1994-2001 Lettres du Jeudi Saint 2000

\CPOUR LE JEUDI SAINT 2000

2000


Chers Frères dans le sacerdoce,

1. Jésus, «ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'à la fin» (
Jn 13,1). Ici, à Jérusalem, en ce lieu qui, selon la tradition, accueillit Jésus et les Douze pour le repas pascal et l'institution de l'Eucharistie, je relis avec une vive émotion les paroles par lesquelles l'Evangéliste Jean introduit le récit de la dernière Cène.

Je loue le Seigneur qui, en cette Année jubilaire de l'incarnation de son Fils, m'a permis de marcher sur les traces terrestres du Christ, sillonnant les routes qu'il a parcourues entre sa naissance à Bethléem et sa mort sur le Golgotha. Hier, je me suis arrêté à Bethléem, dans la grotte de la Nativité. Ces prochains jours, je me rendrai en divers lieux de la vie et du ministère du Sauveur, de la maison de l'Annonciation au Mont des Béatitudes et au Jardin des Oliviers. Enfin, dimanche, je serai au Golgotha et au Saint-Sépulcre.

Cette visite d'aujourd'hui au Cénacle me donne l'occasion de porter un regard d'ensemble sur le mystère de la Rédemption. C'est ici que le Christ nous a fait le don incomparable de l'Eucharistie. Ici aussi est né notre sacerdoce.

Une lettre du Cénacle

2. C'est précisément de ce lieu que j'ai le plaisir de vous adresser la lettre par laquelle, depuis plus de vingt ans, je vous rejoins le Jeudi saint, jour de l'Eucharistie et «notre» jour par excellence.

Oui, je vous écris du Cénacle, repensant à ce qui s'est passé entre ces murs, en cette soirée pleine de mystère. Jésus se présente à mon esprit, de même que s'y présentent les Apôtres assis à table avec lui. Je me fixe en particulier sur Pierre: il me semble le voir tandis que, avec les autres disciples, il observe, tout étonné, les gestes du Seigneur, il écoute, tout ému, ses paroles, il s'ouvre, malgré le poids de sa fragilité, au mystère qui s'annonce en ce lieu et qui bientôt s'accomplira. Ce sont les heures où s'engage le grand combat entre l'amour qui se donne sans réserve et le mysterium iniquitatis qui s'enferme dans son hostilité. La trahison de Judas se présente comme une sorte d'emblème du péché de l'humanité. «C'était la nuit», note l'Evangéliste Jean (Jn 13,30), l'heure des ténèbres, heure de détachement et de tristesse infinie. Mais dans les paroles attristées du Christ brillent déjà les lumières de l'aurore: «Je vous verrai de nouveau et votre coeur sera dans la joie, et votre joie, nul ne vous l'enlèvera» (Jn 16,22).

3. Nous devons inlassablement méditer de nouveau le mystère de cette nuit. Nous devons souvent revenir en esprit au Cénacle, où nous pouvons, surtout nous prêtres, nous sentir en un sens «chez nous». On pourrait dire de nous, par rapport au Cénacle, ce que le Psalmiste dit des peuples par rapport à Jérusalem: «Le Seigneur inscrit au registre des peuples: "Un tel y est né"» (Ps 87 [86], 6).

De cette Salle sainte, je vous imagine spontanément dans les parties les plus diverses du monde, avec vos mille visages, les plus jeunes comme les plus âgés, dans vos différents états d'âme, reflétant pour beaucoup, grâce à Dieu, la joie et l'enthousiasme; pour d'autres, peut-être, la souffrance, la lassitude, le désarroi. En tous, je viens honorer l'image du Christ que vous avez reçue par la consécration, ce «caractère» qui marque chacun de vous d'une manière indélébile. Il est le signe de l'amour de prédilection qui touche tout prêtre et sur lequel celui-ci peut toujours compter pour aller de l'avant avec joie, ou recommencer avec un nouvel enthousiasme, dans la perspective d'une fidélité toujours plus grande.

Nés de l'amour

4. «Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu'à la fin». On sait que, à la différence des autres Évangiles, celui de Jean ne fait pas le récit de l'institution de l'Eucharistie, déjà évoquée par Jésus dans le long discours près de Capharnaüm (cf. Jn 6,26-65), mais il décrit longuement le geste du lavement des pieds. Plus qu'un exemple d'humilité proposé à notre imitation, cette initiative de Jésus, qui déconcerte Pierre, est avant tout une révélation du caractère radical de la condescendance de Dieu envers nous. Dans le Christ, en effet, c'est Dieu qui «s'est dépouillé» et a pris «la forme d'esclave» jusqu'à l'humiliation suprême de la Croix (cf. Ph 2,7) pour permettre à l'humanité d'accéder à l'intimité de la vie divine: les grands discours qui, dans l'Évangile de Jean, suivent le geste du lavement des pieds et qui en sont comme le commentaire, se présentent comme une introduction au mystère de la communion trinitaire, à laquelle le Père nous appelle en nous greffant sur le Christ par le don de l'Esprit.

Cette communion doit être vécue selon la logique du commandement nouveau: «Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres» (Jn 13,34). Ce n'est pas par hasard que la prière sacerdotale couronne cette «mystagogie» en montrant le Christ dans son unité avec le Père, prêt à retourner vers Lui à travers le sacrifice de lui-même et ne voulant rien d'autre que faire participer ses disciples à son unité avec le Père: «Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu'eux aussi soient un en nous» (Jn 17,21).

