Chrysostome sur Rm 1500

HOMÉLIE 15. OR, NOUS SAVONS QUE TOUT COOPÈRE AU BIEN POUR CEUX QUI AIMENT DIEU.

1500 (Rm 8,28-39)

(309) Analyse.

Tout, sans aucune exception, et les afflictions même de la vie, et le retard même de la vocation, contribue au bien de ceux qui aiment Dieu et qui sont appelés à être saints ?
Si Dieu est pour nous qu'est-ce que les hommes pourront contre nous ? — Et que nous refusera Dieu qui nous a donné son Fils ?
Comment saint Paul, après avoir énuméré les preuves d'amour que Dieu nous a données, se laisse aller à ce mouvement sublime : qui donc nous séparera de la charité de Jésus-Christ ? — Que l'élection est un signe de vertu.
Que nous pouvons mourir tous les jours et gagner autant de couronnes.
Amour de l'apôtre saint Paul pour Notre-Seigneur Jésus-Christ.
L'orateur condamne l'amour des choses de la terre, il fait parler Notre-Seigneur qui nous exhorte à la pratique de l'aumône.

1501 1. Il me semble que tout ce passage est destiné à ceux qui sont dans les dangers ; et non-seulement ce passage, mais encore ceux qu'on a lus un peu plus haut. En effet cette phrase : « Les souffrances du temps présent n'ont point de proportion avec la gloire future qui sera révélée » (Rm 8,18); et celle-ci : « Toutes les créatures gémissent » (Rm 8,22); puis : « C'est en espérance que nous avons été sauvés » (Rm 8,24); et encore : « Nous attendons par la patience »; (Rm 8,25) et enfin : « Nous ne savons ce que nous devons demander dans la prière» (Rm 8,26): tous ces textes, dis-je, semblent aller à la même adresse. Paul leur apprend en effet que ce n'est point ce qu'ils jugent utile qui l'est réellement et qu'ils doivent toujours choisir, mais bien ce que l'Esprit leur inspire. Car beaucoup de choses qui leur paraissent avantageuses, leur sont quelquefois très-nuisibles. Le repos, par exemple, l'éloignement du danger, la sécurité de la vie, leur semblaient des avantages. Et comment s'étonner qu'ils jugeassent ainsi, quand le bienheureux Paul lui-même partageait cette opinion ? Et cependant il apprit plus tard que la situation contraire est celle qui procure les vrais avantages, et dès qu'il le sut, il s'y attacha. Ainsi, lui qui avait trois fois prié le Seigneur de le délivrer des périls, lui ayant entendu dire : « Ma grâce te suffit ; car ma puissance se montre tout entière dans la faiblesse », triomphait de joie plus tard quand il était persécuté, injurié, accablé de maux intolérables. « Je me complais », disait-il, « dans les persécutions, dans les outrages, dans les nécessités ».(2Co 12,9) C'est pour cela qu'il disait: « Nous ne savons ce que nous devons demander dans la prière » (Rm 8,26), et il les exhortait tous à s'en remettre là-dessus à l'Esprit. Car l'Esprit-Saint a grand soin de nous, et c'est le bon plaisir de Dieu.

A ces continuelles exhortations, il ajoute ce que nous venons de dire : un raisonnement propre à leur rendre le courage. « Nous savons », dit-il, « que tout coopère au bien pour ceux qui aiment Dieu» (Rm 8,28). Or, ce mot : « Tout » renferme aussi les choses pénibles. Que ce soit l'affliction qui survienne, ou la pauvreté, ou la prison, ou la faim, ou la mort, ou toute autre chose, Dieu peut tourner tout cela en sens contraire, puisque son infinie puissance sait nous alléger et changer en moyen de salut tout ce qui nous semble pénible. Aussi l'apôtre ne dit-il point : l'adversité n'atteint pas ceux qui aiment Dieu, mais : « Coopère au bien » ; c'est-à-dire, Dieu fait tourner les périls à la gloire de ceux à qui on tend des embûches ; ce qui est bien plus que d'écarter le danger, ou d'en délivrer quand il (310) survient. C'est ce qu'il a fait dans la fournaise de Babylone. Il n'a pas empêché qu'on y jetât les trois saints, et quand ils y furent, il n'éteignit point la flamme ; mais il la laissa brûler pour les rendre par là même plus glorieux. A l'occasion des apôtres, il a fait constamment d'autres prodiges du même genre. S'il suffit à l'homme d'être sage pour savoir tourner en sens contraire la nature des choses, paraître au sein de la pauvreté plus à l'aise que les riches, et tirer de la gloire du mépris même dont ils sont l'objet; à bien plus forte raison Dieu peut-il en faire autant, et beaucoup plus encore, à l'égard de ceux qui l'aiment. Une seule chose est nécessaire : l'aimer sincèrement, et tout le reste vient à la suite. Et de même que les choses qui semblent nuisibles sont profitables à ceux qui l'aiment ; ainsi, celles qui sont utiles deviennent nuisibles à ceux qui ne l'aiment pas. Les miracles, la pureté des dogmes, la sagesse de la doctrine ont fait tort aux Juifs; à cause des miracles, ils appelaient le Christ démoniaque, à cause de sa doctrine ils le traitaient d'impie ; ils essayaient même de le faire mourir à raison de ses prodiges. D'autre part, le larron crucifié, percé de clous, accablé d'injures, souffrant des douleurs sans nombre, non-seulement n'en éprouva aucun dommage, mais en tira le plus grand profit. — Voyez-vous comme tout coopère au bien pour ceux qui aiment Dieu ?

Après avoir établi que c'est là un grand bien, un avantage qui surpasse de beaucoup la nature humaine, comme cela semblait incroyable à un grand nombre, il le confirme par le passé, en disant: «Pour ceux qui, selon son décret, sont appelés » (Rm 8,28). Considérez qu'il parle ainsi en présupposant la vocation. Pourquoi Dieu n'a-t-il pas dès l'abord appelé tous les hommes, ou pourquoi n'a-t-il pas appelé Paul avec les autres apôtres, puisque ce délai semblait désavantageux? Et pourtant l'événement a prouvé que ce délai était utile. Il parle ici de décret, pour ne pas tout attribuer à la vocation, parce que les Gentils et les Juifs auraient pu le contredire. Si en effet la vocation avait suffi, pourquoi tous n'étaient-ils pas sauvés? Voilà pourquoi il dit que ce n'est pas la vocation seule, mais le décret, qui a opéré le salut des élus : car la vocation n'imposait aucune nécessité, ne faisait point de violence. Tous donc étaient appelés, mais tous n'ont pas obéi. « Car ceux qu'il a connus par sa prescience, il les a aussi prédestinés à être conformes à l'image de son Fils » (Rm 8,29). Voyez-vous ce comble d'honneur? Ce que le Fils unique était par nature, ceux-ci le deviennent par grâce. Et cependant il ne se contente pas de dire « Conforme » ; il y ajoute encore autre chose : « Afin qu'il fût lui-même le premier né (Rm 8,29) ». Et il ne se borne encore pas là, car il ajoute : « Entre beaucoup de frères », voulant en tout montrer le lien de parenté. Mais comprenez bien que tout ceci s'entend de l'Incarnation; car, selon la divinité, le Christ est Fils unique.

1502 2.Voyez-vous que de grâces il nous a accordées? Ne doutez donc point de l'avenir; car l'apôtre nous fait assez voir la Providence quand il nous parle de préfiguration. En effet, les hommes changent d'opinion d'après les événements; mais les pensées de Dieu et ses dispositions à notre égard sont anciennes. L'apôtre dit donc : « Et ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés » (Rm 8,30. Il les a justifiés par la régénération du baptême. « Et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés (Rm 8,30) ». Il les a glorifiés par la grâce, par l'adoption. « Que dirons-nous donc après cela? » (Rm 8,31) C'est comme s'il disait : Ne me parlez donc plus de périls, ni d'embûches dressées de toutes parts. Si quelques-uns doutent encore de l'avenir, au moins ne peuvent-ils nier les bienfaits déjà accordés, par exemple l'amour de Dieu pour nous, la justification, la gloire. Or il a accordé tout cela par des moyens qui semblaient fâcheux ; ce que vous regardiez comme un opprobre, la croix, la flagellation, les chaînes, c'est ce qui a restauré l'univers entier. Comme donc c'est par ses souffrances, en apparence si tristes, qu'il a procuré la liberté et le salut à tout le genre humain ; ainsi en agit-il avec vos propres souffrances, en les faisant tourner à votre gloire et à votre honneur. « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous (Rm 8,31) ? »

Et qui n'est pas contre nous? dira-t-on. Nous avons contre nous le monde entier, les tyrans, les peuples, nos parents, nos concitoyens; et pourtant tous ces ennemis sont si loin de nous nuire qu'ils nous tressent malgré eux des couronnes, qu'ils nous procurent des biens infinis : la sagesse de Dieu tournant leurs embûches à notre gloire et à notre salut. Voyez-vous comme personne n'est contre nous? Ce qui a augmenté la gloire de Job (311) c'est que le démon s'est armé contre lui. Le démon a en effet tout mis en oeuvre pour lui nuire : ses amis, sa femme, ses plaies, ses serviteurs; et rien de cela ne lui a fait de mal. Ce n'était pas encore beaucoup pour lui, bien que cela eût déjà une grande importance; mais ce qui était bien plus, c'est que tout a tourné à son profit. Car comme Dieu était pour lui, tout ce qui semblait être contre lui, lui est devenu avantageux. Ainsi en a-t-il été pour les apôtres. En effet les Juifs, les gentils, les faux frères, les princes, les peuples, la faim, la pauvreté, mille autres choses encore étaient contre eux, et pourtant rien n'était contre eux. C’est même là ce qui les a rendus glorieux, illustres et louables devant Dieu et devant les hommes. Pensez donc quelle grande parole Paul a prononcée en faveur des fidèles, de ceux qui sont vraiment crucifiés, parole que ne sauraient s'appliquer ceux mêmes qui sont ceints du diadème. En effet, contre un prince les barbares prennent les armes, les ennemis font irruption, les gardes du corps tendent des embûches, les sujets se révoltent souvent, mille autres dangers se présentent; mais contre le fidèle, attentif à observer exactement les lois de Dieu, l'homme ni le démon ne peuvent rien. En lui enlevant ses richesses, vous lui préparez une récompense ; en disant du mal de lui, vous le rendez par là même plus glorieux devant Dieu ; en le réduisant à la faim, vous augmentez sa gloire et sa récompense ; en le livrant à la mort, ce qui semble être le pire, vous lui tressez la couronne du martyre. Qu'y a-t-il donc de comparable à cette vie où rien ne peut nuire ; où ceux mêmes qui tendent des piéges ne sont pas moins utiles que des bienfaiteurs? Aussi Paul dit-il : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? »

Ensuite, non content de ce qu'il vient de dire, il rappelle encore le plus grand signe de l'amour de Dieu pour nous, celui qu'il ne perd jamais de vue : l'immolation du Fils. Non-seulement, nous dit-il, Dieu les a justifiés, glorifiés, rendus conformes à l'image de son Fils; mais il n'a pas même épargné ce Fils pour vous. Aussi ajoute-t-il-: « Lui qui n'a pas épargné même son propre Fils, mais qui l'a livré pour nous tous, comment ne nous aurait-il pas donné toutes choses avec lui (Rm 8,32) ? » L'apôtre emploie ici des expressions énergiques et brûlantes, pour faire comprendre l'amour divin. Comment donc Dieu nous abandonnerait-il, lui qui n'a pas ménagé son propre Fils, mais l'a livré pour nous tous? Et songez quelle bonté c'est de ne pas ménager son propre Fils, mais de le livrer, et de le livrer pour tous, pour des êtres sans valeur, pour des ingrats, des ennemis, des blasphémateurs: « Comment ne nous aurait-il pas donné toutes choses avec lui ? » L'apôtre veut dire : S'il nous a donné son Fils, non pas simplement donné, mais donné pour être immolé, comment mettrez-vous le reste en doute, quand vous avez reçu le Maître lui-même? Comment douterez-vous de la propriété, quand vous avez le propriétaire? Comment celui qui a donné le plus à des ennemis, refusera-t-il le moins à des amis? « Qui accusera les élus de Dieu?... (Rm 8,33) ».

