Gloires de Marie





Saint Alphonse de Liguori






Les gloires de Marie


Nihil obstat:



PAULUS BERNIER,
Librorum Censor ex officio.

Quebeci, die 3 aprilis 1943.

Imprimatur:

+J.-OMER PLANTE, Év. de Dobéro
Aux.. de Québec.

Québec, le 5 avril 1943.

Numérisation:  site COMMUNION.




PRÉFACE


La médiation universelle de la sainte Vierge, écrivait en 1926, l’illustre cardinal Mercier, est devenue une croyance tellement unanime et si profondément enracinée dans les âmes pieuses, qu’il est bien permis d’affirmer, semble-t-il, qu’elle répond à ce que les théologiens appellent le sensus communis Ecclesiae, le sentiment universel de l’Église.

Mais comment s’est donc fait l’accord autour d’une proposition autrefois si vivement combattue ? Nous le devons en grande partie au grand Docteur de l’Église, que Dieu a suscité pour combattre les erreurs des temps modernes et pour allumer dans les âmes la piété chrétienne que le jansénisme menaçait d’éteindre: à saint Alphonse-Marie de Liguori.

Après saint Bernard, nul écrivain n’a autant que lui exalté la Vierge Marie, nul surtout n’a autant proclamé la doctrine de sa médiation universelle. Cette consolante doctrine, qui lui est chère entre toutes, revient à tout instant sur ses lèvres ou sous sa plume. Mais c’est surtout dans son livre d’or: "Les Gloires de Marie ", qu’on peut appeler le chef-d’oeuvre de la piété envers Marie, que le grand docteur l’expose, la défend et l’établit comme thèse irréfutable.

Le récent congrès marial de Québec a hautement re-connu ce mérite de saint Alphonse dans ce voeu qu’il faisait applaudir à deux reprises: " Le congrès marial de Québec recommande aux prêtres d’expliquer aux fidèles, dans la prédication et les catéchismes, la doctrine de la médiation de la très sainte Vierge et de répandre les ouvrages qui exposent cette doctrine, par exemple les " Gloires de Marie ", par saint Alphonse de Liguori

La présente réédition de cet ouvrage répond à ce voeu du congrès marial.





AVERTISSEMENT





Cette édition populaire des Gloires de Marie " par saint Alphonse de Liguori renferme

1. Le commentaire du Salve Regina.
2. Une notice historique sur la célèbre image de Notre-Dame du Perpétuel-Secours, suivie d’un certain nombre d’exemples, souvent miraculeux, de la protection que la Très Sainte Vierge accorde à ceux qui l’invoquent avec confiance sous ce beau titre de NOTRE-DAME DU PERPÉTUEL-SECOURS.
3. Nous ajouterons quelques pratiques de dévotion envers la Très Sainte Vierge, les plus recommandées par saint Alphonse lui-même.


POURQUOI CE LIVRE?


1. Pour faire connaître davantage et aimer notre Mère miséricordieuse, et par ce moyen soustraire à la tyrannie du démon le plus grand nombre d’âmes possible.

2. Afin que " les personnes pieuses puissent avoir à peu de frais un livre d’un usage facile et propre à leur inspirer un ardent amour envers Marie.

"O Marie, ajoute le saint Auteur, faites que chacun de ceux entre les mains de qui parviendra ce livre, s’embrase d’amour pour vous".

" Le livre des GLOIRES DE MARIE, écrit le Père Dujardin, est un choix de perles fines, habilement enchâssées dans un cadre qui en rehausse encore l’éclat et la valeur ; c’est une mosaïque de pierres précieuses dont l’aspect attire et charme le regard, l’élève et le purifie, sans le fatiguer jamais; c’est une nuée qui éclaire et protège, une eau qui rafraîchit et guérit, une manne céleste qui soutient notre vie dans ce désert aride et périlleux, et nous fait parvenir sûrement à la Terre promise, en nous donnant un avant-goût des biens dont elle abonde.

"Lisez une page des GLOIRES DE MARIE, n’importe laquelle, et vous sentirez ces heureux effets".




SALVE REGINA





Nous vous saluons, O Reine,
Mère de miséricorde
notre Vie, notre Douceur et
notre Espérance ! nous
vous saluons.




Salve, Regina, Mater misericoridiae,
Vita, Dulcedo, et
Spes nostra, salve.







Nous élevons nos voix vers
vous, comme des exilés
et de malheureux enfants
d’Ève ; nous soupirons
vers vous, gémissant et
pleurant dans cette vallée de larmes.




