Gloires de Marie - PRIÈRE


CHAPITRE IV MARIE, NOTRE SECOURS


Ad te clamamus, exules filii Evae.




Enfants d’Ève, pauvres exilés, nous crions vers vous.



I  Combien Marie est prompte à secourir ceux qui l’invoquent


Pauvres enfants de la malheureuse Ève, et, comme tels, coupables aux yeux de Dieu de la même faute et condamnés à la même peine, nous errons çà et là dans cette vallée de larmes, exilés de notre patrie, gémissant sous le poids de maux innombrables qui nous affligent dans le corps et dans l’âme ! Mais, au milieu de ces peines, heureux celui qui tourne souvent ses regards vers la Consolatrice du monde, le Refuge des misérables, l’auguste Mère de Dieu, et l’invoque et la prie avec ferveur ! Heureux, dit Marie, celui qui écoute mes conseils, et qui veille continuellement aux portes de ma miséricorde, pour invoquer mon intercession et mon secours.

La sainte Eglise, notre Mère, nous enseigne clairement, par le culte spécial qu’elle lui voue, avec quel empressement et quelle confiance nous devons recourir sans cesse à cette bienveillante Protectrice : elle célèbre dans le courant de l’année un grand nombre de fêtes en l’honneur de Marie ; elle consacre spécialement à son service un jour de chaque semaine; elle veut que, chaque jour, dans l’office divin, les ecclésiastiques et les religieux l’invoquent au nom de tout le peuple chrétien ; trois fois le jour, au son des cloches, elle invite tous les fidèles à la saluer. Au surplus, comment douter de l’intention de l’Église à cet égard, quand on la voit, dans toutes les calamités publiques, s’adresser à la Mère de Dieu et ne négliger, pour se la rendre favorable, aucune des pratiques pieuses, telles que neuvaines, prières spéciales, processions, visites de ses églises ou de ses images? Et, remarquons-le bien, si Marie désire être invoquée et priée ainsi pour nous en toute occurrence, ce n’est pas qu’elle mendie nos hommages, toujours fort au-dessous de son mérite, mais elle veut que, par des progrès toujours nouveaux en confiance et en dévotion envers elle, nous méritions de sa part une plus grande abondance de secours et de consolations. Ainsi l’entendait saint Bonaventure : " Marie cherche, dit-il, des âmes qui recourent à elle avec de vifs sentiments de respect et d’amour ; car ce sont celles-là qu’elle chérit, qu’elle nourrit, qu’elle embrasse comme ses enfants ".

Selon la pensée du même Docteur, Marie fut préfigurée par Ruth, dont le nom signifie "celle qui voit et qui se hâte"; car, quand Marie nous voit dans la tribulation, elle en est touchée et se hâte de nous venir en aide. Dans son désir de nous favoriser, ajoute Novarin, elle ne peut souffrir de retard; et, loin de retenir ses grâces d’une main avare, cette Mère de miséricorde n’a rien de plus pressé que de répandre sur ses serviteurs les trésors de sa munificence ".

Oh ! comme cette bonne Mère est prompte à secourir quiconque l’invoque ! En expliquant un passage des Cantiques, Richard de Saint-Laurent fait cette remarque : " Le coeur maternel de Marie n’est pas moins prompt à donner le lait de la miséricorde à ceux qui le demandent, que les jeunes chevreuils ne le sont à bondir un simple Ave Maria suffit, assure-t-il, pour faire jaillir à flots ce lait bienfaisant. Et, selon Novarin, la bienheureuse Vierge ne se contente pas de courir, elle vole au secours de ceux qui l’invoquent. Dans l’exercice de la miséricorde, dit-il, elle ne peut manquer d’imiter le Seigneur fidèle à la promesse qu’il nous a faite en ces termes Demandez et vous recevrez, Dieu semble prendre des ailes, quand il s’agit d’aller tirer de la peine une âme qui l’appelle à son aide ; ainsi fait aussi Marie quand nous la prions ; elle ne sait nous différer son assistance. Par là, on comprend quelle est cette femme dont il est dit dans l’Apocalypse : Il fut donné à la femme deux grandes ailes pareilles à celles de l’aigle. Par ces ailes, Ribeira entend celles de l’amour, à l’aide desquelles Marie s’élevait sans cesse vers Dieu. Mais le bienheureux Amédée donne une explication plus conforme à notre sujet ; pour lui, ces ailes d’aigle marquent la promptitude de Marie à secourir ses enfants. Les séraphins eux-mêmes, ajoute-t-il, ne sauraient égaler la rapidité de son vol.

Tout ceci est confirmé par un passage de l’Évangile. Quand Marie alla visiter sainte Élisabeth et combler de grâces toute cette heureuse famille, elle ne marcha pas avec lenteur, mais, selon la remarque de saint Luc, elle fit grande diligence pendant tout le trajet ; ce qui n’est pas dit de son retour. Pourquoi, dans les sacrés Cantiques, est-il dit des mains de Marie qu’elles semblent faites au tour? " L’art du tour, répond Richard, est de tous le plus prompt et le plus expéditif ; et Marie est plus prompte qu’aucun autre saint à tendre une main secourable à ses dévots ". Ineffable est son désir de consoler tout le monde, ajoute Louis de Blois ; aussi elle n’a pas sitôt entendu une voix suppliante s’élever vers elle, qu’elle y prête une oreille favorable et l’exauce. Qu’il avait donc raison saint Bonaventure, quand, s’adressant à Marie, il s’écriait: O toi, le salut de ceux qui t’invoquent " ! Par là il donnait à entendre qu’il suffit pour être sauvé d’invoquer cette divine Mère, toujours prête, assure Richard de Saint-Laurent, à secourir quiconque la prie. Et nous ne devons point nous en étonner, puisque, selon Bernardin de Bustis, cette grande Reine ressent un plus vif désir de nous accorder ses grâces, que nous de les recevoir.

La multitude même de nos péchés ne doit pas diminuer en nous la confiance d’être exaucés de Marie, quand nous irons nous jeter à ses pieds : elle est Mère de miséricorde or, la miséricorde resterait sans emploi, si elle ne trouvait des misères à soulager. Une bonne mère qui verrait son enfant infecté de la lèpre, ne saurait lui refuser ses soins, bien qu’il lui en contât beaucoup de peines et de dégoûts; et, quand nous réclamons les soins de Marie, elle ne saurait nous repousser, si grande que soit l’infection des péchés dont nous sollicitons la guérison ; elle n’a pas oublié, ajoute Richard, que c’est en faveur des pécheurs queue est devenue la Mère d’un Dieu qui est la miséricorde en personne. Et tel est précisément le sens d’une vision dont fut favorisée sainte Gertrude : elle voyait la glorieuse Vierge ouvrant son manteau comme pour donner asile à tous ceux qui voulaient se réfugier auprès d’elle. La sainte comprit en même temps que les anges sont attentifs à défendre les pieux serviteurs de leur Reine contre les attaques de l’enfer.

Au reste, la tendresse vraiment maternelle de Marie à notre égard et sa compassion pour nos maux vont si loin, queue n’attend pas nos prières pour nous secourir : Elle prévient ceux qui la désirent et se présente à eux la première. Ces paroles de la Sagesse lui sont appliquées par saint Anselme : Sur un simple désir de notre part, dit-il, Marie nous, accorde sa protection ; ce qui veut dire queue nous obtient de Dieu beaucoup de grâces avant que nous l’en ayons priée. C’est pourquoi, selon Richard de Saint-Victor, le Sage la compare à la lune. Ce bel astre l’emporte sur les autres en rapidité, et, nous l’avons dit, rien n’égale la promptitude de Marie à nous secourir. Mais de plus, elle ne se montre pas telle seulement quand nous l’invoquons : elle pousse le zèle de notre bien jusqu’à prévenir nos prières quand elle nous voit dans le besoin ; et nous sommes moins prompts à implorer son appui, qu’elle à nous le prêter. Ecoutons la touchante raison qu’en donne cet auteur: "Le Seigneur, ô Marie, a tellement rempli de tendresse votre sein maternel, que la simple connaissance de notre misère en fait couler le lait de la miséricorde ; et vous ne sauriez, ô douce Reine, être témoin des besoins d’une âme, sans lui venir aussitôt en aide ".

Mais déjà pendant sa vie terrestre, Marie donnait des marques de cette grande bonté qui la porte à compatir à nos peines et à les adoucir, alors même que nous ne la prions pas : à preuve ce. que, selon saint Jean, elle fit aux noces de Cana. Voyant le cruel embarras des deux époux, désolés et confus de ce que le vin allait manquer à la table du banquet, cette tendre Mère n’attendit point qu’on eut recours à elle; mais, cédant à la seule inclination de son coeur, incapable de voir l’affliction d’autrui sans la partager, elle vint prier son divin Fils de consoler ses hôtes ; et, lui exposant simplement le besoin dans lequel ceux-ci se voyaient : Ils n’ont plus de vin, lui dit-elle. Et Jésus, désireux de tirer cette famille de la peine, désireux surtout de contenter le coeur compatissant de sa Mère, Jésus, disons-nous, opéra le miracle que tout le monde connaît : il changea en vin l’eau dont on avait rempli six grandes urnes. Sur quoi Novarin raisonne ainsi : Si Marie, même sans être priée, se montre si empressée à secourir les affligés, combien plus le sera-t-elle à consoler ceux qui l’invoquent et qui réclament son assistance !