1503 3. Ici Paul s'adresse à ceux qui disaient que la foi ne sert à rien, et qui ne croyaient pas à un changement soudain. Et voyez comme il leur ferme promptement la bouche en parlant de la dignité de celui qui a élu. Il ne dit pas Qui accusera les serviteurs de Dieu, ni : Les fidèles de Dieu, mais : « Les élus de Dieu » car l'élection est un signe de vertu. Si, en effet, quand un dompteur de chevaux choisit les poulains propres à la course, personne ne peut l'en blâmer à moins d'encourir le ridicule : à bien plus forte raison, quand Dieu choisit les âmes, serait-on ridicule de lui en faire un reproche. «C'est Dieu qui les justifie; qui est celui qui les condamnerait? » Il ne dit pas : C'est Dieu qui remet les péchés; mais, ce qui est beaucoup plus : « C'est Dieu qui les justifie ». Quand le suffrage du juge, et d'un tel juge, proclame quelqu'un juste; quelle sera la peine de l'accusateur? Donc il ne faut pas craindre les épreuves, car Dieu est pour nous, et il l'a assez prouvé par les faits; ni les niaiseries judaïques, car Dieu nous a Choisis et justifiés, et justifiés, chose étonnante ! par la mort de son Fils. Qui donc nous condamnera quand Dieu nous couronne, quand. le Christ a été immolé pour nous, et non-seulement a été immolé, mais intercède encore en notre faveur ? « C'est le Christ Jésus », nous dit-il, « qui est mort pour eux, qui de plus est ressuscité des morts, est à la droite du Père et qui même intercède pour nous (Rm 8,34) ».

Bien qu'en possession de sa dignité propre, il n'a point cessé de s'occuper de nous, mais (312) il intercède en notre faveur, et nous conserve toujours la même affection. Car il ne s'est pas contenté d'être mis à mort; pour nous donner une plus grande preuve de son amour, il n'a pas seulement payé de sa personne, il en engage encore un autre à agir dans le même but. C'est là uniquement ce que Paul entend par le mot intercéder; employant une expression plus humaine, plus humble, pour désigner cet amour. Si on ne le prenait pas dans ce sens, le terme: « N'a pas épargné», entraînerait beaucoup d'absurdité. Et la preuve que c'est là ce qu'il veut dire, c'est qu'après avoir d'abord dit: « Est à la droite », il ajoute : « Il intercède pour nous » ; montrant par là tout à la fois que le Fils est égal au Père, et que son intercession n'est point un indice d'infériorité, mais uniquement une preuve de son amour. Car comment celui qui est la vie et la source de tous les biens, qui a la même puissance que le Père, qui ressuscite les morts, qui vivifie, et qui fait tout le reste, comment, dis-je, aurait-il besoin d'intercéder pour nous être utile? Comment celui qui, par sa propre puissance, a sauvé de la condamnation ceux qui étaient désespérés et condamnés, qui les a faits justes et enfants de Dieu, qui les a conduits aux suprêmes honneurs, qui a réalisé ce qu'on n'eût jamais osé espérer ; comment, après avoir accompli tout cela et avoir fait asseoir notre nature sur le trône royal, aurait-il eu besoin de prier pour des oeuvres plus faciles?

Voyez-vous comme il est démontré de toutes manières que Paul ne parle ici d'intercession que pour faire comprendre l'ardeur, la vivacité de l'amour du Christ pour nous ? En effet, il est dit aussi que le Père exhorte les hommes à se réconcilier avec lui. « Nous faisons donc les fonctions d'ambassadeurs pour le Christ, Dieu exhortant par notre bouche ». (2Co 5,20) Et pourtant quand Dieu nous exhorte, quand des hommes font les fonctions d'ambassadeurs pour le Christ vis-à-vis d'autres hommes, nous ne voyons rien là qui soit indigne de la majesté divine; tout ce que nous en pouvons conclure, c'est l'étendue de l'amour de Dieu. Faisons de même ici. Si donc l'Esprit demande avec des gémissements inénarrables, si le Christ est mort, s'il intercède pour nous, si le Père n'a point ménagé pour vous son propre Fils, s'il vous a élu et justifié, que craignez-vous encore? Quand vous êtes l'objet d'un tel amour, d'une telle Providence, pourquoi tremblez-vous? Aussi, après avoir montré cette Providence, l'apôtre continue en toute liberté, et ne se contente plus de dire : Donc vous devez aussi l'aimer; mais, comme saisi d'enthousiasme à l'aspect de cette bonté infinie, il s'écrie : « Qui nous séparera de l'amour du Christ? » Il ne dit pas : De Dieu; tant il lui est indifférent de nommer le Christ ou Dieu. « Est-ce la tribulation? Est-ce l'angoisse? Est-ce la persécution? Est-ce la faim? Est-ce la nudité? « Est-ce le péril? Est-ce le glaive (Rm 8,35) ? »

Voyez la prudence de Paul : Il ne parle point des piéges où nous tombons tous les jours, de l'amour des richesses, de la passion de la gloire, de la tyrannie de la colère ; mais de choses bien plus tyranniques, qui font violence à la nature elle-même, qui ébranlent souvent malgré nous la fermeté du caractère, à savoir les tribulations et les angoisses. Bien que l'on puisse compter toutes ses expressions, néanmoins chacune d'elle renferme des milliers d'épreuves; ainsi quand il parle d'affliction, il entend la prison, les chaînes, la calomnie, l'exil, toutes les misères; d'un mot il parcourt un vaste océan de périls, d'une seule expression il indique tout ce qu'il y a de pénible pour l'homme. Et cependant il brave tout cela. Aussi procède-t-il par interrogation, comme si la contradiction était impossible, puisque rien ne peut séparer de l'objet de son amour celui qui est aimé à ce point et qui jouit du soin d'une telle Providence.

1504 4. Ensuite, pour que ces épreuves ne soient pas considérées comme un signe de délaissement, il cite le prophète qui les a prédites longtemps d'avance en ces termes : « A cause de vous nous sommes mis à mort tout le jour, on nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie (Rm 8,36) », c'est-à-dire Nous sommes exposés à subir des mauvais traitements de la part de tout le monde, néanmoins contre tant et de si grands périls, contre tant de nouvelles et sanglantes cruautés, une consolation nous suffit : la raison même de ces combats. Non-seulement elle nous suffit, mais elle dépasse de beaucoup nos besoins. Car, ce n'est pas pour les hommes ni pour rien de terrestre que nous souffrons tout cela, mais pour le Roi de l'univers. Et ce n'est point là la seule couronne que Dieu réserve à (313) ses élus, mais il leur en prépare une autre multiple et variée. Car comme, en qualité d'hommes, ils ne sauraient souffrir mille morts, il leur montre que la récompense n'en sera pas moindre pour autant: Bien que ce soit une loi de notre nature que nous ne mourions qu'une fois, Dieu cependant nous donne la faculté de mourir tous les jours, si nous le voulons. D'où il suit clairement que nous aurons, à l'heure du départ, autant de couronnes que nous aurons vécu de jours, et même beaucoup plus : car on peut mourir une fois, deux fois, bien des fois par jour. Et celui qui est prêt à cela, reçoit toujours la récompense entière.

C'est à quoi font allusion ces mots du prophète : « Tout le jour ». Aussi l'apôtre invoque-t-il son témoignage, pour mieux exciter leur ardeur. Si en effet, leur dit-il, ceux qui vivaient sous l'Ancien Testament, qui n'avaient pour prix de leurs travaux que la terre et ce qui passe avec la vie, ont pu ainsi dédaigner la vie présente, les épreuves, les périls, comment serions-nous excusables de tomber dans le relâchement, de ne pas même atteindre à leur mesure, quand on nous a promis le royaume du ciel et des biens ineffables? L'apôtre n'exprime pas cette pensée, mais, l'abandonnant à la conscience de ses auditeurs, il se contente du témoignage du prophète, il leur montre que leurs corps sont une victime, et qu'ils ne doivent point s'en troubler, ni s'en effrayer, puisque Dieu l'a ainsi réglé. Il les anime encore d'une autre manière. Pour qu'on ne dise pas qu'il fait là simplement de la spéculation avant l'expérience des faits, il ajoute : « On nous regarde comme des brebis de tuerie », indiquant par là que les apôtres mouraient tous les jours. Voyez-vous sa force et sa modestie ? Comme, dit-il, les brebis qu'on égorge n'opposent aucune résistance, ainsi en est-il de nous. Mais comme la faiblesse de l'esprit humain redoutait encore, même après tant et de si grandes choses, la multitude des épreuves, voyez comme il relève l'auditeur, comme il le rend haut et fier, en disant : « Mais en tout cela nous triomphons par celui qui nous a aimés (Rm 8,37) ».

Ce qu'il y a d'étonnant, ce n'est pas seulement que nous triomphions, mais que nous triomphions par les piéges même qu'on nous tend. Et non-seulement nous triomphons, mais nous faisons plus que triompher, c'est-à-dire que nous remportons la victoire avec une extrême facilité, sans fatigues et sans peines. Et ce n'est pas en souffrant réellement, mais par la simple disposition à souffrir, que nous dressons des trophées contre nos ennemis. Et cela est juste : car c'est Dieu qui combat avec nous. Ne faites donc aucune difficulté de croire que, flagellés, nous sommes vainqueurs de ceux qui nous flagellent; que, proscrits, nous dominons ceux qui nous proscrivent; que, mourants, nous supplantons ceux qui vivent. Une fois supposé la puissance de Dieu et son amour pour nous, rien ne s'oppose à ce que ces choses étonnantes, incroyables, aient lieu, et que le triomphe soit éclatant. Et ils ne remportaient pas une simple victoire, mais une victoire miraculeuse, en sorte que leurs ennemis comprissent qu'ils faisaient la guerre non plus à des hommes, mais à la puissance invincible. Voyez-vous les Juifs les tenir au milieu d'eux, puis hésiter et dire : « Que ferons-nous à ces hommes? » (Ac 4,16) Et voilà la merveille : c'est que, les retenant, les regardant comme coupables, les jetant dans les fers, les frappant, ils étaient dans l'embarras et dans l'incertitude, et se trouvaient vaincus par ceux mêmes par qui ils espéraient vaincre. Ni le tyran, ni les bourreaux, ni les légions infernales, ni le démon lui-même ne purent triompher d'eux; la défaite fut complète; on vit tourner à leur profit les moyens mêmes qu'on employait contre eux. Aussi l'apôtre dit-il : « Nous sommes plus que vainqueurs ». C'était la nouvelle loi de la guerre, de vaincre par les contraires, de n'être jamais défait et d'aller au combat comme si on était assuré du succès. « Car je suis certain que ni mort, ni vie, ni anges, ni principautés, ni puissances, ni choses présentes, ni choses futures, ni ce qu'il y a de plus haut, ni ce qu'il y a de plus bas, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus (Rm 8,38-39) ».

1505 5. Voilà de grandes paroles, mais nous ne les comprenons pas, parce que nous ne savons pas aimer ainsi. Cependant bien qu'elles soient grandes, pour montrer que son amour n'est rien en comparaison de l'amour de Dieu pour lui, il n'en parle qu'en second lieu, de peur de paraître se vanter. Voici ce qu'il veut dire: A quoi bon parler du présent, et des maux (314) attachés à cette vie? Quand même on parlerait de choses à venir et de puissances, de choses comme la mort et la vie, de puissances comme les anges et les archanges, de tout ce qu'il y a de plus élevé dans la création: tout cela me paraîtrait petit, en comparaison de l'amour du Christ. Quand on me menacerait d'une mort éternelle, quand on me promettrait une vie sans terme pour me séparer du Christ, je n'accepterais pas. A quoi bon me parler de tel ou tel roi terrestre, de tel ou tel consul? Quand vous me parleriez des anges et de toutes les puissances célestes, de tout ce qui est, de tout ce qui sera, de tout ce qui est sur la terre ou dans les cieux, de tout ce qui est sous la terre ou au-dessus des cieux, tout me semblerait peu de chose en comparaison de cet amour. Et comme si cela ne suffisait pas encore à exprimer son amour, il y ajoute autre chose, en disant : « Ni aucune autre créature », c'est-à-dire : aucune autre création aussi grande que celle que nous voyons, aussi grande qu'on puisse l'imaginer, rien ne me détachera de cet amour.

