Chrysostome, Virginité (Duchassaing)



OEUVRES COMPLÈTES

TRADUITES POUR LA PREMIÈRE FOIS SOUS LA DIRECTION DE M. JEANNIN, licencié ès lettres professeur de rhétorique au collège de l'Immaculée-Conception de Saint-Dizier.

Bar-le-Duc, L. Guérin & Cie, éditeurs, 1864

Dans cette édition numérisée ne figure pas l'Histoire proposée dans le Tome I. Nous avons préféré la remplacer par une histoire plus brève de J-B Bergier de 1856

Il est évident que rien ne remplacera l'édition des Sources Chrétiennes. Celle-ci n'est conçue que comme une aide pour les plus "modestes" que saint Jean Chrysostome aimait tant


TRAITÉ DE LA VIRGINITÉ.

Traduit par l'abbé J. DUCHASSAING
(Voyez tome Ier, chapitre 8, page 83)
Tome 2, p. 125-171

ANALYSE.

Il n'y a point de véritables vierges parmi les hérétiques, parce qu'elles ne sont point chastes, n'étant pas épouses d'un seul, comme l'ordonne saint Paul. — En second lieu, elles n'embrassent la virginité que par horreur du mariage, qu'elles regardent comme un crime. — Elles ne peuvent donc prétendre à la même récompense que les vierges catholiques. — L'Apôtre, qui conseille la continence, n'en fait point un précepte, et les hérésiarques, qui s'éloignent de sa doctrine, placent leurs disciples dans une condition pire que celle des païens. — Enfin, la virginité des hérétiques est injurieuse à Dieu, car, ayant renoncé à la foi, leurs vierges ne sauraient avoir le coeur pur. — D'ailleurs, la profession de la virginité exige, pour être méritoire, une pleine liberté de se marier, ce qui ne se rencontre pas chez les hérétiques, qui réprouvent le mariage. — L'Église, au contraire, loue le mariage, et le regarde comme le port de la continence pour ceux qui veulent en bien user. — Quant aux personnes qui n'ont pas besoin de ce secours contre l'effervescence des passions, l'Église les exhorte à ne point se marier, mais elle ne le leur défend pas. — Elle ne condamne et ne chasse de son sein que ceux qui profanent la sainteté du mariage. — Car le mariage est bon, mais la virginité est bien meilleure, et elle lui est autant supérieure que les anges le sont aux hommes.
La virginité est avantageuse au catholique selon l'enseignement de l'Apôtre; et dans le plan premier de la création, elle devait seule régner sur la terre, car le péché, qui a été cause de la mort, l'a été également du mariage. — Adam et Eve ne lui doivent point la naissance, les anges n'ont point été multipliés par cette voie, et si nos premiers parents fussent demeurés fidèles, Dieu eût pourvu à la propagation du genre humain par un moyen qui nous est inconnu. — Aujourd'hui même le mariage n'est permis que pour remédier à l'incontinence, en sorte que l'Apôtre veut que les chrétiens, à l'exemple des juifs, s'en abstiennent certains jours, afin de mieux vaquer au jeûne et à la prière. — Mais si ce même apôtre dit que la continence est un don de Dieu, il n'exclut point la coopération de l'homme, et ne parle ainsi que par humilité. — L'auteur trace alors une vive et effrayante peinture des mariages mal assortis, et rappelle aux vierges, ainsi qu'aux veuves, qu'après avoir fait veau de continence, elles ne peuvent se marier sans pécher grièvement. — Il prouve ensuite que le mariage est avec raison appelé une chaîne, parce qu'il est une suite non interrompue de soins et d'inquiétudes, et surtout parce que le devoir conjugal soumet les époux l'un à l'autre. — Cette soumission est pour eux une obligation grave, et dont ils ne peuvent s'affranchir que momentanément et d'un mutuel consentement. — Il se trouvait aussi des vierges qui faisaient consister la virginité à ne point se marier, et qui du reste se permettaient les parures et les amusements du monde ; mais si elles imitent ainsi les vierges folles de l'Évangile, elles seront, comme celles-ci, exclues du royaume des cieux. — L'excellence de la virginité se montre surtout en ce qu'elle nous facilite l'exercice de la prière et des bonnes oeuvres. — Quelques-uns s'autorisaient du nom d'Abraham pour mettre le mariage au-dessus de la virginité, mais l'auteur montre que les apôtres sont plus élevés en gloire que ce patriarche ;et tout en avouant qu'un homme riche, marié et chargé d'affaires, peut mener une vie juste et vertueuse, il affirme que les exemples en sont rares. — Enfin, il termine en disant que dans la loi nouvelle on exige plus de perfection que dans l'ancienne, parce que les dons et les grâces du Saint-Esprit nous y sont donnés plus abondamment.

