Chrysostome sur Gn 5200

CINQUANTE-DEUXIÈME HOMÉLIE . « Isaac sema ensuite en ce pays-là, et il recueillit, l’année même, le centuple. »

5200 (Gn 26,12-33)


ANALYSE.

1. Commentaire des versets 12-16. Jalousie des Géraréniens. — 2. Commentaire des versets 17-22. Rien n'est plus fort que l'homme que Dieu secourt. En quoi consiste la vraie mansuétude. Patience d'Isaac. — 3. Reconnaissance d'Isaac. Dis veut que nous lui rendions grâces. Explication, des versets 23-29. Pourquoi Dieu se dit le Dieu d'Abraham. — 4. Explication des versets 30-33. — 5. Exhortation morale.


5201 1. Ce sont les restes d'hier qu'il convient de vous servir aujourd'hui, mes bien-aimés; reprenons la suite de notre entretien, et voyons encore quelle glorieuse marque reçut le juste Isaac de la providence d'en haut. Car celui qui lui avait défendu de descendre en Egypte, en lui disant ces paroles : Demeurez dans le pays où vous êtes, et je serai avec vous, l'a rendu illustre au point d'exciter bientôt la jalousie du roi de Gérara. En effet, à voir tous les jours s'accroître ses richesses, on eut peur de ce qu'il prolongeait son séjour, et on le força à partir. Mais il convient d'en. tendre les paroles mêmes de l'Ecriture, afin de voir éclater en toutes choses la bienveillance de Dieu pour ses serviteurs. Isaac sema ensuite en ce pays-là, et il recueillit, l'année même, le centuple. Voyez ici, je vous en prie, la sagesse de Dieu, montrant au juste que c'est lui qui est le créateur de la nature; que pour lui, le difficile est facile, et que celui qui, dès le commencement, parce qu'il l'a voulu, a (343) rendu la terre fertile, est le même qui fait en ce moment que la semence produit le centuple; il lui envoie des biens en si grande abondance, que le juste n'a besoin de rien, et en même temps il prouve aux autres par des faits sensibles, de quelle grande faveur l'homme juste est comblé par la grâce d'en haut. C'est en effet la. conduite ordinaire du Tout Puissant, du Dieu plein de sagesse : les bienfaits qu'il répand sur les siens, lui servent à prouver, à ceux qui sont encore dans l’erreur, quelle est sa providence et son pouvoir. C'est ce qu'il fit plus tard, en Egypte encore : aux Egyptiens il infligeait des supplices; pour les Israélites, il les conservait hors de toute atteinte. Ainsi l'Egypte apprenait, non seulement par l'indignation du Dieu qui la punissait, la puissance de l'artisan qui a fait toutes choses, mais aussi par la sollicitude, dont il donnait tant de marques aux Israélites. Et maintenant ceux-ci, pour apprendre combien ils étaient chers à Dieu, n'avaient pas seulement les preuves tant répétées de sa Providence, de sa sollicitude pour son peuple, mais aussi tant de fléaux qui, chaque jour, tombaient sur leurs tyrans. Et c'est ainsi que, par les mêmes moyens, Dieu révélait, et à ses serviteurs et à ses ennemis, la grandeur de sa puissance. Il n'est pas jusqu'aux éléments qui ne s'emploient pour servir ceux qui ne sont également que des serviteurs, lorsque Dieu a résolu de montrer à ces serviteurs, sa bienveillance; et c'est ce qui arrive à ce juste. La terre montre une fécondité qu'elle n'a pas autre part; pour obéir au Dieu de l'univers, elle de. vient si fertile qu'elle fait tout à coup régner la richesse et l'abondance dans la maison d'Isaac. Et le Seigneur le bénit, dit le texte. Et l'homme s'élevait et grandissait en puissance, jusqu'à ce qu'il fût devenu tout à fait grand (Gn 26,12-13). C'est parce que la richesse des justes consistait alors dans la fertilité de la terre, dans la multitude des troupeaux, c'est pour cela que le texte dit . Et le Seigneur le bénit, et l'homme s'élevait, c'est-à-dire devenait riche; non pas d'une richesse ordinaire, mais, dit le texte, il grandissait en puissance, jusqu'à ce qu'il fut devenu tout à fait grand. Considérez, en effet, ce que c'était que de recueillir, pour ses semences, le centuple. Que si cela vous paraît étonnant, considérez ce que la clémence infinie de Dieu nous a fait voir, avec le progrès des temps. Aux hommes qui pratiquent la vertu, ce qu'il promet, depuis son avènement parmi nous, ce n'est plus le centuple seulement, c'est la vie éternelle, c'est la possession du royaume des cieux. Comprenez-vous la libéralité du Seigneur? Comprenez-vous l'accroissement des bienfaits? Comprenez-vous quelles largesses accompagnent l'avènement du Fils unique de Dieu, quelle ineffable révolution il a opérée? Donc, que chacun de nous, méditant ces pensées en lui-même, et comprenant la différence entre les promesses faites aux anciens hommes avant la grâce, et celles qui nous sont faites aujourd'hui, depuis la grâce, glorifie encore à ce titre l'immensité de la miséricorde divine, et se garde bien de tout attribuer à la diversité des temps. Mais il convient de reprendre la suite de notre discours, pour voir comment les habitants de Gérara, jaloux des richesses qui abondaient chez l'homme juste, s'efforcèrent de le chasser de leur pays. En effet, dit le texte, ces richesses excitèrent l'envie des Philistins (Gn 26,14). La divine Ecriture, voulant ensuite montrer comment ils manifestèrent leur envie, ajoute : Tous les puits que les serviteurs d'Abraham avaient creusés de son vivant, ils les bouchèrent et les remplirent de terre (Gn 26,15).

Considérez la méchanceté des gens qui habitaient ce pays; les voilà, qui refusent de l'eau à l'homme juste; et le roi, qui avait un si grand pouvoir, ne put pas réprimer cette jalousie, mais il dit : Retirez-vous d'avec nous, parce que vous êtes devenu beaucoup plus puissant que nous (Gn 26,16). Quel délire ! Pourquoi chasses-tu le juste? T'a-t-il fait aucun mal? T'a-t-il fait quelque tort? Mais voilà ce. qu'est l'envie;        toujours déraisonnable. II aurait fallu, puisqu'on voyait ce juste en si grande faveur auprès du Dieu de l'univers, s'attacher de plus en plus à lui; l’honorer, afin que par les honneurs qu'on lui aurait rendus, on s'attirât à soi-même la. divine faveur. Ce roi, non seulement ne l'entend pas ainsi, mais il essaye de le chasser, et il lui dit : Retirez-vous d'avec nous, parce que vous êtes devenu beaucoup plus puissant que nous. C'est la conduite ordinaire de l'envie; elle ne peut voir avec complaisance le bonheur des autres; le bonheur du prochain parait à l'envieux un malheur personnel, et. il se dessèche quand il voit l'abondance d'autrui : c'est ce qui arrive en cette occasion. En (344) effet, ce roi qui commandait à out un peuple, qui avait tout sous sa main, dit à ce voyageur, à cet homme errant, qui passe d'un pays dans un autre: Retirez-vous d'avec nous, parce que vous êtes devenu beaucoup plus puissant que nous. Eh bien! oui, il était vraiment plus puissant, parce qu'il avait, en toutes choses, pour lui, le secours d'en haut, et la droite de Dieu était son appui. Où donc envoies-tu ce juste que tu chasses? Ignores-tu donc que partout où tu le contraindras d'aller, il sera toujours dans les domaines qui appartiennent à son Seigneur? L'expérience ne t'a donc pas appris que c'est la main de Dieu qui glorifie ce juste, et le conserve? Pourquoi donc, en chassant ce juste, montres-tu ton délire envers son Seigneur? Ainsi la parfaite douceur de ce patriarche n'a pas triomphé de ta haine jalouse, et toi, vaincu par ton mal, tu veux accomplir l'oeuvre de l'envie, et tu forces à une nouvelle émigration celui qui ne t'a fait nulle offense ! Ignores-tu donc qu'alors même que tu l'auras poussé dans la plus profonde des solitudes, il verra encore près de lui son Seigneur, assez habile pour le revêtir, même au sein du désert, d'une gloire plus éclatante encore? Non, rien n'est plus solide que celui qui marche avec l'aide d'en haut; de même que rien n'est plus infirme, que l'homme privé d'un tel secours.

