Jérôme Critique sacrée - Sixième question.

Sixième question.



Comment saint Pierre et saint Jean ont-ils pu si aisément entrer dans le sépulcre, qui était gardé par une compagnie de soldats, sans qu'aucun de ces gardes se soit mis en devoir de leur en défendre l'entrée?

Voici la raison que saint Mathieu nous en donne : "La semaine étant passée, " dit-il "et le premier jour de la suivante commençant à peine à luire, Marie-Madeleine et une autre Marié vinrent pour voir le sépulcre. Et tout d'un coup il se fit un grand tremblement de terre; et un ange du Seigneur descendit du ciel et vint renverser la pierre qui fermait le sépulcre, et s'assit dessus. Son visage était brillant comme un éclair et ses vêtements blancs comme la neige; et les gardes en furent tellement saisis de frayeur qu'ils restèrent comme morts. Saisis donc qu'étaient ces soldats d'une frayeur si grande qu'ils paraissaient comme morts, il est à croire ou qu'ils abandonnèrent le sépulcre, ou que la crainte les avait tellement étourdis et troublés qu'ils n'avaient pas la hardiesse de s'opposer, je né dis pas aux hommes, mais aux femmes même qui voulaient y entrer; car cette pierre qu'on avait ôtée de l'entrée du sépulcre, ce tremblement de terre si grand et si extraordinaire que tout en fut ébranlé, et qui semblait menacer l’Univers d'un bouleversement général ; cet ange qui était descendu du ciel, et dont le visage était si éclatant qu'il ressemblait non pas à ces flambeaux artificiels que les hommes ont coutume d'allumer pour leurs usages, mais à un éclair qui répand partout son éclat et sa lumière; tous ces objets effrayants, qu'ils pouvaient aisément apercevoir même durant la nuit, avaient jeté dans leur âme la crainte et la frayeur; en sorte que saint Pierre et saint Jean entrèrent sans peine et sans obstacle dans le sépulcre. D'ailleurs Marie-Madeleine, qui leur avait appris la nouvelle de la résurrection du Sauveur, avait déjà remarqué qu'on avait enlevé son corps du tombeau et ôté la pierre qui en fermait l’entrée. Au reste il ne faut pas s'imaginer que l'ange soit descendu exprès du ciel pour ôter cette pierre et ouvrir le sépulcre à Jésus-Christ; mais le Seigneur étant ressuscité à l'heure qu'il Voulut, et qu'aucun homme n'a jamais connue, cet esprit céleste vint apprendre aux fidèles ce qui s'était passé, et faire voir par sa présenté, et par le renversement de la pierre, que le corps de Jésus n'était plus dans le sépulcre; ce que l’on pouvait aisément découvrir à la faveur de cette brillante lumière qui sortait de son visage, et qui faisait disparaître toute l'horreur des ténèbres de la nuit.


Septième question.



Comment accorder ce que nous lisons dans saint Mathieu et dans saint Marc, que lés femmes qui étaient allées au sépulcre avaient eu ordre de dire aux apôtres qu'ils eussent à aller en Galilée et que là ils verraient le Seigneur, avec ce que disent saint Luc et saint Jean, qu'il se fit voir à Jérusalem?

Il y a bien de la différence entre la manière dont le Sauveur apparut aux onze apôtres, "lorsque la crainte qu'ils avaient des Juifs les obligeant à se tenir cachés, il entra dans le lieu où ils étaient, les portes étant fermées, et qu'il leur montra les plaies de ses mains et de son côté, " pour les convaincre qu'il n'était pas un esprit comme ils se l’imaginaient; et entre celle dont il se montra à eux lorsqu'il leur fit voir, comme dit saint Luc, " par beaucoup de preuves, qu'il était vivant, leur apparaissant pendant quarante jours, et leur parlant du royaume de Dieu; et qu'en mangeant avec eux il leur commanda de ne point partir de Jérusalem, mais d'attendre la promesse du Père. " Car dans l'une il se faisait voir à ses apôtres pour les consoler et dissiper leur crainte, ne se montrant à eux que pour peu de temps, et disparaissant aussitôt à leur yeux, au lieu que dans l’autre il conversait avec ses disciples si longtemps et avec tant de familiarité qu'il mangeait même avec eux. C'est pourquoi l'apôtre saint Paul dit que Jésus-Christ se fit voir en même temps à plus de cinq cents de ses disciples. Nous lisons aussi dans saint Jean que, lorsque les apôtres pêchaient , il parut sur le rivage et mangea " un morceau de poisson rôti et un rayon de miel, leur faisant voir par là d'une manière très sensible qu'il était véritablement ressuscité. Or nous ne voyons point qu'il a rien fait de semblable à Jérusalem.


Huitième question.



