Chrysostome sur Isaie 200

CHAPITRE DEUXIÈME - PAROLE QUI FUT ADRESSÉE A ISAIE, FILS D'AMOS.

200 Is 2
ANALYSE.

1. Dans ce chapitre le prophète prédit la vocation des Gentils, la diffusion de la vérité évangélique dans le monde, et la paix qui régnera alors. Si en parlant de l'établissement de l'Eglise il prononce encore les noms de Judée et de Jérusalem, il ne faut pas s'en étonner, c'est l'Eglise elle-même que ces expressions désignent; c'est ainsi que beaucoup de prophéties concernant les patriarches ne se sont réalisées que bien longtemps après eux dans la personne de leurs descendants.
2. Ce qu'il faut entendre par ces mots : Dans les derniers jours. La montagne du Seigneur, c'est l'Eglise.
3. De ces mots : Et toutes les nations viendront à elle, l'orateur tire contre le judaïsme un argument difficile à réfuter.
4. Antre argument puissant contre les Juifs, tiré de ces paroles : Car de Sion sortira la loi, et de Jérusalem la parole du Seigneur.
5. Etat de l'empire à l'époque où saint Chrysostome parlait. De la guerre chez les anciens peuples.
6. Le Prophète reproche aux Juifs leur impiété.
7. Ils ont violé leur loi sur tous les points, ils ont poussé la démence jusqu'à adorer des idoles, oeuvres de leurs mains.
8 et 9. La vengeance de Dieu s'appesantira sur Jérusalem.

201 1. Ce titre nous apprend avec évidence que les prophètes n'ont pas donné d'un seul coup leurs prophéties, mais qu'inspirés en des temps divers, ils ont publié, à plusieurs reprises, différentes parties qui réunies ensuite ont formé tout le livre qui porte leur nom. C'est pourquoi Isaïe commence comme nous venons de voir. Ce n'est pas du reste la seule preuve qui nous rende ce que nous avançons, clair et évident; le Prophète nous l'indique encore en faisant mention des temps, disant tantôt: «L'année où Nathan vint à Azoth (Is 20,1) ; » tantôt: « Et il arriva, l'année où mourut le roi Ozias, que je vis le Seigneur assis sur un trône élevé et sublime. » (Is 6,1) Car si les épîtres de saint Paul et les évangiles ont été composés d'un seul jet, il n'en est pas de même des prophéties, mais, comme je viens de le dire, elles ont été faites en divers temps. Aussi le Prophète commence-t-il son récit par un autre titre. Une nouvelle preuve que ce sont des parties détachées, c'est que ce dont il va parler est bien éloigné de ce qu'il a dit plus haut et bien plus sublime. La vocation des gentils, l'éclat de la prédication, la connaissance de la religion répandue par toute la terre, la paix régnant ici-bas, voilà son sujet. Et si tout en se disposant à traiter cette matière, il fait mention de la Judée et de Jérusalem, il ne faut pas vous en étonner, ses paroles étaient une prophétie déguisée sous ces noms. De même David, se mettant à composer le psaume 7l, lui donna pour titre, Sur Salomon, ce qui ne l'empêche pas plus loin de parler de choses si sublimes qu'elles ne peuvent convenir à Salomon ni même à aucun homme. Ces expressions, « son nom a existé avant le soleil, son trône a existé avant la lune (Ps 71,17 Ps 71,15), » et autres semblables, personne, quelque insensé qu'il soit, ne les appliquera à un homme. De même Jacob: quand il annonça ce dont Isaïe va nous parler ici, et d'autres événements plus grands encore, puisque, outre la vocation des Gentils, il prédit la passion, la résurrection et le temps de l'avènement du Messie, il ne le fit pas d'une manière ouverte, mais en cachant ces choses sous le nom de son fils, comme s'il n'eût fait qu'annoncer ce qui devait arriver à Juda; mais, comme le prouva l'événement, il prophétisait des choses qui ne regardaient que le Christ. En effet Juda ne fut pas l'attente des nations, sa tribu ne brilla pas quand la nation juive perdit l'indépendance ; mais tout cela se réalisa par la venue du Christ.

Que si les Juifs avaient l'impudence de (350) rejeter cette interprétation des prophéties, ce qui vient d'être dit suffirait à les réfuter; qu'on explique avec soin les prophéties, qu'on en pèse tous les termes avec l'attention convenable, et que l'on compare la prédiction avec l'événement. Et afin d'apporter plus de preuves qu'il n'en faut pour leur fermer la bouche, choisissant mes exemples dans ce qui a été prédit non du Christ, mais de leurs patriarches, je m'efforcerai de leur démontrer clairement que la plupart des prophéties ont été faites sous le nom des chefs de tribu et qu'elles ne se sont réalisées que dans leurs descendants. Et quand j'aurai rapporté un ou deux témoignages, j'aurai atteint mon but. Quand Jacob, ayant appelé Siméon et Lévi, leur annonça ce qui devait leur arriver, il dit: « Siméon et Lévi, frères (Gn 49,5) ; » puis, après leur avoir reproché leur iniquité, et l'injuste massacre des Sichémites, il continue en ces termes : « Je les diviserai en Jacob et les disperserai en Israël (Gn 49,7). » Cela ne s'est certes point réalisé pour Siméon et Lévi, mais bien pour les tribus qui descendirent d'eux. Car la tribu de Lévi fut dispersée de telle sorte que chacune des autres tribus en eut le dixième; il en fut presque de même de la tribu de Siméon qui fut dispersée au milieu des autres, et qui n'obtint pas comme elles un territoire compact. Jacob, qui avait reçu des bénédictions de son père, ne vit se réaliser sur lui-même aucune d'elles. Son père lui avait prédit une longue prospérité, une domination perpétuelle sur Esaü; et cependant il manquait des choses nécessaires, il vivait dans la domesticité, et loin qu'il dominât sur son frère, il courut les plus grands dangers, et une fois l'ayant rencontré, il fut saisi d'une telle crainte qu'il s'estima trop heureux d'avoir pu lui échapper. Que répondrons-nous à cela? Que la prophétie n'est qu'un mensonge? Non, mais qu'elle attribue ordinairement à certaines personnes ce qui doit arriver à d'autres et qu'elle change les noms. C'est ce qui eut encore lieu pour Chanaan. Nous ne le voyons nulle part esclave de ses frères ; et cependant loin que la malédiction fût retirée, elle s'accomplit dans les Gabaonites, descendants de Chanaan. Les paroles de Noé étaient une prophétie sous la forme d'une malédiction.

