Gloires de Marie - PRIÈRE


CHAPITRE VII MARIE, NOTRE GARDIENNE




Illos tuos miséricordes oculos ad nos converte.




Tournez vers nous vos yeux pleins de miséricorde.



Marie est tout yeux pour compatir à nos misères et les soulager


Saint Épiphane appelle la Mère de Dieu Multocula, c’est-à-dire, celle qui est tout yeux pour soulager nos misères ici-bas. Un jour, en exorcisant un possédé, on demanda au démon ce que faisait Marie: " Elle descend et elle monte", telle fut la réponse de l’esprit malin. Par là, il voulait dire que cette bonne Reine ne fait autre chose que descendre sur la terre pour apporter des grâces aux hommes, et monter au ciel pour présenter nos suppliques au Seigneur et les lui faire agréer. Saint André d’Avellin avait donc raison d’appeler la bienheureuse Vierge la Femme d’affaires du paradis, celle que sa miséricorde tient toujours en action, et qui ménage des grâces à tous, justes et pécheurs. Le Seigneur, dit David, a les yeux ouverts sur les justes ; mais les yeux de Notre-Dame, observe Richard de Saint-Laurent, sont également fixés sur les justes et sur les pécheurs. C’est, ajoute-t-il, que les yeux de Marie sont des yeux de Mère, et qu y une mère regarde sans cesse son enfant, non seulement pour l’empêcher de tomber, mais encore pour le relever, s’il tombe.

Jésus-Christ lui-même a daigné manifester cette vérité à sainte Brigitte ; elle l’entendit un jour parler ainsi à sa glorieuse Mère Ma Mère, demandez-moi tout ce que vous désirez Tel est le langage que Jésus tient sans cesse à Marie dans le ciel ; car il aime à contenter cette Mère chérie en tout ce qu’elle lui demande. -- Mais que lui demande Marie? Sainte Brigitte l’entendit qui répondait à son divin Fils : Je demande miséricorde pour les misérables ; comme si elle eût dit : Mon Fils, vous avez voulu que je sois la Mère de miséricorde, le Refuge des pécheurs et l’Avocate des malheureux ; et vous me dites de vous demander ce que je veux ; mais, que puis-je vouloir, sinon que vous usiez de miséricorde envers les misérables? c’est là ce que je vous demande : Misericordiam peto miseris.

" Ainsi, ô Marie, s’écrie avec attendrissement saint Bonaventure ; vous êtes si pleine de miséricorde, si attentive à secourir les malheureux, que vous semblez n avoir aucun autre désir, aucune autre sollicitude, que de les assister ". Et comme, entre tous les malheureux, les pécheurs sont les plus à plaindre, le vénérable Bède assure que Marie est continuellement occupée à prier son divin Fils pour les pécheurs.

Dès le temps même que Marie vivait sur la terre dit saint Jérôme, elle avait le coeur si compatissant et si tendre envers les hommes, que personne n’a jamais souffert de ses propres peines autant que cette bonne Mère souffrait de celles des autres. Elle donne une belle preuve de cette commisération dont elle était pénétrée pour les, peines d’autrui, dans le trait déjà cité des noces de Cana : le vin y étant venu à manquer, Marie n’attendit pas qu’on recourût à elle, remarque saint Bernardin, mais ce fut spontanément qu’elle se chargea du charitable office de consoler les affligés et, par pure compassion pour la peine des jeunes époux, elle intercéda auprès de son Fils, et en obtint le miracle du changement de l’eau en vin.

Mais, ô bienheureuse Vierge, s’écrie ici saint Pierre Damien, depuis que vous êtes élevée à la dignité de Reine du ciel, auriez-vous peut-être oublié vos pauvres serviteurs ? A Dieu ne plaise qu’on ait jamais une telle pensée ! reprend-il aussitôt ; une miséricorde telle que celle qui règne dans le coeur de Marie, ne saurait oublier une misère comme la nôtre. A Marie ne s’applique pas le proverbe si connu, que les honneurs changent les moeurs. Cela est vrai quant aux mondains, qui ne peuvent parvenir à quelque dignité sans s’enorgueillir et oublier leurs anciens amis restés pauvres ; il n’en est pas ainsi de Marie ; si elle se réjouit de son élévation, c’est qu’elle y trouve un moyen de secourir plus efficacement les malheureux.

C’est précisément pour ce motif que saint Bonaventure lui applique les paroles dites à Ruth : Vos dernières bontés ont surpassé les premières. Le saint entend par là, comme il l’explique ensuite, que la compassion envers les malheureux, déjà si grande en Marie, alors qu’elle était encore ici-bas, est bien plus grande, aujourd’hui qu’elle règne dans les cieux. Et il en donne la raison : " Si cette divine Mère, dit-il, nous témoigne maintenant, par les innombrables grâces qu’elle nous obtient, une plus grande miséricorde, c’est qu’elle connaît mieux nos misères, ajoute-t-il, autant l’éclat du soleil surpasse celui de la lune, autant la compassion de Marie pour nous, maintenant qu’elle est dans la gloire, surpasse celle qu’elle nous portait ici-bas ". Le saint conclut en ces termes : " Est-il au monde un homme qui ne jouisse de la lumière du soleil ? de même, il n’est personne sur qui ne tombent les rayons de la miséricorde de Marie ". Voilà pourquoi elle est comparée au soleil; et le docteur séraphique lui applique ce qui est dit de cet astre : Il n’est personne qui échappe à sa chaleur.

Cet enseignement est confirmé par une révélation de sainte Agnès à sainte Brigitte ; on y lit : Maintenant que notre Reine est étroitement unie avec son Fils dans le ciel, elle ne s’est pas dépouillée de la bonté qui lui est naturelle ; aussi fait-elle sentir les effets de sa tendresse à tous les hommes, sans en excepter les pécheurs les plus impies. Et comme le soleil éclaire tous les corps, les terrestres aussi bien que les célestes ; ainsi, grâce à la douceur de Marie et par son entremise, il n’est personne au monde qui n’ait part aux divines miséricordes, pourvu qu’il les implore.

Au royaume de Valence, un grand criminel avait résolu de passer chez les Turcs et d’y prendre le turban; il désespérait d’échapper autrement aux coups de la justice. Déjà même il se rendait au port pour s’embarquer, lorsque, passant devant une église, il y entra et assista au sermon qu’y prêchait en ce moment le Père Jérôme Lopez de la Compagnie de Jésus. A ce sermon, qui roulait sur la miséricorde divine, le pécheur se convertit et se confessa au prédicateur lui-même. Celui-ci lui demanda\ s’il avait conservé quelque pratique pieuse en retour de laquelle Dieu lui aurait fait cette grâce insigne. " La seule dévotion que J’aie pratiquée, répondit-il, a été de prier chaque jour la sainte Vierge de ne pas m’abandonner".

Le même religieux rencontra un jour à l’hôpital un autre pécheur qui ne s’était plus confessé depuis cinquante ans ; toute sa religion pendant cet intervalle s’était réduite à ceci : quand il voyait une image de Marie, il la saluait et priait la divine Mère de ne pas le laisser mourir dans le péché mortel. Or, il raconta que, dans une rixe avec un de ses ennemis, son épée s’était rompue; et alors, se tournant vers la bienheureuse Vierge, il s’était écrié ; " Hélas ! me voilà mort et damné. Mère des pécheurs ! secourez-moi". Et, en disant ces mots, il s’était trouvé, sans savoir comment, transporté en lieu sûr. Cet homme fit une confession générale et mourut plein de confiance.

