Chrysostome sur Rm 300

HOMÉLIE 3 - PUISQU'ON Y DÉCOUVRE LA JUSTICE DE DIEU ÉCLATANT DU CIEL CONTRE TOUTE L'IMPIÉTÉ, ET L'INJUSTICE DE CES HOMMES QUI RETIENNENT LA VÉRITÉ DANS L'INJUSTICE.

300 (Rm 1,18-25)

(204) Analyse.

1. La colère de Dieu se montre dès cette vie même pour châtier les péchés soit des particuliers, soit des peuples, mais au dernier jour cette colère éclatera plus manifestement, et d'une manière plus terrible.
2. Les philosophes, instruits par le spectacle de la création, ont connu le Dieu créateur.
3. Les philosophes ont rendu aux idoles ce qu'ils devaient rendre à Dieu.
4. Dieu, pour les punir, les â laissés s'enfoncer dans les vices les plus abominables.

301 1. Voyez la prudence de Paul; comment, après avoir traité des questions agréables, il passe ensuite à des sujets plus terribles. Après avoir dit que l'Evangile est le principe du salut et de la vie, qu'il est la vertu de Dieu, qu'il a opéré le salut et la justice, il énonce ensuite des vérités capables d'épouvanter ceux qui ne le pratiquent point. Et comme la plupart des hommes sont plutôt poussés à la vertu par la crainte du mal, qu'ils n'y sont attirés par la promesse du bien, l'apôtre emploie ici l'un et l'autre motifs. C'est pourquoi Dieu a non-seulement promis le royaume, mais aussi menacé de l'enfer; et les prophètes en usaient de même avec les Juifs, entremêlant toujours dans leurs discours la crainte des maux et la promesse des biens. Paul varie ainsi son sujet, mais non au hasard; il commence par les choses agréables, puis passe aux choses tristes, en montrant que les premières sont l'effet de la volonté divine et les autres le résultat de la malice humaine. Le prophète avait procédé de cette façon : « Si vous le voulez et que vous m'écoutiez, vous mangerez les biens de la terre; si vous refusez et que vous ne m'écoutiez pas, le glaive vous dévorera». (Is 19,20) Paul débute ici de la même manière. Voyez en effet: Le Christ, dit-il, est venu apporter le pardon, la justice, la vie ; et non sans peine, mais par la croix; et le plus étonnant n'est pas qu'il ait fait de tels dons, mais qu'il ait souffert de tels supplices. Si donc vous méprisez ces dons, un triste sort vous est réservé. Et voyez comme il élève le ton. « Puisqu'on y découvre », dit-il, « la colère de Dieu éclatant du ciel » (Rm 1,18). Et comment le voit-on? Si c'est un fidèle qui fait cette question, nous lui répondrons par les paroles mêmes du Christ; si c'est un infidèle ou un grec, Paul va lui fermer la bouche par ce qui suit, où il traite des jugements de Dieu, et tire de leur conduite un argument irréfragable : chose on ne peut plus étonnante, puisqu'il prétend apporter en preuves de la vérité ce qu'en disent et font tous les jours les adversaires mêmes de la vérité. Mais nous verrons cela plus tard ; en attendant attachons-nous à notre sujet.

« Puisqu'on y découvre la colère de Dieu éclatant du ciel» (Rm 1,18). Mais, dira-t-on, cela arrive souvent même dès cette vie, par la faim, par la peste, par la guerre: car en général comme en particulier, tous sont punis. Qu'y a-t-il donc là d'extraordinaire ? C'est que le supplice futur sera plus grand, qu'il sera commun et n'aura pas le même but; car ici-bas, ils sert à corriger, là il ne servira qu'à punir. C'est ce que Paul indique ailleurs par ces mots. « Nous sommes repris maintenant, afin que nous ne soyons pas condamnés avec ce monde». (1Co 11,32) Ici-bas même, beaucoup pensent que ces accidents proviennent de la (205) malice des hommes et non de la colère divine; mais là-bas, la vengeance de Dieu se manifestera clairement, lorsque, assis en qualité de juge, sur son redoutable tribunal, il ordonnera de traîner ceux-ci dans les fournaises, ceux-là dans les ténèbres extérieures, d'autres à d'autres supplices inévitables et intolérables tout à la fois. Et pourquoi l'apôtre ne dit-il pas ouvertement que le Fils de Dieu viendra entouré d'une multitude d'anges, faire rendre compte à chacun, mais, « qu'on y découvre la colère de Dieu? » C'est que ses auditeurs étaient encore néophytes; voilà pourquoi il les attire d'abord par des raisons admises chez eux sans difficulté. D'ailleurs il me semble s'adresser aussi aux Grecs, et c'est ce qui explique son début; puis il arrive enfin à parler du jugement du Christ.