202 2. Quand donc tant et de si grands exemples nous montrent que bien des choses prédites pour ceux-ci, se sont accomplies en ceux-là, et que les prophètes changent les noms, qu'y a-t-il d'étonnant à ce qu'Isaïe, quoique parlant de la Judée et de Jérusalem, n'ait en vue que l'Eglise ? Comme il s'adressait à des ingrats qui tuaient les prophètes, brûlaient leurs livres, renversaient les autels, c'est avec raison qu'un voile leur couvrait les yeux, lorsqu'ils lisaient l'Ancien Testament, comme le dit saint Paul. Car ils auraient anéanti la Bible, s'ils avaient compris la force des prophéties qui concernaient le Christ. Si, malgré sa présence, ses miracles, les preuves évidentes de sa puissance, de son union et de son intimité avec le Père, ils ne surent pas le vénérer, s'ils ne cessèrent de le poursuivre jusqu'à ce qu'ils l'eussent crucifié, auraient-ils donc épargné ceux qui parlaient de lui et que, même sans ce motif, ils tourmentaient continuellement ? Aussi, c'est sous des noms qui étaient familiers et connus de tous, qu'ils cachaient leurs prophéties. Que les prophéties ne se rapportent pas à la Judée et à Jérusalem, c'est ce que nous démontrerons parfaitement, en examinant chaque expression. « Dans les derniers jours la montagne du Seigneur se manifestera à tous les regards (Is 2,2). » Voyez l'exactitude du Prophète qui, ne se contentant pas d'annoncer l'événement, en prédit même le temps. Ce que dit saint Paul « Quand vint la plénitude des temps (Ga 4,4), » et encore en un autre endroit, « dans la dispensation de la plénitude des temps (Ep 1,10), » c'est ce que le Prophète exprime en ces termes « dans les derniers jours. » La montagne désigne l'Eglise et ses dogmes invincibles. Quand même des armées sans nombre s'attaqueraient à une montagne, dardant des flèches, lançant des javelots, manoeuvrant des machines de guerre, à quoi aboutiraient tous ces efforts qu'à une retraite honteuse de ces armées après le complet épuisement de leurs forces ? Ainsi en a-t-il été de tous ceux qui ont déclaré la guerre à l'Eglise, ils ne l'ont pas ébranlée, et après la perte de leur puissance ils se sont retirés couverts de confusion, épuisés par les coups qu'ils portaient, affaiblis par les traits qu'ils lançaient, vaincus, eux qui exerçaient la persécution, par ceux qui la souffraient : victoire étrange, impossible aux hommes et qui n'est donnée qu'à Dieu seul.

Ce qu'il y a d'admirable, ce n'est pas que l'Eglise ait vaincu, mais qu'elle ait vaincu de cette manière. Poursuivie, traquée, frappée de (351) mille manières, non-seulement elle ne s'affaiblissait pas, mais elle prenait de nouveaux accroissements, et sa patience seule abattait ses adversaires; c'est ce que le diamant fait au fer : frappé, il brise celui qui le frappe; c'est ce que fait l'aiguillon aux récalcitrants; il ne s'émousse pas, mais ensanglante les pieds de celui qu'il atteint. Voilà pourquoi l'Eglise est appelée une montagne. Si le juif ne veut pas admettre cette métaphore, qu'il soit encore confondu par lui-même. Le Prophète dit que les loups et les agneaux auront des pâturages communs, que Dieu appellera d'un coup de sifflet les mouches et les abeilles, qu'il fera tomber sur les Juifs les violentes eaux d'un fleuve parce qu'ils ont rejeté l'eau de Siloë. (Is 11,6 Is 65,25 Is 7,18 Is 8,6) Ces paroles prises à la lettre n'ont rien d'intelligible; mais attachez-vous à ce qu'elles signifient, et c'est alors que vous comprendrez tout différemment la suite des pensées. Que signifient-elles donc ? Par les loups et les agneaux le Prophète entend les caractères des hommes, les uns cruels, les autres pleins de douceur; par les mouches, l'impudence des Egyptiens; par le fleuve, la violence de l'armée barbare; par la fontaine de Siloë, la clémence et la modération du chef du peuple du Roi des Juifs. Personne, quelqu'insensé qu'il soit, ne nous contredira sur ce point. Donc de même qu'il désigne toutes ces choses sous des noms étrangers, il a aussi exprimé allégoriquement par ce mot de « montagne » la stabilité, la force invincible, la hauteur, l'inexpugnable, l'indomptable puissance de l'Eglise. Un autre prophète aussi compare à une montagne ceux qui croient en Dieu pour montrer qu'ils sont invincibles. « Se manifestera à tous les regards.» Nos paroles sont inutiles pour expliquer ces mots, car l'état même des choses fait entendre une voix plus éclatante que celle de la trompette pour publier la gloire de l'Eglise ; le soleil et sa lumière sont moins visibles qu'elle. « La maison de Dieu sera établie sur le sommet des montagnes. »

