Chrysostome sur Rm 900

HOMÉLIE 9 OR, CE N'EST PAS POUR LUI SEUL QU'IL A ÉTÉ ÉCRIT QUE CELA LUI FUT IMPUTÉ A JUSTICE, MAIS POUR NOUS AUSSI,

900 A QUI IL SERA IMPUTÉ, SI NOUS CROYONS EN CELUI QUI A RESSUSCITÉ D'ENTRE LES MORTS JÉSUS-CHRIST NOTRE-SEIGNEUR. (Rm 4,23-5,11)

Analyse.

1. Justifiés par la foi, ayons désormais la paix avec Dieu par la sainteté de notre vie.
2. Glorifions-nous non-seulement dans l'espérance des biens qui nous sont promis, parce que les promesses divines ne sont pas trompeuses, mais glorifions-nous même des maux apparents de la vie présente.
3. Qu'est-ce que Dieu nous peut refuser après qu'il nous a donné son Fils unique et le Saint-Esprit ?
4. Aimer Dieu. — Peines et afflictions de la vie utiles à l'âme, et avantageuses pour le salut. — Avis pour bien supporter une affliction. — Bénir Dieu dans les maux. — Avis pour les malades.

901 1. Après avoir beaucoup parlé et dit de grandes choses d'Abraham, de sa foi, de sa justice, de l'honneur que Dieu lui a fait, de peur que l'auditeur ne dise: Qu'est-ce que cela nous fait? C'est lui qui a été justifié; il nous rapproche du patriarche. Telle est la vertu des paroles spirituelles. Le Gentil, le nouveau-venu, celui qui n'a rien fait, non-seulement l'apôtre a affirmé qu'il n'est point au-dessous du Juif fidèle, mais pas même au-dessous du (250) patriarche; bien plus, chose étonnante ! il le place fort au-dessus. Telle est, en effet, notre noblesse, que la foi d'Abraham est devenue la figure de la nôtre. Paul ne dit pas: Si cela lui a été imputé à justice, il est probable qu'il nous sera aussi imputé; il ne s'appuie pas sur un raisonnement humain; mais il parle d'après l'autorité des lois divines et réduit tout à une sentence de l'Ecriture. Pourquoi, nous dit-il, cela est-il écrit, sinon pour nous apprendre que nous avons été justifiés de la même manière? Car nous croyons au même Dieu, pour les mêmes objets, quoique non dans les mêmes personnes. Mais en parlant de notre foi, il parle aussi de l'immense bonté de Dieu, qu'il nous remet sans cesse sous les yeux, en rappelant le souvenir de la croix : ce qu'il fait ici en ces termes : « Qui a été livré pour nos péchés, et qui est ressuscité pour notre justification » (Rm 4,25).

Voyez comment après avoir marqué la cause de la mort du Sauveur, il en tire une démonstration de sa résurrection. Pourquoi, dit-il, Jésus a-t-il été crucifié ? Ce n'est pas pour ses péchés, comme sa résurrection le prouve. Car s'il eût été pécheur, comment serait-il ressuscité? Sa résurrection prouve donc clairement qu'il n'était point pécheur. Mais s'il ne l'était point, comment a-t-il été crucifié? Pour d'autres. Si c'est pour d'autres, il est nécessairement ressuscité. Et pour que vous ne disiez pas : Comment, nous qui sommes si coupables, pouvons-nous être justifiés? Paul nous montre celui qui a effacé tous les péchés; afin de prouver ce qu'il avance et par la foi d'Abraham, en vertu de laquelle il a été justifié ; et par la passion du Sauveur, qui nous a délivrés de nos péchés. Après avoir donc parlé de sa mort, il parle aussi de sa résurrection. Il n'est pas mort pour nous laisser exposés au châtiment et condamnés, mais pour nous faire du bien; c'est pour nous rendre justes qu'il est mort et ressuscité.

« Etant donc justifiés par la foi, ayons la paix avec Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ (Rm 5,1) ». Que veulent dire ces mots : « Ayons la paix? » C'est-à-dire, selon quelques-uns, ne causons point de discordes, en cherchant à introduire la loi. Quant à moi, je pense qu'il s'agit ici de notre conduite. Après avoir beaucoup parlé de la foi et de la justice par les oeuvres, il traite cette autre question ; et de peur qu'on ne s'autorise de ce qu'il a dit : pour se négliger, il ajoute : « Ayons la paix », c'est-à-dire ne péchons plus, ne revenons pas au passé ; car ce serait lutter contre Dieu. Et comment, direz-vous, est-il possible de ne plus pécher? Et d'abord comment tout ceci a-t-il été possible? Si, coupables de tant de péchés, nous en avons été délivrés par le Christ, à bien plus forte raison pouvons-nous, avec son aide, persévérer dans l'état où nous sommes. Ce n'est pas la même chose d'obtenir une paix qu'on n'avait pas, ou de la garder quand on l'a reçue : car il est plus difficile d'acquérir que de conserver ; et cependant le plus difficile est devenu facile et s'est réalisé. Donc le plus facile nous viendra aisément, si nous nous attachons à celui qui a accompli pour nous le plus difficile. Mais ici Paul ne semble pas seulement indiquer que la chose est facile; mais aussi qu'elle est raisonnable. Si en effet le Christ nous a réconciliés quand nous étions vaincus, il est juste de nous maintenir dans cet état de réconciliation et de lui témoigner par là notre reconnaissance, pour qu'il ne paraisse pas n'avoir réconcilié avec son père que des méchants et des ingrats. « Par lui », nous dit l'apôtre, « nous avons eu accès par la foi». Si donc il nous a ramenés quand nous étions loin, à, bien plus forte raison nous retiendrait-il depuis que nous sommes près.

902 2. Considérez un peu, je vous prie, comme Paul met partout en opposition, et ce que Dieu fait de son côté, et ce que nous faisons du nôtre. Ce que Dieu a fait est varié, multiple, divers : car il est mort, il nous a délivrés, il nous a amenés, il nous a accordé une grâce ineffable; et nous, nous n'avons apporté que la foi. Aussi l'apôtre dit-il : « Par la foi en cette grâce en laquelle nous sommes établis ». Quelle grâce, je vous demande? Celle d'être jugés dignes de la connaissance de Dieu, d'être délivrés de l’erreur, de connaître la vérité, d'obtenir tous les biens par le baptême; il nous a donné accès, afin de nous communiquer tous ces dons; non pas seulement pour que nous soyons délivrés de nos péchés, mais aussi pour que nous jouissions de mille honneurs. Et il ne s'est pas borné à cela; il nous a encore promis d'autres biens, des biens ineffables, qui surpassent notre intelligence et notre raison. C'est pourquoi Paul parle des uns et des autres. En effet, par ce mot : « Grâce », il désigne les biens présents que nous avons reçus, et par ceux-ci : « Nous nous (251) glorifions dans l'espérance de la gloire de Dieu », il nous découvre tous les biens à venir. Il dit avec raison : « En laquelle nous sommes établis ». Car telle est la grâce de Dieu ; elle n'a pas de fin, elle n'a pas de terme, mais elle croît toujours : ce qui n'est point le propre des choses humaines. Par exemple, quelqu'un est en possession d'une dignité, d'un honneur, d'un pouvoir; il ne les conserve pas toujours, mais il en déchoit promptement, car s'ils ne lui sont pas enlevés par un homme, du moins la mort l'en dépouillera complètement. Il n'en est pas ainsi du don de Dieu : ni l'homme, ni le temps, ni les évènements, ni le démon même, ni la mort ne peuvent nous en priver; c'est quand nous mourons, que nous sommes le plus assurés de les posséder, et nos jouissances ne font que s'accroître de plus en plus. Si donc vous n'avez pas de foi aux biens à venir, croyez-y du moins d'après les biens présents et d'après ce que vous avez déjà reçu. C'est ce qui fait dire à Paul : « Et nous nous glorifions dans l'espérance de la gloire de Dieu », afin que vous sachiez dans quelle disposition doit être l'âme du fidèle. Car il faut être pleinement assuré, non-seulement des biens accordés, mais encore des biens futurs, comme s'ils étaient déjà donnés. On se glorifie des biens qu'on a reçus; mais, nous dit-il, puisque l'espérance des biens à venir est aussi ferme, aussi certaine, que la possession même de ceux que l'on a reçus, il faut donc également s'en glorifier; et pour cela il leur donne le nom de gloire. Si en effet ils contribuent à la gloire de Dieu, ils arriveront certainement, sinon à cause de nous, du moins à cause de lui: Mais à quoi bon, répond-il, dire que les biens à venir méritent qu'on s'en glorifie ? Nous pouvons nous glorifier même des maux présents et en être tiers; aussi ajoute-t-il : « Mais outre cela, nous nous glorifions encore dans les tribulations (3) ». Songez quels seront les biens futurs, puisque nous nous glorifions même de ce qui paraît un mal. Tel est le don de Dieu; il n'y a rien en lui de désagréable.

