Chrysostome sur Mt 82

HOMÉLIE LXXXII (26,26-36): « ET COMME ILS MANGEAIENT, JÉSUS PRIT DU PAIN ET L’AYANT BÉNI, LE ROMPIT,

82 ET LE DONNA A SES DISCIPLES, EN DISANT: PRENEZ, MANGEZ, CECI EST MON CORPS. ET PRENANT LE CALICE, AYANT RENDU GRÂCES, IL LE LEUR DONNA EN DISANT: BUVEZ- EN TOUS. CAR CECI EST MON SANG, LE SANG DE LA NOUVELLE ALLIANCE QUI EST RÉPANDU POUR PLUSIEURS POUR LA RÉMISSION DES PÉCHÉS». Mt 26,26-36

ANALYSE

1. La sainte Cène, institution du sacrement adorable de l’Eucharistie.
2. Réfutation de Marcion, Valentin et Manès, qui niaient la réalité de la mort de Jésus-Christ. - Contre certains hérétiques qui employaient l’eau dans le saint sacrifice.
3. Présomption de saint Pierre corrigée.
4-6. De la foi en Jésus-Christ dans l’Eucharistie. - Pourquoi Jésus-Christ a voulu renfermer ses sacrements sous des figures visibles et extérieures - Qu’il ne faut point approcher de la table de Jésus-Christ avec dégoût ou avec indifférence. - Quelle pureté on y doit apporter. - Que c’est un grand crime d’être indifférent à la grâce que Jésus-Christ nous fait en se donnant à nous dans son Sacrement. - Qu’on doit chasser de cette table sainte ceux qui s’en rendent indignes par leur mauvaise vie, quelque rang qu’ils aient dans le monde.


821 1. Quel est donc l’aveuglement de ce traître qui ne change point pour être assis à cette table divine, et qui demeure toujours le même après avoir participé à de si redoutables mystères? C’est ce que veut montrer saint Luc, lorsqu’il dit: «Qu’après cela le démon entra en lui»; il y entre non pour insulter au corps du Sauveur, mais pour punir l’insolence du traître. Deux circonstances aggravaient le crime de Judas; d’abord il avait osé approcher d’une table si sainte avec une disposition si criminelle; ensuite, bien loin de tirer aucun fruit d’une telle grâce et d’un tel honneur, il en avait abusé sans aucune crainte. Le Fils de Dieu n’éloigna point cet homme, bien qu’il pénétrât le fond de son coeur, pour nous faire voir qu’il ne voulait rien omettre de tout ce qui pouvait servir à le corriger. Nous avons déjà vu, et on le pourra voir encore dans la suite, qu’il lui représentait continuellement son crime, et qu’il cherchait à l’en détourner par ses paroles et par ses actions, par la crainte et par les menaces, par les honneurs et par les services qu’il lui rend. Mais rien ne put le fléchir. C’est pourquoi le Sauveur le laisse enfin à lui-même, et donnant toutes ses pensées au soin de ses autres disciples, il les avertit encore par ces mystères sacrés de sa mort qui s’approchait. Il les entretient de sa croix pendant la cène, et il veut prévenir leur trouble et leur abattement, en leur prédisant si souvent ces choses. Si, après tant de prédictions en actions et en paroles, ils ne laissent pas que de se troubler, qu’auraient-ils donc éprouvés, s’ils n’avaient point été avertis d’avance? « Et comme ils mangeaient, Jésus prit du pain et le rompit».

Pourquoi Jésus-Christ a-t-il institué ce mystère au temps de la Pâque? C’est pour nous montrer par toutes ces actions que c’est lui-même qui a établi l’ancienne Loi, et que tout ce qu’elle. contient n’était que des figures et des ombres qui avaient rapport à la Loi nouvelle. C’est pour cette raison qu’il a joint la vérité à la figure. Cette heure u du soir» qu’il choisit pour faire la Pâque nous marquait que les temps étaient accomplis, et que les choses étaient sur le point d’avoir bientôt leur dernière fin.

Il rendit grâce à Dieu son Père, afin de nous enseigner comment nous devons célébrer ce saint mystère, et tout ensemble pour nous (32) faire voir qu’il allait volontairement à la mort. Il le fit aussi pour nous apprendre à recevoir avec action de grâces tous les maux que nous souffrons, et pour fortifier et affermir notre espérance. Car si la figure a eu tant de force que de délivrer tout un peuple d’une dure captivité, combien plus la vérité aura-t-elle le pouvoir de tirer tout l’univers de la servitude, et de combler de biens tous les hommes?

C’est pourquoi il n’avait point voulu leur faire part de ces mystères avant le moment où la Loi devait cesser. Il abolit la première et la principale de leurs fêtes, et les fait passer à une autre Pâque pleine d’une sainte frayeur. «Prenez», leur dit-il, «et mangez. Ceci est mon corps qui est livré pour vous ».