Et si quelqu’un craignait de voir sa prière rebutée par Marie, Innocent III le reprendrait de sa défiance en ces termes : " Et qui donc invoqua jamais cette douce Souveraine sans être exaucé " ?

Que celui-là écoute le bienheureux Eutychien, lequel s’écrie pareillement: O glorieuse Vierge, qui a jamais imploré votre protection assez puissante pour soulager tous les malheureux et sauver lés pécheurs les plus désespérés, et s’est vu abandonné de vous? Cela n’est jamais arrivé, et n’arrivera jamais.

Qu’il écoute saint Bernard : Je le veux bien, ô Vierge sainte, dit le saint Docteur, que celui-là ne parle plus de votre miséricorde, n’en fasse plus l’éloge, qui vous aurait invoquée dans ses besoins, et se souviendrait d’avoir été délaissé par vous ".

On verra le ciel et la terre tomber en ruines, ajoute Louis de Blois, avant que Marie refuse son secours à une âme qui le lui demande avec une intention droite et en plaçant son espoir en elle ".

Saint Anselme ajoute encore à tous ces motifs de confiance : Non seulement nous devons compter sur la protection de la divine Mère quand nous nous recommandons à elle, dit-il, mais parfois nous serons plus vite exaucés et sauvés en invoquant le saint nom de Marie, qu’en invoquant le saint nom de Jésus, notre Sauveur. " La raison en est, ajoute-t-il, que le Fils est notre Seigneur et notre juge ... ; mais quand nous invoquons le nom de la Mère, si nous ne méritons pas d’être exaucés, les mérites de la Mère interviennent en notre faveur et nous font exaucer ". C’est-à-dire : si nous parvenons plus vite au salut en priant la Mère qu’en priant le Fils, ce n’est pas que Marie ait plus de pouvoir que son divin Fils pour nous sauver ; nous savons, en effet, que Jésus-Christ est notre unique Sauveur, que lui seul, par ses mérites, nous a obtenu et nous obtient le salut; mais, en recourant à Jésus-Christ, nous voyons en lui non seulement notre Sauveur, mais encore notre Juge, à qui revient le droit de punir les ingrats ; et il peut nous arriver ainsi de manquer de la confiance requise pour être exaucé.

Il n’en est pas de même quand nous nous adressons à Marie, dont l’unique office est de compatir à nos peines comme Mère de miséricorde, et de nous défendre comme notre Avocate : notre confiance alors est plus ferme, ce semble, et plus entière. Nicéphore nous donne de ceci une autre raison non moins solide : On demande beaucoup de choses à Dieu, et on ne les obtient pas, nous dit-il ; on les demande à Marie, et on les obtient ; comment cela se fait-il ? ce n’est pas que Marie soit plus puissante que, Dieu, mais c’est que Dieu a voulu honorer ainsi sa Mère.

Elle est bien consolante, la promesse que sainte Brigitte recueillit à ce sujet de la bouche du Seigneur lui-même. On lit dans ses Révélations, qu’elle entendit un jour Jésus qui parlait ainsi à sa Mère Ma Mère, demandez-moi tout ce que vous voudrez, je ne rejetterai jamais aucune de vos requêtes. Sachez en outre, ajoute-t-il, que tous ceux qui solliciteront de moi quelque grâce, en me priant de la leur accorder pour l’amour de vous, je promets de les exaucer, fussent-ils pécheurs, pourvu qu’ils aient la volonté de s’amender. -- La même chose fut révélée à sainte Gertrude. Elle entendit notre divin Rédempteur dire à Marie que, dans sa toute-puissance, il lui avait accordé d’user de miséricorde envers les pécheurs qui l’invoqueraient, et de le faire en la manière qui lui plairait davantage.

Que chacun donc, en invoquant cette Mère de miséricorde, lui dise avec grande confiance ce que lui disait saint Augustin : "Souvenez-vous, très clémente Reine, que, depuis l’origine du monde, on n’a jamais ouï dire que vous ayez abandonné personne. Pardonnez-moi donc, si j’ose vous déclarer que je ne veux pas être abandonné de vous, après avoir eu recours à votre protection



EXEMPLE


Saint François de Sales fit l’heureuse expérience de l’efficacité de cette prière, ainsi qu’on le voit dans l’histoire de sa vie. Il se trouvait à Paris pour ses études, à l’âge de dix-sept ans environ ; et il se livrait sans réserve à la dévotion et à l’amour de Dieu ; il y goûtait des délices toutes célestes, quand, en vue sans doute de mettre sa vertu à l’épreuve et de se l’attacher toujours plus étroitement, Dieu permit que son bonheur fut troublé. Le démon lui mit dans l’esprit que tout ce qu’il faisait ne lui servirait de rien, attendu que, dans les décrets divins, il était réprouvé. Ce qui prêta de nouvelles forces à la tentation et la rendit plus affligeante pour le coeur du saint jeune homme, ce fut l’état d’obscurité et de sécheresse dans lequel il plut à Dieu de le laisser pendant ce temps : il était devenu insensible aux pensées les plus consolantes tirées de la bonté divine; enfin, ses craintes et ses désolations allèrent si loin, qu’il en perdit l’appétit, le sommeil, le teint, la gaieté ; il faisait compassion à tous ceux qui l’observaient.

Pendant cette horrible tempête, le saint ne pouvait ni concevoir de pensées ni proférer de paroles, qui ne fussent inspirées par la désolation et la douleur. " Je serai donc, s’écriait-il, privé de la grâce de mon Dieu, qui par le passé a été pour moi si aimable et si doux ! O Amour, ô Beauté, à laquelle j’ai voué toutes mes affections, je ne jouirai donc plus de vois consolations ? -- O Vierge, Mère de Dieu, la plus belle de toutes les filles de Jérusalem, je ne vous verrai donc jamais en paradis? Ah ! s’il ne m’est pas donné de contempler vos traits ravissants dans le ciel, ne permettez pas du moins que je sois réduit à vous blasphémer et à vous maudire dans l’enfer " ! Tels étaient alors les tendres sentiments de ce coeur affligé et plein d’amour pour Dieu et pour Marie.

La tentation dura plus d’un mois ; mais enfin le Seigneur voulut bien l’en délivrer par l’entremise de la Consolatrice du monde, la bienheureuse Vierge, à qui le saint avait déjà consacré sa virginité, et en qui il disait avoir placé toutes ses espérances. Un soir, en retournant chez lui, il entre dans une église, et aperçoit, fixée au mur, une tablette sur laquelle il trouve tracée l’invocation de saint Augustin : " Souvenez-vous, très miséricordieuse Marie, que jamais on n’ouït que personne, après s’être réfugié sous votre protection, se soit vu abandonné ". Aussitôt, prosterné devant l’autel de la Mère de Dieu, il récite avec ferveur cette prière, renouvelle son voeu de virginité, promet de réciter chaque jour le chapelet, et termine par ces mots : " Ma Reine, soyez mon avocate auprès de votre divin Fils, auquel je n’ai pas la hardiesse de m’adresser. O ma Mère, si j’ai le malheur de ne pouvoir aimer mon Dieu dans l’autre monde quoique je le sache si digne d’être aimé, obtenez-moi du moins que je l’aime en cette vie le plus que je pourrai ; c’est la grâce que je vous demande, et j’espère l’obtenir de vous ".

Après avoir ainsi prié la sainte Vierge, il s’abandonne entre les bras de la divine miséricorde, et se résigne entièrement à la volonté de Dieu. Mais sa prière était à peine finie, qu’en un instant il fut délivré de la tentation par sa tendre Mère. Il recouvra aussitôt la paix intérieure, et avec elle la santé du corps ; et depuis, il conserva toujours la plus vive dévotion envers Marie, dont il ne cessa, tant qu’il vécut, de publier les louanges et les miséricordes, dans ses discours et ses écrits.



PRIÈRE


O Mère de Dieu, Reine des anges et espérance des hommes, écoutez un pécheur qui vous implore et vous appelle à son secours. Me voici aujourd’hui prosterné à vos pieds; moi, misérable esclave de l’enfer, je me consacre pour toujours à vous comme votre serviteur, et je m’offre à vous servir et à vous honorer de tout mon pouvoir, pendant toute ma vie. Vous ne retirerez aucune gloire, je le reconnais, des services d’un esclave vil et pervers comme moi, qui ai tant offensé Jésus-Christ, votre Fils et mon Rédempteur.

Mais si vous recevez un indigne au nombre de vos serviteurs ; si vous le rendez digne de cette qualité en le changeant par votre intercession, cette miséricorde même envers lui vous procurera la gloire que ne saurait vous rendre un misérable tel que je suis. Daignez me recevoir ô ma Mère, et ne point me rebuter. Pour chercher les brebis perdues, le Verbe éternel est descendu du ciel sur la terre ; pour les sauver, il s’est fait votre Fils, et vous pourriez dédaigner une pauvre brebis qui vous prie de lui faire retrouver Jésus 1 Déjà le prix de mon salut est acquitté ; déjà, en versant son sang précieux, mon Sauveur a payé pour moi une rançon qui suffirait à racheter des mondes en nombre infini ; il ne reste plus qu’à m’en appliquer les mérites, et cela dépend de vous, ô Vierge bénie ! Oui, dit saint Bernard, c’est à vous de dispenser à qui il vous plaît les mérites de son sang divin. Oui, dit aussi saint Bonaventure, vous pouvez sauver qui vous voulez.