Ad te clamamus, exules filii
Evae-. Ad te auspiramus,
gementes et flentes in hac
lacrymarum valle.

De grâce, ô notre Avocate
tournez vers nous vos
regards miséricordieux.

Eia ergo, Advocata nostra,
illos tuos misericordes oculos
ad nos converte.

Et, après l’exil de cette vie,
montrez-nous Jésus, le
Fruit béni de vos entrailles,
ô clémente, ô pieuse,
ô douce Vierge Marie !


Et Jesum, benedictum Fructum
ventris tui, nobis post
hoc exsilium ostende, o,
clemens, o pia, o dulcis
Virgo Maria !




SUPPLIQUE DE L’AUTEUR


à Jésus et à Marie



Mon très aimant Rédempteur et Seigneur Jésus-Christ, moi votre misérable serviteur, sachant combien réjouissent votre coeur ceux qui s’efforcent de glorifier votre très sainte Mère, que vous aimez tant, et que vous désirez si vivement de voir aimée et honorée de tout le monde, j’ai formé le dessein de publier ce livre qui traite de ses gloires. Or, je ne sais à qui je le pourrais mieux recommander qu’à Vous-même, puisque vous avez tant à coeur la gloire de cette auguste Mère. C’est donc à vous que je le dédie et le recommande. Daignez agréer le faible hommage de mon amour pour vous et pour votre Mère chérie ; protégez-le ; remplissez ceux qui le liront d’une pleine confiance et d’un amour ardent envers cette Vierge Immaculée, en qui vous avez placé l’espérance et le refuge de toutes les âmes rachetées par vous. Et, pour récompense de mon humble travail, prie de m’accorder autant d’amour envers Marie, que j’ai voulu en allumer par cet ouvrage dans le coeur de tous mes lecteurs.

Je m’adresse aussi à vous, ô ma douce Souveraine et ma tendre Mère, Marie. Après Jésus, vous le savez, c’est en vous que j’ai mis toute l’espérance de mon salut éternel ; car tout mon bien, ma conversion, ma vocation à quitter le monde, et toutes les autres grâces que j’ai reçues de Dieu, je m’en reconnais redevable à votre intercession. Vous savez aussi que, pressé de vous voir aimée de tous les hommes comme vous le méritez, et de vous donner quelque marque de ma gratitude pour les bienfaits que vous m’avez prodigués, j’ai cherché sans cesse, en public et en particulier, à vous faire connaître en tous lieux et à inspirer à tous le goût des douces et salutaires pratiques de votre culte. J’espère continuer ainsi jusqu’à mon dernier souffle ; mais mon âge déjà avancé et ma santé affaiblie m’avertissent que la fin de mon pèlerinage approche, et que j’entrerai bientôt dans l’éternité ; c’est pourquoi j’ai voulu, avant de mourir, laisser au monde ce livre, afin qu’après moi il continue à vous louer et à porter aussi les autres à publier vos gloires et votre grande bonté envers vos dévots serviteurs. Ma bien-aimée Reine ! j’ai la confiance que ce pauvre don, quoique si inférieur à votre mérite, ne laissera pas d’être agréable à votre coeur généreux, parce que c’est un don tout d’amour. Étendez donc cette main si douce qui m’a délivré du monde et de l’enfer, acceptez mon livre et protégez-le comme une chose qui vous appartient. Mais sachez que j’attends de vous, pour cette légère offrande, une récompense : faites que désormais je vous aime plus ardemment, et que chacun de ceux entre les mains de qui parviendra cet ouvrage, s’embrase d’amour pour vous ; qu’il sente aussitôt croître en lui le désir de vous aimer et de vous voir aimer aussi des autres, et qu’en conséquence il s’emploie de tout coeur à publier vos louanges et à augmenter autant qu’il le pourra chez les autres la confiance en votre puissante intercession. Ainsi j’espère, ainsi soit-il.



Votre très aimant, quoique très indigne serviteur,




ALPHONSE DE LIGUORI,

du Très Saint Rédempteur.



INTRODUCTION Qu’il est nécessaire de lire



Mon cher Lecteur, et mon frère en Marie, puisque la dévotion qui m’a porté à écrire et qui vous porte maintenant à lire ce livre, nous rend tous les deux heureux enfants de cette bonne Mère, si vous entendez dire que je pouvais m’épargner ce travail, vu qu’il existe déjà tant d’ouvrages savants et renommés sur le même sujet, répondez, je vous prie, par les paroles de l’abbé Francon, dans la Bibliothèque des Pères : " La louange de Marie est une source tellement abondante, que, plus on la dilate, plus elle se remplit, et, plus on la remplit, plus elle se dilate ". En d’autres termes, cette bienheureuse Vierge est si grande et si sublime, que, plus on célèbre ses louanges, plus on trouve de nouveaux sujets de la louer. Et, selon la pensée de saint Augustin, quand même tous les membres des hommes se changeraient en autant de langues, ces langues, si nombreuses fussent-elles, ne sauraient la louer autant qu’elle le mérite.