TEXTE

1  Les Juifs méprisent l'éclat et le mérite de la virginité : faut-il s'en étonner? Ils ont abreuvé d'outrages le Christ, né d'une Vierge. Les Gentils l'admirent et la révèrent ; mais elle ne fleurit que dans l'Église de Dieu. Et qui pourrait en effet nommer vierges les filles des hérétiques? Elles ne sont point chastes, puisqu'elles se montrent infidèles à ce premier époux auquel l'Apôtre les avait unies. Je vous ai fiancées, dit-il, ainsi que des vierges chastes â un seul époux qui est Jésus-Christ (2Co 11,2) Car, bien que cette parole puisse s'appliquer à tous les fidèles qui composent le corps de l'Église, elle concerne spécialement les vierges chrétiennes. Comment celles qui osent donner à l'Époux divin un rival mortel, seraient-elles chastes? Première raison pour que je leur refuse le titre de vierges; j'en ajoute une seconde : elles ne font profession de la virginité que par horreur du mariage qu'elles condamnent comme mauvais : principe qui détruit d'avance tout le mérite de leur virginité, puisque celui qui s'abstient d'un crime ne peut réclamer la palme et la (126) couronne, et n'a droit qu'à l'exemption du châtiment.
Telle est la base de toute législation. Le meurtrier, dit la loi, sera puni de mort, et le voleur subira la peine de son crime. Mais cette même loi ne décerne aucune récompense à ceux qui n'ont ni tué, ni volé. C'est ainsi encore que le législateur prononce la peine de mort contre l'adultère, sans se croire obligé d'honorer celui qui respecte la couche de son prochain. Eh ! qui blâmerait ces sages dispositions ! et qui n'avouerait que la louange et l'admiration doivent être le partage exclusif de la vertu, tandis que le facile courage de ne pas commettre un crime, est assez récompensé par l'exemption de tout châtiment. Aussi le divin Sauveur qui a menacé de l'enfer celui qui sans un légitime motif s'irriterait contre son frère, et l'appellerait fou (Mt 5,22), n'a point promis le paradis à quiconque s'abstiendrait uniquement d'injures et de récriminations. Mais il a attaché sa promesse à de plus généreux efforts, par exemple à l'amour de nos ennemis. (Mt 5,44) Et en effet! pour nous montrer de quel faible mérite est à ses yeux cet éloignement de toute animosité contre nos frères, il nous déclare que le degré supérieur qui consiste à les aimer, ne donne par lui-même aucun droit à la récompense céleste. Nous ne faisons rien en cela que ne fassent également les païens. C'est pourquoi une vertu plus haute et plus sublime peut seule mériter le ciel. Sans doute, nous dit-il, je ne vous condamne pas aux flammes de l'enfer, vous qui n'avez proféré contre votre frère ni injures, ni malédictions, mais ne croyez pas en avoir assez fait pour obtenir la couronne immortelle. Je ne saurais, en effet, me contenter de ces témoignages négatifs de haine, et lors même que vous y joindriez des marques de bienveillance et d'amitié, vous resteriez encore dans les rangs inférieurs, et parmi les publicains. Si vous voulez donc devenir parfaits, et acquérir le ciel, élevez-vous au-dessus de la nature jusqu'à cette générosité de coeur qui nous fait aimer nos ennemis.
Ces principes nous permettent de conclure qu'inutilement les hérétiques affligent leur chair, puisqu'ils n'en seront jamais récompensés; ce n'est pas que le Seigneur soit injuste, loin de nous cette pensée, mais c'est qu'ils sont aveugles et coupables. Et en effet n'avons-nous pas prouvé que l'abstention d'un crime ne donne droit à aucune récompense. Or, comme ils ne fuient le mariage que parce qu'ils l'estiment mauvais et criminel, ils ne sont pas plus admis à réclamer l'honneur et la gloire de la virginité que nous tous qui respectons l'intégrité du lit nuptial. Voici le langage que Jésus-Christ leur tiendra au jour du jugement : Je ne trouve en vous d'autre mérite que celui de n'avoir point commis le mal; et ce mérite est bien faible à mes yeux. Aussi n'introduirai-je dans l'héritage céleste que ceux qui n'ont négligé aucune vertu. Je m'étonne donc que vous qui repoussiez le mariage comme un acte mauvais et criminel, vous osiez prétendre aux récompenses de la chasteté. Ainsi parlera le souverain Juge qui placera les brebis à sa droite (Mt 25,33), et les louera devant tous. Mais si les justes sont admis en son royaume, c'est moins pour n'avoir point ravi le bien d'autrui que pour s'être dépouillés eux-mêmes en faveur de leurs frères. Nous voyons encore dans l'Évangile que le maître loue le serviteur auquel il avait confié cinq talents de ce qu'il les a fait fructifier au double et non de ce qu'il ne les a pas dissipés. Jusqu'à quand, hérétiques, continuerez-vous donc de vous élancer inutilement dans la carrière, et de vous fatiguer dans une lutte où vos coups ne frappent que l'air. Et plût au ciel que tous vos efforts ne fussent qu'inutiles, quoique ce soit déjà un châtiment bien rigoureux que de voir la stérilité de ses travaux, et, après avoir ambitionné la plus sublime récompense, de ne recueillir que la honte et l'ignominie au jour où l'on avait espéré moissonner la gloire et l'honneur.