S'il parle ainsi, ce n'est pas que quelque ange ou quelque autre puissance ait essayé de lui enlever cet amour, à Dieu ne plaise ! mais il emploie ces hyperboles pour montrer l'amour qu'il porte au Christ. Car il n'aime pas le Christ à cause de ses dons, mais les dons à cause du Christ; c'est lui seul qu'il a en vue, et il ne craint qu'une chose : perdre cet amour. Le perdre serait pour lui plus terrible que l'enfer, comme y persévérer lui est plus cher qu'un empire. Comment donc, quand Paul n'estime pas même les choses du ciel en comparaison de l'amour du Christ, comment serions-nous excusables de mettre de la boue et de l’argile au-dessus du Christ? Paul est prêt, s'il le faut, à tomber en enfer et à être privé du ciel plutôt que de perdre l'amour du Christ; et nous ne méprisons pas même la vie présente ! Sommes-nous seulement dignes de délier les cordons de ses souliers, nous qui sommes à une telle distance de cette âme magnanime? A cause du Christ il dédaigne même le royaume du ciel, et nous, nous méprisons le Christ et estimons beaucoup ses dons.

Et plût au ciel que nous estimassions ses dons ! mais ce n'est pas même cela: le royaume du ciel est devant nous, et nous le laissons pour courir chaque jour après des ombres et des songes. Pourtant Dieu qui est bon et miséricordieux fait comme un père tendre qui, voyant son fils dégoûté de vivre toujours avec lui, invente d'autres moyens de le retenir. En effet comme son amour n'est pas pour nous un lien assez puissant, il met en oeuvre beaucoup d'autres moyens pour nous rattacher à lui. Mais cela ne nous retient pas encore, et nous courons à des jeux d'enfants. Il n'en était pas ainsi de Paul; comme un fils bien né, généreux et plein de piété filiale, il ne recherche que la compagnie de son père, et se soucie bien moins du reste; que dis-je? il est plus qu'un fils; car il n'unit pas dans son estime son père et ses dons; mais quand il voit son père, il dédaigne tout le reste, et aimerait mieux être puni et flagellé en restant avec lui, que de vivre dans les délices loin de lui.

1506 6. Tremblons donc, nous qui ne méprisons pas même les richesses pour Dieu, bien plus, qui ne les méprisons pas pour nous-mêmes. Paul seul souffrait tout pour le Christ, non en vue du royaume, non en vue de l'honneur, mais par pure affection pour lui. Et nous, ni le Christ, ni les biens du Christ, ne sauraient nous détacher des choses terrestres ; mais comme les serpents, comme les vipères, comme les pourceaux ou d'autres animaux de ce genre, nous nous traînons dans la fange. En quoi, en effet, différons-nous de ces animaux, nous qui, après tant et de si beaux exemples, avons encore les yeux fixés sur la terre et ne supportons pas même de les diriger un instant vers le Ciel? Et pourtant Dieu nous a donné son Fils; et vous, vous ne donnez pas même un morceau de pain à celui qui a été livré et immolé pour vous ! Pour vous, le Père n'a pas même ménagé son Fils, son Fils légitime; et vous, vous le dédaignez, ce Fils, quand il meurt de faim, quand vous ne dépenseriez que ce qui vient de lui et que vous le dépenseriez pour vous. Qu'y a-t-il de pire qu'une telle iniquité? Il a été livré pour vous, il a été immolé pour vous, il erre çà et là dévoré par la faim; vous donneriez de ce qu'il vous a donné lui-même, et vous le donneriez pour votre profit, et vous ne donnez cependant rien ! Ceux qui, malgré tant de motifs propres à les toucher, persévèrent dans cette inhumanité diabolique ne sont-ils pas plus insensibles que les pierres?

Il ne s'est pas contenté de la mort et de la (315) croix; mais il a voulu être pauvre, étranger, errant, nu, prisonnier, malade, afin de vous attirer à lui. Si vous ne me rendez rien, nous dit-il, pour tout ce que j'ai souffert pour vous, ayez pitié de ma pauvreté ; et si la pauvreté ne vous touche pas, que ce soit au moins la maladie, la captivité; et si rien de tout cela ne vous inspire un sentiment de bonté, faites attention au peu que je demande. Je ne demande rien de coûteux; mais dû pain, un abri, une parole de consolation. Que si votre dureté persiste, eh bien ! songez au royaume céleste, aux récompenses que je vous ai promises, et devenez meilleur. Vous ne tenez encore aucun compte de cela? Cédez au moins à la nature, et en voyant cet homme nu, songez à la nudité que j'ai supportée pour vous sur la croix. Si cette nudité-là ne vous émeut pas, souvenez-vous de celle que je subis maintenant dans la personne des pauvres. J'ai été alors dans le besoin à cause de vous, j'y suis encore aujourd'hui à cause de vous, afin que, pour l'une ou l'autre de ces raisons, vous me fassiez quelque aumône; j'ai jeûné à cause de vous, j'ai encore faim à cause de vous; j'ai eu soif sur la croix, j'ai encore soif dans la personne des pauvres, afin que par tous ces motifs je puisse vous attirer à moi et vous rendre humain dans votre propre intérêt. Et pour les services sans nombre que je vous ai rendus, je vous demande un retour, non comme dette, mais comme grâce, et, pour le peu que je demande, je vous couronne, je vous donne un royaume. Je ne vous dis pas: Délivrez-moi de la pauvreté, ni : Donnez-moi la richesse, bien que j'aie été pauvre pour vous; je vous demande simplement du pain, un vêtement, un faible soulagement à ma faim. Et si je suis en prison, je ne vous oblige pas à briser mes chaînes ni à me tirer de là; je vous demande seulement de jeter un regard sur un homme enchaîné à cause de vous, et cette grâce me suffit, et pour ce simple fait je vous donne le ciel. Pourtant je vous ai délivré d'une captivité bien plus dure; mais je suis content, si vous venez me voir comme prisonnier. Je pourrais vous couronner sans cela; mais je veux être votre débiteur, afin que vous ayez quelque confiance à saisir la couronne. Voilà pourquoi, pouvant me nourrir moi-même, je vais mendier de tous côtés, je me tiens à votre porte et vous tends la main. C'est de vous que je désire recevoir ma nourriture; car je vous aime beaucoup; je désire m'asseoir à votre table, comme c'est le propre des amis, et j'en suis fier; en présence du monde entier, je proclame vos louanges, et, devant l'auditoire attentif, je montre celui qui m'a nourri.

Pourtant, nous autres hommes, quand quelqu'un nous nourrit, nous en rougissons, nous le tenons dans l'ombre ; mais lui, parce qu'il nous aime beaucoup, proclame le fait, même quand nous gardons le silence, le relève par de grands éloges et ne rougit point de dire que nous l'avons vêtu quand il était nu et nourri quand il avait faim. Pensons donc à tout cela, et ne nous en tenons pas aux éloges, mais accomplissons tout ce qui a été dit. A quoi bon ces applaudissements et ce bruit? Je ne vous demande qu'une chose: la démonstration par les faits, l'obéissance par les oeuvres; voilà mon éloge, voilà votre profit, voilà qui brillera plus qu'un diadème à mes yeux. Donc, au sortir d'ici, tressez cette couronne pour vous et pour moi par les mains des pauvres, afin de vivre tous ensemble ici-bas, dans une douce espérance, et d'obtenir des biens sans nombre, lors du départ pour l'autre vie. Puissions-nous tous avoir ce bonheur, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire, l'empire, l'honneur appartiennent au Père en même temps qu'au Saint-Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.


HOMÉLIE 16. JE DIS LA VÉRITÉ DANS LE CHRIST, JE NE MENS PAS, MA CONSCIENCE ME RENDANT TÉMOIGNAGE PAR L'ESPRIT-SAINT. (Rm 9)

1600 (Rm 9),JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.)

Analyse. (316)

1. Nouvelle et plus grande preuve encore de l'amour que saint Paul avait pour Jésus-Christ. — Comment il désirait d'être anathème pour ses frères ou plutôt pour Jésus-Christ lui-même.
2. C'était par ce désir de faire cesser les blasphèmes des Juifs contre Dieu, et par conséquent par amour pour Dieu que saint Paul souhaitait d'être anathème.
3. Les Juifs reprochaient à Dieu de ne pas accomplir les promesses faites à leurs pères; saint Paul leur répond que les promesses de Dieu se sont au contraire parfaitement accomplies.
4. Ce ne sont pas ceux qui descendent d'Abraham selon la chair, qui sont ses enfants et lis enfants de Dieu, mais ceux qui naissent en vertu de la promesse.
5. Pourquoi Dieu a-t-il fait aux Juifs des promesses quand il prévoyait qu'ils se rendraient indignes d'en recevoir l'accomplissement? — Saint Paul répond à cette objection non pas en expliquant ce mystère, mais en proposant à son tour des questions dont ses adversaires ne peuvent donner la solution.
6. Dieu seul connaît ceux qui sont dignes, lui seul choisit et connaît les motifs de son élection.
7. Qu'il ne faut pas demander de comptes à Dieu.
8. Que Dieu ne détruit pas le libre arbitre.
9. Mystère de la vocation des Gentils conforme à la gloire de Dieu et prédit par les prophètes.
10. C'est parce que les Juifs avaient l'attention tournée vers les prescriptions de Moïse qu'ils se sont heurtés contre la pierre, parce qu'ils se sont obstinés à chercher leur salut dans leur loi, au lieu de le demander à la foi en Jésus-Christ.

1601 1. N'avez-vous pas trouvé magnifique, au-dessus de la nature, ce que je vous ai dit, dans la dernière instruction, sur l'amour de Paul envers le Christ ? C'est en effet quelque chose de grand en soi et qui surpasse toute expression ; et cependant ce qu'il dit aujourd'hui le dépasse encore autant que ce que nous disions hier est au-dessus de nos pensées. Je ne croyais pas qu'on pût rien dire de plus, et néanmoins ce qu'on vient de lire aujourd'hui m'a semblé bien plus éclatant que tout le reste; et l'apôtre, en ayant la conscience, l'a déclaré dès le début, comme devant aborder un sujet plus élevé et exciter l'incrédulité chez un grand nombre. Il commence donc par attester ce qu'il va dire; c'est l'usage ordinaire de ceux qui ont à communiquer des choses incroyables pour la multitude, et dont ils sont eux-mêmes pleinement convaincus. « Je dis la vérité et je ne mens pas; et ma conscience me rend témoignage, qu'il y a une grande tristesse en moi et une douleur continuelle dans mon coeur. Car je désirais ardemment d'être moi-même anathème à l'égard du Christ ». (Rm 9,1-3.)

Que dites-vous, Paul? Ce Christ que vous aimez, dont ni le ciel, ni l'enfer, ni les choses visibles, ni les choses invisibles, ni tant d'autres choses, ne pourraient vous séparer, vous voudriez être anathème à son égard? Qu'est-il donc arrivé? Etes-vous changé? Avez-vous perdu cet amour? Non, répond-il, ne craignez rien; je l'ai plutôt augmenté. Comment donc désirez-vous être anathème, et demandez-vous un éloignement, une séparation après laquelle il n'y en a plus de possible? Parce que je l'aime ardemment, dit-il. Comment? de quelle manière? dites-le moi; car cela ressemble fort à une énigme. Mais d'abord, s'il vous plaît, apprenons ce que c'est que l'anathème, puis nous l'interrogerons là-dessus, et nous comprendrons ce mystérieux, ce prodigieux amour.

