Chrysostome Disc. Gn 800

HUITIÈME DISCOURS - Sur le temps qui est à la pluie;

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— sur les évêques qui se trouvent réunis ; — sur le précepte donné à Adam; — la loi qu'il a reçue est un effet de la grande sollicitude de Dieu.

ANALYSE

l. Exorde tiré d'une circonstance de temps et de la personne de l'évêque Flavien. Résumé du dernier discours. Si la loi est la cause du péché. — 2. La loi est le plus grand bien que Dieu ait accordé à son peuple : Non fecit taliter omni nationi, et judicia sua non manifestavit eis. — 2. Confirmation de cette même vérité par plusieurs textes. Conclusion et exhortation.

801 1. Les nuages amoncelés ont attristé le jour, mais la présence de notre docteur (1) lui a rendu sa clarté. Le soleil, du haut de la voûte du ciel, nous envoie des rayons qui versent, sur nos corps, moins de lumière, que n'en répand sur nos âmes du haut de son trône rayonnant, le Père que nous aimons.

Il le sait bien lui-même; aussi n'est-il pas venu seul; il amène, avec lui, cette pléiade resplendissante, pour ajouter à l'éclat d'une si vive lumière. Aussi notre Eglise tressaille d'allégresse, le troupeau bondit, et notre confiance redouble en commençant notre discours. C'est qu'en effet, où les bergers se rassemblent, les brebis sont en sécurité; de même les matelots se réjouissent quand ils voient un grand nombre de pilotes; car, si la mer est tranquille, et le ciel serein, les pilotes, en manoeuvrant le gouvernail, rendent plus léger le travail des rameurs; et quand les tempêtes soulèvent les vagues, les pilotes combinant leur industrie et tous leurs efforts, apaisent le combat des flots. Voilà pourquoi, nous aussi, nous commençons plein d'une bonne espérance

1. L’évêque Flavien.

ce discours destiné à vous instruire, et nous confions le tout à leurs prières. Maintenant, pour que vous puissiez, plus facilement et mieux, comprendre ce que nous avons à vous dire, nous vous résumerons rapidement ce qu'hier vous avez entendu. J'ai dit: que, même avant de manger du fruit de l'arbre, l'homme avait le discernement du bien et du mal; et que ce n'est pas seulement après avoir goûté du fruit de l'arbre, qu'il a reçu cette connaissance. J'ai dit pourquoi cet arbre a été appelé, l'arbre de la science du bien et du mal ; que c'est l'usage de l'Ecriture, de donner, aux lieux et aux temps, des noms pris des événements qui s'y sont accomplis. Aujourd'hui, ce qui convient, c'est de vous lire le commandement même qui interdisait de manger du fruit de cet arbre. Quel est donc ce commandement? Et le Seigneur Dieu fit à Adam ce commandement et lui dit: Mangez de tous les fruits des arbres du paradis. (
Gn 2,16) C'est la loi de Dieu, soyons attentifs. Si les hommes qui font la lecture des rescrits de l'empereur commandent à l'assemblée de se lever tout entière, à plus forte raison faut-il, (474) quand nous allons faire la lecture, non pas des lois des hommes, mais de la loi de Dieu, nous 1enirdebout, par la pensée, et appliquer toute notre attention, aux paroles qui se font entendre.