Selon saint Bernard, Marie se fait tout à tous elle ouvre à tous les hommes le sein de sa miséricorde, afin que tous reçoivent de sa plénitude : l’esclave, la liberté, le malade, la santé, l’affligé, des consolations, le pécheur, la remise de ses fautes ; il n’est pas jusqu’à Dieu qui n’en reçoive une grande augmentation de gloire ; en un mot, il n’est personne qui ne ressente la chaleur de ce bienfaisant Soleil.

Et qui dans le monde pourrait ne pas aimer cette Reine tout aimable, s’écrie saint Bonaventure ? elle est plus belle que l’astre du jour, plus douce que le miel ; vrai trésor de bonté, elle est tendre et affable envers tout le monde. Je vous salue donc, continue ce saint si affectueux ; je vous salue, ô ma Souveraine et ma Mère, je dirai même mon Coeur, mon Ame ! Pardonnez-moi, ô Marie, si j’ose dire que je vous aime ; car, si je ne suis pas digne de vous aimer, vous êtes assurément bien digne d’être aimée de moi.

Selon une révélation faite à sainte Gertrude, lorsqu’on adresse avec dévotion à Marie ces paroles du Salve Regina : Eia ergo, Advocata nostra ! illos tuos miséricordes oculos ad nos converte : " De grâce, ô notre Avocate, tournez vers nous vos yeux miséricordieux " ; - cette bonne Mère ne peut s’empêcher de se rendre au désir de qui la prie ainsi.

Oui, dit saint Bernard, l’immense miséricorde de Marie remplit tout l’univers. Et, selon saint Bonaventure, cette Mère pleine de tendresse a un tel désir de faire du bien à tout le monde, qu’elle se tient pour offensée, non seulement par ceux qui l’outragent positivement ; -- car il est des hommes, spécialement parmi les joueurs, qui, dans la colère, poussent la perversité jusqu’à blasphémer et insulter cette douce Reine mais Marie se croit offensée aussi par ceux qui ne lui demandent jamais aucune grâce. Ainsi, ô Marie ! ajoute saint Hildebert, vous nous enseignez à espérer. des grâces au-dessus de nos mérites, puisque vous ne cessez de nous en distribuer qui dépassent de beaucoup ce que nous méritons.

Le prophète Isaïe avait prédit que la grande oeuvre de notre rédemption, aurait pour effet de préparer un trône où la divine miséricorde donnerait audience à notre misère. Quel est ce trône? " C’est Marie, répond saint Bonaventure, car en elle, justes et pécheurs, tous les hommes trouvent les consolations de la miséricorde ". Ensuite, il ajoute " De même que Notre-Seigneur, Notre-Dame est pleine de miséricorde ; et la Mère, non plus que le Fils, ne sait refuser sa commisération à ceux qui l’implorent ". Dans le même sens, l’abbé Guéric fait parler ainsi Jésus à sa Mère : Ma Mère, je placerai en vous le siège de mon empire ; car c’est par vous que j’accorderai les grâces qui me seront demandées : vous m’avez donné ce que j’ai d’humain ; je vous donnerai ce que j’ai de divin, c’est-à-dire, la toute-puissance, en vertu de laquelle vous pourrez aider à se sauver ceux que vous voudrez.

Un jour que sainte Gertrude adressait avec ferveur à la Mère de Dieu les paroles citées plus haut : " Tournez vers nous vos yeux miséricordieux ", elle vit tout à coup la bienheureuse Vierge, qui lui dit en lui montrant les yeux de son Fils qu’elle tenait dans ses bras : " Voici les yeux pleins de miséricorde qui se tournent, à mon gré pour sauver ceux qui m’invoquent ".

Comme un pécheur fondait en larmes devant une image de Marie, la priant de lui obtenir de Dieu son pardon, il entendit cette auguste Mère dire au Sauveur enfant, qu’elle portait entre ses bras : " Mon Fils, ces larmes seront-elles versées en pure perte ? Et il comprit que Jésus-Christ lui pardonnait.

Comment, en effet, pourrait-il périr, celui qui se recommande à cette clémente Reine, vu que le Sauveur lui-même, parlant avec la suprême autorité d’un Dieu, a promis à sa Mère d’user pour l’amour d elle de toute la miséricorde qu’elle voudra envers ceux qui la prendront pour avocate ? Ceci fut révélé à sainte Brigitte : elle entendit Jésus-Christ qui adressait ces paroles à Marie : " En vertu de ma toute-puissance je vous ai accordé, à vous mon auguste Mère le pouvoir de faire grâce à tous les pécheurs qui invoqueront pieusement le secours de votre maternelle bonté, et de le faire de telle manière qu’il vous plaira ".

Plein de confiance en considérant ce haut crédit de Marie auprès de Dieu, et son ineffable tendresse à notre égard, l’abbé Adam de Perseigne lui parlait ainsi : O Mère de miséricorde, votre bonté égale votre puissance, et vous n’êtes pas moins indulgente envers les pécheurs que votre intercession est efficace. Quand pourra-t-il se faire que vous refusiez votre compassion aux malheureux, vous qui êtes la Mère de miséricorde ; ou que vous soyez dans l’impuissance de les secourir, vous qui êtes la Mère de la toute-puissance? Jamais, car il vous est aussi facile d’obtenir une grâce quelconque, que de connaître nos misères.

Rassasiez-vous donc, ô grande Reine, s’écrie l’abbé Guéric, rassasiez-vous de la gloire de votre divin Fils, et, sinon pour nos mérites, du moins par compassion, laissez tomber ici-bas, pour nous, vos pauvres serviteurs et enfants, les miettes de votre table.

Si nos péchés nous inspirent de la défiance, disons avec Guillaume de Paris : Ma douce Souveraine, n’alléguez pas mes péchés contre moi, car, contre mes péchés, j’allègue votre miséricorde. Ah ! qu’il ne soit pas dit que mes péchés ont pu tenir en échec votre miséricorde elle peut bien plus pour me faire absoudre, que toutes mes fautes pour me faire condamner


EXEMPLE


On lit dans les Annales des Capucins, qu’il y avait à Venise un célèbre avocat qui s’était enrichi par des moyens frauduleux et injustes ; de sorte qu’il vivait dans l’état de péché. Peut-être n’avait-il autre chose de bon que la coutume de réciter chaque jour certaine prière à la sainte Vierge ; et cependant, grâce à la miséricorde de Marie, cette pauvre dévotion lui valut d’échapper à la mort éternelle. Voici comment. Il avait eu le bonheur de se lier d’amitié avec le Père Matthieu de Basso ; et il lui faisait si souvent des instances pour l’avoir à dîner, qu’enfin le bon religieux lui donna sa parole. En le voyant arriver, l’avocat lui dit : " Maintenant, mon Père, je vais vous faire voir une chose que vous n’avez jamais vue. J’ai un singe admirable, qui me sert comme un valet : il lave les verres, met la table, ouvre la porte ...

