S. Léon, lettres choisies - A SON TRES CHER FRERE THÉODORET, ÉVEQUE

A L'EMPEREUR LÉON, TOUJOURS AUGUSTE

Je me souviens de vous avoir promis, vénérable empereur, de vous adresser sur la foi, dont j'ai reconnu que votre Clémence avait embrassé la cause, animé d'un pieux zèle, un sermon dicté par mon humilité. Je crois que le temps est venu de m'acquitter de cette promesse avec le secours de Dieu, et que je ne dois point laisser manquer votre sainte ardeur pour la religion, d'une instruction utile, autant que je le puis. Quoique je sache que votre Clémence est abondamment pourvue des instructions des hommes, et qu'elle a puisé la doctrine la plus pure à la source inépuisable du saint Esprit, il n'en est pas moins de mon devoir de vous démontrer ce que vous comprenez, et de vous expliquer ce que vous croyez, afin que ce feu sacré, comme par des aliments, s'échauffe et brûle, s'enflamme et brille.

L'hérésie d'Eutychès s'est efforcée d'amonceler de profondes ténèbres sur les provinces d'Orient, et elle a essayé de dérober aux yeux des ignorants l'éclat de cette lumière qui, selon l'évangile, brille dans les ténèbres, et que les ténèbres ne purent saisir. Mais après que son obscurité a causé sa ruine, voici que de nouveaux disciples viennent prêcher les erreurs du maître. À des époques très rapprochées, la foi catholique, qui est la seule vraie et à laquelle on ne peut ni rien ajouter, ni rien retrancher, eut à repousser les attaques de deux ennemis: le premier, Nestorius, donna naissance au second, Eutychès; ils voulurent introduire dans l'Église de Dieu deux hérésies contraires, et ils méritèrent ainsi d'être condamnés tous les deux par les apôtres de la vérité, car les erreurs différentes qu'ils professèrent tous deux sont par trop insensées et par trop sacrilèges. Anathème à Nestorius qui crut que la bienheureuse vierge Marie ne fut pas la mère de Dieu, mais seulement la mère de l'Homme, qui divisa la Nature humaine et la Nature divine en deux Personnes, et qui ne comprit pas que dans le Verbe de Dieu et la chair il n'y avait qu'un seul Christ. Il enseignait que le Fils de Dieu et le Fils de l'homme étaient distincts et séparés, tandis que le Verbe, conservant son essence immuable, qui de toute éternité est coéternelle au Père et au saint Esprit, Se fit Chair dans les entrailles d'une vierge et accomplit ce mystère ineffable de telle sorte que par une seule conception, un seul enfantement, et en deux natures réunies en une seule Personne, cette vierge devint à la fois la servante et la mère du Seigneur. Elisabeth, comme le rapporte l'évangéliste Luc, comprit cette vérité et dit à Marie: " Comment m'est-il accordé que la mère de mon Seigneur vienne auprès de moi:? " (Lc 1,43). Qu'Eutychès soit aussi frappé du même anathème, lui qui, se roulant dans la fange des erreurs impies des anciens hérétiques, adopta le troisième dogme d'Apollinaire. Se refusant ainsi de croire à la vérité du Corps et de l'Âme humains de notre Seigneur Jésus Christ, il affirmait qu'il n'y avait en Lui qu'une seule nature, comme si la Divinité du Verbe S'était commuée en la chair et l'âme d'un homme, comme si sa conception et sa naissance, son enfance et sa croissance, son supplice et sa mort, son ensevelissement et sa résurrection, et son ascension dans les cieux où Il Se plaça à la droite de son Père, d'où Il doit venir pour juger les vivants et les morts, étaient là des actes de sa Nature divine; ces actes ne présentant aucune réalité sans l'existence véritable de la chair, car la Nature