Je n'ignore pas que certaines personnes accusent le législateur, en disant que la loi a été une occasion de chute; c'est tout d'abord cette accusation que nous devons combattre, et nous montrerons, en nous appuyant sur la réalité même des faits, que ce n'est pas par haine pour l'homme, que ce n'est pas pour faire outrage à notre nature, mais par amour, par sollicitude pour nous, que Dieu nous a donné la loi. Voici qui va vous apprendre que cette loi nous a été donnée pour nous servir d'auxiliaire : écoutez Isaïe : Il nous a donné la loi pour nous servir de secours. (Is 8,20) Celui qui déteste ne porte pas de secours. Autre passage du prophète s'écriant : Votre parole est une lanterne pour mes pieds, une lumière qui éclaire mes sentiers. (Ps 118,105) Celui qui déteste ne porte pas la lanterne qui dissipe les ténèbres; il ne conduit pas, avec une lumière, le voyageur errant. Ecoulez maintenant Salomon : Le précepte de la loi c'est une lanterne, c'est la lumière et la vie, et le redressement, et l'enseignement. (Pr 6,23) Voyez-vous que ce n'est plus seulement un secours ni une lanterne, mais de plus, et la lumière, et la vie ? Or, je ne vois pas là les preuves de la haine, la volonté de vous perdre, mais une main qui vous est tendue pour vous relever. Aussi, lorsque Paul s'emporte contre les Juifs, en leur montrant l'utilité de la loi, il leur dit, pour leur prouver que la loi ne nous est pas imposée comme un fardeau, qu'au contraire elle nous ranime : Mais vous, qui portez le nom de Juifs, qui vous glorifiez des faveurs de la loi. (Rm 2,17) Voyez-vous que ce n'est pas pour nous imposer un fardeau, mais pour nous ranimer que Dieu a donné la loi?. Voulez-vous comprendre maintenant que Dieu l'a donnée aussi, afin de nous faire honneur ? Nos preuves, jusqu'à présent, suffisaient pour montrer l'honneur qui nous a été fait, le soin que Dieu a pris de nous. Mais cela même, je veux le démontrer encore, par d'autres témoignages : Jérusalem, loue le Seigneur; Sion, loue ton Dieu, car il a fortifié les serrures de tes portes, et il a béni tes enfants, au milieu de toi; il a établi la paix,sur tes frontières, et il te rassasie du meilleur froment. (Ps 147,12) Ensuite, après avoir rappelé les bienfaits qu'il nous a procurés par d'autres créatures, il y joint ce principal bienfait, plus considérable que tous les autres, il dit : Il annonce sa parole à Jacob, ses jugements et ses ordonnances à Israël, il n'a point traité de la sorte toutes les autres nations et il ne leur a point manifesté ses préceptes. (Ps 19,20) Voyez quelle énumération de bienfaits ! La sécurité de la ville: Car il a fortifié, dit-il, les serrures de tes portes : les guerres écartées: Il a établi, dit-il, la paix sur tes frontières : l'abondance des vivres : Et il te rassasie du meilleur froment. Cependant il déclare que le présent qu'il fait de la loi, est le plus précieux de tous. Car, la sécurité, la paix, le bonheur de voir écarter la guerre, l'abondance heureuse des enfants, la fécondité des fruits de la terre, sont des biens beaucoup moins précieux, que d'avoir reçu la loi en présent; que d'avoir appris les jugements du Seigneur; et pour cette raison, le Prophète réserve ce don comme le dernier, après tant d'autres, et il ajoute : Il n'a point traité de la sorte toutes les autres nations. De la sorte, qu'est-ce que cela veut dire? Certes, la fécondité, l'abondance de la terre, les autres biens énumérés, ont été souvent le partage d'un grand nombre d'hommes, mais, dit le Prophète, je ne parle pas de ces biens-là, je parle de la loi, et Dieu, à cet égard, n'a pas agi de même avec toutes les autres nations; voilà pourquoi il ajoute : Et il ne leur a point manifesté ses préceptes. Vous voyez que de tous les biens énumérés, le plus précieux, c'est la loi.