Qu'est-ce donc que l'anathème? Ecoutons-le dire : « Si quelqu'un n'aime pas le Seigneur (317) Jésus-Christ, qu'il soit anathème ! » (1Co 16,22), c'est-à-dire qu'il soit séparé de tous, étranger à tous. Car comme personne n'oserait porter la main sur un objet consacré à Dieu, ni même s'en approcher de trop près; ainsi l'apôtre retranchant, repoussant au loin celui qui est séparé de l'Eglise, lui donne ce nom d'anathème par antithèse, et ordonne que chacun s'en écarte et le fuie avec horreur. Personne n'osait, par respect, s'approcher d'un objet consacré ; par un sentiment contraire, tout le monde s'éloignait de celui qui était retranché de l'Eglise. En sorte qu'il n'y avait bien qu'une seule et même séparation pour l'un et l'autre cas, mais le genre n'était pas le même; l'un était le contraire de l'autre. Dans le premier cas, on respectait un objet parce qu'il était consacré â Dieu ; dans le second, on s'éloignait d'un homme séparé de Dieu et retranché de l'Eglise. Voilà donc ce que Paul entend quand il dit : « Je désirais ardemment être anathème à l'égard du Christ ». Il ne dit pas simplement : Je voulais, mais en termes plus énergiques : «Je désirais ardemment ».

Que si vous vous troublez de ces expressions comme trop faibles, considérez la chose en elle-même : Voyez non-seulement ce désir d'être séparé, mais la raison même de ce désir, et vous comprendrez l'excès de cet amour. En effet, il a circoncis Timothée; néanmoins nous ne nous occupons pas de l'acte, mais de son intention et du motif qui l'animait, et nous ne faisons que l'en admirer davantage.

Non-seulement il a circoncis, mais il s'est rasé et il a sacrifié ; pour cela nous ne l'avons certes pas appelé Juif ; c'est par là même, au contraire, que nous avons vu qu'il s'éloignait davantage du Judaïsme, qu'il était sincère et véritable disciple du Christ. Si donc en le voyant circoncire et sacrifier, nous ne le condamnons point comme judaïsant, si nous le glorifions au contraire pour s'être par là même séparé du Judaïsme ; ainsi en le voyant désirer ardemment d'être anathème, ne vous troublez pas, mais exaltez-le davantage quand vous saurez la raison de son désir. Si en effet nous ne remontons pas aux causes, nous appellerons Elie homicide, et Abraham non-seulement homicide, mais homicide de son fils ; nous accuserons Phinéès et Pierre de meurtres ; et ce n'est pas seulement à l'égard des saints, mais à l'égard de Dieu même, qu'on sera entraîné à beaucoup d'absurdités, faute d'observer cette règle. Pour éviter cet inconvénient, dans tous les cas de ce genre, rapprochons d'abord la cause, l'instruction, le temps et toutes les circonstances propres à justifier l'action, puis examinons la question. Et c'est précisément ce que nous devons faire ici pour cette âme bienheureuse. Quelle est donc la cause ? Jésus lui-même, l'objet aimé. Or, Paul ne dit pas que ce soit pour luit : je désirerais ardemment, dit-il, être anathème pour mes frères. C'est là un effet de son humilité ; il ne veut pas avoir l'air de faire pour le Christ la grande chose qu'il exprime, aussi dit-il : « Qui sont mes proches », afin de dissimuler la grandeur de la chose ; mais, pour vous convaincre que c'est le Christ qu'il a en vue, écoutez la suite. Après avoir dit: « Qui sont mes proches», il ajoute : «Auxquels appartient l'adoption, la gloire, l'alliance, la loi, le culte et les promesses ; dont les pères sont ceux de qui est sorti, selon la chair, le Christ même, qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni dans tous les siècles. Amen (Rm 9,4-5) ».

1602 2. Mais quoi ? direz-vous, s'il désirait être anathème afin que d'autres eussent la foi, il devait aussi faire le même voeu pour les gentils; et s'il ne prie que pour les Juifs, c'est une preuve qu'il n'agit pas par amour pour le Christ, mais en vertu du lien de parenté. Je réponds que s'il n'eût prié que pour les gentils, on n'aurait pas si bien reconnu que c'était Jésus-Christ qu'il avait en vue ; mais en priant pour les Juifs seuls, il fait voir qu'il n'a absolument en vue que la gloire du Christ. Je sais que vous verrez là un paradoxe ; cependant, si vous restez calmes, je vais essayer de vous le démontrer. Ce n'est pas sans raison qu'il a parlé ainsi : car comme tous les Juifs accusaient Dieu en disant qu'ayant eu l'honneur d'être appelés fils de Dieu, ayant reçu la loi, ayant connu Dieu avant tout le monde, ayant joui d'une si grande gloire, ayant servi Dieu en face de tout l'univers, ayant reçu les promesses, étant les pères des mêmes tribus, et (ce qui était bien plus encore) étant les ancêtres du Christ (comme l'apôtre le dit : « De qui est sorti selon la chair, le Christ même »,) que malgré tout cela, ils avaient été rejetés, déshonorés, et qu'à leur place on avait substitué des gentils qui n'avaient jamais connu Dieu; comme, dis-je, ils tenaient ce langage et qu'ils (318) blasphémaient contre Dieu, Paul qui entendait tout cela, qui s'en trouvait blessé et pleurait sur l'outrage fait à la gloire de Dieu, désirait ardemment être anathème, si cela eût été possible, pour les sauver, pour faire cesser les blasphèmes et empêcher que Dieu ne parût avoir trompé les descendants de ceux à qui il avait promis les dons.

Et pour vous faire comprendre que c'est là ce qui l'afflige et que son désir est bien qu'on ne croie pas Dieu infidèle à la promesse faite à Abraham en ces termes : « Je te donnerai cette terre, à toi et à ta race » (
Gn 12,7) ; à ce qu'il vient de dire, il ajoute : « Non que la parole de Dieu soit restée sans effet » Rm 9,6 montrant par là qu'il se résigne à souffrir tout cela à cause de la parole de Dieu, c'est-à-dire pour la promesse faite à Abraham. Car comme Moïse semblait intercéder pour les Juifs, et en réalité, n'avait en vue que la gloire de Dieu : « Déposez », disait-il, «votre colère, pour qu'on ne dise pas que leur Dieu les a fait sortir pour les détruire dans le désert, parce qu'il ne pouvait pas les sauver » (Dt 9,28); ainsi fait Paul. Je voudrais, dit-il, être anathème, pour qu'on ne dise pas que la parole de Dieu est restée sans effet, que ses promesses étaient menteuses, que ce qu'il a dit ne s'est pas accompli. Il ne parle donc pas pour les Gentils (car la promesse n'était pas pour eux, et ils n'avaient point servi Dieu: aussi Dieu n'était-il point blasphémé à cause d'eux); mais il formait ce voeu en faveur des Juifs, qui avaient reçu la promesse et auxquels il était lié par des noeuds plus étroits. Voyez-vous donc que s'il eût désiré être anathème pour les Gentils, il eût moins évidemment cherché la gloire du Christ; tandis qu'en désirant l'être pour les Juifs, il fait parfaitement voir que c'est pour le Christ qu'il forme ce voeu.

Aussi dit-il : « Auxquels appartiennent l'adoption, la gloire, le culte et la promesse » Rm 9,4. En effet, dit-il, ils ont reçu la loi qui parle du Christ; ils ont reçu les promesses, qui toutes se rapportent à lui; lui-même en est sorti, aussi bien que les pères qui ont reçu les promesses ; et pourtant tout le contraire est arrivé, et ils ont perdu tous leurs biens. Voilà pourquoi, ajoute-t-il, je suis affligé, et s'il était possible d'être séparé de la compagnie du Christ, d'être privé, non pas de son amour (loin de là, puisqu'il faisait tout pour l'amour), mais de la jouissance du ciel, mais de la gloire, j'y consentirais pour que Dieu ne fût plus blasphémé, pour ne plus entendre dire que c'est une comédie, qu'autres ont été les promesses, autres les événements; qu'il est né des uns et qu'il a sauvé les autres; qu'il avait fait des promesses aux ancêtres des Juifs, puis qu'il a abandonné leurs enfants et appelé à la possession des biens des hommes qui ne l'avaient jamais connu ; que cependant les Juifs se fatiguaient à méditer la loi et à lire les prophéties, tandis que les païens, ramenés hier de leurs autels et de leurs idoles, leur ont été préférés, que ce n'est point là une Providence. Afin donc, dit-il, que tout cela ne se répète plus de mon Maître, bien que cela soit injuste, je renoncerais volontiers au royaume du ciel, à cette gloire ineffable, je supporterais tous les maux, et je regarderais comme une très grande compensation de toutes mes peines de ne plus entendre ainsi blasphémer mon bien-aimé. Si vous ne comprenez pas encore la pensée de l'apôtre, songez que souvent bien des pères en font autant pour leurs enfants, se résignant à se séparer d'eux pour les voir glorieux, et préférant cette gloire même à leur compagnie. Mais comme nous sommes à une grande distance de cet amour, nous ne pouvons pas même comprendre ce qui s'en dit.

Il en est qui sont si peu dignes d'entendre le langage de Paul, et qui sont si loin de son ardent amour, qu'ils s'imaginent que ses paroles s'appliquent à la mort temporelle. De ceux-là je dirai qu'ils ne connaissent pas plus Paul que les aveugles la lumière du soleil, et bien moins encore. Comment celui qui mourait tous les jours, qui courait des périls sans nombre, qui s'écriait : « Qui nous séparera de l'amour du Christ? Est-ce la tribulation? Est-ce l'angoisse? Est-ce la faim? Est-ce la persécution? » (Rm 8,35) ; qui, non content de cela, montait au-dessus du ciel et du ciel des cieux, au-dessus des anges et des archanges; qui parcourait toutes les sphères célestes, et embrassait le présent et l'avenir, le visible et l'invisible, la tristesse et la joie et tout ce qui s'y rattache; qui n'oubliait rien de ce qui existe, n'en était point satisfait, et supposait encore une autre création qui n'existe pas, pour tout sacrifier à son amour pour Jésus-Christ ; comment, dis-je, après tout cela, viendra-t-il parler de la mort (319) temporelle comme de quelque chose d'important?

1603 3. Non, non, ce n'est pas cela; une telle pensée vient de vers de terre rampant dans le fumier. Si c'était là ce qu'il a voulu dire, comment aurait-il désiré d'être anathème à l'égard du Christ? Car cette mort l'eût réuni plus tôt à la compagnie du Christ et mis en possession de la gloire éternelle. Il en est d'autres qui osent encore avancer des choses plus ridicules. Ce n'est pas de mourir qu'il souhaitait, disent-ils, mais d'être la possession, le bien propre du Christ. Et quel homme si vil, si déchu, qui n'en souhaite autant? Comment aurait-il pu l'être pour ses proches? Laissons donc de côté ces fables et ces niaiseries (car elles ne valent pas la peine d'être réfutées, pas plus que les puérilités que bégayent les enfants) ; revenons au discours de l'apôtre, pour nous délecter dans cet océan d'amour, y nager au large et en toute liberté ; pour contempler cette flamme immense, car tout ce qu'on en peut dire est au-dessous du sujet. En effet, cet amour est plus vaste qu'aucun océan, plus violent que quelque flamme que ce soit, et aucun langage ne saurait l'exprimer dignement; celui-là seul l'a connu qui l'a si bien éprouvé.