Dans l'ordre des choses humaines, les combats entraînent des peines, des douleurs, des misères; seules les couronnes et les récompenses procurent de la joie; ici, il n'en est pas de,même, car la lutte est aussi agréable que le prix. Comme alors les épreuves étaient nombreuses, que le royaume n'existait qu'en espérance ; que les maux étaient présents, les biens en expectative, et que cela brisait le courage des plus faibles ; l'apôtre leur distribue des encouragements avant l'heure des couronnes, en leur disant qu'il faut se glorifier dans les tribulations. Il ne dit même pas : Il faut se glorifier, mais : « Nous nous glorifions», en les encourageant par son propre exemple. Et comme, il pouvait paraître étrange, incroyable, qu'on dût se glorifier dans la faim, dans les chaînes, dans les tourments. dans les injures et les opprobres, il en donne la preuve; et ce qu'il y a de plus fort, c'est qu'il affirme qu'on doit s'en glorifier, non-seulement en vue de l'avenir, mais même dans le présent; parce que les tribulations sont par elles-mêmes un bien. Pourquoi ? Parce qu'elles exercent à la patience. C'est pourquoi, après avoir dit : « Nous nous réjouissons dans les tribulations », il en donne la raison en ces termes : « Sachant que la tribulation produit la patience ». Voyez encore une fois la ténacité de Paul, et comme il retourne le sujet en sens contraire. Comme les tribulations décourageaient des biens à venir et jetaient dans le désespoir, il leur dit qu'elles doivent par elles-mêmes inspirer du courage et qu'il ne faut point désespérer de l'avenir. « Car la tribulation produit la patience; la patience, l'épreuve; et l'épreuve, l'espérance. Or l'espérance ne confond point (
Rm 5,4-5) ». Non-seulement les tribulations ne détruisent point ces espérances, mais elles en sont le fondement. Même avant les biens à venir, la tribulation produit un très-grand fruit, la patience, et elle éprouve celui qui est tenté. D'ailleurs elle contribue aussi aux biens futurs ; car elle fortifie en nous l'espérance. Rien en effet ne dispose à bien espérer comme une bonne conscience.

903 3. C'est pourquoi personne de ceux qui ont bien vécu ne doute de l'avenir, tandis que beaucoup de ceux qui négligent de bien vivre, tourmentés par une mauvaise conscience, voudraient qu'il n'y eût ni jugement, ni punition. Quoi donc ? nos biens sont-ils en espérances ? Oui ; mais non en espérances humaines, qui sont souvent frustrées; qui confondent souvent, soit parce que celui sur qui on les fondait meurt, soit parce qu'il change de sentiment. Il n'en est pas ainsi des nôtres ; elles sont fermes, elles sont immuables. Celui qui a promis vit toujours; et nous, qui devons jouir de ces biens, nous (252) ressusciterons après notre mort; rien, absolument rien ne pourra nous confondre, comme si nous eussions nourri un vain et futile espoir. Après nous avoir ainsi délivrés de toute incertitude, l'apôtre ne s'en tient pas là, mais il revient encore aux biens à venir, sachant que les faibles s'attachent aux biens présents et ne se contentent pas des autres. Or il appuie la foi aux biens à venir sur la considération des bienfaits déjà reçus, de peur qu'on ne dise : Et si Dieu ne voulait rien donner? Nous savons tous qu'il est puissant, immuable, vivant; mais comment connaissons-nous sa volonté? Par ce qui existe déjà. Qu'est-ce donc ? L'amour qu'il nous a témoigné.

Qu'a-t-il fait? direz-vous. Il a donné le Saint-Esprit. Aussi après avoir dit : « L'espérance ne confond point », il en donne la preuve en disant : « Parce que la charité de Dieu est répandue en nos coeurs ». Et il ne dit pas : a été donnée, mais : « A été répandue en nos coeurs », pour en faire voir l'abondance, car il nous a donné ce qu'il y a de plus grand, non pas le ciel, la terre et la mer, mais quelque chose de plus précieux que tout cela : il nous a transformés d'hommes en anges et faits enfants de Dieu et frères de Jésus-Christ. Et qu'est-ce que ce don? L'Esprit-Saint. Or, s'il ne nous réservait pas de glorieuses couronnes après le combat, il ne nous aurait pas fait de si grands dons avant le combat; et ce qui démontre l'ardeur de son amour, c'est qu'il ne nous a pas accordé ces honneurs peu à peu, et avec mesure, mais qu'il nous a ouvert sans réserve la source des biens, et cela même avant la lutte. En sorte que, ne fussiez-vous pas très-digne, vous ne devez point désespérer, puisque vous avez un puissant avocat, l'amour du juge. Voilà pourquoi Paul après avoir dit : « L'espérance ne confond point », rapporte tout à l'amour de Dieu, et non à nos mérites. Puis après avoir parlé du don de l'Esprit, il revient encore à la croix et dit : « En effet, le Christ, lorsque nous étions encore infirmes, est mort, au temps marqué, pour des impies. Certes à peine quelqu'un mourrait-il pour un juste; peut-être cependant que quelqu'un aurait le courage de mourir pour un homme de bien. Ainsi Dieu témoigne son amour pour nous (
Rm 5,6-8) ». C'est-à-dire : si personne peut-être ne voudrait mourir pour un homme vertueux, comprenez l'amour de votre Maître, qui a été crucifié, non pour des hommes vertueux, mais pour des pécheurs et des ennemis, ce que Paul dit ensuite : « En ce que, dans le temps où nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous. Maintenant donc, justifiés par son sang, nous serons à plus forte raison délivrés par lui de la colère. Car si lorsque nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils; à plus forte raison, réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie (Rm 5,9-10) ».