802 2. Ce que Jérémie, à son tour, a manifesté quand il pleurait sur les tribus captives; il disait : Pourquoi es-tu sur la terre des ennemis? Tu as délaissé la source de la sagesse. (Ba 3,10) C'est la loi, qu'il appelle ainsi, Comme une source envoie de tous côtés, un grand nombre de ruisseaux, ainsi la loi verse de tous côtés, un grand nombre de préceptes, qui arrosent notre âme. Jérémie, montrant ensuite le principal honneur à nous conféré par la loi, disait : Cette sagesse n'a pas été entendue dans Chanaan ; elle n'a pas été vue dans Tehoeman, et les fils d'Agar, ces marchands et ces faiseurs de recherches, n'ont pas trouvé sa voie, et ils ne se sont pas souvenus de ses sentiers. (Ba 22,23) Et, pour démontrer que cette loi est spirituelle et divine: Qui est monté, dit-il, (475) dans le ciel et l'en a tirée. (Ba 29) Aussitôt il ajoute : C'est notre Dieu; aucun autre ne ara estimé auprès de lui; il a trouvé toutes les vies de la science, et il les a montrées à Jacob e enfant, et à Israël son bien-aimé. (Ba 36,37) C'est pour cela que David à son tour disait: Il n'a point traité de la sorte toutes les autres nations, et il ne leur a point manifesté ses préceptes. Et Paul insinuait cette pensée, quand il disait: Quel est donc l'avantage des Juifs; et quelle est l'utilité de la circoncision? (Rm 3,1) Voyez-vous comme ici les preuves abondent de mille manières ? D'abord c'est qu'ils n'ont pas cru aux paroles de Dieu. Voyez-vous de quelle manière Paul aussi a proclamé cette vérité : Il n'a point traité de ta sorte toutes les autres nations, et il ne leur a point manifesté ses préceptes? En effet, si c'est l'avantage des Juifs qu'eux seuls; parmi tant d'autres hommes, ont été honorés du don de la loi écrite, ce n'est pas pour nous imposer un fardeau, mais pour nous faire honneur, que Dieu nous a donné la loi; et l'honneur que Dieu nous a fait, ne consiste pas seulement en ce qu'il nous a donné la loi, mais encore en ce qu'il nous l'a donnée lui-même. Voilà, en effet, le plus grand honneur; il n'a pas seulement répandu des biens, mais c'est par lui-même qu'il les a répandus. Voilà, certes, un grand don, écoutez Paul. Comme il voyait que les Juifs étaient enflés d'orgueil, parce que les prophètes étaient venus pour eux, Paul, voulant réprimer leur arrogance, et montrer que nous avons reçu un plus grand honneur, nous, à qui la doctrine n'a pas été donnée par un serviteur de Dieu, mais parle Seigneur même, voici ce qu'il écrit aux Hébreux : Dieu ayant parlé, autrefois, à nos pères, en divers temps, et en diverses manières, par les prophètes, nous, a enfin parlé, en ces derniers jours, par son Fils unique. (He 1,1) Et ailleurs encore : Et non-seulement nous avons été réconciliés, mais nous nous glorifions même en, Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, par qui nous avons obtenu maintenant cette réconciliation. (Rm 5,11) Voyez-vous comme il ne se glorifie pas seulement de la réconciliation, mais encore de la réconciliation obtenue par Jésus-Christ? Et, dans un autre passage, quand il célèbre la résurrection, il dit : Le Seigneur lui-même descendra du ciel. (1Th 4,16) Comprenez qu'ici encore, tout se fait, s'accomplit par le Seigneur; et ce n'est pas par l'entremise d'un serviteur quelconque, par un ange, par un archange, c'est lui-même de sa propre personne qui a donné le précepte à Adam, faisant à l'homme un double honneur : l'honneur de lui donner la loi, l'honneur de la donner lui-même. Comment donc l'homme est-il tombé? A cause de sa négligence; et c'est ce que fait voir le grand nombre de justes qui ont reçu la loi, et qui ne sont pas tombés, mais qui ont fait plus qu'il ne leur avait été commandé. Je vois que le temps nous presse; nous renverrons ces réflexions à un autre entretien; quant à vous, retenez les paroles que vous avez entendues, conservez-les dans votre mémoire, instruisez ceux qui ne les ont pas entendues dans l'église, sur la placé publique, à la maison, qu'elles soient le sujet des méditations de chacun de vous; car il n'est rien de plus doux que d'entendre la divine parole. Ecoutez ce que dit le prophète : Que tes paroles sont douces à ma gorge! elles le sont plus que le rayon de miel pour ma bouche. (Ps 118,103) Ce rayon de miel, servez-le, le soir, sur votre table, pour la remplir tout entière du plaisir qui vient de l'Esprit. Ne voyez-vous pas que les hommes opulents font venir à la fin du repas, des joueurs de lyre et des joueurs de flûte? Ils font, de leur maison un théâtre; vous au contraire, faites de votre maison le ciel. Ce qui vous sera facile, sans changer les murailles, sans déranger les fondations; appelez à votre table Celui qui commande au plus haut dès cieux. Dieu ne rougit pas d'assister à de tels festins; car c'est là que règnent la doctrine spirituelle, et la tempérance, et la gravité et la douceur. Là où le mari, la femme et les enfants vivent dans la,concorde, enchaînés tous ensemble par les liens de l'affection et de là vertu, là réside aussi le Christ; il ne recherche pas les lambris dorés, les colonnes resplendissantes, les beaux marbres, mais la beauté de l'âme, la grâce des pensées, une table couverte des fruits abondants de la justice et de l'aumône. A l'aspect d'un pareil service, il lui tarde de prendre sa part du festin ; il s'assied à la table, c'est lui-même qui l'a dit : J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger. (Mt 25,35) Aussi, quand vous avez écouté le pauvre, dont le cri est monté jusqu'à vous, quand vous avez donné à l'indigent, une part quelconque des mets de votre table, c'est le Seigneur que vous avez invité, en invitant son serviteur, et votre table, vous l'avez aussitôt (476) comblée de toutes les bénédictions; en offrant vos prémices, vous avez saisi l'occasion la plus favorable d'attirer sur vous la plénitude de tous les biens. Que le Dieu de paix et d'amour; qui donne le pain à celui qui le mange, et la semence au semeur, multiplie votre semence., fasse croître en vous tous, les fruits de la justice, vous communique sa grâce, et daigne vous appeler à son royaume des cieux. Puissions-nous obtenir, tous tant que-nous sommes, un tel partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ à qui appartient, en même temps qu'au Père, la gloire, l'honneur, la puissance, ainsi qu'au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