Répétons donc encore ces paroles : « Car je désirais ardemment d'être moi-même anathème»
Rm 9,1. Qu'est-ce que cela veut dire : « Moi-même? » Moi qui suis le docteur universel, qui ai obtenu des succès sans nombre, qui attends mille couronnes, qui ai aimé le Christ jusqu'à préférer son amour à tout le reste, qui brûle pour lui chaque jour, et mets cet amour au-dessus de tout. Car il n'avait pas seulement à coeur d'être aimé du Christ, mais de l'aimer ardemment ; et c'était là son principal souci. Aussi n'avait-il point d'autre vue, et supportait-il tout facilement; en toutes choses il ne visait qu'à ce point : assouvir ce bel amour. Voilà quels sont ses voeux ; mais comme cela ne devait pas être, comme il ne devait pas être anathème, il s'efforce de repousser les reproches, de reproduire les objections qui courent de bouche en bouche et de les réfuter. Mais avant d'entreprendre cette justification, il en pose d'abord les fondements. En effet, quand il dit: « Auxquels appartiennent l'adoption, la gloire, la loi, le culte et les promesses » Rm 9,4, il n'entend pas autre chose, sinon que Dieu voulait les sauver (c'est ce que Dieu lui-même a prouvé par tout ce qu'il a fait autrefois, par l'origine du Christ né d'eux, et par les promesses faites à leurs pères) ; mais eux, par leur ingratitude propre, on a rejeté les bienfaits. Voilà pourquoi Paul établit des faits, qui prouvent uniquement la bonté de Dieu, mais ne font point leur éloge : en effet, l'adoption était un don gratuit, aussi bien que la gloire, les promesses et la loi. En pensant à tout cela, et considérant quel immense intérêt Dieu et son Fils attachaient à leur salut, il pousse un grand cri et dit : « Qui est béni dans les siècles, Amen » Rm 9,5; rendant ainsi grâces de tout au Fils unique de Dieu. Qu'importe, nous dit-il, que les autres blasphèment? Nous qui connaissons ses secrets, sa sagesse infinie, sa grande providence, nous savons parfaitement qu'il mérite d'être glorifié, et non blasphémé.

Non content du témoignage de sa conscience, il essaye encore du raisonnement, et les attaque en termes énergiques, mais non avant d'avoir détruit leur soupçon. Pour ne pas avoir l'air de parler à des ennemis, il dit plus bas : « Mes frères, le désir de mon coeur et mes supplications à Dieu ont pour objet leur salut » (Rm 1,1); et ici même, entre autres choses qu'il dit contre eux, il prend soin d'éviter de paraître agir par un sentiment hostile ; c'est pourquoi il ne dédaigne pas de les appeler ses proches et ses frères. Car bien que, dans tout ce qu'il dit, il n'ait en vue que le Christ, cependant il cherche à se concilier leur esprit, il prépare la voie à ce qu'il va dire, éloigne de lui tout soupçon à l'occasion des reproches qu'il doit leur adresser, et enfin il aborde la question controversée dans la foule.

Beaucoup, en effet, comme je l'ai déjà dit, demandaient pourquoi ceux qui avaient reçu la promesse étaient déchus, et comment ceux qui n'en avaient jamais ouï parler, étaient sauvés avant eux. Pour détruire cette difficulté, il donne la solution avant l'objection. De peur qu'on ne dise : Quoi ! vous vous inquiétez plus de la gloire de Dieu que Dieu lui-même ! Ou encore : A-t-il besoin de votre aide pour que sa parole ne reste pas sans effet? Pour prévenir ces questions, il dit : Si j'ai affirmé cela, « Ce n'est pas que la parole de Dieu soit restée sans effet» Rm 9,6, mais j'ai voulu montrer mon amour pour le Christ même. Après tout ce qui s'est passé, nous ne sommes pas embarrassés de justifier Dieu, et de montrer que sa promesse est restée debout. Dieu a dit à Abraham : « Je te donnerai cette terre, (320) pour toi et pour ta race » (Gn 12,7) ; et encore : « En ta race seront bénies toutes les nations (Gn 12,3) » ; voyons maintenant, ajoute l'apôtre, quelle est cette race : car tous ceux qui sont sortis d'Abraham ne sont pas de sa race; c'est pourquoi il dit : « Mais tous ceux qui descendent d'Israël ne sont pas israélites; ni ceux qui appartiennent à la race d'Abraham ne sont pas tous ses enfants... (Rm 9,6-7) ».

1604 4. Or, quand vous saurez quelle est la race d'Abraham, vous verrez que c'est à elle qu'a été faite la promesse, et que cette promesse n'est point tombée à vide. Dites-moi donc quelle est cette race ? Ce n'est pas moi qui me charge de répondre, mais l'Ancien Testament lui-même, qui nous dit : « En Isaac sera ta postérité ». (Gn 21,12) Qu'est-ce que cela veut dire : « En Isaac ? » Interprétez : « C'est-à-dire, ce ne sont pas les enfants selon la chair, qui sont enfants de Dieu; mais ce sont les enfants de la promesse qui sont comptés dans la postérité (Rm 9,8) ». Et voyez la prudence de Paul et sa haute sagesse ! Dans son explication il ne dit pas : Ce ne sont point les enfants de la chair qui sont enfants d'Abraham, mais : « Enfants de Dieu » ; rattachant ainsi le passé au présent, et montrant qu'Isaac n'était pas simplement l'enfant d'Abraham. Voici donc ce qu'il veut dire : Ceux qui sont engendrés à la manière d'Isaac, ceux-là sont les enfants de Dieu et la postérité d'Abraham. Aussi Dieu a-t-il dit : « En Isaac sera ta postérité », pour nous apprendre que ceux qui sont engendrés à la manière d'Isaac, sont principalement la postérité d'Abraham. Comment donc Isaac a-t-il été engendré? Non selon la loi de nature, non selon la puissance de la chair, mais en vertu de la promesse. Qu'est-ce à dire : en vertu de la promesse? « En ce temps, je viendrai à toi, et Sara aura un Fils ».

C'est donc la promesse et la parole de Dieu qui a formé et engendré Isaac. Qu'importe qu'il y ait eu les entrailles et le sein d'une femme? Ce n'est pas la vertu des entrailles, mais celle de la promesse qui a enfanté Isaac. Ainsi sommes-nous aussi enfantés par la parole de Dieu : car, dans la piscine des eaux, ce sont les paroles de Dieu qui nous engendrent et nous forment : nous sommes engendrés, quand on nous baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Cette génération n'est point l'effet de la nature, mais de la promesse de Dieu. En effet, comme Dieu a accompli la génération d'Isaac, après l'avoir annoncée d'avance ; ainsi a-t-il réalisé la nôtre, après l'avoir fait prédire longtemps d'avance par tous les prophètes. Voyez-vous quelle grande chose Dieu a révélée, et avec quelle facilité il a accompli la magnifique promesse qu'il avait faite ? Si les Juifs objectent que ces paroles : « En Isaac sera ta postérité», signifient que tous ceux qui sont nés d'Isaac sont cette postérité, il faudrait alors y comprendre les Iduméens et tous ceux qui sont nés d'Esaü; car leur père Esaü était fils d'Isaac. Or, non-seulement on ne les compte point pour enfants de celui-ci, mais on les considère comme tout-à-fait étrangers. Voyez-vous que ce ne sont pas les enfants de la chair qui sont enfants de Dieu, et que déjà autrefois, dans l'ordre même de la nature, était figurée la régénération par le baptême? Si vous me parlez de sein maternel, moi je vous parlerai de l'eau. Mais comme ici tout est l'oeuvre de l'Esprit, ainsi là tout était l'effet de la promesse car le sein maternel était plus glacé que l'eau à cause de la stérilité et de la vieillesse. Comprenons donc bien notre noblesse et montrons-nous en dignes par notre conduite; car il n'y a rien, là, de charnel ni de terrestre. Ne le soyons donc point nous-mêmes. Ce n'est point le sommeil, ni la volonté de la chair, ni l'union charnelle, ni l'aiguillon de la passion, mais la bonté de Dieu qui a tout fait. Et comme là, dans un âge qui ôtait tout espoir, de même ici, dans la vétusté du péché, est tout-à-coup survenu l'homme nouveau, et nous sommes tous devenus enfants de Dieu et descendants d'Abraham. « Et non-seulement elle, mais aussi Rebecca « Rm 9,10 qui eut deux fils à la fois d'Isaac, notre père ». La question était importante; aussi emploie-t-il beaucoup de raisonnements, et cherche-t-il par tous les moyens à résoudre la difficulté. Si c'était chose inouïe, étrange, qu'après tant de promesses, les Juifs fussent privés des résultats, il est bien plus extraordinaire que nous prenions possession de leurs biens, nous qui n'avions rien de pareil à attendre. C'est comme si le fils d'un roi, à qui la succession au trône aurait été promise, se voyait rejeté parmi les hommes obscurs, tandis que l'empire qui lui était dû passerait aux mains d'un condamné, d'un homme rempli de vices et sorti de prison. Que pourriez-vous dire à cela? demande Paul. Que le fils était indigne? Mais (321) ce criminel l'est aussi, et beaucoup plus. Il fallait donc qu'ils fussent ou punis ou honorés tous les deux. C'est quelque chose de ce genre, de plus étonnant même, qui a eu lieu à l'occasion des Gentils et des Juifs. Que tous étaient indignes, l'apôtre l'a fait voir plus haut, en disant : « Car tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu » (Rm 3,23) ; mais l'étrange c'est que, tous étant indignes, les Gentils seuls soient sauvés. Après tout cela, on peut encore faire une objection et dire : Si Dieu ne devait pas accomplir ses promesses, pourquoi les a-t-il faites? Les hommes, ignorant l'avenir, sujets à beaucoup de déceptions, peuvent promettre à des sujets indignes; mais pourquoi Dieu, qui connaît le présent et l'avenir, et qui savait parfaitement qu'on se rendrait indigne de ses promesses et qu'on n'en recueillerait point les fruits, pourquoi les a-t-il faites?

1605 5. Comment Paul résout-il cette objection ? En faisant voir quel est l'Israël, à qui les promesses ont été faites. Une fois cette explication donnée, il devient évident que les promesses ont été toutes accomplies. C'est ce qu'il déclare quand il dit : « Tous ceux qui descendent d'Israël ne sont pas Israélites » Rm 9,6. C'est pourquoi il ne donne pas le nom de Jacob, mais celui d'Israël, qui était le symbole de la vertu du juste, nom qui lui avait été donné d'en-haut, et était la preuve que Dieu lui était apparu. Et cependant, direz-vous, tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu. Si tous ont péché, comment les uns sont-ils sauvés et les autres perdus? Parce que tous n'ont pas voulu venir. En ce qui regarde Dieu, tous ont été sauvés, puisque tous ont été appelés. Cependant ce n'est point là ce que dit l'apôtre; mais il résout la difficulté par d'autres exemples; comme plus haut il introduit une autre question, et détruit une très-grave objection par une autre objection.

