Chrysostome T4 Lettres 265

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LETTRE CCXX. A PAEANIUS.

Cucuse, 404.

Nous respirons, nous tressaillons d'allégresse, nous doutons de notre exil, en apprenant que votre grandeur est rentrée dans cette ville éprouvée si cruellement. Et ce qui nous cause une pareille joie, ce n'est point votre accroissement de dignité : à vrai dire, votre dignité réside clans la vertu de votre âme; personne auparavant n'a pu vous l'ôter; personne, par la même raison, n'a pu vous la rendre aujourd'hui. Si je suis transporté de joie, c'est que votre retour est une grande consolation pour ceux qui étaient persécutés, massacrés, jetés dans les fers : en vous ils trouvent un patron commun, un port ouvert à tous. En effet, vous savez chercher votre bénéfice, là où il doit être cherché. Ecrivez-moi donc tout le bien que vous faites, dites-moi positivement combien de cadavres vous avez ressuscités, combien de (528) chutes vous avez réparées, combien de détresses vous avez soulagées, à quelles souffrances vous êtes venu en aide dans ce long espace de temps, quelles négligences vous avez réveillées, quelles activités vous avez stimulées, enfin faites-nous savoir en détail tous les exploits par lesquels vous vous êtes signalé dans ce combat. Je n'ai pas besoin de vos lettres pour le savoir, car je connais votre âme, je vous sais courageux athlète, combattant héroïque ; je voudrais néanmoins être instruit de tout cela par votre voix bien-aimée. Consentez donc à notre demande : vous savez quel plaisir vous nous ferez en l'exauçant.



LETTRE CCXXI. AU PRÊTRE CONSTANCE.

De Nicée, lors du départ, de Chrysostome pour l'exil, 404.

Le quatrième jour du mois de juillet, avant de quitter Nicée, j'adresse cette lettre à votre religion, pour la supplier, comme je n'ai pas cessé de le faire, de continuer, quand bien même la tempête et le déchaînement des vagues redoubleraient de violence, à vous acquitter le mieux possible de l'emploi qui vous a été confié : j'entends par là l'extermination de l'hellénisme, la multiplication des églises, le soin des âmes: et ne vous laissez pas abattre par les difficultés de la situation. Un pilote ne quitte point le gouvernail parce qu'il voit les flots se soulever avec fureur; un médecin, parce qu'il voit son malade succomber à la maladie, ne renonce point pour cela à lui donner ses soins; que dis-je ? c'est alors surtout que l'un et l'autre mettent en oeuvre toutes les ressources de l'art. Faites donc comme eux, mon très-honoré et très-religieux maître, déployez maintenant un zèle infatigable, et ne vous laissez point abattre par les événements : car loin d'avoir à rendre compte du mal que nous font les autres, nous en serons, au contraire, récompensés. Mais si nous-même nous ne faisions pas notre devoir, si nous nous relâchions, tant d'épreuves ne nous serviraient de rien pour notre rémunération. Paul en prison, dans les fers, faisait son devoir; Jonas aussi, pendant qu'il était dans le ventre du monstre marin ; les trois enfants aussi, tandis qu'ils étaient dans la fournaise : aucun d'eux ne perdit rien de son activité dans ces prisons de diverses espèces. Songez à cela, mon maître, et ne cessez pas de vous occuper de la Phénicie, de l'Arabie et de toutes les Eglises d'Orient, persuadé que votre récompense sera proportionnée aux obstacles qui auront été opposés à vos efforts. Ne vous refusez pas non plus à nous écrire assidûment, et le plus souvent que vous le pourrez. Nous venons d'apprendre que ce n'est point à Sébastée, mais bien à Cucuse, qu'on nous relègue là, il vous sera encore plus facile de correspondre avec nous. Ecrivez-nous combien d'églises ont été élevées chaque année, quels saints personnages se sont transportés en Phénicie, et si l'on remarque des progrès. A Nicée, j'ai trouvé un moine reclus, à qui j'ai persuadé de se rendre auprès de votre piété, et de s'en aller en Phénicie. Songez à me faire savoir si vous l'avez vu. Pour ce qui concerne Salamine en Chypre, que menace de toutes parts l'hérésie des Marcionites, j'étais entré cri conférence avec qui de droit, et j'avais remédié à tout; mais mon exil a tout arrêté. Si vous apprenez donc que mon maître l'évêque Cyriaque soit à Constantinople, écrivez-lui à ce sujet, et il sera à même de tout terminer. Et, par-dessus tout, invitez ceux qui sont en crédit auprès de Dieu à multiplier les prières, à redoubler de zèle, afin de conjurer la tempête déchaînée sur l'univers. Car ce sont vraiment des maux intolérables que ceux qui ont fondu sur l'Asie, ainsi que sur d'autres villes encore et d'autres Eglises; j'omets les détails, pour ne pas vous importuner. Je n'ajouterai plus qu'une chose : il nous faut de nombreuses prières et des supplications assidues.