203 3. Comment un juif va-t-il interpréter cela? Car le temple n'est pas sur la cime des montagnes. Mais la puissance de l'Eglise s'élève jusqu'aux cieux, et de même qu'une maison établie sur le sommet d'une montagne peut être aperçue de tous, de même à bien plus forte raison l'Eglise est-elle visible à tous les regards. « Et elle s'élèvera au-dessus des collines (Is 2,2). » Voici encore une circonstance qui n'a jamais été applicable au temple de Jérusalem, même au moment de sa plus grande splendeur. Comment l'appliquer à un temple que les Juifs eux-mêmes ont souvent déshonoré et que les mains des barbares ont détruit? Mais notre puissante Eglise a été bien plus souvent et plus terriblement éprouvée ; cependant elle n'a jamais cédé aux attaques de ses ennemis et leurs efforts mêmes n'ont servi qu'à la relever et à la rendre plus visible. Alors des légions de martyrs, des multitudes de confesseurs se rencontrèrent, âmes plus dures que le fer et surpassant en éclat les astres: leurs corps étaient mis en pièces, mais leur âme, loin d'être vaincue, triomphait et était couronnée. Qui a jamais vu, qui a jamais entendu dire que des hommes qui recevaient la mort reçussent une couronne, que des hommes égorgés remportassent la victoire et qu'une armée devenait d'autant plus illustre, que les ennemis lui avaient tué plus d'hommes ?

« Et toutes les nations viendront à elle (Is 2,2). » A mesure qu'il avance le Prophète devient plus explicite, il révèle plus complètement sa pensée, tient un langage plus clair et plus propre à fermer la bouche aux Juifs. Car, quelle que soit leur impudence, ils ne peuvent appliquer ces paroles à leur temple. En effet, il était défendu, et cette défense était parfaitement suivie, de recevoir les nations dans ce temple. Et que dis-je, de recevoir les nations dans le temple ? Quant aux Juifs eux-mêmes la loi interdisait sous les menaces les plus graves tout commerce avec les nations et punissait sévèrement les transgresseurs ! Le prophète Aggée n'a que ce seul but dans toute sa prophétie, de blâmer, de reprendre, de juger ces alliances illicites. Mais pour nous il n'en est pas ainsi; l'Eglise ouvre son sein avec la plus grande facilité, et elle reçoit à bras ouverts chaque jour toutes les nations de la terre. Car les premiers maîtres de notre doctrine ont reçu cet ordre du Fils, et c'est de sa bouche qu'ils ont entendu cette parole: « Allez et enseignez toutes les nations. » (Mt 28,19) Voyez aussi comme le Prophète parle non-seulement de la vocation des Gentils, mais encore de leur obéissance prompte et empressée. Il ne dit pas «seront amenées, » mais « viendront; a vérité qu'un autre prophète nous montre en (352) des termes plus clairs encore. « Le concitoyen n'enseignera plus son concitoyen, ni le frère son frère, en disant: Apprends à connaître le Seigneur, parce que tous me connaîtront depuis le plus petit jusqu'au plus grand. » Pour les Juifs les éléments changeaient leur nature; c'étaient des menaces continuelles, des châtiments qui se répétaient sans cesse, des prodiges fréquents, des prophètes qui avertissaient, la crainte du législateur, des guerres imminentes, les incursions de barbares, la colère de Dieu qui se manifestait, des fléaux envoyés par le ciel ; et ils n'en demeuraient pas moins durs de tête et incirconcis de coeur, comme dit saint Etienne, obstinés et entêtés, tandis que pour les nations il suffit d'un mot, d'une parole et toutes accourent à l'Église. C'est ce qu'indique David par ces paroles: « Le peuple que je ne connaissais pas s'est fait mon serviteur » (Ps 17,45). Et admirant son obéissance, il ajoute: « A peine m'eut-il entendu qu'il m'obéit. » Jacob indique aussi la même chose sous cette figure : « Il liera à la vigne son ânon, et au sarment le petit de son ânesse. » Qui a jamais lié à un sarment, et attaché à une vigne un ânon qui n'endommageât pas le fruit? Chez les bêtes cela n'arrive pas, mais chez les hommes cela se fait souvent. Les Juifs, que mille chaînes assujettissaient, secouèrent le joug, brisèrent le lien, comme dit le Prophète; mais les nations qui ne connaissaient point cette nécessité écoutèrent avec docilité, comme un ânon lié au sarment, sans que les préceptes leur parussent à charge; loin de là, elles se tenaient près de la vigne et montraient une admirable docilité. « Beaucoup de peuples viendront et diront: Allons, montons à la montagne du Seigneur, à la maison du Dieu de Jacob (Is 2,3). » Voyez-les se livrant à leurs fêtes, tenant leurs assemblées, s'excitant les uns les autres et devenant tous les docteurs les uns des autres ; voyez non pas un, ni deux, ni trois, mais un grand nombre accourant ensemble. Car, dit-il, il viendra beaucoup de peuples et de pays différents, ce qui n'est nullement arrivé pour les Juifs; si quelques-uns sont venus, ce n'était qu'un petit nombre de prosélytes, obtenus avec de grandes difficultés; ce n'étaient pas les nations qui étaient appelées., mais les prosélytes: « Des prosélytes viendront à toi et seront tes serviteurs. » (Is 54,15) Si le Prophète continue la même métaphore et appelle montagne la maison du Dieu de Jacob, ne vous en étonnez pas. Car, comme je l'ai dit, il rend sa prophétie tantôt plus claire tantôt plus obscure; plus obscure, pour donner aux plus intelligents le moyen de comprendre ce que l'on dit; plus claire, pour réprimer le mécontentement et les troubles que voudraient exciter les ingrats; c'est ainsi que partout il varie son langage.