« Contre l'impiété et la justice de ces hommes qui retiennent la vérité dans l'injustice» (Rm 1,18). Ici il indique que l'impiété a bien des voies et que la vérité n'en a qu'une : car l'erreur est variée, multiforme et pleine de confusion, tandis que la vérité est une. Après avoir parlé des dogmes, il parle de la conduite et mentionne l'injustice des hommes. Les injustices en effet, sont bien diverses : celle-ci a rapport à l'argent, quand quelqu'un vole son prochain; celle-là aux femmes, quand on quitte la sienne pour abuser de celle d'un autre. C'est ce que Paul appelle une fraude, quand il dit : « Que personne n'opprime et ne trompe en cela son frère » (1Th 4,6) ; d'autres, tout en respectant la femme et l'argent du prochain, nuisent à sa réputation, ce qui est encore une injustice : « Car une bonne renommée est préférable à de grandes richesses ». (Pr 22,1) Quelques-uns disent que Paul traite encore ici la question dogmatique: rien n'empêche d'admettre qu'il s'agit de l'un et de l'autre. Quant au sens de ces paroles : « Retienne la vérité dans l'injustice » (Rm 1,18), vous l'apprendrez par la suite. « Car ils ont connu ce qui se peut découvrir de Dieu (Rm 1,19) ». Mais ils ont attribué cette gloire au bois et à la pierre.

302 2. De même que celui qui a la garde des trésors du roi et commission de les dépenser pour sa gloire, est puni comme coupable de lèse-majesté, s'il les distribue à des voleurs, à des prostituées et à des magiciens, de manière à les faire briller aux dépens du souverain; ainsi en est-il de ceux qui ayant connu Dieu et sa gloire, ont prostitué cette gloire aux idoles, ont retenu la vérité dans l'injustice, outrageant leurs propres connaissances, autant qu'il était en eux, par l'abus qu'ils en faisaient. Comprenez-vous maintenant, ou faut-il vous expliquer cela plus clairement? Peut-être faudrait-il aller plus loin. Quel est donc le sens de ces paroles ? Dieu s'est fait connaître aux hommes dès le commencement; mais les Gentils appliquant cette connaissance à du bois, à de la pierre, ont outragé la vérité, autant qu'il était en eux; car la vérité est immuable, et sa gloire ne saurait changer. Mais comment savons-nous, ô Paul, que Dieu s'est révélé à eux? « Parce que», nous répond-il, « ils ont connu ce qui se peut découvrir de Dieu » (Rm 1,19). Mais c'est là une affirmation, et non une preuve; démontrez-moi, faites-moi voir que la connaissance de Dieu leur a été donnée et qu'ils l'ont volontairement négligée. Comment donc était-elle manifeste? Leur avait-il parlé d'en-haut? Nullement : mais il avait fait ce qui devait les attirer mieux qu'une voix : il avait créé l’univers, de manière à ce que le savant et l'ignorant, le scythe et le barbare, devinant la beauté de Dieu par le seul aspect des choses visibles, pussent remonter jusqu'à lui. Voilà pourquoi Paul dit : « En effet, ses perfections invisibles sont rendues compréhensibles depuis la création du monde, par les choses qui ont été faites... (Rm 1,20) » ; ce que le prophète disait déjà : « Les cieux racontent la gloire de Dieu ».

Que disent alors les Grecs? Nous vous avons ignoré. Eh ! n'avez-vous pas entendu le ciel parler par son seul aspect; cette magnifique harmonie de l'ensemble, plus éclatante qu'un son de trompette ? Ne voyez-vous pas cette régularité constante de la nuit et du jour? cette ordonnance fixe, invariable, de l'hiver, du printemps et des autres saisons? la docilité de la mer au milieu du trouble et des tempêtes? tout l'ensemble soumis aux lois de l'ordre, et, par sa beauté et par sa grandeur, proclamant l'ouvrier? Résumant cela et bien d'autres choses encore, Paul dit : « Car ses perfections invisibles, rendues compréhensibles depuis la création du monde par les choses qui ont été faites, sont devenues visibles, aussi bien que sa puissance éternelle et sa divinité, de sorte qu'ils sont inexcusables ». Ce n'était point dans ce but que Dieu avait fait ces choses, bien que le résultat ait (205) eu lieu. Ce n'était pas pour les rendre inexcusables qu'il avait créé de tels enseignements; mais pour qu'ils le connussent, et, par leur ingratitude, ils se sont ôté toute excuse. Et pour faire voir comment ils sont inexcusables, l'apôtre ajoute : « Parce que ayant connu Dieu, ils ne l'ont pas glorifié comme Dieu, ou ne lui ont point rendu grâces... (Rm 1,21) ».

