Thérèse EJ Carnet Jaune 804

4 août


1 J'ai eu beaucoup de cauchemars cette nuit, et des cauchemars bien effrayants, mais au moment le pire, vous veniez à moi et je n'avais plus peur.


2

... Non, je ne me crois pas une grande sainte! Je me crois une toute petite sainte; mais je pense que le bon Dieu s'est plu à mettre en moi des choses qui font du bien à moi et aux autres. 9


3

On lui avait apporté une gerbe d'épis, elle en détacha le plus beau et me dit:

Ma Mère, cet épi est l'image de mon âme: le bon Dieu m'a chargée de grâces pour moi et pour bien d'autres...

Puis craignant d'avoir eu une pensée d'orgueil. 10

Oh! que je voudrais être humiliée et maltraitée pour voir si j'ai vraiment l'humilité du coeur!... Pourtant, quand j'étais humiliée autrefois, j'étais bien heureuse... Oui, il me semble que je suis humble... Le bon Dieu me montre la vérité; je sens si bien que tout vient de Lui.


4

Comme c'est facile de se décourager quand on est bien malade!.. Oh! comme je sens que je me découragerais si je n'avais pas la foi! ou plutôt si je n'aimais pas le bon Dieu.


5

C'est seulement au Ciel que nous verrons la vérité sur toute chose. Sur la terre, c'est impossible. Ainsi, même pour la Sainte Ecriture, n'est-ce pas triste de voir toutes les différences de traduction. Si j'avais été prêtre, j'aurais appris l'hébreu et le
grec, je ne me serais pas contentée du latin, comme cela j'aurais connu le vrai texte dicté par l'Esprit Saint.


6

Je me suis endormie une seconde pendant l'oraison. J'ai rêvé qu'on manquait de soldats pour une guerre. Vous avez dit: Il faut envoyer Soeur Thérèse de l'Enfant Jésus. J'ai répondu que j'aurais bien préféré que ce fût pour une guerre sainte. Enfin, je suis partie tout de même. Oh! non, je n'aurais pas eu peur d'aller à la guerre. Avec quel bonheur, par exemple au temps des croisades, je serais partie pour combattre les hérétiques. Allez! je n'aurais pas eu peur d'attraper une balle!


7

Et moi qui désirais le martyre , 11 est-ce possible que je meure dans un lit!


8

Comment arrangez-vous votre petite vie maintenant?

Ma petite vie, c'est de souffrir et puis ça y est! Je ne pourrais pas dire: Mon Dieu, c'est pour l'Eglise, mon Dieu c'est pour la France... etc... Le bon Dieu sait bien ce qu'il faut qu'il en fasse; je lui ai tout donné pour lui faire plaisir. Et puis ça me fatiguerait trop de lui dire: Donnez ceci à Pierre, donnez ceci à Pau]. Je ne le fais bien vite que lorsqu'une soeur me le demande, et après je n'y pense plus. Quand je prie pour mes frères missionnaires, « j'offre pas » mes souffrances, je dis tout simplement: Mon Dieu, donnez leur tout ce que je désire pour moi.


5 août


1
Il faisait très chaud, et le sacristain nous avait plaintes de porter de gros habits.

Ah! au Ciel, le bon Dieu nous rendra cela d'avoir porté pour son amour de gros habits sur la terre.


2

Constatant qu'elle ne pouvait presque plus se mouvoir:

David disait dans les psaumes: « Je suis comme la sauterelle qui change continuellement de place. » Eh bien moi je ne peux pas en dire autant! je voudrais bien me promener, mais j'ai un fil à la patte! Ps 109,23


3

... Quand les saints auront fermé sur moi la porte du Ciel, ils chanteront:

Enfin nous te tenons, Petite souris grise, Enfin nous te tenons Et nous te garderons!

(Une petite chanson qui lui revenait à la mémoire.)


4

Sr Marie du Sacré Coeur lui dit que les Anges viendraient à sa mort, pour accompagner Notre Seigneur, qu'elle les verrait resplendissants de lumière et de beauté. 12

... Toutes ces images ne me font aucun bien, je ne puis me nourrir que de la vérité. C'est pour cela que je n'ai jamais désiré de visions. On ne peut voir sur la terre, le Ciel, les anges tels qu'ils sont. J'aime mieux attendre après ma mort. Jn 20,29


5

Pendant Vêpres, ma petite Mère, j'ai pensé que vous êtes mon soleil.