du Fils unique de Dieu est la même que celle de son Père et que celle du saint Esprit; elle est, comme elles, impassible et immuable, et toutes trois, elles forment l'unité éternelle, indivisible et consubstantielle de la sainte Trinité. Si quelque eutychéen condamne l'erreur d'Apollinaire de crainte d'être convaincu de croire que la Divinité est mortelle et soumise à la souffrance, et cependant ose proférer qu'il n'y a qu'une seule nature du Verbe incarné, c'est-à-dire du Verbe uni à la chair, alors il partage d'une manière évidente les erreurs absurdes de Valentin et de Manichée: il croit que le Médiateur de Dieu et des hommes, que l'Homme Jésus Christ n'a accompli tous ces actes qu'en apparence, qu'Il n'avait point un corps véritable et qu'Il n'a montré à ceux à qui L'ont vu que la forme fantastique d'un corps. Comment peut-on douter que ces mensonges sacrilèges que la religion catholique maudit, et que les sentences des saints pères ont déjà condamnés autrefois par tout l'univers dans les erreurs impies dont ils tirent leur naissance, ne soient contraires et hostiles à la foi que le Symbole de Nicée confirma en ces termes: " Nous croyons en un seul Dieu, le Père tout-puissant, Créateur de toutes les choses visibles et invisibles, et en un seul Seigneur Jésus Christ, Fils seul-engendré de Dieu, né du Père, c'est-à dire de la substance du Père, Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu, non créé, consubstantiel au Père (" homoousion ", comme disent les Grecs), par qui tout a été fait au ciel et sur la terre. Qui pour nous et pour notre salut est descendu des cieux, S'est incarné et S'est fait Homme, a souffert et est ressuscité le troisième jour. Il est monté aux cieux, d'où Il viendra juger les vivants et les morts. Nous croyons aussi au saint Esprit.":?

Dans cette profession de foi sont évidemment renfermées toutes nos croyances sur l'Incarnation de notre Seigneur, qui, pour accomplir le salut de la race humaine, n'a point apporté du ciel notre véritable chair si fragile, mais l'a prise dans le sein de la Vierge, sa mère.

Tous ceux qui sont donc aveuglés et privés des lumières de la vérité, au point de refuser de croire à l'existence réelle de la Chair que notre Seigneur prit en S'incarnant, prouvent en quoi ils usurpent le nom de chrétiens; car ils se trouvent d'accord avec la vérité de l'évangile sur quelque point, soit par exemple sur l'enfantement de la bienheureuse Vierge, alors selon eux, ou la chair naquit sans la Divinité ou la Divinité sans la chair. De même qu'on ne peut nier ces paroles de l'évangile: " Le Verbe S'est fait Chair et Il a habité parmi nous " (Jn 1,14); de même il faut croire celles-ci du bienheureux apôtre Paul: " C'est Dieu qui nous a réconciliés avec Lui par Christ " (2Co 5,18). Comment cette réconciliation était-elle possible; comment Dieu pouvait-Il pardonner à la race humaine, si le Médiateur de Dieu et des hommes ne S'était chargé de défendre la cause de tous:? Comment pouvait-Il accomplir en réalité son rôle de médiateur, si Lui, qui, dans sa Nature de Dieu, est égal à son Père, n'avait participé à notre nature en revêtant la forme d'un esclave, afin de rompre les fers de la mort, dont la prévarication d'un seul homme avait chargé le monde par la mort d'un seul, qui seul ne fut pas soumis à la mort:? L'effusion du Sang du Juste pour les injustes produisit un si grand bienfait et fut une si magnifique rançon, que, si tous les esclaves du démon avaient cru en leur Rédempteur, il n'en restait pas un seul dans les