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LETTRE CCXXII. A CASTUS, VALÉRIUS, DIOPHANTE, CYRIAQUE, PRÊTRES D'ANTIOCHE.

Cocuse, 404.

Nous écrire, prévenir nos propres lettres, les solliciter, nous demander de ne pas nous renfermer dans la mesure des missives ordinaires, voilà qui montre l'ardeur et la vivacité de votre tendresse. Par là, le désert où nous vivons cesse de nous paraître un désert. Par là, nous sommes consolé des périls continuels et de tout genre dont nous sommes assailli. Qu'est-ce que vaut, en effet, l'amitié ? Rien absolument. (529) C'est la racine, la source, la mère des biens, C'est une vertu qui n'est point pénible, une vertu mariée au plaisir, et qui procure un grand bonheur à ceux qui la poursuivent de toute leur âme. Aussi, vous savons-nous beaucoup de gré, de ce que vous êtes restés si fidèles à vos sentiments pour nous ; et nous, de notre côté, en quelque lieu que nous soyons, fussions-nous relégué aux confins de la terre, dans un pays plus désert que celui-ci, nous emportons partout votre image, gravée dans notre pensée, empreinte dans notre souvenir; ni la longueur de la route, ni le temps écoulé, ni les dangers courus ne nous ont rendu plus tiède à l'égard de votre grâce ; nous vous voyons, comme si nous avions conversé avec vous hier ou avant-hier, ou plutôt, comme si nous ne vous quittions pas, et vous êtes présents aux yeux de notre amitié. Voilà ce que c'est que l'affection : ni l'éloignement ne la brise, ni le temps ne la flétrit, ni les tribulations n'en triomphent; elle ne cesse de grandir, elle a l'essor de la flamme. Vous savez cela mieux que personne, puisque, mieux que personne, vous savez aimer: ce dont nous vous félicitons fort. Nous sommes, quant à nous, malheureux et sans pouvoir : mais Dieu est assez riche pour vous payer au centuple le prix de votre attachement, car son opulence rémunère toujours hors de toute proportion ceux qui font le bien, soit en action, soit en paroles. Je voudrais bien vous voir avec les yeux du corps, jouir de votre aspect, me rassasier par là de votre affection; mais cela n'étant pas possible, non faute d'empressement ou de bonne volonté, mais par suite des entraves où me retient mon exil, du moins veuillez me dédommager en m'écrivant lettres sur lettres pour m'informer de votre santé. Si vous faites droit à notre prière, ce sera pour nous un grand soulagement dans l'exil où nous sommes relégué. Ne nous refusez donc pas un si vif plaisir, bien persuadés de la joie, du contentement que vous nous causerez. En tenant vos lettres, c'est vous-mêmes que nous croirons avoir en notre compagnie ; et un tel commerce rendra plus vive en nous l'illusion de votre présence.



LETTRE CCXXIII. A HÉSYCHIUS.

Cucuse, 404.