NEUVIÈME DISCOURS - De quelle manière il faut reprendre ses frères,

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et qu'il convient d'avoir soin de leur salut; — et pourquoi Abram a été appelé Abraham. — Réflexions sur le nom de Noé : que les noms de ces hommes justes ne leur ont pas été donnés au hasard, mais par une disposition de la providence de Dieu.

AVERTISSEMENT & ANALYSE.

Ce discours, quoique prononcé longtemps après les huit précédents, qui l'ont été en 386, a été placé ici à cause de la ressemblance des matières. Il fut fait la même année que les 32 premières homélies sur la Genèse, que les homélies sur le commencement des Actes et sur les changements de noms. Quelle est cette année? c'est ce que nous n'avons pas encore pu découvrir; nous savons seulement que cette année, quelle qu'elle soit, est postérieure à 387. Ce discours suivit immédiatement la seconde homélie sur les changements de noms. L'exorde, comme ceux des deux précédents, en ayant été très-long, le peuple d'Antioche s'en plaignit, et ses plaintes furent l'occasion de l’homélie De ferendis reprehensionibus, qui figure parmi les homélies sur les changements de noms.

1. L'orateur se croit obligé de résumer sa dernière instruction en faveur de ceux qui ne l'ont pas entendue ; si ceux qui l'ont entendue s'en plaignent, qu'ils sachent que le zèle doit être tempéré par la miséricorde. L'homme spirituel est celui qui porte secours à son prochain. — 2. La mutuelle charité est le signe distinctif des chrétiens. — 3. Résumé de la deuxième homélie sur les changements de noms. Abraham fut aussi parfait que les disciples de Jésus-Christ. — 4. La foi d'Abraham trouva sa récompense dans l'accomplissement des promesses de Dieu, plus sûres que les réalités de ce monde. — 5. L'orateur résume la doctrine qu'il a déduite de l'histoire d'Abraham. Les fils ne sont pas coupables de l’iniquité de leurs pères : devoirs des fils envers leurs parents lorsque ceux-ci sont infidèles. Le libre arbitre. Interprétation du nom de Noé.

901 1. Si vous pouviez savoir, ce que nous avons dit précédemment, ce que nous avons laissé de côté, où s'est arrêté notre discours d'hier, par où il convient de commencer le discours d'aujourd'hui, nous rattacherions sans préambule nos premières paroles à celles que nous avons prononcées hier, en terminant. Mais, comme un grand nombre de nos auditeurs d'hier sont absents aujourd'hui, que, parmi ceux qui sont aujourd'hui présents, un grand nombre ne nous ont pas entendu hier, la diversité de nos auditeurs nous force de reprendre ce que nous avons expliqué. Il en résultera que ceux qui nous ont déjà entendu, conserveront mieux le souvenir de nos paroles; que ceux qui furent absents hier, n'auront pas fout perdu, grâce à l'exposition qui leur résumera l'enseignement déjà donné. Peut-être ceux qui ne manquent jamais à nos réunions, prétendront-ils que nous ne devrions pas, en considération des absents, reprendre ce que nous avons déjà dit; qu'il serait bon au contraire de corriger ceux qui ont dédaigné de venir, en leur laissant subir une perte qui les rendrait à l'avenir plus diligents.