fers; car, comme l'Apôtre l'a dit: " S là où le péché a abondé, la grâce a surabondé " (Rm 5,20). Les hommes nés dans l'esclavage du péché ont reçu la liberté de se régénérer, et la liberté qu'ils reçurent en présent est plus puissante que la dette de servitude qui les enchaîne. Ils abandonnent l'espérance d'être régénérés par la vertu du sacrement ceux qui refusent de croire à la réalité de la Chair de notre Seigneur Jésus Christ. Qu'ils disent donc quel sacrifice les a réconciliés, quel sang les a rachetés. Quel est Celui, comme dit l'Apôtre, " qui S'est livré Lui-même à Dieu pour nous comme une offrande et un sacrifice de bonne odeur " (Ep 5,2):? Quel sacrifice fut jamais plus sublime que celui où le véritable et immortel Pontife offrit à son Père les dépouilles de son Corps sur l'autel de la croix:? Quoique la mort de plusieurs saints ait été agréable à Dieu, cependant le supplice d'aucun de ces hommes innocents ne racheta le monde. Ces justes reçurent et ne donnèrent point de couronnes; ils naquirent pour offrir à la vertu des fidèles des exemples de patience, et non pour la justifier. La mort de chacun d'eux a servi à leur propre justification; aucun n'a payé par son supplice la dette d'autrui; entre les fils des hommes il n'y avait que notre seul Seigneur Jésus Christ qui fût vraiment l'Agneau sans tache; en Lui, tous les hommes ont été crucifiés, sont morts, ont été ensevelis, et tous sont ressuscités en Lui. Il disait Lui-même: " Et Moi, quand J'aurai été élevé de la terre, J'attirerai tous les hommes à Moi " (Jn 12,32). La vraie foi, qui justifie les impies et qui crée les justes, trouve sa source dans Celui qui participa à notre humanité, elle nous sauve par les mérites de Celui qui seul d'entre les hommes fut trouvé innocent, qui, pouvant par la Grâce de Dieu Se glorifier de sa Puissance, combattit l'ennemi du genre humain avec notre chair fragile, et attribua sa Victoire à ceux dont Il avait revêtu la nature pour triompher. Donc quoiqu'il n'y ait eu en notre Seigneur Jésus Christ, vrai Fils de Dieu, vrai Fils de l'homme, qu'une seule Personne composée du Verbe et de la chair, Personne qui jouit des propriétés inséparables et indivisibles des deux natures; cependant on doit établir une distinction dans les Oeuvres de cette Personne, et admirer dans la contemplation d'une foi sincère jusqu'où s'élève la bassesse de notre nature et jusqu'où s'incline la Grandeur de la Divinité. Quoiqu'il en soit, la chair n'agit pas sans le Verbe, ni le Verbe sans la chair. Sans la Puissance du Verbe, la Vierge n'aurait ni conçu ni enfanté; sans la réalité de la chair, Jésus Christ Enfant n'aurait point été enveloppé de langes. Sans la Puissance du Verbe, les mages ne seraient point venus, guidés par la nouvelle étoile, adorer l'Enfant Dieu; et sans la réalité de la chair, l'Enfant n'aurait point été transporté en Egypte par l'Ordre de Dieu et soustrait à la persécution d'Hérode. Sans la Puissance du Verbe, Dieu le Père n'aurait point fait entendre ces paroles du haut des cieux: " Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui J'ai mis toute mon Affection: écoutez- Le ! " (Mt 17,5); et sans la réalité de la chair, Jean ne se serait point écrié: " Voici l'Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde " (Jn 1,29). Sans la Puissance du Verbe, la régénération de l'homme et la résurrection des morts n'auraient point eu lieu, et sans la réalité de la chair, Jésus Christ n'aurait point été soumis à la nécessité de prendre des aliments et de se livrer au