J’ai vu, il est vrai, une quantité innombrable de livres, grands et petits, qui traitent des gloires de Marie ; mais, considérant qu’ils sont ou fort rares ou trop volumineux ou peu conformes à mon dessein, j’ai pris à tâche d’extraire de tous les auteurs que j’ai pu avoir en main, et d’exposer brièvement, comme on le verra dans cet ouvrage, ce qu’il y a de plus exquis et de plus substantiel dans les sentiments des Pères et des théologiens. Mon désir a été que les personnes pieuses puissent avoir à peu de frais un livre d’un usage facile et propre à leur inspirer un ardent amour envers Marie et les prêtres, des matériaux pour des prédications tendant à favoriser le progrès du culte de cette divine Mère.

On est naturellement porté à parler souvent et à faire l’éloge des personnes qu’on aime, afin de voir l’objet de ses affections estimé et loué aussi des autres ; il faut donc supposer bien faible l’amour de ceux qui, tout en se glorifiant d’aimer Marie, pensent peu à parler d’elle et à la faire aimer des autres. Bien différente est la conduite de ceux qui aiment véritablement cette très aimable Dame : ils voudraient publier ses louanges en tout lieu et la voir aimée de tout le monde ; aussi, chaque fois qu’ils le peuvent, soit en publie, soit en particulier, ils tâchent de communiquer à tous les coeurs les heureuses flammes dont ils se sentent embrasés envers leur bien-aimée Reine.

Pour se persuader du bien qu’on se fait à soi-même, et qu’on procure aux peuples, en propageant la dévotion envers Marie, il est bon d’entendre ce qu’en disent les docteurs. Selon saint Bonaventure, ceux qui s’emploient à publier les gloires de Marie, sont assurés du paradis ; ce que confirme Richard de Saint-Laurent, en disant qu’honorer la Reine des Anges est la même chose que faire l’acquisition de la vie éternelle ; car, ajoute-t-il, cette Dame pleine de gratitude ne manquera pas d’honorer dans l’autre vie ceux qui ont soin de l’honorer dans celle-ci. Et qui d’ailleurs ignore cette promesse de Marie elle-même à ceux qui s’attachent à la faire connaître et aimer sur la terre : Ceux qui me font connaître, auront la vie éternelle. Ces paroles, la sainte Église les applique à Marie dans l’office de son Immaculée Conception. - Réjouis-toi donc, mon âme, s’écriait saint Bonaventure, qui a déployé tant de zèle à publier les grandeurs de Marie; tressaille de joie en elle; car des biens sans nombre sont réservés à ceux qui la glorifient. Et, puisque les saintes Écritures, ajoute un autre auteur, sont remplies des louanges de Marie, ne cessons pas de célébrer de coeur et de bouche cette divine Mère, afin qu’un jour elle nous conduise au royaume des Bienheureux.

Le bienheureux Héming, évêque, avait coutume de commencer ses sermons par les louanges de Marie. La sainte Vierge apparut un jour à sainte Brigitte, et lui parla ainsi : " Dites à ce prélat, qui a coutume de commencer ses sermons par mes louanges, que je veux lui servir de mère, que je présenterai son âme à Dieu, et qu’il fera une bonne mort ". En effet, il mourut saintement, en priant, et dans une paix céleste.-- On rapporte aussi d’un religieux dominicain, qui terminait ses sermons en parlant de Marie, qu’elle lui apparut au moment de sa mort, le défendit contre les démons, le fortifia, et conduisit elle-même dans le ciel son âme bienheureuse.--Le dévot Thomas a Kempis représente Marie recommandant à son divin Fils ceux qui publient ses louanges, et la fait ainsi parler : O mon Fils, ayez pitié d’une âme qui m’a aimée et glorifiée.