Je vous félicite de vous montrer ainsi affligés de la négligence de vos frères, et j'admire votre zèle ; mais je veux que votre zèle soit tempéré par la charité. En effet; un zèle qui ne pardonne pas, est plutôt de la colère que du zèle; un avertissement sans douceur, est une espèce de haine. C'est pourquoi je vous prie de ne pas censurer avec amertume les péchés d'autrui; car, de même que celui qui voit sans être ému de pitié, les blessures de ses frères, sera traité sans indulgence, quand il tombera (478) lui-même dans le péché; de même, l'homme miséricordieux que touche la pitié, quand le prochain succombe, trouvera lui-même, s'il vient à tomber, un grand nombre d'amis pour lui tendre la main. Et ce que je dis maintenant, ce n'est pas afin d'encourager la négligence de ceux qui se montrent rarement au milieu de nous; mais c'est que je désire voir s'augmenter notre zèle pour eux, de telle sorte que notre sollicitude soit un tempérament de sagesse et d'affection. Je sais bien d'ailleurs, que nous aussi, ces jours passés, nous avons prononcé contre eux grand nombre de longs discours et nous avons dit qu'ils ne méritaient pas d'être appelés des hommes. Vous vous souvenez que nous avons suscité contre eux les prophètes, deux surtout, dont l'un dit ces paroles : Je suis venu, et il ne s'est point trouvé d'hommes ; j’ai appelé, et il ne s'est pas trouvé d’auditeur. (
Is 50,2) Un autre prophète s'écrie et dit : A qui adresserai-je ma parole et qui conjurerai-je de m'écouter? Leurs oreilles sont incirconcises et ils ne peuvent entendre. (Jr 6,10) Par ces paroles, nous les avons assez sévèrement traités; mais à présent, nous prenons un autre langage et nous leur adressons des prières; car, c'est Paul qui nous en donne le conseil: Reprenez, dit-il, réprimandez, suppliez. (2Tm 4,2) Et en. effet, il ne faut pas se borner toujours, soit à la réprimande soit à la prière qui supplie, mais il faut employer alternativement la réprimande et la prière, afin qu'il en résulté une plus grande utilité. Si nous ne faisions jamais que les réprimander, ils perdraient, de plus en plus, toute honte; si nous ne faisions jamais que supplier, ils deviendraient de plus en plus relâchés. Les médecins le savent bien : ils ne se bornent pas à couper les chairs, mais ils pansent aussi les blessures; ils ne prescrivent pas toujours des breuvages amers, mais parfois des potions agréables. Ces amers breuvages purifient lé sang; les potions plus douces calment les douleurs, et voilà pourquoi, dans un autre endroit, Paul dit encore : Mes frères, si un homme est tombé par surprise en quelque péché, vous autres qui êtes spirituels, ayez soin de lé relever, dans un, esprit de douceur, chacun de vous faisant réflexion sur soi-même et craignant d'être tenté, aussi bien que lui. (Ga 6,1) Avertissement excellent; conseil parfait, qui montre les entrailles d'un père; digne de sa grande sollicitude pour nous; Mes frères : voilà le vrai langage de Paul, voilà un titre suffisant pour conquérir la bienveillance de l'auditeur. C'est comme s'il disait : Vous êtes sortis des mêmes flancs, vous devez la vie aux mêmes douleurs, vous avez eu même nourriture, même père, qui vous a enfantés, par le spirituel enfantement; montrez cette parenté, cette fraternité, même quand vous corrigez les péchés du prochain. Si un homme est tombé, par surprise. Il ne dit pas : Si un homme a péché, mais il s'empresse de montrer un genre de péché qui mérite particulièrement l'indulgence. Si un homme est tombé par surprise, c'est-à-dire, a succombé à une tentation forte, s'est égaré; il n'entend pas celui qui a péché de propos délibéré, mais celui qui, voulant bien faire, a été renversé, vaincu par le pouvoir du démon. Un tel homme mérite moins d'être accusé, que d'obtenir son pardon. Si un homme est tombé par surprise, un homme; autre raison d'excusé, la faiblesse de la nature, qu'il s'est empressé d'indiquer par le mot homme. Donc, de même que cet homme d'un si grand coeur, Job, voulant se concilier la clémence de Dieu, disait : Qu'est-ce qui l'homme pour mériter que vous le regardiez comme quelque chose, et que vous observiez ses péchés ? de même, nous, à notre tour, hâtons-nous de dire, quand un homme est en cause pour ses péchés : c'est un homme, et tempérons, par la considération de la nature, l'excès de l'indignation. Voilà pourquoi Paul s'empresse d'indiquer l'infirmité de la nature, en disant : Si un homme est tombé, par surprise dans quelque péché. Il ne dit pas les grands péchés, qui ne méritent ni indulgence, ni pardon, mais les petits, où se font les faux pas. Vous qui êtes spirituels. Celui qui pèche, c'est l'homme; mais ceux qui font les bonnes oeuvres, il les nomme spirituels; pour le pécheur, il emploie le terme qui marque la nature; il applique aux autres le nom qui désigne la vertu.