2  A cette inutilité de leurs fausses vertus, succéderont des tourments réels et terribles, le feu qui ne s'éteint pas, le ver qui ne meurt point, les ténèbres extérieures et toutes les peines de l'enfer. Aussi la parole de l'homme et même celle de l'ange sont-elles impuissantes à payer à Dieu le tribut de reconnaissance que nous lui devons pour sa bonté envers nous. Pourquoi? Parce que les sacrifices qu'exige la virginité nous sont moins pénibles qu'aux hérétiques, et combien les fruits en sont-ils différents pour eux et pour nous ! Le partage des vierges hérétiques sera la prison de l'enfer, les larmes, les gémissements et les supplices éternels; mais les enfants de l'Église posséderont la société des saints anges, les splendeurs (127) du ciel et la présence du divin Époux qui est le résumé de tous les biens.
D'où vient un sort si dissemblable? c'est que pour les uns la virginité n'est qu'une révolte sacrilège contre Dieu, tandis que pour les autres cette même profession est l'accomplissement de sa volonté sainte. Car le Seigneur voudrait que tous les hommes fussent vierges, comme nous le dit l'Apôtre, ou plutôt comme nous le déclare le Christ qui parlait par sa bouche : Je voudrais que vous fussiez tous dans l'état où je suis moi-même. (
1Co 7,7) Mais le Seigneur, qui est indulgent, et qui sait que l'esprit est prompt, et que la chair est faible, n'a point voulu nous prescrire impérieusement la virginité, et il en a laissé le choix à notre volonté ; et, en effet, si elle était une loi expresse et générale, les vierges n'auraient droit à aucune récompense. On leur dirait seulement : Vous avez fait ce que vous deviez faire. Quant à ceux qui auraient enfreint le précepte, ils subiraient la juste peine de leur désobéissance. Mais le Sauveur a dit : Que celui qui peut entendre, entende. (Mt 19,2) Il n'a donc point condamné ceux qui ne se sentiraient pas le courage d'embrasser la virginité, et il a néanmoins ouvert aux autres une noble et illustre carrière. Aussi l'Apôtre, fidèle écho des pensées du divin Maître, nous dit-il : A l'égard de la virginité, je n'ai point reçu de commandement du Seigneur, mais voici le conseil que je donne. (1Co 7,23)

3  Mais ni Marcion, ni Valentinien, ni Manès, n'ont connu cette sage modération. C'est qu'ils ne parlaient pas au nom. du divin Pasteur qui compatit à la faiblesse de ses brebis, et qui donne sa vie pour leur salut. Ils n'étaient que les interprètes de Satan qui est le père du mensonge, et qui a été homicide dès l'origine. C'est pourquoi ils entraînent tous leurs disciples dans un double abîme ! Car ils les accablent, durant la vie, de travaux pénibles et infructueux, et ils ne leur préparent pour l'éternité que les feux de l'enfer !