Tout cela a l'air d'une répétition et n'en est cependant pas une pour quiconque examine attentivement. Voyez un peu : il veut les confirmer dans la foi aux biens futurs: et d'abord il les confond par la croyance du juste Abraham, en disant « qu'il était pleinement assuré que ce que Dieu a promis, il est puissant pour le faire » ; ensuite il prouve sa proposition par la grâce qui a été donnée, puis par les tribulations, qui sont propres à nous faire espérer; puis par l'Esprit que nous avons reçu, et enfin par la mort du Christ et notre méchanceté première. Tout cela, comme je l'ai déjà dit, semble n'être qu'une seule et même chose, et pourtant on y en trouve deux, trois et bien davantage : d'abord que le Christ est mort; secondement, qu'il est mort pour des impies; troisièmement, qu'il nous a délivrés, sauvés, justifiés, qu'il nous a rendus immortels, qu'il nous a faits enfants de Dieu et héritiers. Ce n'est pas seulement sa mort qui doit nous fortifier, dit Paul, mais encore le don qui nous a été fait par sa mort. Fût-il simplement mort pour nous tels que nous sommes, c'eût déjà été une très-grande preuve d'amour; mais qu'en mourant, il nous ait encore fait des dons, et des dons si grands, et quand nous étions pécheurs : voilà ce qui surpasse toute idée, et amène à la foi l'homme le plus insensible. Car personne ne nous sauvera que celui qui nous a aimés, nous pécheurs, jusqu'à se livrer lui-même. Voyez-vous combien ce passage fournit de preuves pour établir la foi aux biens futurs? Avant cela, il y avait deux obstacles à notre salut : nous étions pécheurs et nous devions être sauvés par la mort du Maître: ce qui semblait incroyable avant d'exister, et exigeait, pour se réaliser, un grand amour; mais maintenant que cela est fait, le reste est plus facile car nous sommes devenus amis, et la mort n'est plus nécessaire. Et Celui qui a épargné des ennemis jusqu'au point de ne pas (253) épargner son Fils, ne protégerait pas des amis, quand il n'est plus nécessaire que son Fils se livre? Si l'on ne sauve pas quelqu'un, c'est qu'on ne le veut pas, ou souvent encore parce qu'on ne le peut pas, quand même on le voudrait. Or, ni l'un ni l'autre ne peut se dire de Dieu; qu'il l'ait voulu, cela est clair puisqu'il a donné son Fils; qu'il le puisse, il l'a fait voir en justifiant des pécheurs. Qu'est-ce qui nous empêche donc de jouir des biens à venir? Rien. Et pour que vous ne soyez pas couvert de confusion et de honte en entendant ces mots de pécheurs, d'ennemis, d'infirmes et d'impies, écoutez ce que dit l'apôtre : « Mais outre cela, nous nous glorifions en Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui maintenant nous avons reçu la réconciliation (Rm 5,11) ».

Qu'est-ce que signifie «outre cela? » Non-seulement, dit-il, nous avons été sauvés, mais nous nous glorifions de ce dont on voudrait nous faire un sujet de honte. En effet que nous ayons été sauvés quand nous vivions ainsi dans une telle malice, c'est la preuve d'une grande charité de la part de celui qui nous a sauvés. Et ce n'est point par des anges ou des archanges, mais par son Fils unique qu'il a opéré notre salut. Ainsi il nous a sauvés; il nous a sauvés quand nous étions pécheurs, il nous a sauvés par son Fils unique, et non-seulement par son Fils, mais par le sang même de ce Fils : voilà de quoi nous tresser mille couronnes de gloire. Car rien ne procure autant de gloire et n'excite autant la confiance que d'être aimé de Dieu et de le payer de retour. Voilà ce qui fait la splendeur des anges, des principautés et des puissances; voilà ce qui l'emporte sur la royauté. Aussi Paul met-il cela au-dessus du pouvoir royal; c'est ce qui me fait proclamer bienheureux les purs esprits, parce qu'ils aiment Dieu et qu'ils lui obéissent en tout. Voilà pourquoi le prophète les admirait en disant : « Puissants en vertu, exécutant sa parole » (Ps 102); voilà pourquoi Isaïe exaltait les séraphins et indiquait leur grande vertu en ce qu'ils étaient rapprochés de cette gloire : ce qui était le signe d'un très-grand amour.

904 4. Imitons donc, nous aussi, les puissances célestes, et efforçons-nous, non-seulement de nous tenir près du trône, mais de loger en nous Celui qui est assis sur le trône. Il a aimé ceux-mêmes qui le haïssaient et il continue à les aimer : car « Il fait lever le soleil sur les méchants et sur les bons et pleuvoir sur les justes et les injustes ». (Mt 5,45) Rendez-lui donc amour pour amour; car il vous aime. Mais s'il nous aime, direz-vous, comment se fait-il qu'il nous menace de l'enfer, du châtiment et de la vengeance? Précisément parce qu'il vous aime : pour couper en vous la racine du vice, pour refréner par la crainte votre penchant au mal, il met tout en oeuvre, il ne néglige rien; par les biens comme par les maux, il cherche à retenir votre inclination vers les choses de la terre, à vous ramener à lui, et vous arracher à toute espèce de péché, qui est un mal pire que l'enfer. Que si vous riez de ce qu'on vous dit, si vous aimez mille fois mieux vivre dans le vice que d'être affligé un seul jour, il n'y a rien d'étonnant : c'est la preuve d'une âme basse, un signe d'ivresse et de maladie incurable.

Quand les petits enfants voient le médecin prêt à employer le feu et le fer, ils s'enfuient en poussant des cris de terreur et en se déchirant eux-mêmes; ils aiment mieux périr de consomption que de subir une douleur momentanée pour jouir ensuite d'une bonne santé. Mais ceux qui sont intelligents savent que la maladie est pire qu'une opération, et une vie coupable plus triste que la punition car l'un, c'est le remède suivi de la bonne santé, et l'autre c'est la mort et la souffrance prolongée. Or il est de toute évidence que la santé est préférable à la maladie; ce n'est pas quand le brigand reçoit le coup mortel qu'il est juste de verser sur lui des larmes, mais quand il perce lui-même les murs et devient meurtrier. Si en, effet l'âme vaut mieux que le corps, comme elle vaut mieux réellement, sa perte est plus digne de pleurs et de gémissements; et si elle ne la sent pas, elle n'en mérite que mieux les larmes. Il faut donc plaindre ceux qui sont brûlés de l'amour impur, bien plus que ceux que la fièvre travaille, et les ivrognes plus que ceux que l'on applique à la torture. Mais, dira-t-on, pourquoi préférons-nous l'un à l'autre? Parce que, comme dit le proverbe, la plupart des hommes préfèrent le pire et le choisissent, au détriment du meilleur. C'est ce qui se voit en fait de nourriture, de conduite, de rivalité, de plaisir, de femmes, de maisons, d'esclaves, de champs, et dans tout le reste. Lequel, je vous le demande, est le plus doux, d'avoir commerce avec un homme (254) ou avec une femme, avec une femme ou avec une mule? Et pourtant nous en voyons beaucoup négliger le commerce des femmes pour celui des brutes, ou déshonorer le corps d'un homme : quoique les jouissances conformes aux lois de la nature soient plus agréables.

Pourtant le nombre est grand de ceux qui poursuivent comme pleines d'attraits des jouissances ridicules, désagréables, pénibles. Mais, dira-t-on, ils y trouvent du charme. Et c'est là précisément leur malheur, de croire agréable ce qui ne l'est point du tout. Par là ils se persuadent que le châtiment est pire que le péché; et c'est tout le contraire. Car si le châtiment était un mal pour les pécheurs, Dieu n'eût point ajouté mal à mal, et n'aurait pas voulu les rendre pires; lui qui fait tout pour éteindre le vice, ne l'aurait pas augmenté. Ce n'est donc pas le châtiment qui est un mal pour le coupable, mais la faute sans la punition, comme la maladie sans le remède. Car rien n'est mauvais comme une passion déplacée : et quand je dis déplacée, j'entends parler de la passion de la volupté, de celle de la vaine gloire, du pouvoir, en un mot de tout ce qui dépasse le besoin. Un homme de ce genre, qui mène une vie molle et relâchée, semble le plus heureux des mortels et il en est le plus malheureux, introduisant dans son âme des maîtresses incommodes et tyranniques. Voilà pourquoi Dieu nous a rendu cette vie pénible, afin de nous arracher à cet esclavage et de nous conduire à la liberté pure; voilà pourquoi il nous menace du châtiment et associe les travaux à notre existence, afin de contenir notre mollesse.