6

Je me suis endormie, et j'ai rêvé que vous vous penchiez vers moi pour m'embrasser; j'ai voulu vous rendre, mais aussitôt je me suis réveillée, tout étonnée que mon baiser soit tombé dans le vide!


7

Son lit n'était pas encore placé au milieu de l'infirmerie, mais au fond, dans le coin. Pour fêter le lendemain, 6 Août, la Transfiguration de N. S. nous avions pris la Sainte Face du Choeur qu'elle aimait beaucoup et suspendu le cadre entouré de fleurs et de lumières à sa droite, sur le mur. Elle me dit en regardant l'image:

Que Notre Seigneur a bien fait de baisser les yeux pour nous donner son portrait! Puisque les yeux sont le miroir de l'âme, si nous avions deviné son âme, nous en serions mortes de joie. Oh! que cette Sainte Face là m'a fait de bien dans ma vie! Pendant que je composais mon cantique: « Vivre d'amour » elle m'a aidée à le faire avec une grande facilité. J'ai écrit de mémoire, pendant mon silence du soir les 15 couplets que j'avais composés, sans brouillon, dans la journée. Ce jour là, en allant au réfectoire après l'examen, je venais de composer la strophe:

Vivre d'amour c'est essuyer ta Face, C'est obtenir des pécheurs le pardon. 13

Je la lui ai répétée, en passant, avec beaucoup d'amour. En la regardant, j'ai pleuré d'amour.


8

Je répète comme Job: « Le matin, j'espère ne pas arriver au soir, et le soir, j'espère ne plus revoir le matin. » Jb 7,4


9

... Ces paroles d'Isaïe: « Qui a cru à votre parole... Il est sans éclat, sans beauté... etc. 14 ont fait tout le fond de ma dévotion à la Sainte Face, ou, pour mieux dire, le fond de toute ma piété. Moi aussi, je désirais être sans beauté, seule à fouler le vin dans le pressoir, inconnue de toute créature... Is 53,1-2 Is 63,3 (à vérifier)


10

A propos d'une confidence que je lui faisais, elle me dit:

Une mère prieure devrait toujours laisser croire qu'elle est sans aucune peine. Cela fait tant de bien et donne tant de force de ne point dire ses peines! Par exemple, il faut éviter de s'exprimer ainsi: Vous avez des ennuis et des difficultés, moi j'ai les mêmes et bien d'autres, etc.


6 août


1
Elle avait espéré mourir dans la nuit et me dit dès le matin:

J'ai guetté toute la nuit, comme la petite fille dans la chanson du petit soulier de Noël... 15

Je n'ai pas cessé de regarder la Sainte Face... J'ai repoussé bien des tentations... Ah! j'ai fait bien des actes de foi... Je puis dire aussi: « J'ai regardé à ma droite, et j'ai considéré, et il n'y a personne qui me connaisse... » Je veux dire personne qui connaisse le moment de ma Mort... La droite me figure le côté où vous êtes pour moi. Ps 142,5

Elle regarda ensuite la statue de la Sainte Vierge et chanta doucement:

Quand viendra-t-il, ma tendre Mère, Quand viendra-t-il ce beau jour, Où, de l'exil de la terre Je volerai dans l'éternel Séjour? 16


2

Sa violente douleur de côté avait cessé dans la nuit. M. de Cornière à l'auscultation la trouva tout aussi malade, mais elle doutait de sa mort prochaine.

Je suis comme un pauvre petit Robinson dans son île. Tant qu'on ne m'avait rien promis, j'étais exilée, c'est vrai, mais je ne pensais pas à quitter mon île. Mais voilà qu'on m'annonce sûrement un vaisseau qui doit me reconduire bientôt dans ma Patrie. Alors je reste sur la plage, je regarde au loin, je regarde toujours... et, ne voyant rien paraître à l'horizon, je me dis: Ils m`ont trompée! Je ne vais pas m'en aller!


3

Elle me montra dans le petit bréviaire du Sacré Coeur, la parole de N. S. à la Bse Marguerite-Marie, qu'elle avait tirée,le jour de l'Ascension.