sommeil. Enfin, sans la Puissance du Verbe, notre Seigneur ne Se serait point dit égal à son Père, et sans la réalité de la chair Il n'aurait point affirmé que le Père était plus grand que Lui. La foi catholique admet et enseigne les deux natures; et elle confesse, selon la profession du bienheureux apôtre Pierre, un seul Christ, Fils du Dieu vivant, à la fois Homme et Verbe. Dans le principe, quand le Verbe S'incarna dans le sein de la Vierge, il n'y eut aucune division entre la Nature divine et la nature humaine; et de tout temps l'action provint d'une seule et même Personne. Cependant, il ne faut pas établir de confusion dans les actes et les attribuer indistinctement aux deux natures, mais savoir juger par la qualité de l'acte de quelle nature il provient. Car les actes de la Nature divine ne portent point préjudice aux actes de la nature humaine, ni les actes de la nature humaine à ceux de la Nature divine. Les uns n'annihilent pas les autres, et leur simultanéité ne double pas la Personne qui agit. Qu'ils nous disent donc, ces hypocrites dont les esprits enténébrés ne veulent point s'éclairer au flambeau de la vérité, quelle Nature de Jésus Christ notre souverain Maître fut attachée au bois de la croix, quelle Nature fut couchée dans le sépulcre, quelle Chair souleva la pierre de sa tombe, ressuscita le troisième jour? Dans quelle Nature enfin, après sa Résurrection, Il convainquait certains de ses disciples qui n'y ajoutaient point foi, et Il confondait ceux qui doutaient encore, lorsqu'Il leur disait: " Touchez-Moi et voyez: un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que J'ai " (Lc 24,39); et à l'apôtre Thomas: " Avance ici ton doigt, et regarde mes Mains; avance aussi ta main, et mets-la dans mon Côté; et ne sois pas incrédule, mais crois ! " (Jn 20,27).
En vérité, cette preuve de l'existence de sa Chair détruisait déjà les mensonges des hérétiques, et l'Église universelle, qui devait graver dans son sein les doctrines du Christ, ne pouvait hésiter à croire ces vérités que les apôtres avaient apprises pour les lui enseigner. Si les lumières éclatantes de la vérité n'ont point dissipé les ténèbres de l'hérésie, que les insensés qui la défendent nous disent dans leur endurcissement comment ils ont pu concevoir l'espérance de la vie éternelle que l'on ne peut obtenir que par le Médiateur de Dieu et des hommes, par l'Homme Jésus Christ. Comme l'a dit le bienheureux apôtre Pierre: " Il n'y a sous le ciel aucun autre nom qui ait été donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvés " (Ac 4,12). L'homme n'a pu être racheté de sa captivité que par le Sang de Celui qui fut livré Lui-même pour être le prix de la rédemption de tous; et comme l'enseigne le bienheureux apôtre Paul: " Lui qui, existant en forme de Dieu, n'a point regardé comme une proie à arracher d'être égal avec Dieu, mais S'est dépouillé Lui-même, en prenant une forme de serviteur, en devenant semblable aux hommes; et ayant paru comme un simple homme, Il S'est humilié Lui-même, Se rendant obéissant jusqu'à la mort, même jusqu'à la mort de la croix. C'est pourquoi aussi Dieu L'a souverainement élevé, et Lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au Nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre, et que toute langue confesse que Jésus Christ est Seigneur, à la Gloire de Dieu le Père " (Ph 2,6-11). Ainsi, quoique notre Seigneur Jésus Christ soit un, que la véritable nature humaine et la véritable Nature divine soient réunies dans sa seule et même Personne, et