Chrysostome, Virginité 53

Un riche mariage, loin d'être enviable, est plus pénible qu'un mariage pauvre.

53 Mais, veux-tu? Laissons maintenant de côté ses misères, considérons ce qui passe dans le mariage pour le comble de la félicité, ce que tant de gens très souvent - disons plutôt tout le monde - souhaitent d'obtenir et examinons de près la chose. De quoi s'agit-il? De ceci: un homme pauvre, simple, modeste, épouse une femme issue d'une maison importante, puissante et très riche. Eh bien ! Cette situation si enviable, nous allons voir qu'elle ne comporte pas moins de tribulations que celle, si détestable, définie plus haut. Les femmes en effet sont généralement orgueilleuses, et plus faibles que les hommes - aussi sont-elles plus facilement sujettes à ce défaut - mais dans le cas où elles disposent d'aliments nombreux à cet orgueil, plus rien n'est capable de les retenir. Comme une flamme qui s'empare d'un combustible, elles se montent le cou à un point inouï, renversent l'ordre des choses et mettent tout sens dessus dessous; car la femme ne laisse pas l'homme demeurer à sa place de tête de la famille, mais sous l'effet d'une présomption démenti elle, elle le repousse de ce rang et le relègue au sien, le rang de la subordination, devenant elle-même la tête et le chef. Quoi de pire que ce désordre? Sans parler des reproches, des affronts, des vexations - ce qui est plus intolérable que tout !

Si l'on peut soumettre à ses ordres une femme riche, la situation est encore plus désagréable.

54 Et si l'on me disait - pour ma part, je l'ai entendu dire bien souvent quand on parle de ce sujet: qu'elle soit riche seulement et qu'elle ait de la fortune. Je me fais fort de rabaisser et de rabattre sa présomption. Tenir ce langage, c'est ignorer d'abord que l'entreprise est des plus difficiles, et puis, serait-elle possible, qu'elle entraîne un grave préjudice: si la femme est soumise par contrainte, dans la peur et sous la violence, aux ordres de son mari, la situation en sera beaucoup plus pénible et désagréable que si elle exerce sur lui une complète autorité. Pourquoi cela? Parce que cette violence chasse toute affection et tout plaisir; or, quand il n'y a plus affection ni désir amoureux, mais à la place terreur et contrainte, que peut valoir désormais un tel mariage ?

C'est un mal insupportable que d'épouser un homme plus riche.

55 Voilà quand la femme est fortunée, mais si d'aventure elle ne possède rien alors que le mari est riche, d'épouse elle devient servante, de femme libre, esclave; elle perd l'assurance qui convient à son rôle et son sort n'a rien à envier à celui des esclaves qu'on achète; son mari veut-il se livrer à la débauche, à l'intempérance, introduire dans le propre lit de sa femme une foule de courtisanes, force lui est de tout supporter avec le sourire, ou alors de quitter la maison. Et ce n'est pas là le plus terrible: avec un pareil mari, elle ne pourra plus donner un ordre librement aux domestiques et aux servantes, elle vit comme une intruse qui profite de ce qui ne lui appartient pas, son compagnon est un maître plutôt qu'un époux, aussi est-elle obligée de tout faire et de tout souffrir. Supposez maintenant qu'un homme veuille épouser une femme de condition équivalente, ici encore l'égalité est compromise par la loi de l'obéissance, bien que des conditions de fortune identiques invitent la femme à être l'égale de son mari. A quoi nous déterminer, vraiment, au milieu de toutes ces difficultés qui nous cernent? Et ne m'oppose pas ces rarissimes mariages, trop faciles à compter, qui ont échappé à ces maux: car ce n'est pas d'après des exceptions, mais d'après leurs effets habituels qu'il faudrait définir les choses.

La femme mariée a des causes nombreuses de chagrin.