Ainsi, ô ma Reine, assistez-moi ; ma douce Souveraine, sauvez-moi. Je remets aujourd’hui entre vos mains toute mon âme ; songez à la sauver. Je finis en vous disant avec le même saint Bonaventure: O vous, le salut de ceux qui vous invoquent. Sauvez-moi !


II  Combien Marie est puissante à défendre ceux qui l’invoquent contre les attaques du démon


La très sainte Vierge Marie n’est pas seulement Reine du ciel et des saints ; son pouvoir s’étend encore sur l’enfer et sur les démons, dont elle a triomphé par l’héroïsme de ses vertus. Déjà à l’origine du monde, Dieu prédit au serpent infernal cette glorieuse victoire de notre Reine, et l’empire que par suite elle devrait exercer sur lui ; car, dès lors, il lui annonça la venue en ce monde d’une Femme qui ruinerait sa puissance : Je mettrai, lui dit-il, des inimitiés entre toi et la femme ; elle le brisera la tête.

Quelle fut en effet, cette Femme, cette ennemie du serpent, si ce n’est Marie, qui, par son admirable humilité et sa sainte vie, le vainquit toujours et anéantit ses forces ? C’est ce qu’enseigne saint Cyprien, et après lui un autre ancien auteur, lequel fait observer en outre que Dieu ne dit pas, au présent: Je mets, mais au futur : Je mettrai, pour indiquer que cette Femme victorieuse de Satan, ne serait pas Ève, alors vivante, mais une autre Femme qui descendrait d’elle, et apporterait à nos premiers parents, selon la pensée de saint Vincent Ferrier, plus de biens qu’ils n’en avaient perdu par leur faute. Marie est donc cette Femme par excellence, qui a vaincu le démon, et lui a brisé la tête, selon la divine prédiction, en réprimant son orgueil. Quelques-uns doutent, à la vérité, si cette prophétie ne concerne pas plutôt Jésus-Christ que Marie, parce que la version des Septante porte : Il te brisera la tête; mais, dans notre Vulgate, seule version approuvée comme règle de foi par le Concile de Trente, nous lisons : Elle, et non : Il te brisera la tête. Ainsi d’ailleurs ont lu et compris saint Ambroise, saint Jérôme, saint Augustin, saint Jean Chrysostome, et beaucoup d’autres. Quoi qu’il en soit, il demeure certain, ou que le Fils à défait Lucifer par le moyen de sa Mère, ou que la Mère en a triomphé par la puissance de son Fils ; en sorte que l’esprit superbe s’est vu, à son grand dépit, abattu et foulé aux pieds de cette Vierge bénie, dit saint Bernard; et, comme un prisonnier de guerre est de droit l’esclave de son vainqueur, Satan se voit pour toujours forcé d’obéir aux injonctions de notre Reine. En se laissant vaincre par le serpent, Eve nous apporta la mort et les ténèbres, remarque saint Bruno; mais, en domptant, en enchaînant le démon, Marie nous apporta la vie et la lumière. Oui, elle l’a enchaîné, et de telle sorte que cet ennemi est hors d’état de nuire en rien à ceux qui la servent avec amour.

Bien beau est le commentaire de Richard sur les paroles des Proverbes : Le coeur de son époux se confie en elle, et il ne manquera point de dépouilles. Jésus est l’Epoux de toutes les âmes saintes, et avant tout de celle de Marie. Or, dit cet auteur, il ne saurait manquer de dépouilles, parce que, tous les esclaves du démon que Marie délivre par ses prières, ses mérites et ses exemples, elle les soumet au domaine de cet Époux divin. Toute semblable est l’interprétation de Cornelius : Dieu, dit-il, a remis entre les mains de Marie le Coeur de Jésus, afin qu’elle prenne soin de le faire aimer des hommes. Comment donc manquerait-il de dépouilles? Marie lui apporte un nombre infini d’âmes, dépouilles opimes que sa puissance secourable enlève à Satan.

On sait que la palme est le symbole de la victoire c’est pourquoi notre Reine a été placée sur un trône élevé, en face de tous les potentats, comme un palmier, pour signifier la victoire que peuvent se promettre en toute assurance ceux qui se mettent sous sa protection. Ainsi peuvent s’entendre ces paroles dans sa bouche J’ai été élevée comme un palmier en Cadès, -- et cela, pour vous défendre, ajoute le bienheureux Albert le Grand. Mes enfants, semble-t-elle nous dire par là, quand l’ennemi vous attaque, recourez à moi ; regardez-moi, et prenez courage ; car vous verrez en moi votre défense et votre victoire tout à la fois. - Le recours à Marie est donc un moyen très sûr de vaincre tous les assauts de l’enfer. Et, en effet, selon saint Bernardin de Sienne, elle étend son empire jusque dans l’enfer elle règne en souveraine sur les démons eux-mêmes c’est elle qui les dompte et les terrasse. Aussi est-il écrit de Marie qu’elle est terrible pour les puissances de l’enfer, comme une armée en bon ordre, tant elle sait bien disposer son pouvoir, sa miséricorde et ses prières, pour la confusion de ses ennemis, et pour le plus grand bien de ses serviteurs qui, dans les tentations, invoquent son tout-puissant secours.

Semblable à la vigne, lui fait dire l’Esprit-Saint, j’ai produit des fleurs d’une odeur agréable. -- Or, remarque saint Bernard sur ce passage, lorsque la vigne fleurit, on assure que tous les reptiles venimeux s’en éloignent; de même, les démons fuient loin de ces âmes heureuses dans lesquelles ils sentent l’odeur de la dévotion envers Marie. -- Elle est aussi comparée au cèdre : Je me suis élevée comme le cèdre sur le Liban ; parce que, si le cèdre est incorruptible, Marie fut exempte du péché ; et plus encore parce que, selon la remarque du cardinal Hugues, comme l’odeur du cèdre met en fuite les serpents, la sainteté de Marie met en fuite les démons.

L’arche d’alliance assurait la victoire aux Israélites. C’est sur son secours que comptait Moïse pour voir les ennemis en déroute : Quand on élevait l’arche, Moïse disait : Levez-vous Seigneur, et que vos ennemis se dispersent. Ainsi tombèrent les murs de Jéricho ; ainsi furent vaincus les Philistins ; car l’arche de Dieu était là, dit l’Écriture, rendant compte de ces glorieux triomphes. Or, on le sait, l’arche était la figure de Marie. Dans l’arche se trouvait la manne, dit le père Cornelius, et en Marie se trouve Jésus, préfiguré par la manne ; et c’est par le moyen de cette Arche qu’il nous rend victorieux des ennemis que la terre et l’enfer arment contre nous. De là cette pensée de saint Bernardin de Sienne, que, quand Marie, cette Arche du nouveau Testament, fut élevée au ciel pour en être la Reine, le pouvoir de l’enfer sur l’humanité fut affaibli et ruiné.

Oh ! s’écrie saint Bonaventure, comme les démons redoutent Marie, comme son grand nom les fait trembler". Le même saint compare ces ennemis des âmes aux larrons dont il est écrit au livre de Job : A la faveur des ténèbres, ils vont piller les maisons, où ils pénètrent en perçant le mur ; mais quand l’aurore vient à paraître, ils s’enfuient comme s’ils voyaient l’ombre de la mort. Ainsi font les démons, dit saint Bonaventure ; ils entrent dans nos âmes à la faveur des ténèbres de l’ignorance; mais, aussitôt qu’apparaissent dans une âme la grâce et la miséricorde de Marie, les ténèbres se dissipent devant cette belle Aurore, et les mauvais esprits s’enfuient comme pour éviter la mort. Heureux donc celui qui, dans ses luttes contre l’enfer, invoque le beau nom de Marie.

Cette doctrine fut confirmée par une révélation faite à sainte Brigitte. Dieu, apprit-elle, a donné à Marie un tel pouvoir sur tous les démons, que, quand un de ses serviteurs assailli par eux réclame son secours, d’un signe elle les épouvante et les met en fuite ils aimeraient mieux voler redoubler leurs supplices que de sentir peser plus longtemps sur eux le joug de la puissance de la Vierge.