En effet, quand il s'agissait de savoir comment, le Christ étant justifié, tous les hommes ont obtenu la même justification, il produit le fait d'Adam, en disant : « Si par le péché d'un seul, la mort a régné, à plus forte raison ceux qui reçoivent l'abondance de la grâce, régneront-ils dans la vie ». (Rm 5,10). Il ne résout point la difficulté en ce qui regarde Adam, mais il répond et il se place à son propre point de vue, et montre qu'il est bien plus raisonnable que le Christ, qui est mort pour eux, exerce sur eux librement son empire. En effet beaucoup pensent qu'il n'est guère juste que tous soient punis pour le péché d'un seul; mais que tous soient justifiés par le mérite d'un seul, voilà qui est bien plus conforme à la raison et bien plus digne de Dieu. Cependant Paul ne résout pas la première question; car plus elle est obscure, mieux le Juif est réduit au silence; son embarras se reporte sur le fait d'Adam, et l'autre point qui regarde le Christ en devient plus clair. De même ici, l'apôtre tire sa solution d'autres objections : car c'est aux Juifs qu'il a affaire. Il ne rend donc point raison des exemples qu'il produit; il n'y est point obligé, puisqu'il combat les Juifs; mais il s'en sert pour faire ressortir l'évidence de ce qu'il affirme. Pourquoi vous étonner, leur dit-il, que, parmi les Juifs, les uns soient sauvés et que les autres ne le soient pas? Vous pouvez en voir autant chez les anciens patriarches. Pourquoi Isaac seul porte-t-il le nom de descendant, bien qu'Abraham fût aussi père d'Ismaël et de beaucoup d'autres enfants? Est-ce parce qu'Ismaël était né d'une servante ? Mais qu'est-ce que cela fait par rapport au père? Du reste je ne discute pas là-dessus; qu'on chasse Ismaël à cause de sa mère, soit; mais que dirons-nous de ceux qui sont nés de Cétura? n'étaient-ils pas libres et nés de femme libre ? Pourquoi n'ont-ils point partagé les privilèges d'Isaac? Mais pourquoi parler de ceux-là? Rébecca fut la seule femme d’Isaac; elle eut deux fils, et les eut de lui; et cependant ces deux enfants, engendrés du même- père, de la même mère, d'une même couche, ayant le même père, la même mère, et, de plus, jumeaux, n'eurent point le même sort. Ici, on ne peut pas, comme pour Ismaël, objecter que la mère était servante ; ni que l'un est né d'une mère et l'autre d'une autre, comme pour Sara et Cétura, puisqu'ils sont sortis du même sein, à la même heure. C'est pourquoi Paul, comme passant à un exemple plus évident, dit : « Non-seulement » cela est arrivé pour Isaac, « mais aussi Rébecca qui eut deux fils à la fois d'Isaac, notre père. Car avant qu'ils fussent nés ou qu'ils eussent fait ni aucun bien ni aucun mal, afin que le décret de Dieu demeurât ferme selon son élection, non à cause de leurs oeuvres, mais par la volonté de celui qui appelle, il lui fut dit : L'aîné servira sous le plus jeune, selon qu'il est écrit : J'ai aimé Jacob, et j'ai haï Esaü (Rm 9,10-13) ». - 322 -

Pourquoi donc l'un était-il aimé et l'autre haï? Pourquoi l'un servait-il et l'autre commandait-il? Etait-ce parce que l'un était méchant et l'autre bon ? Mais, avant qu'ils fussent nés, l'un était honoré et l'autre condamné ; avant qu'ils fussent nés, Dieu avait dit: « L'aîné servira sous le plus jeune ». Pourquoi Dieu a-t-il dit cela ? Parée qu'il n'a pas besoin, comme l'homme, d'attendre les faits pour savoir qui sera bon ou méchant, mais qu'il le sait d'avance. Et c'est là ce qui est arrivé pour les Juifs, d'une manière plus étonnante encore. A quoi bon en effet parler d'Esaü et de Jacob, dont l'un était méchant et 1'autre,bon ? Le péché était commun à tous les Israélites car tous avaient adoré le veau d'or. Et pourtant les uns obtiennent grâce, les autres non. « Car », dit le Seigneur, « j'aurai pitié de qui j'aurai pitié, et je ferai miséricorde à qui je ferai miséricorde (Rm 9,15) ». On en voit autant pour les punitions. Par exemple, que direz-vous de Pharaon, qui fut puni, et si sévèrement puni? Qu'il était cruel et indocile? Etait-il donc le seul? N'y en avait-il point d'autres? Comment donc a-t-il été si sévèrement puni? Et pourquoi Dieu a-t-il appelé à la place des Juifs un peuple qui n'était pas un peuple, et encore, n'a-t-il point accordé à tous le même honneur? Il est écrit : « Quand ils seraient aussi nombreux que les grains de sable de la mer, ce sont leurs restes qui seront sauvés ». (Rm 9,27.) Et pourquoi les restes seulement? Voyez-vous comme il fait surgir les difficultés du sujet? Et il a raison ; ne vous pressez pas de donner une solution, quand vous pouvez jeter votre adversaire dans l'embarras. S'il est lui-même convaincu d'être aussi incapable de répondre, pourquoi vous exposeriez-vous à des dangers inutiles ? Pourquoi l'enhardiriez-vous, en assumant sur vous tout le poids de la question?

1606 6. Dites-moi en effet, ô Juif! qui avez tant de questions embarrassantes, et n'en pouvez résoudre aucune, comment pouvez-vous nous faire des difficultés à l'occasion de la vocation des Gentils? Cependant je puis vous donner, moi, la raison légitime pour laquelle les Gentils ont été appelés et pour laquelle vous êtes déchus. Quelle est cette raison? Parce qu'ils sont nés de la foi et vous, pour ainsi dire, des oeuvres de la loi. Ces discussions vous trahissent donc de toute manière. « Car ignorant la justice de Dieu, et cherchant à établir leur propre justice, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu ». (Rm 10,8) C'est ainsi, pour tout dire en un mot, que cette âme bienheureuse, donne la solution de tout le passage; et pour le faire mieux voir, examinons chaque point en détail, sans perdre de vue que le but du bienheureux est de démontrer par tout ce qu'il à dit que Dieu seul connaît ceux qui sont dignes; qu'aucun homme n'en est capable, et que celui qui semble le plus éclairé sur ce point se trompe souvent dans ses jugements. Celui qui pénètre lés pensées les plus secrètes, sait parfaitement qui sont ceux qui méritent la couronne et ceux qui sont dignes du châtiment et du supplice. Aussi souvent en a-t-il condamné sur preuves qui passaient pour justes aux yeux des hommes, et en a-t-il couronné qui étaient réputés méchants, après avoir démontré qu'ils ne litaient point; décidant, non d'après l'opinion de ses serviteurs, mais d'après son juste et impartial jugement, et n'attendant point le résultat des oeuvres pour distinguer le méchant et celui qui ne l'est pas: Mais pour ne pas obscurcir la question,, revenons aux paroles de l'apôtre.

« Non-seulement elle, mais aussi Rébecca, « qui eut deux fils à la fois ». Je pourrais, dit-il, parler aussi des fils de Cétura, mais je les passe sous silence; et pour triompher pleinement, je mets en scène deux fils nés d'un même père et d'une même mère. En effet, tous les deux étaient enfants de Rébecca et d'Isaac, le fils légitime, le juste éprouvé, l'homme honoré entre tous, dont Dieu a dit : « C'est en Isaac que sera ta postérité » ; celui qui est devenu le père de nous tous. Or, s'il était notre père, nécessairement ses enfants devaient aussi être nos pères; et cependant ils ne l'ont pas été. Voyez-vous comme le fait n'a pas seulement eu lieu pour Abraham, mais aussi pour son fils, et comment toujours la foi et la vertu éclatent et restent le caractère de la vraie parenté? Par là nous apprenons que les enfants d'Abraham ne portent pas ce nom seulement pour être nés de lui, mais encore parce qu'ils se sont rendus dignes de la vertu de leur père. Si en effet la génération eût suffi, Esaü aurait dû partager le sort de Jacob, car lui aussi, était sorti d'un sein desséché, et sa mère était stérile. Mais une autre condition encore était exigée, la bonne conduite, et ceci n'est pas sans dessein, mais a pour but le règlement de notre vie. L'apôtre ne dit pas : L'un (323) a été préféré, parce qu'il était bon et que l'autre était méchant; autrement on lui aurait aussitôt objecté : Quoi ! les gentils étaient-ils bons et les circoncis ne l'étaient-ils point? C'était la vérité ; cependant il ne le dit point encore, de peur de trop déplaire; mais il rejette tout sur la prescience de Dieu, que l'homme le plus insensé n'oserait contester. « Car », dit-il, « avant qu'ils fussent nés ou qu'ils eussent fait ni aucun bien ni aucun mal, il lui, fut dit : L'aîné servira sous le plus jeune ».

C'était là l'effet de la prescience, de choisir dès la naissance; afin, dit l'apôtre, qu'on vît clairement que l'élection a été faite par décret et par prescience; dès le premier jour, Dieu a su et déclaré que l'un serait bon et que l'autre ne le serait pas. Ne me dites donc point, continue-t-il, que vous avez lu la loi et les prophètes, et que, depuis tant de temps,, vous êtes les serviteurs de Dieu. Celui qui sait éprouver l'âme, sait quel est celui qui mérite d'être sauvé. Laissez donc l'élection à l'Incompréhensible; car lui seul sait récompenser avec justice. Combien, à en juger par les oeuvres apparentes, eussent semblé préférables à Matthieu? Mais celui qui connaît les secrets, qui sait apprécier les dispositions de l'âme, découvrit la perle enfouie dans- la boue; et, laissant là les autres, et admirant la beauté de celui-ci, il le choisit et aidant du secours de sa grâce sa généreuse volonté, il fit voir en, lui un juste éprouvé. En effet si, dans les arts futiles ou en toute autre matière, ceux qui sont capables de juger, ne règlent pas leurs choix sur l'opinion des ignorants, mais d'après leurs propres connaissances, souvent méprisent ce que ceux-là estiment et estiment ce que ceux-là méprisent; comme les dompteurs de chevaux, par exemple, en agissent ainsi avec les chevaux; et aussi les experts en fait de pierres précieuses ou tout autre ouvrier dans ce qui concerne son métier à plus forte raison Dieu, qui est bon, qui est la sagesse infinie, qui seul sait tout parfaitement, ne cédera point à l'opinion des hommes, mais décidera en tout d'après sa propre sagesse, toujours exacte, toujours infaillible. Voilà pourquoi il a choisi un publicain, un larron, une prostituée, et dédaigné et rejeté des prêtres, des anciens et des magistrats.

1607 7. On en peut voir autant à l'égard des martyrs. Un grand nombre de ceux qui étaient descendus au dernier degré de l'abjection, ont été couronnés à l'heure des combats; et d'autres, au contraire, que l'on tenait en grande estime, ont été supplantés et sont tombés. N'en demandez donc point compte au Créateur et ne dites pas : Pourquoi l'un est-il couronné et l'autre puni? Dieu sait tout faire avec justice; c'est pourquoi il disait : « J'ai aimé Jacob et j'ai haï Esaü ». Le résultat vous a fait voir qu'il agissait en toute justice; mais lui voyait tout clairement avant le résultat. Dieu ne cherche pas seulement la démonstration par les oeuvres, mais aussi la générosité de la volonté et le sentiment de la reconnaissance. Celui qui les a, peut tomber par l'effet des circonstances, mais il se relèvera bientôt; et quand il persévérerait dans le mal, Dieu qui sait tout, ne le dédaignera pas et le ramènera promptement à lui; tandis que celui qui est gâté en lui-même, semblât-il faire quelque chose de bien, périra, parce qu'il le fait avec une intention mauvaise. Ainsi David coupable de meurtre et d'adultère, s'est bientôt lavé de ces crimes, parce qu'il les avait commis par l'entraînement des circonstances et sans préméditation ; tandis que le Pharisien, qui n'est ni adultère ni meurtrier, mais qui se glorifie du bien qu'il a fait, en perd tout le fruit par sa mauvaise volonté.

Que dirons-nous donc? Y a-t-il en Dieu de a l'injustice? Nullement (
Rm 9,14) ». Par conséquent il n'y en a ni à notre égard, ni à l'égard des Juifs. Puis l'apôtre ajoute quelque chose de plus obscur : « Car Dieu dit à Moïse : J'aurai pitié de qui j'ai pitié et je ferai miséricorde à qui je fais miséricorde ». Puis il fortifie l'objection en la coupant par le milieu et en la résolvant, puis en soulevant une autre difficulté. Or, pour éclaircit sa pensée, il faut nécessairement l'expliquer. Dieu, dit-il, l'a déclaré avant l'enfantement : « L'aîné servira sous le plus jeune ». Quoi donc? Dieu est-il injuste ? nullement. Ecoutez la suite : dans l'exemple précédent la vertu et le vice faisaient la différence : mais dans celui-ci le péché est commun à tous les Juifs, à savoir la fabrication du veau d'or, et pourtant les uns ont été punis et les autres ne l'ont pas été; voilà pourquoi Dieu dit : « J'aurai pitié de qui j'ai pitié et je ferai miséricorde à qui je fais miséricorde ». (Ex 33,18) Ce n'est point à vous, ô Moïse, de savoir ceux qui sont dignes de pitié; laissez-moi ce soin. Or, si cette connaissance n'appartenait point à Moïse, (324) beaucoup moins nous appartient-elle. Voilà pourquoi Paul ne se contente pas de citer simplement ces paroles, mais rappelle celui à qui elles ont été adressées : « Dieu dit à Moïse » ; pour faire rougir son contradicteur par la dignité du personnage. Après avoir donné la solution des difficultés, il coupe au court, en produisant une autre objection en ces termes: « Cela ne dépend donc ni de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. Car l'Écriture dit à Pharaon : Voilà pourquoi je t'ai suscité : c'est pour faire éclater en toi ma puissance, et pour que mon nom soit annoncé par toute la terre (Rm 9,16-17)».