4  Votre malheur surpasse même celui des païens, ô infortunées victimes de l'erreur l Car, s'il n'est pas donné aux païens d'éviter les supplices éternels, du moins ils goûtent sur la terre les plaisirs de la chair, les douceurs du mariage, le rassasiement des sens et l'ivresse de l'opulence ; vous, au contraire, vous n'avez pendant la vie que des peines volontaires, et vous ne rencontrerez au delà du tombeau que des maux involontaires. Le jeûne et la virginité ne seront pour le païen ni un titre à la récompense céleste, ni un sujet de condamnation; mais, à votre égard, ces deux vertus, dont vous attendiez une gloire immortelle, deviendront la cause d'une éternelle réprobation, et Jésus-Christ vous dira : Retirez-vous de moi, et avec vos prétendus mérites allez au feu de l'enfer, qui a été préparé pour le démon et ses anges. (Mt 25,41) Et en effet le jeûne et la virginité sont en eux-mêmes des actes indifférents, et l'intention seule leur donne un caractère moral. C'est ainsi qu'ils sont stériles et infructueux dans les païens, parce qu'ils ne les pratiquent point en vue de Dieu; mais vous, hérétiques, qui ne pratiquez ces oeuvres que pour vous révolter contre Dieu et pour blasphémer ses créatures, non seulement vous ne serez point récompensés de vos sacrifices, mais vous en serez punis comme d'un crime. Sous le rapport du dogme, vous serez enveloppés dans la même condamnation que les païens, puisque vous avez comme eux renié le vrai Dieu, pour inventer des divinités mensongères. Sous le rapport de la morale, ils seront plus heureux que vous. On ne prononcera contre eux que l'exclusion du ciel, tandis que des tourments affreux s'ajouteront pour vous à cette même exclusion. Du moins ils auront pu, durant la vie, goûter quelques plaisirs, et vous, vous perdez les jouissances du temps et de l'éternité. Mais est-il un sort plus malheureux que celui de l'homme qui ne recueille pour prix de ses travaux et de ses fatigues que d'éternels supplices ?
Au jour du jugement, l'adultère, l'adroit ravisseur du bien d'autrui, et l'opulent usurier trouveront une certaine consolation, quelque faible qu'elle soit, dans la pensée qu'ils ne sont punis que pour des crimes dont ils ont joui mais quelle ne sera pas la douleur de celui qui sur la terre aura embrassé la pauvreté volontaire pour s'acquérir les richesses du ciel, et qui n'aura point reculé devant les sacrifices de la chasteté pour s'assurer une place parmi les anges, lorsqu'il verra ces brillantes espérances s’évanouir pour faire place à la triste réalité des peines de l'enfer. Je n'hésite même pas à penser qu'en cette âme le remords et le désespoir seront plus cuisants que les feux éternels, quand elle contemplera autour du divin Époux les émules de ses travaux et de ses (128) combats. Hélas! ces mêmes vertus qui leur vaudront alors un bonheur ineffable, ne lui attireront que d'affreux supplices. Qu'il sera du d'être puni plus sévèrement pour ses austérités que d'autres ne le seront pour leur débauche et leur libertinage.

5 C'est qu'en effet il n'y a pas de luxure qui soit aussi coupable que la continence des hérétiques. La luxure est avant tout une injure faite à l'homme, tandis que la continence des hérétiques est une révolte contre Dieu, et outrage son infinie sagesse. C'est un piège que le démon tend à ses adorateurs; et si j'affirme que la virginité est chez les hérétiques un artifice diabolique, je parle d'après l'Esprit-Saint, qui connaît bien toutes les ruses de l'esprit mauvais; or, écoutez ce qu'il dit ouvertement par la bouche de l'Apôtre : Dans la suite des temps, plusieurs abandonneront la foi, pour suivre l'esprit d'erreur et les doctrines des démons, imposteurs pleins d'hypocrisie, qui auront la conscience cautérisée, qui interdiront le mariage et l'usage des viandes que Dieu a créées (1Tm 4,1-3).
Serait-elle donc vierge, cette jeune fille qui a trahi sa foi, qui écoute le langage de l'erreur, qui obéit au démon, et qui honore le mensonge? Serait-elle donc vierge, celle dont la conscience est brûlée des poisons de l'hérésie? Eh ! qui ne sait que la vierge destinée au divin Époux ne doit pas être moins pure dans son âme que chaste dans son corps? Mais quelle peut être la pureté d'une conscience déshonorée par les stigmates de l'enfer? L'honneur et la gloire de cette union céleste exigent que nous renoncions aux jouissances de toute union terrestre; et comment le coeur qui nourrit des pensées impies et sacrilèges verrait-il s'épanouir en lui les grâces et l'éclat de la virginité?