Prenez garde, répondit le père, que ce ne soit pas un singe, mais quelque chose de plus ; veuillez le faire venir ici ". On appelle le singe, on l’appelle encore, on le cherche partout, et le singe ne parait point. On le trouve enfin, caché sous un lit au rez-de-chaussée, mais l’on ne put le faire sortir de là. " Eh bien ! dit alors le religieux, allons nous-mêmes le trouver ". Arrivé avec l’avocat à la retraite du singe : " Bête infernale, lui dit-il, sors à l’instant, et je t’ordonne, au nom de Dieu, de déclarer qui tu es ". Le prétendu singe répondit aussitôt qu’il était le démon. " J’attendais, ajouta-t-il, que ce pécheur laissât passer un jour sans réciter sa prière accoutumée en l’honneur de la divine Mère; car Dieu m’avait donné permission de l’étrangler la première fois qu’il négligerait cette pratique, et de l’emporter en enfer". Là-dessus, le pauvre avocat se jette à genoux et réclame l’assistance du serviteur de Dieu. Celui-ci le rassure, et commande à l’esprit malin de quitter cette maison, sans causer aucun dommage. " Je te permets seulement, ajouta-t-il, de percer le mur en signe de ton départ ". Il avait à peine dit, qu’on entendit un grand bruit, et l’on vit une ouverture faite au mur. A plusieurs reprises, mais toujours en vain, on essaya de la combler avec de la chaux et des pierres ; Dieu voulut qu’elle subsistât longtemps ; et l’on ne parvint à la fermer qu’en y plaçant, d’après le conseil du serviteur de Dieu, une plaque de marbre où était sculptée une figure d’ange. Quant à notre avocat, il se convertit, et nous avons lieu de croire qu’il persévéra jusqu’à la mort dans ce changement de conduite.



PRIÈRE


O la plus grande et la plus sublime de toutes les créatures, Vierge très sainte, du fond de mon exil je vous salue, moi misérable qui, tant de fois, me suis révolté contre Dieu, moi qui mérite des châtiments et non des grâces, des rigueurs et non des miséricordes. Ma Souveraine, ce n’est pas la défiance, qui m’inspire ce langage, votre bonté m’est connue : je sais que, plus vous êtes grande, plus vous vous glorifiez d’être douce et bienfaisante ; je sais que vos immenses richesses ont du prix à vos yeux, précisément parce qu’elles vous permettent de venir en aide à notre indigence ; je sais que la pauvreté même de ceux qui vous invoquent, est un titre chez vous pour redoubler de zèle à les protéger, à les sauver.

C’est vous, ô ma Mère, qui pleurâtes un Fils mort pour l’amour de moi: vos larmes, offrez-les à Dieu, je vous en supplie, afin de m’obtenir une vraie douleur de mes péchés. Oh ! quelle douleur vous causèrent en ce jour les pécheurs dans quelle amertume, moi aussi, je vous plongeai par mes crimes ! O Marie, obtenez-moi la grâce de ne plus vous affliger du moins à l’avenir, vous et votre Fils, en renouvelant mes ingratitudes à votre égard. De quelle utilité me seraient vos larmes, si je continuais de me montrer ingrat envers vous ? De quoi me servirait votre miséricorde, si, retombant dans mes infidélités, je venais à me perdre ? Ah ! ma Reine, ne le souffrez pas. Vous avez suppléé à toute mon indignité ; vous obtenez de Dieu tout ce que vous voulez ; vous exaucez tous ceux qui vous prient ; eh bien ! voici deux grâces que je vous demande ; je les attends de vous avec assurance, je les veux : obtenez-moi d’être fidèle à Dieu, de ne l’offenser jamais plus, et de l’aimer le reste de ma vie autant que je l’ai offensé.







CHAPITRE VIII MARIE, NOTRE SALUT


Et Jesum, benedictum Fructum ventris tui, nobis post hoc exilium ostende.




Et après cet exil, montrez-nous Jésus, le fruit de vos entrailles.



I  Marie préserve de l’enfer ceux qui l’honorent


Il est impossible qu’un serviteur de Marie se damne, pourvu qu’il la serve fidèlement et qu’il se recommande à elle. -- A première vue, cette proposition paraîtra peut-être quelques-uns bien hasardée; mais je le prierai de ne pas la condamner, avant d’avoir lu les éclaircissements que je vais y donner.

Quand nous disons qu’il est impossible qu’un serviteur de la sainte Vierge se damne, cela ne s’entend point de ceux qui se prévalent de leur dévotion pour pécher avec plus de sécurité. C’est donc bien à tort, ce nous semble, que l’on nous blâme de tant exalter la miséricorde de Marie envers les pécheurs, sous prétexte que ces malheureux s’en autorisent pour pécher plus librement car nous disons que de tels présomptueux par leur téméraire confiance, se rendent dignes de châtiment , et non de miséricorde. Ainsi, les pécheurs dont il est question, sont ceux qui, au désir de s’amender, joignent la fidélité à servir et à invoquer la Mère de Dieu. Pour ceux-ci, je le soutiens, il est moralement impossible qu’ils se perdent ; et je trouve que ce sentiment est aussi celui du Père Crasset, et, avant lui, de Vega, de Mendoza, ainsi que d’autres théologiens. Mais, pour nous assurer qu’ils n’ont point parlé au hasard, voyons quel est sur ce point l’enseignement des docteurs et des saints. Que l’on ne s’étonne pas, si plusieurs de mes citations sont uniformes ; j’ai voulu les enregistrer toutes, afin de démontrer combien les auteurs sont d’accord sur cette question.

Selon saint Anselme, autant il est impossible que celui-là se sauve, qui, faute de dévotion envers Marie, n’est pas protégé par elle ; autant il est impossible que celui-là se damne, qui se recommande à la Vierge, et sur qui elle abaisse ses regards avec amour. Saint Antonin exprime la même chose presque dans les mêmes termes, et va jusqu’à dire que les dévots serviteurs de Marie se sauvent nécessairement. " Comme il est impossible, écrit-il, que ceux dont Marie détourne les yeux de sa miséricorde, parviennent au bonheur céleste ; ainsi ceux vers qui elle tourne ses regards et dont elle plaide la cause, seront nécessairement justifiés et glorifiés ".

On remarquera d’abord la première partie de cette proposition, et ceux-là trembleront, qui font peu de cas de la dévotion à la Mère de Dieu, ou qui l’abandonnent par négligence. Les deux saints nous assurent qu’il est impossible de se sauver, quand on n’est point protégé par Marie. - Et ils ne sont pas les seuls à l’affirmer ; écoutons le bienheureux Albert le Grand :" Ceux qui ne sont pas vos serviteurs, ô Marie, périront tous ". Écoutons saint Bonaventure : " Celui qui néglige le service de Marie, mourra dans son péché. Non, celui qui ne recourt point à vous en cette vie, ô Vierge sainte, n’entrera point en paradis ". -- Et dans un autre endroit, le séraphique docteur va plus loin : Non seulement, dit-il, ceux-là ne se sauveront point dont Marie détourne sa face, mais il ne leur restera même aucun espoir de salut. Et, longtemps avant lui, saint Ignace Martyr affirmait pareillement qu’aucun pécheur ne peut se sauver, si ce n’est par le secours de cette glorieuse Vierge, dont la miséricordieuse intercession en sauve un grand nombre qui, selon les lois de la justice divine, seraient damnés. Quelques-uns font difficulté d’admettre que cette pensée soit de saint Ignace ; mais au moins, dit le père Crasset, saint Jean Chrysostome se l’est appropriée. Elle se trouve aussi répétée par l’abbé de Celles. Et l’Église applique dans le même sens à Marie ces paroles des Proverbes : Tous ceux qui ne m’aiment point, aiment la mort éternelle ; - car, comme l’observe Richard sur un autre passage où Marie est comparée à un vaisseau, " la mer de ce monde engloutira tous ceux qui se trouveront hors de ce navire sacré ". -- Enfin, l’hérétique Écolampade lui-même regardait comme un signe certain de réprobation le peu de dévotion envers la Mère de Dieu ; aussi protestait-il que jamais il ne se rendrait coupable d’une marque de mépris envers elle.