5202 2. Avez-vous bien vu, mon bien-aimé, la méchanceté du roi de Gérara et de tous les habitants de ce pays? Voyez maintenant l'extrême douceur du juste; il ne s'abandonne pas à l'orgueil, même quand les effets lui prouvent que Dieu l'assiste; quoique fort du pouvoir d'un tel compagnon d'armes, il ne se révolte pas contre le roi.. Comme un homme qui n'a aucun appui, qui n'attend, de quelque part que ce soit, aucun secours, avec une parfaite douceur, sans résister, même d'un mot, il fait ce que le roi lui commande, et aussitôt il se retire de ce pays, il s'éloigne, il apaise la colère et l'envie du méchant; en même temps qu'il montre cette rare douceur qui le distingue, il adoucit les sentiments haineux qui troublent le coeur de l'autre. Et Isaac se retira, et vint habiter près du torrent de Gérara (Gn 26,17). Il fit ce que le Christ recommandait à ses disciples : Quand ils vous poursuivront, fuyez dans un autre lieu (Mt 10,23). Et comme David apaisait la haine de Saül en se retirant, en se dérobant à ses yeux, et tempérait ainsi sa colère (1S 19) ; de même ce juste accomplissait la parole de l'Apôtre : Laissez de l'espace à la colère (Rm 12,19). Donc il quitta la ville, et s'en alla dans la vallée. Voyez d'ailleurs quelle douceur encore il montra dans ce nouveau séjour. Car ce ne fut pas là le terme de ses ennuis; même dans cette autre résidence, comme il voulait creuser des puits, on lui suscita des querelles. En effet, dit le texte: Il fit creuser de nouveau d'autres puits que les serviteurs d'Abraham, son père, avaient creusés, et que les Philistins avaient bouchés, et il leur donna les mêmes noms que son père leur avait donnés auparavant. Ils fouillèrent aussi au fond du torrent, et ils y trouvèrent de l'eau vive, c'est-à-dire de l'eau qui coulait dessous; mais les pasteurs de Gérara firent encore là une querelle, en disant que l'eau leur appartenait.

Ici encore, le juste ne discute pas, ne résiste pas; il cède aux bergers; c'est que la vraie douceur ne consiste pas à supporter les offenses des plus forts, mais à céder, même quand on est offensé par ceux qui paraissent plus faibles. Alors en effet, la modération peut être attribuée uniquement à la douceur; autrement on pourrait traiter de douceur feinte l'impuissance où l'on se trouve de résister aux plus forts. Ce qui prouve clairement qu'Isaac, cédant au roi, n'a pas reculé devant sa puissance, mais n'a fait qu'écouter sa douceur naturelle; c'est qu'il tient la même conduite à l'égard des bergers. Et, de même qu'il s'est retiré quand l'autre lui disait: Retirez-vous d'avec nous; de même qu'il obéissait aussitôt comme à un ordre, de même ici, quand lés bergers veulent lui faire du mal, et revendiquent, pour eux, le puits, il s'éloigne. Il fallait conserver à jamais, dans la postérité, le souvenir de cette injustice; il donne au puits un nom pris de ce qui était arrivé. En effet, l'injustice était criante, et il appela ce puits Injustice, à cause de ce qui était arrivé. C'était comme une colonne d'airain qui devait être, pour la postérité, un monument de la douceur de l'homme juste, et de l'iniquité des autres. Le nom était composé de telle sorte que quiconque demanderait pourquoi le lieu s'appelait ainsi, apprendrait et la vertu du patriarche, et la méchanceté de ses ennemis. Remarquez, je vous en prie, comment, ici encore, les contrariétés agrandissent la vertu de l'homme juste, qui montre en toutes choses sa douceur; et (345) comment ces méchants, quoi qu'ils prétendent, ne s'agitent que pour faire mieux éclater la gloire de l'homme juste. Il ne leur suffit pas de ce qu'ils avaient fait; un autre puits est creusé; nouvelle querelle, nouvelles poursuites. Etant parti de là, dit le texte, il creusa un autre puits; ils le querellèrent encore au sujet de cet autre puits, et il le nomma Inimitié (Gn 26,21). Remarquez encore ici la prudence de l'homme juste; ils ne supprimèrent pas tout à fait ce puits, à ce qu'il semble, mais ils suscitèrent une querelle; l'injustice parut manifeste, et ces méchants se retirèrent. Voilà pourquoi le patriarche appela ce puits Inimitié; c'est qu'il avait été une occasion d'inimitié. C'était d'ailleurs, presque chaque jour, les mêmes attaques de la part des habitants du pays. Le juste ne s'indigna pas, né montra aucune faiblesse. Il ne réfléchit pas en lui-même, il ne dit pas : Il ne m'est plus même donné d'avoir des puits? Ne suis-je pas privé du secours d'en haut? Le Seigneur ne m'a-t-il pas tout à fait oublié? Il ne dit ni ne pensa rien de pareil, mais il souffrit tout, avec une douceur parfaite ; et, par là, il mérita d'obtenir, de Dieu, un plus puissant secours. Tous ces événements étaient pour ainsi dire un exercice destiné à fortifier la vertu de l'homme juste. En effet, dit le texte : Etant parti de là, il creusa un autre puits, pour lequel ils ne disputèrent point: c'est pourquoi il lui donna le nom de Largeur, en disant: Le Seigneur nous a mis maintenant au large, et nous a fait croître en biens sur la terre (Gn 26,22).