Il y a une grande différence entre l'homme, et l'être spirituel. Vous qui êtes spirituels. Si tu es spirituel, montre-moi ta force, non pas en opérant ton salut, mais en opérant mon salut, mais en m'apportant ton secours, à moi qui suis tombé. C'est là, en effet, le propre de celui qui est spirituel; il ne dédaigne pas ses membres en péril. Ayez soin de le relever. Faites, dit-il, qu'on ne puisse pas le prendre, qu'il ne se fatigue pas en combattant, que, (479) dans sa lutte contre le démon, il ne succombe pas. Chacun de vous, faisant réflexion sur soi-même, et craignant d'être tenté, aussi bien que lui.

902 2. Voilà le conseil par excellence, l'avertissement le plus puissant pour forcer la volonté.. Fussiez-vous de pierre, quand vous entendez cette parole, elle suffit pour vous inspirer la terreur, pour vous exciter à secourir celui qui est tombé. Vous ne voulez pas, dit-il, avoir pitié à titre de frères, vous ne voulez pas pardonner à ceux qui sont des hommes? Vous ne voulez pas, à titre d'êtres spirituels, tendre la main aux malheureux? Considérez votre condition, et vous n'aurez pas besoin qu'on vous conseille; de vous-mêmes, vous porterez secours à celui que vous voyez par terre, et vous irez le consoler. Comment? et pourquoi? Chacun de vous faisant réflexion sur soi-même, et craignant d'être tenté, aussi bien que lui. Il ne dit pas: Car, après tout, vous commettrez, vous aussi, des péchés; cette parole eût été trop dure; mais que dit-il ? Craignant d'être tenté, aussi bien que lui. Il peut se faire en effet que vous commettiez des péchés; il peut se faire aussi, que vous ne péchiez pas; et parce que l'avenir est incertain, préparez pour vous-mêmes la réserve de la miséricorde, par votre charité envers le prochain, et vous retrouverez, si vous venez à faillir, l'abondance de miséricorde misé par vous en réserve. Il ne dit pas : Craignant de pécher aussi soi-même, craignant de tomber aussi soi-même; faites bien attention, considérez la mesure juste des expressions ; mais, craignant d'être tenté aussi bien que lui; ce qui indique, et que nous avons un ennemi particulier qui nous tente, et que ce tentateur n'a pas un moment fixe et déterminé pour nous tendre ses pièges. En effet; la plupart du temps, c'est quand nous dormons, quand nous né sommes pas sur nos gardes, qu'il nous attaque, et voilà pourquoi celui qui est tombé par surprise; est digne de pardon, c'est qu'il a été pris par le tentateur. Le combat n'était pas ostensible; le jour de la bataille n’avait pas été désigné; l'attaque a eu lieu à l'improviste, et voilà pourquoi le démon a eu le dessus. Tels sont les sentiments des matelots qui voguent sur le grand espace des mers; ils ont beau avoir pour eux les vents favorables; ils ont beau jouir d'une parfaite sécurité; cependant, s'ils voient, de loin, un naufrage, ils ne se bornent pas à considérer leur propre utilité, sans s'occuper du désastre qui tombe sur autrui; ils arrêtent leur navire, jettent l'ancre, ferlent les voiles, jettent des câbles, lancent au loin des planches, afin que celui qui est submergé par les flots saisisse un de ces moyens de salut, et puisse ainsi échapper au naufrage. Imitez les matelots, vous qui portez le nom d'homme, vous voguez vous aussi, sur une vaste mer, c'est la vie présente; et cette mer renferme des monstres sans nombre, des pirates; cette mer a des écueils, et des rescifs ; cette mer est troublée par les flots et par les tempêtes; et souvent dans cette mer s'engloutissent un grand nombre de naufragés. Quand donc il vous arrive de voir quelque passager, victime de la malice du démon, perdant la richesse du salut, emporté par le tourbillon, prêt à être submergé, arrêtez votre navire, n'ayez plus de pensées que pour le malheureux; attachez-vous, avant toutes choses, .à son salut; ne pensez plus à vous, car il ne peut pas attendre, il ne peut pas souffrir de délai, celui qui est sur le point de s'engloutir; arrivez, arrivez vite, arrachez-le vivement du tourbillon; saisissez-vous de tous les câbles, pour le retirer de l'abîme de la perdition; eussiez-vous mille et mille affaires, vous entraînant ailleurs, que rien ne paraisse plus pressant pour vous, que le salut de celui qui est dans la détresse; si peu que vous vouliez différer, vous le trahissez, vous l'abandonnez à la rage de la tempête. Dans de si grands périls; il faut de la promptitude et du zèle. Voyez l'empressement de Paul à la vue d'un homme que l'abîme allait dévorer : Je vous prie, dit-il, dé lui donner des preuves effectives de votre charité, de peur, qu'il ne soit accablé par un excès de tristesse. (2Co 2,7-8) II veut qu'aussitôt on lui tende la main, de peur, que pendant que nous différons, l'infortuné ne soit dévoré par l'abîme. Soyons donc pleins de soucis pour,les intérêts de ceux qui sont nos frères.