6  J'admets avec vous que la vierge hérétique possède la chasteté du corps; mais elle a perdu celle de l'âme qui est bien plus excellente. Eh ! qu'importe que l'enceinte extérieure du temple subsiste, quand le temple lui-même est détruit ! ou que les abords du trône soient purs et brillants, quand le trône lui-même est profané ! Que dis je? le corps lui-même ne reste pas exempt de souillures; ces pensées de blasphème et d'impiété, qu'enfante une doctrine de mensonge, s'élancent du coeur, et la parole les répand nécessairement au dehors. Alors elles souillent d'abord la langue qui les prononce, et les oreilles qui les écoutent, et puis, s'insinuant au plus intime de l'âme, elles y infiltrent un poison mortel, et comme un ver rongeur elles y piquent la racine de toute vertu. C'est ainsi qu'elles tuent à la fois le corps et l'âme. Mais s'il est vrai que la chasteté de l'un et la pureté de l'autre forment l'essence de la virginité, comment nommer vierge celle en qui ces vertus indispensables ne subsistent plus?
Vous me montrez, je l'avoue, un visage pâle, des membres affaiblis, un vêtement simple et un extérieur modeste. Eh ! que m'importe, si l'oeil de votre âme est plein d'impudence; or, il l'est, puisqu'il envisage comme mauvaises les oeuvres de Dieu. Le Psalmiste a dit que : Toute la gloire de la fille du roi est intérieure. (
Ps 45,14) Mais par un triste contraste la vierge hérétique brille au dehors, et au dedans elle est souillée. Oui, on ne peut la voir sans indignation affecter devant les hommes la plus grande réserve, et se conduire comme une insensée à l'égard du souverain Être. Elle n'ose fixer les traits d'un homme, si toutefois sa modestie va jusque-là, et elle ne craint point de braver les regards du Seigneur, ni d'élever contre le Très-Haut une parole de blasphème. Cependant son visage est exténué, et comme empreint d'une pâleur de mort; ah ! cette vierge n'en est que plus digne de larmes et de pitié, puisque pour elle l'inutilité d'une vie austère et pénitente n'enfantera qu'une éternité malheureuse.
7 Votre vêtement est simple, je le reconnais mais la virginité n'est point dans la simplicité du vêtement, ni dans la pâleur du visage; elle réside dans l'âme et dans le corps. On reconnaît un philosophe à l'énergie de ses pensées et à la sagesse de ses moeurs, bien plus qu'à sa chevelure, à son bâton et à son manteau; ainsi encore le soldat se distingue par sa vaillance et son courage, bien plus que par son armure et son baudrier. Ne serait-il donc pas ridicule d'attacher la gloire de la virginité, vertu sublime et surhumaine, à une chevelure négligée, à un habit modeste, à une contenance réservée? Il faut que notre regard pénètre jusqu'au plus intime de l'âme, et qu'il en scrute les pensées secrètes. C'est ce que nous prescrit cet apôtre, qu'il est permis de nommer le grand législateur de la virginité. Oui, saint Paul veut qu'on juge la vierge non sur ses vêtements, mais sur sa foi et sur sa croyance. (129) Celui, dit-il, qui entre dans la lice, doit s'abstenir de tout (1Co 9,25) ce qui pourrait ternir la pureté de l'âme; et : Nul n'est couronné, s'il n'a observé les conditions du combat (2Tm 2,5); mais quelles sont ces conditions? Ecoutez la réponse du même apôtre, ou plutôt celle de Jésus-Christ qui a établi ce glorieux combat : Qu'en toutes choses le mariage soit respecté, et que le lit nuptial soit sans tache. (He 13,4)