204 4. Ne vous étonnez pas, mon cher frère, de ce qu'il a dit « Dieu de Jacob; » car le Fils unique de Dieu était Dieu de Jacob. C'est lui qui a donné la loi et qui a fait tous les miracles que virent les descendants de Jacob ; c'est ce qu'il est facile de voir dans l'Ancien Testament : car pour le Nouveau les Juifs n'en tiennent aucun compte. Jérémie le dit : « Je ferai avec eux une nouvelle alliance, mais non selon l'alliance que je fis avec leurs pères (Jr 31,31 Jr 31,32), » montrant par là qu'il était l'auteur de l'une comme de l'autre loi. Il ajoute qu'il les a délivrés de la servitude d'Égypte : « Au jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir de la terre d'Égypte . » Si c'est lui qui les a fait sortir de l'Égypte, c'est encore lui qui a opéré tant de merveilles et dans l'Égypte et dans le désert. — « Il nous fera connaître sa voie et nous y marcherons. » Voyez-vous comme ils demandent une autre loi ? Car la sainte Écriture appelle ordinairement voie les commandements de Dieu ; s'il avait voulu parler de l'Ancien Testament, il n'aurait pas dit: « Il nous fera connaître ; » car cette loi ancienne, tous la connaissaient manifestement, pleinement.

Ce ne sont pas là des sophismes, mais bien des preuves solides, faites pour convaincre même les plus obstinés. Non content de mentionner seulement cette voie nouvelle, il dit encore de quelle voie il veut parler et indique bien des signes qui la distinguent. Car il poursuit en ces termes: « La loi viendra de Sion et la parole du Seigneur de Jérusalem. » A cela les juifs les plus impudents ne sauraient que répondre. En effet, que ces paroles aient été dites du Nouveau Testament; c'est ce qu'indiquent avec évidence et le lieu et le temps et la condition de ceux qui reçurent la loi et les événements . qui la suivirent. Et d'abord le lieu, la montagne de Sion. La loi de Moïse a été donnée aux ancêtres des Juifs sur le Sinaï. Comment ici peut-il donc dire « de Sion ?» Et (353) sans se contenter du lieu, il fait encore mention du temps, car il ne dit pas : « La loi est sortie, » mais « la loi sortira, » ce qui regarde le temps futur et non un événement passé. Or quand le Prophète parla ainsi, la loi était donnée depuis bien des années, et le Nouveau Testament ne devait être donné que longtemps après. Aussi ne dit-il pas : « Est sortie, » mais « sortira, » c'est-à-dire dans la suite des temps. Il revient de nouveau sur la mention du lieu et dit: « Et la parole du Seigneur sortira de Jérusalem. » C'est ici surtout qu'il nous indique clairement un des caractères distinctifs du Nouveau Testament. Tantôt c'était assis sur la montagne que Notre-Seigneur dictait des préceptes sublimes et dignes des cieux, tantôt c'était à Jérusalem qu'il le faisait. Après l'indication du lieu et du temps, le Prophète donne celle des personnes qui devaient recevoir la loi nouvelle, et il ferme ainsi absolument et de toute manière la bouche aux contradicteurs. Quels sont donc ceux qui devaient être les disciples de l'Évangile? Le peuple hébreu, les enfants des Juifs? Non, mais les nations. Aussi il ajoute « Il exercera son jugement au milieu des nations (Is 2,4).» L'essence de la loi, c'est surtout de condamner ceux qui la combattent. Or il n'est pas ici question de la loi ancienne; c'est ce que montrent les choses mêmes. Nous ne gardons ni le sabbat, ni la circoncision, ni les fêtes, rien enfin de tout ce que les Juifs observaient. Nous avons entendu Paul nous dire: « Si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien (Ga 5,2); » et encore: « Vous observez certains jours, certains mois, certains temps et certaines années; je crains d'avoir travaillé en vain parmi vous. » (Ga 4,10) Il est donc évident qu'il parle de la loi nouvelle, puisqu'il exercera son jugement parmi les nations, selon ce que dit encore saint Paul: «Au jour où Dieu jugera ce qu'il y a de caché dans les hommes. » (Rm 2,16) Comment jugera-t-il, dites-moi ? selon l'Ancien Testament? Non, mais « selon mon Evangile. » Voyez-vous que, si les paroles sont différentes, tes pensées sont les mêmes? Isaïe dit : « Il exercera son jugement au milieu ries nations. » Saint Paul dit : « Il jugera selon mon Evangile. » « Et il convaincra une grande multitude, » ses adversaires, ceux qui auront transgressé la loi. C'est ce que le Christ nous apprend en ces termes : « Je ne vous jugerai pas; mais la parole que j'ai annoncée sera votre juge. » (Jn 12,48)

« Et ils forgeront de leurs épées des socs de charrue et de leurs lances des faux. Un peuple ne tirera plus l'épée contre un autre peuple, et ils ne s'exerceront plus aux combats. » Le Prophète ne s'est pas contenté des premiers indices; comme la vérité est riche en témoignages qui la font connaître, Isaïe nous signale encore le Nouveau Testament par une autre marque, mais si éclatante que toute la terre a pu l'observer. Quelle est cette marque? La paix et la cessation des guerres. Quand ces choses arriveront, dit-il, le monde sera dans une telle tranquillité, que des arrhes de guerre on forgera des instruments d'agriculture. Chose qu'on ne voit nulle part dans l'histoire des Juifs ; loin de là, pendant tout le temps de leur existence comme nation, ils n'ont jamais cessé soit de porter la guerre au dehors, soit de la recevoir cirez eux, et sans cesse ils étaient harcelés par des ennemis, tantôt plus, tantôt moins longtemps. Et les peuples mêmes de la Palestine les attaquaient souvent avec tant de force qu'ils leur firent courir les plus grands dangers.