« La croix est le lit de mes épouses, c'est là que je te ferai consommer les délices de mon amour. »

Et elle me raconta qu'un jour, une soeur ayant tiré dans le même livre et étant tombée sur un passage sévère, lui avait demandé de tirer à son tour. Elle était alors tombée sur cette parole.

« Confie-toi en moi... » 17


4

... Je ne puis m'appuyer sur rien, sur aucune de mes oeuvres pour avoir confiance. Ainsi j'aurais bien voulu pouvoir me dire: Je suis quitte de tous mes offices des morts. Mais cette pauvreté a été pour moi une vraie lumière, une vraie grâce. J'ai pensé que je n'avais jamais pu dans ma vie acquitter une seule de mes dettes envers le bon Dieu, mais que c'était pour moi comme une véritable richesse et une force, si je le voulais. Alors j'ai fait cette prière: O mon Dieu, je vous en supplie, acquittez la dette que j'ai contractée envers les âmes du Purgatoire, mais faites-le en Dieu, pour que ce soit infiniment mieux que si j'avais dit mes offices des morts. Et je me suis souvenue avec une grande douceur de ces paroles du cantique de St Jean de la Croix: « Acquittez toutes dettes » 18 J'avais toujours appliqué cela à l'Amour... Je sens que cette grâce ne peut se rendre... C'était trop doux! On éprouve une si grande paix d'être absolument pauvre, de ne compter que sur le bon Dieu.


5

... Oh! qu'il y a peu de parfaites religieuses, qui ne font rien n'importe comment et à peu près, se disant: Je ne suis pas tenue à cela, après tout... Il n'y a pas grand mal à parler ici, à me contenter en cela... Qu'elles sont rares celles qui font tout le mieux possible! Et ce sont pourtant les plus heureuses. Ainsi pour le silence, quel bien il fait à l'âme, quels manquements à la charité il empêche et tant de peines de toutes sortes. Je parle surtout du silence, parce que c'est à ce point, qu'on manque le plus.


6

Que j'étais fière quand j'étais semainière 19 à l'Office, que je disais les oraisons tout haut au milieu du Choeur! parce que je pensais que le prêtre disait les mêmes oraisons à la Messe et que j'avais comme lui le droit de prier tout haut devant le Saint Sacrement, de donner les bénédictions, les absolutions, de dire l`Evangile quand j'étais première chantre. ... Mais je puis dire que l'Office a été à la fois mon bonheur et mon martyre, parce que j'avais un si grand désir de bien le réciter et de ne pas y faire de fautes; et je me suis vue quelquefois, après avoir prévu une minute avant ce que je devais dire, le laisser passer sans ouvrir la bouche par une distraction tout à fait involontaire. Je ne crois pas pourtant qu'on puisse désirer plus que moi parfaitement réciter l'office et y assister au Choeur. ... J'excuse beaucoup les soeurs qui oublient ou qui se trompent.


7

Sr St Stanislas, sa première infirmière, l'avait quittée tout le temps de Vêpres, laissant la porte et la fenêtre de l'infirmerie ouvertes; le courant d'air était très fort. Notre Mère la trouvant en cet état manifesta son mécontentement et demanda des explications. (a)

NOTE ADJOINTE
a) Les CAHIERS VERTS précisent:
Une des infirmières l'avait laissée tout le temps de Vêpres dans un courant d'air. Sr Thérèse de l'Enfant Jésus lui avait fait signe de fermer la porte. Au lieu de comprendre cela, elle crut qu'elle demandait une couverture et la lui mit sur les pieds. Thérèse essaya de parler, mais elle était si oppressée qu'elle ne put encore se faire comprendre et la bonne soeur apporta une autre couverture, un oreiller, etc., croyant qu'elle avait froid. La pauvre petite étouffait, mais n'essaya plus de s'expliquer.
En revenant de Vêpres, Sr xxx constatant et le courant d'air et l'étouffement de la douce malade sous le poids de toutes ces couvertures, exprima tout haut son mécontentement. Notre Mère vint et demanda une explication à Sr Thérèse de l'Enfant Jésus qui fit paraître en cette circonstance autant de charité que de patience.