Pour ce qui concerne l’utilité que retire le peuple de la prédication des gloires de la divine Mère, saint Anselme affirme que, l’auguste sein de Marie étant la voie par laquelle le Fils de Dieu est venu ici-bas sauver les pécheurs, il ne peut se faire que la prédication des louanges de Marie n’amène les pécheurs à se convertir et à se sauver. Et s’il est vrai, comme je le pense, s’il est même indubitable, comme je le prouverai au Chapitre Ve de cet ouvrage, que toutes les grâces nous sont dispensées uniquement par les mains de Marie, et que tous ceux qui se sauvent, ne sont sauvés que par l’entremise de cette divine Mère, on peut dire, par une conséquence nécessaire, que le salut de tous les hommes est attaché à la prédication des grandeurs de Marie, et de la confiance en son intercession. Et c’est par ce moyen, on le sait, que saint Bernardin de Sienne sanctifia l’Italie, et que saint Dominique convertit tant de provinces. Saint Louis Bertrand ne prêchait jamais sans exhorter à la dévotion envers Marie ; et il en est de même de beaucoup d’autres.

Le Père Paul Segneri le Jeune, célèbre missionnaire, faisait dans toutes ses missions un sermon sur la dévotion à Marie, et il l’appelait son sermon favori. Et nous qui, dans nos missions, avons pour règle invariable de ne jamais omettre le sermon sur la sainte Vierge, nous pouvons attester en toute vérité qu’aucun discours, pour l’ordinaire, n’excite autant la componction, et ne produit autant de fruit que le sermon sur la miséricorde de Marie. Je dis : " Sur la MISÉRICORDE de Marie " ; car, selon saint Bernard, nous louons, il est vrai, son humilité, nous admirons sa virginité ; mais, parce que nous sommes de pauvres pécheurs, ce qui nous touche et nous attire davantage, c’est d’entendre parler de sa miséricorde ; et certes, c’est sa miséricorde que nous embrassons le plus affectueusement, que nous nous rappelons le plus souvent, et que nous invoquons le plus fréquemment.

Voilà pourquoi, dans cet ouvrage, laissant à d’autres le soin de décrire les autres prérogatives de Marie, je me suis principalement attaché à parler de sa grande miséricorde et de sa puissante intercession. Dans ce dessein, j’ai recueilli, autant qu’il m’a été possible par un travail de plusieurs années, tout ce que les saints Pères et les auteurs les plus célèbres ont dit de la miséricorde et de la puissance de Marie ; et comme cette miséricorde et cette puissance de la bienheureuse Vierge se trouvent merveilleusement caractérisées dans la magnifique antienne Salve Regina, que l’Église a elle-même approuvée et donnée à réciter pendant la majeure partie de l’année à tout le clergé, régulier et séculier, j’ai entrepris d’expliquer cette dévote prière.

Pieux Lecteur, si vous agréez mon travail, comme je l’espère, je vous prie de me recommander à la sainte Vierge, afin qu’elle me donne une grande confiance en sa protection ; et si vous me faites la charité de demander pour moi cette grâce, qui que vous soyez, je vous promets de la demander aussi pour vous, Oh ! heureux celui qui s’attache fortement, par l’amour et la confiance, à ces deux ancres de salut, Jésus et Marie ! Certainement, il ne périra point. Disons donc, mon cher Lecteur, et répétons l’un et l’autre du fond de notre coeur, avec le dévot Alphonse Rodriguez : Jésus et Marie, doux objets de mes amours ! que je souffre pour vous, que je meure pour vous, que je sois tout à vous, et plus aucunement à moi-même. Aimons Jésus et Marie, et tâchons de nous sanctifier ; c’est la plus grande fortune à laquelle nous puissions aspirer. Adieu ! au revoir dans le paradis, aux pieds de cette tendre Mère et de ce Fils si aimant, pour les louer, les remercier, et les aimer ensemble, en jouissant de leur douce présence pendant toute l’éternité Amen.



PRIÈRE A LA BIENHEUREUSE VIERGE pour obtenir une bonne mort



O Marie, doux refuge des malheureux pécheurs, quand mon âme devra sortir de ce monde, je vous en supplie, ma très douce Mère, par la douleur que vous ressentîtes en voyant votre Fils qui se mourait sur la Croix, assistez-moi alors de votre miséricorde. Éloignez de moi les ennemis infernaux, et venez vous-même recueillir mon âme, pour la présenter au juge éternel. Ma souveraine, ne m’abandonnez pas. Vous devez être, après Jésus, mon appui dans ce moment redoutable. Priez votre Fils de m’accorder dans sa bonté la faveur de mourir en embrassant vos pieds, et d’exhaler mon âme dans ses saintes plaies, en disant: Jésus et Marie, je vous donne mon coeur et mon âme







CHAPITRE I MARIE, NOTRE REINE, NOTRE MÈRE





Salve, Regina, Mater misericordiae!




Nous vous saluons, ô Reine, Mère de miséricorde.