J'aurais désiré n'avoir pas besoin de prévenir votre grâce pour recevoir une lettre de vous car t'eût été la preuve d'une vive ;affection. Mais au lieu d'attendre vos lettres, je les préviens, montrant par là même l’ardente amitié que j'ai pour votre grâce. D'ailleurs, je vous sais gré de votre silence même; car je sais bien qu'il provient chez vous non de négligence, mais d'un excès de réserve. Ne craignez donc plus de nous témoigner votre attachement, ni de nous écrire lettres sur lettres, pour nous informer de votre santé. Si vous faites droit à notre demande, fussions-nous relégué aux extrémités du monde, dans un pays plus désert que celui-ci, votre affection nous consolera. Car rien n'est aussi propre à soutenir l'âme, à la tenir dans un profond contentement qu'une bonne affection partagée : et vous le savez mieux que personne, puisque, mieux que personne, vous savez aimer.


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LETTRE CCXXIV. A MARCIEN ET A MARCELLIN.

Cucuse, 404.

Qu'est-ce à dire? Vous qui nous aimez si fort (car la distance à laquelle nous sommes relégué ne nous a pas empêché de nous apercevoir de votre affection, tant elle est vive et brûlante), vous pouvez garder le silence? Vous ne nous avez pas écrit une seule fois, vous nous avez donné cette énigme à déchiffrer? Car je ne me paye point du prétexte que vous avez allégué dans votre lettre à mon maître, le pieux prêtre Constance. Mais je ne veux point vous faire de chicanes. Prenons donc qu'il en est ainsi, et admettons que telle est la cause de votre silence : eh bien ! cette cause n'existe plus et nous avons pris les devants pour vous écrire pour vous remercier de la profonde tendresse que vous conservez dans toute sa vivacité à notre égard, et pour vous prier de nous écrire, fréquemment, quand (530) cela vous sera possible. Je no doute point que vous ne fussiez empressés de venir ici, sans les empêchements allégués par votre sagesse; ou plutôt par le coeur, vous êtes ici. Mais puisque présentement vous ne pouvez vous transporter ici en réalité, consolez-moi avec des lettres, rassurez-moi au sujet de votre santé et de toute votre maison. Si vous faites droit à notre prière en nous écrivant fréquemment, fussions-nous retenu dans une solitude plus affreuse que celle-ci, vos messages nous procureraient encore de grandes consolations.



LETTRE CCXXV. AU PRÊTRE CONSTANCE.

Cucuse, 404.

Je ne puis m'expliquer comment vous, notre ami zélé, vous, prêt à tout taire, à tout endurer pour, notre cause (nous le savons, une sincère affection n'échappe pas facilement aux regards), comment, dis-je, vous ne nous avez pas écrit une seule fois, et cela quand nous nous sommes rapproché de vous, et quand mon honoré et très-illustre frère Libanius est venu nous visiter. Ce ne sont pas là des reproches, mais des plaintes. Je suis vivement affectionné à votre religion; et la raison en est que vous prenez le plus grand soin de votre âme, que vous êtes comme un port ouvert à tous ceux qui souffrent, le recours des pauvres, le soutien des veuves, l'appui des orphelins, le père commun de tout le monde : moi donc, qui vous aime pour toutes ces raisons, je désire recevoir des lettres de votre piété. Accordez-moi cette grâce, exaucez mon voeu. Dans mon isolement, ce ne sera point pour moi une consolation légère, que de recevoir des lettres dictées par votre âme si chère et écrites de votre main, avec des nouvelles de votre santé et de toute votre maison.

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LETTRE CCXXVI. A MARCIEN ET A MARCELLIN.

Cucuse, 404.