D’un autre côté, la bienheureuse Vierge nous parle en ces termes : Celui qui m’écoute ne sera point confondu ; celui qui a recours à moi et qui suit mes conseils, ne se perdra point. Celui donc, s’écrie saint Bonaventure, qui s’attachera à votre service, celui-là, ô grande Reine, sera bien loin de se damner ! Non, ajoute saint Hilaire, un serviteur de Marie ne périra pas, eût-il été dans le passé le plus grand des pécheurs.

Voilà pourquoi le démon fait tant d’efforts auprès des pécheurs, afin qu’après avoir perdu la grâce de Dieu, ils perdent encore la dévotion à Marie. Ayant remarqué qu’Ismaël, en jouant avec Isaac, lui faisait contracter de mauvaises habitudes, Sara voulut qu’Abraham le congédiât, et avec lui sa mère Agar : Chassez, lui dit-elle, cette servante et son fils. Ce n’était point assez pour elle que le fils fût éloigné, si la mère n’était point renvoyée en même temps ; elle pensait bien qu’autrement, le fils continuerait de fréquenter la maison, ne fût-ce qu’en venant voir sa mère. De même, c’est peu pour le démon que Jésus soit expulsé d’une âme : pour le contenter, il faut qu’elle bannisse aussi la Mère de Jésus : Chasse dit-il lui aussi, cette servante avec son fils. Car il craint que la Mère ne ramène le Fils par son intercession. Or, sa crainte est fondée ; car, selon le docte Père Paciucchelli, " un pécheur fidèle à honorer la Mère de Dieu ne peut guère tarder à rentrer, grâce à elle, en possession de Dieu même ".

C’est donc à bon droit que saint Ephrem appelait la dévotion à Marie " un sauf-conduit " pour éviter l’enfer ; et qu’il proclamait Marie elle-même " la protectrice des réprouvés ". En effet, on ne saurait révoquer en doute le mot de saint Bernard, que " ni la puissance ni la volonté de nous sauver ne peuvent faire défaut à cette divine Mère ". La puissance ne lui fait pas défaut, puisque, au témoignage de saint Antonin, il est impossible que ses prières soient rejetées. Saint Bernard affirme la même chose : " Ses prières, dit-il, ne peuvent jamais rester sans effet ", elle obtient tout ce qu’elle demande. Serait-ce la volonté de nous sauver qui manquerait à Marie ? Pas davantage ; elle est notre Mère, et désire notre salut plus ardemment que nous-mêmes. Si donc tout cela est vrai, comment un serviteur de Marie pourrait-il se perdre ? C’est un pécheur, dira-t-on ; mais si, avec fidélité et désir de s’amender, il se recommande à cette bonne Mère, elle se chargera de lui procurer les lumières nécessaires pour sortir de son mauvais état, le repentir de ses fautes, la persévérance dans le bien, et enfin une bonne mort. Est-il une mère qui, pouvant arracher son fils à la mort en toute facilité, et en demandant seulement sa grâce au juge, ne le ferait pas? De toutes les mères, Marie est la plus tendre à l’égard de ses serviteurs dévoués ; et elle ne délivrerait pas un de ses enfants de la mort éternelle, alors qu’elle le Peut sans aucune difficulté? pourrions-nous le penser?

Ah ! pieux lecteur, si nous trouvons en nous l’affection et la confiance à l’égard de la Reine du ciel, remercions-en le Seigneur qui nous a fait cette grâce, car, selon saint Jean de Damas, il ne l’accorde qu’à ceux qu’il veut voir sauvés. Voici les belles paroles par lesquelles ce grand saint ranime son espérance et la nôtre : " O Mère de Dieu, si je mets ma confiance en vous, je serai sauvé ; si vous daignez me protéger, je n’ai rien à craindre, car quiconque vous est dévoué, est par là même muni d’une armure qui lui assure la victoire, et que Dieu accorde à ceux-là seuls dont il veut le salut ". De là, cette belle exclamation du savant Erasme : " Salut, Ô vous la terreur de l’enfer et l’espérance des chrétiens ! autant vous êtes grande et puissante, autant est assurée notre confiance en vous ".

Oh ! combien il déplaît au démon de voir une âme persévérer dans la dévotion à la Mère de Dieu ! On lit dans la vie du Père Alphonse Alvarez grand serviteur de Marie, que, comme il était un jour en oraison et se sentait tourmenté par des tentations impures, le démon lui dit : " Laisse là ta dévotion à Marie, et je cesserai de te tenter ".

Le Seigneur a révélé à sainte Catherine de Sienne, comme le rapporte Louis de Blois, que, dans sa miséricorde et pour l’amour de son Fils unique dont Marie est la Mère, il a promis à la bienheureuse Vierge qu’aucun pécheur. ne deviendra la proie de l’enfer, s’il se recommande à elle avec ferveur.

Le prophète David lui-même priait Dieu de le préserver de l’enfer en considération de son zèle pour l’honneur de Marie : Seigneur, j’ai aimé la gloire de votre maison ... ; ne souffrez pas mon Dieu, que mon âme soit perdue et reléguée parmi les impies. Il appelle Marie la maison du Seigneur, parce qu’elle est bien véritablement la demeure qu’il s’est bâtie lui-même pour y venir habiter et y prendre son repos lors de son Incarnation, selon ce qui se lit au livre des Proverbes : La sagesse s’est bâti une maison.

" Assurément non, disait le saint Martyr Ignace, celui-là ne périra point, qui s’appliquera à honorer la Vierge mère ". Et cette pensée est encore appuyée par saint Bonaventure, qui s’exprime ainsi: "Elle est grande, ô ma Souveraine, la paix dont jouissent en cette vie ceux qui vous aiment ; et, dans l’autre vie, ils ne connaîtront pas la mort éternelle ". -- Il n’est jamais arrivé, nous assure le pieux Louis de Blois, qu’un humble et zélé serviteur de Marie se soit perdu; cela n’arrivera jamais.

Ah ! combien de pécheurs eussent été condamnés à jamais, ou seraient restés dans l’obstination, si Marie n’était intervenue auprès de son divin Fils, pour leur obtenir miséricorde ! Ainsi parle Thomas a Kempis. Il y a plus. Au sentiment de beaucoup de théologiens, et notamment de saint Thomas, la Mère de Dieu a obtenu à bien des personnes mortes en péché mortel, que leur sentence fût suspendue, et qu’elles revinssent à la vie pour faire pénitence.

Entre autres exemples cités par de graves auteurs, Flodoard, qui écrivait au Xe siècle, raconte celui d’un diacre de Verdun nommé Adelmar, que déjà on croyait mort et qu’on allait ensevelir, quand il se ranima et déclara avoir vu en enfer le cachot qui lui était destiné ; mais, ajouta-t-il, grâce aux prières de la bienheureuse Vierge, Dieu l’avait renvoyé dans le monde pour y faire pénitence. Au rapport de Surius, un romain du nom d’André, était mort dans l’impénitence, et Marie lui obtint également la faveur de revivre pour pouvoir mériter le pardon de ses péchés.