Voilà un premier crime, et il est énorme. Un second, c'est qu'ils ont adoré les idoles, comme Jérémie les en accusait en disant « Ce peuple a commis deux iniquités ; ils m'ont abandonné, moi la source d'eau vive, et ils se sont creusé des citernes percées ». (Jr 2,13) Ensuite pour preuve que, connaissant Dieu, ils n'ont point usé de cette connaissance comme ils le devaient, Paul donne ce signe qu'ils ont reconnu des dieux; ce qui lui fait dire : « Parce qu'ayant connu Dieu, ils ne l'ont point glorifié comme Dieu ». Et il donne la raison de cette immense folie. Quelle est-elle ? Ils ont tout remis aux raisonnements. Il ne dit pas cela aussi simplement, mais avec beaucoup plus de force : « Mais ils se sont perdus dans leurs pensées, et leur coeur insensé a été obscurci ». Car de même que celui qui s'engage dans un chemin inconnu, ou se met en mer par une nuit obscure, périt bientôt, bien loin d'atteindre son but : ainsi ces hommes, en essayant de suivre la voie qui mène au ciel, en s'ôtant la lumière pour lui substituer leurs propres raisonnements, en cherchant dans les corps celui qui n'a pas de corps, dans les figures celui qui n'a pas de figure, ont fait le plus misérable naufrage. Outre cela, Paul donne encore une autre raison de leur erreur, quand il dit : « En disant qu'ils étaient sages, ils sont devenus fous (Rm 1,22) ». Ayant une haute idée d'eux-mêmes, et dédaignant de suivre la voie que Dieu leur avait tracée, ils se sont noyés dans leurs folles pensées. Ensuite dépeignant ce naufrage et faisant voir combien il était triste et inexcusable, il ajoute : « Et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une image représentant un homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles (Rm 1,23) ».

303 3. Voilà le premier chef d'accusation, ils n'ont pas trouvé Dieu; le second, ils en ont eu de grandes et évidentes occasions ; le troisième, ils se sont dits sages; le quatrième, non-seulement ils n'ont pas trouvé Dieu, mais ils ont prostitué leur culte aux démons, à la pierre et au bois. Il combat aussi cet orgueil dans son épître aux Corinthiens, mais non de la même manière qu'ici. Là il les condamne par la croix, en disant : « Car ce qui est folie en Dieu est plus sage que les hommes » (1Co 1,25) ; ici, sans établir de comparaison, il raille cette sagesse en elle-même, démontrant qu'elle est une folie et une preuve d'orgueil. Et pour vous bien faire comprendre qu'ils avaient la connaissance de Dieu et qu'ils l'ont trahi, il se sert de cette expression : « Ils ont changé ». Or celui qui change a quelque chose à donner en place. Ils voulaient trouver davantage et dépasser les bornes fixées; par là ils ont perdu ce qu'ils avaient, car ils étaient avides de nouveauté. Tels ont été les Grecs en tout. Voilà pourquoi ils ne s'accordaient point entre eux; Aristote combattit Platon, puis les Stoïciens déblatérèrent contre lui, et d'autres guerres se déclarèrent; en sorte qu'ils sont moins admirables pour leur sagesse que dignes d'aversion et de haine pour la folie qui en est résultée. Car ils n'eussent point éprouvé un tel sort, s'ils n'avaient tout confié à leurs propres raisonnements, à leurs argumentations et à leurs sophismes. Ensuite, poursuivant ses accusations, Paul se raille de toutes leurs idolâtries. C'est surtout l'échange qui est ridicule ; avoir échangé Dieu contre de tels objets, c'est absolument inexcusable. Voyez en effet contre quoi ils ont échangé et à quels êtres ils ont conféré la gloire. Il a fallu imaginer que tel être était Dieu, maître de toutes choses, créateur capable de pourvoir et d'administrer: car c'est là la gloire de Dieu. Et à qui l'ont-ils attribuée, cette gloire? Non à des hommes, mais à une image représentant un homme corruptible.

Et ils ne s'en sont pas tenus là, mais ils sont descendus jusqu'à des animaux stupides, voire même aux images de ces animaux. Et voyez la sagesse de Paul : comme il pose les deux extrêmes, Dieu, l'être suprême et les reptiles les plus vils, et non-seulement les reptiles, mais leurs images, pour mieux faire ressortir leur folie. Car la notion qu'il fallait avoir de l'Etre incomparablement le plus grand, ils l'ont appliquée à ce qu'il y a incomparablement de plus vil. Eh ! qu'est-ce que cela fait aux philosophes, direz-vous? Ce sont eux surtout que cela regarde. Car ils ont pour maîtres les Egyptiens, inventeurs de ces choses : Platon, qui passe pour le plus digne d'entre eux, (207) s'en glorifie, et son maître lui-même honore les idoles, lui qui ordonne de sacrifier un coq à Esculape. Là on voit des images d'animaux et de reptiles, et parmi elles Apollon et Bacchus qui partagent le même culte. Quelques-uns de ces philosophes ont introduit dans le ciel des taureaux, des scorpions, des dragons et d'autres êtres non moins ridicules : car partout le démon s'est efforcé de rabaisser les hommes devant des images de reptiles, et de soumettre aux plus stupides des animaux ceux que Dieu voulait élever au-dessus du ciel. Et ce n'est pas en cela seulement, mais encore sur d'autres points, que vous verrez leur chef encourir les reproches dont nous venons de parler. Car quand il réunit les poètes et affirme qu'il faut admettre ce qu'ils disent de la divinité, il ne produit qu'un amas de niaiseries, il veut néanmoins qu'on croie comme vraies toutes ces absurdités.

