Depuis le Jour 179

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   C’est bien ici que le zèle intempestif et sans discrétion peut aisément devenir la cause de véritables désastres. Rappelez-vous un des faits les plus mémorables de l’histoire sainte. Assurément, ils ne manquaient ni de courage, ni de bon vouloir, ni de dévouement à la cause sacrée de la religion, ces prêtres qui s’étaient groupés autour de Judas Machabée pour combattre avec lui les ennemis du vrai Dieu, les profanateurs du temple, les oppresseurs de leur nation. Toutefois, ayant voulu s’affranchir des règles de la discipline, ils s’engagèrent témérairement dans un combat où ils furent vaincus. L’Esprit-Saint nous dit d’eux « qu’ils n’étaient pas de la race de ceux qui pouvaient sauver Israël ». — Pourquoi ? parce qu’ils avaient voulu n’obéir qu’à leurs propres inspirations et s’étaient jetés en avant sans attendre les ordres de leurs chefs. In die illa ceciderunt sacerdotes in bello dum volunt fortiter facere, dum sine consilio exeunt in praelium. Ipsi autem non erant de semine virorum illorum, per quos salus facta est in Israel (
1M 5,67 1M 5,62).

   A cet égard, nos ennemis peuvent nous servir d’exemple. Ils savent très bien que l’union fait la force, « vis unita fortior » ; aussi, ne manquent-ils pas de s’unir étroitement, dès qu’il s’agit de combattre la sainte Eglise de Jésus-Christ.

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   Si donc, Nos chers Fils, comme tel est certainement votre cas, vous désirez que, dans la lutte formidable engagée contre l’Eglise par les sectes antichrétiennes et par la cité du démon, la victoire reste à Dieu et à son Eglise, il est d’une absolue nécessité que vous combattiez tous ensemble, en grand ordre et en exacte discipline, sous le commandement de vos chefs hiérarchiques. N’écoutez pas ces hommes néfastes qui, tout en se disant chrétiens et catholiques, jettent la zizanie dans le champ du Seigneur et sèment la division dans son Eglise en attaquant, et souvent même, en calomniant les évêques, « établis par l’Esprit-Saint pour régir l’Eglise de Dieu » (
Ac 20,28). Ne lisez ni leurs brochures, ni leurs journaux. Un bon prêtre ne doit autoriser en aucune manière ni leurs idées, ni la licence de leur langage. Pourrait-il jamais oublier que, le jour de son ordination, il a solennellement promis à son évêque, en face des saints autels, « obedientiam et reverentiam » ?

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   Par-dessus tout, Nos chers Fils, rappelez-vous que la condition indispensable du vrai zèle sacerdotal et le meilleur gage de succès dans les oeuvres auxquelles l’obéissance hiérarchique vous consacre, c’est la pureté et la sainteté de la vie. « Jésus a commencé par faire avant d’enseigner » (
Ac 1,1). Comme lui, c’est par la prédication de l’exemple que le prêtre doit préluder à la prédication de la parole. « Séparés du siècle et de ses affaires (disent les Pères du saint Concile de Trente), les clercs ont été placés à une hauteur qui les met en évidence, et les fidèles regardent dans leur vie comme dans un miroir pour savoir ce qu’ils doivent imiter. C’est pourquoi les clercs, et tous ceux que Dieu a spécialement appelés à son service, doivent si bien régler leurs actions et leurs moeurs que dans leur manière d’être, leurs mouvements, leurs démarches, leurs paroles et tous les autres détails de leur vie, il n’y ait rien qui ne soit grave, modeste, profondément empreint de religion. Ils éviteront les fautes qui, légères chez les autres, seraient très graves pour eux, afin qu’il n’y ait pas un seul de leurs actes qui n’inspire à tous le respect » 18.

18 Cum enim a rebus saeculi in altiorem sublati locum conspiciantur, in eos tanquam in speculum reliqui oculos coniiciunt ex iisque sumunt quod imitentur. Quapropter sic decet omnino clericos, in sortem Domini vocatos, vitam moresque suos omnes componere, ut habitu, gestu, incessu, sermone aliisque omnibus rebus, nil nisi grave, moderatum, ac religione plenum prae se ferant ; leviam etiam delicta, quae in ipsis maxima essent, effugiant, ut eorum actiones cunctis afferant venerationem (S. Conc. Trid. Sess. XXII, de Reform., c. 1).