Comment doit-on expliquer ces paroles de saint Mathieu : "Jésus, jetant un grand cri, rendit l'esprit; en même temps le voile du temple se déchira en deux depuis le haut jusqu’en bas, la terre trembla, les pierres se fendirent, les sépulcres s'ouvrirent, et plusieurs corps des saints qui étaient dans le sommeil de la mort ressuscitèrent; et, sortant de leurs tombeaux après sa résurrection, ils vinrent en la ville sainte, et furent vus de plusieurs personnes? "

J'ai déjà expliqué ce passage dans mes commentaires sur saint Mathieu. Il faut remarquer d'abord qu'il n'y a qu'un Dieu qui puisse quitter la vie et la reprendre quand il lui plaît. De là vient que le centenier voyant que Jésus-Christ, après avoir dit : " Mon Père, je remets mon âme entre vos mains, " avait aussitôt rendu l'esprit volontairement, touché d’un si grand prodige, il s'écria : " Cet homme était vraiment le fils de Dieu. "

"Le voile du temple se déchira en deux, " ce qui vérifie ce que rapporte Joseph, que les anges qui gardaient le temple avaient dit: "Sortons d'ici. " L'évangile que saint Mathieu a écrit en hébreu ne dit pas que le voile se déchira, mais que le haut du portail, qui était d'une prodigieuse grandeur, fut entièrement renversé. "La terre trembla, " ne pouvant soutenir le poids de son Dieu attaché en croix. " Les pierres se fendirent," pour faire voir jusqu'où allait la dureté des Juifs qui refusaient de reconnaître le fils de Dieu qu'ils voyaient de leurs yeux. " Les sépulcres s'ouvrirent, " pour nous marquer que nous devions ressusciter un jour. " Et plusieurs corps des saints, sortant de leurs tombeaux, vinrent en la ville sainte, et furent vus de plusieurs personnes. " Par cette " ville sainte, " on doit entendre Jérusalem, et il ne faut pas la confondre avec toutes les autres villes où l'on adorait les idoles; car il n'y avait que cette ville-là seule qui eût un temple consacré au Seigneur, et où l'on fit profession de la véritable religion et de n'adorer que Dieu seul. Ces saints, qui " sortaient de leurs tombeaux," ne se firent pas voir indifféremment à tout le monde, mais seulement à plusieurs personnes qui s'étaient déclarées pour Jésus-Christ ressuscité.

Expliquons maintenant cet endroit dans un sens spirituel. " Jésus-Christ expira en jetant un grand cri; et en même temps le voile du temple se déchira en deux depuis le haut jusqu'en bas, " afin que toutes les nations pussent voir à découvert tous les mystères de la loi qui auparavant leur étaient cachés. Ce voile se déchire " en deux," pour exposer à nos yeux tout te que renferment l'Ancien et le Nouveau-Testament. Il se déchire "depuis le haut jusqu'en bas," pour nous découvrir tout ce qui s'est fait depuis le commencement du monde et la création de l’homme , ainsi que l'Histoire Sainte nous le rapporte, et tout ce qui se fera jusqu'à la consommation des siècles.

Mais il faut examiner si c’est le voile (1) extérieur

(1) Le voile intérieur couvrait fâche d'alliance et séparait le Saint d'avec le Saint des saints. Nb 26,33. Le voile extérieur était à l’entrée du tabernacle. Ibid. V. 36.

ou le voile intérieur qui se déchira à la mort du Sauveur. Pour moi, il me semble que c'est celui qui était dans le temple et à l'entrée du tabernacle, et qu'on appelait le voile extérieur; car " maintenant nous ne voyons et ne connaissons les choses que d'une manière très imparfaite; mais quand nous serons dans un état parfait," alors le voile extérieur se déchirera, et nous verrons à découvert tous les mystères de la maison de Dieu qui nous sont maintenant cachés; et nous saurons ce que c'est que ces deux chérubins, cet oracle, et ce vase d'or dans lequel on avait renfermé la manne. " Nous ne voyons maintenant que comme en un miroir et en des énigmes. " Il est vrai que le voile qui nous cachait ce qu'il y a d'historique dans l'Ecriture sainte étant déchiré, nous pouvons entrer dans le parvis du tabernacle du Seigneur; mais néanmoins ses secrets et tous les mystères de la Jérusalem céleste sont toujours voilés pour nous, et nous ne saurions les pénétrer.

" La terre trembla " à la mort du Sauveur, et l’on vit alors l'accomplissement de ce que dit le prophète Aggée : " Encore un peu de temps, et j'ébranlerai le ciel et la terre, et le désiré de toutes les nations viendra ; " afin que plusieurs viennent d'Orient et d'Occident prendre place dans le royaume des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob. " Les pierres se fendirent, " c'est-à-dire que la mort de Jésus-Christ toucha les gentils et rompit toute la dureté de leurs coeurs. Par ces " pierres ", l'on peut encore entendre : les prophètes, qui aussi bien que les apôtres ont porté ce nom par rapport à Jésus-Christ, qui est la véritable " pierre ". Or ces pierres se sont" fendues," afin que les gentils vissent à découvert toutes les prophéties que le voile épais de la loi leur cachait. Ces " sépulcres " dont Jésus-Christ a dit dans l'Evangile Vous êtes semblables à des sépulcres blanchis par dehors, mais qui au dedans sont pleins d'ossements de morts, " ces sépulcres, " dis-je, " s’ouvrirent " afin que ceux qui auparavant étaient morts dans leur infidélité, " sortant de leurs tombeaux, " et reprenant une nouvelle vie avec Jésus-Christ vivant et ressuscité, entrassent dans la Jérusalem céleste, pour être citoyens non plus de la terre, mais du ciel, et qu'en mourant avec l'homme terrestre ils " ressuscitassent avec l'homme céleste.