Voilà l'énigme résolue. Que le prétexte allégué ne suffisait point pour votre justification, c'est ce que vers avez fait voir vous-mêmes, en prenant les devants pour m'écrire avant d'avoir reçu ma lettre. Voilà l'amitié elle ne se résigne point à se taire : dût-elle être accusée d'indiscrétion, elle remplit sa tâche. Pour nous, nous sommes si éloigné de vous faire un reproche de ce que vous nous avez prévenu, que nous glorifions, au contraire, votre zèle et vous en fanons honneur. C'est maintenant, mieux que jamais, que nous connaissons votre affection profonde, et cela, non-seulement parce que vous nous avez écrit, mais parce que vous nous avez écrit les premiers. Dieu saura vous guérir de votre maladie, vous rendre une santé parfaite, et vous donner toutes facilités pour converser de près avec nous : c'est, du moins, pour nous maintenant même, une grande consolation que de recevoir une lettre dictée par d'aussi nobles sentiments: mais cela ne nous empêche pas de désirer encore cet autre commerce plus réel : puisse-t-il nous être donné d'en jouir promptement ! ce serait pour nous une bien belle fête.



LETTRE CCXXVII. A CARTÉRIE.

Cucuse, 404.

Que dites-vous ? Vos indispositions continuelles ne vous ont pas permis de vous joindre à nous? Vous vous trompez, vous êtes venue, vous êtes parmi nous, votre bonne volonté nous suffit, vous n'avez pas besoin d'apologie. C'est assez de votre ardente et généreuse affection, toujours si vivace, pour nous remplir de joie. Mais comme vous nous avez inspiré de vives inquiétudes, parce que vous dites de vos infirmités, si vous vous en guérissez (Dieu le peut, il peut vous remettre en parfaite santé), en relevant de maladie faites-le-nous savoir, afin que nous soyons, nous, guéris de notre inquiétude. — Car ce que je n'ai cessé de vous exprimer dans mes lettres, je vous l'exprime encore aujourd'hui : c'est que, partout où nous nous trouvons, fussions-nous transporté dans un pays encore plus désert, nous ne saurions cesser de nous inquiéter de vous, de vos affaires. Les gages que vous nous avez donnés de votre vive et profonde tendresse sont tels que le temps n'en s'aurait effacer ni (531)

altérer le souvenir. — Eloigné ou voisin de votre générosité, nous vous gardons toujours le même attachement, connaissant la candeur et la pureté de l'affection que vous n'avez cessé de nous témoigner.


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LETTRE CCXXVIII. AU MÉDECIN THÉODORE.

Cucuse, probablement 404.

Vous alléguez, vous, l'occupation que vous donnent vos affaires, et vous cherchez par là à vous justifier de n'être pas venu : quant à moi je pense que vous n'avez pas besoin de telles excuses. Vous êtes ici : et ceux même qui se sont rendus auprès de nous n'ont aucun avantage sur vous dans notre coeur : nous vous saluons, du fond de l'âme, du même nom qu'eux-mêmes, nous vous inscrivons au premier rang de nos amis, et nous vous savons gré de ce que, après un si court séjour auprès de nous (court, c'est peut-être beaucoup dire? vous ne nous témoignez pas moins d'affection que ceux qui ont vécu longtemps dans notre société. Nous vous savons donc un gré infini, et nous vous prions de nous écrire fréquemment. Nous voudrions vous voir en personne mais pour ne pas faire de tort à ceux qui ont besoin de vos bras et de vos paroles, pour ne pas leur fermer l'accès d'un si bon port, nous n'osons vous amener ici de vive force. Au moins, lorsqu'il vous sera possible, écriveznous, je vous prie, fréquemment, et rassureznous sur votre santé. — Bien qu'éloigné de vous, ce sera pour nous une grande consolation que de recevoir de pareilles lettres de votre grâce.



LETTRE CCXXIX. A SÉVÈRE.