56 Dans la virginité, en effet, il est difficile, disons plutôt impossible, que se rencontrent ces ennuis; dans le mariage, il est difficile qu'ils ne se rencontrent pas. Et si, dans les unions considérées comme heureuses, se produisent tant de désagréments, tant de malheurs, que dire de ce qui passe sans conteste pour des misères? La femme en effet a plus d'une mort à redouter, bien qu'elle ne doive mourir qu'une fois, plus d'une âme pour qui s'inquiéter, bien qu'elle n'en possède qu'une; elle tremble pour son mari, elle tremble pour ses enfants, elle tremble pour leur famille, femmes et enfants, et plus la racine a poussé de rejetons, plus s'accumulent les soucis; qu'à l'une ou l'autre de ces personnes arrive un malheur, perte d'argent, maladie, quelque accident fâcheux, le sort l'oblige à se désoler, à se lamenter tout autant que les victimes elles-mêmes. Si tous quittent ce monde avant elle, c'est une souffrance intolérable; et si les uns restent tandis que les autres sont ravis par une mort prématurée, elle ne saurait trouver, même en ce cas, une consolation sans mélange. Car les craintes continuelles qui ébranlent son âme pour les vivants ne le cèdent en rien à la peine éprouvée pour les disparus, disons même, pour étonnant que cela soit, elles sont plus pénibles. Car le temps adoucit le chagrin dont les morts sont la cause, mais nos soucis pour les vivants n'ont pas de cesse, la mort seule peut y mettre un terme. Et si nous ne suffisons pas à nos propres épreuves, quelle vie sera la nôtre, si nous devons pleurer sur les malheurs d'autrui? Bien des femmes souvent, nées de parents illustres, élevées dans le plus grand luxe, se sont mariées à quelque puissant du monde, et soudain, avant qu'elles aient savouré ce bonheur, un danger fond sur elles, comme une tempête ou une bourrasque, et les voilà, elles aussi, submergées, livrées aux horreurs du naufrage; elles qui jouissaient de biens innombrables avant le mariage, le mariage les a plongées dans la dernière infortune. Mais ici encore, objecte-t-on, ces malheurs n'arrivent pas dans tous les mariages ni toujours. Du moins ils ne les épargnent pas tous - oui, moi aussi, je vais me répéter - certains en font directement l'expérience, quant à ceux qui peuvent y échapper, c'est par l'appréhension qu'ils les tourmentent. La vierge se trouve toujours placée au-dessus de l'expérience et de l'appréhension.

Sur les ennuis qui accompagnent toujours le mariage.

57 Au reste, veux-tu? Laissons cela de côté; venons-en à l'examen des ennuis inhérents au mariage et auxquels personne, bon gré mal gré, ne peut se soustraire. Quels sont ces ennuis? Les douleurs de la gestation, de la naissance, les enfants. Mais plutôt reprenons les choses de plus haute informons-nous de ce qui précède le mariage - dans la mesure du possible, car pour le savoir avec exactitude, il faut y être passé ! Le temps des fiançailles est arrivé, et des soucis de toutes les couleurs se présentent aussitôt en rangs serrés: quel mari va-t-elle avoir? Ne sera-t-il pas de basse naissance, de mauvaise réputation, suffisant, fourbe, hâbleur, effronté, jaloux, petit esprit, sot, méchant, brutal, efféminé? Tout cela, bien sûr, n'échoit pas forcément à toutes les jeunes filles qui se marient, mais pour tout il leur faut se faire de l'inquiétude et du souci. Comme elle ignore encore quel mari le sort lui donnera, comme elle est encore dans l'incertitude sur ce qui l'attend, son âme s'alarme et frémit à tout sujet; pas une de ces éventualités qui ne se présente à sa pensée. Et si quelqu'un vient prétendre qu'elle peut tout aussi bien espérer le contraire et se trouver alors dans la joie, qu'il retienne bien ceci: l'espoir du bonheur ne nous réconforte jamais autant que la crainte du malheur ne nous afflige. L'espoir du bonheur ne procure de plaisir que s'il est sûr, pour le malheur un simple soupçon suffit pour jeter aussitôt dans l'âme le trouble et le désarroi.