Au reste, pour revenir au sens littéral de ce passage, on ne doit point s'étonner de ce qu'après la mort du Sauveur on appelle Jérusalem "la ville sainte, " puisque, jusqu'à son entière ruine, les apôtres n'ont point fait difficulté d'entrer dans le temple, et, d'observer même les cérémonies de la loi, de peur de scandaliser ceux d'entre les Juifs qui avaient embrassé la foi de Jésus-Christ. Nous voyons même que le Sauveur aima tant cette ville que les malheurs dont elle était menacée lui tirèrent les larmes des yeux, et qu'étant attaché à la croix, il dit à son père : " Pardonnez-leur, mon père, car ils ne savent ce qu'ils font. " Aussi sa prière , fut- elle exaucée, puisque peu de temps après sa mort les Juifs crurent en lui par milliers, et que Dieu accorda à cette malheureuse ville quarante-deux ans pour faire pénitence. Mais enfin ses citoyens n'en ayant pas profité et persistant toujours dans leur malice, Vespasien et Tite, semblables à ces deux ours dont parle l'Écriture (1), sortis du milieu des bois, ont tué et déchiré ces " enfants " qui blasphémaient et insultaient le véritable Elizée lorsqu'il "montait " à la maison de Dieu (car c'est ce que signifie Bethel en hébreu). Or, depuis ce temps-là Jérusalem n'a plus été appelée " la ville sainte ; mais ayant perdu avec sa sainteté le nom qu'elle portait autrefois, on l'a appelée dans un sens spirituel " Égypte " et " Sodome, " et à sa place l'on a bâti une nouvelle ville "qu'un fleuve réjouit par l'abondance de ses eaux, " et du milieu de laquelle sort une fontaine qui a corrigé l'amertume des eaux de toute la terre; de sorte que les malheureux Juifs, dépouillés de leur ancienne gloires sont réduits à gémir sur les ruines de leur temple, tandis que les chrétiens ont le plaisir de voir bâtir tous les jours de nouvelles églises, et qu'ils disent aux habitants de Sion : " Le lieu où je suis est trop étroit

en quoi l'on voit l'accomplissement de ce que dit le prophète Isaïe : " Son sépulcre sera glorieux."

(1) Saint Jérôme fait ici allusion à ce qui est écrit au chap. 2 du quatrième livre des Rois, qu'Elizée allant à Bethel, de petits enfants sortis de la ville se moquèrent de lui en disant: "Monte, chauve, monte, chauve;" et que ce prophète leur ayant donné sa malédiction, deux ours sortirent des bois et déchirèrent quarante-deux de ces enfants.


Neuvième question. - Comment le Sauveur donne-t-il le Saint-Esprit à ses apôtres


...en soufflant sur eux, ainsi que le rapporte saint Jean, puisque, selon saint Luc, il leur promit de le leur envoyer après son ascension?


L'on peut aisément résoudre cette difficulté si l'on considère, comme dit saint Paul, que le Saint-Esprit nous communique plusieurs sortes de grâces. "Il y a diversité de dons spirituels," dit cet apôtre dans sa première épître aux fidèles de Corinthe, "mais il n'y a qu'un même esprit ; il y a diversité de ministères, mais il n'y a qu'un même Seigneur; il y a diversité d'opérations surnaturelles, mais il n'y a qu'un même Dieu qui opère tout en tous. Or les dons du Saint-Esprit qui se font connaître au dehors sont donnés à chacun pour l'utilité de l'Église; l'un reçoit du Saint-Esprit le don de parler dans une haute sagesse; un autre reçoit du même Esprit le don de parler avec science; un autre reçoit la foi par le même Esprit; un autre reçoit du même Esprit la grâce de guérir les maladies; un autre le don de faire des miracles, un autre le don de prophétie, un autre le discernement des esprits, un autre le don de parler diverses langues, un autre l'interprétation des langues. Or c'est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ces dons selon qu'il lui plaît. " (1Co 12,4-11) Le Seigneur donc, comme le rapporte saint Luc dans son évangile, avait dit à ses apôtres après sa résurrection : " Je vais envoyer sur vous le don de mon père qui vous a été promis; mais cependant demeurez dans la ville jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la force d'en-haut; " et dans les Actes des apôtres, selon le même évangéliste, il leur commanda de ne point sortir de Jérusalem, mais d'attendre la promesse du Père, " que vous avez, " leur dit-il, " ouïe de ma bouche; car Jean a baptisé dans l'eau, mais dans peu de jours vous serez baptisés dans le Saint-Esprit." Saint Jean rapporte aussi sur la fin de son évangile que le jour même que Jésus-Christ ressuscita, c'est-à-dire le dimanche, il entra dans le lieu où étaient les apôtres, les portes étant fermées, et que leur ayant dit pour la deuxième fois : " La paix soit avec vous," il ajouta: "Comme mon Père m'a envoyé, je vous envoie aussi de même. Après quoi il souffla sur eux et leur dit: " Recevez le Saint-Esprit : les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez. "