Comment n’ont-ils point été troublés en entendant ces paroles? Parce que déjà auparavant il leur avait dit plusieurs grandes choses de ce mystère. Voilà pourquoi il leur dit ici cette parole sans aucun préambule, les jugeant assez préparés à l’entendre. Il leur découvre la cause de sa passion, c’est-à-dire «la rémission des péchés ». Il appelle ce sang, «le sang de la nouvelle alliance», c’est-à-dire de la promesse de la Loi nouvelle. Car c’est ce qu’il a promis de nouveau, et c’est par ce sang que la nouvelle alliance est confirmée. Et comme l’ancienne avait pour son partage le sang des bêtes qu’elle immolait, de même la nouvelle a pour le sien le sang du Seigneur.

Il témoigne encore par ces paroles qu’il s’en va mourir, et c’est pour cela qu’il parle de «Testament », et qu’il nous remet en mémoire cet Ancien Testament qui avait été aussi scellé et consacré avec le sang. Puis il déclare la cause de sa mort en disant: «Que ce sang sera répandu pour plusieurs, afin d’effacer leurs péchés ».

Il dit ensuite: «Faites ceci en mémoire de «moi ». On voit par ces paroles comment il veut nous retirer de l’observation des coutumes judaïques. Car, comme vous faisiez autrefois la Pâque en mémoire des miracles que vos pères avaient vu faire en leur faveur dans l’Egypte, de même vous ferez ceci en mémoire de ce que je fais maintenant pour vous. Le sang dont les portes des Israélites furent alors teintes, n’était que pour sauver les premiers nés; mais celui-ci est répandu pour la rémission des péchés du monde entier. «Car ceci», dit-il, « est mon sang qui sera répandu pour la rémission des péchés».

Or, il voulait faire connaître à ses disciples que sa passion et sa croix était un mystère, et apporter ainsi quelque consolation à leur douleur; et comme Moïse avait dit: «Ceci vous servira d’une mémoire éternelle »; de même Jésus-Christ dit à ses disciples: «Faites ceci en mémoire de moi, jusqu’à ce que je vienne». Et c’est pour cette raison qu’il ajoute: «J’ai désiré d’un grand désir de manger cette Pâque avec vous », c’est-à-dire, de vous donner des choses nouvelles et de vous faire part d’une Pâque qui vous rendra spirituels. Il en but aussi lui-même de peur que les disciples, ayant ouï ces paroles, ne disent: Quoi ! buvons-nous du sang et mangeons-nous de la chair? et qu’ainsi ils ne se troublassent comme plusieurs Juifs avaient déjà fait, lorsqu’il avait seulement parlé de ce mystère. Il leur montre donc l’exemple, afin de les faire approcher avec un esprit tranquille de la communion de ses mystères.

Mais faut-il donc, direz-vous, célébrer aussi l’ancienne Pâque? Point du tout, puisque Jésus-Christ ne nous a dit: «Faites ceci», que pour nous retirer de la Pâque ancienne. Et s’il opère en celle-ci la rémission des péchés, comme il le fait en vérité, n’est-il pas superflu de célébrer cette ancienne cérémonie légale? Comme il avait donc voulu que la première Pâque servît aux Juifs d’un monument éternel des grâces qu’il leur avait faites; il veut ici de même que cette nouvelle Pâque serve aux chrétiens pour leur rappeler éternellement dans la mémoire le souvenir des dons infinis de leur Sauveur. Il veut par cette conduite fermer la bouche aux hérétiques, parce que, lorsqu’ils demandent où est la preuve certaine qu’il a été immolé, nous les réduisons au silence en leur alléguant entre plusieurs autres raisons les saints mystères. Car si Jésus-Christ n’est pas mort, de qui ce sacrifice que nous célébrons est-il le symbole?

822 2. Voyez-vous, mes frères, combien Jésus-Christ a désiré que nous eussions toujours présente la mémoire de la mort qu’il a soufferte pour nous? Comme il devait s’élever des hérétiques impies, Marcion, Manès, Valentinien, et leurs disciples, qui nieraient le mystère de la mort du Sauveur, c’est pourquoi il fait mention de sa passion, même au milieu de l’institution de cet autre mystère de son (33) corps et de son sang adorable; en sorte qu’il n’y a point d’homme raisonnable qui puisse être trompé en ce point. Ainsi, le Seigneur nous sauve et nous instruit tout ensemble par cette même table sacrée qui est le plus grand de tous les biens; c’est ce qui fait que saint Paul en parle avec tant d’étendue. Après la célébration de ce mystère, Jésus-Christ dit «Je ne boirai plus désormais de ce fruit de vigne, jusqu’au jour auquel je le boirai nouveau avec vous dans le royaume de mon Père (29)». Comme il avait déjà parlé de sa passion et de sa croix, il parle maintenant de la résurrection qu’il appelle le «Royaume de son Père ».