Elle me dit:

J'ai raconté à Notre Mère la vérité, mais en parlant, il m'est venu à la pensée une expression plus charitable que celle dont j'allais me servir et qui pourtant n'était pas mal, bien sûr; j'ai suivi mon inspiration et le bon Dieu m'en a récompensée par une grande paix intérieure


8

Je lui demandai le soir pendant Matines ce qu'elle entendait par « rester petite enfant 20 devant le bon Dieu ».
Elle me répondit:

C'est reconnaître son néant, attendre tout du bon Dieu, comme un petit enfant attend tout de son père; c'est ne s'inquiéter de rien, ne point gagner de fortune. Même chez les pauvres, on donne à l'enfant ce qui lui est nécessaire, mais aussitôt qu'il grandit son père ne veut plus le nourrir et lui dit: Travaille maintenant, tu peux te suffire à toi-même. C'est pour ne pas entendre cela que je n'ai pas voulu grandir, me sentant incapable de gagner ma vie, la vie éternelle du Ciel. Je suis donc restée toujours petite, n'ayant d'autre occupation que celle de cueillir des fleurs, 21 les fleurs de l'amour et du sacrifice, et de les offrir au bon Dieu pour son plaisir. Etre petit, c'est encore ne point s'attribuer à soi-même les vertus qu'on pratique, se croyant capable de quelque chose, 22 mais reconnaître que le bon Dieu pose ce trésor dans la main de son petit enfant pour qu'il s'en serve quand il en a besoin; mais c'est toujours le trésor du bon Dieu. Enfin, c'est de ne point se décourager de ses fautes 23 car les enfants tombent souvent, mais ils sont trop petits pour se faire beaucoup de mal.


7 août


1
Sr X... qui est partie, 24 voulait me faire ses confidences, bien que je ne sois plus prieure.

... Ne l'écoutez jamais, même quand elle serait comme un ange; vous seriez bien malheureuse parce que vous ne feriez pas en cela votre devoir; ce serait de la faiblesse qui ferait certainement de la peine au bon Dieu.


2

... Oh! que le bon Dieu est peu aimé sur la terre!... même des prêtres et des religieux... Non, le bon Dieu n'est pas beaucoup aimé...


3

Elle me montra la photographie de N. D. des Victoires où elle avait collé la petite fleurette que papa lui avait donnée aux Buissonnets le jour où elle lui avait confié sa vocation; 25 la racine en était détachée et le petit Jésus a l'air de la tenir dans sa main et de lui sourire ainsi que la Sainte Vierge.

... Que la petite fleur ait perdu sa racine, ça vous dira que je suis au Ciel... C'est pour cela qu'ils me font si gentil... (la Ste Vierge et l'Enfant J.)


4

Oh! si j'étais infidèle, si je commettais seulement la moindre infidélité je sens que je le paierais par des troubles épouvantables, et je ne pourrais plus accepter la mort. Aussi je ne cesse de dire au bon Dieu: « O mon Dieu, je vous en prie, préservez-moi du malheur d'être infidèle. »

De quelle infidélité voulez-vous parler?

D'une pensée d'orgueil entretenue volontairement. Si je me disais par exemple: J'ai acquis telle vertu, je suis certaine de pouvoir la pratiquer. Car alors ce serait s'appuyer sur ses propres forces, et quand on en est là, on risque de tomber dans l'abîme. Mais j'aurai le droit sans offenser le bon Dieu de faire de petites sottises jusqu'à ma mort, si je suis humble, si je reste toute petite. Voyez les petits enfants: ils ne ces- sent de casser, de déchirer, de tomber, tout en aimant beau- coup, beaucoup leurs parents. Quand je tombe ainsi, cela me fait voir encore plus mon néant et je me dis: Qu'est-ce que je ferais, qu'est-ce que je deviendrais, si je m'appuyais sur mes propres forces?!... Je comprends très bien que St Pierre soit tombé. Ce pauvre Saint Pierre, il s'appuyait sur lui-même au lieu de s'appuyer uniquement sur la force du bon Dieu. J'en conclus que, si je disais: « O mon Dieu, je vous aime trop, vous le savez bien, pour m'arrêter à une seule pensée contre la foi »; mes tentations deviendraient plus violentes et j'y succomberais certainement. Je suis bien sûre que si St Pierre avait dit humblement à Jésus: « Accordez-moi je vous en prie, la force de vous suivre jusqu'à la mort », il l'aurait eue aussitôt. Lc 22,32 Mt 26,69-71