Faisant l’éloge de cette Épouse bien-aimée, l’Epoux divin la compare au lis, et dit qu’elle est entre les autres vierges ce que le lis est entre les épines. Sur quoi Cornelius fait la réflexion suivante : " Le lis est un spécifique contre le venin des serpents et les autres poisons ; et l’invocation de Marie est un remède souverain contre toutes les tentations, spécialement celles d’impureté ; c’est ce dont peuvent rendre témoignage tous ceux qui en ont fait l’expérience

Saint Jean Damascène disait à Marie, et quiconque a le bonheur d’être attaché au service de cette grande Reine, peut lui dire pareillement : "O Mère de Dieu, si j’espère en vous, bien certainement je ne succomberai point ; soutenu par vous, je poursuivrai mes ennemis ; à leurs traits j’opposerai le bouclier de votre protection et de votre puissance tutélaire, et je me tiens sûr de les vaincre ". Le savant moine Jacques, compté parmi les Pères grecs, a donc pu s’exprimer ainsi en s’adressant au Seigneur : En nous donnant cette sainte Mère, vous nous avez remis entre les mains l’arme la plus puissante contre tous nos ennemis, et le gage le plus assuré de la victoire.

Selon le récit des Livres saints, quand le peuple juif fut sorti de l’Égypte, le Seigneur le guida depuis ce pays jusqu’à la Terre promise, le jour par une colonne de nuée, et la nuit par une colonne de feu. Cette merveilleuse colonne, tantôt nuée et tantôt feu, préfigurait Marie, remarque Richard, et le double office de charité qu’elle exerce continuellement en notre faveur : comme nuée, elle nous met à couvert des ardeurs vengeresses de la divine justice ; et, comme feu, elle nous protège contre les démons. Car, à l’égard des démons, cette glorieuse Créature est un feu dévorant : la cire approchée d’un brasier se fond et s’écoule ; de même, assure saint Bonaventure, les esprits impurs sentent leurs forces brisées en présence des âmes qui se rappellent fréquemment le nom de Marie et l’invoquent avec dévotion, surtout si elles s’étudient à l’imiter.

Oh ! comme les démons tremblent, dès que retentit à leurs oreilles le nom de Marie ! " Non seulement les rebelles craignent la Vierge, dit saint Bernard; mais, de plus, qu’ils viennent seulement à entendre son nom de Marie, les voilà qui tremblent de frayeur ". Thomas a Kempis en parle de même : " Les esprits malins redoutent la Reine du ciel ; son nom seul est pour eux comme un

 aux atteintes duquel ils se dérobent par la fuite. Et si les hommes se laissent tomber de frayeur quand la foudre éclate à leurs pieds, les démons ne sont pas moins épouvantés, abattus par le nom de Marie.

Et combien de glorieuses victoires sur ces ennemis du salut les serviteurs de Marie ont dues à la vertu de son saint nom ! Ainsi les a vaincus saint Antoine de Padoue, ainsi le bienheureux Henri Suson, ainsi tant d’autres amants de Marie. On sait par les relations des missionnaires du Japon, qu’un jour, dans ce pays, une troupe de démons apparurent à un chrétien, sous la forme d’animaux féroces ; comme ils cherchaient à l’épouvanter par leurs menaces, il leur répondit : " Je n’ai point d’armes qui puissent vous nuire ; si le Très-Haut vous le permet, faites de moi tout ce que vous voudrez ; seulement, j’emploierai pour ma défense les doux noms de Jésus et de Marie Il avait à peine dit, et voilà qu’au son de ces noms redoutables, la terre s’ouvre, et ces esprits superbes s’y précipitent. Saint Anselme atteste que beaucoup de personnes qu’il a lui-même vues et entendues, ont soudainement échappé, pour avoir prononcé le nom de Marie, aux périls qui les menaçaient.

Que votre nom est glorieux et admirable, ô Marie ! ceux qui n’oublient pas de le prononcer à l’article de la mort, n’ont rien à craindre, eussent-ils contre eux l’enfer tout entier ; car les démons abandonnent une âme sitôt qu’ils l’entendent prononcer le nom de Marie. - Ainsi parle saint Bonaventure ; et il ajoute que les rois en guerre avec leurs voisins ne redoutent pas une nombreuse armée, comme les puissances de l’enfer redoutent le nom de Marie et sa protection. O Vierge puissante, dit saint Germain, la seule invocation de votre nom met vos serviteurs en sûreté contre tous les efforts de leurs ennemis.

Ah! plût au ciel que, dans les tentations, les chrétiens fussent attentifs à invoquer avec confiance le nom de Marie ! il est certain qu’ils ne tomberaient jamais. Non, jamais, dit Alain de la Roche, car, dès que le tonnerre de ce grand nom vient à éclater, les démons fuient, et l’enfer tremble. Et, selon une révélation de notre céleste Reine à sainte Brigitte, il n’est pas de pécheur tellement désespéré, tellement éloigné de Dieu et livré au pouvoir des démons, que ces ennemis ne l’abandonnent tout d’abord, pourvu qu’avec un sincère propos de s’amender, il ait recours au tout-puissant nom de Marie. Seulement, ajouta-t-elle, si l’âme pécheresse ne se corrige, et ne se purifie du péché par le repentir, les démons reviennent bientôt à elle, et continuent de la tenir sous leur joug.



EXEMPLE

Au monastère de Reichersperg, en Bavière, vivait un chanoine régulier, nommé Arnould, très dévot à la sainte Vierge. Se trouvant. à l’article de la mort, il reçut les Sacrements, puis il fit venir ses confrères auprès de son lit, et les pria de ne pas l’abandonner dans ce dernier passage. Il avait à peine dit, qu’ils le virent trembler de tous ses membres, rouler des yeux hagards et se couvrir d’une froide sueur : " Ne voyez-vous pas, leur dit-il d’une voix entrecoupée, ces démons qui veulent m’entraîner en enfer ? Ensuite il s’écria : " Mes frères, implorez pour moi le secours de Marie ; j’ai la confiance qu’elle me donnera la victoire ". A ces mots, les assistants récitèrent les Litanies de la sainte Vierge ; et lorsqu’ils dirent : Sancta Maria, ora pro eo ; le moribond reprit : " Répétez, répétez le nom de Marie ; car je suis déjà au tribunal de Dieu ". Il s’arrêta quelques instants, et puis il ajouta : "Il est vrai que je l’ai fait ; mais j’en ai fait pénitence. Et, s’adressant alors à la divine Mère, il s’écria : " O Marie, je serai délivré, si vous venez à mon aide". Après cela, les démons lui donnèrent encore un assaut ; mais il se défendait avec le crucifix et en invoquant Marie.

Ainsi passa-t-il la nuit entière. Enfin, le matin venu, Arnould reprit un air serein, et s’écria plein de joie : " Marie, ma Protectrice et mon Refuge m’a obtenu le pardon et le salut ". Regardant ensuite la bienheureuse Vierge, qui l’invitait à la suivre : " Je viens, dit-il, ma Reine ! je viens ". Il fit en même temps un effort comme pour la suivre, et il expira doucement. Si son corps demeura ici-bas, son âme du moins, nous en avons la confiance, suivit Marie au royaume de la gloire.



PRIÈRE


Voici à vos pieds, ô mon espérance, Marie, un pauvre pécheur, qui s’est fait bien des fois l’esclave volontaire de l’enfer. Si je me suis laissé vaincre par les dénions, je le confesse, c’est pour n’avoir pas eu recours à vous, mon unique refuge : si je n’y eusse jamais manqué, si toujours je vous eusse invoquée, jamais je n’aurais succombé. Grâce à vous, j’en ai la confiance, tout aimable Reine, je suis maintenant échappé aux mains des démons et rentré en grâce avec dieu. Mais je tremble pour l’avenir, je crains de retomber dans l’esclavage du péché: je sais que mes ennemis n’ont pas perdu l’espoir de me vaincre encore une fois, et que déjà ils me préparent de nouveaux assauts, de nouvelles tentations. Ah ! ma Souveraine et mon refuge, secourez-moi, cachez-moi sous votre manteau, ne souffrez pas qu’on me voie redevenu leur esclave. A condition de vous invoquer, je suis assuré de votre secours et de la victoire ; mais il me reste une crainte : il pourrait m’arriver de ne pas me souvenir de vous dans les tentations, et d’oublier de vous invoquer.

Ainsi, à Vierge sainte ! la grâce que je sollicite et que je désire obtenir de vous, c’est de me souvenir toujours de vous, surtout dans les combats que j’ai à soutenir accordez-moi d’être fidèle à vous invoquer fréquemment, en disant: Marie, secourez-moi ; secourez-moi, ô Marie! - Et quand enfin viendra le jour de ma dernière lutte contre l’enfer, à l’heure de ma mort, ah ! ma Reine, assistez-moi plus puissamment encore en ce moment-là, et vous-même, faites-moi penser alors à vous invoquer plus souvent, soit de bouche, soit au moins de coeur ; afin qu’en expirant avec voire doux nom et celui de votre divin Fils Jésus sur les lèvres, je puisse être admis à vous bénir et à vous louer en paradis, pour ne plus cesser de me tenir à vos pieds pendant toute l’éternité. Amen.





CHAPITRE V MARIE, NOTRE MÉDIATRICE





Ad te suspiramus, gementes et flentes in hac lacrymarum valle.

Nous soupirons vers vous, gémissant et pleurant dans cette vallée de larmes.