C'est comme pour les esclaves: l'ignorance où ils sont des maîtres qu'ils vont avoir ne laisse à leur âme aucun instant de repos; ainsi pour les jeunes filles: leur âme, pendant tout le temps des fiançailles, ressemble à un navire ballotté dans la tempête, car chaque jour leur famille agrée et refuse tour à tour les prétendants. Le vainqueur de la veille, un autre prétendant l'évince le lendemain, et ce dernier, à son tour, un troisième l'élimine. Parfois même au seuil du mariage, l'époux qu'on attendait se voit éconduit les mains vides, et les parents remettent la jeune fille à un prétendant imprévu. Ce n'est pas seulement le lot des femmes, les hommes aussi éprouvent des soucis cruels: sur leur compte, en effet, il est possible de se renseigner, mais pour la femme, continuellement cloîtrée chez elle, quel moyen de s'informer de son caractère ou de son physique? Et cela pendant le temps des fiançailles; mais quand le jour du mariage est arrivé, l'angoisse redouble, le plaisir s'efface devant la crainte; crainte qu'elle ne paraisse dès ce soir-là dépourvue d'attraits et bien au-dessous de ce qu'on avait espéré. Louanges au début, mépris plus tard, c'est supportable; mais si elle inspire la répulsion dès la ligne de départ, pour ainsi dire, quand donc pourra-t-elle à l'avenir inspirer de l'admiration.

Et ne me dis pas: Eh quoi? Si elle est belle fille? Même ainsi, elle n'est pas à l'abri de cette inquiétude. Bien des femmes d'une remarquable beauté ne réussissent pas à captiver le coeur de leur mari, qui les abandonne pour se livrer à d'autres qui ne les valent pas, et de loin ! Et, cette inquiétude dissipée, une autre surgit aussitôt; sur les désagréments que cause le règlement de la dot - le beau-père qui s'exécute de mauvaise grâce, car pour lui c'est un dépôt à fonds perdus; le marié pressé d'entrer en possession de tout, mais honteux d'employer la contrainte pour se faire payer; la jeune femme humiliée par ce retard à s'acquitter et rougissant surtout devant son mari d'avoir pour père un mauvais débiteur, sur ces désagréments, je passe ici.

Cette inquiétude dissipée, donc, la crainte de la stérilité aussitôt pénètre en son coeur et aussi, inversement, celle d'une trop nombreuse progéniture; comme elle est dans l'incertitude encore à ce sujet, ces deux soucis contraires la bouleversent dès le début. Si très vite elle est enceinte, la joie se mêle encore de crainte. Rien dans le mariage n'est exempt de crainte: crainte qu'une fausse couche ne survienne, que l'enfant conçu ne meure et que la parturiente ne coure un danger mortel. Si d'autre part l'attente se prolonge, la femme n'ose plus ouvrir la bouche, comme si elle était maîtresse de son accouchement. Et au moment d'accoucher, les douleurs frappent et déchirent ce ventre depuis si longtemps à l'épreuve, douleurs capables à elles seules de rejeter dans l'ombre toutes les joies du mariage. Et d'autres inquiétudes se joignent à celles-ci pour la tourmenter: la malheureuse et l'infortunée jeune femme, quoique à ce point torturée par ces souffrances, éprouve une crainte non moins vive, celle de mettre au monde un être souffreteux et infirme au lieu d'un enfant bien conformé et sain, au lieu d'un garçon une fille. Cette angoisse en effet ne les tourmente pas moins à ce moment que les douleurs physiques; car ce ne sont pas seulement les choses dont elles sont responsables, mais celles où elles ne sont pour rien qui les font trembler, tout autant, devant leurs maris; négligeant de songer à leur propre sécurité, dans une situation aussi critique, elles appréhendent un événement qui n'ait pas l'approbation de leur époux. Et à peine l'enfant est-il venu au monde, à peine a-t-il poussé son premier cri, que d'autres soucis encore prennent le relais, car il s'agit de le conserver en vie et de l'élever.

S'il se trouve avoir une bonne nature, portée à la vertu, voilà de nouveau ses parents dans les transes: crainte que leur rejeton ne soit victime d'un malheur, d'une mort prématurée, qu'il ne se laisse entraîner à quelque vice. Car on ne passe pas seulement de la mauvaise à la bonne conduite, mais aussi de l'honnêteté à la malfaisance et à la méchanceté. Et si l'une de ces éventualités redoutées se réalise, c'est un coup plus accablant que s'il eût été porté dès le premier jour. Au reste, ne parlons plus de tout cela, ne reprochons rien au mariage: du moins ne pourrons-nous pas pour autant lui faire grâce d'un dernier grief. Lequel? Le sort qu'il réserve à l'homme bien portant n'est pas meilleur que celui du malade, il le plonge dans la même détresse que l'homme alité.

Le mariage, même s'il échappe à tous les ennuis, n'a rien de grand.