Personne ne doit avoir la témérité de s’autoriser de ces exemples ou d’autres semblables pour vivre dans le péché sous prétexte que, quand même il viendrait à mourir en mauvais état, Marie le préserverait de l’enfer. Car, s’il y aurait folie à se jeter dans un puits, avec l’espoir d’échapper à la mort par les soins de Marie, comme il est arrivé à quelques-uns en pareil cas, ce serait une folie bien plus grande encore de s’exposer au danger de mourir dans le péché, en comptant sur le secours de Marie pour échapper à l’enfer. Mais ces exemples doivent servir à ranimer notre confiance, par la pensée que, si l’intercession de cette divine Mère a pu même exempter de la damnation des personnes mortes en état de péché, à plus forte raison pourra-t-elle garantir de ce malheur ceux qui, pendant leur vie, recourent à elle avec l’intention de s’amender, et la servent fidèlement.

O Marie, notre Mère, nous vous le demandons avec saint Germain, qu’en sera-t-il de nous, qui sommes pécheurs, mais qui voulons nous amender et recourons à vous, ô Vie des chrétiens? Saint Anselme nous assure, auguste Souveraine, que celui-là ne sera point condamné à l’enfer, pour qui vous aurez offert à Dieu, ne fût-ce qu’une fois, vos saintes prières. Ah ! priez donc pour nous, et nous serons sauvés. -- Nous entendons pareillement Richard de Saint-Victor s’écrier : Qui jamais osera me dire qu’au divin tribunal, je ne trouverai point mon Juge favorable, si j’ai Pour défendre ma cause, la Mère de miséricorde? -- Le bienheureux Henri Suson déclarait qu’il vous avait remis son âme : " Si donc, ajoutait-il, le Juge veut condamner son serviteur, je demande que la sentence passe par vos mains Il espérait que, cette sentence une fois entre vos mains miséricordieuses, vous en empêcheriez certainement l’exécution. Je dis et j’espère la même chose pour moi, ô ma très sainte Peine. C’est pourquoi je veux vous répéter sans cesse, avec saint Bonaventure : Ma Souveraine, j’ai mis en vous tout mon espoir et j’ai la ferme confiance de n’être pas perdu à jamais, mais de me voir un jour sauvé et tout occupé dans le ciel à vous louer et aimer sans fin.


EXEMPLE

En 1604, dans une ville de Belgique, se trouvaient deux jeunes étudiants qui, au lieu de s’appliquer à l’étude, ne pensaient qu’à vivre dans les plaisirs et la débauche. Une nuit entre autres, ils se rendirent chez une femme de mauvaise vie ; mais l’un se retira au bout de quelque temps ; l’autre resta. Arrivé dans sa demeure, le premier se déshabillait pour se mettre au lit, quand il se ressouvint de n’avoir pas récité ce jour-là les quelques Ave Maria qu’il avait coutume de dire en l’honneur de la sainte Vierge. Comme il était accablé de sommeil, cet acte religieux lui coûtait ; néanmoins, il fit un effort sur lui-même et s’en acquitta, quoique sans dévotion et presque en dormant ; ensuite, il se coucha.

Dans son premier sommeil, il entend tout à coup frapper rudement à la porte; et, immédiatement après, la porte restant fermée, il voit devant lui son compagnon, tout défiguré et tout hideux. " Qui es-tu? " lui dit-il. " Eh quoi ! ne me reconnais-tu pas? " répond le fantôme. " Mais, comment se fait-il que tu sois si changé ? tu ressembles à un démon ! -- Ah ! plains-moi, je suis damné ! -- Comment cela? -- Sache qu’au sortir de cette maison infâme, un démon s’est jeté sur moi et m’a étranglé. Mon corps est demeuré au milieu de la rue, et mon âme est en enfer. Sache en outre que le même châtiment t’attendait ; mais la bienheureuse Vierge t’en a préservé, grâce au faible hommage que tu lui rends, en récitant des Ave Maria. Heureux, si tu sais profiter de cet avis que te fait donner par moi la Mère de Dieu " ! Cela dit, le réprouvé entrouvrit son vêtement, laissa voir les flammes et les serpents qui le tourmentaient, et disparut.

Alors le jeune homme, fondant en larmes, se jeta la face contre terre pour remercier Marie, sa libératrice ; et, pendant qu’il réfléchissait à la manière dont il devait dorénavant régler sa vie, il entendit sonner matines au couvent des Franciscains. A l’instant même, il s’écria " C’est là que Dieu m’appelle à faire pénitence ". Il partit sur l’heure pour aller au couvent prier les pères de le recevoir. Ceux-ci, connaissant sa mauvaise vie, faisaient difficulté ; mais il leur raconta, en versant un torrent de larmes, tout ce qui s’était passé ; et deux des religieux, s’étant rendus dans la rue indiquée, y trouvèrent en effet le cadavre de son malheureux compagnon, noir comme un charbon. Après cela, le protégé de Marie fut reçu et passa le reste de sa vie dans l’exercice de la pénitence.

La mort funeste du jeune libertin fut encore utile à un autre jeune homme nommé Richard, qui en avait été témoin oculaire. Il en fut si vivement frappé, bien que sa conduite fût déjà exemplaire, qu’il se décida, lui aussi, à entrer chez les Récollets. Il alla dans la suite prêcher la foi aux Indes, et passa enfin au Japon, où il eut le bonheur de mourir martyr de Jésus-Christ. Il fut brûlé vif..


PRIÈRE

O Marie, ô ma Mère bien-aimée, dans quel abîme de maux ne me trouverais-je pas plongé, si votre main miséricordieuse ne m’en avait tant de fois préservé ! Depuis combien d’années ne serais-je pas même en enfer, si vos prières toutes-puissantes ne m’avaient délivré ! Mes péchés graves m’y poussaient, la justice divine m’y avait déjà condamné, les démons frémissants, brûlaient d’exécuter la sentence ; vous êtes accourue à mon secours, ô Mère, sans que je vous eusse même priée, sans avez sauvé.

 que je vous eusse invoquée et vous m’avez sauvé.

O ma chère libératrice, que pourrai-je jamais vous rendre pour un si grand bienfait, pour une si grande charité ? Après cela, vous avez vaincu la dureté de mon coeur, vous m’avez amené à vous aimer et à prendre confiance en vous. Et dans quels précipices ne serais-je pas encore tombé depuis, si votre main miséricordieuse ne m’avait tant de fois soutenu dans les périls imminents que j’ai courus !

Continuez, ô mon espérance, continuez de me préserver de l’enfer, et avant tout, des péchés dans lesquels je pourrais retomber ; ne permettez pas que j’aille vous maudire en enfer. Ma bien-aimée Souveraine, je vous aime comment votre bonté pourrait-elle souffrir de voir au nombre des réprouvés un serviteur qui vous aime ? Ah! obtenez-moi de n’être plus ingrat envers vous et envers mon Dieu, qui par amour pour vous, m’a comblé de tant de grâces. O Marie, que me dites-vous ? serai-je damné ? Je me damnerais, si je vous abandonnais ; mais, pourrai-je encore vous abandonner ? pourrai-je encore oublier l’affection que vous m’avez témoignée ? Après Dieu, vous êtes l’amour de mon âme ; je ne saurais plus vivre sans vous aimer. Je vous aime, oui, je vous aime, et j’espère vous aimer toujours, dans le temps et dans l’éternité, ô Créature la plus belle, la plus sainte, la plus douce, la plus aimable, qui soit au monde ! Amen.