8 Ce précepte, dites-vous, ne me concerne point, puisque j'ai renoncé au mariage. Mais, ô vierge infortunée, c'est là une erreur d'autant plus grave qu'elle est la source de tous vos malheurs. Car vous ne pouvez déverser sur le mariage votre superbe dédain, saris blasphémer la sagesse divine, et condamner l'économie de sa providence. Et en effet, si l'union conjugale est un crime,, les enfants qui en proviennent sont donc impurs. Ainsi nous devons reconnaître que.vous du moins, quand il y aurait exception pour les autres, vous êtes, souillée par le fait seul de votre naissance : mais comment alors vous appeler vierge ! Bien plus, à cette première impiété vous en ajoutez une autre plus coupable encore : vous ne fuyez le mariage que parce que vous le considérez comme un crime; de sorte que vous avez trouvé le secret de rendre la virginité plus honteuse que le libertinage.
Où vous placer, ô vierges hérétiques? parmi les Juifs? mais ils honorent le mariage, et ils observent religieusement l'ordre de la Providence. Parmi les catholiques? mais vous refusez d'écouter Jésus-Christ qui nous dit par la bouche de l'Apôtre : Respectez le mariage, et la sainteté du lit conjugal. Je ne puis donc vous ranger que parmi les païens, et encore ils vous repoussent eux-mêmes comme des impies; car Platon, le prince de leurs philosophes, a dit que le Créateur de l'univers est un être bon, et qu'il n'a pu vouloir le mal. (Plat. Timée.) Vous, au contraire, vous le considérez comme un être malfaisant, et comme l'auteur du mal. Resterez-vous, donc seules et isolées? non, rassurez-vous; vous avez pour frères de doctrine le démon et ses anges. Ou plutôt ils ne partagent point l'erreur où ils vous ont engagées, et ils n'ignorent point que Dieu est bon;, aussi ils s'écrient dans l'Evangile : Nous savons, ô Christ, qui vous êtes le saint de Dieu. (
Mc 1,24) Et au livre des Actes, ils appellent les apôtres des hommes qui sont les serviteurs du Dieu Très-Haut, et qui annoncent la voie du salut (Ac 16,17).
Jusques à quand vanterez-vous donc votre virginité? Ah ! loin de vous en glorifier, vous devriez pleurer amèrement l'obstination funeste qui vous rend les esclaves du démon, et les victimes de l'enfer. On n'est point vierge pour avoir renoncé au mariage; et celle-là seule mérite ce beau nom qui a pu légitimement se choisir un époux. Mais puisqu'à vos yeux le mariage est criminel et prohibé, la virginité n'est plus en vous l'acte d'une vertu volontaire; elle n'est qu'une soumission forcée à une loi rigoureuse. Chez les Perses, il est permis au fils d'épouser sa propre mère; et cette permission fait qu'on admire ceux qui s'en abstiennent. Mais les Romains n'y trouvent aucun mérite, parce qu'ils flétrissent et réprouvent une semblable union comme le plus abominable de tous les crimes.
Il faut raisonner pareillement du mariage. bous le considérons comme légitime; aussi admirons-nous ceux qui veulent y renoncer. Vous, au contraire, qui le regardez comme essentiellement mauvais, vous le fuyez sans aucun mérite. Et en effet, s'abstenir de ce qui est défendu, ne révèle pas toujours fine âme grande et élevée. C'est pourquoi la parfaite vertu, peu contente d'éviter les fautes que flétrit l'opinion publique, triomphe dans la pratique de ces actes dont l'omission même n'entraîne aucune culpabilité, et dont l'accomplissement nous met au rang de ceux qu'on appelle les fous et les justes. Les eunuques ne se marient pas, cependant qui songe à leur en faire un mérite ! Or, votre virginité n'est pas plus méritante. Ce' qui est chez lui le résultat forcé d'une mutilation corporelle, est chez vous la conséquence nécessaire de l'altération de votre conscience et, l'oeuvre du démon, qui, s'il a respecté votre corps, vous a fait subir une véritable mutilation morale, et vous tient honteusement engagées dans, les pénibles sacrifices d'une continence inutile et ingrate. Vous condamnez le mariage; ne vous étonnez donc point que votre fausse. virginité ne reçoive aucune récompense,, et soit même sévèrement punie. .

9  Mais vous aussi, m'objecterez-vous, ne défendez-vous pas le mariage ? à Dieu ne plaise que je partage votre erreur ! Eh quoi ! direz-vous encore, n'exhortez-vous pas à garder la continence? oui, je le conseille, parce que je (130) comprends toute l'excellence de la virginité. Mais, loin de condamner le mariage comme mauvais, je le loue, et j'en préconise le légitime usage comme un asile et un port assuré où s'abrite la continence, et où les passions se resserrent en de justes limites. Le Seigneur l'a placé sur le rivage de la vie, comme un rocher protecteur qui brise la vague furieuse, et qui parmi les orages et les tempêtes nous présente une rade calme et paisible; mais avouez aussi qu'il se rencontre des chrétiens auxquels ce secours est inutile, parce qu'ils domptent une chaire rebelle par le jeûne, les veilles, la solitude et la mortification.
Voilà ceux que j'engage à embrasser la virginité, et néanmoins je ne leur défends pas le mariage : or, entre le conseil et la défense, il y a un abîme aussi profond qu'entre la liberté et la nécessité. Un ami qui conseille permet à son ami de suivre un avis opposé; mais le législateur qui défend interdit absolument toute action contraire. Bien plus, en conseillant la virginité, je n'improuve point le mariage, et je ne condamne point celui qui résiste à ma parole. Vous, au contraire, vous qui réprouvez le mariage comme mauvais et criminel, et qui changez ici le conseil en une loi rigoureuse, vous devez en haïr tous les infracteurs. J'admire sans doute l'athlète généreux qui s'élance dans la carrière de la virginité; mais je ne condamne pas celui qui ne s'y présente point. Et, en effet, le blâme n'est permis qu'à l'égard d'une action réellement fautive; or, comment le faire tomber sur le chrétien auquel on ne peut reprocher que de se restreindre dans une sphère plus modeste, et de n'oser tenter les plus sublimes efforts de la vertu ; je ne louerai donc point en lui la force et l'énergie du courage, mais je ne me permettrai point non plus de blâmer sa timide réserve : ainsi je ne condamne point le mariage, dont j'estime l'usage saint et légitime, et je ne condamne que ceux qui l'outragent et qui le profanent; mais quiconque commet ce crime, je le châtie, et je le, chasse de l'Eglise, tandis que je loué ceux qui respectent le lit conjugal : c'est ainsi que la doctrine catholique sait vénérer l'oeuvre de Dieu et faire resplendir d'un nouvel éclat ! l'honneur et la gloire de la virginité.