Combien doit être grande notre confiance en Marie, parce qu’elle est Reine de miséricorde




L’auguste Vierge Marie ayant été élevée à la dignité de Mère du Roi des rois, la sainte Église a raison de l’honorer et de vouloir que tous l’honorent du glorieux titre de Reine.

Si le Fils est Roi, dit saint Athanase, la Mère a le droit d’être tenue pour Reine et d’en porter le nom. Oui, ajoute saint Bernardin de Sienne, quand Marie consentit à être la Mère du Verbe éternel, à l’instant même et par ce consentement elle mérita et obtint la principauté de la terre, le domaine du monde, le sceptre et la qualité de Reine de toutes les créatures. Et, comme l’observe Arnauld de Chartres, si par la chair Marie est unie si intimement à Jésus, comment cette divine Mère serait-elle séparée de son Fils quant à la puissance souveraine? Il faut donc le reconnaître, la dignité royale n’est pas seulement commune au Fils et à la Mère, mais ils n’ont qu’une seule et même royauté.

Or, si Jésus est Roi de l’univers, c’est de l’univers aussi que Marie est Reine : " Reine du ciel, dit l’abbé Rupert, elle commande à bon droit à tout le royaume de son Fils ". De là cette conséquence exprimée par saint Bernardin de Sienne : Autant de créatures servent Dieu, autant doivent servir Marie. Les anges, les hommes et tout ce qui existe au ciel et sur la terre, étant soumis à l’empire de Dieu, le sont pareillement à la domination de cette glorieuse Vierge. De là aussi cette exclamation de l’abbé Guéric, s’adressant à la divine Mère : Continuez donc, ô Marie, continuez de régner en toute sécurité ; disposez à votre gré des biens de votre Fils; puisque vous êtes la Mère et l’Épouse du Roi de l’univers, vous êtes Reine, et avez droit à l’empire et à la domination sur toutes les créatures.

Marie est donc Reine ; mais, sachons-le pour notre commune consolation, elle est une Reine pleine de douceur et de clémence toute disposée à répandre ses bienfaits sur notre misère. C’est pourquoi, la sainte Église veut qu’en la saluant dans la belle prière que nous méditons, nous lui donnions le titre de Mère de miséricorde. Selon la remarque du Bienheureux Albert le Grand, le nom même de Reine éveille l’idée de compassion, de sollicitude en faveur des pauvres, à la différence du nom d’Impératrice, qui signifie sévérité et rigueur. Et, d’après Sénèque, la vraie grandeur des rois et des reines consiste à soulager les malheureux. A la différence donc des tyrans qui gouvernent dans des vues exclusivement personnelles, les rois doivent se proposer pour unique fin le bien de leurs peuples. Et voilà pourquoi, dans la cérémonie de leur sacre, on leur oint la tête d’huile, emblème de miséricorde ; ils sont avertis par là que, sur le trône, ils devront surtout nourrir, envers leurs sujets, des sentiments de commisération et de bonté.

Il est donc du devoir des rois de s’appliquer principalement aux oeuvres de miséricorde, mais non au point d’oublier l’exercice de la justice à l’égard des coupables, quand cela est nécessaire. Cependant il n’en est pas ainsi de Marie : elle est Reine, mais elle n’est pas Reine de justice, obligée d’office à punir les malfaiteurs ; elle est Reine de miséricorde, et son unique attribution est d’avoir pitié des pécheurs et de leur ménager le pardon. Telle est la raison du nom de Reine de miséricorde, sous lequel l’Église nous apprend à l’invoquer. J’ai appris ces deux choses, chantait David, que la puissance appartient à Dieu, et que vous êtes, Seigneur, rempli de miséricorde. Voici sur ces paroles le commentaire du célèbre Gerson, chancelier de Paris : La royauté de Dieu comprend l’exercice de la justice et celui de la miséricorde ; or le seigneur l’a partagée : il s’est réservé à lui-même le règne de la justice, et il a cédé à Marie le règne de la miséricorde, voulant que toutes les grâces accordées aux hommes passent par les mains de cette douce Reine, pour être départies à son gré. Cette explication est confirmée par saint Thomas, dans sa préface aux Epîtres canoniques ; quand la Bienheureuse Vierge, dit-il, conçut et enfanta le Verbe divin, elle obtint la moitié du règne de Dieu, et devint Reine de miséricorde, Jésus-Christ restant Roi de justice.