5. À partir du noyau des disciples qui écoutèrent ces paroles, c'est toute l'Église qui s'est formée, s'étendant à travers le temps et l'espace comme «un peuple rassemblé par l'unité du Père, du Fils et de l'Esprit Saint» (S. Cyprien, La prière du Seigneur, 23). L'unité profonde de ce nouveau peuple n'exclut pas la présence en son sein de fonctions différentes et complémentaires. Ainsi, à ces premiers Apôtres sont liés d'une manière toute spéciale ceux qui ont été chargés de renouveler in persona Christi le geste que Jésus a accompli au cours de la dernière Cène en instituant le sacrifice eucharistique, «source et sommet de toute la vie chrétienne» (Lumen gentium, n. LG 11). Le caractère sacramentel qui les distingue, en vertu de l'Ordre reçu, fait que leur présence et leur ministère sont uniques, nécessaires et irremplaçables.

Presque deux mille ans se sont écoulés depuis ce moment. Combien de prêtres ont répété ce geste! Bien souvent, ils ont été des disciples exemplaires, saints, martyrs. Comment oublier en cette Année jubilaire tant de prêtres qui ont été par leur vie des témoins du Christ jusqu'à l'effusion de leur sang!

Leur martyre accompagne toute l'histoire de l'Église, et il marque aussi le siècle que nous venons de laisser derrière nous, caractérisé par divers régimes dictatoriaux et hostiles à l'Église. Du Cénacle, je veux remercier le Seigneur pour leur courage. Regardons-les pour apprendre à les suivre sur les traces du bon Pasteur qui «donne sa vie pour ses brebis» (Jn 10,11)!

Un trésor dans des vases d'argile

6. Il est vrai que, dans l'histoire du sacerdoce comme dans celle de tout le peuple de Dieu, on sent aussi la présence obscure du péché. Bien souvent, la fragilité humaine des ministres a obscurci en eux le visage du Christ. Comment s'en étonner, précisément ici au Cénacle? Ici, non seulement s'est consommée la trahison de Judas, mais Pierre lui-même a dû prendre conscience de sa faiblesse en recevant l'amère prophétie du reniement. Certes, en choisissant des hommes comme les Douze, le Christ ne se faisait pas d'illusion: c'est sur cette faiblesse humaine qu'il posa le sceau sacramentel de sa présence. Saint Paul nous en indique la raison: «Ce trésor, nous le portons en des vases d'argile, pour que cet excès de puissance soit de Dieu et ne vienne pas de nous» (2Co 4,7).

C'est pourquoi, malgré toutes les fragilités de ses prêtres, le peuple de Dieu a continué à croire en la force du Christ qui agit par leur ministère. Comment ne pas se rappeler le splendide témoignage du Poverello d'Assise à ce sujet? Lui qui, par humilité, ne voulut pas être prêtre, exprima dans son Testament sa foi dans le mystère du Christ présent dans les prêtres, se disant prêt à recourir à eux même s'ils devaient le persécuter, sans tenir compte de leur péché. «Et je fais cela - expliquait-il

- parce que, du Fils très haut de Dieu, je ne vois rien d'autre, corporellement, en ce monde, que son très saint corps et son très saint sang qu'eux seuls consacrent et qu'eux seuls administrent aux autres» (Fonti Francescane, n. 113).

7. De ce lieu où le Christ a prononcé les paroles sacrées de l'institution eucharistique, je vous invite, chers prêtres, à redécouvrir le «don», le «mystère» que nous avons reçu. Pour le cueillir à la racine, nous devons réfléchir sur le sacerdoce du Christ. Il est vrai que tout le peuple de Dieu y participe en vertu du Baptême. Mais le Concile Vatican II nous rappelle que, en plus de cette participation commune à tous les baptisés, il y en a une autre, spécifique, ministérielle, qui diffère essentiellement de la première, bien qu'elle lui soit intimement ordonnée (cf. Lumen gentium, n. 10).

Dans le contexte du Jubilé de l'Incarnation, notre approche du sacerdoce du Christ se fait dans une optique particulière. Le Jubilé nous invite à contempler dans le Christ le lien intime qui existe entre son sacerdoce et le mystère de sa personne. Le sacerdoce du Christ n'est pas «accidentel», il n'est pas une tâche qu'il aurait pu aussi bien ne pas assumer, mais il est inscrit dans son identité de Fils incarné, d'Homme-Dieu. Dans les rapports entre l'humanité et Dieu, tout passe désormais par le Christ: «Nul ne vient au Père sinon par moi» (Jn 14,6). C'est pourquoi le Christ est prêtre d'un sacerdoce éternel et universel, dont le sacerdoce de la première Alliance était la figure et la préparation (cf. He 9,9). Il l'exerce en plénitude depuis qu'il s'est assis comme souverain prêtre «à la droite du trône de la Majesté dans les cieux» (He 8,1). Depuis lors, le statut même du sacerdoce dans l'humanité a changé: il n'y a plus qu'un unique sacerdoce, celui du Christ, auquel on peut participer, et qui peut être exercé, de différentes manières.

Sacerdos et Hostia

8. En même temps, le sens du sacrifice, acte sacerdotal par excellence, a «été porté à sa perfection. Sur le Golgotha, le Christ a fait de sa vie elle-même une offrande de valeur éternelle, une offrande «rédemp- trice», qui a rouvert pour toujours la voie de la communion avec Dieu, fermée par le péché.