182    A ces recommandations du saint Concile, que Nous voudrions, Nos chers Fils, graver dans tous vos coeurs, manqueraient assurément les prêtres qui adopteraient dans leurs prédications un langage peu en harmonie avec la dignité de leur sacerdoce et la sainteté de la parole de Dieu ; qui assisteraient à des réunions populaires où leur présence ne servirait qu’à exciter les passions des impies et des ennemis de l’Eglise, et les exposerait eux-mêmes aux plus grossières injures, sans profit pour personne et au grand étonnement, sinon au scandale, des pieux fidèles ; qui prendraient les habitudes, les manières d’être et d’agir, et l’esprit des séculiers. Assurément, le sel a besoin d’être mélangé à la masse qu’il doit préserver de la corruption, en même temps que lui-même se défend contre elle, sous peine de perdre toute saveur et de n’être plus bon à rien qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds (Mt 5,13).

   De même le prêtre, sel de la terre, dans son contact obligé avec la société qui l’entoure, doit-il conserver la modestie, la gravité, la sainteté dans son maintien, ses actes, ses paroles, et ne pas se laisser envahir par la légèreté, la dissipation, la vanité des gens du monde. Il faut, au contraire, qu’au milieu des hommes il conserve son âme si unie à Dieu, qu’il n’y perde rien de l’esprit de son saint état et ne soit pas contraint de faire devant Dieu et devant sa conscience ce triste et humiliant aveu : « toutes les fois que j’ai été parmi les laïques, j’en suis revenu moins prêtre. »

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   Ne serait-ce pas pour avoir, par un zèle présomptueux, mis de côté ces règles traditionnelles de la discrétion, de la modestie, de la prudence sacerdotales, que certains prêtres traitent de surannés, d’incompatibles avec les besoins du ministère dans le temps où nous vivons, les principes de discipline et de conduite qu’ils ont reçus de leurs maîtres du grand séminaire ? On les voit aller, comme d’instinct, au-devant des innovations les plus périlleuses de langage, d’allures, de relations. Plusieurs hélas ! engagés témérairement sur des pentes glissantes où, par eux-mêmes ils n’avaient pas la force de se retenir, méprisant les avertissements charitables de leurs supérieurs ou de leurs confrères plus anciens et plus expérimentés, ont abouti à des apostasies qui ont réjoui les adversaires de l’Eglise et fait verser des larmes bien amères à leurs Evêques, à leurs frères dans le sacerdoce et aux pieux fidèles. Saint Augustin nous le dit : « Plus on marche avec force et rapidité, quand on est en dehors du bon chemin, et plus on s’égare » 19.



19 Enarr., in Ps. XXXI, n., 4.



   Assurément, il y a des nouveautés avantageuses, propres à faire avancer le royaume de Dieu dans les âmes et dans la société. Mais, nous dit le saint Evangile (
Mt 13,52), c’est au Père de famille, et non aux enfants, ou aux serviteurs, qu’il appartient de les examiner et, s’il le juge à propos, de leur donner droit de cité, à côté des usages anciens et vénérables qui composent l’autre partie de son trésor.

184    Lorsque naguères Nous remplissions le devoir apostolique de mettre les catholiques de l’Amérique du Nord en garde contre des innovations tendant, entre autres choses, à substituer aux principes de perfection consacrés par l’enseignement des docteurs et par la pratique des saints, des maximes ou des règles de vie morale plus ou moins imprégnées de ce naturalisme qui, de nos jours, tend à pénétrer partout, Nous avons hautement proclamé que, loin de répudier et de rejeter en bloc les progrès accomplis dans les temps présents, Nous voulions accueillir très-volontiers tout ce qui peut augmenter le patrimoine de la science ou généraliser davantage les conditions de la prospérité publique. Mais Nous avions soin d’ajouter que ces progrès ne pouvaient servir efficacement la cause du bien, si l’on mettait de côté la sage autorité de l’Eglise 20.


20 Abest profecto a Nobis ut quaecumque horum temporum ingenium parit omnia repudiemus. Quin potius quidquid indagando veri auenitendo boni attingitur, ad patrimonium doctrinae augendum publit caeque prosperitatis fines proferendos, libentibus sane Nobis accedit. Id tamen omne, ne solidae utilitatis sit expers, esse ac vigere nequaquam debet Ecclesiae auctoritate sapientiaquae posthabita (Epist. ad S.R.E. Presbyt. Card. Gibbons, Archiep. Baltimor., die 22 ian. 1899).