Ainsi quand les Juifs étaient assujettis à travailler l'argile, à façonner la brique, ils étaient raisonnables et recouraient souvent à Dieu; mais dès qu'ils furent en liberté, ils murmurèrent, ils excitèrent le courroux du Maître et s'attirèrent des maux sans nombre. Mais, objecte-t-on, que direz-vous de ceux que l'affliction a pervertis? que c'est là l'effet de leur faiblesse, et non de l'adversité. Si quelqu'un a un estomac faible qu'un remède amer trouble, tandis qu'il devrait le purger, ce n'est point le remède que nous accusons, mais la faiblesse de l'organe. Autant en dirons-nous de l'infirmité de l'âme. Celui en effet qui est perverti par l'affliction, le serait encore bien plutôt par la prospérité : s'il tombe quand il est retenu par une chaîne (car l'affliction est une chaîne), à plus forte raison tomberait-il s'il était libre; s'il est culbuté quoique lié fortement, bien plutôt le serait-il s'il était desserré. — Et comment, direz-vous, pourrais-je ne pas être renversé par l'affliction? En songeant que, bon gré malgré, il faudra que vous la supportiez; que si c'est avec reconnaissance, vous en retirerez de très grands profits; si c'est avec répugnance, avec désespoir et en blasphémant, non-seulement vous n'allégerez pas le fardeau du malheur, mais vous augmenterez la force de la tempête.

Dans ces pensées, acceptons de bon coeur ce qui est l'effet de la nécessité. Par exemple quelqu'un a perdu un enfant légitime, un autre toute sa fortune ; s'il considère qu'il n'était pas possible d'éviter le coup, qu'il y a quelque profit à tirer d'un malheur irréparable, en le supportant généreusement, en renvoyant au Maître des actions de grâces au lieu de blasphèmes, il arrivera que la volonté se fera un mérite d'un mal arrivé contre son gré. Voyez-vous votre fils enlevé par une mort prématurée? Dites: « Le Seigneur me l'avait donné, le Seigneur me l'a ôté ». (Jb 1,21) Voyez-vous votre fortune disparaître? Dites : « Je suis sorti nu du sein de ma mère, je m'en retournerai nu ». (Jb 1) Voyez-vous les méchants prospérer, les justes tomber dans l'adversité et subir mille afflictions, sans que vous puissiez en connaître la cause? Dites: «Je suis devenu comme une bête de charge devant vous, et pourtant je suis toujours avec vous ». (Ps 72) Si vous m'en demandez la raison, je vous dirai de vous figurer comme présent le jour où Dieu doit juger l'univers, et tous vos doutes se dissiperont : car chacun alors sera traité selon ses mérites, comme Lazare et le mauvais riche. Souvenez-vous des apôtres déchirés de coups de fouet, chassés, accablés de mauvais traitements, ils se réjouissaient d'avoir été jugés dignes de souffrir injure pour le nom du Christ. Si vous êtes malades, souffrez avec patience, rendez grâces à Dieu, et vous recevrez la même récompense qu'eux.

Mais comment pourrez-vous rendre grâces au Maître, au sein de la maladie et des souffrances? Si vous l'aimez véritablement. Si les trois enfants dans la fournaise, si d'autres au milieu des chaînes ou de maux sans nombre, ne cessaient pas de rendre grâces à Dieu, à plus forte raison ceux qui sont affligés de maladies ou d'infirmités pénibles peuvent-ils le (255) faire. Car il n'est rien, non rien, dont l'amour ne triomphe; et quand c'est l'amour de Dieu, il l'emporte sur tous les autres, et ni le feu, ni le fer, ni la maladie, ni la pauvreté, ni l'infirmité, ni la mort, ni rien de semblable ne paraît pénible à celui qui le possède; il rit de tout, il prend son vol vers le ciel, et n'éprouve pas d'autres sentiments que ceux qui y habitent, ne voit pas autre chose qu'eux : non pas le ciel, ni la terre, ni la mer, mais uniquement la beauté de cette gloire; les misères de la vie présente ne sauraient l'abattre, ni ses biens et ses plaisirs l'enorgueillir et l'enfler. Aimons donc cet amour (car rien ne l'égale) et pour le présent et pour l'avenir ; mais surtout, pour lui-même; nous serons ainsi délivrés des châtiments de cette vie et de l'autre, et nous obtiendrons le royaume. Du reste, être délivré de l'enfer et en possession du royaume, c'est peu de chose en comparaison de ce que je vais dire : « Aimer le Christ et en être aimé est bien au-dessus de tout cela. Si en effet l'amour mutuel chez les hommes mêmes est la plus grande des voluptés, quand il s'agit de Dieu, quelle parole, quelle pensée pourrait exprimer le bonheur de l'âme ? Il n'y a que l'expérience qui le puisse. Afin donc de connaître par expérience cette joie spirituelle, cette vie heureuse, ce trésor inépuisable de biens, quittons tout, attachons-nous à cet amour, et pour notre propre bonheur et pour la gloire du Dieu qui en est l'objet; car la gloire et l'empire sont à lui, comme au Fils unique et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



HOMELIE 10 C'EST POURQUOI, COMME LE PÉCHÉ EST ENTRÉ DANS LE MONDE PAR UN SEUL HOMME,

1000 ET LA MORT PAR LE PÉCHÉ, AINSI LA MORT A PASSÉ DANS TOUS LES HOMMES PAR CELUI EN QUI TOUS ONT PÉCHÉ. (Rm 5,12-21 Rm 6,1-4)

Analyse.

1. Par Adam, le péché et la mort entrèrent dans le monde; par Jésus-Christ; nous obtenons le pardon de nos péchés et la félicité éternelle.
2. Avec le péché originel la grâce efface encore tous les autres. — La justice est la racine de la vie..
3 et 4. La loi de Moise ne pouvait remédier à la ruine qui était une suite du péché d'Adam ; bien plus, depuis cette loi le péché régna avec encore plus de force; mais par Jésus-Christ, le règne de la grâce est devenu plus étendu et plus fort que celui du péché.
5 et 6. Etat d'une âme qui se néglige et qui retourne après sa conversion,à sa première vie. — Bonté et charité de Dieu envers ceux qui se convertissent. — Artifices du démon pour perdre les âmes.

1001 1. Comme les bons médecins s'attachent toujours à trouver la racine des maladies et remontent à fa source même du mal, ainsi fait le bienheureux Paul. Après avoir dit que nous sommes justifiés et l'avoir prouvé par le patriarche, par l'Esprit, par la mort du Christ (car il ne serait pas mort, si ce n'eût été pour nous justifier), il confirme encore ces preuves par des démonstrations prises à une autre source ; et prenant le sujet en sens contraire, c'est-à-dire au point de vue de la mort et du péché, il se demande comment et par où la mort est entrée et comment elle a établi sols empire. Comment donc la mort est-elle entrée, et comment a-t-elle établi son empire? Par le péché d'un seul homme. Mais que (256) veulent dire ces mots: « En qui tous ont péché? » Adam étant tombé, ceux mêmes qui n'avaient pas mangé du fruit de l'arbre sont tous devenus mortels à cause de lui. « Car le péché a été dans le monde jusqu'à la loi; mais le péché n'était pas imputé, lorsque la loi n'existait pas (Rm 5,13) ».

Par ces expressions : « Jusqu'à la, loi », quelques-uns pensent que l'apôtre désigne le temps qui a précédé la promulgation de la loi : soit l'époque d'Abel, de Noé, d'Abraham, jusqu'à la naissance de Moïse. Quel était donc alors le péché? Quelques-uns pensent qu'il s'agit ici du péché commis dans le paradis car alors, dit-on, il n'était pas encore développé, mais son fruit apparaissait seulement dans sa fleur, et c'est lui qui a introduit la mort, laquelle exerçait sur tous, son empire tyrannique. Pourquoi donc l'apôtre ajoute-t-il : « Mais le péché n'était pas imputé, lorsque la loi n'existait pas?» D'après l'objection des Juifs (dit-il), ceux qui partagent notre sentiment prétendent que l'apôtre a voulu dire : S'il n'y avait pas de péché avant la loi, comment la mort a-t-elle frappé ceux qui vivaient avant la loi ? Mais ce que je vais dire me semble plus raisonnable, et plus conforme à la pensée de l'apôtre. Qu'est-ce donc? Après avoir dit que le péché a été dans le monde jusqu'à la loi, il me semble dire que, la loi une fois donnée, le péché né de la transgression, a établi son empire et l'a conservé tant que la loi a existé: car, selon lui, le péché ne pourrait subsister, si la loi n'était plus. Mais, dira-t-on, si c'est le péché né de la transgression qui a engendré la mort, pourquoi ceux qui vivaient avant la loi sont-ils tous morts? Si la mort a sa racine dans le péché, si le péché n'est pas imputé quand il n'y a pas de foi, comment la mort a-t-elle établi son empire? Evidemment parce que ce n'est pas le péché né de la transgression de la loi, mais celui de la désobéissance d'Adam, qui a tout perdu. Et quelle en est la preuve? C'est que tous ceux qui ont vécu avant la loi sont morts. « Mais la mort », nous dit-il, « a régné depuis Adam jusqu'à Moïse, même sur ceux qui n'avaient point péché». Comment a-t-elle régné? « Par une prévarication semblable à celle d'Adam qui est la figure de celui qui doit venir (Rm 5,14) ».