I  Que l’intercession de Marie nous est nécessaire pour nous sauver


La foi nous enseigne qu’il est, non seulement permis, mais encore utile et conforme à la piété, d’invoquer et de prier les saints, et principalement leur Reine, la très sainte Vierge Marie, afin d’obtenir la grâce divine par leur intercession. Cette vérité, l’Église l’a définie en divers conciles, et elle a condamné comme hérétiques ceux qui réprouvaient l’invocation des saints comme injurieuse à Jésus-Christ, notre unique Médiateur. Si, après sa mort, Jérémie prie pour Jérusalem ; si les vieillards de l’Apocalypse présentent à Dieu les prières des justes ; si saint Pierre promet à ses disciples de se souvenir d’eux dans l’autre vie ; si saint Étienne prie pour ses persécuteurs ; si saint Paul prie pour ses compagnons et ses amis ; il est clair que les saints peuvent prier pour nous ; mais alors, pourquoi ne pourrions-nous pas supplier les saints d’intercéder en notre faveur? D’un autre côté, saint Paul se recommande aux prières de ses disciples : Priez pour nous, dit-il aux Thessaloniciens; saint Jacques exhorte les fidèles en ces termes : Priez les uns pour les autres, afin que vous soyez sauvés. Nous pouvons donc, nous aussi, quêter les prières d’autrui, et en particulier celles des saints.

Que Jésus-Christ soit notre unique Médiateur de justice ; que lui seul nous ait obtenu par ses mérites la réconciliation avec Dieu ; qui le nie ? Mais, d’autre part, c’est une impiété de nier que Dieu se plaise à octroyer ses grâces en ayant égard à l’intercession des saints, et surtout à celle de la divine Mère, Marie, que Jésus désire tant de voir aimée et honorée de nous. Qui ne sait que l’honneur rendu aux parents rejaillit sur leurs enfants ? Les pères sont la gloire de leurs fils, selon le Sage. Qu’on ne craigne donc pas d’obscurcir la gloire du Fils à force de louer la Mère, car honorer la Mère, c’est louer le Fils : " Il n’est nullement douteux, dit saint Bernard, que toutes les louanges que nous donnons à la Mère, ne remontent jusqu’au Fils. Saint Ildephonse dit pareillement que tout l’honneur qui se rend à la Mère et à la Reine, retourne au Fils et au Roi. En effet, personne n’en doute, c’est en considération des mérites de Jésus-Christ que Marie fut investie de ce grand pouvoir qui la constitue Médiatrice, disons-nous, non pas à titre de justice, mais à titre de grâce et par intercession. Saint Bonaventure n’hésite pas à l’appeler ainsi ; et saint Laurent Justinien demande : Comment ne serait-elle pas pleine de grâce, celle qui est devenue l’Echelle du paradis, la Porte du ciel, la véritable Médiatrice entre Dieu et les hommes?

A ce propos, Suarez observe avec raison que prier la sainte Vierge de nous obtenir des grâces, C’est témoigner que nous nous défions, non pas de la miséricorde divine, mais de nous-mêmes et de notre indignité ; nous nous recommandons à Marie, afin que sa dignité supplée à notre misère.

Ainsi, que ce soit une chose utile et sainte de recourir à l’intercession de Marie, ceux-là seuls peuvent le révoquer en doute qui renoncent à la foi. Mais le point que nous prétendons établir ici, c’est que l’intercession de Marie nous est même nécessaire pour le salut, c’est-à-dire pour parler avec précision, non pas absolument, mais moralement nécessaire. Et nous disons que cette nécessité découle de la volonté de Dieu même, lequel ne veut pas nous faire de grâces qui ne passent par les mains de Marie. C’est le sentiment de saint Bernard ; et nous pouvons ajouter, avec l’auteur du Règne de Marie, que ce sentiment est Communément suivi aujourd’hui par les théologiens et les docteurs. Ainsi ont enseigné Vega, Mendozza, Paciucchelli, Segneri, Poiré, Crasset et un très grand nombre d’autres savants écrivains. Le Père Noël Alexandre lui-même, pourtant si réservé dans ses propositions, affirme aussi que la volonté de Dieu est que nous attendions toutes les grâces par l’intercession de Marie ; et il cite à l’appui le mot célèbre de saint Bernard : La volonté de Dieu est que nous ayons tout par Marie ". Le père Contenson soutient la même doctrine ; il explique en ce sens les paroles adressées par Jésus du haut de la croix à saint Jean, et il les commente en ces termes : Voilà votre Mère, c’est comme si le Sauveur eût dit : Personne n’aura part aux mérites du sang que je répands, si ce n’est par l’intercession de Ma Mère. Mes plaies sont les sources de la grâce ; mais les ruisseaux n’en couleront sur aucune âme que par le canal de Marie. Jean, mon cher disciple, vous serez aimé de moi en proportion de l’amour filial que vous aurez pour elle.

Selon saint Bernard, Dieu a comblé Marie de toutes les grâces, afin que tous les biens destinés aux hommes leur arrivent par elle comme par un canal céleste : " Pareil à un aqueduc plein jusqu’au bord, elle donne à tous de sa plénitude ". Le saint fait en outre une réflexion bien remarquable ! Si, dit-il, avant la naissance de la bienheureuse Vierge, on ne voyait pas dans le monde ce courant de grâces qui s’épanchent aujourd’hui sur tous les hommes, c’est qu’alors cet Aqueduc si désirable y manquait. Marie a été donnée au monde afin que, par ce canal de grâces, les dons célestes descendent continuellement jusqu’à nous.

Le démon le sait bien; aussi, de même que, pour réduire la ville de Béthulie, Holopherne en fit couper les aqueducs, cet esprit malin s’attache de tout son pouvoir à détruire dans les âmes la dévotion envers la Mère de Dieu ; car, ce canal salutaire une fois fermé, il lui devient facile de les subjuguer. " Voyez donc, conclut le même Père, voyez, âmes fidèles, avec quelle affectueuse dévotion le Seigneur veut que honorions notre Reine ! Il a mis en elle la plénitude de tous les biens, afin de nous obliger à recourir sans cesse à elle avec une entière confiance en sa protection, et à reconnaître ainsi que, désormais, s’il est pour nous quelque espérance d’obtenir la grâce et d’arriver à la gloire, nous ne pouvons la voir réaliser que par l’entremise de Marie". -- Saint Antonin dit pareillement Toutes les grâces qui ont jamais été départies aux hommes, leur sont venues par le moyen de Marie."

Voilà pourquoi elle est comparée à la lune. Placée entre le soleil et la terre, dit saint Bonaventure, la lune renvoie à cette dernière la lumière qu’elle-même reçoit du soleil ; et Marie reçoit du soleil divin les célestes influences de la grâce, pour nous les transmettre ici-bas.

C’est pour le même motif que la sainte Eglise l’invoque sous le titre de Porte du ciel : Felix coeli porta. Toute lettre de grâce émanée du roi passe par la porte de son palais ; ainsi, remarque saint Bernard, nulle grâce ne descend du ciel sur la terre, sans passer par les mains de Marie. Et, rendant raison de la même appellation, saint Bonaventure ajoute que nul ne peut entrer dans le ciel, sans passer par cette bienheureuse Porte qui est Marie.

Nous sommes encore confirmés dans notre sentiment par saint Jérôme, ou, comme certains le veulent, par un autre auteur ancien, dont le sermon sur l’Assomption a, été inséré parmi les oeuvres de ce Père. On lit dans ce sermon que la Plénitude de la grâce est en Jésus-Christ comme dans la tête, d’où découlent et se répandent en nous, ses membres, tous les esprits vitaux, c’est-à-dire, les secours divins nécessaires au salut ; et que la même plénitude se trouve en Marie comme dans le cou, par lequel les esprits vitaux descendent dans les membres. Saint Bernardin s’empare de cette pensée et la développe : " C’est par la bienheureuse Vierge, dit-il, que routes les grâces de la vie spirituelle descendent de Jésus-Christ, Chef sacré de l’Église, dans son corps mystique, c’est-à-dire dans les fidèles ". Et, rendant compte de cette prérogative de la divine Mère, il ajoute : Depuis qu’il a plu au Seigneur d’habiter dans le sein de la bienheureuse Vierge, elle a en quelque sorte acquis une certaine juridiction sur toutes les grâces ; car Jésus-Christ, en sortant de ses chastes entrailles, fit en même temps sortir d’elle, comme d’un céleste réservoir, tous les courants des dons divins ". - Le saint répète la même chose ailleurs, et en tire cette conclusion qu’à partir de l’Incarnation du Verbe, " nulle créature n’a obtenu de Dieu Une grâce quelconque, si ce n’est par les Mains de notre bonne et tendre Mère".

Un auteur interprète dans le sens de notre thèse, le passage où Jérémie prédit, à propos de l’Incarnation du Verbe dans le sein de Marie, qu’une Femme environnera l’Homme-Dieu. " De même, dit-il, qu’une ligne tirée du centre d’un cercle ne peut en sortir sans passer par la circonférence, ainsi aucune grâce ne peut nous venir de Jésus-Christ, centre de tout bien, sans passer par Marie, qui, en recevant le Fils de Dieu dans son sein, l’a réellement environné de toute part ".

Il résulte de là, selon saint Bernardin, que tous les dons, toutes les vertus et toutes les grâces, sont dispensés par les mains de Marie, à qui elle veut, quand elle veut, et comme elle veut.