Le premier jour donc de la résurrection du Sauveur, les apôtres reçurent la grâce du Saint-Esprit pour remettre les péchés, pour baptiser, pour faire les hommes enfants de Dieu, et pour communiquer aux fidèles l'esprit d'adoption, selon ce que Jésus-Christ lui-même leur avait dit : "Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez." Mais au jour de la Pentecôte le Sauveur leur promet des dons plus excellents, à savoir qu'ils seront baptisés dans le Saint-Esprit et revêtus de la force d'en-haut, pour prêcher son Évangile à toutes les nations, selon ce que nous lisons au psaume soixante-septième: " Le Seigneur donnera sa parole aux hérauts de sa gloire, afin qu'ils l'annoncent avec une grande force;" de manière qu'ils devaient alors recevoir le don de guérir les maladies, de faire des miracles et de parler diverses langues, destinés qu’ils étaient pour prêcher l'Evangile à plusieurs nations, afin que dès lors on pût connaître à quels peuples chacun des apôtres devait annoncer les vérités évangéliques. De là vient que l'apôtre saint Paul, qui avait porté l’Evangile dans cette vaste étendue de pays qui est depuis Jérusalem jusqu'à l'Illyrie, et qui se à passer par Rome pour aller en Espagne, remercie Dieu de ce qu'il avait reçu le don des langues plus que tous les autres apôtres, parce qu'étant destiné à prêcher l'Evangile à plusieurs nations, il devait aussi parler plusieurs langues.

Or, ce fut le dixième jour après son ascension, comme le rapporte saint Luc, que le Sauveur s'acquitta de la promesse qu'il avait faite à ses apôtres de leur envoyer le Saint-Esprit. " Quand les jours de la Pentecôte furent accomplis, " dit cet historien sacré, " les disciples étant tous ensemble dans un même lieu, on entendit tout à coup un grand bruit comme d'un vent violent et impétueux qui venait du ciel, et qui remplit toute la maison où ils étaient assis. En même temps ils virent paraître comme des langues de feu qui se partagèrent et s'arrêtèrent sur chacun d’eux. Aussitôt ils furent tous remplis du Saint-Esprit, et ils commencèrent à parler diverses langues, selon que le Saint-Esprit leur mettait les paroles à la bouche. Et alors l'on vit l'accomplissement de ce que dit le prophète Joël : " Dans les derniers temps, " dit le Seigneur, " je répandrai Mon esprit sur toute chair: vos fils et vos filles prophétiseront; vos vieillards auront des songes, et vos jeunes gens auront des visions. " Ce mot, " je répandrai, " marque une abondance de grâces, et revient à ce que le Seigneur avait promis à ses apôtres, que dans peu de jours ils seraient " baptisés dans le Saint-Esprit. " En effet ce baptême fut si abondant qu'il remplit toute la maison où les disciples étaient assis, et que le feu du Saint-Esprit, trouvant dans leurs coeurs des dispositions favorables à ses desseins, leur communiqua le don des langues et purifia leurs lèvres, afin qu'ils prêchassent l'Evangile de Jésus-Christ dans toute sa pureté, de même qu'un séraphin avait purifié celles d'Isaïe qui se plaignait d'avoir les lèvres impures et souillées.

Nous lisons dans ce prophète qu'à la voix des deux séraphins qui étaient autour du trône de Dieu, le dessus de la porte du temple fut ébranlé et que toute la maison fut remplie de fumée, c’est-à-dire d’erreur, de ténèbres et d’ignorance. Mais au commencement de l'Evangile, et dès la naissance du christianisme, le Saint-Esprit remplit toute l'Eglise, afin d'effacer par sa chaleur et par sa grâce les péchés de tous les fidèles, et de purifier par le feu de cet Esprit-Saint, que Jésus-Christ avait promis de répandre sur ses apôtres, les lèvres de ceux qui devaient porter son nom par toute la terre.

Lors donc que saint Jean dit que le Sauveur donna le Saint-Esprit à ses apôtres le premier jour de sa résurrection, et saint Luc qu’il ne le leur envoya que cinquante jours après, il ne faut pas s’imaginer que ces deux évangélistes ne s'accordent pas ensemble: ils veulent seulement par là nous marquer les différents degrés de grâces que Jésus-Christ communiqua à ses apôtres, qui, ayant reçu d'abord le pouvoir de remettre les péchés, reçurent ensuite la puissance de faire des miracles, et tous les autres dons détaillés par saint Paul et dont nous avons parlé ci-dessus mais particulièrement celui de parler diverses langues, qui leur était encore plus nécessaire que les autres afin que, dans le ministère dont ils étaient chargés d'annoncer l’Evangile de Jésus-Christ à toutes les nations de la terre, ils n’eussent pas besoin de se servir d'interprète. De là vient que les Licaoniens, ayant entendu saint Paul et saint Barnabé parler en leur langue, les prirent pour des dieux qui s'étaient revêtus d'une forme humaine.