II  Marie secourt ses serviteurs dans le purgatoire


Heureuses les âmes qui se dévouent au service de cette Reine compatissante ! elle ne se borne pas à les secourir en cette vie, sa protection les suit dans le purgatoire, où elle les assiste encore et les console. Ou plutôt, comme elles éprouvent là un plus grand besoin de secours, vu leurs souffrances et l’impuissance où elles sont de se soulager elles-mêmes, cette Mère de miséricorde redouble de zèle à leur venir en aide. Selon saint Bernardin de Sienne, dans cette Prison où gémissent des âmes épouses de Jésus-Christ, Marie est comme souveraine maîtresse ; elle y jouit du plein pouvoir soit d’adoucir leurs peines, soit même de les en délivrer entièrement.

D’abord, elle adoucit leurs peines. Expliquant les paroles de l’Écriture : J’ai marché sur les flots de la mer, le même Saint les applique à Marie et lui fait ajouter : " Si je marche sur les flots c’est afin de visiter mes serviteurs et de leur porter secours dans leurs besoins et leurs tourments, parce que je suis leur mère ". Les flots dont il est ici question, dit-il, sont les peines du purgatoire, ainsi appelées parce qu’elles sont passagères, à la différence de celles de l’enfer, qui ne passent jamais; de plus elles sont comparées aux flots de la mer en raison de leur grande amertume. Or, pendant qu’ils sont au sein de ces peines, les serviteurs de Marie reçoivent souvent sa visite et ses consolations. On voit donc, observe Novarin, combien il importe d’honorer sur la terre cette excellente Reine, puisqu’elle ne sait oublier ses serviteurs dans les flammes expiatrices; il est vrai qu’elle secourt toutes les âmes qui y sont plongées; cependant, ses dévots serviteurs sont traités avec plus d’indulgence et sont de sa part l’objet de soins plus empressés.

Voici en quels termes la divine Mère s’exprimait dans une révélation à sainte Brigitte : Je suis la Mère de toutes les âmes captives en purgatoire ; car à toute heure mes prières adoucissent de quelque manière les châtiments dus aux fautes qu’elles ont commises pendant leur vie mortelle.

Cette Mère compatissante ne dédaigne même pas d’entrer de temps à autre dans cette sainte prison, afin de consoler par sa présence ses enfants affligés. C’est ce que nous assure saint Bonaventure, en appliquant à Marie ce texte sacré : J’ai pénétré dans les profondeurs de l’abîme. Oh ! s’écrie saint Vincent Ferrier, combien Marie se montre prévenante et bonne envers les âmes qui souffrent dans le purgatoire ! par ses soins, leur courage est continuellement relevé et leurs souffrances allégées.

Et quelle autre consolation peuvent-elles avoir dans leurs peines, si ce n’est Marie, et l’assistance de cette Mère de miséricorde? Aussi sainte Brigitte entendit un jour le Sauveur qui disait à sa Mère : " Vous êtes ma Mère, vous êtes la Mère de miséricorde, vous êtes la consolation de ceux qui sont en purgatoire ". Et, selon une révélation de la bienheureuse Vierge elle-même à la même sainte, comme une parole amie ranime un pauvre malade abandonné sur son lit de douleurs, ainsi ces âmes affligées se sentent toutes consolées, rien qu’à entendre le nom de Marie. Oui, reprend Novarin, le seul nom de Marie, nom d’espérance et de salut que ces bonnes âmes invoquent souvent du fond de leur prison, est déjà pour elles un grand soulagement ; mais les prières que cette tendre Mère adresse ensuite à Dieu, dès quelle s’entend invoquer par elles, sont comme une rosée céleste qui vient les rafraîchir dans les vives ardeurs dont elles sont consumées.

Mais Marie ne se borne pas à consoler et à soulager ses serviteurs ans le purgatoire; souvent encore, elle les en retire par son intercession. Le jour de son Assomption glorieuse, comme Gerson l’assure, toute cette prison des âmes demeura vide. C’est ce que confirme Novarin. D’après des auteurs graves, dit-il, Marie, sur le point de monter au ciel, demanda à son fils la faculté d’emmener avec elle toutes les âmes qui se trouvaient alors en purgatoire. Depuis lors, continue Gerson, la bienheureuse Vierge est en possession du privilège d’en délivrer ses pieux serviteurs. Saint Bernardin de Sienne affirme la même chose comme indubitable : " Ce pouvoir, ajoute-t-il, elle l’exerce tant par ses prières que par l’application de ses mérites, et cela en faveur de toutes les âmes, mais principalement de celles qui lui furent dévotes. Novarin exprime le même sentiment, à savoir que, par les mérites de Marie, non seulement les peines des âmes du purgatoire sont adoucies, mais encore le temps de leur expiation est abrégé. Une prière d’elle suffit.

Saint Pierre Damien rapporte qu’une femme, nommée Marozie, apparut après sa mort à une de ses amies, et lui apprit que le jour de l’Assomption, elle avait été, par Marie, délivrée du purgatoire avec d’autres âmes, dont le nombre dépassait celui des habitants de Rome. Selon Denis le Chartreux, la même chose arrive à la fête de Noël et à celle de Pâques ; ces jours-là, assure-t-il, Marie descend dans le purgatoire accompagnée d’une multitude d’anges, et en retire un grand nombre d’âmes. Et, ajoute Novarin, j’incline à penser qu’elle fait de même à toutes les fêtes solennelles qui se célèbrent en son honneur ".

On connaît la promesse faite par la Reine du ciel au pape Jean XXII, lorsqu’elle lui apparut et lui ordonna de faire savoir à tous ceux qui porteraient le saint Scapulaire du Carmel, qu’ils seraient délivrés du purgatoire le premier samedi après leur mort. C’est ce que le Pontife lui-même déclara par une Bulle, comme le rapporte le Père Crasset. Cette Bulle fut confirmée par Alexandre V, Clément VII, Pie V, Grégoire XIII, et Paul V, lequel, dans un Décret de l’an 1613, s’exprime ainsi : " Le peuple chrétien peut croire pieusement que la bienheureuse Vierge assistera de sa continuelle intercession, de ses mérites, de sa protection spéciale, après leur mort, et principalement le samedi, jour qui lui est consacré par l’Église, les âmes des membres de la Confrérie de Notre-Dame du Mont-Carmel, morts en état de grâce, pourvu qu’ils aient porté le Scapulaire en gardant la chasteté selon leur état, et qu’ils aient récité le petit Office de la sainte Vierge, ou, s’ils n’ont pu le réciter, qu’ils aient observé les jeûnes de l’Église et se soient abstenus de manger de la viande les mercredis et les samedis, excepté le jour de Noël". Et, dans l’office pour la fête de Notre-Dame du Mont-Carmel on lit également : Selon une croyance pieuse, la sainte Vierge console les confrères du Mont-Carmel dans le purgatoire avec la tendresse d’une mère, et, par son intercession elle ne tarde pas à les en retirer pour les introduire dans la céleste patrie.

Ces grâces, ces privilèges, pourquoi ne pourrions nous pas, nous aussi, les espérer, si nous faisons profession d’une vraie dévotion à cette bonne Mère? Et si, par un plus tendre amour, nous nous distinguons entre ses serviteurs, pourquoi ne pourrions-nous pas espérer même d’être admis dans le ciel aussitôt après la mort, et sans entrer dans le purgatoire? Voici du moins ce que la sainte Vierge envoya dire par le frère Abond au bienheureux Godefroi, de l’abbaye de Villers en Brabant : " Dis au frère Godefroi qu’il s’efforce d’avancer dans les vertus par là, il se rendra cher à mon Fils et à moi; et, quand son âme se séparera de son corps, je ne souffrirai pas qu’elle aille en purgatoire, mais je la prendrai et je l’offrirai à mon Fils ".