205 5. C'est ce que nous attestent les livres des Rois qui ne contiennent que des récits de guerres; c'est ce que nous attestent les prophètes, soit quand ils racontent l'histoire du passé, soit quand ils prédisent les événements futurs; en un mot, depuis ce jour où ils secouèrent le joug des Egyptiens, leur histoire tout entière ne fut qu'une guerre. Mais aujourd'hui il n'en est plus de même; sur toute la terre règne la paix. S'il se fait encore quelques guerres, elles ne ressemblent pas à celles d'autrefois. Alors on allait se briser villes contre villes, pays contre pays, peuples contre peuples ; une même nation se voyait divisée en un grand nombre de partis. Lisez le livre de Josué et des Juges, et vous verrez que de guerres la Palestine eut à soutenir en peu de temps. Quelque chose de plus fâcheux encore, c'est que la loi ordonnait à tout le monde de prendre les armes et que personne n'était exempt de ce devoir. Et ce n'était pas chez les Juifs seulement que cette coutume existait, mais bien par toute la terre ; les rhéteurs mêmes et les philosophes qui ne possédaient que leur manteau, se couvraient, quand la guerre les appelait, du bouclier, et marchaient dans les rangs de l'armée, et ce philosophe (354) d'Athènes si paisible et si sage, Socrate, fils de Sophronique, parut,jusqu'à deux fois sur les champs de bataille. Et le plus illustre de leurs orateurs, Démosthènes, descendit bien souvent de la tribune pour aller combattre. Mais si la loi n'exemptait ni les orateurs ni lus philosophes, il n'y en avait clone guère qui jouissent de cette exemption. Aujourd'hui vous ne voyez plus les mêmes faits se produire. Depuis que le Soleil de justice a brillé sur nous, cités, peuples, nations, tous sont tellement éloignés de la guerre et de ses dangers qu'ils ne savent plus manier les armes ; mais tranquilles au sein de leurs villes et sous la protection de leurs murs, ils entendent raconter les guerres lointaines, tout le peuple vit en paix, n'ayant plus à s'occuper de ce terrible devoir. S'il y a encore aujourd'hui des guerres, c'est aux extrémités de l'empire romain, et non plus, comme autrefois, dans chaque ville, dans chaque province. Alors, comme je l'ai dit, dans une même nation il y avait continuellement des séditions nombreuses et des guerres de partis; mais maintenant tout ce que le soleil éclaire, depuis le Tigre jusqu'aux Iles Britanniques, et en outre, la Libye, l'Egypte, la Palestine, en un mot tout ce qui est soumis au sceptre des Romains vit en paix; vous savez que les villes jouissent d'une profonde tranquillité et qu'elles ne connaissent plus la guerre que pour en entendre parler. Le Christ pouvait faire disparaître ces derniers restes de guerre; mais il a permis, pour le châtiment des ces indolents que la paix endormirait, il a permis, dis-je, les incursions des barbares. Les paroles du Prophète, pour ceux qui les comprennent bien, annoncent (je l'ai déjà dit) qu'il n'y aura plus que des séditions de peu d'importance. Car il n'a pas dit : « Il n'y aura plus « de guerre ; » mais: « Un peuple ne tirera plus l'épée contre un autre peuple, » et il montre ensuite combien les peuples seront libres, « ils ne s'exerceront plus aux combats, » sauf quelques hommes Noués, à cette profession. « Et maintenant, maison de Jacob, viens et marchons dans la lumière du Seigneur (Is 2,5.) « Il a rejeté son peuple, la maison de Jacob (Is 2,6). » Après avoir achevé sa prophétie sur l'Eglise il revient à l'histoire, comme pour reprendre la suite de ses paroles. Car c'était la coutume des prophètes d'envelopper d'ombre les prophéties soit par les termes dont ils se servaient, soit en passant brusquement d'un sujet à un autre . Ainsi interrompant tout à coup sa prophétie, et sans transition, comme s'il continuait le même sujet, Isaïe en vient à donner des avertissements aux Juifs: « Maintenant, maison de Jacob, viens et marchons dans la lumière du Seigneur, » c'est-à-dire, dans ses commandements, dans sa loi : car « le précepte de la loi est une lampe, une lumière, la vie, une réprimande et une discipline (Pr 6,23) ; » David dit aussi : « Le précepte du Seigneur est rempli de lumière, il éclaire les yeux (Ps 18,9) ; » et encore: « Votre loi est une lampe qui éclaire mes pieds et une lumière dans mes sentiers. » (Ps 118,105) Partout vous verrez ce même nom donné à la loi. C'est ainsi que saint Paul dit : « Tu te flattes d'être le guide des aveugles, la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres, le docteur des ignorants.» (Rm 2,19 Rm 2,20) Les rayons du soleil n'éclairent pas les yeux de notre corps comme les préceptes de la loi illuminent les yeux de notre âme.