Mais pourquoi a-t-il voulu boire et manger après sa résurrection? C’était pour ne point passer pour un fantôme dans l’esprit des plus grossiers qui regardent cette marque comme la plus certaine et la plus infaillible de la résurrection. De là vient que les apôtres, pour convaincre les peuples. de la résurrection de Jésus-Christ, disent: « Nous avons bu et mangé avec lui depuis qu’il est ressuscité des morts». C’est donc pour leur marquer clairement qu’ils le verront après sa résurrection et qu’ils le verront de telle sorte que ses paroles et ses actions les convaincraient de la vérité de sa nouvelle vie, qu’il leur dit ces paroles: «Jusqu’au jour auquel je le boirai nouveau avec vous dans le royaume de mon Père ». Car vous devez être les témoins de ma résurrection dans le monde entier. C’est pourquoi vous me verrez quand je serai ressuscité.

Il appelle ce vin, «nouveau », c’est-à-dire, qu’il le boirait d’une manière nouvelle, inouïe et tout à fait admirable. Car il est ressuscité avec un corps impassible, immortel, incorruptible, et qui n’avait aucun besoin de nourriture. Et s’il a voulu boire et manger après sa résurrection, lorsqu’il n’avait aucun besoin de nourriture, ce n’était que pour certifier davantage la vérité de sa résurrection. Pourquoi, me direz-vous, a-t-il voulu, après sa résurrection, boire non de l’eau, mais du vin? C’était pour ruiner, jusque dans la racine, l’hérésie pernicieuse de ceux qui veulent se servir d’eau dans la célébration des mystères, et pour montrer que quand il a institué ce mystère, c’était avec du vin, et qu’après sa résurrection il a usé encore de vin dans un repas commun qui ne renfermait point de mystère. «Je ne boirai point », dit-il «de ce fruit de la vigne», or la vigne produit non de l’eau, mais du vin.

«Et ayant chanté le Cantique, ils s’en allèrent sur la montagne des oliviers (30) ». J’appelle ici tous ces mangeurs brutaux qui, après s’être gorgés à table, en sortent comme des pourceaux au lieu de rendre à Dieu les actions de grâces qu’il mérite. J’appelle encore tous ceux qui, dans la célébration des mystères, n’attendent pas les dernières oraisons qui figurent celle que fait ici le Sauveur. Il rend grâces à Dieu son Père avant que de donner à manger à ses disciples, afin de nous apprendre à commencer nos repas par les actions de grâces; il rend grâces aussi après, et il chante un cantique afin de nous avertir de l’imiter dans cette pratique

Mais pourquoi va-t-il sur cette montagne qui était un lieu si connu à Judas qui le trahissait, sinon pour montrer qu’il ne fuyait point la mort, et qu’il ne voulait point se cacher? Après qu’il y fut arrivé, il dit à ses disciples «Je vous serai à tous en cette nuit une occasion de scandale et de chute. Car il est écrit: Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées (31)». Il leur rappode cette prophétie pour leur faire voir qu’ils devaient s’appliquer continuellement à la méditation de l’Ecriture, et pour leur marquer en même temps que c’était par un ordre exprès de la volonté de Dieu son Père, qu’il allait être crucifié. Il voulait encore témoigner dans toutes les rencontres, qu’il n’était point opposé à l’ancienne Loi, ni à Dieu qui l’avait établie; que tout ce qui était marqué dans les anciennes Ecritures avait rapport à l’avenir; et que les prophètes avaient longtemps auparavant prophétisé ce qui lui allait arriver, afin que la vue de toutes ces choses relevât leur espérance.

Il veut encore nous apprendre quels étaient ses disciples avant sa mort, et quels ils devinrent ensuite. Ceux qui n’avaient pu même le voir attacher en croix, et qui s’enfuirent aussitôt qu’il fut pris, demeurèrent enfin plus fermes que le diamant. Mais cette fuite des disciples nous est encore une preuve convaincante de la vérité de la mort de Jésus-Christ. Car si, après tant de marques indubitables, de paroles et d’actions, quelques-uns néanmoins sont encore assez hardis pour dire que le Fils de Dieu n’a point été crucifié; que n’oseraient-ils point soutenir, s’il ne fût arrivé alors aucune de ces (34) circonstances? Ainsi, il a voulu prouver invinciblement sa mort, non-seulement par sa passion et par ses souffrances, mais encore par la conduite de ses disciples, par les mystères, enfin par tous les moyens, afin de ruiner entièrement l’hérésie de Marcion. C’est aussi pour cela qu’il a permis que le chef même de ses disciples le renonçât. Car si Jésus-Christ n’a pas été véritablement pris, s’il n’a pas été lié et crucifié, pourquoi saint Pierre et les autres apôtres ont-ils été si saisis de crainte? Cependant il ne les abandonne pas dans ce trouble, et il leur dit: «Mais après que je serai ressuscité, j’irai devant vous en Galilée (32)».

Il ne voulut pas leur paraître comme descendant tout à coup du ciel, ni s’en aller dans un pays fort éloigné; mais il voulut se faire voir à eux dans le lieu même où ils étaient avant sa mort, et se montrer dans l’endroit presque où on l’avait crucifié, afin de nous mieux assurer par cette circonstance que celui qui ressuscitait était le même qui venait d’être crucifié. C’est donc par cette promesse qu’il tâche d’apaiser leur douleur. Il dit qu’il irait devant eux «en Galilée », afin qu’étant délivrés de cette grande crainte des Juifs qui les saisissait, ils pussent écouter ses paroles avec un esprit plus calme, et les croire avec une foi plus ferme. C’est le véritable sujet pourquoi il-choisit ce pays de Galilée.