Enfin, si nous désirons aider de nos suffrages les saintes âmes du purgatoire, ne manquons pas de les recommander à la glorieuse Vierge dans toutes nos prières ; appliquons-leur spécialement le saint Rosaire, qui leur procure un grand soulagement, comme on le verra par l’exemple qu’on va lire.



EXEMPLE

Le père Eusèbe Nieremberg rapporte que, dans une ville d’Aragon une jeune fille nommée Alexandra, noble et d’une grande beauté, était recherchée avec passion par deux jeunes gens. Ceux-ci, emportés par la jalousie, se prirent un jour de querelle, tirèrent l’épée et se tuèrent l’un l’autre. Outrés de douleur, les parents tournèrent leur ressentiment contre la pauvre demoiselle, cause première d’un si grand malheur, la mirent à mort, et lui coupèrent la tête qu’ils jetèrent dans un puits. A quelque temps de là, saint Dominique passa par la ville, et, par une inspiration divine, il s’approcha du puits et s’écria : " Alexandra, venez dehors ". O prodige ! la tête de la morte apparaît, se place sur le bord du puits, et prie le saint de l’entendre en confession. Il l’entend ; puis, en présence d’une foule immense attirée par cette merveille, il lui donne la communion. Saint Dominique lui commanda ensuite de déclarer comment elle avait obtenu une si grande grâce. Alexandra répondit qu’au moment où on lui avait tranché la tête, elle se trouvait en péché mortel, mais que la bienheureuse Vierge lui avait conservé la vie, en récompense de sa dévotion à réciter le Rosaire.

Pendant deux jours la tête demeura ainsi vivante sur le bord du puits, à la vue de tout le monde, après quoi l’âme d’Alexandra s’en alla en purgatoire. Au bout de quinze jours, elle apparut à saint Dominique, belle et resplendissante comme une étoile, et lui dit qu’un des principaux moyens de secourir les âmes dans les peines du purgatoire, c’est de réciter pour elles le rosaire, et qu’en retour, une fois entrées en paradis, elles intercèdent pour ceux qui leur ont appliqué cette puissante prière. Quand elle eut fini de parler, le saint vit cette âme bienheureuse s’élever toute transportée de joie, vers le royaume des élus 1 .



PRIÈRE

O Reine du ciel et de la terre, ô Mère du Souverain Seigneur de l’univers, ô Marie la plus grande, la plus élevée, et la plus aimable de toutes les créatures, il est vrai que, sur la terre, il en est beaucoup dont vous n’êtes ni aimée ni connue ; mais, dans le ciel, combien de millions d’anges et de bienheureux vous aiment et vous louent sans cesse ! Ici-bas même combien d’âmes heureuses brûlent d’amour pour vous, et sont tout éprises de votre bonté ! Ah ! puissé-je vous aimer aussi, ma très aimable Souveraine ! puissé-je ne penser qu’à vous servir, à vous louer, à vous honorer, et à vous gagner tous les coeurs. Vous avez gagné, par votre beauté, le coeur d’un Dieu ; vous l’avez, pour ainsi dire, arraché du sein de son père éternel et attiré sur la terre pour se faire homme et votre Fils ; et moi, misérable vermisseau, je ne vous aimerais pas ? Ah! ma très douce Mère, je veux vous aimer, et vous aimer beaucoup, et je veux faire tout ce qui sera en mon pouvoir pour amener aussi les autres à vous aimer. Agréez donc, ô Marie, agréez le désir que j’ai de vous aimer, et secondez mes efforts pour y parvenir.

Je sais que votre Dieu regarde d’un oeil de complaisance ceux qui vous aiment ; après sa propre gloire, il ne désire rien tant que la vôtre, il veut vous voir honorée et aimée de tous. C’est de vous, ô ma Reine, que j’espère toute ma félicité: c’est vous qui devez m’obtenir le pardon de tous mes péchés, et ensuite la persévérance ; c’est vous qui devez m’assister à l’heure de ma mort ; c’est vous qui devez me retirer du purgatoire ; c’est vous, enfin, qui devez me conduire en paradis. Toutes ces grâces, ceux qui vous aiment les attendent de vous, et moi aussi je les espère, moi qui vous aime de tout mon coeur et par-dessus toutes choses après Dieu.


III  Marie conduit ses serviteurs en paradis

Oh ! le beau signe de prédestination, que la dévotion à Marie ! La sainte Église, appliquant à cette divine Mère les paroles des l’Ecclésiastique, lui fait dire pour la consolation de ses serviteurs : J’ai cherché en tous mon repos, et je fixerai mon séjour dans l’héritage du Seigneur.-- Heureux donc, s’écrie le cardinal Hugues en commentant ce texte ; heureux celui en qui Marie aura trouvé son repos ! La sainte Vierge, parce qu’elle aime tous les hommes, s’efforce de faire régner dans tous les coeurs la dévotion envers elle-même ; mais beaucoup ne veulent pas la recevoir ou ne la conservent pas ; heureux celui qui la reçoit et la conserve ! - Je demeurerai dans l’héritage du Seigneur, c’est-à-dire, selon le docte cardinal, dans le coeur de ceux qui sont l’héritage du Seigneur. -- La dévotion à Marie demeure dans tous ceux qui sont l’héritage du Seigneur, c’est-à-dire, qui sont destinés à le louer éternellement dans les cieux. -- La bienheureuse Vierge continue de parler ainsi, dans le passage cité de l’Ecclésiastique: : Celui qui m’a crée a reposé dans mon tabernacle; il m’a dit: Habite en Jacob, prends Israël pour héritage, et enracine-toi dans mes élus; ce qui signifie: Mon créateur a daigné venir reposer dans mon sein; il a voulu que j’habite dans les coeurs de tous les élus, dont Jacob fut la figure et qui est mon héritage; il a décrété que la dévotion et la confiance envers moi s’enracineront dans le coeur des tous les prédestinés.

Ah ! combien de bienheureux qui ne seraient pas au ciel à l’heure qu’il est si Marie ne les y avait introduits par sa puissante intercession ! C’est la réflexion du cardinal Hugues, à propos de cet autre verset de l’Ecclésiastique : J’ai fait briller dans les cieux une lumière inextinguible. Il y a au ciel autant de lumières éternelles qu’il y a eu sur la terre de serviteurs de Marie.

Saint Bonaventure dit que la porte du ciel s’ouvrira devant tous ceux qui se confient en la protection de Marie. Aussi, la dévotion à cette auguste Mère est appelée, par saint Ephrem, la clef qui ouvre les portes de la céleste Jérusalem. Et le dévot Louis de Blois lui parle en ces termes : Grande Reine, c’est à vous que sont confiés les trésors et les clefs du royaume des cieux. - Nous devons donc lui répéter continuellement cette prière de saint Ambroise : Ouvrez-nous, ô Marie, les portes du paradis, car vous en avez les clefs, ou plutôt, comme le proclame la sainte Église, vous êtes vous-même la Porte du ciel.

Pour le même motif, l’Église appelle encore Marie l’Étoile de la mer : Ave Maris Stella ! car, dit saint Thomas, comme les navigateurs se dirigent vers le port par le moyen des étoiles, ainsi les chrétiens sont guidés vers le paradis par le moyen de la bienheureuse Vierge.