Voilà ce qu'il y a de principal, de principal dans notre conduite : ne pas considérer uniquement ces intérêts, mais corriger, fortifier ceux de nos membres que nous voyons pervertis. Voilà, de notre foi, la marque la plus éclatante; c'est en cela, dit l'Evangile, que tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres. (Jn 13,35) La charité sincère ne se déclare pas par la communion à la même table; par une (480) courte parole; par les flatteries des mots; ce qui la prouve, c'est le zèle qui considère l'intérêt du prochain, qui relève celui qui a fait une chute; qui tend la main à celui qui est par terre, sans plus penser à son propre salut; qui recherche, avant son propre bien, le bien d'autrui. Voilà la vraie charité : car celui qui a la charité, ne regarde pas son intérêt propre; il considère d'abord l'intérêt du prochain, et, par l'intérêt d'autrui, il assure son propre intérêt. (1Co 13,5) Et moi-même, maintenant, que fais-je ? Ce n'est pas pour moi que je prolonge ces longs discours, c'est pour vous. Donc vous, à votre tour, ne les écoutez pas seulement pour vous-mêmes, mais pour les autres, à qui vous devez de les instruire ; car c'est le bon agencement des membres qui entretient le corps de l'Eglise. De même qu'un membre qui retiendrait pour lui toute la nourriture, sans rien communiquer aux membres voisins, se ferait du tort à lui-même, et ruinerait le reste du corps : par exemple, si l'estomac tirait toute la nourriture à lui seul, le reste du corps se dessécherait par la faim, et l'estomac se ruinerait lui-même par le dérèglement de son appétit; si au contraire, se contentant de la part qui lui suffit, il envoie aux autres membres ce qui doit leur revenir, il s'entretient lui-même en bonne santé, et avec lui tout le reste du corps : Eh bien ! de même pour vous maintenant ; si, après avoir écouté nos paroles, vous gardez tout pour vous, sans rien communiquer à un autre, vous faites du tort à cet autre, et vous vous ruinez vous-mêmes ; vous vous attirez les maladies les plus graves; vous cultivez en vous la lâcheté et l'envie; car, c'est ou par malice, ou par envie, ou par lâcheté, que nous ne partageons pas avec les autres; de quelque nature que soit ce mal, il suffit pour perdre celui qui en est atteint. Si au contraire vous communiquez abondamment la nourriture aux autres, vous vous faites du bien à vous-mêmes et aux autres; mais en voilà assez sur ce sujet.