206 6. Pour montrer que même avant la récompense, avant le jour des rémunérations, les préceptes apportent leur récompense, dans le temps même où on les accomplit, il les appelle lumière. Car de même que l'oeil se fortifie par cela seul qu'il est éclairé, de même notre âme, par cela seul qu'elle obéit à ta loi, en retire le plus grand fruit; elle y est purifiée, éloignée du mal et portée à la vertu. Et au contraire les prévaricateurs, même avant le jour des vengeances, sont punis par cela seul qu'ils prévariquent, puisqu'ils sont dans une pire condition que des hommes plongés dans les ténèbres, qu'ils sont remplis de crainte, de frayeur, de remords, qu'en plein midi ils craignent tout le monde, ceux qui connaissent leur péché, comme ceux qui ne le connaissent pas. «Il a rejeté son peuple, la maison de Jacob, » c'est-à-dire, il l'a laissé aller, l'a abandonné, méprisé, privé de sa bienveillance. Ensuite, après les avoir effrayés, il leur dit la cause de cet abandon, afin qu'ils corrigent ce qu'ils ont fait de mal. Quelle est cette couse? « Parce que leur terre, comme la terre des étrangers, est couverte de leurs augures. » En premier lieu il leur a reproché leur fraude, leur avarice, leur mépris des veuves; il leur reproche ici leurs croyances mauvaises et ces restes d'impiété qui les entraînaient peu à peu au faux culte des démons. Ensuite, dans (355)l'intention de les tancer fortement, il dit non-seulement qu'ils se livrent aux augures, mais que «leur pays en est rempli. » Leur malice s'est accrue dans la plus large mesure, veut-il dire; tout à l'heure il disait peuple, non-seulement pécheur, mais plein de péchés, de même ici il dit terre « remplie d'augures. » Ensuite pour faire ressortir l'opprobre de leur conduite, d'une manière plus frappante encore, il ajoute: « Comme dès le commencement. » Dès le commencement ? Quand donc? Quand ils ne connaissaient pas encore le Seigneur, n'avaient pas encore reçu sa loi, ou éprouvé ses bienfaits, quand ils étaient encore au milieu des nations: voilà leur grand crime, de n'être pas devenus, après tant de soins et de bonté, meilleurs qu'ils n'étaient avant d'avoir reçu ses bienfaits. Et sans s'arrêter là, il ajoute, pour les effrayer, « comme la terre des étrangers, » et par cette comparaison il aggrave l'accusation. C'est ce que fait continuellement saint Paul, par exemple, quand il dit: « Je ne veux pas, mes frères, que vous soyez dans l'ignorance touchant ceux qui dorment, afin que vous ne vous attristiez pas comme font tous les autres qui n'ont point d'espérance (1Th 4,72); » et encore : « Que chacun de vous sache posséder son corps saintement et honnêtement, et non dans la passion de la convoitise. » (1Th 4) Et sans se contenter de cela, il ajoute ces mots: « Comme les autres nations qui ne connaissent pas Dieu. » (1Th 5) Car ce reproche pique ordinairement même ceux qui sont tombés bien bas.

Mais si les Juifs essuient ces reproches, quelle indulgence, quelle excuse trouverons-nous, nous qui, comblés de tant de grâces, revêtus de tant d'honneur, ayant reçu des espérances éternelles, sommes tombés dans les mêmes misères qu'eux? beaucoup, aujourd'hui encore, travaillés par cette maladie, ruinent eux-mêmes leur existence eu s'abandonnant à la folie des augures; outre qu'ils offensent Dieu, ils ne gagnent que des douleurs qu'ils eussent pu éviter et perdent toute la vigueur nécessaire aux combats de la vertu. Car le démon s'efforce par tous les moyens de persuader à ces insensés qu'il ne dépend pas d'eux d'être vertueux ou vicieux, qu'ils n'ont pas été doués du libre arbitre, et cela pour obtenir ces deux choses effrayantes, qu'ils reculent devant les luttes qu'exige la vertu et qu'ils abandonnent leur liberté, une de leurs plus belles prérogatives. C'est là le funeste résultat que, par les augures, par les présages, par l'observance de certains jours, par la détestable croyance au destin et par bien d'autres pratiques, il a déjà atteint: il a tout bouleversé. C'est là l'objet des véhémentes objurgations du prophète qui veut arracher la racine du mal. « Et bien des fils étrangers leur sont nés. »

207 7. Qu'est-ce à dire, « des fils étrangers ? » Dieu leur avait défendu, à cause de leur inconstance et de leur fragilité, d'avoir des relations avec le reste des hommes, de peur que par ce commerce ils ne se laissassent entraîner à l'idolâtrie. Comme bien éloignés de pouvoir redresser les autres, ils n'étaient pas même capables de résister à l'entraînement du mauvais exemple. Dieu établit une loi pour les protéger, il les éloigne d'abord du commerce des autres nations, et ainsi séparés du reste du monde il s'applique à les diriger et à les former. Il eût été à souhaiter, qu'avec toutes ces mesures, ils pussent conserver la discipline à laquelle Dieu les avait soumis. S'ils méprisèrent les autres préceptes, ils ne respectèrent pas plus celui-ci, ils entrèrent en relation avec les peuples voisins, prirent des femmes chez les Moabites, les Ammonites, et les autres nations idolâtres, et étant entrés dans leur parenté, ils admirent au milieu d'eux des docteurs d'iniquité et perdirent leur grandeur et leur pureté. « Leur terre fut remplie d'or et d'argent et leurs trésors étaient infinis (7). « Leur pays fut rempli de chevaux et leurs chars étaient innombrables (Is 2,8). » Mais que signifie donc, pourrait-on dire, ce reproche d'avoir des richesses, de posséder des chevaux, surtout pour ce peuple qui n'était pas encore appelé à une vie si parfaite? Que répondre à cela? Que ce n'est pas l'usage qu'il blâme, mais leur intention qui n'était pas droite. De même que, quand il dit : « Malheur aux puissants (Is 1,24) ! » ce n'est pas l'autorité qu'il attaque, mais ceux qui s'en servent mal ; de même ici il blâme les juifs non de ce qu'ils avaient des trésors, mais de ce qu'ils en amassaient de superflus, et bien au delà de ce qui était nécessaire. «Leurs trésors, » dit-il, « étaient infinis.» Et en outre, il les blâme de ce qu'enorgueillis de leurs richesses et de la multitude de leurs chevaux, ils apprenaient peu à peu à ne plus mettre leur espérance en Dieu ; c'est aussi ce que dit un autre prophète: « Malheur à ceux qui se confient dans leur force et qui se (356) glorifient dans l'abondance de leurs richesses! » (Ps 48,7) Et en un autre endroit: « Ce n'est point dans sa grande puissance qu'un roi trouvera son salut, et le géant ne se sauvera point par sa force extraordinaire. » (Ps 32,16) Et dans un autre psaume il est dit encore : « Il n'aime point qu'on se fie à la force du cheval, et il ne lui plaît point que l'homme s'assure en l'agilité de ses jambes. Le Seigneur regarde avec plaisir ceux qui le craignent. » (Ps 140,10)