que la solidité de cette union ne puisse être rompue en rien, nous comprenons cependant que cette perfection, dont Il était doté par Dieu, qui, selon l'expression du Docteur des nations, Lui a donné un Nom qui est au-dessus de tout autre nom, appartient bien à cette nature qui devait être glorifiée par un présent si magnifique. En effet, dans sa Nature de Dieu, Il était Fils égal au Père, et il n'y avait aucune différence en nature et en puissance entre le Père et le Fils unique, et par le mystère de l'incarnation le Verbe ne perdait rien de cette nature et de cette puissance que le Père eut la faculté de Lui rendre en présent. Mais la forme d'esclave, dans laquelle la Divinité impassible accomplit son Oeuvre de miséricorde, était cette humanité incomplète que Dieu glorifia par sa Puissance, quand Il lia la Divinité et cette humanité par la conception de la Vierge, de telle sorte que l'humanité participa aux actes de la Divinité, et la Divinité à ceux de l'humanité. Aussi dit-on que le Seigneur fut crucifié dans sa Majesté, de même qu'on dit qu'Il fut glorifié, Lui égal à Dieu dans son Éternité, parce que, sous le rapport de l'unité de sa Personne, Il ne forme qu'un seul et même être, et Il est tout entier le Fils de l'homme selon la chair, et tout entier le Fils de Dieu selon sa Divinité qui est celle de son Père. Tout ce que Jésus Christ reçut dans le temps, Il le reçut comme Homme; car, comme tel, Il pouvait recevoir ce qui Lui manquait; comme Dieu, Il possède tout ce que son Père possède, et tout ce qu'Il reçut de son Père dans sa Nature d'esclave, Il Se le donne Lui-même dans sa Nature de Dieu. Comme Dieu, Lui et le Père ne sont qu'un; mais comme Homme, Il n'est point venu faire sa Volonté, mais celle de Celui qui L'a envoyé. Comme Dieu, son Père, qui possède la vie en Lui- même, Lui donne de même à Lui, son Fils, de posséder la vie en Lui-même, et comme homme, son âme est triste jusqu'à la mort. Comme dit l'Apôtre, Il est à la fois riche et pauvre. Riche, parce que, selon le Théologien, " Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par Lui, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans Lui " (Jn 1,1-3). Pauvre, parce que pour notre salut le Verbe Se fit chair et habita parmi nous. D'où Lui vient cette faiblesse et cette pauvreté, si ce n'est de la forme d'esclave qu'Il a prise :? La Majesté du Verbe, voilée par cette forme, accomplit le mystère de notre rédemption. Les fers de l'esclavage originel ne pouvaient être rompus que par un Homme de notre race et de notre nature, que le péché ne souillerait point, et qui effacerait avec son Sang immaculé notre contrat de mort; et, comme la Divinité l'avait ordonné dans sa Sagesse dès le commencement, ces choses s'accomplirent aux temps prescrits par Elle, afin que cette promesse, qui nous avait été faite de plusieurs manières, fût remplie après une longue attente, et que l'on ne pût conserver de doute sur ce qui nous avait été annoncé par des témoignages continuels. L'impiété des hérétiques prouve combien elle est sacrilège, lorsque, sous prétexte d'honorer la Divinité, elle se refuse à croire à la réalité de la Chair humaine de Jésus Christ, et qu'elle pense faire preuve de piété en disant que cette chair qu'Il sauve n'existe point en Lui d'une manière véritable. Tandis que, selon les promesses répétées dans tous les siècles, Dieu S'est réconcilié avec le monde en la Personne de Jésus Christ, et qu'aucune chair ne pouvait être sauvée si le Verbe n'avait daigné revêtir la nature de la chair.