Voilà pourquoi Adam est le type du Christ. Comment cela, direz-vous? Parce que, comme Adam, en mangeant du fruit défendu, est devenu la cause de la mort de ses descendants, bien qu'ils n'eussent point goûté du fruit de l'arbre ; ainsi le Christ est devenu pour ses fils, même prévaricateurs, l'auteur de la justice qu'il nous a procurée à tous par sa croix. C’est pourquoi Paul insiste partout et toujours sur ce point et le ramène sans cesse sous les yeux, en disant : « Comme le péché est entré dans le monde par un seul homme » ; et encore : « Beaucoup sont morts par le péché d'un seul homme » ; puis : « Il n'en est pas de la grâce comme du péché » ; puis : « Le jugement de condamnation vient d'un seul »; et encore: « Car si par le péché d'un seul la mort a régné par un seul ». Et : «Ainsi donc, comme par le péché d'un seul »; puis derechef : « De même que par la désobéissance d'un seul homme beaucoup ont été constitués pécheurs ». Il ne perd point de vue ce seul homme; afin que quand le Juif vous dira : Comment, le Christ seul ayant mérité, le monde entier est-il sauvé ? vous puissiez lui répondre : Comment, Adam seul ayant désobéi, le monde entier a-t-il été condamné?

Quoique du reste le péché ne soit point l'égal de la grâce, ni la mort de la vie, ni le démon de Dieu, mais qu'il y ait entre eux une distance infinie; quand donc c'est de la nature des choses, et de la puissance de celui qui entreprend, et de la convenance (car il convient mieux à Dieu de sauver que de punir); quand c'est de tout cela, dis-je, que le triomphe et la victoire prennent naissance : quelle raison, dites-moi, quand il dit : « Mais il n'en est. pas de la grâce comme du péché. Car si par le péché d'un seul beaucoup sont morts, bien plus abondamment la grâce et le don de Dieu, par la grâce d'un seul homme, Jésus-Christ, se sont répandus sur un grand nombre (Rm 5,15) ». C'est-à-dire : Si le péché, et le péché d'un seul homme, a au tant de pouvoir; comment la grâce, et la grâce de Dieu, et non-seulement du Père, mais aussi du Fils, ne serait-elle pas de beaucoup plus puissante? Car cela est bien plus raisonnable. En effet, que l'on soit puni pour un autre, cela ne semble pas juste; mais que l'on soit sauvé par un autre, c'est bien plus convenable et bien plus raisonnable. Or si l'un a eu lieu, à plus forte raison l'autre.

1002 2. C'est ainsi que Paul prouve que c'est convenable et raisonnable, et, cela prouvé, il (257) n'y a plus de difficulté à l'admettre. Il s'attache ensuite à prouver que cela, était nécessaire : Comment cela? « Il n'en est pas », dit-il, « du don comme du péché : car le jugement de condamnation vient d'un seul ; tandis que la grâce de la justification délivré d'un grand nombre de péchés (Rm 5,16) ». Qu'est-ce que cela signifie? Qu'un seul péché a pu amener la mort et la condamnation; tandis que la grâce a effacé non-seulement ce péché, mais tous ceux qui ont été commis dans la suite. Et pour que, les mots « comme » et « tandis que» ne semblent pas établir une parité entre les biens et les maux, et que vous ne pensez pas, en entendant parler d'Adam, que, son péché seul a été effacé, il dit que beaucoup de péchés ont- été remis. Quelle eu est la preuve? C'est qu'après les innombrables péchés commis à la suite de celui du paradis, tout a abouti à la justification. Or, partout où est la justice, la vie et les biens infinis se trouvent nécessairement, comme partout où est le péché, la est la mort.

En effet la justice est plus que la vie; puisqu'elle est la racine de la vie. Mais que beaucoup de biens aient été procurés, et que, outre le péché d'Adam, tous les autres aient été effacés, l'apôtre le prouve en disant : « La grâce de la justification délivre d'un grand nombre de péchés ». D'où suit cette conséquence nécessaire, que la mort a été radicalement détruite. Mais comme il a affirmé que la justice est plus que la vie, il faut encore qu'il le prouve. D'abord il a dit : Si le péché d'un seul nous a donné la mort à tous, à bien plus forte oraison la grâce d'un seul pourra-t-elle nous sauver; ensuite il a fait voir que la grâce n'a pas seulement effacé le péché d'Adam, mais encore tous les autres : que non-seulement les péchés ont été effacés, mais que la justice a été donnée; que non-seulement le Christ a fait autant de bien qu'Adam avait fait de mal, mais qu'il. en a fait beaucoup plus. Après de telles affirmations, il a besoin ici l'une preuve plus forte. Comment la donne-t-il? « Si par le péché d'un seul »; dit-il, «la mort a régné par un seul, à plus forte raison a ceux qui reçoivent l'abondance de la grâce et du don de la justice régneront dans la vie par un seul, Jésus-Christ () ».

Ce qui veut dire : Qu'est-ce qui a armé la mort contre le monde entier ? La faute commise par un seul homme en mangeant du fruit défendu. Si donc la mort a acquis une telle puissance par suite d'une seule faute, lorsqu'on en voit quelques-uns recevoir une grâce et une justice bien plus grande que ce péché, comment pourront-ils encore être sujets à la mort? Voilà pourquoi il ne dit pas ici : La grâce, mais « L'abondance de la grâce » car nous n'avons pas seulement reçu la mesure de grâce nécessaire pour l'abolition du péché, mais beaucoup plus. En effet nous avons été délivrés du châtiment, nous avons dépouillé toute matière, nous avons été régénérés d'en-haut, nous sommes ressuscités après avoir enseveli le vieil homme, nous avons été rachetés et sanctifiés, nous avons été amenés à l'adoption et justifiés, nous sommes devenus les frères du Fils unique, nous avons été établis ses cohéritiers, les membres de son corps, nous lui avons été unis comme le corps l'est à la tête. Tout cela forme ce que Paul appelle l'abondance de la grâce : indiquant que nous n'avons pas seulement reçu le remède capable de guérir notre blessure; mais aussi la santé, la beauté, l'honneur, la gloire, des dignités bien au-dessus de notre nature. Et chacune. de ces choses suffisait par elle-même à détruire la mort; mais quand toutes sont réunies, on n'aperçoit pas même la trace, pas même l'ombre de la mort, qui a complètement disparu. Si quelqu'un jetait en prison un homme qui lui devrait dix oboles, et, avec lui et à cause de lui, sa femme, ses enfants et ses domestiques;. puis qu'un autre survint et payât non-seulement les dix oboles, mais y ajoutât en pardon dix mille talents d'or, conduisit ensuite le prisonnier dans un palais, le plaçât sur un trône élevé, le fit participer aux honneurs suprêmes et l'environnât d'éclat : celui qui aurait prêté les dix oboles n'oserait plus y penser. Ainsi en est-il de nous. Le Christ a payé beaucoup plus que nous ne devions ; c'est un immense océan vis-à-vis d'une goutte d'eau.