58 Faisons encore abstraction, veux-tu de tout cela; supposons l'impossible et accordons au mariage d'englober toutes les conditions du bonheur: nombreux et beaux enfants, de l'argent, une femme sage, belle, intelligente, une bonne entente, une longue vieillesse. Ajoutons aussi l'éclat de la race, l'étendue de la puissance, admettons que cette affection dont nous souffrons tous ne les importune pas: la crainte d'un revers de fortune; bannissons tout sujet de chagrin, toute occasion de souci et d'inquiétude; supposons qu'aucun autre motif, aucune mort prématurée ne vienne briser le lien du mariage, que tous même accueillent la mort le même jour, ou encore, ce qui passe pour être le comble de la félicité, que leurs enfants leur restent pour hériter, et qu'ils escortent à leur dernière demeure leurs père et mère ensemble après une longue vieillesse. Et pour quel résultat? Quel profit retireront-ils d'un plaisir aussi complet, au moment de partir pour l'autre monde? Avoir laissé de nombreux enfants, avoir possédé une belle femme, au milieu du luxe et de tous les avantages énumérés à l'instant, être parvenu à une longue vieillesse, de quoi cela pourra-t-il nous servir en présence du tribunal, devant les choses éternelles et véritables? De rien. Tout cela n'est-il pas une ombre et un songe.

Puisque dans les siècles qui nous attendent là-haut et qui n'ont point de terme, nous ne pourrons des biens de la terre retirer aucun profit ni bénéficier d'aucune consolation, il nous faut mettre sur le même plan de les avoir ou non possédés. Supposons en effet un homme qui, en l'espace de mille ans n'aurait été qu'une seule nuit visité par un songe agréable: nous ne lui reconnaîtrons aucun avantage sur celui qui n'a pas joui de cette vision. Et encore ces mots n'expriment-ils pas toute ma pensée, car s'il y a loin du songe à la réalité, il n'y a pas autant de la vie d'ici-bas à la vie d'en-haut, mais beaucoup plus encore. Et ce qu'est une seule nuit en mille années ne représente pas non plus le temps de la terre par rapport au temps à venir; là encore la différence est bien plus importante. Tel n'est pas le sort de la vierge: elle quitte ce monde largement pourvue. Mais plutôt reprenons les choses par le commencement.

La virginité est chose aisée.

59 La vierge n'est pas obligée de s'informer sur son époux et elle ne craint pas d'être abusée. C'est Dieu en effet, non un homme, c'est un Maître, non un compagnon d'esclavage. Voilà la différence entre les deux époux; considère aussi les conditions de leur union. Pas question d'esclaves, de pléthres de terrain, de tant et plus de talents d'or, non, mais les cieux et les biens célestes sont les présents de noces de cette fiancée. En outre, si la femme mariée redoute la mort entre autres raisons parce qu'elle la sépare de son compagnon, la vierge, elle, désire le trépas, la vie est un fardeau pour elle, tant elle a hâte de voir son Époux face à face et de jouir de cette gloire.

La virginité n'a nul besoin des choses qui ne dépendent pas de nous.

60 Et puis, la pauvreté de son état ne saurait, comme dans le mariage, lui être préjudiciable: au contraire, elle rend plus chère encore à son époux celle qui la supporte volontairement; ainsi pour sa bassesse d'origine, ainsi pour l'absence de beauté physique, et toute autre chose du même genre. Que dis-je? Même si elle n'est pas de condition libre, cela non plus ne compromet pas ses fiançailles; c'est assez de montrer la beauté de son âme et d'occuper le premier rang. Elle n'a pas ici à craindre la jalousie, elle n'a pas à souffrir les affres de l'envie pour une autre femme qui a épousé un homme plus brillant. Il n'y a pas d'époux semblable au sien, égal au sien, qui en approche même si peu que ce soit; dans le mariage au contraire, même si une femme a pour mari un homme extrêmement riche et très puissant, elle pourra toujours en trouver une autre mieux pourvue qu'elle.