Comme là, nous dit l'apôtre, les uns furent sauvés et les autres punis; de même ici Pharaon était réservé pour le but qu'on vient de dire. Puis il ramène encore l'objection : « Donc il a pitié de qui il veut et il endurcit qui il veut. Certainement vous me direz : De quoi se plaint-il encore? Car qui résiste à sa volonté (Rm 9,18-19)? » Voyez-vous comme il s'efforce de toutes manières de faire ressortir la difficulté? Et il n'en donne pas d'abord là solution, et cela fort à propos; mais il ferme d'abord la bouche à celui qui fait la question, en disant : « O homme, qui es-tu pour contester avec Dieu? »

Son but en ceci est de réprimer sa curiosité déplacée et excessive, de lui mettre le frein, de lui apprendre ce que c'est que Dieu, ce que c'est que l'homme, que la Providence est incompréhensible, qu'elle surpasse l'intelligence humaine et qu'il faut que tout lui obéisse; afin qu'après en avoir convaincu l'auditeur, et avoir contenu et calmé son esprit, il amène la solution sans difficulté et fasse accepter sa parole. Il ne dit pas que ces questions sont insolubles. Que dit-il donc? qu'il est injuste de les soulever; qu'il faut se soumettre à la parole de Dieu, ne point la scruter avec curiosité, quand même nous n'en comprendrions pas la raison. Voilà pourquoi il dit : « Qui es-tu, pour contester avec Dieu? » Voyez-vous comme il comprime, comme il abat l'orgueil? « Qui es-tu? » Partages-tu la puissance? Es-tu juge avec Dieu? En comparaison de lui, tu ne peux pas être quelque chose, ni ceci ni cela, mais rien. Cette expression : « Qui es-tu? » est bien plus humiliante que celle-ci : tu n'es rien. D'ailleurs par la forme interrogative il montre une plus grande indignation. Il ne dit pas non plus : Qui es-tu pour répondre à Dieu? mais : « Pour contester », c'est-à-dire pour contredire, pour tenir tête. Car dire : Il fallait ceci, ou il ne fallait pas cela, est le propre d'un contradicteur. Voyez-vous comme il épouvante, comme il frappe de terreur, et dispose ses auditeurs à trembler plutôt qu'à soulever des questions ou à scruter trop curieusement? C'est là le talent d'un excellent maître, de ne pas toujours céder au désir de ses disciples, mais de les amener à sa propre manière de voir, d'arracher d'abord les épines, puis de jeter sa semence, et de ne pas répondre immédiatement aux questions qu'on propose. « Le vase dit-il au potier : Pourquoi m'as-tu fait ainsi? N'a-t-il pas le pouvoir, le potier, de faire de la même massé d'argile un vase d'honneur et un autre d'ignominie? (Rm 9,20-21) ».

1608 8. Il ne dit point ceci pour supprimer le libre arbitre, mais pour montrer jusqu'à quel point il faut obéir à Dieu. En fait de comptes à demander a Dieu, il faut être dans la disposition du vase d'argile. Non-seulement il ne faut pas contredire; pas soulever de questions, mais pas même dire un mot, pas même avoir une pensée, et ressembler à cet objet inanimé, qui obéit aux mains du potier et se laisse porter où il lui plaît. C'est uniquement pour cela, c'est-à-dire pour nous apprendre à obéir et à nous taire, et non pour nous tracer une règle de conduite partout applicable, que l'apôtre a choisi cet exemple. C'est du. reste une observation générale : qu'il ne faut pas tout prendre dans un exemple, mais choisir ce qu'il y a d'utile, ce qui forme proprement le but, et laisser le reste. Ainsi quand l'Écriture dit : « Il s'est couché et a dormi comme un lion » (Nb 24,9); nous ne voyons là que l'idée d'une force indomptable, le côté terrible, et non le caractère sauvage ou toute autre face de la nature du lion. Dans cet autre passage : « J'irai au devant d'eux comme une ourse qui hésite » (Os 13,9); nous ne devons voir que l'idée de vengeance; et dans ces expressions « Notre Dieu est un feu dévorant » (Dt 4,24), il ne faut chercher que la pensée d'un supplice qui consume. De même ici faut-il interpréter les idées d'argile, de potier et de vase.

Et quand l'apôtre ajoute : « N'a-t-il pas le pouvoir, le potier, de faire de la même masse d'argile un vase d'honneur et un vase (325) d'ignominie? » Gardez-vous d'entendre cela d'un travail d'ouvrier ni d'une nécessité imposés à la volonté, mais du pouvoir de la Providence et de ses différentes manières d'agir. Et si nous ne l'entendions pas ainsi, il s'en suivrait plus d'une absurdité. En effet, si cela voulait dire que la volonté est forcée, Dieu serait l'auteur du bien et du mal, et l'homme ne pourrait jamais être coupable : en quoi Paul se contredirait, lui qui partout attribue du mérite à la bonne volonté. L'apôtre n'a donc point d'autre but ici que de convaincre l'auditeur qu'il faut en tout céder à Dieu, et ne jamais lui demander compte de rien. De même, nous dit-il, que 1e potier fait de la même masse ce qu'il lui plaît, sans que personne y trouve à redire : ainsi ne jugez point témérairement ne scrutez point, quand, dans la même race d'hommes, Dieu punit les uns et honore les autres ; mais adorez simplement et imitez l'argile; et comme l'argile obéit à la main du potier, ainsi soumettez-vous à la volonté de Celui qui règle tout cela. Car il ne fait rien au hasard, rien sans but, bien que vous ne pénétriez pas les secrets de sa sagesse. Vous permettez au potier de faire des vases différents avec la même masse et vous ne l'en blâmez point; et vous demandez compte à Dieu de ses punitions et de ses récompenses vous ne lui permettez pas de discerner qui est digne ou indigne, et parce que la niasse est composée d'une même substance, vous voulez que les volontés soient toutes les mêmes ? Quelle folie que celle-là ! Or, dans le vase à potier, l'honneur ou l'ignominie ne sont pas le résultat de la masser mais de l'usage auquel le vase est employé; ainsi en est-il en fait de volontés. Du, reste, comme je l'ai dit, le seul point à saisir dans cet exemple est celui-ci qu'il ne faut pas disputer avec Dieu, mais tout abandonner à son incompréhensible sagesse. D'ailleurs il faut que les exemples dépassent le but que l'on se propose et pour lequel on les produit, afin de frapper davantage l'auditeur; car s'il en était autrement, s'ils n'étaient pas hyperboliques, ils ne pourraient pas frapper le contradicteur et le couvrir de confusion. C'est donc par une habile exagération que Paul a réfuté une objection déplacée; après quoi il aborde la solution. Quelle est cette solution ?

« Que si Dieu voulant manifester sa colère et signaler sa puissance, a supporté avec une patience extrême les vases de colère propres à être détruits ; afin de manifester les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde qu'il a préparés pour la gloire, en nous qu'il a de plus appelés, non-seulement d'entre les Juifs, mais aussi d'entre les gentils (22-24»). Voici ce que cela veut dire : Pharaon était un vase de colère, c'est-à-dire un homme qui excitait la colère de Dieu par sa dureté personnelle; car après avoir été l'objet d'une longue patience, il n'en était pas devenu meilleur et était resté incorrigible, voilà pourquoi Paul l'appelle non-seulement vase de colère mais propre à être détruit, c'est-à-dire préparé pour la destruction, par lui-même, cependant, et de sa faute. Car Dieu n'avait rien négligé de ce qui pouvait le corriger, et lui n'avait rien négligé de ce qui pouvait le perdre et lui ôter tout espoir de pardon. Bien que Dieu sût cela, il déploya néanmoins une grande patience à son égard, dans le désir de l'amener à pénitence ; en effet sans ce désir, il n'eût pas montré tant de longanimité. Mais comme Pharaon ne voulut point user de cette patience pour venir à résipiscence, qu'il se prépara lui-même à être un vase de colère, Dieu se servit de lui pour l'instruction des autres, pour les rendre plus vigilants par le châtiment qu'il lui infligea; et faire ainsi éclater sa puissance. Que Dieu n'aime point à manifester ainsi sa puissance, mais qu'il préfère la signaler par des bienfaits, par des actes de libéralité, c'est ce que Paul a fait voir plus haut de toutes les manières. Car si Paul lui-même n'aime pas à être puissant de cette façon ; « Non pas », dit-il quelque,part, « pour que nous paraissions nous-mêmes approuvés, mais que vous fassiez-vous, ce qui est bon » (2Co 13,7) ; à bien plus forte raison Dieu. Mais Dieu ayant montré une grande patience pour amener Pharaon au repentir, et Pharaon ne s'étant point converti, Dieu le supporte encore longtemps, pour faire éclater tout à la fois sa bonté et sa puissance, puisque ce prince ne voulait pas profiter de tant de longanimité. De même donc que Dieu a prouvé sa puissance en punissant un incorrigible ; ainsi a-t-il fait voir sa bonté en prenant pitié de ceux qui avaient grandement péché, mais qui s'étaient repentis.

1609 9. L'apôtre ne dit pas : La bonté, mais « La gloire », pour montrer que c'est là qu'éclate principalement la gloire de Dieu et que Dieu y tient plus qu'à tout le reste. Mais quand il dit: « Qu'il a préparés pour la gloire », il n'entend (326) point tout attribuer à Dieu; car, si cela était, rien n'empêcherait que tous fussent sauvés; mais il veut encore une fois indiquer la prescience, et effacer la distance entre les Juifs et les gentils. Il tire aussi de là un moyen de défense qui n'est pas sans valeur. En effet, ce n'est pas seulement chez les Juifs, mais aussi chez les gentils que les uns sont perdus et les autres sauvés. Aussi ne dit-il pas : Tous les gentils, mais: « D'entre les gentils » ; ni Tous les Juifs, mais : « D'entre les Juifs ». Comme donc Pharaon est devenu vase de colère par sa propre iniquité ; ainsi les autres sont devenus des vases de miséricorde par leurs bonnes dispositions. Si le principal appartient à Dieu, nous avons cependant aussi fourni quelque petite chose. Voilà pourquoi Paul ne dit pas: Des vases de mérites, ni: Des vases de confiance; mais: « Des vases de miséricorde », pour montrer que tout doit être rapporté à Dieu. Quant à ces mots : « Cela ne dépend ni de celui qui vent, ni de celui qui court », bien qu'ils soient là en forme d'objection, ils ne nous causeraient aucun embarras, même quand Paul les aurait dits pour son propre compte. En disant : « Cela ne dépend ni de celui qui veut ni de celui qui court », il ne détruit point la liberté ; mais il indique que tout ne dépend pas d'elle et qu'elle a besoin de la grâce d'en-haut. il faut en effet vouloir et courir, mais ne point compter sur ses propres efforts, et seulement sur la bonté de Dieu: ce qu'il exprime ailleurs en ces termes : « Non pas moi toutefois, mais la grâce de Dieu avec moi ». (1Co 15,10) aussi raison 1Co de dire 1Co « Qu'il préparés pour la gloire ». Car, comme on leur faisait un crime d'avoir été sauvés par la grâce, et qu'on croyait par là les couvrir honte, il combat victorieusement cette opinion. En effet, si Dieu en retiré la gloire, à bien plus forte raison eux-mêmes par qui Dieu été glorifié.