Je suis certaine encore que Notre-Seigneur n'en disait pas davantage à ses Apôtres par ses instructions et sa présence sensible, qu'il ne nous dit à nous-mêmes par les bonnes inspirations de sa grâce. Il aurait bien pu dire à St Pierre: Demande-moi la force d'accomplir ce que tu veux. Mais non, parce qu'il voulait lui montrer sa faiblesse, et que, devant gouverner toute l'Eglise qui est remplie de pécheurs, il lui fallait expérimenter par lui-même ce que peut l'homme sans l'aide de Dieu. Avant sa chute, Notre Seigneur lui dit: « Quand tu seras revenu à toi, confirme tes frères ». Cela voulait dire: Persuade-les par ta propre expérience de la faiblesse des forces humaines.


5

Je voudrais que vous soyez toujours avec moi, vous êtes mon soleil 26


8 août


1
Je lui disais que je ferais valoir ses vertus plus tard:

C'est le bon Dieu tout seul qu'il faut faire valoir, car il n'y a rien à fa
ire valoir dans mon petit néant 27

2

Elle regardait le ciel par la fenêtre de l'infirmerie et Sr Marie du Sacré Coeur lui dit: « Comme vous regardez le ciel avec amour! » A ce moment elle était plus fatiguée et ne répondit que par un sourire. Plus tard elle me confia ce qu'elle avait pensé.

Ah! elle croit que je regarde le firmament en pensant au vrai Ciel! Mais non, c'est tout simplement parce que j'admire le ciel matériel; l'autre m'est de plus en plus fermé. Puis aussitôt je me suis dit avec une grande douceur: Oh! mais si, c'est bien par amour que je regarde le ciel, oui, c'est par amour pour le bon Dieu, puisque tout ce que je fais, les mouvements, les regards, tout, depuis mon offrande 28 c'est par amour.


3

J'ai pensé aujourd'hui à ma vie passée, à l'acte de courage que j'avais fait autrefois à Noël 29 et la louange adressée à Judith m'est revenue à la mémoire: « Vous avez agi avec un courage viril et votre coeur s'est fortifié. » Bien des âmes disent: Mais je n'ai pas la force d'accomplir tel sacrifice. Qu'elles fassent donc ce que j'ai fait: un grand effort. Le bon Dieu ne refuse jamais cette première grâce qui donne le courage d'agir; après cela le coeur se fortifie et l'on va de victoire en victoire. Jdt 15,10-11


4

Si Notre Seigneur et la Sainte Vierge n'étaient pas allés eux-mêmes à des festins, jamais je n'aurais compris l'usage d'inviter ses amis pour des repas. Il me semblait que pour se nourrir on aurait dû se cacher ou du moins rester en famille. S'inviter, oui, mais seulement pour se parler, se raconter des voyages, des souvenirs, enfin pour des choses de l'esprit. J'ai eu grand'pitié des personnes qui servaient dans les grands dîners. Si, par malheur, il leur arrivait de laisser tomber quelques gouttes sur la nappe ou sur l'un des convives, je voyais la maîtresse de maison les regarder sévèrement, alors ces pauvres gens rougissaient de honte, et je me disais, toute révoltée intérieurement: Oh! comme cette différence qui existe ici-bas entre les maîtres et les serviteurs prouve bien qu'il y a un ciel et chacun sera placé selon son mérite intérieur, où tous seront assis au festin du Père de famille. Mais alors quel Serviteur sera le nôtre, puisque Jésus a dit: « qu'il irait et viendrait pour nous servir »! Ce sera le moment pour les pauvres et les petits surtout, d'être récompensés amplement de leurs humiliations. Lc 12,37

9 août


1
Je disais d'elle: ll est abattu notre guerrier!

Je ne suis pas un guerrier qui a combattu avec des armes terrestres, mais avec « le glaive de l'esprit qui est la parole de Dieu ». Aussi la maladie n'a pu m'abattre, et pas plus tard qu'hier soir je me suis servie de mon glaive avec une novice. Je l'ai dit: Je mourrai les armes à la main. 30 Ep 6,17


2

A propos de son manuscrit:

Il y en aura pour tous les goûts, excepté pour les voies extraordinaires.

3

Vous êtes redevenue pour moi ce que vous étiez dans mon enfance... Je ne puis pas dire ce que vous êtes pour moi!