5203 3. Voyez la sagesse de l'homme juste; quand on voulut détruire ces premiers puits, il souffrit sans se plaindre, sans résister; mais les noms seuls qu'il donna aux puits, suffirent pour y attacher le souvenir ineffaçable de la méchanceté de ces gens-là. Ici, au contraire, on ne lui suscita aucun embarras; il lui fut permis de jouir, en toute liberté, du fruit de ses fatigues; le juste attribue tout à Dieu. En effet, dit le texte : Il lui donna le nom de Largeur; et ensuite, pour expliquer ce nom, il dit : Voici pourquoi je l'appelle Largeur. Le Seigneur nous amis maintenant au large, et nous a fait croître en biens sur la terre. Avez-vous compris cette piété qui oublie tant de difficultés, tant d'obstacles; qui ne se souvient que des bienfaits, afin d'en rendre grâces à Dieu, et qui dit : Le Seigneur nous a mis maintenant au large, et nous a fait croître en biens sur la terre? Rien n'est aussi agréable à Dieu que la reconnaissance, qui lui rend des actions de grâces; il nous comble chaque jour de bienfaits sans nombre, que nous le voulions ou que nous ne le voulions pas; soit que nous le sachions, soit à notre insu; et cependant il n'exige de nous, pour les biens qu'il nous accorde, que des actions de grâces; et ces actions de grâces, pour qu'il lui soit permis de grossir nos récompenses. Pénétrez-vous de cette pensée. Voyez comment la reconnaissance de ce juste lui a de nouveau mérité la visite d'en haut. Car, comme il avait montré de nobles marques de sa vertu, et auprès des habitants de Gérara, et quand le roi le chassait, et quand les bergers détruisaient ses puits, le Seigneur plein de bonté, veut fortifier encore ce vertueux zèle; déjà il chérissait le patriarche à cause de son insigne douceur. Après qu'il fut parti de là pour se rendre au puits du Serment, le Seigneur lui; apparut dans la nuit, et lui dit : Je suis le Dieu d'Abraham votre père, ne craignez point parce que je suis avec vous, et je vous bénirai, et je multiplierai votre race à cause d'Abraham votre père (Gn 26,23-24). Le Seigneur, dit le texte, lui apparut dans la nuit. Voyez le soin que prend Dieu de le ranimer, de raviver sa confiance. Il lui apparaît, et lui dit : Je suis le Dieu d'Abraham votre père; j'ai glorifié votre père, et je l'ai rendu fameux; c'était un pèlerin,, un voyageur, que j'ai rendu plus illustre que tous les habitants du pays. C'est moi qui ail fait sa grandeur, et en toutes choses j'ai pris; soin de lui; c'est moi donc, Ne craignez point.Que signifie ce Ne craignez point? Ne vous étonnez pas d'avoir été chassé par Abimélech, insulté par les bergers; votre père a enduré un grand nombre de pareilles épreuves, et sa gloire s'en est accrue; donc que cela ne vous épouvante point, Parce que je suis avec vous. Si je permets ces choses, c'est que je veux manifester votre vertu, faire éclater en même temps leur perversité, afin de vous donner pour toutes ces raisons la couronne; Parce que je suis avec vous. Et par conséquent vous serez invincible, plus fort que vos persécuteurs, plus puissant que ceux qui vous attaquent, et je prendrai de vous un tel soin, que vous serez pour eux un objet d'envie, Parce que je suis avec vous, et je vous bénirai, et je multiplierai votre race à cause d'Abraham votre père.

Considérez la bonté de Dieu ; il dit : Je suis le Dieu d'Abraham votre père, il (346) montre comment il s'est attaché le patriarche, au point qu'il ne dédaigne pas de s'appeler le Dieu d'Abraham, au point que lui, le Seigneur et Créateur de l'univers, s'appelle le Dieu d'un seul homme, non qu'il veuille réduire à ce seul patriarche tout son empire, mais parce qu'il veut témoigner son affection singulière pour lui ; je me le suis attaché, dit-il, j'en ai fait ma propriété, à ce point qu'à lui seul, il semblé compenser tous les autres; par cette raison, je multiplierai votre race à cause d'Abraham votre père.Je lui dois, dit-il, de grandes récompenses pour son obéissance envers moi; donc, à cause de lui, Je multiplierai votre race. En même temps,. il remplit le juste. de confiance,. et, en prononçant le nom de son. père, il provoque en lui le vif désir de reproduire la vertu paternelle. Or, après avoir reçu les promesses de tant de biens, il éleva un autel en ce lieu, dit le texte, et il invoqua le nom du Seigneur, et il y dressa sa tente (Gn 26,25). Qu'est-ce à dire : Il éleva un autel en ce lieu-là? Il rendit, dit le texte, des actions de grâces au Seigneur qui avait montré tant de sollicitude pour lui, Et les serviteurs d'Isaac creusèrent là un puits; le juste enfin vécut là en toute sécurité; car- Celui qui avait dit : Je suis avec vous, et je vous bénirai, et je multiplierai votre race, Celui-là même le, glorifia, et le rendit plus grand aux yeux de, tous. Eh bien! voyez donc cet Abimélech, qui entreprit de le chasser, et qui lui dit : Retirez-vous d'avec nous; maintenant, c'est lui qui va trouver le patriarche. En effet, dit le texte : Abimélech, et le chef du gynécée, et le général de son armée vinrent, et Isaac leur dit : Pourquoi êtes-vous venus vers moi, vous qui m'avez haï et m'avez chassé loin de vous?  (Gn 26,26-27). Voyez, je vous en prie, la douceur du juste; à l'aspect de ceux qui l'avaient forcé à fuir, qui l'avaient poursuivi avec tant de -haine, .et qui viennent maintenant auprès de lui, comme des suppliants, il ne les reçoit pas avec orgueil; la vanité n'égare pas son âme, la pensée des choses que Dieu lui a dites, ne l'enivre pas-; on ne le voit pas superbe de la force du Seigneur, s'élever contre le roi; c'est toujours la même mansuétude, la. même affabilité; il leur dit : Pourquoi êtes-vous venus vers moi, vous qui m'avez haï, et m'avez chassé loin de vous? Pourquoi, leur dit-il, avez-vous pensé à venir me trouver, moi que vous avez chassé, moi que vous avez haï? Ils lui répondirent : Nous avons vu que le Seigneur est avec vous et nous avons dit : faisons entre nous et vous une alliance qui sera jurée de part et d'autre, afin que vous ne nous fassiez aucun tort, comme nous n'avons rien fait pour vous offenser, et comme nous vous avons bien traité, vous ayant laissé aller en paix, comble de la bénédiction du Seigneur (Gn 26,28-29).