Ainsi, tous les mystères de la foi catholique sont enveloppés de l'obscurité la plus profonde, comme le veulent les hérétiques, si on pense que la Lumière de la Vérité se soit cachée sous les apparences mensongères d'un fantôme. Aucun chrétien ne doit avoir honte de confesser la réalité de notre chair dans la Personne de Jésus Christ, puisque tous les apôtres et tous les disciples des apôtres, ainsi que les cinq illustres docteurs des Églises, qui méritèrent la couronne du martyre ou la gloire de la confession, resplendissants des lumières de la foi, prêchèrent en accord par tout l'univers qu'il fallait confesser dans notre Seigneur Jésus Christ une seule Personne composée de la chair et de la Divinité. Sur quelle apparence de raison, sur quel passage des saintes Écritures l'impiété des hérétiques pense-t-elle donc de s'appuyer pour nier la vérité du Corps de Jésus Christ, que la Loi n'a cessé de témoigner, les prophéties d'annoncer, les évangiles d'enseigner et que Jésus Christ Lui-même n'a point cessé de montrer:? Qu'ils cherchent dans tous les Livres saints de quoi justifier leurs erreurs, sans tenter d'obscurcir les lumières de la vérité, et ils trouveront cette vérité qui brille sur tous les siècles; ils verront accrédité dès le commencement ce grand et admirable mystère qui a été accompli dans sa fin. Comme aucune partie des Livres saints ne gardent le silence sur cette vérité, il suffit d'avoir choisi certains passages où elle est exposée pour servir de guide à la foi dans ses régions sublimes, et pour que l'intelligence sincère puisse comprendre avec clarté que les chrétiens ne doivent pas rougir, mais se glorifier sans cesse de ce que le Fils de Dieu a toujours confessé qu'Il était Fils de l'homme et Homme Lui- même. Afin que votre piété reconnaisse que nous sommes entièrement d'accord avec les enseignements des vénérables Pères, j'ai cru qu'il était convenable de joindre à cette lettre quelques passages de leurs écrits. Si vous daignez les examiner avec soin, vous verrez que nous ne prêchons rien d'autre que ce que nos saints Pères ont enseigné par tout l'univers, et que personne n'est en opposition avec eux que les seuls hérétiques impies. Dans ces passages que j'ai résumés le plus possible, reconnaissez donc, très glorieux et vénérable empereur, que nous enseignons cette même foi que vous avez reçue par l'inspiration du ciel, et que nous ne différons en rien ni des doctrines de l'évangile et des apôtres, ni du Symbole de la foi catholique; car nous disons, comme l'enseigne le bienheureux Paul: " Sans contredit, le mystère de la piété est grand: celui qui a été manifesté en chair, justifié par l'Esprit, vu des anges, prêché aux gentils, cru dans le monde, élevé dans la gloire " (1Tm 3,16). Quoi de plus utile à votre salut, quoi de plus digne de votre puissance, que de maintenir par des lois la paix des Églises du Seigneur, de défendre les Dons du Seigneur dans les coeurs de tous vos sujets, et de ne point souffrir pour aucune raison que l'envie du démon ne cause, par ses ministres, la perte d'aucun d'eux. Ainsi, vous qui brillez sur le trône dans ce siècle qui doit finir, vous mériterez de régner avec le Christ dans le royaume éternel.



A L'ÉVEQUE ANATOLIUS

Si vous aviez pris la résolution ferme et irrévocable de donner tous vos jours au salut commun, ces choses qui vous ont causé tant de chagrin ne vous seraient certainement pas arrivées. Nous n'avions aucune raison de dédaigner votre amitié; loin de là, nous aurions pris plaisir, dans notre amour pour la paix et dans notre zèle pour la foi, à vous prêter un bras secourable dans les premiers temps de votre épiscopat, désireux que nous étions d'avoir pour compagnon de nos travaux un frère semblable à ses dignes prédécesseurs: nous aurions voulu trouver réunies en vous la science de Jean, la vigueur d'Atticus, l'habileté de Proclus et la foi du bienheureux Flavien; nous aurions souhaité de vous voir veiller avec zèle à ce que personne n'attaquât la foi catholique, à ce que personne n'osât violer les saints canons des pères de Nicée. Mais après qu'on eut, comme vous le savez, porté aux canons cette atteinte qui a occasionné un grand scandale dans toutes les Églises, que pouvions faire de plus convenable et de plus humble que de vous engager, par des lettres dictées par un esprit tout fraternel, à ne point partager ces prétentions? En ne me répondant pas, vous vous êtes privé vous-même de notre correspondance. Mais si nous ne vous avons plus écrit, nous avons engagé, par de fréquentes lettres, notre prince très clément et gardien de la foi à vous persuader de faire pour la paix des Églises, que vous savez vous être très nécessaire, ce que vous voulez bien faire aujourd'hui; et nous en rendons d'ineffables actions de grâces à ce vertueux prince, qui, inspiré par le saint Esprit, dont les vertus l'animent, a daigné s'occuper de la paix des évêques, sachant que les prières qu'on ferait en sa faveur lui seraient plus profitables, si les serviteurs du vrai Dieu étaient tous unis par les liens de la véritable paix.