Or il est sensiblement diminué, le plaisir que nous éprouvons à surpasser nos inférieurs, quand nous songeons à la supériorité de ceux qui nous dépassent, et la vie de bien-être que supposent objets en or, vêtements, bonne table et autres commodités, est bien propre à appâter une âme et à l'allécher. Et combien de femmes jouissent de ces avantages? La plupart des hommes en effet passent leur vie dans la pauvreté, les misères et les épreuves. Si quelques femmes disposent de ces biens, elles sont rarissimes, on peut les compter sur les doigts, de plus, elles agissent contre la Volonté de Dieu. Car il n'est permis à personne de vivre au milieu de ces plaisirs, comme nous l'avons montré précédemment.

Porter de l'or crée plus de crainte que de plaisir.

61 Au reste, supposons encore que cette vie de plaisirs soit permise et que ni le prophète ni Paul ne se soient déclarés contre les femmes fastueuses. Que gagnent-elles à cette masse de bijoux en or? Rien, si ce n'est jalousie, préoccupation, crainte peu ordinaires. Car les soucis ne les tourmentent pas seulement lorsqu'elles les ont déposés dans le coffre, ni à la nuit tombée, mais lorsqu'elles en sont parées, en plein jour, elles éprouvent la même inquiétude, ou plutôt plus pénible encore. C'est en effet dans les établissements de bain et dans les églises qu'on trouve ces femmes qui font main basse sur de tels objets. Et souvent aussi, sans parler de ces malfaiteurs, il arrive que les personnes couvertes d’or, pressées et bousculées par la foule, ne s’aperçoivent même pas de la perte d’un de leurs bijoux. Ainsi, bien des femmes ont fait leur deuil non seulement de ce genre d’objets, mais de parures beaucoup plus précieuses encore, qui leur ont été arrachées ou qu'elles ont perdues. Mais soit ! Admettons même que cette crainte n’existe pas et que cette inquiétude soit bannie de l’esprit !


Porter de l’or nuit à la beauté et fait ressortir la laideur.

62 1. Un homme m’a vue, dites-vous, et a été saisi d’admiration. Mais non, ce n’est pas la femme parée, mais la parure qu’il a admirée ; clic, ces bijoux la font souvent décrier, comme s’ils l’ornaient à contresens1 ! Ou bien en effet c’est une belle femme, et ils nuisent à sa beauté naturelle, car l’importance de ces ornements ne permet pas à la beauté de se montrer telle quelle, mais en fait disparaître la majeure partie. Ou bien au contraire la femme est laide et d’aspect désagréable, ils font alors ressortir sa disgrâce. Partout en effet la laideur, quand elle apparaît seule, n'apparaît que ce qu’elle est ; mais quand l’éclat des pierreries l’environne et la beauté de quelque autre matière, elle n’en devient que plus désagréable à regarder.

2. Un corps sombre est rendu plus sombre encore par l’orient de la perle posée sur lui et qui lance ses feux comme dans l’obscurité ; et un irrémédiable défaut dans une physionomie est encore vilainement accusé par les broderies des vêtements qui ne laissent pas les traits du visage affronter seuls le jugement des spectateurs, mais par comparaison avec cette beauté artificielle et prodigieuse, d'où résulte une plus grande défaite. L'or répandu sur les habits, les travaux variés qu'on exécute dans ce domaine, tous les autres ornements, font penser à un valeureux athlète, vigoureux et robuste qui repousserait un adversaire galeux, minable et crevant de faim ! De la même façon, dépréciant le visage de la femme qui en est couverte, ils concentrent sur eux tous les regards et ont pour résultat de la ridiculiser davantage, tandis qu'ils sont, eux, l'objet d'une admiration sans bornes.


Quels sont les ornements de la virginité et quelle est sa beauté.

63 Tels ne sont pas les ornements de la virginité; ils ne déparent pas celle qui en est couverte, car ils ne sont pas corporels mais tout spirituels. Ainsi, la femme est-elle sans grâces? La virginité transforme soudain cette laideur en la vêtant d'une prodigieuse beauté. Est-elle dans sa fleur et son lustre la virginité en rehausse l'éclat. Car ce ne sont ni les pierreries, ni l'or, ni les étoffes somptueuses, ni les magnifiques broderies aux couleurs variées, ni aucun de ces biens périssables qui servent d'ornements aux âmes, mais à leur place les jeûnes, les saintes veilles, la douceur, la modération, la pauvreté, le courage, l'humilité, l'endurance en un mot le mépris de toutes les choses de ce monde.