5204 4. Voyez la force de la douceur, la puissance de la vertu. Ceux qui d'abord l'avaient chassé viennent maintenant trouver ce voyageur, cet homme qui n'appartient à aucune ville, ce vagabond, et non seulement ils se justifient de ce qui est arrivé, ils lui demandent de leur pardonner leurs torts, mais ils proclament la vertu de l'homme juste ils montrent la peur qu'ils éprouvent, ils avouent leur faiblesse, ils portent un témoignage de la grande puissance de l'homme juste. En effet, quoi de plus fort que celui qui a Dieu avec lui? Nous avons vu, dit le texte, que le Seigneur est avec vous. D'où vous est venu cette science? assurément, répondent-ils, les faits mêmes nous instruisent; nous vous avons vu, vous, chassé plus fort que ceux qui vous chassaient; vous, tourmenté; supérieur à ceux qui vous tourmentaient; et la suite des événements nous a fait comprendre que vous jouissiez du secours d'en haut. C'est l'oeuvre de la divine sagesse, que leur pensée ait été frappée des mérites du juste, et qu'ils aient acquis cette connaissance. Car, puisque le Seigneur est avec vous, faisons entre nous et vous, une alliance, qui sera jurée. Voyez comme l’impulsion de la conscience les réduit vite à s'accuser eux-mêmes, sans que personne les y contraigne, ni leur reproche ce qu'ils ont fait. Car, si vous n'aviez pas commis une injustice, pourquoi demanderiez-vous au juste de faire avec vous une alliance? Mais telle est la conduite ordinaire de l'homme injuste; chaque jour sa conscience le ronge, et dans le silence de l'offensé, ceux qui ont commis l'injustice, croient qu'il lui est dû une réparation par le châtiment. Ce sont des angoisses de chaque jour, et les méchants semblent se condamner eux-mêmes à la punition de leurs fautes. C'est dans cette pensée qu'ils disent : Faisons, entre nous et vous, une alliance, qui sera jurée. Ils expliquent ensuite quelle sera cette alliance: Afin que vous ne nous fassiez aucun tort, comme nous n'avons rien fait pour vous offenser. Voyez la contradiction où les jette la crainte qui trouble leur esprit : Afin  que vous ne nous fassiez aucun (347) tort. D'où vous vient cette crainte, que vous inspire le juste, quand vous le voyez montrer tant de douceur envers ceux qui l'attaquaient? C'est qu'il y a un juge incorruptible) la conscience, qui les a réveillés, lui leur a montré toute leur perversité envers l'homme juste. Voilà pourquoi ils ont peur; et la peur ne leur laisse pas voir qu'ils se contredisent : Afin que vous ne nous fassiez aucun tort, dit le texte, comme nous n'avons rien fait pour vous offenser.Pourquoi donc m'avez-vous chassé ? mais le juste ne leur demande aucune explication, et il ne redresse aucune de leurs paroles. Et comme, dit le texte, nous vous avons bien traité, vous ayant laissé aller en paix, comblé de la bénédiction du Seigneur. Vous voyez qu'ils redoutaient la vengeance d'en haut; ils savaient bien que, si l'homme juste, plein de douceur, ne se vengeait pas du mal qu'ils lui avaient fait, Celui qui le protégeait, d'une manière si manifeste, demanderait des comptes à ses persécuteurs. Par ces raisons, ils apaisent l'homme juste ; ils tiennent à faire un pacte avec lui, et en même temps qu'ils se justifient du passé, ils cherchent à se mettre en sûreté pour l'avenir. Isaac leur fit donc un festin, dit le texte, et ils mangèrent, et ils burent ensemble, et ils se levèrent le matin et l'alliance fut jurée départ et d'autre, et Isaac les congédia et les laissa s'en retourner (Gn 26,30-31). Voyez la bonté de l'homme juste : aucun désir de vengeance ne se montre dans ses paroles; et, non seulement il oublie ce qu'ils lui ont fait, mais il leur offre une généreuse hospitalité. Isaac leur fit donc un festin, et ils mangèrent, et ils burent ensemble. Ce festin prouve assez qu'il oublie le mal qu'ils lui ont fait; et Isaac les congédia, dit le texte, et les laissa s'en retourner. La divine Ecriture nous montre par là, qu'ils étaient venus saisis d'une- grande frayeur, remplis d'inquiétudes, et que c'était, pour ainsi dire, afin de, garantir leur propre conservation, qu'ils avaient eu hâte de venir, de s'excuser auprès de l'homme juste. Voyez-vous comme il est vrai de dire, que rien n'est plus fort que la vertu; qu'il n'y a pas de pouvoir supérieur à celui que soutient la force d'en haut? Ensuite le texte ajoute : Le même jour, les serviteurs d'Isaac s'en allèrent, creusèrent un puits, et dirent : Nous n'avons pas trouvé d'eau, et il appela ce puits le Serment; et il appela l'endroit, le puits du Serment, et le nom s'est conservé jusqu'à ce jour (Gn 26,32-33). Vous voyez, ici encore, un lieu qui prend son nom des événements qui s'y sont passés: Comme on creusa un puits sans y trouver de l'eau, le jour que l'on fit le serment, on appela le lieu le puits du Serment, afin de conserver le souvenir du fait qui s'y était passé. Voyez-vous comment ce juste, qui ne reçut pas l'éducation de la loi, qui n'a pu se proposer pour modèle aucun homme vertueux, mais qui a suivi les traces de son père, qui n'a écouté que la conscience, ce maître naturel que nous portons en nous, a montré la perfection de la sagesse? Toutes ces actions n'indiquaient pas seulement la douceur de cette âme juste; il y a plus, sa conduite réalisait les préceptes du Christ. Vous savez les préceptes, les conseils que le Christ adressait à ses disciples, il leur disait de ne pas aimer seulement ceux qui les aiment, mais de prouver leur affection à leurs ennemis (Mt 5,44). Et c'est ce que pratiquait ce juste, un si grand nombre d'années auparavant; et il exerçait généreusement l'hospitalité envers ses persécuteurs acharnés, et il bannissait de son âme tout désir de vengeance.

Quelle sera donc notre excuse, à nous qui, après la grâce, après tant d'enseignements, instruits par les préceptes du Sauveur, ne pouvons pas atteindre à la mesure de ce juste, et que dis-je, à sa mesure? Nous ne pouvons même pas approcher de lui; la malice aujourd'hui déborde partout, à tel point que c'est pour nous chose rare, même d'aimer ceux qui nous aiment. Quelle espérance de salut pouvons-nous donc avoir, si nous ne valons pas des publicains, ainsi que l'a dit le Christ : Si vous n'aimez que ceux qui vous aiment, quelle récompense en aurez-vous? Les publicains ne le font-ils pas aussi? (Mt 5,46). Le Christ veut, puisqu'il veut nous voir au faîte de la vertu, que nous soyons supérieurs aux publicains; mais nous, nous nous appliquons à rester au-dessous. Et que dis-je, au-dessous des publicains? au-dessous des brigands et de ceux qui pillent les sépulcres; au-dessous des meurtriers. En effet, tous ceux-là chérissent ceux dont ils sont aimés, et souvent même pour ceux qu'ils chérissent, ils bravent tous les périls. Quelle condition serait donc plus misérable que la nôtre, si après avoir, éprouvé de si grands effets de la miséricorde du Seigneur, nous étions trouvés inférieurs à ceux qui commettent des crimes sans nombre? Donc, je (348) vous en conjure, méditons la rigueur du supplice, le lourd fardeau de la confusion qui nous attend ailleurs. Considérons au moins, quoiqu'il soit bien tard, la noblesse de notre nature, et obéissons à la doctrine du Christ. Ne nous contentons pas d'aimer seulement avec sincérité ceux qui nous aiment; bannissons de notre âme toute haine, toute envie; et, s'il en est qui nous haïssent, appliquons-nous à les aimer; impossible autrement de conquérir notre salut; il n'y a que cette voie. Appliquons-nous à chérir, plus même que ceux qui nous chérissent; aimons surtout ces ennemis qui sont pour nous les causes de biens sans nombre, car c'est par là que nous obtiendrons la rémission de nos péchés; c'est par là qu'il nous sera donné de prier Dieu dans la sincérité de l'humilité et de la contrition. Car, une fois que l'âme est affranchie de toute haine, elle est tranquille, elle est robuste; et, invoquant le Seigneur, avec une entière pureté, elle s'attire la plénitude de la grâce d'en haut. Puissions-nous tous l'obtenir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



CINQUANTE-TROISIÈME HOMÉLIE. « Or, Esaü, ayant quarante ans, épouse Judith, fille de Béel; du pays de Chet, et Basemath, fille d'Elom, du pays d'Eva, et elles querellaient Isaac et Rébecca. »

5300 (Gn 26,34-35).

ANALYSE.

1. Explication des versets 34 et 35 du chapitre 26, et des versets 1-10 du chapitre suivant. — 2. Explication des versets 11-19. En attirant sur la tête de Jacob la bénédiction d'Isaac, Rébecca obéit à l'oracle de Dieu en même temps qu'à son amour pour Jacob. Dieu veut que nous coopérions à ses oeuvres. Il ne coopère point au mensonge. — 3. Explication des versets 20-30. — 4. Explication des versets 30-40. Colère d'Esaü, en apprenant que son frère a reçu la bénédiction paternelle. — 5. De la colère.