«Pierre lui répondit: Quand tous les autres seraient scandalisés en vous, moi je ne le serais jamais (33) ». Que dites-vous apôtre? Le prophète dit: «Que les brebis du troupeau seraient dispersées ». Jésus- Christ confirme lui-même ce que le prophète a dit; et cependant vous assurez le contraire? Ne vous suffit. il pas que votre maître vous ait fait ces sévères réprimandes, lorsque vous lui disiez: «Seigneur, ayez pitié de vous: Cela ne sera point »? Mais Dieu permet ceci, afin que ce disciple, tombant ensuite, apprit à obéir en tout à son maître, et à croire plutôt la vérité de ses paroles, que le témoignage de sa propre conscience. Mais les autres retirèrent aussi un grand avantage de ce triple renoncement de saint Pierre, en y voyant un si grand exemple de l’infirmité humaine, et une si grande preuve de la vérité de Dieu. Quand Dieu a une fois prédit qu’une chose arrivera, il ne faut plus penser à la combattre par de vaines subtilités, ni à lui résister par des efforts superflus; il ne faut point non plus, en s’élevant contre les autres, se préférer à eux; «car, dit saint Paul, c’est en vous-mêmes et non dans les autres que vous trouverez votre gloire ». (
Ga 6)

Au lieu de dire humblement à Jésus-Christ: Seigneur, soutenez-nous par votre force toute-puissante, afin que rien ne puisse nous faire tomber dans le scandale, Pierre s’élève au contraire, et dit dans un esprit de présomption: «Quand tous les autres seraient scandalisés en vous, moi je ne le serais jamais». Ces paroles témoignaient une présomption que Jésus-Christ voulut rabaisser en permettant le renoncement. Puisque Pierre ne se laissait persuader ni par la parole de son maître, ni par celle du prophète que le Sauveur avait même cité à dessein pour que l’apôtre n’osât y contredire, Jésus-Christ, voyant que les paroles n’étaient pas assez fortes pour instruire son disciple, l’instruit par les choses mêmes.

Et pour montrer que ce n’était que pour ce sujet, et pour abattre son orgueil, qu’il permit ce renoncement, voyez ce qu’il lui dit: «J’ai prié pour vous, afin que vous ne perdiez pas la foi »: ce qu’il lui dit pour le toucher davantage, en lui faisant voir que sa faute serait plus grande que celle de tous les autres disciples, et qu’il avait besoin d’un plus grand secours, et d’une prière toute particulière pour en obtenir le pardon. Car il avait commis un double crime dans ces paroles si hardies; le premier de résister à la parole expresse de son maître; et le second de se préférer aux autres disciples: et j’en ajouterais même un troisième, par lequel il s’attribuait tout comme venant de lui-même et de ses seules forces. Jésus-Christ voulant donc remédier à tant de plaies le laissa tomber, et c’est pour ce sujet que, sans parler aux autres, il s’adresse à lui en disant: «Simon, Simon, Satan vous a demandé afin de vous cribler comme on crible le blé», c’est-à-dire, «afin de vous tenter, de vous troubler, de vous effrayer; mais moi j’ai prié pour toi, afin que tu ne perdes point la foi».

Pourquoi, si le démon a demandé permission de tenter tous les disciples, Jésus-Christ ne dit-il pas qu’il a prié son Père pour eux tous? Il est évident, comme je l’ai déjà dit, qu’il voulait le toucher plus vivement par des paroles si sensibles, et qu’il lui parlait cri particulier, pour lui faire reconnaître que sa faute était plus grande que celle de tous les autres. (35)

Pourquoi Jésus-Christ ne dit-il pas: Mais je ne l’ai pas permis au démon, et qu’il dit: «Et moi j’ai prié», sinon parce qu’allant à sa passion il voulait parler plus humblement, et témoigner davantage la vérité de la nature humaine dont il était revêtu? Et comment serait-il possible, qu’après avoir établi si solidement et si puissamment son Eglise sur la confession de foi que lit cet apôtre, qu’après lui avoir promis qu’elle serait invincible à tous les dangers, et à la mort même; qu’après lui avoir donné les clefs du Royaume des cieux, et l’avoir affermi dans une si grande puissance, sans qu’il eût besoin de, faire aucune prière, comment, dis-je, serait-il possible qu’il eût besoin de prier en cette rencontre? Car il lui parlait avec une autorité toute divine, lorsqu’il disait: «J’édifierai mon Eglise sur toi, et je te donnerai les clefs du royaume des cieux ». Comment après cela devait-il avoir recours à la prière pour calmer le trouble d’un seul homme? Pourquoi donc use-t-il de ces termes, sinon pour la raison que je viens d’indiquer, et pour condescendre à la faiblesse de ses disciples qui n’avaient pas encore de lui l’opinion qu’ils devaient en avoir.