« C'est pourquoi Dieu les a livrés aux désirs de leurs coeurs, à l'impureté, en sorte qu'ils ont déshonoré leurs propres corps en eux-mêmes (Rm 1,24) ». Paul fait voir par là que l'impiété est le principe de la violation des lois. Ici « livrer » veut dire laisser aller. Car de même qu'un général d'armée en se retirant au fort de la mêlée, livre ses soldats, non pas précisément en les poussant vers l'ennemi, mais en les privant de son secours; ainsi Dieu, après avoir fait tout ce qu'il devait faire, a abandonné ceux qui refusaient ses dons et s'éloignaient de lui les premiers. Et voyez pour enseignement il avait créé le monde, il avait donné à l'homme l'intelligence et une âme capable de comprendre le devoir. Les hommes de ce temps-là n'ont point usé de ces dons pour leur salut, mais les ont détournés à une fin toute contraire. Que fallait-il donc faire? user de force et de violence? Mais ce n'est plus faire des hommes vertueux. Il n'y avait donc plus qu'à laisser faire, et c'est le parti que Dieu a pris, afin que, ayant connu par expérience les objets de leurs désirs, ils se dérobassent à la honte. En effet, si le fils d'un roi, méprisant son père, aime mieux vivre parmi des brigands, des assassins ou des voleurs sacrilèges; et préfère leur compagnie au séjour de la maison paternelle, le père l'abandonne jusqu'à ce que l'expérience lui ait fait sentir l'excès de sa folie.

304 4. Mais pourquoi l'apôtre ne mentionne-t-il pas d'autres péchés, comme par exemple l'homicide, l'avarice, et ne parle-t-il que de l'impureté? Il me semble faire ici allusion à ceux qui l'écoutaient alors, et à ceux à qui s'adressaient sa lettre. « A l'impureté, en sorte qu'ils ont déshonoré leurs propres corps en eux mêmes » (Rm 1,24). Voyez la force de ces expressions. Ils n'ont pas eu besoin, dit-il, que d'autres les déshonorassent; ils se sont traités eux-mêmes comme les eussent traités des ennemis. Puis remontant encore à la cause, il ajoute : « Eux qui ont transformé la vérité de Dieu en mensonge, adoré et servi la créature plutôt que le Créateur (Rm 1,25) ». Il parle en particulier de ce qu'il y avait de plus ridicule, et en général de ce qui semblait plus sérieux, mais par l'un et par l'autre il montre que le culte de la créature était le propre des Grecs. Et voyez comme il explique sa pensée. Il ne dit pas simplement : ils ont adoré la créature, mais il ajoute : « Au lieu du créateur » ; faisant ressortir par là la gravité du crime et leur ôtant par ce rapprochement tout espoir de pardon.

« Qui est béni dans les siècles. Ainsi soit-il ». Mais Dieu n'en a point souffert, ajoute-t-il; car il est béni dans les siècles. Il montre ici que si Dieu les a abandonnés, ce n'est point pour se venger, puisqu'il n'a éprouvé aucun dommage. S'ils lui ont fait injure, leur injure ne l'a point atteint; sa gloire n'en a point été diminuée, mais il demeure toujours béni. Car si souvent un philosophe ne souffre point des injures qu'on lui adresse, à bien plus forte raison Dieu, nature indestructible et immuable, gloire invariable et immortelle. Et c'est en cela que les hommes ressemblent à Dieu, quand ils ne souffrent point des outrages, des injures, des coups, des railleries dont on les poursuit. Et comment cela se peut-il, direz-vous? Cela est possible, très-possible : c'est en ne s'affligeant point de ces accidents. Et comment, dites-vous encore, ne pas s'en affliger? Eh ! comment peut-on s'en affliger au contraire? Dites-moi : si votre petit enfant vous injuriait, prendriez-vous ses injures pour des injures? Vous en affligeriez-vous? Pas le moins du monde; autrement, ne seriez-vous pas ridicule au dernier point? Soyons dans les mêmes dispositions à l'égard du prochain, et nous n'éprouverons rien de fâcheux, (ceux qui injurient ont moins de raison que des enfants) ; ne cherchons point à éviter les injures, supportons courageusement celles qu'on nous adresse, car (208) c'est là le véritable honneur. Pourquoi? parce que vous êtes le maître de souffrir l'injure, et un autre est maître de vous l'infliger. Ne voyez-vous pas le diamant renvoyer les coups dont on le frappe? mais, direz-vous, c'est sa nature. Vous pouvez par volonté devenir ce qu'il est par nature. Quoi, n'avez-vous pas vu les trois enfants rester sains et saufs dans la fournaise ? Daniel ne rien souffrir dans la fosse aux lions? Cela peut se reproduire encore aujourd'hui, car nous avons encore des lions, la colère, la concupiscence, armés de dents terribles et prêts à déchirer leurs victimes. Soyez donc semblable à Daniel, et ne souffrez point que les passions portent la dent sur votre âme. Mais, direz-vous, la grâce faisait tout chez Daniel. C'est vrai, mais soit parce que sa volonté la dirigeait. En sorte que si nous voulons lui ressembler, la grâce est encore là pour nous aider; et quoique tourmentées par la faim les bêtes féroces ne vous toucheront pas. Si elles ont respecté le corps d'un esclave, comment ne s'apaiseraient-elles pas à la vue des membres du Christ? (Car, en qualité de fidèles, nous sommes les membres du Christ). Si donc elles ne s'apaisent pas, la faute en est à ceux qui deviennent leur proie. Il en est, en effet, beaucoup qui fournissent une abondante pâture à un lion, en entretenant des femmes perdues, en commettant l'adultère, en se vengeant de leurs ennemis; en sorte qu'ils sont déjà déchirés avant de toucher le sol. Cela n'arriva point à Daniel, et ne nous arrivera point non plus si nous le voulons; nous serons même encore plus favorisés que lui.