Ce mystère est éclairé par la Lettre aux Hébreux, qui met sur les lèvres du Christ quelques versets du Psaume 40: «Tu n'as voulu ni sacrifice ni oblation; mais tu m'as façonné un corps... Voici, je viens..., pour faire, ô Dieu, ta volonté» (He 10,5-7; cf. Ps 40 [39], 7-9). Selon l'auteur de la Lettre, ces paroles prophétiques ont été prononcées par le Christ au moment de son entrée dans le monde. Elles expriment son mystère et sa mission. Elles commencent donc à se réaliser dès le moment de l'Incarnation, bien qu'elles atteignent leur sommet dans le sacrifice du Golgotha. Depuis lors, toute offrande du prêtre n'est qu'une représentation au Père de l'unique offrande du Christ, faite une fois pour toute.

Sacerdos et Hostia! Prêtre et Victime. Cet aspect sacrificiel marque profondément l'Eucharistie; il est en même temps une dimension constitutive du sacerdoce du Christ et par conséquent de notre sacerdoce. Relisons sous cet éclairage les paroles que nous disons chaque jour, et qui ont été prononcées pour la première fois ici précisément, au Cénacle: «Prenez, et mangez-en tous, ceci est mon corps livré pour vous... Prenez, et buvez-en tous, car ceci est la coupe de mon sang, le sang de l'Alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés».

Ce sont les paroles dont témoignent les Évangélistes et Paul, avec des rédactions substantiellement convergentes. Elles furent prononcées dans ce lieu, au soir du Jeudi saint. En donnant aux Apôtres son corps à manger et son sang à boire, Jésus exprima la profonde vérité du geste qu'il devait peu après accomplir sur le Golgotha. Dans le Pain eucharistique est présent, en effet, le Corps même né de Marie et offert sur la Croix:

Ave verum Corpus natum de Maria Virgine, vere passum, immolatum in cruce pro homine.

9. Comment ne pas revenir toujours à ce mystère, qui renferme toute la vie de l'Église? Ce sacrement a nourri d'innombrables croyants durant deux mille ans. De lui a jailli un fleuve de grâce. Combien de saints ont trouvé en lui, non seulement le gage, mais comme l'anticipation du Paradis!

Laissons-nous transporter par l'élan de contemplation, riche de poésie et de théologie, qui a poussé saint Thomas d'Aquin à chanter le mystère avec les paroles du Pange lingua! L'écho de ces paroles me parvient ici aujourd'hui, au Cénacle, comme la voix d'innombrables communautés chrétiennes répandues dans le monde, de nombreux prêtres, de personnes de vie consacrée, de simples fidèles, qui chaque jour se mettent en adoration du mystère eucharistique:

Verbum caro, panem verum verbo carnem efficit, fitque sanguis Christi merum, et, si sensus deficit, ad firmandum cor sincerum sola fides sufficit.

Vous ferez cela en mémoire de moi

10. Le mystère de l'Eucharistie, dans lequel sont annoncées et célébrées la mort et la résurrection du Christ dans l'attente de sa venue, est le coeur de la vie de l'Église. Pour nous, il a une signification toute spéciale: il est en effet au centre de notre ministère. Certes, ce dernier ne se limite pas à la célébration eucharistique, car il implique un service qui va de l'annonce de la Parole à la sanctification des hommes par les sacrements, à la conduite du peuple de Dieu dans la communion et dans le service. Mais l'Eucharistie est le point à partir duquel tout rayonne et où tout conduit. Notre sacerdoce est né avec elle au Cénacle.

«Vous ferez cela en mémoire de moi» (Lc 22,19): bien que les paroles du Christ concernent directement toute l'Église, elles sont confiées comme une tâche spécifique à ceux qui continueront le ministère des premiers Apôtres. C'est à eux que Jésus transmet l'action qu'il vient d'accomplir: transformer le pain en son Corps et le vin en son Sang, action par laquelle il se manifeste comme Prêtre et Victime. Le Christ veut que désormais cette action devienne aussi, de manière sacramentelle, l'action de l'Église par les mains des prêtres. En disant «vous ferez cela», il n'indique pas seulement l'action mais aussi le sujet appelé à la poser, autrement dit il institue le sacerdoce ministériel, qui devient ainsi l'un des éléments constitutifs de l'Église elle-même.

11. Cette action devra être accomplie «en mémoire de lui»: la précision est importante. L'action eucharistique célébrée par les prêtres rendra présente pour toutes les générations chrétiennes, en tout lieu de la terre, l'oeuvre accomplie par le Christ. Partout où l'Eucharistie sera célébrée, là également, de manière non sanglante, sera rendu présent le sacrifice sanglant du Calvaire, là sera présent le Christ lui-même, le Rédempteur du monde.

«Vous ferez cela en mémoire de moi». En entendant de nouveau ces paroles, ici, entre les murs du Cénacle, on cherche spontanément à imaginer les sentiments du Christ. C'était aux heures dramatiques qui précédaient la Passion. L'évangéliste Jean évoque les accents d'affliction du Maître qui préparait ses Apôtres à sa mort. Quelle tristesse dans leurs yeux: «Parce que je vous ai dit cela, la tristesse remplit vos coeurs» (Jn 16,6). Mais Jésus les rassure: «Je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai vers vous» (Jn 14,18). Si le mystère de Pâques le soustrait à leurs regards, Il sera plus que jamais présent dans leur vie, et il le sera «tous les jours jusqu'à la fin du monde (Mt 28,20).