4

On lui disait qu'elle était une sainte:

Non, je ne suis pas une sainte; je n'ai jamais fait les actions des saints. Je suis une toute petite âme que le bon Dieu a comblée de grâces, voilà ce que je suis. Ce que je dis c'est la vérité, vous le verrez au Ciel.


10 août


1
Elle regardait l'image de Théophane Vénard épinglée aux rideaux de son lit. Cette image représente le missionnaire montrant du doigt le Ciel.

Croyez-vous qu'il me connaît? Regardez ce qu'il me montre... Il aurait bien pu ne pas avoir cette pose là...


2

On disait que les âmes arrivées comme elle à l'amour parfait voyaient leur beauté, 31 et qu'elle était du nombre.

Quelle beauté?... Je ne vois pas du tout ma beauté, je ne vois que les grâces que j'ai reçues du bon Dieu. Vous vous méprenez toujours, vous ne savez donc pas que je ne suis qu'un tout petit noyau, 32 une petite amande...

(J'ai été dérangée et n'ai pu prendre l'explication qui a suivi.)


3

D'un air gai et si gentil en regardant le portrait de Th. Vénard:

... Ah! mais!...

Pourquoi dites-vous: Ah! mais, demanda Sr Geneviève.

C'est parce que chaque fois que je le regarde, il me regarde aussi, et puis il semble me guetter du coin de l'oeil d'un air à moitié malin.


4

On lui montrait une photographie de Jeanne d'Arc dans sa prison 33 .

Les saints m'encouragent moi aussi dans ma prison. Ils me disent: Tant que tu es dans les fers, tu ne peux remplir ta mission; mais plus tard, après ta mort, ce sera le temps de tes travaux et de tes conquêtes.


5

Je pense aux paroles de st Ignace d'Antioche. « Il faut, moi aussi que, par la souffrance, je sois broyée pour devenir le froment de Dieu. » 34


6

Pendant Matines:

Si vous saviez ce que vous êtes pour moi! Mais je vous dis toujours la même chose.


7

Je lui parlais du Ciel, de Notre-Seigneur, de la Sainte Vierge qui y sont en corps et en âme.
Elle poussa un profond soupir avec cette exclamation:

Ah!....

Vous me faites comprendre par là que vous souffrez beaucoup de votre épreuve 35 .

Oui!... Faut-il tant aimer le bon Dieu et la Sainte Vierge et avoir ces pensées là!... Mais je ne m'y arrête pas.


11 août


1 ... J'ai toujours trouvé, ma petite Mère, que vous mettiez trop d'ardeur à l'ouvrage

( à propos du lavage. )


2

Je lui disais qu'après sa mort nous serions bien bonnes et que la Communauté serait renouvelée:

...En vérité, en vérité, je vous le dis: « Si le grain de blé étant tombé à terre ne vient à mourir il demeure seul. Mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. » Jn 12,24


3

Je ne m'attendais pas à souffrir comme cela; je souffre comme un petit enfant. ... Je ne voudrais jamais demander au bon Dieu des souffrances plus grandes. S'il les augmente, je les supporterai avec plaisir et avec joie puisque ça viendra de lui. Mais je suis trop petite pour avoir la force par moi-même. Si je demandais des souffrances, ce seraient mes souffrances à moi, il faudrait que je les supporte seule, et je n'ai jamais rien pu faire toute seule.


4

... La Sainte Vierge, elle n'a pas de Sainte Vierge à aimer, elle est moins heureuse que nous. 36

(Elle m'avait dit cela à la récréation autrefois.)


5

Je prie souvent les saints sans être exaucée, mais plus ils semblent sourds à mes prières, plus je Ies aime.

Pourquoi?

Parce que j'ai plus désiré ne pas voir le bon Dieu et les saints et rester dans la nuit de la foi que d'autres désirent voir et comprendre. Jn 20,29 37


6

Elle nous avait raconté toutes sortes de choses sur le temps de l'influenza. 38

Je lui dis à la fin: Quelle fatigue vous vous êtes imposée! Et que vous avez été gentille et aimable! Sûrement, toute cette gaîté n'est pas sincère, vous souffrez trop d'âme et de corps.

En riant:

Jamais je ne « feins », je ne suis pas comme la femme de Jéroboam. 1R 14,5-6 39


12 août


1
( Elle fit la Communion )

... « Adieu mes soeurs, je pars pour un lointain voyage. »

( Allusion à mon « départ » pour ma retraire de profession.)