10  Celui qui condamne le mariage, blesse la sainte virginité, et celui qui le loue, rehausse le mérite et la dignité de cette vertu. C'est un bien d'une valeur fort douteuse, celui qui ne paraît tel que si on le compare avec un grand mal; or, telle est l'idée que vous avez de la virginité par rapport au mariage. Un bien véritablement excellent, c'est celui qui surpasse ce que tout le monde s'accorde à estimer comme bon : c'est notre doctrine touchant la virginité. Elle proclame le mariage bon, la virginité meilleure. Dire que le mariage est mauvais, c'est faire tort à la virginité ; pareillement, c'est louer celle-ci que d'honorer celui-là. On n'est pas beau, pour être moins laid que tel dont le corps est mutilé; on n'est vraiment beau que si on l'est plus que celui qui est intact et sans difformité, et c'est ainsi que le mariage étant bon en lui-même, nous fait admirer la virginité qui est meilleure. Elle le surpasse en dignité autant que le pilote et le général s'élèvent au-dessus du matelot et du soldat; mais de même que la tempête engloutit le vaisseau qui est dépourvu de rameurs, et que l'ennemi fait prisonnier le générai qui est abandonné de ses soldats, ainsi la condamnation du mariage rejaillit sur la virginité, et en ternit la gloire.
La virginité est donc un bien ; je l'avoue, elle est un bien plus excellent que le mariage; je l'accorde volontiers, et même je ne crains pas d'avancer qu'entre eux la distance est plus grande qu'entre le ciel et la terre, et qu'entre l'ange et l'homme; j'ajouterai encore que le mérite de cette vertu rayonne avec plus de splendeur dans les hommes que dans les anges: ceux-ci sont vierges, il est vrai, mais ils ne sont point comme nous pétris de chair et de sang. Ils n'habitent point la terre, ils ne ressentent point les ardeurs de la concupiscence, et ils n'ont à craindre ni l'intempérance et ses excès, ni la musique et ses accords voluptueux, ni le regard et la séduction de la beauté. Plus purs que le ciel en plein midi, quand aucun nuage n'en ternit l'azur, leurs essences virginales, qu'aucune passion ne trouble, brillent paisiblement d'un éclat immortel.

11  Cependant l'homme, que sa nature place au-dessous de l'ange, sait doubler ses forces ; et par une -généreuse émulation il marche son égal. L'ange est vierge, et l'homme le devient; l'ange est le ministre du Seigneur, et il se tient toujours près de son trône; mais la vierge chrétienne est la servante du Dieu auquel elle s'est consacrée, et saint Paul l'exempte de toute sollicitude temporelle,. afin que rien ne la détourne de (131) son ministère sacré; enfin, si elle ne peut briser les liens de la chair, et s'envoler aux cieux, du moins elle goûte l'ineffable consolation de recevoir le Dieu qui vient reposer dans le chaste- tabernacle de son corps et de son âme. Comprenez donc maintenant toute l'excellence de la virginité : par elle l'habitant de la terre rivalise avec les esprits célestes; l'homme se rend semblable aux pures intelligences, et de faibles mortels deviennent les émules des anges; mais vous êtes étrangères à cet état divin, ô vierges hérétiques ! vous qui déshonorez cette belle vertu, qui blasphémez le Seigneur, et qui le nommez auteur du mal; aussi ne sauriez-vous attendre de sa justice que le traitement sévère qu'il infligera au serviteur infidèle. Au contraire, les vierges catholiques auront en partage ces biens infinis, que mail de l'homme n'a point vus, dont son oreille n'a point entendu la mélodie, et dont son coeur n'a point conçu les charmes; mais sans nous occuper davantage des vierges, filles de l'hérésie, adressons-nous désormais aux vierges, filles de l’Eglise.