5301 1. Eh bien, aujourd'hui encore, s'il vous est agréable, reprenons la suite de l'entretien d'hier, et, dans la mesure de nos forces, cherchons ce que renferme chacune des paroles de l'Ecriture, afin d'en recueillir le fruit que nous remporterons en nous retirant. Voyons donc les premiers mots du texte : Or Esaü, ayant quarante ans, épousa Judith, fille de Béel, du pays de Chet, et Basemath, fille d'Elom, du pays d'Eva, et elles querellaient Isaac et Rébecca.Voyez tout l'enseignement que renferment ces quelques paroles : pourquoi l'Ecriture nous marque-t-elle le nombre des années d'Esaü? Ce n'est pas sans dessein; c'est pour nous apprendre qu'Isaac était vieux, et déjà fort avancé en âge; car, si nous nous rappelons l'âge d'Isaac, quand il épousa Rébecca, il avait alors quarante ans ; son âge, quand ses fils lui naquirent, il avait alors soixante ans; nous en conclurons qu'il est actuellement centenaire, c'est-à-dire, dans la vieillesse la plus avancée. En effet, l'Ecriture va nous dire que la vieillesse l'avait rendu aveugle. Voilà pourquoi le texte (349) nous donne le nombre des années d'Esaü, ce qui nous permet de déterminer avec certitude l'âge d'Isaac. Voilà pourquoi le texte dit : Or, Esaü ayant quarante ans. Ensuite l'Écriture tient à nous faire connaître l'esprit inconsidéré de ce fils, prenant des épouses chez des peuples qu'il ne devait pas, fréquenter; donc, l'une était de la race des Chettéens, et l'autre de la race des Evéens. Ce n'est pourtant pas ainsi qu'aurait dû se conduire celui qui savait quel soin le patriarche avait montré quand il prescrivait à son serviteur d'aller lui chercher une femme de sa parenté, pour être l'épouse de son fils Isaac. La mère des deux enfants d'Isaac, Rébecca était venue du pays de Charran ; Esaü n'agit pas de même, il fait voir tout de suite le dérèglement de ses moeurs; sans consulter ses parents, il épouse ces deux femmes. Et pour nous apprendre combien leurs moeurs laissaient à désirer, l'Écriture nous dit: Et elles querellaient Isaac et Rébecca. Et qu'y a-t-il de plus détestable que cette malignité ? celles qui auraient dû montrer tant d'égards, non seulement n'en faisaient rien, mais elles étaient promptes à la dispute. Ce n'est pas sans dessein que l'Ecriture nous donne tous ces détails; comprenez bien, c'est afin que, dans la suite, quand vous verrez la préférence de Rébecca pour Jacob,vous n'en soyez pas choqués. Mais n'anticipons pas, suivons l'ordre même de l'Écriture: Isaac étant devenu vieux, ses yeux s'obscurcirent de telle sorte qu'il ne pouvait plus voir (Gn 27,1). Ses yeux, affaiblis par le grand âge, dit le texte, ne distinguaient plus les objets. Il appela donc Esaü, son fils aîné et lui dit : Mon fils, vous voyez que je suis bien vieux, et que j'ignore le jour de ma fin; prenez donc vos armes, votre carquois et votre arc, et sortez dans la plaine, et chassez, et faites-moi de votre chasse un de ces plats que j'aime, et apportez-le-moi, afin que j'en mange, et que je vous bénisse, avant que je meure (Gn 27,2-4). Ici, mon bien-aimé, je vous en conjure, remarquez l'ineffable sagesse de Dieu; voyez comme le père ne suit que son affection naturelle en donnant cet ordre à Esaü, et comme le Tout-Puissant, le Seigneur plein de sagesse, dispose Rébecca à remplir sa prédiction, nous montrant par là ce que valent et la vertu et la douceur. Esaü avait pour lui son droit d'aînesse et l'affection de son père, et il se croyait le premier; il a tout perdu, parce qu'il n'a pas voulu ajouter à ce qui était hors de lui, le bien qui devait venir de lui. Jacob, au contraire, avec sa vertu propre, et aussi le secours de la grâce d'en haut, même malgré son père, surprend, saisit sa bénédiction. C'est qu'il n'y a rien de plus fort que l'homme soutenu par la main de Dieu,. Soyez donc appliqués, attentifs; remarquez l'excellence de cette conduite, remarquez comme celui qui s'appuie sur la divine grâce, trouve à chaque instant un grand coopérateur qui travaille dans ses intérêts, au point de lui transférer la bénédiction paternelle; au contraire, l'autre perd tout, il se perd lui-même, parce que ses moeurs sont mauvaises. Or, dit le texte, Rébecca entendit Isaac parlant à Esaü, son fils ; et Esaü étant allé dans les champs, pour faire la chasse que son père lui avait demandée, Rébecca dit à son plus jeune fils (Gn 27,5-6). Pourquoi l'Écriture dit-elle : A son plus jeune fils? c'est parce qu'il y a plus haut : Isaac appela son fils aîné. L'Écriture veut nous faire savoir maintenant à qui s'adresse Rébecca, et le texte dit : Son plus jeune fils, c'est-à-dire Jacob. J'ai entendu, dit-elle, votre père parlant à Esaü, votre frère, et lui disant : Apportez-moi de votre chasse, et faites-m'en un plat, afin que j'en mange, et que je vous bénisse devant le Seigneur, avant de mourir (Gn 27,7). Voilà ce que j'ai entendu que votre père disait à votre frère Esaü. Suivez donc maintenant, mon fils, le conseil que je vous donne; allez-vous en au troupeau, et apportez-moi deux chevreaux, tendres et bons, afin que je fasse à votre père, un de ces plats qu'il aime, et qu'après que vous le lui aurez présenté, et qu'il en aura mangé, votre père vous bénisse avant de mourir (Gn 27,8-10).