2

Regardant la photographie du P. Bellière en soldat:

... A ce soldat là qui a l'air si fringuant, je donne des conseils tout comme à une petite fille! Je lui indique la voie de l'amour et de la confiance. 40


3

Depuis l'épi, j'ai des sentiments encore plus bas de moi-même. Mais qu'elle est grande la nouvelle grâce que j'ai reçue ce matin, au moment où le prêtre a commencé le Confiteor avant de me donner la communion et que toutes les soeurs l'ont continué. Je voyais là le bon Jésus tout près de se donner à moi, et cette confession me paraissait une humiliation si nécessaire. « Je confesse à Dieu, à la Bienheureuse Vierge Marie, à tous les Saints que j'ai beaucoup péché... » Oh! oui, me disais-je, on fait bien de demander pardon pour moi en ce moment, à Dieu, à tous les Saints... Je me sentais, comme le publicain, une grande pécheresse. Je trouvais le bon Dieu si miséricordieux! Je trouvais cela si touchant de s'adresser à toute la Cour Céleste, pour obtenir par son intercession le pardon de Dieu. Ah! j'ai bien manqué de pleurer, et quand la Sainte Hostie a été sur mes lèvres, j'étais bien émue. ... Que c'est extraordinaire d'avoir éprouvé cela au Confiteor! Je crois que c'est à cause de ma disposition présente; je me sens si misérable! Ma confiance n'est pas diminuée, au contraire, et le mot « misérable » n'est pas juste, car je suis riche de tous les trésors divins; mais c'est justement pour cela que je m'humilie davantage. Quand je pense à toutes les grâces que le bon Dieu m'a faites je me retiens pour ne pas verser continuellement des larmes de reconnaissance. ... Je crois que les larmes que j'ai versées ce matin étaient des larmes de contrition parfaite. Ah! comme il est bien impossible de se donner soi-même de tels sentiments! C'est le Saint-Esprit qui les donne? lui « qui souffle où il veut. » Jn 3,8 Lc 18,13


4

Nous lui parlions des résistances qu'elle avait faites autrefois lorsque nous la conjurions de se ménager, de ne point se lever à l'heure de la Communauté, de ne pas aller à Matines. Elle nous dit:

Vous ne me compreniez pas quand j'insistais, mais c'était parce que je sentais bien qu'on essayait d'influencer Notre Mère. Je voulais dire toute la vérité à Notre Mère, afin qu'elle décide d'elle-même. Je vous assure que si d'elle-même elle m'avait même demandé de ne pas aller à la Messe, à la Communion, à l'Office, j'aurais obéi avec une grande docilité.


5

C'est inouï, maintenant que je ne puis plus manger, il me prend des envies de toutes sortes de bonnes choses, comme du poulet, des côtelettes, du riz à l'oseille du Dimanche, du thon!... 41


6

... Vous pourrez dire de moi: « Ce n'est pas en ce monde qu'elle vivait, mais au Ciel, là où est son trésor. » Mt 6,21


13 août


1
Je lui disais une pensée que j'avais eue pendant complies sur le Ciel.

... Pour moi, je n'ai que des lumières pour voir mon petit néant. Cela me fait plus de bien que des lumières sur la foi.


14 août


1
(Communion)

...Bien des petits chagrins dans la journée... Ah! que je donne de mal!

Pendant Matines, je lui dis: Vous avez eu bien des peines aujourd'hui:

Oui mais puisque je les aime... J'aime tout ce que le bon Dieu me donne.


15 août


1
(Communion.)

Je lui rappelais ce que dit St Jean de la Croix sur la mort des âmes consommées dans la Charité. 42

Elle soupira et me dit:

Il faudra dire que c'est au fond de mon âme «la joie et les transports »... Mais cela n'encouragerait pas tant les âmes si l'on croyait que je n'ai pas beaucoup souffert.

Comme je sens que vous êtes angoissée! Et pourtant, il y a un mois vous me disiez de si belles choses sur la mort d'amour.

Mais ce que je vous disais, je vous le dirais bien encore.

2

Elle était très oppressée et comme cela augmentait toujours, elle me dit:

Je ne sais pas ce que je deviendrai!