Vous m'apprenez que vous avez fait certains changements dans les offices des clercs de l'Église de Constantinople, que vous avez rendu au prêtre Aétius votre affection et vos bonnes grâces, et que vous avez privé André de l'archidiaconat; ces nouvelles me font plaisir, parce qu'elles prouvent que votre jugement, comme je le désirais, s'est redressé et s'est rendu recommandable. Après la correction, on doit oublier ce qui paraissait condamnable: nous oublierons donc que vous avez relevé les espérances des hérétiques, en conférant des dignités à quelques-uns d'entre eux, et en vous montrant injuste à l'égard du bienheureux Flavien, de sainte mémoire, puisque vous avez réparé vos fautes d'une manière glorieuse, comme je l'ai voulu, et que l'ordre a été rétabli. Si André, que vous avez justement privé de l'archidiaconat, et Eufratas, qui, comme nous l'avons découvert, s'est porté l'injuste accusateur du bienheureux Flavien, condamnent par écrit et d'une manière positive l'hérésie d'Eutychès et les exécrables dogmes de Nestorius, vous les ordonnerez prêtres, afin qu'ils sentent tout l'avantage de s'être convertis à la foi catholique. Vous conférerez auparavant la dignité d'archidiacre à une personne éprouvée et qui soit capable de la remplir, c'est-à-dire, dont la réputation soit pure de toute tache d'hérésie. Vous pourrez conserver dans leurs fonctions tous ceux qui, coupables comme André, solliciteront leur grâce en donnant une profession de foi et en condamnant leurs erreurs; mais n'oubliez pas que vous ne devez élever aux premières dignités ecclésiastiques que des hommes d'une foi éprouvée.

Quant à ce qu'on a voulu faire pour augmenter votre puissance, et sans participation, dites-vous, vous auriez pu éviter de partager cette faute, de la manière la plus efficace et la plus sincère, en ne vous en rapportant point aux seuls témoignages des clercs, qui ne pouvaient rien faire sans votre permission; car de même qu'on se laisse aller à écouter de mauvais conseillers, de même on se laisse persuader de commettre une faute. Mais nous sommes satisfaits, très cher frère, de vous voir condamner à cette heure ce qui, dans le temps, n'aurait jamais dû recevoir votre approbation. Votre volonté ferme de retourner aux bons principes, dont l'empereur très chrétien se rend caution, nous suffit, et votre repentir ne nous paraît point trop tardif, puisqu'un si grand prince s'en constitue le défenseur. Éloignez donc de votre coeur ce désir ambitieux qui n'a point été satisfait et qui a causé notre dissension. Les décrets providentiels des saints pères garantissent d'une manière suffisante à tous les évêques leurs droits et leurs antiques privilèges. Gardez l'amour de la charité du Christ, qu'Il grandisse dans votre coeur; nous vous y avons exhorté bien souvent avec notre frère et collègue Julien, catholique des plus fidèles, dont les talents pourront vous aider dans vos travaux et concourir à la conservation de la foi. Enfin, nous vous exhortons et nous vous avertissons avant tout d'entretenir la paix dans l'Église du Seigneur, en observant avec fidélité ceux des canons de Nicée qui concernent les privilèges et le rang d'honneur des évêques. La charité régnera inviolable parmi les prêtres du Seigneur, s'ils mettent tous le même zèle à conserver intacts les décrets des saints pères.

Fait le quatrième jour des calendes de juin, sous le consulat des très illustres Aétius et Studius.





S. Léon, lettres choisies - A SON TRES CHER FRERE THÉODORET, ÉVEQUE