2. Oui, le regard de la vierge offre tant de beauté et de charme qu’il éveille l'amour non des hommes, mais des Puissances incorporelles et de leur Souverain ; il est si pur et si pénétrant qu’il peut contempler non les beautés corporelles, mais incorporelles; il est si paisible et si serein que loin de s'irriter et de se dresser contre ceux qui la persécutent et ne cessent de la tourmenter, il les considère avec douceur et bienveillance. Telle est la modestie qui enveloppe la vierge que même les débauchés, rougissants et confus, tempèrent leur propre frénésie lorsqu'ils jettent sur elle un regard attentif. Tout comme une servante aux ordres d’une femme modeste ne peut se dispenser de l'être, elle aussi, bon gré mal gré, de même le corps qui accompagne une âme aussi pénétrée de sagesse est obligé de mettre ses propres mouvements au rythme de cette âme. Regards, langue, maintien, démarche, tout, en un mot, se modèle sur la discipline intérieure; comme un parfum précieux, même à l'intérieur d’un flacon, imprègne l’air de sa suave odeur et comble de plaisir non seulement les habitants de la maison, tout proches, mais aussi toutes les personnes du dehors,

3. de même le doux parfum de 1'Ame virginale, pénétrant les activités des sens révèle la vertu cachée à l'intérieur ; imposant à tous les coursiers les rênes d'or de la modération, elle maintient chacun d'eux dans un rythme parfait, elle interdit à la langue toute parole choquante ou discordante, aux yeux un regard seulement effronté et suspect, aux oreilles d'écouter tout chant inconvenant. Les pieds même sont l'objet de son souci: point d'allure molle et efféminée, mais une démarche sans affectation ni recherche. Elle retranche tout raffinement dans le vêtement, sans relâche, elle recommande au visage de ne pas laisser le rire détendre ses traits, de ne pas esquisser même un sourire, mais de présenter toujours un front sérieux et austère, d'être prêt aux larmes, à tout instant, au rire jamais.

Ce que nous subissons pour le Christ, même si c'est pénible, comporte du plaisir.

64 Lorsque tu m'entends parler de larmes, ne te fais pas des idées noires; ces larmes comportent autant de plaisir que n'en peuvent procurer même les éclats de rire de ce monde. Si tu en doutes, écoute Luc racontant que les apôtres "battus de verges, se retirèrent de devant le Conseil le coeur joyeux"; et pourtant tel n'est pas l'effet naturel des verges qui, loin de causer plaisir et joie, produisent d'ordinaire douleur et souffrances. Mais ce que ne peuvent réaliser les verges, la foi dans le Christ le réalise: elle triomphe de la nature même des choses. Puisque les verges reçues pour le Christ étaient sources de plaisir, quoi d'étonnant si les larmes produisent le même effet, versées pour ce même Christ? Voilà pourquoi ce qu'il avait appelé une voie étroite et resserrée, le Seigneur l'appelle maintenant joug agréable et fardeau léger (cf. Mt 7,14). Par sa nature sans doute la virginité est un fardeau, mais la détermination de ceux qui la pratiquent et les biens qu'ils en espèrent lui communiquent une extrême légèreté. Ainsi l'on verra des hommes, qui à la voie large et spacieuse ont préféré la voie étroite et resserrée, y cheminer avec plus d'ardeur non parce qu'ils n'éprouvent point de tribulations, mais parce qu'ils s'élèvent au-dessus des tribulations et qu'ils n'en souffrent pas comme en souffrent d'ordinaire les autres hommes. Car ce genre de vie, sans doute, a lui aussi ses tribulations, mais quand nous les comparons à celles du mariage, elles n'en méritent même pas le nom.

Toutes es épreuves de la virginité pèsent moins lourd que les seules douleurs de l'enfantement qui accompagnent le mariage.

65 Par exemple, dis-moi: pendant sa vie tout entière, la vierge endure-t-elle ce qu'endure à peu près chaque année la femme mariée, déchirée par les douleurs de la maternité et les gémissements? Telle est en effet la tyrannie de cette souffrance que la divine Écriture, lorsqu'elle veut représenter la captivité, la famine, la peste, les maux intolérables, les désigne tous sous le nom de douleurs de l'enfantement. Du reste, c'est ce que Dieu a imposé à la femme comme châtiment et malédiction, non pas l'enfantement, bien sûr, mais l'enfantement dans ces conditions, accompagné d'épreuves et de douleurs: "C'est dans les souffrances, dit-il, que tu enfanteras." (Gn 3,16). Tandis que la vierge est placée au-dessus de ces douleurs et de cette malédiction: car celui qui a aboli la malédiction de la Loi a du même coup aboli cette dernière malédiction.