Et voyez la reconnaissance de Paul et sa grande sagesse ! Il pouvait ne pas choisir Pharaon comme exemple de punition, mais ceux des Juifs qui avaient été punis, et par là se mieux faire comprendre, en montrant que chez les mêmes ancêtres, pour les mêmes péchés, les uns ont été détruits et les autres ont obtenu miséricorde; il aurait ainsi prouvé qu'il n'y a pas lieu de s'étonner si quelques gentils se sauvent, quand des Juifs périssent.

Mais pour ne pas les blesser, il fait voir la punition chez un étranger, pour se dispenser de les appeler vases de colère, et il leur montre dans leur propre nation ceux qui ont obtenu miséricorde. Pourtant il justifie Dieu suffisamment, puisque connaissant parfaitement Pharaon et le voyant se faire lui-même vase de colère, Dieu a cependant fait tout ce qui était en lui, usé de tolérance, de longue patience, non-seulement de longue, mais de grande patience, tandis qu'il n'en a point agi de même à l'égard des Juifs. Pourquoi donc les uns ont-ils été des vases de colère, et les autres des vases de miséricorde? A cause de leur propre volonté. Mais Dieu étant infiniment bon, s'est montré tel à l'égard des uns et des autres. Il n'a pas eu seulement pitié de ceux qui ont été sauvés, mais, autant qu'il était en lui, de Pharaon lui-même; car il a déployé la même patience avec les uns et les autres; que si ce prince n'a pas été sauvé, la faute en est à sa volonté; car, de la part de Dieu, il n'a rien eu de moins que ceux qui ont été sauvés.

Après avoir ainsi résolu la question par des faits, et pour s'appuyer encore sur d'autres preuves, Paul cite le témoignage des prophètes qui ont exprimé cela d'avance. En,effet Osée, dit-il, a écrit depuis longtemps : « J'appellerai celui qui n'est pas mon peuple, mon peuple; celle qui n'est pas bien-aimée, bien-aimée (Rm 9,25) ». Pour qu'on ne lui dise pas: Vous nous trompez en parlant ainsi, il appelle en témoignage Osée, qui s'écrie: « J'appellerai celui qui n'est pas mon peuple, mon peuple ». Quel est donc ce peuple qui n'est pas son peuple? Les gentils, évidemment. Qui est celle-là qui n'est pas bien-aimée? Les gentils encore. Et pourtant il les appelle « Mon peuple, bien-aimée», et déclare qu'ils seront fils de Dieu « Car ils seront appelés enfants du Dieu vivant (Rm 9,26) ». Si on objecte que ces textes doivent s'appliquer aux Juifs qui auront cru, l'argument subsiste encore. Car s'il s'est opéré un tel changement chez les ingrats qui ont abusé de tant de bienfaits, chez les rebelles, chez ceux qui ont, perdu le titre de peuple de Dieu, qui empêche que ceux qui sont étrangers, non après avoir été adoptés, mais dès le commencement, soient appelés, répondent à l'appel et jouissent des mêmes avantages? Après avoir cité Osée, il ne s'en tient pas là, mais il invoque encore le témoignage d'Isaïe qui parle tout à (327) fait dans le même sens: Et « Isaïe », nous dit-il, « s'écrie à l'égard d'Israël », c'est-à-dire déclare en toute confiance et sans crainte d'être démenti. Pourquoi donc nous accusez-vous, quand ces prophètes élèvent la voix d'avance plus haut que le son de la trompette? Or que crie Isaïe? « Le nombre des enfants d'Israël fût-il comme le sable de la mer, il n'y aura qu'un reste de sauvé (Rm 9,27) ».

Voyez-vous qu'Isaïe non plus ne dit pas que tous seront sauvés, mais seulement ceux qui seront dignes de l'être? Je n'ai point égard à la multitude, je n'a point de respect pour une race si répandue; je ne sauve que ceux qui s'en seront rendus dignes. Il ne parle pas seulement du sable de la mer, mais il leur rappelle l'ancienne promesse, dont-ils se sont montrés indignes. Pourquoi vous troubler comme si les promesses étaient sans effet, quand tous les prophètes déclarent que tous, ne seront pas sauvés? Ensuite il explique comment le salut aura lieu. Voyez-vous l'exactitude du prophète, et la prudence de l'apôtre, quel témoignage il produit et avec quel à-propos? Non-seulement il nous montre que quelques-uns seront sauvés et non tous, mais encore il nous fait voir comment ils le seront. Comment donc seront-ils sauvés? Et comment Dieu les jugera-t-il dignes de ce bienfait? « Or », nous dit l'apôtre, citant toujours le prophète, « Le Seigneur accomplira cette parole et l'abrégera avec équité; oui, le Seigneur abrégera cette parole sur la terre ». Voici ce qu'il veut dire : Il n'y a pas besoin des circuits, des travaux, des fatigues imposées par les prescriptions de la loi; le salut s'opérera par une voie très-abrégée. Telle est la foi; elle sauve en peu de mots. « Si vous confessez de bouche le Seigneur Jésus, et si en votre coeur vous croyez que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, vous serez sauvé ». (Rm 10,9)

1610 10. Comprenez-vous le sens de ces mots : « Le Seigneur abrégera cette parole sur la terre? » Et l'étonnant, c'est que ce peu de paroles a non-seulement procuré le salut, mais apporté la justification. « Et comme Isaïe l'avait dit d'avance : Si le Seigneur des armées ne nous avait réservé un rejeton, nous serions devenus comme Sodome et semblables à Gomorrhe (29) ».Ici, il indique autre chose, à,savoir que le petit nombre qui est sauvé ne l'est point par lui-même. Ceux-là aussi auraient été perdus et auraient subi le sort de Sodome, c'est-à-dire une destruction complète. En effet ceux de Sodome ont tous radicalement péri, ils n'ont pas laissé le moindre rejeton; et les autres auraient éprouvé leur sort, si Dieu n'avait usé d'une grande bonté et ne les eût sauvés par la foi. C'est aussi ce qui est arrivé pour la captivité de Babylone ; ceux qui ont été emmenés et qui ont péri, formaient l'immense majorité ; bien peu ont été sauvés.

« Que dirons-nous donc », continue l'apôtre. « Que les gentils qui ne cherchaient point la justice ont embrassé la justice, mais la justice qui vient de la foi ; et qu'Israël, au contraire, en suivant la loi de justice, n'est point parvenu à la justice (
Rm 9,30-31) »: Ici la solution est parfaitement claire. Après avoir montré, par les faits mêmes, que « tous ceux qui descendent d'Israël, ne sont pas Israélites »; après l'avoir aussi démontré par les pères de Jacob et d'Esaü, puis par les prophètes, il fortifie l'objection et lui donne une vigoureuse solution par Osée et Isaïe. En effet, il y a deux points dans la question : les Gentils ont embrassé la justice, et ils l'ont embrassée sans l'avoir cherchée, c'est-à-dire sans effort de leur part. D'un autre côté, en ce qui concerne les Juifs, il y avait deux difficultés Israël n'est point parvenu à la loi de justice, et il n'y est point parvenu bien qu'il la cherchât. Aussi l'apôtre emploie-t-il ici des expressions plus énergiques; car il ne dit pas : Ont obtenu la justice, mais': « Ont embrassé ». Et c'est là l'étrange, l'extraordinaire : que celui qui cherchait ne soit pas parvenu et que celui qui ne cherchait pas ait embrassé. En disant «Qui suivait », il leur fait une concession; mais plus tard il leur porte un coup mortel. Comme il a une victorieuse solution à donner, il ne craint pas de fortifier l'objection. C'est pourquoi il ne parle pas de la foi ni de la justice qui en dérive, mais il leur montre que même avant la foi, même dans leur propre domaine, ils étaient déjà vaincus et condamnés. Oui, dit-il, oui, ô Juif, tu n'as pas même rencontré la justice de la loi, car tu l'as violée, cette loi, et tu as encouru la malédiction ; et ceux-là, qui ne sont point venus par la loi, mais par une autre voie, ont trouvé une justice bien plus grande, celle de la foi : ce qu'il avait déjà exprimé plus haut, eu disant : « Car si Abraham a été justifié par les oeuvres, il a de quoi se glorifier, mais non devant Dieu » (Rm 2,4) ; indiquant par (328) là que la justice par la foi l'emporte sur l'autre.

Je disais donc plus haut qu'il y avait deux difficultés; maintenant voilà trois questions les gentils ont trouvé la justice, ils l'ont trouvée sans la chercher, ils l'ont trouvée plus grande que celle de la loi. Dans le sens contraire, les mêmes difficultés se reproduisent pour les Juifs : Israël n'a pas trouvé, il n'a pas trouvé bien qu'il cherchât, il n'a pas même trouvé la moindre de ces justices. Après avoir ainsi jeté l'auditeur dans l'embarras, il donne enfin une solution abrégée, et rend raison de tout ce qu'il a dit. Quelle est cette raison ? « Parce que ce n'est point par la foi, mais comme par les oeuvres (Rm 9,32) ».

Voilà la solution la plus claire de tout le passage; s'il l'eût donnée dès le début, elle n'eût point été si facilement acceptée; mais comme il la présente après beaucoup d'hésitations, de doutes, de preuves et de démonstrations, qu'il a usé de mille correctifs, il l'a rendue bien plus intelligible et plus acceptable. Voilà, dit-il; la cause de leur perte : « Parce qu'ils ont voulu être justifiés, non par la foi, mais comme par les oeuvres de la loi». Il ne dit point : Par les oeuvres, mais « Comme par les oeuvres de la loi », pour montrer qu'ils n'ont pas même eu cette espèce de justice. « Car ils se sont heurtés contre la pierre de l'achoppement, comme il est écrit : « Voici que je mets en Sion une pierre d'achoppement et une pierre de scandale; et quiconque croit en lui ne sera point confondu (Rm 9,33) ».

Voyez-vous comme la confiance et le don universel sont les fruits de la foi ? Car ces paroles ne s'appliquent pas seulement aux Juifs, mais à tout le genre humain. Tout homme, dit l'apôtre, citant toujours Isaïe, fût-il Juif, Grec, Scythe, Thrace, ou tout ce que l'on voudra, s'il croit, jouira d'une grande sécurité. Ce qu'il y a d'étonnant dans le prophète, c'est qu'il ne dit pas seulement qu'on croira, mais aussi qu'on refusera de croire ; car c'est là le sens de ce mot : se heurter. De même donc que plus haut, il a indiqué que les uns seraient perdus et les autres sauvés, en disant : « Le nombre des enfants d'Israël fût-il comme le sable de la mer, il n'y aura qu'un reste de sauvé », et encore : « Si le Seigneur des armées ne nous avait réservé un rejeton, nous serions devenus comme Sodome, et semblables à Gomorrhe », puis : « Il a appelé, non-seulement d'entre les Juifs, mais aussi d'entre les Gentils » : De même, ici, il parle de ceux qui croiront et de ceux qui se heurteront; or, on ne se heurte que parce qu'on ne fait pas attention et qu'on a l'esprit à autre chose. C'est donc parce que les Juifs avaient l'attention tournée vers la loi, qu'ils se sont heurtés contre la pierre. Il parle de pierre d'achoppement et de pierre de scandale, à raison de la volonté et de la fin de ceux qui n'ont pas cru.

Tout ce que nous venons de dire est-il clair, ou a-t-il encore besoin de beaucoup d'explications? Il me semble, à moi, que. tout cela est aisé à comprendre pour ceux qui ont fait attention; et s'il en est qui n'aient pas compris, ils peuvent venir en particulier interroger et s'instruire. J'ai prolongé ces explications pour ne pas être obligé d'interrompre le discours et de nuire, par là, à sa clarté. C'est pourquoi je termine ici, sans traiter aucun point de morale comme c'est mon habitude, ne voulant pas affaiblir en vous le souvenir de ce que j'ai dit. Il est donc temps de conclure et de rendre gloire à Dieu, le maître de tout. Rendons-la lui, moi en finissant de parler, vous en cessant d'écouter, parce que l'empire, la force et la gloire sont à lui, dans les siècles. Ainsi soit-il.


Chrysostome sur Rm 1500