Le Père éternel a établi Jésus-Christ Roi de justice, et, en cette qualité, Juge universel du monde ; c’est ce que le Prophète célèbre en ces termes : O Dieu, donnez votre justice au Fils du Roi. Seigneur, ajoute ici un savant interprète, vous avez donné à votre Fils la justice, parce que vous avez donné la miséricorde à sa Mère. Avec non moins de bonheur, saint Bonaventure paraphrase ainsi les mêmes paroles du Psalmiste : Seigneur: donnez votre justice au Roi, et votre miséricorde à la Reine, sa Mère. - Ernest, archevêque de Prague, dit pareillement que le Père éternel a confié au Fils l’office de juger et de punir, et à la Mère celui de compatir et de soulager. A Marie peut donc s’appliquer la prophétie du même David : Dieu a fait couler sur votre front une huile d’allégresse. Oui, car Dieu a en quelque sorte sacré de ses propres mains Marie Reine de miséricorde, et nous a donné à nous tous, infortunés enfants d’Adam, un motif de vive allégresse dans la personne de cette grande Reine que nous avons au ciel, et qui est toute détrempée du baume de la miséricorde, comme dit saint Bonaventure, et toute pleine de l’huile d’une maternelle tendresse à notre égard.

Le bienheureux Albert le Grand fait intervenir ici, de la manière la plus heureuse, l’histoire de la reine Esther, qui fut d’ailleurs une des figures de notre Reine Marie.

On lit au livre d’Esther, que, sous le règne d’Assuérus, un édit fut publié qui condamnait à la mort tous les Juifs de ses États. Alors Mardochée, l’un des condamnés, recommanda leur salut à Esther, et la pria d’intercéder pour eux auprès du Roi, afin d’obtenir la révocation de la sentence. Au premier abord, Esther refusa de faire cette démarche, craignant d’accroître par là l’indignation d’Assuérus. Mais Mardochée lui envoya quelqu’un, chargé de lui faire des remontrances : elle ne devait pas, lui faisait-il dire, songer uniquement à sa propre sûreté, puisque le Seigneur l’avait élevée sur le trône pour procurer le salut de tous les Juifs. Ne croyez pas que vous puissiez vous sauver seule, parce que, dans la maison du roi, vous tenez un rang supérieur à tous les Juifs. Ainsi parlait Mardochée à la reine Esther ; ainsi pourrions-nous aussi, nous, pauvres pécheurs, parler à notre Reine Marie, si jamais elle répugnait à nous obtenir de Dieu la remise de la peine due à nos péchés : Ne pensez pas qu’il vous soit permis de vous sauver seule, parce que, dans la maison du Roi, vous occupez un rang plus haut qu’aucun homme. Non, auguste Souveraine, ne pensez pas que Dieu vous ait élevée à la dignité de Reine du monde, uniquement en vue de votre bonheur ; il a voulu aussi que cette sublime grandeur vous mît à même de compatir plus efficacement nos misères et de les soulager mieux.

Lorsqu’Assuérus vit Esther en sa présence, il lui demanda avec amour ce qu’elle désirait. O mon Roi répondit-elle, si j’ai trouvé grâce devant vos yeux, accordez-moi le salut de mon peuple pour lequel j’implore votre clémence. - Assuérus l’exauça et ordonna aussitôt que la sentence fût révoquée. Or, si Assuérus accorda le salut des Juifs à Esther, parce qu’il l’aimait, comment Dieu, qui aime Marie d’un amour immense, pourrait-il ne pas l’exaucer, lorsqu’elle le prie pour les pauvres pécheurs qui réclament son intercession, et qu’elle lui dit : O mon Roi et mon Dieu, si j’ai trouvé grâce devant vous, si vous m’aimez, accordez-moi le salut de ces pécheurs pour lesquels j’intercède auprès de vous. - Si vous m’aimez !... Ah! elle n’ignore pas, cette divine Mère, qu’elle est la bénie, la bienheureuse, celle qui, seule entre tous les enfants d’Adam, a trouvé la grâce perdue par l’homme ; elle sait qu’elle est la Bien-Aimée de son Seigneur, plus aimée que tous les saints et tous les anges ensemble ; comment donc Dieu pourrait-il ne pas l’exaucer? Qui ne connaît la force dès prières de Marie auprès de Dieu ? Une loi de clémence sort de ses lèvres, dit le Sage, chacune de ses prières est comme une loi aussitôt sanctionnée par le Seigneur, et qui garantit un arrêt de miséricorde à tous ceux pour qui elle intercède. Saint Bernard demande pourquoi l’Église appelle Marie Reine de miséricorde, et il répond : C’est que l’on croit qu’elle ouvre l’abîme de la miséricorde divine à qui elle veut, quand elle veut, et comme elle veut en sorte que nul pécheur, si criminel soit-il, ne se perd, pourvu que Marie le protège.