Vous me demanderez peut-être comment, après cette prière, saint Pierre a pu renoncer son maître. Jésus-Christ n’a pas dit qu’il prierait son Père d’empêcher que Pierre ne le renonçât; mais qu’il, ne perdît la foi. Car c’est pas ses prières et par sa grâce que la foi de cet apôtre ne s’est pas tout à fait éteinte. Saint Pierre craignit beaucoup, parce que Dieu l’avait beaucoup laissé à lui, et il l’avait beaucoup laissé à lui en retirant de lui son secours, parce que la présomption avait blessé son âme jusqu’à le faire contredire son divin Maître. Celui-ci permit donc qu’il tombât dans ce triple renoncement, afin de détruite en lui son orgueil jusqu’à la racine, car ce mal funeste était si profondément enraciné dans son coeur, que, n’étant pas content d’avoir contredit le prophète et Jésus-Christ même, il eut encore la hardiesse, après que Jésus-Christ lui eut dit: «Je vous dis en vérité, qu’en cette «même nuit, avant que le coq chante, vous me renoncerez trois fois (34) », de lui répondre: «Quand il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renoncerai point (35) ». Et saint Luc remarque que plus Jésus-Christ lui disait qu’il tomberait dans ce scandale, plus l’apôtre soutenait le contraire. A quoi pensez-vous, apôtre? Lorsque votre maître disait en général à ses disciples: «Un de vous me trahira», vous craigniez d’être ce traître, et quoique vous ne vous sentissiez point coupable de ce dessein parricide, vous ne laissiez pas de vous défier de vous-même; et vous exhortiez un autre disciple à prier le Sauveur de vous marquer quel, serait ce traître. Et lorsqu’il déclare nettement ici qu’il sera pour tous ses disciples un sujet de chute et de scandale, vous osez lui résister et le contredire? Vous ne commettez pas même cette faute une seule fois et dans la première surprise d’une chaleur précipitée; mais vous lui répétez plusieurs fois ces mêmes paroles. D’où vient donc un si grand excès?

La faute de saint Pierre, mes frères, vint du grand amour qu’il avait pour Jésus-Christ, et du grand plaisir qu’il ressentait en lui-même, lorsqu’il fut délivré de l’appréhension d’être peut-être celui qui trahirait Jésus-Christ. Lorsqu’il se vit dégagé de cette crainte, il conçut une joie profonde et une confiance extraordinaire en lui-même, qui fit que, s’élevant au-dessus de tous les autres disciples, il dit hardiment en leur présence: «Quand tous les autres seraient scandalisés en vous, moi je ne le serais jamais ». Je crois, sans doute qu’il dit ces paroles par un mouvement de vanité et d’orgueil. Car on voit que même dans ce dernier souper ils disputaient pour savoir qui était le plus grand d’entre eux, tant l’amour de la vaine gloire était enraciné dans leurs esprits. Jésus-Christ donc voulant guérir son disciple d’une maladie si, mortelle, et de tant de maux ensemble, ne le poussa pas à la vérité à le renoncer, Dieu nous garde de cette pensée; mais il retira sa grâce de lui, et fit voir jusqu’où allait la faiblesse de notre nature.

Et remarquez, mes frères, combien il témoigna dans la suite que sa chute l’avait instruit, et que cette faute lui avait été utile. Voyez avec quelle modestie il parle toujours après la résurrection de son Maître. L’Evangile nous rapporte que lorsqu’il eut dit à Jésus-Christ dans une certaine occasion: «Seigneur, que deviendra ce disciple »? (Jn 21) et que Jésus-Christ lui eut fermé la bouche et arrêté sa curiosité, il n’osa plus rien répliquer. Quand le Fils de Dieu eut dit de même à tous ses disciples que ce «n’était pas à eux à connaître les temps ni les moments » (Ac 1), il demeura aussitôt dans le silence sans dire une (36) seule parole. On voit de même que, lorsqu’une voix du ciel lui eut dit: «N’appelez plus impur ce que Dieu a purifié» (Ac 10), il lui céda aussitôt, quoiqu’il n’en comprît pas encore bien le mystère. Ce fut cette chute dont nous parlons ici qui fut comme le principe et la source de son humilité dans toute la suite de sa vie. Jusque-là, c’était à ses propres forces qu’il attribuait tout ce qu’il était, comme lorsqu’il disait: « Quand tous les autres seraient scandalisés en vous, moi je ne le serais jamais. Quand il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renoncerai point ». Au lieu qu’il devait prier le Sauveur de l’assister de sa grâce, et reconnaître que sans son secours il ne pourrait rien. On voit après qu’il agit d’une manière toute contraire: «Pourquoi nous regardez-vous», dit-il, « comme si nous avions fait marcher cet homme par notre propre force, et par notre propre puissance »? (Ac 3)

824 4. Nous apprenons par là cette grande vérité, que la bonne volonté de l’homme ne lui suffit pas pour le bien, si elle n’est soutenue et animée par le secours de la grâce; et que, de même, ce secours du ciel ne nous peut servir de rien, lorsque la bonne volonté nous manque. Judas et saint Pierre sont deux preuves de l’une et de l’autre de ces vérités. Le premier ayant reçu tant de secours de Jésus-Christ n’en a tiré aucun avantage, parce qu’il n’a pas voulu s’en servir et y correspondre; et saint Pierre, au contraire, quoiqu’il eût cette bonne volonté, tomba néanmoins parce qu’il n’avait point ce secours. Toute la vertu est établie sur ces deux principes.