En effet les lions se sont contentés de ne point lui nuire; mais nos ennemis nous seront utiles, si nous veillons sur nous. Ainsi Paul sortit glorieux des injustices et des embûches qu'on lui tendait; ainsi Job accablé de coups, Jérémie jeté dans une fosse pleine de boue, Noé au milieu du déluge, ainsi Abel attiré dans un piége, ainsi Moïse parmi les Juifs altérés de sang, ainsi Elisée, ainsi, dis-je, tous ces grands hommes ont gagné leur brillante couronne, non au sein du repos et du plaisir, mais parmi les afflictions et les épreuves. Aussi le Christ connaissant ce principe de gloire, disait-il à ses disciples : « Dans le a monde vous aurez des tribulations; mais ayez confiance: j'ai vaincu le monde ». (Jn 16,33) Quoi donc? direz-vous, un grand nombre n'ont-ils pas succombé à l'adversité? Oui, mais par leur lâcheté, et non par la nature même des épreuves. Que celui donc qui nous fait tirer profit de la tentation en sorte que nous puissions y résister, nous assiste tous et nous tende la main afin que, glorieusement proclamés, nous obtenions les couronnes éternelles, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec qui appartiennent au Père et au Saint-Esprit la gloire, l'honneur, la force, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE 4 C'EST POURQUOI DIEU LES A LIVRÉS A DES PASSIONS D'IGNOMINIE.

400 CAR LEURS FEMMES ONT CHANGÉ L'USAGE NATUREL EN UN AUTRE QUI EST CONTRE NATURE. ET PAREILLEMENT LES HOMMES, L'USAGE NATUREL DE LA FEMME, ABANDONNÉ, ONT BRÛLÉ DE DÉSIRS L'UN POUR L'AUTRE. (Rm 1,26-27)

(209) Analyse.

1. Parce que les païens ont abandonné Dieu pour les idoles, Dieu à son tour les a abandonnés, et leur sagesse humaine ne les a pas empêchés de tomber dans les désordres les plus abominables. — Des oeuvres sataniques sont la conséquence nécessaire de croyances sataniques. — Malheur à l'homme qui oublie et abandonne Dieu !
2. Le vice contre nature devenu, en vertu d'une loi de Solon, un privilège des hommes libres chez les Athéniens ! — Que les livres des philosophes sont pleins de cette peste:
3 et 4. Quel enfer serait. assez dévorant pour de telles abominations. — A ceux qui ne croient pas à l'enfer, l'orateur cite l'embrasement de Sodome, image et preuve permanente de l'enfer. — Ne point perdre la crainte de Dieu. — Vanité des grands du monde.

401 1. Toutes les passions sont ignominieuses, mais surtout la sodomie : car l'âme souffre plus, est plus déshonorée par les péchés que le corps par les infirmités. Et voyez comment l'apôtre ici, comme à propos des dogmes, leur ôte tout espoir de pardon, en disant d'abord des femmes : « Elles ont changé l'usage naturel». Personne, dit-il, ne peut prétendre ici que, privées de l'usage naturel du mariage, elles ont passé à l'autre; ni que ne pouvant satisfaire leur désir, elles soient tombées dans ce désordre contre nature : car échanger suppose que l'on possède, ainsi qu'il le disait déjà en parlant des croyances : « Ils ont transformé la vérité de Dieu en mensonge ». Il en dit autant des hommes, mais d'une autre manière : « L'usage naturel de la femme étant abandonné ». A ceux-ci comme à celles-là, il ne laisse aucun moyen de défense; il les accuse, non-seulement d'avoir eu le moyen de jouir et de l'avoir abandonné pour un autre, mais d'avoir abandonné celui qui était naturel pour recourir à celui qui est contre nature. Or ce qui est contre nature est plus pénible et plus désagréable; car le vrai plaisir est conforme à la nature; mais quand Dieu se retire, tout se renverse sens dessus dessous. Ainsi non-seulement leur croyance était diabolique, mais aussi leur conduite.