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   En terminant ces lettres, il Nous plaît d’appliquer au clergé de France, ce que Nous écrivions jadis aux prêtres de Notre diocèse de Pérouse. Nous reproduisons ici une partie de la Lettre pastorale que Nous leur adressions le 19 juillet 1866.

   « Nous demandons aux ecclésiastiques de notre diocèse de réfléchir sérieusement sur leurs sublimes obligations, sur les circonstances difficiles que nous traversons, et de faire en sorte que leur conduite soit en harmonie avec leurs devoirs et toujours conforme aux règles d’un zèle éclairé et prudent. Ainsi ceux-là même qui sont nos ennemis chercheront en vain des motifs de reproche et de blâme » : qui ex adverso est, vereatur, nihil habens malum dicere de nobis (
Tt 2,8).

   « Bien que les difficultés et les périls se multiplient de jour en jour, le prêtre pieux et fervent ne doit pas pour cela se décourager, il ne doit pas abandonner ses devoirs, ni même s’arrêter dans l’accomplissement de la mission spirituelle qu’il a reçue pour le bien, pour le salut de l’humanité, et pour le maintien de cette auguste religion dont il est le héraut et le ministre. Car c’est surtout dans les difficultés, dans les épreuves que sa vertu s’affirme et se fortifie : c’est dans les plus grands malheurs, au milieu des transformations politiques et des bouleversements sociaux, que l’action bienfaisante et civilisatrice de son ministère se manifeste avec plus d’éclat.

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   « ….... Pour en venir à la pratique, nous trouvons un enseignement parfaitement adapté aux circonstances dans les quatre maximes que le grand apôtre S. Paul donnait à son disciple Tite. En toutes choses, donnez le bon exemple par vos oeuvres, par votre doctrine, par l’intégrité de votre vie, par la gravité de votre conduite, en ne faisant usage que de paroles saintes et irrépréhensibles (
Tt 2,7-8) 21. Nous voudrions que chacun des membres de notre clergé méditât ces maximes et y conformât sa conduite.


21 In omnibus teipsum praebe exemplum bonorum operum, in doctrina, in integritate, in gravitate, verbum sanum, irreprehensibile.


   « In omnibus teipsum praebe exemplum bonorum operum. En toutes choses donnez l’exemple des bonnes oeuvres, c’est-à-dire d’une vie exemplaire et active, animée d’un véritable esprit de charité et guidée par les maximes de la prudence évangélique ; d’une vie de sacrifice et de travail, consacrée à faire du bien au prochain, non pas dans des vues terrestres et pour une récompense périssable, mais dans un but surnaturel. Donnez l’exemple de ce langage à la fois simple, noble et élevé, de cette parole saine et irrépréhensible, qui confond toute opposition humaine, apaise l’antique haine que nous a vouée le monde, et nous concilie le respect, l’estime même des ennemis de la religion. Quiconque s’est voué au service du sanctuaire a été obligé en tout temps de se montrer un vivant modèle, un exemplaire parfait de toutes les vertus ; mais cette obligation est beaucoup plus grande lorsque, par suite des bouleversements sociaux, on marche sur un terrain difficile et incertain, où l’on peut trouver à chaque pas des embûches et des prétextes d’attaque...

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   « .... In doctrina. En présence des efforts combinés de l’incrédulité et de l’hérésie pour consommer la ruine de la foi catholique, ce serait un vrai crime pour le clergé de rester hésitant et inactif. Au milieu d’un si grand débordement d’erreurs, d’un tel conflit d’opinions, il ne peut faillir à sa mission qui est de défendre le dogme attaqué, la morale travestie et la justice si souvent méconnue. C’est à lui qu’il appartient de s’opposer comme une barrière à l’erreur envahissante et à l’hérésie qui se dissimule ; à lui de surveiller les agissements des fauteurs d’impiété qui s’attaquent à la foi et à l’honneur de cette contrée catholique ; à lui de démasquer leurs ruses et de signaler leurs embûches : à lui de prémunir les simples, de fortifier les timides, d’ouvrir les yeux aux aveugles. Une érudition superficielle, une science vulgaire ne suffisent point pour cela : il faut des études solides, approfondies et continuelles, en un mot, un ensemble de connaissances doctrinales capables de lutter avec la subtilité et la singulière astuce de nos modernes contradicteurs...  