« Leur pays s'est rempli d'idoles, exécrables ouvrages de leurs mains, et ils ont adoré ce qu'ils avaient formé de leurs doigts. » Comme un habile médecin, le Prophète indique la cause et la source de la maladie. Comme il allait leur reprocher leur impiété, il vient d'indiquer la source de leur maladie, l'avarice, les excès de tout genre, les alliances illicites, et leur montre qu'ils ont ainsi glissé peu à peu jusqu'au fond de l'abîme et fini par adorer les idoles. Ensuite pour se railler de leur culte il ajoute « ouvrages de leurs mains. » Car que peut-il y avoir de plus ridicule que de voir l'homme créateur d'un Dieu? Souvent l'Ecriture appelle les idoles abomination; delà vient qu'elle appelle abomination de la désolation l'idole placée dans le temple: « Quand vous verrez l'abomination de la désolation se tenant dans le lieu saint, que celui qui lit comprenne. » (Mt 24,15) Après les avoir détournés des choses sensibles, il leur défend de faire aucune image; et il donne à cela le nom d'abomination pour les éloigner de l'impiété. Car avoir une chose en abomination, c'est la détester avec force, comme impure, comme exécrable. Ce qui est haïssable et digne d'exécration, l'Ecriture l'appelle abomination. Or il en est ainsi de toute idole. « Ils ont adoré ce qu'ils avaient formé de leurs doigts (9). « Et ils se sont abaissés et des hommes se sont humiliés.» Car si l'adoration de Dieu relève, celle des idoles abaisse et humilie. Quoi de plus bas que l'homme déchu de la route du salut, ayant Dieu pour ennemi, se prosternant devant des choses inanimées et adorant des pierres ! Dieu nous a appelés à un tel honneur, qu'il nous a élevés au- dessus du ciel; mais le démon rabaisse ses serviteurs jusqu'à les rendre plus insensés que les choses insensibles. Aussi le Prophète dit: « Des hommes se sont humiliés. » Ce seul reproche suffit à guérir ceux qui ont encore quelque bon sens. Mais comme la plupart des hommes craignent moins le péché que les châtiments, il annonce en ces termes la punition : « Je ne leur pardonnerai pas. Ils n'auront pas à espérer d'indulgence, de pardon ou de négligence à punir; ils rendront un compte sévère de leurs crimes, ils les expieront. « Et maintenant entrez dans les cavernes, cachez-vous dans la terre pour ne pas voir la face terrible du Seigneur (10). » Après s'être assez moqué de la folie des idolâtres, avoir montré et leur démence et la vanité des idoles, puisqu'elles sont l'ouvrage des hommes, il vient de nouveau les attaquer par ces paroles, et laissant à l'expérience le soin de justifier ce qu'il a dit, il ajoute : Il ne suffisait d'avoir montré l'erreur et la folie des idolâtres, par cela seul que les idoles sont fabriquée; mais puisque, appesantis et aveuglés par l'impiété comme par une sorte d'ivresse, ils n'aperçoivent pas les choses les plus claires et les plus manifestes, tant de calamités vont fondre sur la ville que les plus stupides apprendront combien ils sont insensés et combien grande est la puissance de Dieu.

208 8. Aussi avant de parler de la guerre, il en indique les conséquences; leur dit d'entrer dans les cavernes, de se cacher même sous la terre, et pourquoi? Pour leur apprendre combien sera implacable alors la colère de Dieu. « Cachez-vous, dit-il, dans le sein de la terre pour ne pas voir la face terrible du Seigneur, ni la gloire de sa puissance, lorsqu'il se lèvera pour frapper la terre. » Il ne dit pas simplement devant sa grande puissance, mais devant la gloire de sa puissance, tant ses actions, ses victoires seront grandes ! tant elles auront d'éclat et de splendeur ! Il me semble qu'il indique ici la victoire d'Ezéchias, qu'il entend par la terre, la multitude des hommes qui l'habitaient, par la terre frappée leur ruine, par résurrection le secours par lequel Dieu sauva son peuple. Car David dit : « Que Dieu se lève et que ses adversaires soient mis en déroute (Ps 67,2) ! » et encore : « Lève-toi, ô Dieu, juge la terre « (Ps 81,8), » passage où il exprime les actes de Dieu par des images empruntées aux hommes. — « Les yeux du Seigneur sont élevés et l'homme n'est rien (Is 2,11). » Et afin qu'aucun de ses auditeurs ne refuse d'ajouter foi à ses paroles (car pour beaucoup cet événement était inespéré et tout à fait inattendu), le Prophète rappelle la puissance de Celui qui agit et la faiblesse de celui qui subit. Il n'y a, dit-il, (357) rien de plus élevé que Dieu, rien de plus bas que l'homme. Ne vous étonnez donc pas qu'étant si grand et si fort il puisse humilier à ce point des hommes si faibles. Et c'est avec raison qu'il dit: «Les yeux glu Seigneur sont « élevés ; » il n'a pas dit la puissance, mais les yeux du Seigneur, parce que sa vue seule suffit pour faire disparaître tous les obstacles c'est ce que David dit en d'autres termes « Celui qui regarde la terre et elle tremble « (Ps 103,32) ; » et un autre prophète encore: « Je le regarderai et je triompherai de lui. » (Os 11,4)