12  Je ne saurais mieux commencer qu'en citant les paroles que- Jésus-Christ a prononcées par la bouche de saint Paul. Le précepte de l'Apôtre, c'est le précepte même du Seigneur, nous devons le croire. En effet, quand l'Apôtre dit : Pour ceux qui sont dans le mariage, ce n'est pas moi, mais le Seigneur qui leur fait ce commandement, et qu'ensuite il ajoute : Quant aux autres, ce n'est pas le Seigneur, mais c'est moi qui leur dis ceci (1Co 7,10 1Co 7,12); cela ne veut pas dire que le premier commandement soit de Jésus-Christ et que le second soit de Paul exclusivement. Comment celui qui portait le Christ en lui, le Christ parlant par la bouche de son Apôtre; celui qui ne voulait plus vivre, pour laisser vivre en lui le Christ; celui qui mettait sans peine son amour pour Jésus-Christ au-dessus du sceptre du monde, au-dessus de la vie, au-dessus de la félicité et de la sublimité des anges et des puissances, en un mot au-dessus de toutes les choses créées, comment, dis-je, un tel homme, aurait-il pu prononcer une parole, concevoir une pensée qui ne serait pas la parole et la pensée même du Christ, surtout quand il s'agissait de l'établissement d'une loi ?
Mais il est facile de comprendre cette double expression : « C'est moi, et, ce n'est pas moi, » quand on observe que tantôt Jésus-Christ nous a révélé lui-même ses préceptes, et que tantôt il nous les a fait connaître par ses apôtres. Et la preuve, c'est qu'il leur disait : J'ai encore beaucoup de choses à dire, mais vous ne pouvez pas les porter à présent. (Jn 16,12) C'est pourquoi, comme durant sa vie mortelle il avait établi l'indissolubilité du mariage, saint Paul, en rappelant cette loi, dit : Ce n'est pas moi, mais le Seigneur qui fait ce commandement. S'agit-il au contraire des infidèles parce que Jésus-Christ n'avait rien statué à cet égard, saint Paul dit : « Ce n'est pas le Seigneur,,mais c'est moi qui leur dis. u Toutefois c'était bien réellement le Christ qui inspirait son apôtre; en sorte que cette loi n'était point l'oeuvre d'un homme. Cette diversité de langage signifie seulement que le divin Sauveur n'avait point promulgué ce précepte devant.ses apôtres, et qu'il le publiait alors par le ministère de saint Paul.
Quand l'Apôtre dit : Ce n'est pas moi, mais le Seigneur, tous reconnaissent qu'il parle au nom de Dieu; et il en est de même lorsqu'il dit : C'est moi, et non pas le Seigneur. Il indique seulement, par, cette différence d'expression, que ce précepte est publié pour la première fois et par son organe. C'est ainsi qu'en parlant des veuves, il dit : Elles seront plus heureuses, si elles restent dans le veuvage, selon mon conseil. (1Co 7,40) Et afin qu'on ne puisse réduire ces derniers mots à une autorité purement humaine, il ajoute aussitôt : Mais je pense que j'ai aussi en moi l'esprit de Dieu. Or, si l'esprit de Dieu inspire ici la parole de l'Apôtre, et lui imprime une sanction divine, pourquoi en serait-il autrement dans le passage que nous discutons? Est-ce que Jésus-Christ ne parle pas toujours en son Apôtre? et celui-ci eût-il jamais osé proposer ses propres idées comme un dogme et un précepte? Non, tout ce qu'il nous prescrit lui est inspiré d'en-haut. Autrement on eût pu lui dire : Vous voulez que moi, qui suis chrétien et chaste, je demeure avec une épouse infidèle et impure? Quelle est l'autorité de votre parole, puisque vous avouez vous-même qu'elle n'est que la parole d'un homme. Mais l'Apôtre eût répondu : bannissez toute défiance; car le Christ parle en moi, et je possède l'esprit de Dieu. Comment donc soupçonner ma parole de n'être qu'une parole humaine? et si elle n'était réellement inspirée, pourrais-je l'imposer comme une loi? car je sais que les (132) pensées des hommes sont timides, et leurs maximes incertaines. (Sg 9,14)
Ajoutons encore que l'Eglise catholique, qui observe cette loi avec tant de soin, reconnaît par cela seul à la parole de l'Apôtre une autorité divine.
Quel précepte l'Apôtre inspiré par le Seigneur a-t-il donc porté touchant la virginité? Sur ce que vous m'avez écrit, je vous dirai qu'il est avantageux à l'homme de ne s'approcher d'aucune femme. (1Co 7,1) Mais ici observons tout d'abord à la louange des Corinthiens, qu'ils n'avaient encore entendu aucune instruction touchant la virginité, et que les premiers ils interrogent l'Apôtre. Nous voyons ensuite quels progrès ils avaient faits dans la perfection chrétienne, puisque la question semblait tranchée par la loi ancienne, qui permettait le mariage aux lévites, aux prêtres, et même au grand prêtre.


Chrysostome, Virginité (Duchassaing)