Pour ce qui est de cette " vertu d'en-haut" dont Jésus-Christ avait promis de "revêtir " ses disciples, ce n'est autre chose que la grâce du Saint-Esprit, qui, ayant pris possession du coeur des apôtres, leur inspirait tant de force et de courage qu'ils ne craignaient ni les tribunaux des juges ni la pourpre des rois. C'est ce que le Sauveur leur avait promis avant sa Passion, en leur disant : " Lorsqu'on vous livrera entre les mains des hommes, ne vous mettez point en peine comment vous leur parlerez, ni de ce que vous leur direz, car ce que vous leur devez dire vous sera donné à l'heure même, puisque ce n'est pas vous qui parlez, mais que c'est l'esprit de votre père qui parle en vous. " Pour moi, je ne crains point de dire que, depuis que les apôtres eurent cru en Jésus-Christ, ils eurent toujours le Saint-Esprit, sans la grâce duquel ils n'auraient jamais pu faire tous les miracles qu'ils faisaient ; mais cette grâce avait ses bornes et ses mesures. C'est pour cela que Jésus-Christ disait à haute voix dans le temple: " Si quelqu'un a soif, qu'il revienne à moi et qu'il boive ; si quelqu'un croit en moi, il sortira des fleuves d'eau vive de son coeur; " comme dit l'Ecriture; ce qu'il entendait de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui ; et l'évangéliste ajoute au même endroit : " Car le Saint-Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié." Ce n'est pas à dire qu'il n'y eût point de Saint-Esprit, puisque le Sauveur lui-même disait : " Si je chasse les démons par le Saint-Esprit; " mais c'est que cet Esprit-Saint qui était dans le fils de Dieu n'avait pas encore rempli tout le coeur des apôtres. De là venait cette crainte dont ils furent saisis à la Passion du Sauveur, et qui les porta à le renoncer et à jurer qu'ils ne le connaissaient point; mais après avoir été baptisés dans le Saint-Esprit, remplis qu'ils étaient de la grâce qu'il avait répandue dans leurs coeurs, ils disent hardiment aux princes des Juifs: " Il faut plutôt obéir à Dieu qu'aux hommes. " Alors on les voit ressusciter les morts, triompher au milieu des tourments, répandre leur sang pour Jésus-Christ, et se couronner de leurs propres supplices.

Les apôtres donc n'avaient point encore le Saint-Esprit et les grâces spirituelles ne coulaient point de leur coeur, parce que le Seigneur n'était pas encore glorifié, Mais quelle est cette gloire qu'il attendait? Il nous l'explique lui-même dans l'Evangile lorsqu'il dit " Mon père, glorifiez-moi de cette gloire que j'ai eue en vous avant que le monde fût." La gloire du Sauveur est la croix où il triomphe; il y est attaché comme homme, et il y est glorifié comme Dieu. Voulez-vous des preuves de sa gloire? alors on vit le soleil disparaître, la lune se changer en sang, la terre s'ébranler par des secousses extraordinaires, l'enfer s'ouvrir, les morts marcher, les pierres se fendre. C'est de cette gloire que Jésus-Christ parle par la bouche du prophète-roi lorsqu'il dit. "Levez-vous, ma gloire; excitez-vous, mon luth et ma harpe;" et cette gloire, c'est-à-dire: son humanité sainte, lui répond: "Je me lèverai du grand matin," afin de vérifier par là le titre du psaume vingt et unième qui porte : Pour le secours du matin. Quand je parle de la sorte, je ne prétends pas distinguer en Jésus-Christ le Dieu d'avec l'homme, et faire du fils de Dieu deux personnes différentes, comme les nouveaux hérétiques nous en accusent faussement. Il n'y a en Jésus-Christ qu'une seule et même personne, qui est tout à la fois et fils de Dieu et fils de l'homme; mais dans tout ce que nous a dit ce divin Sauveur il y a des choses qui n'ont rapport qu'à la gloire de sa divinité, et d'autres qui ne regardent que notre propre salut. Car c'est pour nous que, "ne croyant pas que ce fût pour lui une usurpation d'être égal à Dieu, il s'est néanmoins anéanti lui-même en prenant la forme et la nature de serviteur, et se rendant obéissant jusqu'à la mort et jusqu'à la mort de la croix;" c'est pour nous que "le Verbe a été fait chair et qu'il a habité parmi nous."

Le Seigneur ayant donc dit à ses disciples "Je m'en vais, et je vous enverrai un autre consolateur; " et saint Luc ensuite nous assurant que les apôtres ont reçu ce que Jésus-Christ leur avait promis, je m'étonne que Montan et les deux femmes insensées (1) qui suivent son parti et ses erreurs, eux qui ne sont que des avortons de prophètes, prétendent que cette promesse du Sauveur n'a été accomplie que longtemps après en leurs personnes; car c'est aux apôtres que le Sauveur a dit: "Je vais envoyer sur vous le don de mon père qui vous a été promis. Cependant demeurez dans la ville jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la force d'en-haut. " C'est sur les apôtres, et non pas sur Montan, Prisca et Maxilla, que Jésus-Christ a soufflé en leur donnant le Saint -Esprit; c'est aux apôtres qu'il a dit " Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez;" c'est aux apôtres qu'il a commandé de ne point partir de Jérusalem, mais d'attendre la promesse de son père, promesse dont saint Luc nous fait voir ensuite l'accomplissement lorsqu'il dit: " Ils furent tous remplis du Saint-Esprit, et ils commencèrent à parler diverses langues, selon que le Saint-Esprit leur mettait les paroles à la bouche ; car le Saint-Esprit souffle où il veut. " Lorsque Jésus-Christ promet à ses apôtres de leur envoyer" un autre consolateur, " il donne assez à connaître qu'il était lui-même le consolateur de ses apôtres; et c'est l'idée que l’apôtre saint Paul nous donne aussi de Dieu le Père quand il l'appelle le " Dieu des miséricordes et de toute consolation. " Or si le Père est " consolateur," si le Fils est " consolateur, " si le Saint-Esprit est " consolateur, " et si l'on baptise les fidèles au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, qui ne sont qu'un seul Dieu, il s'ensuit que, n'ayant qu'un même nom de Dieu et de consolateur, ils n'ont aussi qu'une même nature.