Ne doutez donc plus, ô homme, à l'aspect de tant de trésors, et ne demandez plus comment l'étincelle de la mort et du péché s'est éteinte au milieu de cette mer de grâces. C'est à cela que Paul faisait allusion quand il disait : «Ceux qui ont reçu l'abondance de la grâce et de la justice, régneront dans la vie » ; et après l'avoir clairement démontré, il revient à son premier raisonnement et le comme par répétition en disant que : si d'une part (258) tous ont été punis pour le péché d'un seul, de l'autre, tous ont pu être aussi justifiés par un seul. C'est pourquoi il ajoute.: « Comme c'est donc par le péché d'un seul que tous les hommes sont tombés dans la condamnation, ainsi c'est par la justice d'un seul que tous les hommes reçoivent la justification de la vie ». Et il insiste encore là-dessus en ces termes : « Car de même que par la désobéissance d'un seul homme beaucoup ont été constitués pécheurs, de même aussi par l'obéissance d'un seul, beaucoup sont constitués justes (Rm 5,18-19) ». Ces paroles semblent soulever une question assez grave; mais avec un peu d'attention, on la résoudra sans peine. Quelle est donc cette question? C'est que l'apôtre affirme que beaucoup sont devenus pécheurs par la désobéissance d'un seul. Qu'un homme ayant péché et étant devenu mortel, ses descendants le soient aussi, il n'y a rien là d'invraisemblable : mais qu'on détienne pécheur par la désobéissance d'un autre, est-ce logique? Il semble que personne ne peut être puni que pour une faute personnelle.

1003 3. Que signifie donc ici ce mot « pécheurs? » c'est-à-dire, ce me semble, sujets au :châtiment et condamnés à mort. Qu'après la mort d'Adam nous soyons tous devenus mortels, l'apôtre l'a prouvé clairement et de plus d'une façon; mais la question est de savoir pourquoi il en est ainsi. Il ne le dit pas encore, parce que le sujet actuel ne le comporte pas : il combat ici le Juif qui élève des doutes et se moque de la justice obtenue par un seul. C'est pourquoi, après avoir montré que le châtiment s'est, transmis d'un seul homme. à tous, il n'en donne point encore la raison : car il n'aime pas les paroles inutiles et ne s'attache qu'au nécessaire. La loi de la discussion ne l'obligeait pas plus que le Juif à résoudre cette difficulté; aussi la laisse-t-il. sans solution que si quelqu'un de vous désire Dette solution, nous lui répondrons que bien loin de souffrir de la mort et de la condamnation, nous gagnons beaucoup, si nous sommes sages, à être devenus mortels : d'abord de ne pas pécher dans un corps immortel; secondement, de trouver là mille motifs d’être sages. — En effet, la mort toujours présenté, toujours attendue, nous engage à être modérés, à être chastes, à nous contenir, à nous dégager de tous les vices. En outre, elle nous procure d'autres biens en grand nombre et plus considérables que ceux-là. Delà, en effet, les couronnes des martyrs, les palmes des apôtres ; par là Abel fut justifié et aussi Abraham après avoir immolé son fils; par là Jean fut tué pour le christ; par là les trois enfants et Daniel triomphèrent. Si nous le voulons, non-seulement la mort, mais pas même le démon ne pourra nous nuire: Outre cela il faut encore dire que l'immortalité nous attend; qu'après quelque temps d'épreuve, nous jouirons, en sécurité. des biens à venir ; qu'exercés dans cette vie, comme à une école, par la maladie, l'affliction, la tentation, là pauvreté et fout ce qui semble être un mal, nous deviendrons aptes a posséder ces biens futurs.

« Mais la loi est survenue pour que le péché abondât (
Rm 5,20)». Après avoir montré que le monde à été condamné à cause d'Adam, puis sauvé et délivré de la condamnation par le Christ, il s'occupe très-à-propos de la loi et réfute l'opinion qu'ils en avaient. Non-seulement, leur dit-il, elle n'a servi à rien, non-seulement elle n'a été d'aucun secours, mais en survivant elle n'a fait qu'augmenter la maladie. —Le mot « Pour que » ne désigne point ici là cause, mais le résultat. Car elle n'a point été donnée pour augmenter le péché, mais pour le diminuer,et le détruire; cependant le contraire est arrivé, non par la nature même de la loi, mais parla lâcheté de ceux qui l'ont reçue. Pourquoi ne dit-il pas: La loi a été donnée, mais « La loi est survenue? » Pour indiquer que son utilité n'était que momentanée, et non majeure ni de première importance; ce qu'il exprime déjà, mais d'une autre manière, dans son épître aux Galates : «Car avant que la foi vînt, nous étions sous la garde de la loi, réservés pour cette foi qui devait être révélée ». (Ga 3,23) Ainsi ce n'était point pour elle-même, mais pour un autre, que la loi gardait le troupeau. En effet, comme les Juifs étaient grossiers, dissolus, attachés aux seuls dons qu'ils recevaient, la loi leur a été donnée pour les convaincre de leurs péchés, pour leur faire voir clairement en quel état,ils se trouvaient, pour renforcer l'accusation et resserrer encore leur lien. Toutefois ne craignez pas : ce n'est pas pour aggraver le châtiment que ceci a lieu, mais pour mieux faire apparaître la grâce. Aussi l'apôtre ajoute-t-il : « Où, le péché abonde; la grâce a surabondé». Il ne dit pas: A abondé, mais : « A surabondé ». Car non-seulement (259) elle nous a délivrés du châtiment, mais elle nous a procuré la rémission des péchés et la vie, et tant d'autres avantages dont nous avons souvent parlé ; absolument comme si quelqu'un, non content de débarrasser un fiévreux de sa maladie, le rétablissait encore dans la fleur de l'âge, de la force et dès honneurs, ou comme si quelqu'un, non-seulement donnait à manger à un affamé; mais encore le comblait de richesse : et l'élevait au pouvoir suprême. Et comment, direz-vous, le péché a-t-il abondé? La loi renfermait des préceptes sans nombre; et comme il les ont tous violés, le péché a abondé. Voyez-vous quelle distance sépare la grâce de la loi? Celle-ci fut une aggravation de condamnation; celle-là est une surabondance de dons.

1004 4. Après avoir parlé de l'ineffable amour de Dieu pour nous, il cherche le principe et la racine de la mort et de la vie. Quelle est la racine de la mort? Le péché. C'est pour cela qu'il dit: « Afin que, comme le péché à régné par la mort,. ainsi la grâce règne par la justice pour la vie éternelle par Jésus-Christ Notre-Seigneur (Rm 5,21) ». Il parle ainsi pour faire voir que le péché exerçait en quelque sorte le rôle de souverain, et que la,mort se tenait à ses ordres comme un soldat armé de par lui. Or, si le péché, armé la mort, il est clair que la justice qui efface le péché et qui est produite par la grâce, non-seulement désarme la mort, mais la détruit; et anéantit son empire, en ce que le sien est plus grand, elle qui a été introduite, non par un homme ni par le démon, mais par Dieu et par la grâce, qui dirige notre vie vers une fin meilleure et des biens infinis, et qui enfin, pour dire davantage encore; n'aura pas. de terme. La mort nous avait chassés de la vie présente : la grâce survenant ne nous l'a point rendue, mais nous en a donné une immortelle et éternelle, et le Christ est l'auteur. Ne doutez donc pas de la vie, puisque vous avez la justice: car la justice est plus grande que la vie, puisqu'elle en est la mère.