Richard de Saint-Laurent dit pareillement Dieu n’accorde aucun bien à ses créatures sans le faire passer par les mains de la Vierge Mère ". Aussi le vénérable abbé de Celles exhorte chacun de nous à recourir à cette Trésorière des grâces, comme il l’appelle, assurant qu’elle est le seul canal par où le monde et chaque homme en particulier puissent recevoir les faveurs qu’ils attendent de Dieu.

On le voit clairement : en affirmant que toutes les grâces nous viennent par l’entremise de Marie, tous ces saints, tous ces pieux auteurs n’ont pas voulu attacher à leurs paroles ce sens restreint, à savoir : que de Marie nous avons reçu Jésus-Christ, la source de tout bien. Ils nous déclarent en termes formels, qu’à partir de la naissance de Jésus-Christ, et cela en vertu d’un décret divin, toutes les grâces provenant de ses mérites furent distribuées aux hommes, le sont actuellement, et le seront jusqu’à la fin du monde, par les mains et moyennant l’intercession de Marie.

Pour conclure, nous dirons avec le père Suarez que selon le sentiment aujourd’hui universel de l’Église, l’intercession de Marie ne nous est pas seulement utile, mais encore nécessaire. Il ne s’agit pas ici, nous le répétons, d’une nécessité absolue : la médiation de Jésus nous est seule absolument nécessaire nous parlons d’une nécessité morale fondée sur cette raison que, comme le pense l’Église, d’accord avec saint Bernard, Dieu a décrété de ne nous accorder aucune grâce, si ce n’est par l’entremise de Marie. Et avant saint Bernard, saint Ildephonse avait affirmé la même chose, en parlant ainsi à la glorieuse Vierge : " O Marie ! il a plu au Seigneur de remettre entre vos mains tous les biens qu’il a préparés aux hommes il vous a confié tous les trésors et toutes les richesses, de ses grâces ". Selon saint Pierre Damien, si, Dieu n’a pas voulu se faire homme sans le consentement de Marie, C’est pour deux raisons : Premièrement, afin de nous obliger à une extrême reconnaissance envers cette divine Mère ; secondement, pour nous apprendre que le salut de tous les hommes est remis à sa décision.

Saint Bonaventure considère le passage où le prophète Isaïe annonce, sous l’emblème d’une tige et de sa fleur, la naissance de Marie et celle du Verbe fait chair : Il sortira une tige de la Racine de Jessé, et une fleur s’élèvera de sa racine, et sur cette fleur reposera l’Esprit du Seigneur; or voici la réflexion que lui inspire ce beau texte: " Quiconque désire obtenir la grâce du Saint-Esprit, doit chercher la Fleur sur la Tige, c’est-à-dire Jésus en Marie : car par la Tige nous arrivons à la Fleur, et par la Fleur nous arrivons à Dieu. Et voulez-vous, ajoute-t-il, avoir cette Fleur ? tâchez, à force de prières, d’incliner vers vous la Tige, et vous l’aurez ". Le Docteur Séraphique appuie ce conseil sur le texte de l’Evangile : Les Mages trouvèrent l’enfant avec Marie sa Mère. Jamais, dit-il, on ne trouve Jésus qu’avec Marie et par Marie ; ainsi donc, conclut-il, celui-là cherche en pure perte Jésus-Christ, qui ne cherche pas à le trouver avec Marie. De là ce mot de saint Ildephonse : " Pour être serviteur du Fils, je veux l’être de la Mère ". J’aspire à être le serviteur du Fils; et, comme cela est impossible à quiconque ne l’est pas de la Mère, toute mon ambition est de mériter le titre de serviteur de Marie.


EXEMPLE


Vincent de Beauvais et Césaire racontent qu’un jeune gentilhomme, ayant dissipé dans la débauche les grands biens qu’il avait hérités de son père, s’était vu réduit à l’indigence, si bien qu’il était obligé de mendier son pain. Afin de cacher sa honte avec son nom, il avait pris le parti de quitter sa patrie et d’aller vivre dans une contrée lointaine ; déjà même il était en route, quand il fit la rencontre d’un ancien serviteur de sa maison. C’était un impie magicien. Voyant le pauvre jeune homme plongé dans la tristesse à cause de sa misère, il lui dit de se consoler, ajoutant qu’il allait le présenter à un prince généreux qui pourvoirait à tous ses besoins.

Il le prit en effet un beau jour et le mena dans un bois près d’une mare, où il se mit à parler avec un personnage invisible. Le jeune homme lui demanda à qui il parlait. Il lui répondit : " Avec le démon " ; et, le voyant épouvanté, il l’engagea à ne rien craindre. Il dit ensuite à l’esprit malin : " Seigneur, ce jeune homme est réduit à une extrême nécessité, et il voudrait recouvrer son premier état. -- Pourvu qu’il veuille m’obéir, répondit l’ennemi du salut, je le rendrai plus riche qu’auparavant ; il faut d’abord qu’il renie Dieu ". A cette proposition, le malheureux fut saisi d’horreur ; mais, pressé par le maudit magicien, il fit ce qu’on exigeait de lui, il renia Dieu. " Cela ne suffit pas, reprit le démon ; il faut qu’il renie aussi Marie ; car, nous ne pouvons nous le dissimuler, c’est elle qui nous occasionne nos plus grandes pertes. Combien d’âmes ne retire-t-elle pas de nos mains, pour les ramener à Dieu et les sauver !Oh ! pour cela, non, répliqua le jeune homme : je ne renie point ma Mère, celle qui est toute mon espérance ; j’aime mieux mendier le reste de ma vie". Et là-dessus, il s’en alla.

Comme il retournait dans son pays, il vint à passer devant une église dédiée à Marie ; il y entre tout désolé, va se prosterner devant l’image de la sainte Vierge, et la supplie avec larmes de lui obtenir le pardon de ses fautes. Cette bonne Mère se met aussitôt à prier son divin Fils pour ce misérable. Jésus lui dit d’abord : " Mais cet ingrat, ma Mère, vient de me renier " ! Comme elle ne cessait, malgré cela, de le prier, il ajouta : " O ma Mère, je ne vous ai jamais rien refusé ; je lui pardonne, puisque vous me le demandez ". Un homme avait secrètement observé tout ceci : c’était celui-là même qui avait acheté les biens du dissipateur. Témoin de la tendre commisération de Marie pour ce pécheur, il lui donna en mariage sa fille, qui était son unique enfant, et le fit héritier de toute sa fortune. Ainsi ce jeune homme récupéra, par l’entremise de Marie, la grâce de Dieu et même ses biens temporels.


PRIÈRE


Tu vois, mon âme, quelle belle espérance de salut et de vie éternelle le Seigneur t’a donnée lorsque, malgré les péchés, par où, si souvent, tu as mérité sa disgrâce et l’enfer, il a eu la bonté de t’inspirer une vive confiance dans la protection de sa Mère. Remercie donc ton Dieu, et remercie aussi la céleste Protectrice, Marie, qui a daigné te prendre sous sa tutelle, ainsi que t’en donnent l’assurance les innombrables faveurs que tu as reçues par son intercession.

Oui, ô ma tendre Mère, je vous remercie de tout le biens que vous avez fait à un malheureux déjà condamné à l’enfer. De combien de périls ne m’avez-vous pas délivré, ô Reine puissante, combien de lumières et de miséricordes ne m’avez-vous pas obtenues de Dieu ! Quel si grand bien, quel si grand honneur avez-vous donc reçu de moi, pour être si empressée à me prodiguer vos faveurs ! C’est uniquement à votre bonté que j’en suis redevable. Ah ! quand je livrerais mon sang et ma vie, ce serait peu pour m’acquitter envers vous : vous m’avez délivré de la mort ; vous m’avez fait recouvrer, comme j’en ai la confiance, la grâce de Dieu: en un mot, je vous dois tout. Que vous rendrai-je, ô mon aimable Souveraine ? tout ce que je puis dans ma misère, c’est de vous louer et de vous aimer à jamais.

Ah! ne dédaignez pas l’hommage d’un pauvre pécheur épris d’amour pour votre bonté. Si son coeur est indigne de vous aimer, parce qu’il est plein de souillures et d’affections terrestres, il dépend de vous de le changer ; de grâce, changez-le. Attachez-moi à mon Dieu, et attachez-moi tellement que je ne puisse jamais plus me séparer de son amour. Vous demandez de moi que j’aime votre Dieu. et c’est la grâce que je vous demande ; obtenez-moi de l’aimer, de l’aimer toujours, et je ne désire plus rien. Amen.

II  Suite du même sujet


Un homme et une femme ayant coopéré à notre ruine, il convenait, remarque saint Bernard, qu’un autre homme et une autre femme coopérassent à notre réparation ; et c’est ce qu’ont fait Jésus et Marie. Sans doute, ajoute-t-il, pour nous racheter, c’était assez de Jésus-Christ seul ; mais il était plus convenable que les deux sexes concourussent à notre salut, comme ils avaient concouru à notre perte. C’est pourquoi le bienheureux Albert le Grand donne à Marie le titre de Coopératrice de la Rédemption. Elle disait elle-même un jour à sainte Brigitte que, comme Adam et Ève ont vendu le monde pour un seul fruit, elle et son divin Fils l’ont racheté d’un même coeur. Selon la pensée de saint Anselme, Dieu a bien pu créer le monde de rien ; mais, le monde s’étant perdu par le péché, Dieu n’a pas voulu le restaurer sans la coopération de Marie.