Mémorial qui actualise

12. Sa présence s'exprimera de bien des manières. Mais la plus importante sera la présence eucharistique: non pas un simple souvenir, mais un «mémorial» qui actualise; non pas un rappel symbolique du passé, mais la présence vivante du Seigneur au milieu des siens. L'Esprit Saint en sera pour toujours le garant, lui qui est en permanence répandu dans la célébration eucharistique pour que le pain et le vin deviennent le Corps et le Sang du Christ: c'est ce même Esprit qui, le soir de Pâques, en ce Cénacle, a été «soufflé» sur les Apôtres (cf. Jn 20,22) et les trouva ici encore, réunis avec Marie, le jour de la Pentecôte. Il les investit alors, tel un vent violent et un feu (cf. Ac 2,1-4), et il les poussa à aller partout dans le monde, pour annoncer la Parole et rassembler le peuple de Dieu dans «la fraction du pain» (cf. Ac 2,42).

13. Deux mille ans après la naissance du Christ, en cette année jubilaire, nous devons, de façon spéciale, rappeler et méditer la vérité de ce que nous pourrions appeler sa «naissance eucharistique». Le Cénacle est précisément le lieu de cette «naissance». Ici a commencé pour le monde une présence nouvelle du Christ, une présence qui se réalise sans interruption partout où est célébrée l'Eucharistie et où un prêtre prête sa voix au Christ en redisant les paroles sacrées de l'institution.

Cette présence eucharistique a traversé les deux mille ans de l'histoire de l'Église et elle l'accompagnera jusqu'à la fin de l'histoire. Être ainsi étroitement liés à ce mystère est pour nous une grande joie, et en même temps une source de responsabilité. Nous voulons aujourd'hui en prendre conscience, le coeur rempli d'admiration et de gratitude, et entrer avec ces sentiments dans le Triduum pascal de la passion, de la mort et de la résurrection du Christ.

Le don du Cénacle

14. Mes chers Frères prêtres, qui vous réunissez le Jeudi saint dans les cathédrales autour de vos Pasteurs, comme les prêtres de l'Église qui est à Rome se réunissent autour du Successeur de Pierre, puissiez-vous accueillir ces pensées, méditées dans l'atmosphère suggestive du Cénacle! Il serait difficile de trouver un lieu qui puisse mieux évoquer le mystère eucharistique et en même temps le mystère de notre sacerdoce.

Restons fidèles au «don» du Cénacle, au grand don du Jeudi saint. Célébrons toujours avec ferveur la sainte Eucharistie. Restons souvent et longuement en adoration devant le Christ Eucharistique. Mettons-nous en quelque manière «à l'école» de l'Eucharistie. Nombreux sont les prêtres qui, au cours des siècles, ont trouvé en elle le réconfort promis par Jésus le soir de la dernière Cène, le secret pour vaincre leur solitude, le soutien pour supporter leurs souffrances, l'aliment pour reprendre le chemin après chaque découragement, l'énergie intérieure pour confirmer leur choix de la fidélité. Le témoignage que nous saurons donner au peuple de Dieu dans la célébration eucharistique dépend beaucoup de notre rapport personnel avec l'Eucharistie.

15. Redécouvrons notre sacerdoce à la lumière de l'Eucharistie! Faisons redécouvrir ce trésor à nos communautés, dans la célébration quotidienne de la sainte Messe et, en particulier, dans la célébration, plus solennelle, de l'assemblée dominicale. Que grandisse, grâce à votre travail apostolique, l'amour pour le Christ présent dans l'Eucharistie. C'est un devoir qui revêt une importance toute spéciale en cette année jubilaire. Ma pensée se tourne vers le Congrès eucharistique international qui se tiendra à Rome du 18 au 25 juin prochain, et qui aura pour thème Jésus Christ, unique Sauveur du monde, pain pour nouvelle vie. Il constituera un événement central du grand Jubilé, qui doit être une «année intensément eucharistique» (Tertio millennio adveniente, n. NM 55). Ce Congrès mettra en évidence, précisément, le rapport étroit entre le mystère de l'Incarnation du Verbe et l'Eucharistie, sacrement de la présence réelle du Christ.

Du Cénacle, je vous donne le baiser eucharistique. Que l'image du Christ entouré des siens lors de la dernière Cène donne à chacun de nous un élan de fraternité et de communion! De grands peintres se sont risqués à dessiner le visage du Christ au milieu de ses disciples dans l'épisode de la dernière Cène: comment oublier le chef-d'oeuvre de Léonard de Vinci? Mais seuls les Saints, par l'intensité de leur amour, peuvent pénétrer dans la profondeur de ce mystère: comme Jean, ils se penchent sur la poitrine du Seigneur (cf. Jn 13,25). Car nous sommes ici au sommet de l'amour: «Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu'à la fin».

16. Il me plaît de conclure cette réflexion, que je confie avec affection à votre coeur, par les paroles d'une prière ancienne:

«Nous te rendons grâce, notre Père, pour la vie et la connaissance que tu nous as fait découvrir par Jésus, ton serviteur. À toi la gloire pour les siècles. Comme ce pain rompu, qui était dispersé sur les montagnes et les collines, a été rassemblé pour ne plus faire qu'un, ainsi, que ton Église soit rassemblée des extrémités de la terre dans ton Royaume. [...] C'est toi, Maître tout-puissant, qui as créé l'univers pour la gloire de ton Nom, qui as donné aux hommes nourriture et boisson pour qu'ils en jouissent, afin qu'ils te rendent grâce. Mais nous, tu nous as gratifiés d'une nourriture et d'une boisson spirituelles et de la vie éternelle, par ton Serviteur. [...] À toi la gloire pour les siècles!» (Didaché, [9,3-4>APOST 109]; [10,3-4>APOST 110]).