Il est plus agréable d'aller à pied que monté sur des mules

66 Mais circuler sur la place publique montée sur des mules est bien agréable. Ce n'est là que faste inutile, d'où tout plaisir est banni. De même que les ténèbres ne sont pas préférables à la lumière, ni la captivité à la liberté, ni des besoins nombreux à la suffisance, de même une femme non plus ne se trouvera pas mieux à ne pas se servir de ses pieds - sans parler des désagréments qui en découlent inévitablement. Ainsi, elle ne peut quitter sa maison quand elle le veut et bien souvent, malgré une raison sérieuse qui la presse de sortir, elle est contrainte de rester au logis, tout comme ces mendiants culs-de-jatte qui n'ont rien pour les porter. Si par hasard le mari a disposé des bêtes, ce sont brouille, querelle, longue bouderie. Et si elle-même, sans rien prévoir des conséquences, en a fait autant, parce qu'elle a négligé son mari, elle s'en prend à elle-même et se ronge à ressasser l'embarras dont elle est cause. Combien eût-il été préférable pour elle de se servir de ses pieds - c'est bien pour cela que Dieu nous les a donnés - et d'éviter ainsi tous ces fâcheux ennuis, au lieu de s'exposer par amour du luxe à tant de motifs inévitables de chagrin et de brouille. Car ce ne sont pas les seuls motifs qui retiennent les femmes à la maison: qu'il arrive aux deux bêtes ou à l'une des deux d'avoir mal aux pattes, le résultat est le même; et quand d'aventure on les a lâchées au pâturage - ce qui se produit tous les ans et pour plusieurs jours - la voilà de nouveau forcée de garder le logis, comme enchaînée, et elle ne peut sortir de sa demeure, même invitée par une nécessité pressante.

Et si l'on me représente qu'elle est ainsi délivrée de la foule des fâcheux et qu'elle n'a pas à subir, rougissante, les regards de chacune de ses connaissances, c'est méconnaître, à mon sens, ce qui préserve l'être féminin de la honte comme ce qui peut l'en couvrir; ce n'est pas de paraître en public ni de se cacher, mais d'un côté une impudence qui ne garde pas l'âme recueillie, et de l'autre la réserve et la pudeur. Voilà pourquoi bien des femmes qui ne sont pas astreintes à cette vie cloîtrée et circulent même sur l'agora au milieu de la foule, loin de soulever contre elles des détracteurs, suscitent beaucoup d'admiration pour leur réserve; à travers leur attitude, leur démarche, la grande simplicité de leurs vêtements, elles laissent briller l'éclatant rayon de leur sagesse intérieure. En revanche, un bon nombre de femmes qui restent chez elles se sont attiré une détestable réputation. Car une femme cloîtrée dans sa maison, plus facilement que celles qui se font voir, peut se montrer à qui voudra avec une effronterie et une impudence sans bornes.

Avoir de nombreuses servantes est importun.

67 Mais peut-être est-il agréable d'avoir une foule de servantes. Rien de pire que ce plaisir: autant de servantes, autant de soucis. Inévitable sujet de tourment et de chagrin, que la maladie ou la mort de chacune d'elles. Et encore, ces inconvénients sont-ils peut-être supportables, tout comme d'autres plus fâcheux encore - par exemple, la peine que la femme se donne chaque jour à réprimander la paresse, à réprimer la malfaisance, à apaiser les querelles, à corriger tous leurs autres vices; mais le plus pénible - et le cas se présente surtout quand cette sorte de domesticité est nombreuse - c'est lorsque dans la troupe de ces soubrettes, il s'en trouve une mignonne; dans le nombre, c'est inévitable, car les gens riches ne se mettent pas seulement en peine d'en avoir beaucoup, il faut encore qu'elles soient jolies. Lors donc qu'une d'entre elles se distingue parmi les autres, soit qu'elle ensorcelle le coeur de son maître, soit qu'elle ne puisse rien obtenir de plus que de l'admiration, la douleur est la même pour la maîtresse de maison, qui se voit préférer une autre sinon sur le plan de l'amour, du moins sur celui de la beauté et de l'admiration. Aussi, quand les avantages qui passent pour éclatants et enviables dans le mariage sont accompagnés de tant de tribulations, que dire de ses misères.