   « .... In integritate. Rien ne prouve tant l’importance de ce conseil, que la triste expérience de ce qui se passe autour de nous. Ne voyons-nous pas en effet que la vie relâchée de certains ecclésiastiques discrédite et fait mépriser leur ministère et occasionne des scandales ? Si des hommes, doués d’un esprit aussi brillant que remarquable, désertent parfois les rangs de la sainte milice et se mettent en révolte contre l’Eglise, cette mère qui, dans son affectueuse tendresse, les avait préposés au gouvernement et au salut des âmes, leur défection et leurs égarements n’ont le plus souvent pour origine que leur indiscipline, ou leurs mauvaises moeurs....

    « .... In gravitate. Par gravité, il faut entendre cette conduite sérieuse, pleine de jugement et de tact qui doit être propre au ministre fidèle et prudent que Dieu a choisi pour le gouvernement de sa famille. Celui-ci, en effet, tout en remerciant Dieu d’avoir daigné l’élever à cet honneur, doit se montrer fidèle à toutes ses obligations, en même temps que mesuré et prudent dans tous ses actes ; il ne doit point se laisser dominer par de viles passions, ni emporter en paroles violentes et excessives ; il doit compatir avec bonté aux malheurs et aux faiblesses d’autrui, faire à chacun tout le bien qu’il peut, d’une manière désintéressée, sans ostentation, en maintenant toujours intact l’honneur de son caractère et de sa sublime dignité »….


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   Nous revenons maintenant à vous, Nos chers fils du clergé français, et Nous avons la ferme confiance que Nos prescriptions et Nos conseils, uniquement inspirés par Notre affection paternelle, seront compris et reçus par vous, selon le sens et la portée que Nous avons voulu leur donner en vous adressant ces Lettres.

   Nous attendons beaucoup de vous, parce que Dieu vous a richement pourvus de tous les dons et de toutes les qualités nécessaires pour opérer de grandes et saintes choses à l’avantage de l’Eglise et de la société. Nous voudrions que pas un seul d’entre vous ne se laissât entamer par ces imperfections qui diminuent la splendeur du caractère sacerdotal et nuisent à son efficacité.

   Les temps actuels sont tristes ; l’avenir est encore plus sombre et plus menaçant ; il semble annoncer l’approche d’une crise redoutable de bouleversements sociaux. Il faut donc, comme Nous l’avons dit en diverses circonstances, que nous mettions en honneur les principes salutaires de la religion, ainsi que ceux de la justice, de la charité, du respect et du devoir. C’est à nous d’en pénétrer profondément les âmes, particulièrement celles qui sont captives de l’incrédulité ou agitées par de funestes passions, de faire régner la grâce et la paix de notre divin Rédempteur, qui est la Lumière, la Résurrection, la Vie, et de réunir en lui tous les hommes, malgré les inévitables distinctions sociales qui les séparent.

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   Oui, plus que jamais, les jours où nous sommes, réclament le concours et le dévouement de prêtres exemplaires, pleins de foi, de discrétion, de zèle, qui, s’inspirant de la douceur et de l’énergie de Jésus-Christ dont ils sont les véritables ambassadeurs, pro Christo legatione fungimur (
2Co 5,20), annoncent avec une courageuse et indéfectible patience les vérités éternelles, lesquelles sont pour les âmes les semences fécondes des vertus.

   Leur ministère sera laborieux ; souvent même pénible, spécialement dans les pays où les populations, absorbées par les intérêts terrestres, vivent dans l’oubli de Dieu et de sa sainte religion. Mais l’action éclairée, charitable, infatigable du prêtre, fortifiée par la grâce divine, opérera, comme elle l’a fait en tous les temps, d’incroyables prodiges de résurrection.

   Nous saluons de tous Nos voeux et avec une joie ineffable cette consolante perspective, tandis que, dans toute l’affection de Notre coeur, Nous accordons à vous, Vénérables Frères, au Clergé et à tous les catholiques de France, la bénédiction Apostolique.

   Donné à Rome, près Saint Pierre, le 8 septembre de l’année 1899, de Notre Pontificat la vingt-deuxième.


LEO PP. XIII.




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