Du Cénacle, chers Frères dans le sacerdoce, je vous embrasse tous spirituellement et je vous bénis de grand coeur.

Jérusalem, le 23 mars 2000.





LETTRE DU PAPE


JEAN-PAUL II


AUX PRÊTRES


POUR LE JEUDI SAINT 2001

2001


Chers Frères dans le sacerdoce!

1. Au jour où le Seigneur Jésus fit à l'Église le don de l'Eucharistie et où, avec elle, il institua notre sacerdoce, je ne saurais manquer de vous adresser - comme c'est désormais la tradition - quelques mots, qui se veulent des mots d'amitié et, je dirais, d'intimité, désirant ainsi partager avec vous l'action de grâce et la louange.

Lauda, Sion, Salvatorem, lauda ducem et pastorem, in hymnis et canticis! Oui, vraiment, il est grand, le mystère dont nous avons été faits les ministres. Mystère d'un amour sans limites, car «ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu'au bout» (
Jn 13,1); mystère d'unité qui, venant des sources de la vie trinitaire, rejaillit sur nous pour nous faire «un» par le don de l'Esprit (cf. Jn 17); mystère de la divine diakonia qui conduit le Verbe fait chair à laver les pieds de sa créature, montrant que le service est la voie principale de toute relation authentique entre les hommes: «Comme je l'ai fait, faites-le vous aussi...» (cf. Jn 13,15).

De ce grand mystère, nous avons été faits, à un titre spécial, les témoins et les ministres.

2. Ce Jeudi saint est le premier après le grand Jubilé. L'expérience que nous avons faite avec nos communautés, en célébrant spécialement la miséricorde, deux mille ans après la naissance de Jésus, devient maintenant un stimulant pour la poursuite de notre marche. Duc in altum! Le Seigneur nous invite à repartir au large en nous fiant à sa parole. Mettons à profit l'expérience jubilaire et poursuivons notre engagement de témoins de l'Évangile avec l'enthousiasme que suscite en nous la contemplation du visage du Christ!

En effet, comme je l'ai souligné dans la lettre apostolique Novo millennio ineunte, il faut repartir de lui pour nous ouvrir en lui, avec les cris «inexprimables» de l'Esprit (cf. Rm 8,26), à l'étreinte du Père: «Abba, Père» (Ga 4,6). Il faut repartir de lui pour redécouvrir la source et la logique profonde de notre fraternité: «Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres» (Jn 13,34).

3. Je désire aujourd'hui exprimer à chacun d'entre vous mes remerciements pour ce que vous avez fait durant l'Année jubilaire afin que le peuple qui vous est confié ressente plus intensément la présence salvatrice du Seigneur ressuscité. Je pense aussi en cet instant au travail que vous accomplissez chaque jour, travail souvent caché qui, sans accéder aux feux de la rampe, fait avancer le Règne de Dieu dans les consciences. Je vous dis mon admiration pour ce ministère discret, tenace, créatif, bien qu'il soit parfois traversé par les larmes de l'âme que Dieu seul voit et qu'il «recueille en ses outres» (cf. Ps 55,9). Ministère d'autant plus digne d'estime qu'il est davantage éprouvé par les résistances d'un monde largement sécularisé, qui expose l'action du prêtre aux embûches de l'épuisement et du découragement. Vous le savez bien: cet engagement quotidien est précieux aux yeux de Dieu.

En même temps, je désire me faire l'écho du Christ, qui nous appelle à développer toujours davantage nos rapports avec lui. «Voici que je me tiens à la porte, et je frappe» (Ap 3,20). Annonciateurs du Christ, nous sommes avant tout invités à vivre en intimité avec lui: il n'est pas possible de donner aux autres ce que nous n'avons pas nous-mêmes! Il y a une soif du Christ qui, malgré tant d'apparences contraires, émerge dans la société contemporaine, se manifeste au milieu des incohérences de nouvelles formes de spiritualité, se dessine même lorsque, sur les grands problèmes éthiques, le témoignage de l'Église devient un signe de contradiction. Cette soif du Christ

- consciente ou non - ne peut être apaisée par des paroles vides. Seuls des témoins authentiques peuvent répandre de manière crédible la parole qui sauve.

4. Dans la lettre apostolique Novo millennio ineunte, j'ai dit que le véritable héritage du grand Jubilé est l'expérience d'une rencontre plus intense avec le Christ. Parmi les nombreux aspects de cette rencontre, il me plaît aujourd'hui de choisir, pour la présente réflexion, celui de la réconciliation sacramentelle: c'est d'ailleurs un aspect qui a été au centre de l'Année jubilaire, notamment parce qu'il est intimement lié au don de l'indulgence.