« La grandeur de l'homme sera abaissée et le Seigneur seul sera exalté en ce jour. » Après cette victoire inattendue, ce triomphe si éclatant et si admirable, les démons furent vaincus, les idoles abattues, les faux prophètes eurent la bouche fermée, les barbares virent leur tyrannie brisée et toute bouche ennemie de Dieu fut fermée. C'est pourquoi il dit: «Le Seigneur seul sera exalté en ce jour. » Désormais il n'y aura ni contradiction ni doute sur la puissance de Dieu, quand les événements l'auront mis en une si grande évidence. Par elle-même elle est élevée, sa grandeur n'a pas en de commencement, elle existe toujours, et si l'on dit qu'elle est exaltée, c'est dans la pensée des hommes, parce que les ennemis et les contradicteurs, se rendant à l'évidence des faits, la reconnaîtront humblement et la béniront comme il convient. « Le jour du Seigneur des armées va éclater sur tous les superbes et les hautains, sur tous les insolents et les hommes altiers, et ils seront humiliés (Is 2,12). Il va éclater sur ceux des cèdres du Liban qui sont grands et élevés et sur tous les chênes de Casan (Is 2,13), sur toutes les montagnes et les murailles élevées (Is 2,14), sur toute tour élevée (Is 2,15), sur tous les vaisseaux et sur ce qui fait la beauté des navires (Is 2,16). Et la grandeur de l'homme sera abaissée, et le Seigneur seul sera exalté en ce jour-là (17).» Par murailles, par cèdre, par colline, par chêne, il entend les puissants, et par la hauteur de ces arbres il désigne métaphoriquement leur puissance; et en parlant de navires et de ce qui fait la beauté des vaisseaux, ce sont les plus riches d'entre le peuple qu'il entend.

209 9. Ce qu'il veut dire, le voici : C'est que tout grand, tout puissant, tout général, tout riche, tout homme, pour ainsi dire, revêtu de puissance et de dignité, disparaîtra en ce temps et s'évanouira, et dans toutes ces grandeurs rien ne pourra soustraire qui que ce soit à la colère de Dieu, ni la force du corps, ni l'habileté militaire, ni l'abondance des richesses, ni la possession du pouvoir, ni la force d'une grande armée, ni quoi que ce soit de semblable. Il les appelle cèdres du Liban soit parce que ces arbres croissent en abondance sur cette montagne, soit parce que les événements annoncés arriveront bientôt ; par les ornements des navires, il entend la grandeur que donnent aux généraux leurs richesses, leurs armes, leurs satellites. Il me paraît indiquer aussi que l'invasion des barbares sera de longue durée. « Et ils cacheront toutes leurs idoles (Is 2,18) ; ils les porteront dans les cavernes et les fentes des rochers, dans les antres de la terre, pour les faire disparaître de devant la face terrible du Seigneur, de devant la gloire de sa puissance, lorsqu'il se lèvera pour frapper la terre (Is 2,19). » Bien loin, veut-il dire, que les dieux apportent aux hommes quelque secours, ils auront eux-mêmes besoin du secours des hommes et de cachettes retirées pour disparaître « de devant la face terrible du Seigneur, de devant la gloire de sa puissance, quand il se lèvera pour frapper la terre. » Car, de peur qu'on n'attribue ces choses à l'incursion des barbares et qu'on ne croie que cette crainte est l'effet de leur puissance, il remonte jusqu'au Dieu de l'univers, disant que c'est lui qui dirige cette guerre et que c'est sa puissance qui, s'appesantissant sur lés pécheurs, les met en ce danger. « En ce jour l'homme rejettera ses abominables idoles d'argent ou d'or qu'il s'était faites pour adorer des choses vaines et des chauves-souris (Is 2,20), et ils entreront dans les fentes des pierres et les cavernes des rochers pour ne pas voir la face terrible du Seigneur et la gloire de sa puissance lorsqu'il se lèvera pour frapper la terre (Is 2,21). » Il les a assez raillés, en leur montrant qu'ils se sont cachés avec leurs dieux, qu'ils ont pénétré dans le sein de la terre, que la richesse de la matière de leurs idoles ne les a détendus en rien entre le malheur qui les accablait. Il a appelé leurs idoles chauves-souris, soit à cause de leur faiblesse, soit à cause des ténèbres de l'erreur, soit parce que les démons ne sont rien que dans l'obscurité. Car de même que les chauves-souris détestent le soleil et la lumière, tandis qu'elles aiment les ténèbres, de (358) même les démons et ceux qu'ils ont entraînés aiment et recherchent le vice et tout ce qui est contraire au bien, tandis qu'ils détestent la vertu et les oeuvres de lumière, et quand celles-ci brillent, ils se cachent au plus tôt, tandis que celui qui aime la vertu n'éprouve aucune gêne, aucune fatigue. Il lui suffit de paraître pour dissiper ces ombres. « Cessez d'espérer dans l'homme dont la vie n'est qu'un souffle, « et quel cas en ont-ils fait (Is 2,22) ? » Ici, il me semble qu'il désigne Ezéchias que la crainte et la terreur avaient réduit à n'avoir plus qu'un souffle de vie. Les barbares l'ayant pris comme dans un filet, croyaient déjà tenir leur proie et regardaient le siège et la prise de la ville comme ne devant leur coûter aucun effort, et il arriva précisément le contraire. C'est pourquoi le Prophète dit : « Cessez de mettre votre espérance dans l'homme dont la vie n'est qu'un souffle, et quel cas en ont-ils fait? » C'est-à-dire, ils n'en out fait aucun cas. Car ils croyaient tout enlever comme à la course, et c'est précisément le contraire qui arriva, et celui qui, parmi nous, ne paraissait plus rien et qu'on croyait facile à attaquer, brilla plus que tous les autres, parce qu'il était appuyé par la puissance de Dieu.



Chrysostome sur Isaie 200