Cucuse, 404,

Je n'ai jamais vu votre générosité avec les yeux du corps, mais il n'est personne que j'aie mieux considéré avec ceux de la charité : sorte de contemplation à laquelle aucune distance ne saurait mettre obstacle. Mon maître bien-aimé Libanius, en nous faisant connaître le zèle et l'empressement de votre générosité pour la vraie foi, nous a transporté d'allégresse. Voilà pourquoi, sans vous connaître de vue, nous nous sommes bâté d'écrire le premier à votre piété, afin de vous inviter à nous écrire aussi quand il vous sera possible. S'il nous arrivait de votre grâce une lettre qui nous donnât des nouvelles de votre santé et de toute votre maison, ce serait pour. nous, bien que vivant à l'étranger, une bien grande consolation. Car rien ne vaut l'affection.

LETTRE CCXXX. A l’EVÊQUE ELPIDIUS.


Cucuse, 404.

J'ai une grande obligation à mon bien-aimé maître Libanius, de ce qu'il a quitté sa demeure, de ce qu'il est venu ici, et de ce qu'ensuite il est retourné auprès de votre piété ; mais c'est surtout pour ce dernier motif. En effet, j'attache la plus grande importance à ce que vous soyez honoré et cultivé par tout le monde : non que vous ayez besoin de cela, mais parce que c'est une chose utile aux Eglises, tant à celles qui souffrent qu'à celles qui sont en paix. Sachez-lui donc gré de sa bonté, mon très-honoré et très-religieux seigneur, et quand vous aurez appris de lui en détail et les affaires d'Antioche et les nôtres (car il vous en instruira aussi, un court séjour parmi nous lui ayant permis de juger l'état des choses), congédiez-le en joie et en contentement. Car il est très-attaché à votre piété, et il nous aime tendrement. N'oubliez pas de saluer de notre part notre bien-aimé et très-honoré seigneur le prêtre Asyncritius avec ses enfants bien-aimés, et pareillement tout votre clergé que vous avez dressé bien vite à imiter votre affection pour nous. Je n'ignore pas quel attachement il nous témoigne, et combien il se montre prêt à tout faire et à tout souffrir pour nous A donner des preuves. Tout cela est un ouvrage de votre religion.


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LETTRE CCXXXI. A ADOLIE.

Cucuse, 404.

Souvent nous avons écrit à votre piété, mais souvent n'est pas assez à nos yeux; c'est chaque jour que nous voudrions le faire. Car vous savez quels sont nos sentiments à l'égard de votre grâce. Puisque c'est chose impossible, c'est du moins un grand plaisir que nous nous faisons à nous-même de nous acquitter, dès que nous le pouvons, du devoir de vous saluer, afin d'avoir des nouvelles fréquentes et suivies touchant votre santé de corps et d'âme. Ainsi, je vous en prie, sachant quel plaisir vous nous faites en nous mandant ces nouvelles, veuillez vous imposer cette tâche, de nous tenir bien au courant. Aujourd'hui, par exemple, j'ai vu avec un vrai chagrin que vous n'ayez pas profité du voyage que devait faire ici un homme connu, pour ainsi dire, Universellement, et bien aimé de nous, mon maître, le très-honoré Libanius, pour nous adresser une lettre. Peut-être ignoriez-vous ce départ : mais ceci même nous fait de la peine, qu'on puisse nous venir voir sans que vous en soyez informée. Car de notre côté, nous ne cessons pas de nous enquérir avec sollicitude et importunité de ceux qui vont dans votre pays, et de nous servir d'eux dès qu'une occasion se présente, pour contenter notre désir, qui est d'écrire sans relâche à votre grâce.



LETTRE CCXXXII. A CARTÉRIE.

Cucuse, 404.