C’est pourquoi je vous conjure, mes frères, de ne point tellement rejeter tout sur Dieu, que vous demeuriez dans l’assoupissement et dans la langueur; et de ne point croire non plus en travaillant avec ardeur, que tout dépende de votre travail. Dieu ne veut point que nous soyons lâches, ainsi il demande que nous travaillions: il ne veut point non plus que nous soyons superbes; c’est pourquoi il ne veut pas que tout dépende de notre travail. Ainsi il sépare de ces deux choses ce qui nous nuirait, et il en laisse ce qui peut nous être utile. C’est pour cette raison qu’il a laissé tomber le prince des apôtres, afin de se servir de sa chute pour le rendre plus humble et plus ardent dans son amour: «Car celui à qui on pardonne plus, aime davantage».

Croyons donc toujours à ce que Dieu dit, et ne lui résistons jamais, quoique notre esprit, notre jugement ait peine à se rendre à ce qu’il nous dit, et que sa parole soit au-dessus de notre sens et de foutes nos lumières. Faisons en toutes ces rencontres ce que nous faisons dans nos mystères sacrés. Ne regardons pas seulement ce qui se présente à nos yeux, mais attachons-nous surtout à la parole qu’il a dite. Nos sens nous peuvent, tromper; mais sa parole ne le peut jamais. Notre vue est aisément séduite, et tombe souvent dans l’erreur; mais la parole et la vérité de Dieu ne peuvent errer.

Puisque le Verbe a dit: «Ceci est mon corps », soyons persuadés de la vérité de ses paroles, soumettons-y notre croyance, regardons-le dans ce Sacrement avec les yeux de l’esprit. Car Jésus-Christ ne nous y arien donné de sensible, mais ce qu’il nous y a donné sous des objets sensibles, est élevé au-dessus des sens, et ne se voit que par l’esprit. Il en est ainsi dans le baptême, où, par l’entremise d’une chose terrestre et sensible qui est l’eau, nous recevons un don spirituel, savoir: la régénération et le renouvellement de nos âmes. Si vous n’aviez point de corps, il n’y aurait rien de corporel dans les dons que Dieu vous fait: mais parce que votre âme est jointe à un corps, il vous communique des dons spirituels sous des choses sensibles et corporelles.

Combien y en a-t-il maintenant qui disent: Je voudrais bien voir Notre-Seigneur revêtu de ce même corps dans lequel il a vécu sur la terre. Je serais ravi de voir son visage, toute la figure de son corps, ses habits et jusqu’à sa chaussure. Et moi je vous dis que c’est lui-même que vous voyez; que c’est lui-même que vous touchez, que c’est lui-même que vous mangez. Vous désirez de voir ses habits, et le voici lui-même qui vous permet, non-seulement de le voir, mais encore de le toucher, de le manger, et de le recevoir au dedans de vous.

Mais que personne ne s’approche de cette table sacrée avec dégoût, avec négligence, et avec froideur. Que tous s’en approchent avec avidité, avec ferveur et avec amour. Car puisque les Juifs, en mangeant l’Agneau Pascal, avaient accoutumé de se tenir debout, d’être chaussés, d’avoir un bâton à la main, et de manger en diligence; avec combien plus d’ardeur et d’activité devez-vous manger le divin (37) Agneau de la Loi nouvelle? Les Juifs étaient alors sur le point de passer de l’Egypte dans la Palestine; c’est pourquoi ils étaient en posture de voyageurs: mais quant à vous, vous devez faire un plus grand voyage, puisque vous devez passer de la terre au ciel.

825 5. Vous devez donc sans cesse veiller sur toutes vos actions, sachant que ceux qui reçoivent avec indignité le corps du Seigneur, sont menacés d’un grand châtiment. Si vous ne pouvez considérer sans une indignation extrême la trahison de Judas qui vendit son maître, et l’ingratitude des Juifs qui crucifièrent leur roi, prenez garde de vous rendre aussi vous-mêmes coupables de la profanation de son corps et de son sang. Ces malheureux firent souffrir la mort au très-saint corps du Seigneur, et vous, vous le recevez avec une âme toute impure et toute souillée après en avoir reçu tant de biens. Car il ne s’est pas contenté de se faire homme, de s’exposer aux ignominies et aux outrages des Juifs, et d’endurer la mort de la croix; il a voulu, outre cela, se mêler et s’unir à nous d’une telle sorte que nous devenons un même corps avec lui, non-seulement par la foi, mais effectivement et réellement.