Suivant Suarez, la divine Mère a contribué à notre salut de trois manières: c’est d’abord qu’elle a mérité d’un mérite de convenance, comme disent les théologiens, l’Incarnation du Verbe; c’est ensuite que, pendant sa vie mortelle, elle s’est appliquée avec beaucoup de zèle à prier pour nous ; c’est enfin qu’elle a fait généreusement à Dieu le sacrifice de la vie de son Fils pour notre rédemption. Eh bien ! en récompense de l’immense gloire qu’elle a rendue à Dieu et de l’ineffable amour qu’elle nous a témoigné en travaillant ainsi à la réhabilitation de tous les hommes, Dieu a statué avec justice que aucun n’obtiendrait le salut, si ce n’est par son intercession.

Suivant Bernardin de Bustis, Marie s’appelle la Coopératrice de notre justification, parce que Dieu lui a confié toutes les grâces qu’il voulait bien nous faire. Et saint Bernard en conclut qu’elle est le centre et le point culminant des siècles, et comme le phare salutaire qui attira les regards des générations passées, qui doit attirer ceux de la génération présente, et de toutes les générations futures.

Personne, a dit Jésus, ne peut venir à moi si d’abord mon Père qui m’a envoyé, ne l’attire par sa grâce. Or, selon Richard, il dit pareillement: " Personne ne peut venir à moi si ma Mère ne l’attire par ses prières". Jésus est le fruit des entrailles de Marie, selon l’expression de sainte Élisabeth : Vous êtes bénie entre les femmes, et béni est le fruit de votre sein. Mais celui qui veut le fruit, doit aller à l’arbre ; et partant, si quelqu’un veut trouver Jésus, il faut qu’il aille à Marie, qu’on ne trouve jamais sans trouver en même temps Jésus. Quand sainte Elisabeth vit la très sainte Vierge qui venait la visiter dans sa maison, ne sachant comment lui témoigner sa reconnaissance, elle s’écria avec une profonde humilité : Comment ai-je pu mériter que la Mère de mon Dieu vint à moi? - Mais, demandera-t-on, sainte Elisabeth ne savait-elle pas qu’elle avait chez elle, non seulement Marie, mais encore Jésus? Au lieu donc de se dire indigne de recevoir la visite de la Mère, pourquoi ne se dit-elle pas plutôt indigne de recevoir celle du Fils? - Ah ! la sainte savait très bien que, lorsque Marie vient, elle amène avec elle Jésus ; en conséquence, il lui suffisait de remercier la Mère, sans nommer le Fils.

Il est écrit de la Femme forte : Pareille au navire d’un marchand, elle apporte son pain de loin. Telle est bien Marie, vaisseau béni qui apporta au monde Jésus-Christ, le Pain vivant descendu du ciel pour nous donner la vie éternelle. Je suis, dit-il, le Pain vivant descendu du ciel; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. D’un autre côté, selon la remarque de Richard, tous ceux-là périront qui voguent sur la mer orageuse du monde en dehors de ce mystique navire, c’est-à-dire sans être protégés par Marie. Ainsi donc, ajoute-t-il, chaque fois que les tentations ou les révoltes des passions, si fréquentes dans cette vie, nous mettent en péril, il nous faut recourir à Marie et pousser vers elle ce cri de détresse : Au secours, ô notre Reine ! sauvez-nous, ou bien vous allez nous voir perdus !

D’après le glorieux saint Gaétan, nous pouvons bien demander les grâces, mais nous ne pourrons jamais les obtenir sans cet appui. Ce que confirme saint Antonin par cette belle expression : " Demander et vouloir obtenir les grâces sans l’intercession de Marie, c’est prétendre voler sans ailes ". -- Pharaon confia à Joseph un plein pouvoir sur toute l’Égypte et, dès lors, tous ceux qui venaient au palais demander des secours, il les renvoyait en leur disant : Allez à Joseph ; ainsi, quand nous sollicitons ses grâces, le Seigneur nous renvoie à la bienheureuse Vierge : Allez, dit-il, allez à Marie. Car il a décrété, assure saint Bernard, de ne rien nous accorder, si ce n’est par les mains de Marie. " Si donc les Égyptiens ont pu dire à Joseph : Notre salut est entre vos mains, nous avons bien plus de sujet, remarque Richard de le dire à Marie ; car vraiment notre salut est en, son pouvoir ". Le vénérable Idiot exprime la même pensée dans les mêmes termes ; et Cassien, enchérissant encore, dit d’une manière absolue, que le salut de tout homme consiste à être favorisé et protégé par Marie ; en d’autres mots, celui-là se sauve qui jouit de la protection de Marie ; celui-là se perd qui en est Privé. Puissante Reine, lui dit saint Bernardin de Sienne, vous êtes la dispensatrice de toutes les grâces ; la grâce du salut ne peut donc nous venir que de votre main, et partant notre salut dépend de vous.

Richard a donc eu raison de dire : " Comme une pierre tombe dès qu’on ôte ce qui la soutient, ainsi une âme qui perd l’appui de Marie, tombe d’abord dans le péché et puis dans l’enfer.

Saint Bonaventure ajoute que Dieu ne nous sauvera pas si Marie n’intercède pour nous ; comme un enfant ne saurait vivre qui n’a pas de nourrice, dit-il encore, ainsi une âme ne saurait se sauver sans l’aide de Marie. " Que votre âme, conclut-il, soit donc comme altérée des pratiques de dévotion envers Marie ; attachez-vous à cette bonne Mère, et ne la quittez point que vous n’ayez reçu sa bénédiction en paradis ".

Ici trouvent leur place les belles paroles adressées à Marie par saint Germain : "Qui jamais, ô Vierge très sainte, parviendrait sans vous à connaître Dieu ? Qui serait sauvé, s’il ne l’était par vous, ô divine Mère? Qui pourrait, ô Vierge féconde, échapper aux périls de cette vie, si vous ne l’en délivriez? Qui recevrait enfin de Dieu une grâce quelconque sinon par votre entremise, ô pleine de grâces " ? Et ailleurs il lui dit encore : " Si vous ne nous ouvriez la voie, nul ne marcherait dans les sentiers de la perfection, nul n’éviterait les atteintes de la chair et du péché ".

Nous n’avons accès auprès du Père éternel que par Jésus-Christ ; de même, nous n’avons accès auprès de Jésus-Christ que par Marie. C’est saint Bernard qui nous l’assure ; et bien belle est la raison qu’il en donne : " Le Seigneur, dit-il, veut que tous nous soyons sauvés par l’intercession de Marie, afin que ce divin Sauveur nous reçoive des mains de Marie, comme il nous a été donné par le moyen de Marie ; et conséquemment, le saint proclame Marie la Mère de la grâce et de notre salut.

" Quel serait donc notre sort ? reprend saint Germain ; quel espoir nous resterait-il d’être sauvés, si vous nous abandonniez, ô Marie, vous qui êtes la Vie des chrétiens ! Mais, si toutes les grâces passent par Marie, il faudra donc, quand nous implorerons l’intercession des saints, que ceux-ci recourent eux-mêmes à la médiation de Marie, s’ils veulent nous obtenir les grâces que nous leur demandons ?

Je répondrai d’abord que, prise en elle-même, cette conséquence ne renferme aucune erreur, aucun inconvénient. En vue d’honorer sa Mère, Dieu l’a établie Reine de tous les saints ; il lui plaît en outre de n’accorder de grâces que par son entremise ; quel inconvénient peut-il y avoir à dire qu’il oblige encore les saints à recourir à elle pour obtenir les grâces dont leurs protégés ont besoin ?

Cette doctrine est affirmée expressément par saint Bernard, saint Anselme, saint Bonaventure, Suarez et d’autres. "En vain, prierions-nous les autres saints, dit le premier ; si Marie ne nous venait en aide, aucune grâce ne nous serait accordée ". Un auteur explique dans ce sens les paroles suivantes de David : Tous les riches du peuple vous offriront leurs humbles prières. Les riches du peuple par excellence, c’est-à-dire du peuple de Dieu, ce sont les saints ; quand ils souhaitent quelque grâce pour l’un de leurs clients, ils s’adressent à Marie afin qu’elle la lui procure. " Nous n’avons pas coutume, remarque Suarez, d’employer l’intercession d’un saint auprès d’un autre saint, vu que tous sont d’un même ordre ; mais nous faisons bien de les prier de se faire nos intercesseurs auprès de la Vierge, qui est leur Maîtresse et leur Reine ". Et telle fut précisément, au rapport du père Marchese, la promesse de saint Benoît à sainte Françoise Romaine : lui apparaissant un jour, il l’assura de sa protection, et ajouta qu’il se ferait son avocat auprès de la divine Mère.