Mais n’est-il pas à craindre que Marie ne refuse de s’entremettre pour certains pécheurs qui lui paraîtront trop souillés? ou bien ne devons-nous pas nous laisser intimider par la majesté et la sainteté de cette grande Reine ? - Oh ! non, répond saint Grégoire VII ; autant elle est sainte et élevée, autant elle est douce et miséricordieuse envers les pécheurs qui l’invoquent avec un vrai désir de s’amender. Les airs de grandeur que prennent les rois et les reines de la terre, inspirent la terreur, et sont cause que leurs sujets craignent de paraître en leur présence ; mais, demande saint Bernard, quelle appréhension pourrait empêcher les malheureux d’aller à cette Reine de miséricorde ? Elle ne laisse rien paraître de terrible ou d’austère en sa personne, elle ne montre que douceur et bonté à quiconque va la trouver ; " à tous elle offre le lait et la laine " ; non contente de les donner à qui les lui demande, elle les offre d’elle-même à tous ; elle leur offre le lait de la miséricorde pour les animer à la confiance, et la laine de sa protection pour les garantir des foudres de la justice divine.

Au rapport de Suétone, quelque faveur qu’on demandât à l’empereur Titus, il ne savait la refuser ; parfois même, il promettait plus qu’il ne pouvait tenir; et à ceux qui l’en avertissaient : un prince, répondait-il, ne doit renvoyer mécontent aucun de ceux qu’il a une fois admis en sa présence. Ainsi parlait Titus, mais, dans le fait, il lui arrivait peut-être souvent de faire de fausses promesses ou de manquer à sa parole. Notre Reine, au contraire, est incapable de nous tromper, et elle est assez puissante pour procurer tout ce qu’elle veut à ses dévots ; elle a d’ailleurs le coeur si bon, si compatissant, assure Lansperge, qu’elle ne saurait renvoyer sans consolation un malheureux qui la prie. Marie, ô Marie, s’écrie saint Bernard, comment pourriez-vous refuser votre appui aux misérables, quand vous êtes Reine de miséricorde? quels sont les sujets de la miséricorde, sinon les misérables? Vous êtes Reine de miséricorde, et moi, je suis le plus misérable de tous les pécheurs ; je tiens donc le premier rang parmi vos sujets, et vous devez prendre soin de moi plus que de tous les autres. Ayez donc pitié de nous, ô Reine de miséricorde, et pensez à nous sauver.

Et ne dites pas, ô Vierge sainte semble ajouter saint Georges de Nicomédie ; ne dites pas que la multitude de nos péchés vous empêche de nous secourir ; car telles sont votre puissance et votre bonté, qu’il n’est pas de fautes si nombreuses qui puissent en dépasser les bornes. Rien ne résiste à votre puissance, parce que votre Créateur, qui est aussi le nôtre, regarde votre gloire comme la sienne, et croit se faire honneur à lui-même en honorant sa Mère ; aussi le fait-il avec une joie extrême : on dirait qu’en exauçant vos prières, il acquitte une dette. Oui, une dette, car, veut dire le saint, bien que Marie soit infiniment obligée envers son Fils, qui l’a choisie pour Mère, on ne peut nier qu’à son tour il ne soit, lui-même, fort obligé envers Marie, puisqu’elle lui a donné l’être humain. Eh bien ! pour payer en quelque sorte à sa Mère tout ce qu’il lui doit, Jésus se plaît à accroître sa gloire, qui lui est si chère, et spécialement en lui accordant toutes ses requêtes.

Quelle confiance ne devons-nous donc pas avoir en cette auguste Reine, nous qui la savons si puissante auprès de Dieu, et en même temps si riche de miséricorde, que personne au monde n’est exclu de sa tendresse et de ses faveurs ! C’est ce que la bienheureuse Vierge a révélé elle-même à sainte Brigitte : "Je suis, lui dit-elle un jour, la Reine du ciel et la Mère de miséricorde ; je suis la joie des justes et la porte par laquelle les, pécheurs ont accès auprès de Dieu. Il n’est pas de pécheur maudit au point d’être privé des effets de ma miséricorde tant qu’il vit sur la terre car il n’en est aucun qui ne doive quelque grâce à mon intercession, ne fût-ce que celle d’être moins tenté par les démons. Aucun pécheur, ajoute-t-elle, à moins qu’il ne soit tout à fait maudit (c’est-à-dire frappé de la malédiction finale et irrévocable qui se prononce contre les damnés), aucun pécheur n’est tellement rejeté de Dieu, qu’il ne puisse, en m’appelant à son aide, retourner à Dieu et obtenir miséricorde. Tout le monde, dit-elle encore, m’appelle Mère de miséricorde, et vraiment, c’est la miséricorde de Dieu envers les hommes qui m’a rendue si miséricordieuse à leur égard ‘ Enfin, elle conclut en ces termes : Bien malheureux sera donc, dans la vie future, et malheureux à jamais, celui qui se sera damné faute de recourir à moi, comme il le pouvait, dans la vie présente, à moi, si miséricordieuse envers tous les hommes, et si désireuse de venir en aide aux pécheurs ".