Je suis sûr que vous aussi en avez fait l'expérience dans les Églises locales. Il est certain qu'ici, à Rome, l'affluence importante de personnes qui se sont approchées du sacrement de la miséricorde a été l'un des phénomènes les plus manifestes du Jubilé. Même des observateurs laïcs en ont été impressionnés. Les confessionnaux de Saint-Pierre, comme ceux des autres Basiliques, ont été comme «pris d'assaut» par les pèlerins, souvent contraints de suivre de longues files et d'attendre patiemment leur tour. Et l'intérêt montré pour ce sacrement par les jeunes lors de la semaine splendide de leur Jubilé a été particulièrement significatif.

5. Vous savez bien qu'au cours des dernières décennies ce sacrement a été marqué, pour plus d'un motif, par une certaine crise. C'est précisément pour affronter cette crise que fut réuni en 1984 un Synode, dont les conclusions furent synthétisées dans l'exhortation apostolique post-synodale Reconciliatio et paenitentia.

Il serait naïf de penser que la pratique plus intense du sacrement du pardon au cours de l'Année jubilaire constitue à elle seule la preuve d'une inversion de tendance désormais acquise. Mais il y a eu là un signal encourageant. Il nous pousse à reconnaître que les exigences profondes de l'esprit humain, auxquelles répond le dessein de salut de Dieu, ne peuvent pas être effacées par des crises temporaires. Il faut recevoir comme une indication d'en haut ce signal jubilaire et en faire le motif d'une nouvelle audace pour proposer à nouveau le sens et la pratique de ce sacrement.

6. Mais ce n'est pas tellement sur le problème pastoral que je veux m'attarder. Le Jeudi saint, journée spéciale de notre vocation, nous invite à réfléchir surtout sur notre «être» et en particulier sur notre chemin de sainteté. C'est de ce dernier que découle aussi l'élan apostolique.

Eh bien, en regardant le Christ lors de la dernière Cène, en le voyant se faire «pain rompu» pour nous, se pencher en humble service aux pieds des Apôtres, comment ne pas éprouver, avec Pierre, le même sentiment d'indignité devant la grandeur du don reçu? «Tu ne me laveras pas les pieds, non, jamais!» (Jn 13,8). Pierre avait tort de refuser le geste du Christ. Mais il avait raison de s'en sentir indigne. Il est important, en cette journée par excellence de l'amour, que nous sentions la grâce du sacerdoce comme une surabondance de miséricorde.

Est miséricorde l'absolue gratuité avec laquelle Dieu nous a choisis: «Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis» (Jn 15,16).

Est miséricorde la condescendance avec laquelle il nous appelle à oeuvrer comme ses représentants, tout en nous sachant pécheurs.

Est miséricorde le pardon qu'il ne nous refuse jamais, pas plus qu'il ne le refusa à Pierre après le reniement. Pour nous aussi vaut l'affirmation selon laquelle «il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de conversion» (Lc 15,7).

7. Redécouvrons donc notre vocation comme «mystère de miséricorde». Nous voyons dans l'Évangile que c'est précisément dans cette attitude spirituelle que Pierre reçoit son ministère spécial. Son histoire est exemplaire pour tous ceux qui ont reçu la charge apostolique, dans les différents degrés de l'Ordre.

La pensée se tourne vers la scène de la pêche miraculeuse telle qu'elle est décrite dans l'Évangile de Luc (). Jésus demande à Pierre un acte de confiance en sa parole, l'invitant à avancer au large pour pêcher. Demande humainement déconcertante: comment le croire après une nuit blanche et épuisante, passée à jeter les filets sans aucun résultat? Mais essayer à nouveau «sur la parole de Jésus» change tout. Les poissons se précipitent en masse, jusqu'à rompre les filets. La Parole dévoile sa puissance. Cela engendre la stupéfaction, et en même temps la crainte et le tremblement, comme lorsqu'on reçoit à l'improviste un puissant faisceau de lumière qui met à nu toute limite personnelle. Pierre s'exclame: «Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur» (Lc 5,8). Mais il a à peine fini d'exprimer sa confession que la miséricorde du Maître se fait pour lui début de vie nouvelle: «Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes qui tu prendras» (Lc 5,10). Le «pécheur» devient ministre de la miséricorde. De pêcheur de poissons à «pêcheur d'hommes!».

8. Chers prêtres, ce mystère est grand: le Christ n'a pas eu peur de choisir ses ministres parmi les pécheurs. N'est-ce pas là notre expérience? Il reviendra encore à Pierre d'en prendre plus vivement conscience dans son dialogue émouvant avec Jésus après la résurrection. Avant de lui conférer la charge pastorale, le Maître pose la question embarrassante: «Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci?» (Jn 21,15). Celui qui est interpellé est celui-là même qui quelques jours plus tôt l'a renié à trois reprises. On comprend bien le ton humble de sa réponse: «Seigneur, tu sais tout: tu sais bien que je t'aime» (ibid., v. Jn 21,17). C'est en fonction de cet amour conscient de sa fragilité, amour professé avec autant de tremblement que de confiance, que Pierre reçoit le ministère: «Sois le berger de mes agneaux», «sois le pasteur de mes brebis» (ibid., vv. 15.16.17). C'est en fonction de cet amour, fortifié par le feu de la Pentecôte, que Pierre pourra accomplir le ministère reçu.