A l’appui de cette doctrine, citons encore les paroles de saint Anselme à la bienheureuse-Vierge : " Grande Reine, ce que peut obtenir l’intercession de tous les saints faisant cause commune avec vous, votre intercession seule, sans leur concours, le peut de même. Et d’où vous vient cette puissance illimitée? De ce que vous êtes la Mère de notre Sauveur à tous l’unique Épouse de Dieu, la Reine du ciel et de la terre. Si vous ne parlez, aucun saint ne priera pour nous, aucun ne nous aidera ; mais si vous consentez à intercéder pour nous, tous aussitôt nous prêteront le secours de leurs prières, et s’empresseront d’appuyer nos requêtes ".

La sainte Église applique à Marie les paroles de la Sagesse : J’ai fait seule le tour du ciel ; et voici comment le Père Segneri justifie cette application : La première sphère céleste communique son mouvement à toutes les autres ; et quand la très sainte Vierge se met à prier pour une âme, elle entraîne tout le paradis à prier avec elle. Saint Bonaventure va plus loin et assure qu’en sa qualité de Reine, elle commande alors à tous les anges et à tous les saints de se joindre à elle et d’offrir à Dieu leurs prières en union avec les siennes.

C’est donc à bon droit que l’Église nous prescrit de saluer et d’invoquer la divine Mère sous le glorieux titre de notre Espérance : " O vous, notre Espérance, salut " ! L’impie Luther ne pouvait souffrir, disait-il, ce titre donné par l’Église romaine à Marie, à une simple créature. Car enfin, ajoutait-il, Dieu seul, et Jésus-Christ comme notre Médiateur, sont notre espérance, et, selon le mot de Jérémie, Dieu maudit quiconque met son espoir dans la créature. Mais, quoi qu’il ait pu dire, l’Église nous enseigne par sa pratique universelle à invoquer Marie en ces termes " O notre Espérance, salut " ! Celui qui place son espérance dans une créature indépendamment de Dieu, encourt certainement la malédiction de Dieu ; car Dieu est l’unique source et le dispensateur de tous les biens la créature n’a rien, ne peut rien donner qu’elle n’ait reçu de lui. Mais s’il est vrai, comme nous l’avons prouvé, qu’en vertu d’un décret divin, toutes les grâces nous viennent par Marie comme par un canal de miséricorde, nous pouvons, nous devons même affirmer qu’elle est notre espérance.

Aussi saint Bernard n’hésitait pas à dire : " Mes enfants, en Marie est ma principale confiance ; Marie est tout le fondement de mon espérance ". Saint Jean Damascène priait la sainte Vierge en termes non moins expressifs : " Ma Souveraine, j’ai mis en vous toute ma confiance; et, les yeux fixés sur vous, j’attends de vous mon salut ". Marie est toute l’espérance de notre salut ", dit également saint Thomas ; et saint Ephrem lui parle ainsi à elle-même : " Notre espérance n’a point d’appui en dehors de vous, ô Vierge très pure ; si donc vous voulez nous voir sauvés, recevez-nous sous l’aile de votre tendresse, et gardez-nous ".

Pour conclure, je dirai avec saint Bernard Consacrons toutes les affections de notre coeur à honorer Marie, car telle est la volonté que nous a manifestée le Seigneur, en réglant que tout bien nous viendrait par l’entremise de cette divine Mère ". Chaque fois donc que nous désirons et sollicitons une grâce, efforçons-nous de faire appuyer notre requête par Marie, et tenons-nous sûrs de l’obtenir par elle : " Cherchons la grâce, dit saint Bernard, et cherchons la par Marie ; car si nous sommes indignes d’être exaucés, Marie en est digne, elle, et la faveur que nous souhaitons, elle la demandera pour nous ".

Enfin, voulons-nous faire agréer au Seigneur l’offrande de quelque bonne oeuvre, de quelque prière? suivons le conseil du même saint, ayons soin de remettre tout entre les mains de Marie; par là, jamais nous ne serons rebutés.


EXEMPLE


C’est une histoire célèbre que celle de Théophile, écrite par Eutychien, patriarche de Constantinople et témoin oculaire de ce que nous allons raconter. Elle est d’ailleurs confirmée par saint Pierre Damien, saint Bernard, saint Bonaventure, saint Antonin, et plusieurs autres que cite le Père Crasset.

Théophile était archidiacre de l’Église d’Adana, en Cilicie. il jouissait d’une si grande estime, que le peuple le voulait pour évêque ; mais il refusa par humilité. Dans la suite, il se vit néanmoins déposer de sa charge sur une accusation mensongère de la part de ses envieux ; et il se laissa aveugler par le chagrin jusqu’à aller solliciter d’un magicien juif le remède à sa disgrâce. Celui-ci l’aboucha avec Satan, qui lui promit de l’aider, à condition qu’il renierait Jésus-Christ et la Vierge Marie, et lui remettrait, écrit de sa propre main, l’acte de ce renoncement. Théophile traça l’abominable écriture. Le jour suivant, l’évêque reconnut ses torts, en demanda pardon à Théophile et lui rendit sa charge ; mais, déchiré par le remords de sa conscience, qui lui reprochait son énorme péché, le malheureux archidiacre ne faisait que pleurer. Il se rend enfin dans une église, et là, se jetant tout en larmes aux pieds d’une image de Marie : " O Mère de Dieu, lui dit-il, je ne veux pas me livrer au désespoir ; vous me restez encore, vous si compatissante, et qui pouvez me secourir ".

Il passa ainsi quarante jours, pleurant sa faute et priant la sainte Vierge. Ce temps écoulé, la Mère de miséricorde lui apparut pendant la nuit et lui parla ainsi : " Ah ! Théophile, qu’as-tu fait ? tu as renoncé à mon amitié et à celle de mon Fils ; et en quelles mains? dans les mains de ton ennemi, de mon ennemi ! -- Ma Souveraine, répondit le pécheur, c’est à vous de remédier au mal que j’ai fait ; ne pensez plus qu’à me pardonner et à me faire pardonner par votre divin Fils ". Voyant en lui cette confiance, Marie lui dit " Aie bon courage ; je vais prier Dieu pour toi ". Fortifié par cette vision, Théophile ne fit que redoubler ses larmes, ses pénitences et ses prières, sans s’éloigner de la sainte image. Tout à coup, Marie lui apparut de nouveau, et lui dit d’un air joyeux : " Console-toi, Théophile ; j’ai présenté à Dieu tes larmes et tes prières ; il les a reçues et t,a pardonné. Désormais, sois reconnaissant et fidèle. -- O ma bonne Dame, répliqua Théophile cela ne suffit pas pour me consoler pleinement : l’ennemi tient encore entre ses mains l’écrit impie par lequel je vous ai reniés, vous et votre divin Fils ; vous pouvez me le faire rendre ". Trois jours après, Théophile, en s’éveillant la nuit, trouva l’écrit sur sa poitrine.

Le lendemain, pendant que l’évêque se trouvait à l’église en présence d’un peuple nombreux, Théophile alla se jeter à ses pieds, lui raconta toute son histoire en pleurant à chaudes larmes, et, lui remit entre les mains l’infâme billet, que l’évêque fit aussitôt brûler devant la multitude. Tous pleuraient de joie, exaltant la bonté de Dieu et la miséricorde avec laquelle Marie avait traité ce malheureux pécheur. Quant à lui, il retourna à l’église de la Vierge, et y demeura trois jours, au bout desquels il mourut plein de joie, en rendant grâces à Jésus-Christ et à sa sainte Mère.


PRIÈRE


O Marie, vous êtes à la fois Reine et Mère de miséricorde : tous ceux qui vous invoquent le reconnaissent à la munificence vraiment royale, et à la tendresse toute maternelle avec lesquelles vous leur distribuez les grâces. Souffrez donc que je me recommande aujourd’hui à vous, moi si dénué de mérites et de vertus, et si chargé de dettes envers la Justice divine. O Marie, vous tenez la clef du trésor des divines miséricordes ; ne dédaignez pas un misérable, ne le laissez pas en proie à son extrême indigence. Prodigue de vos bienfaits envers tous les hommes, vous êtes accoutumée à donner plus qu’on ne vous demande montrez-vous la même à mon égard. Sainte Vierge! protégez-moi ; c’est tout ce que je vous demande.

Si vous me protégez, je ne crains rien : rien du côté des démons, parce que vous êtes plus puissante que tout l’enfer ; rien du côté de mes péchés, parce qu’il vous suffit de dire une parole à Dieu pour m’obtenir un pardon général; si vous m’êtes favorable, je ne crains rien, même de la colère du Seigneur, parce qu’une seule de vos prières l’apaise aussitôt. En un mot, si vous me protégez, j’espère tout, puisque vous pouvez tout. O Mère de miséricorde, je le sais, vous mettez votre plaisir et votre gloire à aider les plus misérables, et vous pouvez les aider, tant qu’ils ne sont pas obstinés. Je suis un pécheur, mais je ne suis pas obstiné, je veux changer de vie ; vous pouvez donc me secourir ; secourez-moi, sauvez-moi. Aujourd’hui, je me remets tout entier entre vos mains : dites-moi ce que j’ai à faire, et j’espère y réussir avec votre secours, à Marie, Ma Mère, ma lumière, ma consolation, mon refuge, mon espérance Amen, amen, amen.






Gloires de Marie - PRIÈRE