Quand Paul, raisonnait sur les croyances, il mettait en scène le monde et l'âme humaine, en disant qu'à l'aide de l'intelligence donnée par Dieu, les hommes auraient pu, par l'aspect des choses visibles, remonter jusqu'au Créateur; mais que, ne l'ayant pas voulu, ils étaient restés sans excuse. Ici, au lieu du monde visible, il invoque le plaisir naturel, dont ils pouvaient jouir avec plus de liberté et de satisfaction, en se soustrayant à l'ignominie ; mais ils ne l'ont pas voulu ; et déshonorant la nature elle-même, ils se sont rendus inexcusables; et pour comble d'horreur, les femmes elles-mêmes recherchaient ces commerces, elles qui devaient avoir plus de pudeur que l'homme. Ici encore il faut admirer la prudence de Paul : Comment se trouvant entre deux points opposés, il les traite tous les deux avec une parfaite mesure. Il voulait tout à la fois parler chastement et faire impression sur l'auditeur : deux choses inconciliables et dont l'une nuit à l'autre. Car si votre langage est chaste, vous ne frapperez point ceux qui vous écoutent; et si vous voulez être violent, vous serez obligé de parler en termes (210) nus et sans voile. Mais cette âme prudente et sainte a su résoudre le problème, en aggravant l'accusation au nom de la nature, et en se servant de cette même nature, comme d'un voile pour sauver la décence de son langage. Après avoir d'abord parlé des femmes, il en vient aux hommes, et dit : « Et pareillement les hommes, l'usage naturel de la femme abandonnée » : ce qui est l'indice d'une extrême dépravation, parce que les deux sexes sont corrompus, et que celui qui est établi comme le maître de la femme, et celle qui a été créée comme aide de l'homme, se traitent mutuellement comme des ennemis. Et voyez comme les expressions de l'apôtre sont énergiques ! Il ne dit pas qu'ils se sont aimés, désirés mutuellement; mais : « Ils ont brûlé de désirs l'un pour l'autre ». Remarquez-vous que tout vient de l'excès de la passion, qui ne peut plus se contenir dans les bornes de la nature? Car tout ce qui transgresse les lois de Dieu, porte à l'excès,- et ne se tient point dans les limites prescrites. Car comme on voit souvent des hommes ayant perdu le goût des aliments, manger de la terre et de petites pierres, et d'autres brûlés par la soif, être avides d'une eau boueuse; ainsi ils brûlaient d'un amour contraire à la loi. Et si vous demandez : D'où venait cet excès de la passion? De ce que Dieu les avait abandonnés. Et pourquoi Dieu les avait-il abandonnés ? A cause de l'iniquité de ceux qui l'avaient abandonné les premiers. « L'homme commettant l'infamie avec l'homme ».

402 2. Pour avoir entendu ce mot : « Ils ont brûlé de désirs », n'allez pas vous imaginer, dit l'apôtre, que la maladie se bornait à la seule concupiscence : car le plus souvent cette concupiscence empruntait son feu de leur lâcheté. Aussi ne dit-il point entraînés ou préoccupés; expressions qu'il emploie ailleurs. Que dit-il donc? « Commettant ». Ils ont mis le péché à effet, et non-seulement à effet, mais avec ardeur. Il ne dit pas le désir, mais proprement « l'infamie » ; car ils ont outragé la nature et foulé les lois aux pieds. Et voyez un peu la confusion qui s'ensuit des deux côtés. Tout est bouleversé et mis sens dessus dessous, ils sont devenus ennemis d'eux-mêmes et entre eux, en allumant une guerre terrible, multipliée, variée, plus cruelle qu'aucune guerre civile. En effet, ils lui ont donné quatre formes aussi vaines que contraires aux lois : car elle n'était pas seulement double ou triple, mais quadruple. Examinez un peu : l'homme et la femme de deux ne devaient faire qu'un : « Ils seront les deux en une seule chair », est-il écrit. (Gn 2,24) Le désir de l'union conjugale produisait en effet, et réunissait les deux sexes. Le démon, en détruisant ce désir et lui en substituant un autre, a brisé le rapport d'un sexe à l'autre, a fait deux de ce qui n'était qu'un, contrairement à la loi de Dieu qui avait dit: « Ils seront les deux en une seule chair», tandis que lui partage une seule chair en deux. Voilà une première guerre.

Ensuite il a armé ces deux parties contre elles-mêmes et entre elles : car les femmes n'outrageaient pas seulement les hommes, mais aussi les femmes; et les hommes à leur tour, non contents de se faire la guerre, la faisaient aussi au sexe féminin, comme dans un combat de nuit. Voyez vous une seconde et une troisième guerre, et même une quatrième et une cinquième ? Il y en a encore une autre outre ce que nous avons dit, ils outrageaient encore les lois de la nature elle-même. Car le démon s'apercevant que le désir portait surtout un sexe vers l'autre, s'est attaché à briser ce lien ; en sorte que le genre humain tendait à sa destruction, non-seulement par le défaut de génération, mais aussi par suite de la division et de la guerre qui régnaient entre les sexes.

« Et recevant ainsi en eux-mêmes la récompense qui était due à leur égarement ». Voyez comme il revient encore à la source du mal, l'impiété dogmatique, et fait voir que d'elle dérivaient ces désordres. Comme en parlant de l'enfer et de ses supplices, il ne paraissait point digne de foi aux impies et à ceux qui avaient adopté ce genre de conduite, qu'il leur semblait même ridicule, il leur prouve que la volupté renferme en elle-même son châtiment. S'ils ne le sentent pas, s'ils jouissent même, ne vous en étonnez pas : les furieux, les frénétiques, tout en se blessant et en se maltraitant misérablement, tout en excitant la pitié chez les autres, rient et sont heureux de ce qu'ils font. Nous ne les disons pas pour cela exempts du châtiment; nous les disons au contraire d'autant plus punis qu'ils ignorent leur état. Car ce ne sont pas les malades, mais ceux qui se portent bien qu'il faut consulter; d'ailleurs c'était anciennement chez (211) eux une loi, un ordre de leur législateur que la friction sèche (1) et la pédérastie fussent interdites aux esclaves; ces privilèges, ou plutôt ces turpitudes, étaient réservées aux hommes libres. Cependant ils ne voyaient point là d'infamie; c'étaient une chose honnête, mais trop relevée pour un esclave et digne seulement d'un homme libre : telle était l'opinion des Athéniens, le plus sage des peuples, et de leur illustre Solon. Et l'on retrouverait cette maladie dans beaucoup de livres de philosophes. Nous ne disons cependant pas pour cela que ce fût une loi pour tous, mais que ceux qui la subissaient, étaient misérables et dignes d'une grande pitié. Car ils éprouvaient ce qu'éprouvent les prostituées, et pire encore. En effet, chez celles-ci, le commerce est illégitime, mais non contre nature ; tandis que là il est tout à la fois illégitime et contre nature.