Est-ce que cela vous inquiète ce que vous deviendrez?

avec un ton ineffable et un sourire:

Oh! non...


3

J'ai rêvé pendant le silence 43 que vous me disiez: Vous allez être bien fatiguée, quand la Communauté va venir, d'être regardée par toutes les soeurs et obligée de leur parler un peu. Je vous ai répondu: Oui mais, quand je serai là haut je me reposerai de tout.


4

Je demandais hier soir à la Sainte Vierge de ne plus tousser, pour que Soeur Geneviève puisse dormir, 44 mais j'ai ajouté: Si vous ne le faites pas, je vous aimerai encore plus.

(La place exacte de cette référence à St Jean reste à trouver!) Jn 14,2-3


5

Nos nouvelles cloches sonnaient pour Vêpres; j'ouvris la porte pour qu'elle les entende bien et je lui dis:
Ecoutez bien les belles cloches qui sonnent. Après avoir écouté:

... « Pas cor » très belles! 45


6

Le bon Dieu me donne du courage en proportion de mes souffrances. Je sens que, pour le moment, je ne pourrais en supporter davantage, mais je n'ai pas peur, puisque si elles augmentent, il augmentera mon courage en même temps.


7

Je me demande comment le bon Dieu peut se retenir si longtemps de me prendre... ... Et puis, on dirait qu'il veut me faire « accroire » qu'il n'y a pas de Ciel!... ... Et tous les saints que j'aime tant, où sont-ils donc « nichés? »... ... Ah! je ne feins pas, c'est bien vrai que je n'y vois goutte. Mais enfin, il faut que je chante bien fort dans mon coeur: « Après la mort la vie est immortelle , 46 ou bien sans ça, ça tournerait mal...


8

Après matines, elle était épuisée et nous dit au moment où l'on s'apprêtait à border ses oreillers.

Maintenant, faites de moi ce que vous voudrez.


16 août


1
Elle ne pouvait plus parler tant elle était faible et oppressée.

...Ne... plus... même... pouvoir parler... à vous!... Oh! si l'on pouvait savoir!... Si je n'aimais pas le bon Dieu!... Oui mais...


2

Au parloir, il ne faut pas dire n'importe quoi, par exemple, parler de toilette.


3

« Vous n'aurez pas, vous, de « petite Thérèse » pour venir vous chercher. »
Elle sourit, et regardant la statue de la Sainte Vierge et l'image de Théophane Vénard, elle me les montra du doigt tour à tour.


4

Les anges ne peuvent pas souffrir, ils ne sont pas aussi heureux que moi. Mais comme ils seraient étonnés de souffrir et de sentir ce que je sens!... Oui, ils seraient bien étonnés, car je le suis moi-même.


5

Pendant Matines, en se réveillant tout à coup, et me regardant avec un doux sourire.

Ma jolie petite mère!


17 Août


1
(Communion)

Je sens bien que le bon Dieu veut que je souffre. Les remèdes qui devraient me faire du bien et qui soulagent les autres malades, me font du mal à moi.


2

On venait de la lever, et comme en faisant le lit on l'avait heurtée, qu'on l'avait fait souffrir aussi en lui donnant certains soins, elle demanda un petit linge. On hésitait à le lui donner ne sachant pas ce qu'elle voulait en faire. Elle dit alors avec douceur:

On devrait me croire quand je demande quelque chose, car Je suis une « petite fille » bien mignonne: ( c'est à dire qui ne demande que l'indispensable )

Une fois recouchée, se sentant à bout de force:

Je suis une « petite fille » très malade, oui, très malade!


3

Elle mit une pervenche à l'image de Théophane Vénard: j'ai gardé cette pervenche.

4

Je vais prier pour que la Sainte Vierge diminue votre oppression.

Non, il faut les laisser faire là-haut!



Pendant Matines, en regardant l'image de Théophane Vénard:

Je ne sais pas ce que j'ai, je ne peux plus le regarder sans pleurer.

Elle se trouvait moins oppressée après Matines et dit à Sr Geneviève en me désignant:

Elle a prié Marie, et puis je n'ai plus hoqueté.

(Elle employait ce mot pour rire et d'un petit ton si gentil quand elle voulait dire qu'elle toussait jusqu'à en étouffer.)



Thérèse EJ Carnet Jaune 804