Qui donc doit être plus pur que celui qui’ est participant d’un tel sacrifice? Quel rayon de soleil ne doit point céder en splendeur à la main qui distribue cette chair, à la bouche qui est remplie de ce feu spirituel, à la langue qui est empourprée de ce redoutable sang? Représentez-vous l’honneur que vous recevez, et à quelle table vous êtes assis. Celui que les anges ne regardent qu’avec tremblement, qu’avec frayeur, ou plutôt qu’ils n’osent regarder à cause de la splendeur et de l’éclat de sa majesté qui les éblouit, est celui-là même qui nous sert de nourriture, qui s’unit à nous, et avec qui nous ne faisons plus qu’une même chair et qu’un même corps.

Qui sera capable de parler assez dignement de la toute-puissance du Seigneur, et de publier par toute la terre les louanges qui lui sont dues? Quel est le pasteur qui ait jamais donné son sang pour la nourriture de ses brebis? Mais que dis-je un pasteur? Ne voyons-nous pas plusieurs mères qui ont si peu de tendresse pour leurs enfants, qu’après les avoir mis au monde, elles ne leur donnent pas même de leur lait. les mettant entre les mains d’autres femmes qui les nourrissent? Mais Jésus-Christ ne peut souffrir que ses enfants reçoivent leur nourriture d’autres que de lui. Il nous nourrit lui-même de son propre sang, et en toutes façons nous incorpore avec lui.

Considérez, mes frères, que le Sauveur est né de notre propre substance; et ne dites pas que cela ne regarde point tous les hommes; puisque s’il est venu pour prendre notre nature, cet honneur regarde généralement tous les hommes. Que s’il est venu pour tous, il est aussi venu pour chacun en particulier. Pourquoi donc, dites-vous, tous en particulier n’ont-ils pas reçu le fruit qu’ils devaient de cette venue? Il ne faut point en accuser celui qui le désire avec tant d’ardeur: il en faut rejeter toute la faute sur ceux qui, par une négligence et une ingratitude insupportable, ne le veulent point recevoir. Car Jésus-Christ, s’unissant et se mêlant par lé mystère de l’Eucharistie avec chacun des fidèles qu’il a fait renaître, et se donnant soi-même à eux pour être leur nourriture, nous persuade par là de nouveau qu’il s’est véritablement revêtu de notre chair.

Ne demeurons donc pas dans l’insensibilité après avoir reçu des marques d’un si grand honneur et d’un si prodigieux amour. Vous voyez avec quelle impétuosité les petits enfants se jettent au sein de leurs nourrices, et avec quelle avidité ils sucent le lait de leurs mamelles. Imitons-les, mes frères, en nous approchant avec joie de cette table sacrée, et suçant, pour le dire ainsi, le lait spirituel de ces mamelles divines: mais courons-y avec encore plus d’ardeur et d’empressement, pour attirer dans nos coeurs, comme des enfants de Dieu, la grâce de son Esprit-Saint, et que la plus sensible de nos douleurs soit d’être privés de cette nourriture céleste.

Ce n’est point la puissance des hommes qui agit sur ces choses que l’on offre sur le saint autel. Jésus-Christ, qui opéra autrefois ces merveilles dans la cène qu’il fit avec ses apôtres, est le même qui les opère encore maintenant. Nous tenons ici la place de ses ministres, mais c’est lui qui sanctifie ces offrandes, et qui les change en son corps et en son sang. Que nul Judas, que nul avare n’ait la hardiesse d’y assister. Il n’y a pas à cette table de place pour eux. Mais que les véritables disciples de Jésus-Christ s’en approchent, puisqu’il a dit que c’était avec ses disciples qu’il faisait la Pâque. Ce banquet sacré où vous (38) assistez est le même que celui où assistèrent les apôtres, et il n’y a rien de moins en celui-ci qu’en celui-là, puisqu’il n’est pas vrai de dire que c’est un homme qui fait celui-ci, au lieu que ce fut Jésus-Christ qui fit celui-là, mais que c’est véritablement lui-même qui fait celui-ci comme il a fait l’autre.

C’est ici ce cénacle où Jésus-Christ entra alors avec ses disciples, et d’où il sortit pour aller à la montagne des oliviers. Sortons d’ici de même pour aller trouver les mains des pauvres, où nous trouverons véritablement la montagne des olives. Car la multitude des pauvres est comme un plant d’oliviers, qui sont plantés dans la maison du Seigneur. C’est de là que nous découle peu à peu cette huile qui nous sera si nécessaire à notre mort; cette huile dont les vierges sages eurent soin d’emplir leurs vases, et que les vierges folles ayant négligée furent justement rejetées de la chambre nuptiale. Munissons-nous, mes frères, de cette huile, et allons avec des lampes très-éclatantes au-devant de notre Epoux. Que tous ceux qui sont cruels et inhumains, qui sont durs et impitoyables, qui sont impurs et corrompus, ne s’approchent point de cette table qui est toute sainte.

