prêtres qui commettaient cette violation, sans qu’il y eût en cela aucun péché: «Et ils ne sont pas néanmoins coupables,» dit Jésus-Christ.

Considérez donc, mes frères, combien de preuves Jésus-Christ rapporte tout ensemble: preuves tirées du lieu, c’est dans le temple; des personnes, ce sont des prêtres; du temps, c’est le jour du sabbat; de la chose même, c’est la violation d’un jour saint. Car Jésus-Christ ne dit pas: Ils n’observent pas le sabbat; mais ce qui est beaucoup plus, ils «le violent,» et ceux qui sont plus que ses apôtres, non-seulement n’en sont point punis, mais ils ne font pas même la moindre faute: «Et ne sont pas néanmoins coupables.»

Cette dernière preuve est donc bien différente de la première. Car David n’a fait qu’une fois ce qu’il fit alors: il ne l’a fait que par une nécessité absolue; il n’était pas prêtre lorsqu’il le faisait, ce qui le rendait fort excusable: au lieu que ce que dit Jésus-Christ dans cette dernière raison, se faisait à chaque jour de sabbat, et par les prêtres, et dans le temple même, et par l’ordre de la loi. Car lorsque j’excuse les prêtres en cette rencontre, dit Jésus-Christ, ce n’est point en usant envers eux d’aucune condescendance, mais en les jugeant selon la justice. Il semble faire l’apologie des prêtres, mais il fait en effet celle des apôtres: et en assurant des uns «qu’ils ne sont aucunement coupables,» il fait voir que les autres sont très-innocents.

Mais les apôtres, direz-vous, n’étaient pas prêtres, ils étaient plus que les prêtres, puisqu’ils appartenaient au véritable Seigneur du temple, à Celui qui n’était pas la figure des choses divines, comme le temple des Juifs, mais la vérité même; C’est pourquoi Jésus-Christ leur dit; «Et cependant je vous dis que (318) Celui qui est ici est plus grand, que le temple (Mt 12,6).» J’admire que les Juifs entendant cette parole n’en sont point irrités. C’était peut-être parce qu’elle n’était point accompagnée de miracles et de la guérison de quelque malade. Cependant comme elle, pouvait leur paraître dure, il la couvre aussItôt et détourne son discours ailleurs en leur disant avec quelque force !

«Que si vous entendiez bien cette parole: J’aime mieux la miséricorde que le sacrifice, vous n’auriez pas condamné des innocents (Mt 12,7)». (Os 6) Il diversifie son discours. Il fait voir tantôt que ses apôtres méritent qu’on les excuse et tantôt qu’ils n’ont rien fait dont on les puisse accuser: «Vous n’auriez pas,» dit il, «condamné des innocents» Il avait déjà fait voir par la comparaison des prêtres que ses disciples n’étaient point coupables, mais il l’assure ici de son autorité propre qu’il appuie néanmoins sur la loi, en rapportant le passage du prophète Enfin, après tant de raisons, il finit par cette dernière.

3. «Car le Fils de l’Homme est maître du sabbat même (Mt 12,8)» Ce qu’il entend de lui-même, quoique saint Marc témoigne que cette parole a été dite en général de tous les hommes. Car il dit «Le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat». Si cette parole est vraie, me direz-vous, pourquoi celui qui ramassait du bois le jour du sabbat en fut il puni? Je vous réponds que Dieu usa alors de cette rigueur, parce que s’il eut laissé violer impunément cette loi aussitôt qu’elle fut faite, on ne saurait point gardée ensuite. L’observation du sabbat était d’abord très avantageuse aux hommes. Elle leur apprenait a être doux et charitables les uns envers les autres, et les instruisait de la sagesse et de la providence de Dieu dans la conduite du monde, comme le témoigne Ezéchiel. (Ez 20,6) Elle les avertissait de se séparer au moins pour un peu de temps de leurs dérèglements et de leurs péchés, et de s’appliquer aux choses spirituelles. Si Dieu, en donnant cette loi aux Juifs, leur eut dit Vous pourrez vous appliquer à quelque bon ouvrage au jour du sabbat, mais vous ne ferez en ce jour rien de ce qui sera mauvais, ils n’eussent pu s’empêcher de travailler. C’est pourquoi il leur dit absolument: Ne faites aucun ouvrage en ce jour; et ils ne peuvent pas même ainsi se soumettre à cette loi. Mais Dieu a fait assez voir, en l’établissant, qu’il ne désirait autre chose des Juifs, sinon qu’ils s’abstinssent de faire le mai: «Vous n’y ferez rien,» dit-il, «excepté les ouvrages qui sont propres à«l’âme.» Car dans le temple tout se passait ce jour-là comme les autres jours: on y travaillait même beaucoup plus que les autres jours, Et ainsi Dieu découvrait dès lors à ce peuple par des ombres et des figures la lumière de sa vérité.