« Que dirons -nous donc? Demeurerons-nous dans le péché pour que la grâce abonde? A Dieu ne plaise. (6,12.) Il revient ici à un sujet moral, sans dessein prémédité, pour lie pas paraître à charge et fatigant à un grand nombre, mais comme à une conséquence du dogme. S'il varie ainsi ses sujets pour les ménager, pour ne pas les irriter; (c'était ce qui lui faisait dire : « Cependant j'ai écrit ceci avec quelque hardiesse » (Rm 15,15), c'est qu'il leur eût semblé bien plus dur saris cette précaution. Après leur avoir donc fait voir la puissance de la grâce en ce qu'elle remet de grands péchés, il semblait avoir fourni aux insensés un motif pour pécher. En effet, ils auraient pu se dire : Si la gravité de nos péchés fait paraître la grâce plus grande, continuons à pécher afin que sa puissance éclate encore mieux. Pour empêcher qu'on ne parle ou qu'on ne pense ainsi, voyez comme il détruit l'objection, d'abord par .cette négation : « A Dieu ne plaise ! » expression qui s'applique ordinairement aux choses évidemment absurdes; ensuite en faisant un raisonnement auquel il n'a rien à répondre. Quel est-il? « Nous qui sommes morts au péché, comment y vivons-nous encore? » Que signifient ces mots : « Nous sommes morts.? » Ou que nous avions reçu notre arrêt, autant que, cela dépendait du péché; ou que, croyants et éclairés, nous sommes morts pour lui : ce dernier sens paraît préférable, comme la suite le fait voir. Et qu'est-ce que c'est qu'être mort au péché? C'est ne lui obéir en rien désormais, c'est ce que le baptême a, fait une fois : il nous a fait mourir au péché ; mais il faut que notre zèle nous maintienne toujours dans cet état, en sorte que, quand le péché nous commanderait mille choses nous n'en exécuterions aucune, mais que nous demeurions immobiles comme un mort.

Du reste, ailleurs il dit que c'est le péché qui est mort, mais son but est alors de prouver que la vertu est facile ; ici, afin d'éveiller l'auditeur, c'est lui qu'il veut faire mourir. Puis comme ses paroles étaient obscures, il les explique avec. plus de vivacité. « Ignorez-vous, mes frères », leur dit-il, « que nous qui avons été baptisés dans le Christ, nous avons été baptisés en sa mort? Car nous avons été ensevelis avec lui par le baptême pour mourir (3, 4) ». Qu'est-ce que cela veut dire : « Nous avons été baptisés en sa mort?» Pour mourir comme il est mort lui-même: car le baptême est une croix. Ainsi ce que la croix et le sépulcre ont été pour le Christ, le baptême l'est pour nous; quoique d'une manière différente; car le Christ est mort et a été enseveli dans sa chair, et nous devons être l'un et l'autre pour le péché, aussi. Paul ne dit-il point: « Entés,» sur sa mort, mais « En la (260) ressemblance de sa mort (5) ». En effet il y a mort ici et là, quoique sur des sujets différents : pour le Christ, mort dans sa chair; pour nous morts au péché; mais celle-ci vraie comme celle là; néanmoins nous devons donner quelque chose de notre côté: aussi ajoute-t-il : «Afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous aussi nous marchions dans une nouveauté de vie».

Ici, en parlant d'une vie régulière, il insinue le dogme de la résurrection. Comment cela? Vous croyez, dit-il, que le Christ est mort et ressuscité ; croyez donc aussi pour ce qui vous regarde : car il doit y avoir entre Jésus-Christ et vous une entière ressemblance aussi bien dans la résurrection et dans la vie, que dans la croix et dans la sépulture. Si vous avez participé à la mort et à la sépulture, à bien plus forte raison aurez-vous part à la résurrection et à la vie : la question principale, celle du péché, étant résolue, il n'y a plus de doutes à élever sur la question secondaire, celle de la destruction de la mort. Mais Paul abandonne cela pour le moment aux réflexions et à la conscience de ses auditeurs ; pour lui, en présence de la résurrection future, il en demande de nous une autre : une nouvelle vie en ce monde, par le changement de nos moeurs. Quand l'impudique devient chaste, l'avare généreux, le violent pacifique : alors il y a résurrection, prélude de la résurrection future. Et comment y a-t-il résurrection ? En ce que le péché est mort, la justice ressuscitée, l'ancienne vie anéantie, la nouvelle vie, la vie des anges, en vigueur. Sous cette expression de vie nouvelle, il y a bien des changements, bien des conversions à chercher.

1005 5. Pour moi je fonds en larmes et j'éclate. en gémissements, quand je pense à la sagesse que Paul exige de nous, et à la lâcheté à laquelle nous nous abandonnons, revenant au vieil homme après, le baptême, retournant du côté de l’Egypte, nous rappelant les oignons après avoir mangé la manne. Dix jours, vingt jours après le baptême, nous voilà changés, nous revenons au passé. Ce n'est pas pendant un nombre de jours limités, même, pendant la vie et entière, que Paul exige de nous la régularité, et nous revenons à nos vomissements; après avoir été rajeunis par la grâce, nous redevenons vieillards par l'effet du péché. Car l'amour des richesses, le joug des passions déréglées, en un mot toute espèce de péché vieillit ordinairement celui qui le commet; or de l'âge avancé, de la, vieillesse à la mort, il n'y a qu'un pas. Car, aucun corps miné par le temps, non, aucun, ne saurait offrir l'image d'une âme corrompue, accablée par la multitude de ses péchés. Du reste elle est amenée au dernier degré de l'idiotisme, ne disant plus que des choses insignifiantes, à la manière des vieillards et des personnes en délire; sujette à la pituite, à la stupidité, à l'oubli, à la chassie, odieuse aux hommes, facile à vaincre pour le démon : tel est l'état de l'âme des pécheurs. Il en est tout autrement des âmes des justes.

Pleines de jeunesse et de vigueur, elles sont toujours à la fleur de l'âge, prêtes, au combat et à la lutte; tandis que celles des pécheurs tombent au premier choc et périssent. C'est ce que déclare le prophète, quand il dit : « Comme la poussière que le vent soulève de la surface de la terre ». (
Ps 1) Ainsi ils sont mobiles et livrés aux insultés du, premier venu, ceux qui vivent dans. le péché. Cardeur vue n'est pas saine, ils n'entendent pas clair, ils ne parlent, pas distinctement, il sanglotent et bavent beaucoup. Et plût au ciel qu'ils ne fissent que rejeter de la salive et point d'inconvenances ! mais ils profèrent des paroles plus puantes que la boue ; et, ce qu'il y a de pire, ils ne peuvent pas même en rejeter l'écume ; mais, chose horrible ! ils la reçoivent dans leurs mains, la pétrissent de nouveau quand elle est épaissie et dure. Peut-être ce tableau excite-t-il votre dégoût ; que serait-ce donc de la réalité ! Si tout cela est désagréable. dans le corps, à bien plus forte raison dans l'âme.

Tel était ce jeune homme qui avait dépensé tout son bien, et était descendu si bas dans le vice, qu'il était plus faible qu'un homme malade ou en délire. Mais, dès qu'il le voulut, il redevint jeune, par le seul fait de sa volonté et de son changement. Sitôt qu'il eut dit « Je retournerai chez mon père » (Lc 15,13), ce mot fut pour lui la source de tous les biens; ou plutôt ce ne fut pas ce mot seulement, mais aussi l'acte qui l'accompagna. En effet il ne se contenta pas de dire : « Je retournerai », et de rester en place: niais il dit: « Je retournerai », et il retourna, et il fit la route tout entière. Agissons de même ; fussions-nous sur la terre (261) étrangère, revenons à la maison paternelle et ne nous rebutons pas de la longueur du chemin. Si nous le voulons,. le retour sera facile et très prompt; seulement sortons de la terre d'exil, de la terre étrangère; or, cette terre c'est le péché, qui nous emmène loin de la maison de notre père; quittons donc le péché, pour rentrer vite ad domicile paternel. Car notre père est plein de tendresse, et si nous sommés changés, il ne nous aimera pas moins que ceux qui sont restés sages, il nous aimera même davantage ; puisque le père de l'Enfant prodigue lui fit plus d’honneur qu'à son aîné, et éprouva une joie plus vive pour l'avoir recouvré.