826 6. Ce n’est pas seulement à vous qui êtes participants des sacrés mystères, mais c’est aussi à vous autres qui en êtes les dispensateurs et les ministres que j’adresse mon discours, puisque la dispensation de ces dons divins vous étant commise, il est important de vous avertir de la faire avec beaucoup de circonspection et de soin. Car vous êtes menacés d’un grand châtiment, si, sachant qu’un homme est pécheur, vous ne laissez pas de le recevoir à cette table, et Jésus-Christ vous demandera compte de son sang, si vous le faites boire à des indignes. S’il s’en présente donc quelqu’un, quand ce serait un général d’armée, quand ce serait un grand magistrat de l’empire, quand ce serait l’empereur même, empêchez-le de s’approcher de l’autel. Car vous avez une plus grande puissance que lui. Or, ce n’est pas pour que vous paraissiez revêtu d’une tunique blanche et éclatante, que Dieu vous a honorés du ministère des autels, mais afin que vous fassiez le discernement de ceux qui sont dignes ou indignes de la participation des saints mystères. C’est en cela que consiste la dignité de votre charge.

Si l’on vous avait commis le soin de garder pour un troupeau de brebis l’eau claire et paisible d’une fontaine très-pure, souffririez-vous qu’une brebis, dont la bouche serait toute souillée de boue, s’en approchât pour la troubler? Et lorsqu’on vous a confié la source et la fontaine sacrée, non d’une eau, mais du sang et de l’esprit, pouvez-vous, lorsque vous voyez des personnes noircies de crimes, en approcher pour la corrompre, ne pas entrer dans une juste indignation, et ne les en pas repousser? Quel pardon mériteriez-vous pour une indifférence criminelle?

Vous me demandez comment il est possible que vous connaissiez en détail et en particulier la vie de chacun de votre peuple. Je ne vous parle point ici des personnes qui vous sont inconnues; mais de celles que vous connaissez. Il faut que je vous dise une chose tout à fait étonnante et effroyable: c’est lin moindre mal de laisser entrer des démoniaques dans l’Eglise pour participer aux sacrifices, que d’y admettre ceux dont saint Paul dit: «Qu’ils foulent aux pieds Jésus-Christ, qu’ils tiennent pour impur le sang de son alliance, et qu’ils font injure à la grâce de son Esprit-Saint». (
He 5) C’est qu’en effet celui qui se reconnaissant coupable de péché s’approche de l’Eucharistie, est bien pire qu’un possédé. Car les possédés ne seront pas punis de Dieu pour avoir été tourmentés par les démons; mais ceux qui communient indignement seront précipités dans les tourments éternels.

Chassons donc sans aucune considération de personne, nous qui sommes les dispensateurs des saints mystères, tous ceux que nous verrons être indignes de s’en approcher. Que personne n’y participe qui ne soit des disciples de Jésus-Christ. Que personne ne reçoive cette nourriture sacrée avec un esprit impur comme Judas, de peur qu’il ne tombe dans les mêmes peines que lui. Cette multitude des fidèles est aussi le corps de Jésus-Christ. C’est pourquoi vous qui avez la charge de dispenser les sacrés mystères, n’irritez pas la colère du Seigneur en manquant à purger ce corps, ainsi que vous le devez, et ne présentez pas une épée tranchante au lieu d’une viande salutaire. Si donc quelqu’un a perdu le sens jusques au point de s’approcher avec indignité dé la sainte table, rejetez-le hardiment sans vous laisser ébranler par aucune crainte. Craignez Dieu et non pas les hommes. Car si vous craignez les hommes, les hommes mêmes que, vous craindrez (39) se joueront de vous: mais si vous ne craignez que Dieu seul, les hommes mêmes vous révéreront.

Que si vous n’osez chasser les indignes de l’autel sacré, dites-le moi, et je ne permettrai pas qu’ils s’en approchent. Car je perdrai plutôt la vie que de donner le corps du Seigneur à celui qui en est indigne, et je souffrirai plutôt que l’on répande mon sang, que de présenter un sang si saint et si vénérable à celui qui n’est pas en état de le recevoir. Si quelqu’un s’approche indignement de cette table sans que vous le sachiez, ce n’est plus votre faute, pourvu que vous ayez auparavant appliqué tous vos soins à reconnaître ceux qui en sont dignes ou ne le sont pas. Je ne parle ici que des personnes que l’on connaît publiquement, et qui sont manifestement scandaleuses.

Quand nous aurons accompli notre devoir à l’égard de ces personnes, Dieu nous fera connaître ensuite aisément les autres. Mais si nous admettons à la participation des saints mystères des personnes que nous savons être dans le crime, à quoi servirait que Dieu nous découvrît celles qui sont dans des crimes cachés?

Je dis ceci, mes frères, non afin que nous bornions tout notre zèle à retrancher seulement et séparer de la communion ceux qui n’en sont pas dignes; mais afin que nous travaillions encore à les corriger, à les rappeler dans leur devoir, et à prendre un soin particulier pour tout le monde. Car c’est ainsi que nous nous rendrons Dieu favorable, que nous multiplierons le nombre de ceux qui pourront communier dignement, et que nous recevrons les récompenses que Dieu rendra à notre vertu particulière, et au soin si charitable que nous aurons eu de nos frères. C’est ce que je vous souhaite par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (40)


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HOMÉLIE LXXXIII


Chrysostome sur Mt 82