Jésus-Christ donc, me direz-vous, a-t-il voulu abolir une loi qui était si utile? A Dieu ne plaise! Bien loin de l’abolir, il l’a étendue encore plus loin. Le temps était venu d’instruire les hommes de toutes les vérités, et d’une manière plus sublime et plus élevée. Il ne fallait plus que ces ordonnances légales liassent les mains à un homme qui, étant délivré et affranchi du péché, courait avec ardeur dans la voie de Dieu. Ce n’était plus le temps d’apprendre seulement par l’observation du sabbat que Dieu était le maître et le créateur da toutes choses, ni de se servir de cette considération pour être plus doux et plus humain, lorsque les hommes étaient invités à se rendre les imitateurs de la charité infinie de Dieu même: «Soyez,» dit-il, «miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux.» (Lc 6,22) Il ne fallait plus non plus nous ordonner de célébrer seulement un jour de la semaine, puisque Dieu nous commande maintenant de ne faire de toute notre vie qu’une seule fête: «Célébrons une fête,» dit saint Paul, «non pas dans le vieux levain, ou dans le levain de la malice ou de la corruption, mais avec les pains purs de la sincérité et de la vérité.» (1Co 5,7) Pourquoi commander de passer le jour auprès de l’arche de Dieu et de l’autel d’or, à ceux qui deviennent eux-mêmes le temple de Dieu, qui l’ont toujours présent dans eux et qui s’entretiennent sans cesse avec lui par leurs prières, par leurs sacrifices, par la lecture de sa parole et par la pratique de l’aumône et des bonnes oeuvres? Enfin de quoi servirait l’observation du jour du sabbat à celui qui passe sa vie dans une fête qui ne finit point, et dont la conversation est toujours dans le ciel?

Célébrons, mes frères, ce sabbat céleste et continuel, et abstenons-nous de toute oeuvre servile et mauvaise Appliquons-nous de plus en plus à des choses divines et spirituelles, et séparons-nous de tout ce qui est humain et (319) terrestre: entrons comme dans un saint repos, dans une inaction et une oisiveté bienheureuse, empêchant nos mains de se prêter à l’avarice et tout notre corps de s’employer à des travaux vains et inutiles, semblables à ceux où s’occupaient autrefois les Juifs en Egypte.

Car lorsque nous amassons évidemment de l’or, nous ne différons en rien de ces Hébreux que des maîtres cruels tenaient attachés à la boue et à la paille qu’ils travaillaient sous le fouet, et dont ils faisaient de la brique. Le démon oblige encore aujourd’hui à ces mêmes ouvrages et avec la même barbarie que Pharaon autrefois y forçait les Juifs. Car qu’est autre chose l’or et l’argent sinon de la terre et de la paille? L’argent n’allume pas moins la passion et l’avarice que la paille n’allume le feu, et il ne salit pas moins notre âme que la boue notre corps. C’est pourquoi Dieu nous a donné un Sauveur, non en nous envoyant Moïse du fond d’un désert, mais son Fils même du haut du ciel. Si après cela vous demeurez encore en Egypte, vous serez enveloppé dans le malheur des Egyptiens. Mais si vous y renoncez pour être du nombre des véritables Israélites, vous verrez toutes les merveilles que Dieu fera en votre faveur.

4. Ce n’est pas que cette seule retraite vous suffise pour le salut. C’est peu que de sortir de l’Egypte, si l’on n’entre dans la terre promise. Les Juifs, comme dit saint Paul, ont tous passé la mer Rouge, ils ont mangé la manne, ils ont bu un breuvage spirituel, et néanmoins ils n’ont pas laissé de périr. De peur donc que ce mal-heur ne nous arrive, ne soyons point lâches et paresseux. Quand il y aurait encore aujourd’hui des personnes dangereuses comme ces espions d’autrefois qui rendraient suspecte la vie évangélique, et qui décrieraient la voté étroite en la représentant comme trop rude et trop pénible, n’imitez point la lâcheté de ce peuple juif, qui se laissa abattre par ces faux rapports, mais le zèle de Josué et de Caleb, et ne les quittez point jusqu’à ce que vous soyez entré avec eux dans la véritable terre promise. Ne craignez point toute la peine et tous les périls qui peuvent se rencontrer dans ce chemin. Lorsque nous étions ennemis de Dieu, il nous a réconciliée avec lui nous abandonnera-t-il après nous avoir rendus ses amis?