5302 2. Voyez le grand amour de la mère, ou plutôt la dispensation de Dieu, car c'était lui qui lui donnait ce conseil, et qui prenait soin de tout faire réussir. Avez-vous bien compris l'excellent conseil de la mère ? Voyez maintenant la circonspection de Jacob; voyez comme sa réponse indique la douceur de ses moeurs. En effet, dit le texte : Jacob dit à sa mère : Mon frère Esaü est velu, et moi je n'ai pas de poil; si mon père vient à me toucher, et qu'il s'en aperçoive, j'ai peur qu'il ne croie que j'ai voulu le tromper, et qu'ainsi je n'attire sur moi sa malédiction, au lieu de sa bénédiction (Gn 27,11-12). Grande est l'honnêteté de l'enfant, et grand est son respect pour son père. J'ai peur, dit-il, qu'il n'arrive le contraire de ce que je (350) désire; que je ne paraisse vouloir contrarier mon père, et qu'au lieu de sa bénédiction, je ne m'attire sa malédiction. Que fait donc cette admirable Rébecca, pleine d'amour pour son fils ? Comme ce n'était pas seulement sa volonté qu'elle suivait; comme elle ne servait qu'à l'accomplissement de la volonté. divine, elle fait tous ses efforts pour bannir la crainte du coeur de son enfant, pour le rassurer, pour l'amener à réaliser son dessein. Et elle ne lui dit pas qu'il peut tromper son . père, que son père n'y verra rien; que lui dit-elle? Que cette malédiction retombe sur moi, mon, fils; obéissez seulement à ma voix, et apportez-moi ce que je vous demande (Gn 27,13). S'il arrive quelque chose de ce que vous craignez, dit-elle, vous n'en souffrirez pas; donc, soyez sans crainte, rassurez-vous: Obéissez à ma voix, et faites ce que je vous conseille. C'est bien là le propre de l'amour maternel. Pour son enfant, elle s'expose à tout. Elle dissipa ainsi la crainte de son fils. Il sortit, prit et apporta à sa mère ce qu'elle demandait, et elle fit des plats comme Isaac les aimait. Rébecca prit ensuite, dit le texte, le plus beau vêtement de son fils aîné, qu'elle gardait dans la maison, et elle en revêtit Jacob, le plus jeune de ses fils, et, avec la peau des chevreaux, elle lui couvrit les bras et les parties du cou, qui étaient nues, et elle mit les plats et les pains, qu'elle avait faits, dans les mains de son fils Jacob, qui le porta à son père (Gn 27,14-17). Voyez, je vous, en conjure, ici, le grand amour de Rébecca, et, en même temps, sa rare sagesse. Le texte a dit plus haut que l'aîné est velu et que le plus jeune n'a pas de poil. Voilà pourquoi, dit le texte, elle le revêtit d'un habit d'Esaü, et l'entoura de peau, et, après l'avoir, de tout point, équipé de manière à tromper son père, elle lui mit dans les mains les plats et les pains, de sorte qu'il les porta au patriarche. Considérez, encore une fois, ici, comment tout est arrivé par la grâce d'en haut. Aussitôt que nous offrons à Dieu ce qui vient de nous, nous obtenons en abondance la coopération du Seigneur. C'est afin que nous ne tombions pas dans la nonchalance et l'abattement, qu'il veut aussi que nous fassions quelque chose, ce n'est qu'à cette condition qu'il nous communique ses dons; il ne veut pas que le secours d'en haut opère seul toute chose, il faut que nous travaillions de notre côté. Maintenant, il n'exige pas que nous fassions tout; il connaît notre faiblesse; le Seigneur dans sa bonté, se réjouit de trouver une occasion d'être généreux envers nous, et il attend que nous fassions ce qui est en notre pouvoir. Vous en avez ici la preuve; parce que Jacob et Rébecca ont fait ce qu'ils devaient faire; que l'enfant a obéi aux conseils de sa mère; que la mère a fait tout ce qui dépendait d'elle, le Seigneur, plein de bonté, se met de lui-même à l'oeuvre, et s'occupe de faire réussir, de rendre facile, ce qu'il y avait de plus difficile, à savoir qu'Isaac ne s'aperçût pas de la ruse. Car, lorsque l'enfant eut apporté les mets à son père, Il lui dit: Qui êtes-vous, mon fils? Et Jacob dit à son père: Je suis Esaü, votre fils aîné; j'ai fait ce que vous m'avez dit; levez-vous, mettez-vous sur votre séant, et mangez de ma chasse, afin que vous me donniez votre bénédiction (Gn 27,19). Considérez ici, je vous en conjure, l'anxiété de Jacob, en prononçant ces paroles. Il avait d'abord dit à sa mère: J'ai peur d'attirer sur moi la malédiction, au lieu de la bénédiction. Quelle frayeur ne dut-il pas éprouver, quand il jouait une telle scène? Mais, comme c'était Dieu qui travaillait avec lui, tout réussit. Eh quoi donc, dira-t-on? Dieu a coopéré à un pareil mensonge? Ne considérez pas simplement le fait, mon bien-aimé, mais remarquez le but; remarquez qu'il n'y avait pas ici un intérêt temporel, poursuivi par l'avarice; c'était la bénédiction de son père, que le jeune fils voulait attirer sur lui. D'ailleurs, si vous ne voulez jamais voir que les faits, sans considérer le but, prenez garde que l'ancien patriarche ne vous paraisse le meurtrier de son fils, et Phinée un homicide. Mais Abraham ne fut pas le meurtrier de son fils; il l'aimait autant qu'un père peut aimer; et Phinée ne fut pas un homicide, mais un homme plein de zèle. L'un et l'autre firent ce qui était agréable à Dieu. Aussi, l'un pour avoir obéi, a mérité, du Seigneur, une grande récompense: l'autre est célébré pour son zèle. En effet, dit le psalmiste : Phinée se leva, et il apaisa (Ps 105,30). Donc, si un meurtre, des fils massacrés sont des faits approuvés dans leur histoire, parce qu'ils étaient conformes à la volonté de Dieu; si nous ne nous arrêtons pas à la réalité des faits, mais au but qu'on s'était proposé, à l'intention, à bien plus forte raison, ici, cette intention est-elle ce qui mérite d'être considéré.