Sur la tranquillité d'âme inhérente à la virginité.

68 Tandis que la vierge n'a rien de pareil à supporter: point de trouble dans sa modeste demeure, tous cris sont bannis de sa présence; comme en un havre de paix le silence règne en son coeur, et plus parfaite encore que le silence, la sérénité dans son âme, car elle n'applique son activité à aucune chose humaine, mais ne cesse de s'entretenir avec Dieu, de fixer sur lui ses regards. Qui pourrait donner la mesure de ce plaisir? Quel langage pourrait exprimer le bonheur dont jouit une âme ainsi disposée? Il n'en existe pas. Mais ceux-là seuls qui mettent dans le Seigneur leurs délices, connaissent la grandeur de ces délices et savent combien toute comparaison est impuissante à la traduire.

Cependant la vue d'une grosse somme d'argent exerce partout sur les yeux un puissant attrait. Comme il est préférable de contempler les cieux pour en recueillir un plaisir beaucoup plus grand. Autant l'or l'emporte sur l'étain et le plomb, autant le ciel l'emporte sur l'or, l'argent et toute autre matière, pour l'éclat et la splendeur. Cette contemplation est exempte de soucis, l'autre s'accompagne d'une profonde inquiétude, ce qui a toujours le plus fâcheux effet sur nos désirs. Mais tu ne veux pas regarder le ciel. Tu peux regarder l'argent exposé sur la place publique. "Je le dis à votre honte", (
1Co 6,5) pour parler comme le bienheureux Paul, puisque vous poussez ainsi jusqu'à la démence l'amour de l'argent. Vraiment, je ne sais quel langage tenir: je me trouve ici dans un embarras extrême, car je ne peux comprendre comment presque tout le genre humain, quand s'offre à lui un bonheur dans la quiétude et le repos d'esprits, n'y voit pas même un plaisir, tandis qu'il fait consister dans le souci, les tiraillements et l'inquiétude son plaisir le plus grand !

Pourquoi l'argent étalé sur l'agora n'a-t-il pas à leurs yeux autant d'attrait que celui qu'ils ont à la maison? Il a pourtant bien plus d'éclat et il libère notre âme de toute inquiétude. Parce que cet argent, direz-vous, n'est pas à moi, tandis que l'autre est à moi. C'est donc la cupidité qui produit le plaisir et non la nature de l'argent; car, en ce cas, tu devrais trouver dans l'autre argent un attrait identique. Tu allègues l'utilité, mais le verre est bien préférable et les riches eux-mêmes te le diraient qui, le plus souvent, font fabriquer leurs coupes en cette matière. Et si par hasard leur orgueil les oblige à employer aussi l'argent, ils font mettre d'abord le verre à l'intérieur et ne le recouvrent d'argent qu'extérieurement: preuve que le verre est beaucoup plus agréable et plus commode pour boire et que l'argent n'est qu'affaire de vanité et d'ostentation. Et puis, au fait, que signifie: c'est à moi, ce n'est pas à moi? Quand j'examine avec attention ces expressions, je n'y découvre que de simples mots.

Que de gens, même pendant leur vie, ont vu l'argent qu'ils possédaient leur échapper des mains sans être capables de le retenir. Et ceux qui l'ont conservé jusqu'au bout, à l'heure de leur mort, bon gré mal gré, en ont perdu la jouissance. Ce n'est pas seulement à propos de l'or et de l'argent, mais à propos des bains, des jardins et de tout ce qu'il y a dans les maisons que l'expression: "C'est à moi, ce n'est pas à moi", peut n'apparaître qu'un simple mot. Car l'usage en est commun à tous et ce que leurs prétendus propriétaires ont de plus que les autres, ce sont les soucis à leur sujet. Les uns se contentent d'en jouir, les autres, avec tout le mal qu'ils se donnent, recueillent exactement le même résultat qu'obtiennent les premiers sans la moindre peine.


Chrysostome, Virginité 53