Mais comment retourner, direz-vous? Commencez seulement, et tout sera fait ; arrêtez-vous dans le vice, n'allez pas plus loin, et vous aurez tout recouvré. Comme, chez les malades, c'est commencer à mieux. aller que de ne pas aller plus mal, ainsi en est-il, dans le vice; n'allez i)as plus loin et votre malice aura son terme. Si vous faites cela pendant deux jours, le troisième vous aurez plus de facilité à vous abstenir du mal; puis, à ces trois jours, vous en ajouterez dix, puis vingt, puis cent, puis toute votre vie. Car plus vous, avancerez, plus vous trouverez le chemin facile, et parvenu au faîte, vous jouirez d'une grande abondance de biens: Lorsque le prodigue revint, ce fut un concert de flûtes et de lyres, il y eut des choeurs, des danses et des fêtes ; celui qui avait le droit de demander compte à son fils de sa folle prodigalité et d'une si longue absence, n'en fit rien, le regarda même d'aussi bon oeil que s'il se fût bien conduit; non seulement ne lui fit aucun reproche en paroles, mais ne souffrit pas même qu'il rappelât le passé; l'embrassa, le combla de caresses, tua le veau gras, le revêtit de la robe et de toute sorte d'ornements.

Nous qui avons ces exemples sous les yeux, prenons donc courage et ne désespérons pas. Car Dieu n'a pas autant de plaisir a être appelé Maître que Père, ni à avoir un serviteur qu'à avoir un fils; il aime mieux l'un que l'autre. Pour cela il atout fait, il n'a point épargné son ils unique, afin que nous recevions l'adoption et que nous l'aimions, non-seulement comme un maître, mais comme un Père. Et s'il obtient cela de nous, il en est comme glorieux et fier, il s'en vante à tout le monde, lui qui n'a nul besoin de ce qui nous appartient.

C'est ce qu'il faisait à l'égard d'Abraham, répétant partout : « Moi, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob » ; c'était aux serviteurs à s'en féliciter; et c'est le Maître lui-même qui s'en glorifie. C'est pour cela qu'il dit à Pierre : « M'aimes-tu plus que ceux-ci ? » (Jn 21,17) ; indiquant par là qu'il n'est rien qu'il désire davantage de notre part. Pour cela aussi, il ordonne à Abraham d'immoler son, fils, pour faire voir à tout le monde qu,'il est grandement aimé du patriarche. Or, le désir d'être vivement aimé provient lui-même d'un vif amour. Pour cela encore il disait à ses apôtres : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi; n'est pas digne de moi ». (Mt 10,37)

1006 6. C'est pour cela qu'il exige que ce que noirs avons de plus cher; notre âme, ne tienne que le second rang après son amour, parce qu'il veut être souverainement aimé de nous. Quand nous n'aimons pas vivement quelqu'un, nous ne nous soucions pas beaucoup de son amitié, fût-il d'ailleurs grand et glorieux ; mais quand nous aimons. véritablement, vivement, ne fût-ce qu'un homme de basse condition; de peu de valeur, nous tenons à grand honneur d'être payés de retour. C'est pourquoi le Christ donnait le nom de gloire, non-seulement à: l'amour que nous lui portons mais aux opprobres qu'il a soufferts à cause de nous. Or, l'amour seul leur donnait ce caractère; tandis que ce que nous souffrons pour lui mérite d'être appelé glorieux, et l'est réellement; non-seulement à cause de l'amour qui l'inspire, mais à cause de la grandeur, et de la dignité de celui que nous aimons.

Pour lui, courons donc aux périls comme à de magnifiques couronnes, et ne regardons point comme choses pénibles et désagréables; la pauvreté, la maladie, les injures,. la calomnie, dès que nous les supportons à cause de lui. Si nous sommes sages, nous tirerons de tout cela de très-grands profits ; et si nous ne le sommes pas, nous ne recueillerons aucun avantage de la situation contraire. Examinez un peu : quelqu'un vous injurie et vous fait la guerre? Il vous oblige par là à vous tenir sur vos gardes, et vous donne l'occasion de ressembler à Dieu. Si vous aimez l'homme qui vous tend des pièges, vous serez semblable à celui « qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons ». (
Mt 5,45) Un autre vous enlève votre fortune ? Si vous le (262) supportez avec courage, vous recevrez la même récompense que ceux qui ont tout donné aux pauvres. « Car », nous dit Paul; « vous avez supporté avec joie l'enlèvement de vos biens, sachant que vous avez une richesse meilleure et permanente ». (He 10,34)

Quelqu'un a mal parlé de vous et vous a déshonoré? Que cela soit vrai, que cela soit faux, si vous supportez. l'injure avec douceur, on vous a tressé une magnifique couronne. D'une part, le calomniateur nous procure une grande récompense. [« Réjouissez-vous », est-il écrit, « et tressaillez de joie, quand on a dit faussement toute sorte de mal de vous, parce que votre récompense est grande dans les cieux] » (Mt 5,12) ; de l'autre, celui qui dit la vérité nous est aussi très-utile, pourvu, que nous la supportions avec patience. En effet, le pharisien était dans le vrai en parlant mal du publicain, et pourtant, du publicain il a fait un juste. Qu'est-il besoin d'entrer dans plus de détails? On. peut tout apprendre là-dessus, en étudiant attentivement l'histoire de Job. C'est ce qui fait dire à Paul : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? » (Rm 8,31)Comme, avec du zèle, nous tirons parti de ceux mêmes qui nous affligent; ainsi, par, notre lâcheté, nous ne profitons pas de ceux qui veulent nous être utiles. En quoi, je vous prie, a servi à Judas la compagnie du Christ? En quoi la loi a-t-elle été utile aux Juifs? A Adam, le paradis? Moïse, à ceux qui étaient dans le désert?

C'est pourquoi, laissant de côté tout le reste nous ne devons nous attacher qu'à une chose; à bien régler notre vie; et alors, le démon lui-même ne pourra bous vaincre; il nous deviendra au contraire très-utile, en nous obligeant à veiller sur nous. C'était en dépeignant sa cruauté, que Paul réveillait les Ephésiens. Mais nous, nous dormons, nous ronflons, quoiqu'en présence d'un si méchant ennemi. Si nous savions qu'un serpent est caché près de notre lit, nous mettrions tout en oeuvre pour le tuer; le démon est caché dans nos âmes, et nous ne croyons pas nous en trouver mal, et nous succombons. La raison en est que nous ne le voyons pas des yeux du corps; et pourtant ce devrait être un motif de plus pour veiller et nous tenir sur nos gardes. il est facile en effet de se précautionner contre un ennemi visible; mais nous échappons difficilement à l'ennemi invisible, à moins que nous ne soyons armés de toutes pièces, surtout parce qu'il n'attaque jamais directement, (autrement il serait bientôt pris), et qu'il ingère souvent son cruel poison sous le masque de l'amitié. Ainsi il détermina la femme de Job à donner son pernicieux conseil, sous l'apparence d'une vive affection; ainsi, en s'adressant à Adam, il feint de vouloir lui être utile et de prendre à coeur ses intérêts : « Vos yeux s'ouvriront du jour où vous aurez mangé du fruit de cet arbre ». (Gn 3,5) Ainsi, sous prétexte de piété, il persuada à Jephté d'immoler sa fille, d'offrir un sacrifice criminel. Voyez-vous ces piéges? Voyez-vous des aises de guerre ? Tenez-vous donc en garde, revêtez-vous de pied en cap des armes spirituelles, étudiez soigneusement ses machines de guerre, afin qu'il né puisse vos surprendre et que vous puissiez facilement le déjouer. C'est ainsi que Paul, savant dans cet art, a su le vaincre. Aussi disait-il : « Car nous n'ignorons pas ses desseins ». (2Co 2,11) Tâchons donc, nous aussi, de connaître et d'éviter ses embûches, afin qu'après en avoir triomphé, nous soyons proclamés vainqueurs dans ce monde et dans l'autre, et que nous obtenions les biens immortels par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire, l'empire, l’honneur, appartiennent au Père comme au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



Chrysostome sur Rm 900