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5303 3. Donc, ne vous arrêtez pas aux mensonges prononcés par Jacob; ne voyez que la volonté de Dieu; il voulait que la prédiction s'accomplît, et il a tout disposé dans ce but. Et ce qui vous montrera que c'est Dieu qui a rendu tout facile, même le plus difficile, l'homme juste n'a pas soupçonné la fraude; il s'est laissé prendre aux paroles de Jacob; il mange ses mets, et le récompense par ses bénédictions. Esaü ne revint de la chasse qu'après que tout eût été accompli. C'est pour nous montrer que la volonté de Dieu a seule tout conduit. Isaac dit encore à son fils : Mais comment avez-vous pu, mon fils, en trouver si tôt ?Il lui répondit: Parce que le Seigneur Dieu l'a livré devant moi (Gn 27,20). Jacob était toujours dans les angoisses, et sa frayeur, au comble. Mais tous ces événements se sont accomplis, pour que nous sachions bien, par des faits, que le Seigneur ne se contente pas de nous montrer sa sollicitude, le soin qu'il prend de nous; il veut encore que nous méritions ses faveurs, par l'ardeur de notre zèle. Ne vous hâtez pas de passer en courant devant ce combat de Jacob, mes bien-aimés ; considérez qu'il avait tout à perdre, qu'il était plein de terreur, tout tremblant, qu'il craignait que cette bénédiction ne l'exposât à toutes les rigueurs de la malédiction. Ensuite, dit le texte, Isaac dit: Approchez de moi, afin que je vous touche, mon fils, et que je reconnaisse si vous êtes mon fils Esaü, ou non (Gn 27,21). C'est que la voix laissait un peu d'incertitude; mais, comme il fallait que l'événement conduit par le Seigneur s'accomplît, Dieu ne permit pas d'apercevoir la ruse. Jacob s'approcha de son père, et Isaac l'ayant tâté, dit : Pour la voix, c'est la voix de Jacob, mais les mains sont les mains d'Esaü et il ne le reconnut point (Gn 27,22). Voyez-vous comme le texte nous montre que tout émane de la grâce de Dieu? - c'est Dieu qui faisait qu'Isaac ne s'apercevait de rien, et, que Jacob allait jouir de la bénédiction paternelle. Et il ne le reconnut point, dit le texte, parce que ses mains étaient comme les mains d'Esaü (Gn 27,24). Et il lui dit : Etes-vous mon fils Esaü ? Voyez, encore une fois, comme la divine Ecriture nous montre que l'homme juste a des soupçons. En effet, dit le texte : Isaac dit: Etes-vous mon fils Esaü? Détail qui a pour but aussi de nous faire savoir que le père n'écoutait gare l'affection de la nature, mais que Dieu, qui prévoit l'avenir, et qui glorifie la vertu de ses serviteurs, est celui qui a tout disposé ici. Et Jacob dit: Je le suis. En effet, après qu'Isaac a eu dit : Etes-vous mon fils Esaü ? Je le suis, dit le texte. Apportez-moi à manger de votre chasse, mon fils, afin que je vous bénisse; c'est à peine enfin, si Jacob commence à respirer. Et il apporta à son père les plats, et il lui apporta du vin, et Isaac but, et il lui dit : Approchez-vous de moi, mon fils, et venez me baiser; il s'approcha donc de lui, et le baisa. Et Isaac sentit la bonne odeur qui sortait de ses habits, et lui dit, en le bénissant (Gn 27,25-27). Voyez le soin de la divine Ecriture ; après cette interrogation : Etes-vous Esaü ? et cette réponse, je le suis, Isaac le touche encore, la voix lui ayant presque fait soupçonner la feinte; et il l'interroge de nouveau : Etes-vous mon fils Esaü? Et Jacob dit: Je le suis; et ensuite, il lui apporte les plats et Isaac mange. Alors, dit le texte : Il le baisa et le bénit. Et, pour qu'on ne s'imagine pas qu'il l'a béni en la personne d'Esaü, pour qu'on voie bien qu'il a béni celui qu'il a baisé, la divine Ecriture nous dit : Qu'il l’a baisé; et qu'il a béni celui qu'il a baisé. Et aussitôt qu'il eut senti la bonne odeur, qui sortait de ses habits, il lui dit en le bénissant : l'odeur qui sort de mon fils, est comme l'odeur d'un champ plein de fruits, que le Seigneur a bénis. Que Dieu vous donne de la rosée du ciel et de la graisse de la terre, et l'abondance du froment et du vin (Gn 27,27-28). Que le Seigneur Dieu, dit-il, vous accorde tout cela, à vous qui m'avez apporté ces plats, qui avez reçu de moi le baiser. Que les peuples vous soient assujettis ! Voyez, il demande pour lui, par ses prières, d'abord le nécessaire; ensuite la domination sur les peuples, et il lui prédit sa prospérité future, et l'agrandissement de ceux qui sortiront de lui. Et que les princes vous adorent! Ces prières ne demandent pas que les peuples seulement lui soient assujettis, mais les princes eux-mêmes; Et soyez le seigneur de votre frère. Voyez l'homme juste servant même sans le savoir, la volonté de Dieu. Tout, en effet, était disposé de manière que le fils vertueux reçut la bénédiction que ses vertus méritaient. Que les fils de votre père vous adorent ! C'est l'habitude de l'Ecriture, de donner le nom de fils à toutes les générations. C'est comme s'il disait: ceux qui sortiront de la race d'Esaü; car Isaac n'eut pas d'autre fils que ces deux-là. Que celui qui vous maudira, soit maudis lui-même, et que celui qui vous (352) bénira, soit comblé de bénédictions ! Voilà la couronne de la bénédiction ; voilà la somme de tous les biens, être béni. Avez-vous bien compris la clémence de Dieu? Celui qui avait craint de recevoir la malédiction, au lieu de la bénédiction, non seulement emporte tout le trésor des bénédictions de son père, mais la malédiction est prononcée contre ceux qui tenteraient de le maudire. Apprenons par là, que celui qui dispose de ce qui lui appartient, d'une manière conforme à la volonté de Dieu, est assuré du secours d'en haut, à tel point que sa volonté devient un fait qui se réalise. Qui n'admirerait pas l'ineffable disposition de la sagesse divine, qui ne permet pas qu'Esaü revienne de la chasse avant le dénouement de cette histoire, avant que Jacob se soit retiré, riche de toutes les bénédictions de son père; c'est ce qu'a voulu nous montrer Moïse, en ajoutant : Et après qu'Isaac eut fini de bénir Jacob, et après que Jacob fut sorti, ayant quitté Isaac son père, voici qu'Esaü, son frère, revint de la chasse (Gn 27,30).

5304 4. Voyez comme aussitôt après la sortie de l'un, l'autre arrive, et il n'y a pas là un simple hasard. La providence a voulu qu'il apportât, sans se douter de rien, sa chasse à son père, et que ce fût de son père qu'il apprît tout ce qui s'était passé. Car s'il eût rencontré son frère, peut-être qu'il l'eût tué, cédant à sa fureur; car si, plus tard, il a pu avoir cette pensée, à bien plus forte raison, au moment même, eût-il essayé de commettre le crime. Mais il y avait là la main de Dieu, qui conserva le plus jeune des deux frères ; c'est Dieu qui le rendit digne de la bénédiction, et qui priva l'autre, et de la bénédiction et du droit d'aînesse. Esaü arriva, dit le texte, et il apprêta sa chasse, et il l'apporta à soit père, et il lui dit : Levez-vous, mon père, et mangez de la chasse de votre fils, afin que vous me donniez votre bénédiction (Gn 27,31). Voyez le nouveau trouble qui confond, ici, l'esprit de l'homme juste; car, en entendant ces paroles, Isaac lui dit : Qui êtes-vous ? Et il lui répondit: Je suis votre fils aîné Esaü (Gn 27,32). Voyez l'orgueil qu'il montre en ce moment; il ne lui suffit pas de dire : Je suis Esaü, mais il ajoute : Votre fils aîné. Isaac fut frappé d'un profond étonnement, et il dit : Quel est donc celui qui m'a déjà apporté ce qu'il avait pris à la chasse, et qui m'a fait manger de tout, avant que vous vinssiez, et je lui ai donné ma bénédiction, et il sera béni (Gn 27,33). Voyez la perplexité dans laquelle se trouve l'homme juste. Il raconte le fait, et il ajoute, avec une rigueur qui blesse le coeur de l'autre : Et je lui ai donné ma bénédiction, et il sera béni. C'était Dieu lui-même qui faisait parler la langue de l'homme juste. Il fallait que l'autre, parfaitement renseigné sur ce qui s'était passé, fût bien persuadé qu'il ne lui servirait de rien, ni de son droit d'aînesse, ni de sa chasse. Esaü, à ces paroles de soie père, dit le texte, jeta un grand cri, plein d'amertume (Gn 27,34). Qu'est-ce que cela veut dire, Un grand cri, plein d'amertume ? Il montra son indignation, la colère dont il était saisi à cette nouvelle, au delà de toute expression. Et il lui dit : Donnez-moi aussi votre bénédiction, mon père; Isaac lui répondit : Votre frère est venu me surprendre, et il a reçu la bénédiction qui  vous était due (Gn 27,35). Votre frère, dit-il, vous a devancé, et il s'est emparé de toute la bénédiction, de tous les privilèges qui l'accompagnent. Et ce qui vous prouve que la grâce d'en haut a coopéré à la ruse, qui a trompé l'homme juste, ce sont les paroles mêmes dont il se sert pour avouer le fait : Votre frère est venu me surprendre. On dirait qu'il s'excuse auprès de son fils, qu'il veut lui donner des explications; c'est à mon insu que je lui ai départi les bénédictions; j'étais prêt à en répandre sur vous l'abondance ; mais voilà qu'il est venu me surprendre et il a reçu la bénédiction qui vous était due : Ce qui vous était préparé, il l'a pris ; ce n'est pas de ma faute. C'est avec raison, dit Esaü, qu'il a été appelé Jacob, c'est-à-dire supplantateur, car voici la seconde fois qu'il m'a supplanté; il m'a déjà enlevé mon droit d'aînesse, et maintenant il me dérobe la bénédiction qui m'était due (Gn 27,36). Ce n'est pas à tort, dit-il, qu'il porte ce nom de Jacob, qui signifie en effet supplantateur; il a bien prouvé qu'il l'était, en me privant, et de mon droit d'aînesse et de ma bénédiction. Que dit maintenant Esau à Isaac ? Ne m'avez-vous pas réservé, à moi aussi, une bénédiction, mon père ? Isaac lui répondit : Sachez, dit-il, que j'ai versé sur lui toutes les bénédictions. Je l'ai établi votre seigneur (Gn 27,37). Voyez-le lui annoncer, dès ses premières paroles, la servitude et la sujétion. Je l'ai établi votre Seigneur et j'ai assujetti à sa domination tous ses frères; je l'ai affermi dans la possession du blé et du vin, et, après cela, que ferai-je pour vous, mon fils ? Il ne me reste plus rien, (353) puisque que je l'ai fait votre seigneur, puisque je lui ai assujetti tous ses frères, et que mes prières ont demandé pour lui l'abondance de toutes les choses nécessaires. Que me reste-t-il encore ? Esaü lui répartit : N'avez-vous donc, mon père, qu'une seule bénédiction ? bénissez-moi, moi aussi (Gn 27,38). Comme il a entendu son père qui lui disait : Je lui ai donné ma bénédiction, et il sera béni; comme Isaac lui a révélé toutes les conséquences de la bénédiction, alors il lui dit : Bénissez-moi, moi aussi, mon père ; n'avez-vous donc qu'une seule bénédiction ? Est-ce que vous ne pouvez pas me bénir, moi aussi? moi que vous aimez tant, moi votre premier-né, moi que vous avez envoyé à la chasse ? Ces paroles touchèrent son père. Isaac était touché, dit le texte; Esaü jetait de grands cris avec des sanglots. Il vit son père confondu, ne pouvant ni ne voulant révoquer ce qui avait été fait, et il cria, et il pleura, pour toucher son père de plus en plus. Isaac eut pitié de lui et lui dit : Votre bénédiction sera dans la graisse de la terre, et dans la rosée du ciel qui vient d'en haut ; vous vivrez de l'épée; vous servirez votre frère, et le temps viendra que vous secouerez son joug, et que vous vous en délivrerez (Gn 27,39-40). Puisque, dit-il, vous aussi, vous voulez ma bénédiction, apprenez qu'il n'est pas possible d'agir contre la volonté divine; mais je demande pour vous, par mes prières, que vous jouissiez de la rosée du ciel ; sachez que vous vivrez dans les combats, car vous vivrez de l'épée, vous servirez votre frère.