1 La friction sèche était prise par les athlètes au sortir du bain.

Et quand il n'y aurait pas d'enfer, ni aucune menace de supplice, le mal lui-même serait pire que tout supplice. En parlant du plaisir qu'ils éprouvent, vous indiquez une aggravation de châtiment. Si je voyais un homme courir nu, tout couvert de boue, et se pavanant au lieu de rougir, bien loin de partager sa satisfaction, je le plaindrais, d'autant plus qu'il ne sentirait pas l'indécence de sa conduite. Pour mieux faire ressortir cette ignominie, souffrez que je donne un autre exemple. Si on condamnait une jeune fille à admettre de stupides animaux dans son lit virginal, à avoir commerce avec eux, et qu'elle y trouvât du plaisir, ne serait-elle pas d'autant plus à plaindre que l'absence de la honte rendrait sa maladie incurable? Cela est évident pour tout le monde. Or si le mal serait grand ici, il ne l'est pas moins là : car il est plus triste d'être outragé par ses semblables que par des étrangers. J'affirme que ces hommes sont plus coupables que des homicides. Car il vaut mieux mourir que de vivre dans un tel opprobre. L'homicide ne fait que séparer l'âme du corps, tandis que celui-ci perd le corps et l’âme. Ce crime dépasse tous ceux que vous pouvez nommer; et si ceux qui souffrent de tels outrages en sentaient la gravité, ils aimeraient mieux mourir mille fois que de les subir.

403 3. En vérité il n'y a rien, non rien de plus déraisonnable ni de plus affreux. Si en parlant de la fornication Paul disait : « Tout péché, quel qu'il soit, que fait l'homme, est hors de son corps; mais celui qui commet la fornication pèche contre son propre corps » (1Co 6,18) ; que dirons-nous de ce désordre qui l'emporte sur la fornication plus qu'on ne saurait l'exprimer? Car je ne dirai pas seulement que vous êtes devenu femme; mais j'ajouterai que vous avez cessé d'être homme, que vous avez perdu votre nature sans prendre l'autre, que vous les avez trahies toutes les deux, et que vous méritez d'être chassé, lapidé par les hommes et par les femmes, puisque vous avez déshonoré l'un et l'autre sexe. Et pour vous faire bien comprendre l'énormité de votre crime : Si quelqu'un vous proposait de vous changer d'homme en chien, ne le fuiriez-vous pas comme un malfaiteur? Et voilà que vous vous êtes vous-même changé, non pas en chien, mais en un animal bien plus vil : car un chien est utile, tandis que l'infâme n'est bon à rien. Dites-moi, je vous prie, si quelqu'un menaçait de faire enfanter les hommes, ne serions-nous pas enflammés de colère? Mais ceux qui poussent la rage jusque-là, s'infligent un bien plus grave outrage : car ce n'est pas la même chose d'être changé en femme, ou de devenir femme tout en restant homme, ou plutôt de n'être ni l'un ni l'autre. Pour vous convaincre mieux encore de l'énormité de ce crime, demandez pourquoi les législateurs punissent ceux qui font des eunuques, et vous apprendrez que leur seule raison est que c'est là un amoindrissement de la nature. Or cette dernière injure est moins grave que l'autre; car les eunuques, même après la castration, sont encore utiles; tandis que rien n'est plus inutile que l'homme changé en prostituée ; puisque non-seulement son âme, mais aussi son corps est plein d'ignominie et ne mérite que l'expulsion.