(1) Prisca et Maxilla.

Au reste les prophètes ont reçu le Saint-Esprit aussi bien que les apôtres. De là vient que David disait: " Ne retirez pas de moi votre Esprit saint. " Nous lisons aussi dans l'Ecriture sainte que Daniel était animé de l'esprit de Dieu, et que c'était par l'inspiration du Saint-Esprit que David disait : " Le Seigneur a dit à mon seigneur : " Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marche-pied. " Ce n'est que par les lumières de cet Esprit saint que les prophètes ont pu prédire les choses à venir. " C'est par la parole du Seigneur, " dit le Psalmiste, " que les cieux ont été affermis, et c'est le souffle de sa bouche qui fait toute leur vertu." Tout ce qui appartient au Père et au Fils appartient aussi au Saint-Esprit. Quand il est envoyé, c'est le Père et le fils qui l’envoient. L'Ecriture sainte l'appelle en mille endroits "l'esprit de Dieu le Père et l'esprit de Jésus-Christ. " De là vient, comme il est rapporté dans les Actes des apôtres, que ceux qui avaient reçu le baptême de Jean et qui croyaient en Dieu le Père et en Jésus-Christ, mais qui ne savaient pas même qu'il y eût un Saint-Esprit, furent baptisés derechef, et l'on peut dire que ce fut alors qu'ils reçurent le véritable baptême, parce que sans le Saint-Esprit il n'y a point de Trinité. Nous lisons encore au même endroit que saint Pierre dit à Ananie et à Saphire qu'en mentant au Saint-Esprit, c'était à Dieu et non pas aux hommes qu'ils avaient menti.

Dixième question.



Comment doit-on entendre ce que dit l'apôtre saint Paul aux Romains, depuis cet endroit " Que dirons-nous donc? Est-ce qu'il y a en Dieu de l'injustice? A Dieu ne plaise que nous ayons cette pensée ! " jusqu'à celui-ci : " Si le Seigneur des armées ne nous avait réservé quelqu'un de notre race, nous serions devenus semblables à Sodome et à Gomorrhe ? "

Toute l'épître aux Romains a besoin d'explication, car elle est si obscure et si remplie de difficultés qu'on ne saurait l'entendre sans le secours du Saint-Esprit, qui l'a dictée lui-même par la bouche de l’Apôtre. Mais l'endroit le plus difficile et le plus embarrassant est celui que vous me proposez. Quelques-uns, pour sauver la justice de Dieu, prétendent que s'il a élu Jacob et rejeté Esaü lorsqu'ils étaient encore dans le sein de Rebecca, ce n'a pu être que pour des raisons qui ont précédé leur naissance; de même qu'il a choisi Jérémie et saint Jean-Baptiste dès le sein de leurs mères, et destiné l'apôtre saint Paul, avant même qu'il fût né, pour prêcher l'Evangile.

Pour moi, je ne saurais approuver que ce qui est reçu de tous les fidèles, et ce que je puis sans crainte enseigner publiquement dans l'Eglise, de peur de tomber dans les illusions et les rêveries de Pythagore, de Platon, et des disciples de ceux qui, voulant faire passer les opinions des païens pour des dogmes de religion, disent que les âmes sont tombées du ciel et que, selon leurs différents mérités, elles ont été unies à certains corps pour y expier leurs anciens péchés. Je crois qu'il vaut beaucoup mieux avouer de bonne foi notre ignorance, et mettre ce passage de saint Paul au nombre des mystères dont nous ne saurions pénétrer la profondeur, que de s'engager, sous prétexte de justifier la conduite de Dieu, dans les hérésies de Basilide et de Manès, dans les monstrueuses opinions ! qu'un certain Egyptien a débitées, et dans les visions chimériques avec lesquelles on a trompé les Espagnols. Expliquons donc ce passage du mieux qu'il nous sera possible, et suivons saint Paul pied à pied sans nous écarter de ses sentiments.

Cet apôtre, prenant le Saint-Esprit même à témoin de la douleur sincère dont son coeur est pénétré, commence d'abord par déplorer l'aveuglement de ses frères et de ses parents selon la chair; c'est-à-dire : des Israélites, qui avaient méconnu et rejeté le fils de Dieu, eux à qui appartenait l’adoption des enfants de pieu, sa gloire, son alliance, sa loi, son culte et ses promesses, et desquels Jésus-Christ même est sorti selon la chair par la naissance qu'il a reçue de Marie. Et cette douleur dont il se sent pressé est si vive et si continuelle qu'il souhaite de devenir lui-même anathème, et d'être séparé de Jésus-Christ, c'est-à-dire de périr tout seul pour empêcher que tout Israël ne périsse. Sur quoi. prévoyant qu'on ne manquerait pas de lui dire : Quoi donc ! Est-ce que tous les Israélites sont perdu? N'avez-vous pas reconnu vous-même Jésus-Christ pour le fils de Dieu ? les autres apôtres et une infinité de personnes d'entre les Juifs ne l'ont-ils pas reconnu? voici ce qu'il répond à cette objection. L'Ecriture sainte représente Israël sous deux idées différentes, et sous la figure de deux enfants, dont l'un est selon la chair et l’autre selon l'esprit et la promesse. Abraham a eu deux enfants , Ismaël et Isaac ; celui-là étant né selon la chair, n'a point de part à l'héritage de son père ; et celui- ci, étant né de Sara selon la promesse, est appelé enfant de Dieu, suivant ce que dit l'Ecriture : " C'est Isaac qui sera appelé votre fils; " c'est-à-dire que ceux qui sont " enfants selon la chair " ne sont pas pour cela enfants de Dieu, mais que ce sont les " enfants de la promesse " qui sont réputés être les enfants d'Abraham.