5305 5. Maintenant, que personne ne s'étonne à ce récit, en voyant, bientôt après, son frère qui s'en va errant, par suite de la crainte qu'il lui inspire, et se dirigeant vers une terre étrangère. Il ne faut pas conclure de ce début, que la prédiction ne s'accomplira pas. En effet, quand le Seigneur fait une promesse, quels que soient les obstacles qui semblent d'abord en contrarier les effets, nous ne devons pas nous troubler, car il est impossible que les promesses soient vaines jusqu'à la fin. Ce qui arrive, c'est pour que les justes, glorifiés par tous les moyens, rendent plus manifeste, à tous les yeux, l'abondance de la vertu du Seigneur. Cette réflexion s'applique à chacun des hommes justes; vous la verrez toujours confirmée, si vous lisez attentivement l'histoire de chacun d'eux. C'est ce qui est manifeste maintenant encore. Ne vous arrêtez pas à considérer que tout d'abord il prend la fuite ; mais réfléchissez sur la gloire qui viendra plus tard. Voyez au bout d'un certain temps, ce frère aîné, maintenant si terrible, lui montrer toute espèce de respect et de vénération. Considérez quel excès de gloire a été son partage, après les épreuves qu'il a subies sur une terre étrangère; c'est à ce point que ses enfants sont devenus une multitude, qui a donné son nom, son nom glorieux à tout un peuple. Maintenant la divine Ecriture, voulant nous montrer l'indignation d'un frère qui roulait des pensées homicides; Esaü, dit le texte, haïssait Jacob à cause de cette bénédiction qu'il avait reçue de son père. Et ce qui nous montre que ce n'était pas simplement une colère soudaine, c'est l'expression de l'Ecriture qui marque l'excès de la malignité : haïssait, dit le texte, c'est-à-dire persistait dans la haine, à ce point que le sentiment caché au fond de son coeur, le texte l'exprime par ces paroles : Et il disait dans son coeur : Le temps de la mort de mon père viendra, et alors je tuerai mon frère Jacob (Gn 27,41). En vérité, la colère n'est pas moins folle que le délire. Voyez comme ce démon jette ses victimes dans le délire, les prive absolument de la raison, leur persuade de faire tout le contraire de ce que leur conseillent les yeux. Ils ne voient rien; ils ne font rien d'une manière raisonnable, on dirait qu'ils n'ont plus ni sens ni jugement. Ainsi, ceux qui sont en colère, ne reconnaissent pas les personnes présentes; ne se souviennent ni de leurs parents, ni de leurs amis, ni de leurs connaissances, ni de ce qu'ils se doivent à eux-mêmes, ni de quoi que ce soit; la colère les subjugue, ils tombent dans le précipice. Qu'y a-t-il de plus misérable que ces vaincus, que ces captifs de la colère, qui se hâtent de courir au meurtre? Voilà pourquoi le bienheureux Paul, pour extirper la racine de ce mal, fait entendre ces conseils: Tout emportement, toute colère, tout cri, doit, ainsi que toute malice, être banni d'entre vous (Ep 4,31). Non seulement, dit-il, je neveux pas que vous vous échauffiez, que vous vous mettiez en colère, mais je ne veux pas que vous fassiez entendre des cris, en parlant à votre prochain; car le cri est l'enfant de la colère. Quand ce mal s'éveille dans l'intérieur de notre être, quand le coeur se gonfle, dès ce moment la langue ne fait plus entendre de paroles paisibles; la violence de la passion se manifeste, et l'on crie en parlant au prochain. Donc ce bienheureux Paul, voulant, par ses conseils, assurer à ceux qui l'écoutent, (354) une tranquillité non interrompue, leur dit : Tout emportement (c'est-à-dire quelle que soit la cause qui vous émeuve) et toute colère, et toute espèce de cri doit disparaître parmi vous. Ensuite, comme il veut dessécher la racine de ce mal, en prévenir le triste fruit, il dit : ainsi que toute malice. Car celui qui ne connaît pas la colère, est toujours dans un port, à l'abri des flots de ce monde, et il ne craint ni tempête, ni naufrage; il navigue sur une onde tranquille; il séjourne dans un port paisible; pour lui, la vie présente se passe loin de tout ce qui bouleverse et trouble les coeurs ; et, de plus, il s'assure, par tous les moyens, les biens immortels, les trésors ineffables. Puissions-nous tous les obtenir, par la grâce et par la miséricorde de Notre Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l'honneur, l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.






Chrysostome sur Gn 5200