Combien faudrait-il d'enfers pour eux? Si ce mot d'enfer vous fait rire, si vous y êtes incrédule, rappelez-vous le feu qui consuma Sodome; car nous avons vu, oui, nous avons vu en ce monde une image de l'enfer. Car comme beaucoup devaient être incrédules à ce qui suivra la résurrection, en entendant parler d'un feu qui même ici-bas ne pouvait s'éteindre, ils sont revenus à la sainte doctrine, Dieu leur en donnant une preuve actuelle. Tel est en effet le résultat du feu et de l'incendie de Sodome; ceux-là le savent qui (212) ont été sur les lieux et ont vu de leurs yeux les suites de la colère céleste et les traces de la foudre. Considérez l'énormité de ce crime, qui a rendu nécessaire une image anticipée de l'enfer. Comme beaucoup méprisaient les avertissements, Dieu a voulu donner, sous une forme nouvelle, une figure de la géhenne. Et au fait cette pluie était extraordinaire, parce que le crime était contre nature, et elle a inondé la terre parce que la passion avait envahi les âmes. Voilà pourquoi la pluie était extraordinaire : car non-seulement elle ne féconda point la terre pour la production des fruits, mais elle la rendit incapable de recevoir les semences. Tel était le commerce charnel des Sodomites, qu'il frappait même ce grand corps de stérilité. Qu'y a-t-il de plus abominable que l'homme métamorphosé en prostituée? Qu'y a-t-il de plus infâme? O fureur ! O délire ! Comment cette passion s'est-elle répandue, elle qui a traité la nature humaine en ennemie, elle Plus cruelle même qu'un ennemi, d'autant que l'âme l'emporte sur le corps ? O êtres plus déraisonnables que les brutes, plus impudents que les chiens ! Car nulle part chez les animaux on ne voit de telles unions; là, la nature reconnaît ses limites; mais vous, en déshonorant ainsi votre espèce, vous la placez au-dessous de celle des brutes. Encore une fois, quelle est la source de ces maux? La volupté, l'oubli de Dieu; car dès qu'on a perdu la crainte de Dieu, tous les biens s'envolent à la fin.

404 4. Pour éviter ces maux, ayons toujours devant les yeux la crainte de Dieu. Car rien, rien n'est funeste à l'homme comme d'abandonner cette ancre ; rien ne lui est salutaire comme d'avoir toujours les yeux de ce côté-là. Si la présence d'un homme nous retient sur la pente du péché ; si, souvent par égard pour le plus humble domestique, nous nous abstenons d'une action déplacée, pensez quelle sécurité nous puiserions dans le souvenir continuel de la présence de Dieu. Jamais alors le démon ne nous attaquerait, persuadé de l'inutilité de ses efforts; mais s'il nous voit errant au dehors, courant çà et là sans frein, profitant de nos avances, il pourra nous jeter hors du bercail. Si nous nous écartons des commandements de Dieu, il nous arrivera ce qui arrive sur les places publiques aux serviteurs négligents qui, oubliant leurs commissions principales, celles mêmes pour lesquelles on les a envoyés, s'accrochent sans but et au hasard aux premiers venus et perdent leur temps.

Nous restons debout à admirer les richesses, la beauté du corps et d'autres choses qui ne nous concernent en rien. Semblables à ces serviteurs qui s'amusent à voir les tours de passe-passe de quelques mendiants, et au retour expient leur retard par les plus durs traitements. Beaucoup quittent la voie ouverte devant eux pour suivre ceux qui s'abandonnent à ces désordres. Ne les imitons point car nous sommes envoyés pour des oeuvres pressantes; et si nous les négligeons pour rester bouche béante devant des objets inutiles, nous perdrons notre temps et nous serons punis du dernier supplice. Que si vous voulez exercer votre attention, vous avez de quoi admirer, de quoi rester toujours en contemplation et ce ne seront plus des sujets ridicules, mais merveilleux et tout à fait estimables; tandis que celui qui admire des objets ridicules, devient lui-même ridicule et plus que le baladin même. Hâtez-vous d'échapper à ce malheur.

Car enfin pourquoi, dites-le-moi, êtes-vous en admiration, en extase devant la richesse? Qu'y voyez-vous de si merveilleux, de si digne de captiver vos regards ? Dès chevaux aux harnais dorés; des domestiques, les uns étrangers, les autres eunuques; de splendides vêtements par-dessous une âme amollie, un front altier, des mouvements, du bruit? Qu'y a-t-il d'admirable là dedans ? Quelle différence voyez-vous- entre ces riches et les mendiants qui dansent ou sifflent sur les places publiques? Car eux aussi, dans une extrême indigence de toute vertu, ces riches dansent d'une manière encore plus ridicule, courent çà et là, tantôt à des tables somptueuses, tantôt au logis de femmes perdues, tantôt vers la foule de leurs flatteurs et de leurs parasites. S'ils portent de l'or, ils n'en sont que plus misérables d'attacher tant d'intérêt à ce qui ne les regarde pas. Ne vous arrêtez pas aux vêtements, mais pénétrez jusqu'à leur âme, et voyez les mille blessures dont elle souffre, les haillons qui la couvrent, sa solitude, son délaissement. A quoi lui sert la folie du dehors? Il vaut bien mieux être pauvre avec la vertu que roi. avec le vice. Le pauvre jouit au dedans de toutes les délices de l'âme, sa richesse intérieure lui fait oublier sa pauvreté (213) extérieure; tandis que le roi, vivant au sein de voluptés qui lui sont étrangères, est puni dans ce qui le touche de près, dans son âme, dans ses pensées, dans sa conscience, qui l'accompagneront au-delà de cette vie. Persuadés de ces vérités, dépouillons donc ces riches vêtements dorés, embrassons la vertu et les joies qu'elle procure. Par là nous goûterons de grands plaisirs en ce monde et en l'autre, et nous obtiendrons les biens promis par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père et au Saint-Esprit la gloire, l'honneur, la force, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


Chrysostome sur Rm 300