Cette vérité parait non-seulement dans Ismaël et Isaac, trais encore dans les deux enfants de Rebecca, Esaü et Jacob, desquels Dieu a choisi l'un et rejeté l'autre. Saint Paul prétend faire voir par là que les deux aînés de ces frères, Ismaël et Esaü, sont la figure de la réprobation du peuple juif, et que les deux cadets,

(1) C’est-à-dire les erreurs qu'un certain Egyptien nommé Marc avait répandues en Espagne et en Portuga1.

Isaac et Jacob, nous représentent le choix que Dieu a fait des gentils et de ceux d'entre les Juifs qui devaient croire en Jésus-Christ. Mais parce que, pour prouver son sentiment, il s'était servi de l'exemple de deux frères jumeaux, Esaü et Jacob, dont il est écrit : " L'aîné sera assujetti au plus jeune ; " et dans le prophète Malachie : " J'ai aimé Jacob et j'ai haï Esaü," il se fait à lui-même et explique selon sa coutume l'objection qu'il prévoyait bien qu'on pouvait lui faire sur cela, et après l'avoir réfutée il revient à son sujet. S'il est vrai, dit cet apôtre, que l'élection de Jacob et la réprobation d'Esaü, " qui n'étaient pas encore nés et qui n'avaient fait ni aucun bien ni aucun mal" pour se rendre dignes ou des bontés ou de la colère de Dieu, est un effet non pas de leurs propres mérites, mais de la volonté de celui qui a choisi l'un et rejeté l'autre, " que dirons-nous donc? Est-ce que Dieu est injuste? " suivant ce qu'il dit lui-même à Moïse : " Je ferai miséricorde à qui il me plaira de faite miséricorde, et j'aurai pitié de qui il me plaira d’avoir pitié. " Si nous croyons que Dieu fait tout ce qu'il veut, et qu'il choisit les uns et rejette les autres sans avoir aucun égard à leur mérite et à leurs oeuvres, "cela ne dépend donc ni de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde; " comme il paraît d'une manière très sensible par ces paroles que le même Dieu dit dans l'Ecriture à Pharaon : " C'est pour cela même que je vous ai établi pour faire éclater en vous ma toute-puissance, et pour rendre mon nom célèbre par toute la terre. " Si cela est ainsi, et si Dieu, selon qu'il lui plaît, fait miséricorde à Israël et endurcit Pharaon, c'est donc à tort qu'il se plaint et qu'il nous reproche ou de n'avoir pas fait le bien, ou d'avoir fait le mal, puisque, sans avoir égard ni à nos bonnes ni à nos mauvaises actions, il peut quand il lui plaît choisir les uns et réprouver les autres, surtout l'homme étant trop faible pour s'opposer à ses volontés.

Or voici ce que l'apôtre saint Paul répond à cet argument qui est très fort de lui-même et qui, étant appuyé sur l'autorité de l'Ecriture sainte, paraît presque invincible: " O homme, qui êtes-vous pour contester avec Dieu? " c'est-à-dire : Puisque vous contestez avec Dieu, que vous vous élevez contre lui, que vous cherchez dans les saintes Ecritures tant de preuves et d'autorités pour condamner sa conduite, et que vous l'accusez de vouloir et de faire des choses injustes, vous faites voir par là que vous ayez le libre arbitre, que vous pouvez faire tout ce que vous voulez, et qu'il est en votre pouvoir de vous taire ou de parler quand il vous plaît. Car si vous êtes persuadé que Dieu vous a fait de la même manière qu'un potier fait un vase d'argile, et que vous ne pouvez pas résister à sa volonté, faites réflexion " qu'un vase d'argile ne dit pas à celui qui l'a fait: " Pourquoi m'avez- vous fait de la sorte?" car le potier a le pouvoir de faire d'une même terre, ou d'une même masse d'argile, un vase d'argile destiné à des usages honorables, et un autre destiné à des usages vils et honteux. " Mais Dieu a fait tous les hommes d'une même nature et d'une même condition; il leur a donné en les formant la liberté de faire tout ce qu'il leur plaît, et de se porter à leur gré ou au bien ou au mal; et cette liberté est si pleine et si entière qu'il y en a qui portent leur impiété jusqu'à disputer contre leur créateur et à vouloir examiner les raisons de sa conduite.