Voulons-nous donc assurer notre salut, allons souvent, allons sans cesse nous réfugier aux Pieds de cette douce Reine, et, si la vue de nos péchés nous épouvante et nous décourage, souvenons-nous que Marie a été établie Reine de miséricorde pour sauver, par sa protection, les pécheurs les plus coupables et les plus désespérés, pourvu qu’ils se recommandent à elle. Ils doivent former sa couronne dans le ciel, comme le lui fait entendre l’Epoux divin, en lui disant Viens du Liban, mon Épouse; viens du Liban, viens tu seras couronnée ... des cavernes des lions et des montagnes qui servent de retraite aux léopards. Quelles sont, en effet, ces retraites de bêtes monstrueuses, sinon les malheureux pécheurs? leurs âmes ne sont-elles pas des réceptacles de péchés divers, monstres les plus affreux que l’on puisse concevoir? -- Oui, ô Marie ! je le dis avec l’abbé Rupert, c’est le salut de ces pauvres pécheurs qui sera votre couronne en paradis, couronne bien digne de vous et la mieux appropriée à une Reine de miséricorde.

On peut lire à ce sujet l’exemple suivant.


EXEMPLE


Il est raconté dans la vie de la soeur Catherine de Saint-Augustin, que, dans l’endroit où habitait cette servante de Dieu, se trouvait une femme appelée Marie, qui avait mené une vie scandaleuse dès sa jeunesse, et qui, parvenue à un âge avancé, persistait avec obstination dans ses désordres. Chassée enfin par les habitants, et réduite à se retirer dans une grotte solitaire, elle y mourut consumée par une horrible maladie, sans secours humains et sans sacrements. Après une telle vie et une telle mort, son cadavre fut enfoui comme celui d’un animal immonde. Soeur Catherine avait coutume de recommander instamment à Dieu les âmes de tous ceux qui passaient à l’autre vie ; néanmoins, ayant appris la triste fin de cette malheureuse, elle ne songea nullement à prier pour elle, la croyant, comme tout le monde, à jamais perdue. Quatre ans s’étaient écoulés, lorsqu’un jour se présenta devant elle une âme du purgatoire, qui lui dit Soeur Catherine, quel malheur est le mien ! vous recommandez à Dieu les âmes de tous ceux qui meurent ; je suis la seule dont vous n’ayez pas eu compassion ! -- Et qui êtes-vous ? demanda la servante de Dieu. -- Je suis, répondit-elle, cette pauvre Marie qui mourut dans la grotte. - Quoi ! êtes-vous donc sauvée? - Oui, je suis sauvée, grâce à la miséricorde de la sainte Vierge. -- Et comment? - Quand je me vis près de mourir, me trouvant ainsi abandonnée de tout le monde et chargée de tant de péchés, je me tournai vers la Mère de Dieu et lui dis : Reine du ciel, vous êtes le refuge des pauvres délaissés, et me voici abandonnée de tout le monde; vous êtes mon unique espérance, vous seule pouvez me secourir, ayez pitié de moi ". La douce Marie m’obtint la grâce de faire un acte de contrition, je mourus, et je fus sauvée. Cette bonne mère m’a procuré en outre la faveur de voir ma peine abrégée, en rachetant par l’intensité de mes souffrances une bonne partie des années qu’elles devaient durer. Il ne faut que quelques messes pour me délivrer du purgatoire ; je vous prie de me les faire dire, et je vous promets de ne jamais cesser, après cela, de prier Dieu et la bienheureuse Vierge pour vous ". Soeur Catherine fit aussitôt célébrer des messes pour elle, et, au bout de quelque Jours, cette âme lui apparut de nouveau, plus brillante que le soleil, et lui dit: " Je vous remercie, ma chère Catherine ; je vais maintenant en Paradis chanter les miséricordes de mon Dieu et prier pour vous".



Gloires de Marie