903 3. Ce qu'il faut maintenant, c'est reprendre la suite de nos dernières réflexions. Quelles étaient donc ces réflexions ? Nous recherchions, au sujet des noms Saul et Paul, pourquoi on dit tantôt Saul et tantôt Paul, et de là nous avons fait une longue digression sur certains noms propres. Puisque nous voilà débarqués, il ne nous paraît pas convenable de négliger l'approvisionnement que nous pouvons faire en ce nouveau pays. Encore que ce soit le nom de Paul qui nous ait fourni l'occasion d'entreprendre cette étude, il ne manque pas d'autres noms que nous puissions explorer avec profit. Les marchands, qui traversent les mers, et s'en vont, pour quelques menues denrées, vers des parages lointains, arrivent parfois dans une petite ville, où ils voient en abondance des objets tout différents qui leur conviennent, et, outre les marchandises pour l'achat desquelles ils ont quitté leur pays, ils font des emplettes beaucoup plus considérables que celles qu'ils avaient projetées. Si on leur en faisait un reproche, ils diraient: nous avons fait un long voyage, essuyé mille tempêtes, affronté mille dangers, franchi les mers; qui nous empêche de donner de l'extension à notre commerce? Nous pouvons, certes, nous excuser à leur manière. — Nous faisions des recherches sur les noms de Paul et nous avons trouvé en même temps comme des magasins d'autres noms; ainsi Pierre s'appelait d'abord Simon, et les fils de Zébédée, Jacques et Jean, se nommaient les fils du tonnerre. Nous avons trouvé, dans l'Ancien Testament, Abraham appelé auparavant Abram, et Jacob nommé Israël, et Sarra au lieu de Sara; nous avons trouvé, en outre, d'autres personnages dont les noms sont demeurés tels qu'ils les reçurent dès le commencement; ainsi Jean-Baptiste, Isaac et Adam. Donc, il serait absurde, et de la dernière négligence, quand nous avons dans les mains un si grand trésor, de le jeter. Car voilà la raison de ce long discours; et, comme nous avons parlé dernièrement de ceux qui ont gardé leurs premiers noms, nous parlerons aujourd'hui de ceux qui ont eu deux noms, comme, par exemple, Abraham. Adam a toujours porté le même nom; Isaac n'en a pas reçu d'autre; depuis le commencement jusqu'à la fin, Isaac. Mais le père d'Isaac s'appelait d'abord Abram, plus tard seulement, Abraham. En effet, Dieu lui dit: Vous ne vous appellerez plus Abram, mais Abraham. (Gn 17,5) Son premier nom, c'était Abram ; ce nom n'est pas grec, il n'appartient pas à notre langue; c'est un nom hébreu. Que signifie-t-il donc? Un passant. Aram, en syrien, signifie au delà, outre, ce que savent bien ceux qui connaissent cette langue. Il y a une grande affinité entre le syrien et l'hébreu, mais, dites-vous, pourquoi l'a-t-on appelé passant? La Judée, c'est-à-dire toute la Palestine, depuis l'Egypte jusqu'à l'Euphrate est en face de la (481) Babylonie, d'où était Abraham ; le fleuve passe entre les deux pays dont il forme la commune limite. Et, comme Abraham n'était pas de la Palestine, mais venait de la rive opposée, c'est-à-dire de la Babylonie, pour cette raison et de fait, il a reçu le nom de passant, parce qu'il avait passé le fleuve. Or, pourquoi a-t-il passé le fleuve? parce que Dieu le lui avait ordonné; pourquoi Dieu le lui a-t-il ordonné? Pour faire paraître l'obéissance du juste. Et comment parut l'obéissance du juste ? en ce que par l’ordre de Dieu, il abandonna son propre pays, pour passer sur une terre étrangère. Voyez-vous quelle chaîne d'événements dans le nom de l'homme juste? Ce nom nous a ouvert un océan de faits; apprenez donc son premier nom, afin qu'en le voyant habiter la Palestine, vous vous souveniez, rien qu'en entendant ce nom, de sa première patrie, de la cause qui la lui fit quitter, et qu'ainsi vous vous trouviez conduits à imiter le zèle de sa foi.

Voilà donc comment ce juste, avant la loi et sous l'empire de la loi, reçut la sagesse qui fut communiquée au temps de la grâce, et comment il accomplit, avant le temps de la grâce, ce que, plus tard, le Christ proposait à ses disciples : Quiconque aura quitté, pour mon nom, sa maison, ses frères, son père ou sa mère en recevra le centuple, et aura, pour héritage, la vie éternelle. (Mt 19,28) Ce n'est pas là seulement ce qui montre la sagesse de ce juste, mais la promesse de Dieu sert encore à la manifester: venez en la terre que je vous montrerai. (Gn 12,1) Sans doute la Chaldée et la Palestine étaient deux patries matérielles; mais enfin, l'une était son pays, l'autre, une patrie étrangère ; l'une, visible, l'autre invisible; il avait l'une dans les mains, il n'avait l'autre qu'en espérance. Or, abandonnant le visible, le manifeste, ce qu'il avait dans la main, il s'empressa d'aller à l'inconnu, à l'invisible, dans un pays où il ne lui était pas permis de dominer. Conduite qui a pour but de nous apprendre, de nous convaincre, qu'il ne faut pas hésiter, lorsque Dieu nous commande, à laisser là ce qui est visible, à élever nos regards vers ce qui n'apparaît pas à nos yeux. Les biens que nous tenons dans nos mains ne sont pas aussi évidents que ceux qu'il faut espérer; la vie présente n'est pas aussi manifeste que la vie à venir; la première, nous la voyons des yeux du corps ; l’autre, nous la voyons des yeux de la foi; la première, nous la voyons dans nos mains, celle-là, nous la voyons dans les promesses du Dieu qui nous la tient en réserve.


Chrysostome Disc. Gn 800