9. N'est-ce pas aussi au coeur d'une expérience de miséricorde que naît la vocation de Paul? Personne n'a ressenti autant que lui la gratuité du choix du Christ. Son passé de persécuteur acharné de l'Église sera toujours une brûlure en son esprit: «Moi, je suis le plus petit des Apôtres, je ne suis pas digne d'être appelé Apôtre, puisque j'ai persécuté l'Église de Dieu» (1Co 15,9). Et pourtant, loin de réduire son enthousiasme, ce souvenir lui donnera des ailes. Plus on a été entouré par la miséricorde, plus on sent le besoin d'en témoigner et d'en rayonner. La «voix» qui l'atteint sur le chemin de Damas le porte au coeur de l'Évangile, et elle le lui fait découvrir comme amour miséricordieux du Père qui se réconcilie le monde dans le Christ. À partir de là, saint Paul comprendra également le service apostolique comme ministère de réconciliation: «Tout cela vient de Dieu: il nous a réconciliés avec lui par le Christ, et il nous a donné pour ministère de travailler à cette réconciliation. Car c'est bien Dieu qui, dans le Christ, réconciliait le monde avec lui; il effaçait pour tous les hommes le compte de leurs péchés, et il mettait dans notre bouche la parole de la réconciliation» (2Co 5,18-19).

10. Chers prêtres, les témoignages de Pierre et de Paul contiennent de précieuses indications pour nous. Ils nous invitent à vivre avec le sens d'une infinie gratitude le don du ministère: nous n'avons rien mérité, tout est grâce! L'expérience des deux Apôtres nous invite en même temps à nous abandonner à la miséricorde de Dieu, pour lui remettre nos fragilités avec un sincère repentir, et reprendre avec sa grâce notre chemin de sainteté. Dans la lettre Novo millennio ineunte, j'ai indiqué l'engagement à la sainteté comme le premier point d'un sage «programme» pastoral. C'est l'engagement fondamental de tous les croyants, à plus forte raison le nôtre (cf. nn. 30-31)!

À cette fin, il est important pour nous de redécouvrir le sacrement de la Réconciliation comme moyen fondamental de notre sanctification. Nous approcher d'un frère prêtre pour lui demander l'absolution que nous-mêmes donnons tant de fois à nos fidèles nous fait vivre cette grande et consolante vérité: avant même d'en être les ministres, nous sommes les membres d'un unique peuple, un peuple de «sauvés». Ce que disait saint Augustin de sa charge épiscopale vaut aussi pour le service presbytéral: «Ce que je suis pour vous me terrifie, mais ce que je suis avec vous me console: car pour vous je suis évêque, avec vous, je suis chrétien. Le premier titre est celui d'une charge, le second, d'une grâce. Celui-là désigne le péril, celui-ci, le salut» (Serm. 340,1). Il est beau de pouvoir confesser nos péchés, et d'entendre la parole qui est comme un baume qui nous inonde de miséricorde et nous remet en chemin. Seul celui qui a ressenti la tendresse de l'étreinte du Père, telle que l'Évangile la décrit dans la parabole de l'enfant prodigue - «il courut se jeter à son cou et il le couvrit de baisers!» (Lc 15,20) - , seul celui-là peut transmettre aux autres la même chaleur, quand de destinataire du pardon il en devient le ministre.

11. Demandons donc au Christ, en cette sainte journée, de nous aider à redécouvrir pleinement, pour nous-mêmes, la beauté de ce sacrement. Jésus lui-même n'a-t-il pas aidé Pierre dans cette découverte? «Si je ne te lave pas, tu n'auras point de part avec moi» (Jn 13,8). Bien sûr, à ce moment-là Jésus ne se référait pas directement au sacrement de la Réconciliation, mais d'une certaine manière il l'évoquait, faisant allusion au processus de purification que sa mort rédemptrice allait engager et que l'économie sacramentelle allait appliquer aux individus dans la suite des siècles.

Ayons donc recours avec assiduité, chers prêtres, à ce sacrement, pour que le Seigneur puisse purifier constamment notre coeur en nous rendant moins indignes des mystères que nous célébrons. Appelés à rendre présent le visage du Bon Pasteur, et donc à avoir le coeur même du Christ, nous devons, plus que les autres, faire nôtre l'intense supplication du psalmiste: «Crée en moi un coeur pur, ô mon Dieu, renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit» (Ps 50,12). Le sacrement de la Réconciliation, irremplaçable pour toute vie chrétienne, se présente aussi comme soutien, orientation et remède de la vie sacerdotale.

12. Le prêtre qui fait pleinement l'expérience joyeuse de la réconciliation sacramentelle trouve tout naturel de redire à ses frères les paroles de Paul: «Nous sommes les ambassadeurs du Christ, et par nous c'est Dieu lui-même qui, en fait, vous adresse un appel. Au nom du Christ, nous vous le demandons, laissez-vous réconcilier avec Dieu» (2Co 5,20).

Si la crise du sacrement de la Réconciliation, que je viens de mentionner, dépend de multiples facteurs - de l'amoindrissement du sens du péché à la perception appauvrie de l'économie sacramentelle par laquelle Dieu nous sauve - , nous devons peut-être reconnaître que parfois a pu jouer aussi en défaveur du sacrement un certain affaiblissement de notre enthousiasme ou de notre disponibilité dans l'exercice de ce ministère exigeant et délicat.

Il faut au contraire et plus que jamais le faire redécouvrir au peuple de Dieu. Il est nécessaire de dire avec fermeté et conviction que le sacrement de Pénitence est la voie ordinaire pour obtenir le pardon et la rémission des péchés graves commis après le baptême. Il est nécessaire de célébrer le sacrement le mieux possible, dans les formes liturgiques prévues, pour que soit pleinement conservé son caractère de célébration de la miséricorde divine.