Si vous saviez bien quel plaisir vous nous causez en nous- écrivant, en nous écrivant toujours, en exprimant dans des lettres le miel de votre affection, vous feriez tout pour qu'il vous fût possible de nous en adresser chaque jour. Nous ne croyons plus habiter Cucuse ni vivre au désert, quand nous goûtons le charme de vos lettres et de votre profonde affection. Mais vous ne vous êtes pas bornée à m'écrire vous avez encore persuadé à mon maître, à notre bien-aimé frère Libanius, de quitter votre séjour, et d'entreprendre ce voyage. Quel attachement ! quelle sollicitude! Nous en tressaillons d'allégresse. Car rien ne vaut une bonne affection. Vous nous demandez de conserver pour vous les sentiments que nous avons témoignés dès l'origine à votre grâce. — Mais nous, nous ne nous résignons point à rester dans cette mesure : chaque jour, nous travaillons à ajouter quelque chose à ces sentiments et par là, nous nous faisons le plus grand plaisir à nous-même. En effet, nous ne cessons point de repasser perpétuellement en nous-même la noblesse de votre âme, sa candeur, sa franchise, son dévouement, sa droiture, sa sincérité, et toutes ces idées ne nous reviennent pas en mémoire sans nous causer une joie bien vive. Nous vous prions donc, confiante dans notre affection, de ne ressentir aucune peine, si nous vous avons renvoyé ce que votre révérence nous avait fait tenir. De coeur, nous avons reçu cet envoi, nous en avons joui : mais n'étant pas dans le besoin, nous vous avons exprimé le voeu que la garde en restât à votre générosité. Que si jamais nous tombons dans le besoin, vous verrez avec quelle assurance et quelle liberté nous vous écrirons pour réclamer un envoi, fidèle en cela même à vos commandements. Car vous dites à la fin de votre lettre : « Montrez que votre religion daigne se confier en nous, et user de ce qui est à nous, comme de son bien.» Si donc vous voulez que nos dispositions soient telles, ou plutôt puisque vous le voulez, et que nous enjoignons de tenir pour nôtre ce qui vous appartient, attendez ma requête avant de rien m'envoyer. En effet, le meilleur signe que ces choses m'appartiennent, ce sera qu'elles me soient envoyées à ma volonté, et non lorsque je n'en ai pas besoin. Montrez donc encore la profonde amitié, et la considération que vous avez pour nous, en nous laissant libre sur ce point; et adressez-nous promptement une lettre pour nous annoncer que vous n'êtes point fâchée. Car si vous ne le faisiez pas, vous nous tiendriez dans une perpétuelle inquiétude; nous ne cesserions de nous demander si nous ne vous avons pas fait de peine : tant nous tenons à votre affection, à contenter votre générosité. Maintenant que nous avons suffisamment plaidé notre cause, faites-nous savoir que vous agréez notre justification. Votre grâce peut savoir, en effet, (533) qu'avec d'autres personnes qui avaient agi de même, et qui sont nos amis dévoués, nous n'avons pas eu besoin d'apologie, et qu'il nous a suffi de refuser leurs envois : mais vis-à-vis de votre révérence, nous nous justifions; nous la supplions de ne point se fâcher, et nous ne cesserons point nos instances, tant que vous ne nous aurez pas fait savoir que vous n'êtes point fâchée. Si nous obtenons de vous une pareille lettre, nous croirons avoir reçu le double, le triple, et bien au delà de ce que vous nous avez envoyé. En effet, rien n'est plus propre à montrer la considération et les égards que vous avez pour nous.


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LETTRE CCXXXIII. A L'ÉVÊQUE D'ANTIOCHE.

Cucuse, 404.

Votre piété devrait, au lieu de se laisser abuser par les propos qu'on lui tient, apporter une grande vigilance à discerner la vérité parmi la foule des mensonges. Si vous prenez pour vérités toutes les rumeurs, il n'y aura plus de sécurité pour personne. Si au contraire vous usiez des voies légales pour arriver à découvrir la vérité, je vous demanderais à être jugé, autant du moins que la calomnie ne dirigera pas contre moi de nouveaux traits. Car je crains, oui, je crains maintenant les ombres et les spectres, depuis que vous-mêmes avez jugé de la sorte. Les amis ont renié leur amitié, les compagnons ont passé au large, et ceux qui sont loin décochent les traits de la calomnie. J'étais au milieu du port, et volts m'avez fait essuyer un naufrage: mais quoique banni, quoique séparé de l’Eglise, je suis résolu à me tenir prêt à tous les supplices. Je veux user de philosophie et supporter noblement l'adversité. Car je sais, oui je sais, du reste, que le désert est moins changeant que la ville, et que les bêtes fauves qui sont dans la campagne sont moins farouches que les amis. Portez-vous bien.