Vous me direz peut-être que cette voie que je vous propose est bien étroite et bien difficile. Et moi je vous réponds que celle où vous marchiez auparavant était bien plus dure et plus pénible. Elle n’était pas seulement étroite et resserrée, mais pleine de ronces et d’épines, et infestée par un grand nombre de bêtes farouches. Comme il était impossible aux Egyptiens de passer la mer, si Dieu ne l’eût ouverte par un grand miracle, il nous est impossible de même de passer de notre première vie à une vie sainte et céleste, à moins que le Sauveur ne nous ouvre les eaux salutaires du baptême. Si Dieu a bien pu faire alors que ce qui était entièrement impossible devînt possible, il pourra bien faire maintenant que ce qui est difficile devienne facile.

Mais cette merveille qui se fit alors, me direz-vous, était purement l’ouvrage de la grâce et de la bonté de Dieu. C’est ce qui vous doit donner plus de confiance. Car si les Juifs alors, sans contribuer en rien de leur part, ont surmonté de si grandes difficultés par la seule miséricorde de Dieu, que ne devez-vous point espérer, lorsque vous tâcherez de joindre votre travail et vos efforts au secours et à l’opération de la grâce? S’il a sauvé ceux qui étaient lâches et paresseux, abandonnera-t-il ceux qui agissent et qui travaillent?

Nous vous avons exhortés, jusqu’à cette heure, à avoir confiance en Dieu, dans ce qui vous paraîtra rude et pénible, en considérant qu’il a fait autrefois des choses entièrement impossibles; mais je vous dis maintenant que si nous sommes vraiment sages, ce que nous appréhendions tant ne nous paraîtra plus difficile. Car considérez combien Jésus-Christ nous a aplani la voie. La mort a été foulée aux pieds; le démon a été terrassé; la domination du péché a été détruite; la grâce du Saint-Esprit a été donnée; toutes ces ordonnances si pénibles de la loi ont été abolies, et la vie même, qui est le temps du travail, a été réduite à fort peu d’années.

Et pour vous faire voir par des preuves effectives combien tout ce que Dieu nous demande est léger, voyez combien de personnes sont allées même au delà des commandements de Jésus-Christ. Et après cela vous craignez des ordonnances si douces et si modérées? Quelle excuse donc restera-t-il à votre lâcheté, si lorsque les autres courent avec joie au delà même des bornes prescrites, vous perdez courage avant que d’y arriver? Nous avons peine à (320) vous persuader de donner seulement une partie de, vos biens aux pauvres, et les autres renoncent à tout ce qu’ils possèdent. Nous travaillons beaucoup pour obtenir de vous que vous, viviez chastement dans le mariage, et les autres n’en ont pas même voulu user. Nous avons peine à gagner, sur vous que vous ne soyez plus envieux, et la charité des autres sacrifie pour leurs frères leur propre vie. Nous vous conjurons, beaucoup de pardonner aisément les injures qu’on vous fait et de ne vous point laisser emporter à la colère contre ceux qui vous offensent, et les autres, lorsqu’on leur adonné un soufflet, tendent l’autre joue.

Que dirons-nous donc à Dieu un jour? que lui répondrons-nous, pour nous excuser de n’avoir pas fait ce qu’il nous ordonne, lorsque tant d’autres vont même au delà, par l’ardeur et le zèle de leur piété? Ces personnes auraient-elles été si ferventes dans les oeuvres saintes, si elles ne les avaient trouvées faciles? Car je vous demande lequel des deux sèche de déplaisir, ou celui qui se fâche du bien de ses frères, ou celui qui s’en réjouit comme du sien propre? Lequel des deux est toujours dans la crainte, ou celui qui est pur et chaste, ou celui qui est impudique et adultère? lequel des deux est toujours dans la joie, ou celui qui ravit le bien d’autrui, ou celui qui donne le sien aux pauvres ?

Pensons à ceci, mes frères, et ne témoignons plus à l’avenir de tant de mollesse dans les exercices de la piété. Courons avec vigueur dans cette carrière sainte. Souffrons un travail léger pour recevoir enfin cette couronne immortelle que je vous souhaite, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



Chrysostome sur Mt 38