" Qui peut se plaindre de Dieu , " continue l'Apôtre, " si, voulant montrer sa juste colère et faire connaître sa puissance, il souffre avec une patience extrême les vases de colère destinés à la perdition, afin de faire paraître les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde qu'il a destinés à sa gloire? sur nous qu'il a appelés non-seulement d'entre les Juifs, mais aussi d'entre les gentils? selon ce qu'il dit lui-même par la bouche du prophète Osée "J'appellerai mon peuple ceux qui n'étaient point mon peuple; ma bien-aimée celle que je n'avais point aimée; et il arrivera que dans le même lieu où je leur avais dit autrefois: "Vous n'êtes point mon peuple, " ils seront appelés les enfants du Dieu vivant, etc. " Si la patience de Dieu, dit saint Paul, n'a servi qu'à endurcir le coeur de Pharaon, et si le Seigneur a différé si longtemps de punir les Israélites, afin de pouvoir condamner avec plus de justice ceux dont il avait souffert les impiétés avec tant de patience, ce n'est pas sa bonté infinie et son extrême patience qu'il faut condamner, c'est la dureté de ceux qui se sont perdus par le mauvais usage qu'ils oint fait de ses bontés et de ses miséricordes. Considérez le soleil ; sa chaleur est toujours la même ; cependant elle produit des effets différents selon la nature des différents sujets sur qui elle agit, amollissant les uns, affermissant les autres, désunissant ceux-ci, resserrant ceux-là, faisant fondre la cire et endurcissant la boue, quoique cette chaleur ne change jamais de nature. Il en est de même de Dieu; car par sa bonté et par sa clémence il endurcit les vases de colère destinés à la perdition, c'est-à-dire : le peuple d'Israël; mais pour ce qui est des vases de miséricorde qu'il a destinés à sa gloire, c'est-à-dire nous autres., qu'il a appelés non-seulement d'entre les Juifs, mais aussi d'entre les gentils, il ne les sauve pas sans raison et sans un juste discernement; il agit en cela pour des causes antécédentes, parce que les uns ont rejeté le fils de Dieu et que les autres ont bien voulu le recevoir.

Or, par ces vases de miséricorde " on doit entendre non-seulement les gentils, mais encore ceux d'entre les Juifs qui ont voulu croire en Jésus-Christ et qui, conjointement avec ceux-là, ne font plus qu'un seul peuple de fidèles; ce qui fait voir que Dieu, dans le choix qu'il fait, ne considère pas les nations, mais les volontés des hommes. Et en cela fon a vu l'accomplissement de ce que dit le prophète Osée "J'appellerai mon peuple ceux qui n'étaient pas mon peuple, " c'est-à-dire : les gentils, " et ceux à qui j'avais dit autrefois; " Vous n'êtes point mon peuple, " seront maintenant appelés les enfants du Dieu vivant; " et de peur qu'on n'appliquât cette prédiction qu'aux gentils, saint Paul appelle aussi des " vases d'élection et de miséricorde "ceux d'entre les Juifs qui ont cru en Jésus-Christ; car, " pour ce qui est d'Israël, " dit cet apôtre, " Isaïe s'écrie: "Quand le nombre des enfants d'Israël serait égal à celui du sable de la mer, il n'y en aura qu'un petit reste de sauvés; " c'est-à-dire: Quoique tous les enfants d'Israël ne croient pas en Jésus-Christ, il y en aura pourtant quelques-uns, mais en petit nombre, qui croiront en lui; " car Dieu, dans sa justice, a consumé et retranché de son peuple, " en sauvant par l'incarnation et les humiliations de Jésus-Christ ceux qui ont bien voulu croire en lui. C'est ce que le prophète Isaïe nous dit dans un autre endroit: " Si le Seigneur des armées ne nous avait réservé que quelques-uns de notre race, nous serions devenus semblables à Sodome et à Gomorrhe. "

Saint Paul; après avoir rapporté les passages de l'Ecriture où les prophètes ont prédit la double vocation des gentils et des Juifs, revient à son sujet et dit. que les gentils, qui ne cherchaient point la justice, l'ont néanmoins embrassée, parce qu'ils ont cru en Jésus-Christ sans faire vanité de leurs oeuvres , et qu'au contraire la plupart des Israélites se sont perdus parce qu'ils " se sont heurtés contre la pierre d'achoppement et de scandale, et que, ne connaissant point la justice qui vient de Dieu, et s'efforçant d'établir leur propre justice, ils ne se sont point soumis à la justice de Dieu, " c'est-à-dire : à Jésus-Christ " qui nous a été donné de Dieu pour être notre justice. "

Un certain auteur, dont j'ai lu les commentaires, prétend que saint Paul par sa réponse a plutôt embarrassé cette question qu'il ne l'a expliquée; car, après s'être proposé cette objection : " Que dirons-nous donc? Est-ce qu'il y a en Dieu de l'injustice?" après avoir dit

" Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde; " et " Dieu fait miséricorde à qui il lui plaît et endurcit qui il lui plaît; " et derechef " Qui peut résister à sa volonté? " voici, dit cet auteur, ce que répond l’apôtre : O homme, qui n'êtes que terre et que cendre, osez-vous bien faire cette question à Dieu? Voulez-vous vous révolter contre celui qui vous a fait, vous qui n'êtes qu'un vase d'argile et la fragilité même? Un vase de terre peut-il dire à celui qui l'a fait : Pourquoi m'avez-vous fait de la sorte? Le potier n'a-t-il pas le pouvoir de l'aire de la même masse d'argile un vase destiné à des usages honorables et un autre destiné à des usages vils et honteux? Demeurez donc dans un éternel silence; reconnaissez votre propre fragilité, et ne demandez point compte à Dieu de ses actions, puisqu'en traitant les uns avec miséricorde et les autres avec sévérité, il n'a fait que ce qu'il a voulu.



Jérôme Critique sacrée - Sixième question.