LETTRE CCXXXIV. A BRISON.

Cucuse, 404.

Après un voyage de soixante-dix jours environ, ce qui permet à votre excellence de se représenter tous les maux que nous avons eu à souffrir, assiégé en maint endroit d'alarmes causées par les Isauriens, en butte aux assauts d'insupportables fièvres, nous sommes enfin parvenu à Cucuse, l'endroit le plus désert qui soit dans le monde entier. Si je parle ainsi, ce n'est point pour vous prier d'importuner personne afin que l'on nie tire d'ici (les épreuves les plus pénibles sont traversées, celles du voyage); mais je vous demande en grâce de nous écrire assidûment, et de né point nous priver, vu l'éloignement où nous sommes aujourd'hui, de cette consolation. Vous savez en effet quel soulagement c'est pour nous, jusque dans nos afflictions et nos dangers personnels, d'apprendre comment vous vous portez, vous qui m'aimez, de savoir que vous êtes en joie et en santé, et que vous ne courez aucun risque. Ainsi donc, si vous voulez nous faire jouir libéralement de ce plaisir, adressez-nous assidûment de pareilles nouvelles. Ce ne sera point une simple récréation, mais une consolation bien efficace que je vous devrai : car vous n'ignorez pas combien je me réjouis de vos prospérités.


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LETTRE CCXXXV. A PORPHYRE, ÉVÉQUE DE RHOSE.

Cucuse, 404.

Je connais l'invariable, l'inébranlable solidité de votre attachement; je sais qu'aucun otage ne saurait le mettre en péril : votre conduite l'a prouvé. Voilà pourquoi de notre côté, bien qu'étant en proie à la maladie, bien que transporté dans l'endroit le plus désert de notre monde, à Cucuse, bien qu'assiégé par les incursions des Isauriens, et exposé à des périls de tout genre, nous vous écrivons, nous nous acquittons envers votre piété du salut que nous lui devons, toujours uni à elle de coeur, quoique séparé de corps, et c'est pour nous la (534) plus grande des consolations. Quels que soient en effet les désagréments d'un pareil séjour, j'y trouve ce grand avantage que je deviens votre voisin, et que je puis sans relâche, vu la faible distance qui nous sépare, écrire à votre piété et en recevoir des lettres. Admis à pareille fête (car à mes yeux c'est une fête et un sujet de vive allégresse), je deviendrai insensible à mon isolement, à la crainte, aux angoisses.

LETTRE CCXXXVI. AU PRÉFET CARTÉRIUS.

Cucuse, 404.

C'est un endroit prodigieusement désert que Cucuse : d'ailleurs notre solitude nous attriste moins que nous ne trouvons de charmes dans la tranquillité et dans la paix profonde où elle nous laisse. Aussi, comme si ce désert était pour nous un port, nous y respirons paisiblement des maux du voyage, et nous profitons de ce calme pour effacer en nous les derniers vestiges de la maladie et des autres épreuves que nous avons supportées. Si nous disons cela à votre excellence, c'est que nous savons quel prix vous attachez à notre repos car nous ne pouvons oublier jamais ce que vous avez fait là-bas, afin de réprimer ces folles agitations, vos efforts pour nous protéger et pour faire votre devoir. Partout où nous portons nos pas, nous ne cessons de publier vos bienfaits dans notre reconnaissance, illustre seigneur, pour votre parfait dévouement. Mais faites-nous la grâce d'ajouter à la joie que nous donne votre affection, celle que nous causeraient des lettres de votre main, nous informant que vous êtes en bonne santé. En effet, ce ne serait pas, même dans notre exil, un faible soulagement pour nous, que de recevoir de telles lettres de votre excellence.

Traduit depuis la 128e lettre par M. X***



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