13. Pour nous rendre confiance dans la possibilité d'une reprise de ce sacrement, il y a non seulement une nouvelle urgence de vie spirituelle qui, malgré bien des contradictions, refait surface dans beaucoup de milieux sociaux, mais aussi le vif besoin de rencontres interpersonnelles, qui s'affirme peu à peu chez beaucoup de personnes en réaction à une société anonyme et massificatrice, qui condamne souvent à l'isolement intérieur même quand elle entraîne dans un tourbillon de relations professionnelles. Assurément, on ne doit pas confondre la confession sacramentelle avec la pratique d'un soutien humain ou d'une thérapie psychologique. Toutefois il ne faut pas sous-estimer le fait que, bien vécu, le sacrement de la Réconciliation joue sûrement aussi un rôle «humanisant», qui se conjugue tout à fait avec sa valeur première de réconciliation avec Dieu et avec l'Église.

Il est important que, de ce point de vue aussi, le ministre de la réconciliation accomplisse bien sa charge. Sa capacité d'accueil, d'écoute, de dialogue, sa disponibilité jamais démentie, sont des éléments essentiels pour que le ministère de la réconciliation puisse se manifester dans toute sa valeur. L'annonce fidèle, sans jamais aucune réticence, des exigences radicales de la Parole de Dieu doit toujours s'accompagner d'une grande compréhension et d'une grande délicatesse, à l'imitation de l'attitude de Jésus envers les pécheurs.

14. Il faut aussi donner toute son importance à la forme liturgique du sacrement. Le sacrement prend place dans la logique de communion qui caractérise l'Église. Le péché lui-même ne se comprend pas à fond si on le considère seulement comme une affaire «privée», oubliant qu'il concerne inévitablement la communauté entière et qu'il diminue son degré de sainteté. À plus forte raison, le don du pardon, dont la logique sacramentelle repose sur l'union profonde qui subsiste entre le Christ Tête et ses membres, exprime un mystère de solidarité surnaturelle.

Faire redécouvrir cet aspect de «communion» du sacrement, notamment à travers des liturgies pénitentielles communautaires qui se concluent par la confession et l'absolution individuelles, est d'une grande importance, car cela permet aux fidèles de mieux percevoir la double dimension de la réconciliation et les engage davantage à vivre leur chemin pénitentiel dans toute sa richesse régénératrice.

15. Reste par ailleurs le problème fondamental d'une catéchèse sur le sens moral et sur le péché, qui fasse prendre plus clairement conscience du caractère radical des exigences évangéliques. Il existe malheureusement une tendance minimaliste qui empêche que le sacrement porte tous les fruits souhaitables. Pour beaucoup de fidèles, la perception du péché n'est pas mesurée à l'aune de l'Évangile, mais à celle des «lieux communs», de la «normalité» sociologique, qui laisse penser que l'on n'est pas particulièrement responsable de ce que «tout le monde fait», encore moins si c'est légalisé sur le plan civil.

L'évangélisation du troisième millénaire doit résoudre la question de l'urgence d'une présentation vivante, complète, exigeante, du message évangélique. Le christianisme que l'on doit viser ne peut se réduire à un médiocre engagement à vivre honnêtement selon des critères sociologiques, mais il doit tendre véritablement à la sainteté. Nous devons relire avec un nouvel enthousiasme le chapitre V de Lumen gentium, qui traite de la vocation universelle à la sainteté. Être chrétien signifie recevoir un «don» de grâce sanctifiante qui ne peut pas ne pas se traduire par un «engagement» à y répondre personnellement dans la vie quotidienne. Ce n'est pas par hasard que j'ai cherché toutes ces années à promouvoir à une plus grande échelle la reconnaissance de la sainteté, dans tous les milieux où elle s'est manifestée, afin que puissent être offerts à tous les chrétiens de multiples modèles de sainteté, et que tous se rappellent qu'ils y sont personnellement appelés.

16. Chers frères prêtres, allons de l'avant dans la joie de notre ministère, sachant que nous avons à nos côtés Celui qui nous a appelés et qui ne nous abandonne pas. Que la certitude de sa présence nous soutienne et nous console!

À l'occasion du Jeudi saint, nous sentons encore plus vivement sa présence lorsque nous nous mettons en contemplation émue de l'heure où Jésus, au Cénacle, s'est donné lui-même à nous sous le signe du pain et du vin, anticipant sacramentellement le sacrifice de la Croix. L'an dernier, j'ai voulu vous écrire du Cénacle même, à l'occasion de ma visite en Terre sainte. Comment oublier ce moment émouvant? Je le revis aujourd'hui, non sans tristesse pour la situation si tourmentée dans laquelle continue de plonger la terre du Christ.

Notre rendez-vous spirituel pour le Jeudi saint est encore là, au Cénacle, tandis que, réunis autour des Évêques, dans les cathédrales du monde entier, nous vivons le mystère du Corps et du Sang du Christ et que nous faisons mémoire avec reconnaissance des origines de notre sacerdoce.

Dans la joie du don immense qu'ensemble nous avons reçu, je vous embrasse tous et je vous bénis.

Du Vatican, le 25 mars 2001, quatrième Dimanche de Carême, en la vingt-troisième année de mon pontificat.

JEAN-PAUL II




LETTRE DU PAPE

JEAN-PAUL II

AUX PRÊTRES

POUR LE JEUDI SAINT 2002


1994-2001 Lettres du Jeudi Saint 2000