Pour le même motif encore, elle est appelée, par saint Fulgence, l’Échelle du ciel, parce que par elle Dieu est descendu du ciel sur la terre, afin que par elle aussi les hommes méritent de monter de la terre au ciel : " Vous avez été remplie de grâces, ô Marie, s’écrie saint Anastase le Sinaïte, afin de devenir pour nous la voie du salut, et l’échelle par où nous puissions arriver à la céleste patrie

Enfin, et toujours pour la même raison, Marie est proclamée, par saint Bernard et par Jean le Géomètre, le noble char qui transporte ses pieux serviteurs au ciel. Et saint Bonaventure lui tient ce langage : " Heureux ceux qui vous connaissent et vous louent ô Mère de Dieu ! car vous connaître, c’est avoir trouvé le chemin de l’immortalité ; et publier vos vertus, c’est marcher dans la voie du salut éternel ".

On lit dans les chroniques franciscaines, que le frère Léon vit un jour une échelle rouge, au sommet de laquelle se tenait Jésus-Christ, et une échelle blanche, au haut de laquelle se tenait Marie. Plusieurs voulaient monter par l’échelle rouge; mais, après avoir monté quelques degrés ; ils tombaient ; ils recommençaient, et ils tombaient de nouveau. Alors, saint François les engagea à prendre la voie de l’échelle blanche, et par là ils arrivèrent heureusement car la bienheureuse Vierge leur tendit la main ; ils entrèrent ainsi sans obstacle en paradis.

Un auteur demande quel est celui qui se sauve, qui parvient à régner dans le ciel ? et il répond Ceux-là se sauvent et arrivent certainement au royaume des cieux, pour qui la Reine de miséricorde offre à Dieu ses prières. Et Marie l’affirme elle-même, lorsqu’elle dit : Par moi règnent les rois. Par l’effet de mon intercession, les âmes règnent d’abord sur la terre, le temps de leur vie mortelle, en dominant leurs passions ; et elles viennent ensuite régner éternellement dans le ciel, dont tous les habitants, suivant l’expression de saint Augustin, sont autant de rois: Quot cives, tot reges. En un mot, Marie est la Maîtresse du ciel, puisqu’elle y commande à son gré et y fait entrer ceux qu’elle veut, comme le dit Richard de Saint-Laurent, en lui appliquant ces paroles de l’Écriture : J’exerce ma puissance dans Jérusalem. Et de fait, ajoute l’abbé Rupert, comme elle est la Mère du Roi du paradis, il est juste qu’elle soit Reine du paradis, et que tout l’empire de son Fils lui soit soumis.

Par ses prières, par son puissant secours, cette divine Mère nous a ouvert l’entrée du céleste royaume ; seulement ne mettons pas d’obstacle à notre bonheur. Celui donc qui sert Marie, et pour qui Marie intercède, est aussi sûr d’aller en paradis, ajoute l’abbé Guérie, que s’il y était déjà. Selon la remarque de Richard, " être au service de Marie et faire partie de sa cour, c’est le plus grand honneur auquel nous puissions aspirer ; car, servir la Reine du ciel c’est déjà régner dans le ciel ; et être assujetti à ses lois, c’est la plus haute liberté. Par contre, point de salut pour ceux qui refusent de la servir ; car, privés des secours dé cette auguste Mère, ils sont par là même abandonnés de son Fils et de toute la cour céleste.

Louée soit à jamais la bonté infinie de notre Dieu, qui a daigné nous donner Marie pour avocate dans le ciel, afin qu’en sa double qualité de Mère du Juge et de Mère de miséricorde, elle plaide par ses prières toujours efficaces, la grande affaire de notre salut. Cette pensée est de saint Bernard. Et le moine Jacques, compté parmi les Pères grecs, dit que Dieu a fait de Marie comme un pont de salut, à l’aide duquel nous pouvons franchir la mer agitée de ce monde et arriver à l’heureux port du paradis. Ecoutez donc, ô peuples qui désirez arriver au ciel, s’écrie saint Bonaventure ; servez, honorez Marie, et vous obtiendrez sûrement la vie éternelle.

Ceux mêmes qui ont mérité l’enfer, ne doivent pas perdre l’espoir de parvenir à la vie bienheureuse, à condition d’être dorénavant les serviteurs fidèles de cette grande Reine. -- " O Marie, lui dit saint Germain, les pécheurs ont cherché Dieu par votre entre mise, et ils se sont sauvés. Richard de Saint-Laurent observe que, d’après saint Jean, la glorieuse Vierge est couronnée d’étoiles : Sur son front brillait un diadème de douze étoiles ; tandis que, d’après les Cantiques, sa couronne est composée de bêtes féroces, de lions, de léopards. N’y a-t-il pas là une contradiction? Non, répond Richard par la faveur et l’intercession de Marie, les bêtes féroces ou les pécheurs se transforment en étoiles du paradis, et forment sur la tète de cette Reine de miséricorde, une couronne plus glorieuse pour elle que ne seraient tous les astres du firmament.

Voici ce que nous lisons dans la vie de la servante de Dieu, soeur Séraphine de Capri. Étant un jour en prière pendant la neuvaine de l’Assomption de la très sainte Vierge, elle lui demanda la conversion de mille pécheurs, et elle craignit ensuite d’avoir demandé trop; mais la Mère du Sauveur lui apparut et la reprit de cette vaine appréhension, en lui disant: " Pourquoi crains-tu? ne suis-je pas assez puissante pour obtenir de mon Fils le salut de mille pécheurs? Cela est déjà fait, les voilà ". Alors elle la conduisit en esprit dans le paradis, où elle lui montra des âmes sans nombre, qui avaient mérité l’enfer, et qui, sauvées par son intercession, jouissaient de la béatitude éternelle.

Il est vrai qu’en cette vie nul ne peut être assuré de son salut : Nul ne sait s’il est digne d’amour ou de haine ; mais toutes choses demeurent incertaines jusqu’au siècle à venir. Toutefois, à la question du psalmiste : Seigneur, qui sera reçu dans votre tabernacle ? qui sera sauvé? Saint Bonaventure répond : " Nous tous, pécheurs, baisons les traces des pieds de Marie, prosternons-nous à ses pieds sacrés, tenons-les embrassés, et ne la laissons point aller qu’elle ne nous ait bénis ; car sa bénédiction sera pour nous un gage certain du bonheur céleste ".

O grande Reine, s’écrie saint Anselme, dites seulement que vous voulez notre salut, et nous ne pourrons manquer d’être sauvés. Saint Antonin ajoute que les âmes protégées par Marie se sauvent nécessairement.

Selon la remarque de saint Ildephonse, la sainte Vierge a eu raison de prédire que toutes les générations la proclameraient Bienheureuse : Beatam me dicent omnes generationes, puisque c’est par elle que tous les élus parviennent à l’éternelle béatitude. De là cette exclamation de saint Méthode : " Vous êtes, ô Mère de Dieu, le commencement, le milieu, et la fin de notre félicité ". -- Il dit : Le commencement, parce que Marie nous obtient le pardon de nos péchés ; le milieu, parce qu’elle nous obtient la persévérance dans la grâce ; la fin, parce qu’à la mort elle nous obtient le paradis. -- De là encore ces belles paroles de saint Bernard à Marie : " Par vous, le ciel a été rempli ; par vous, l’enfer a été dépeuplé 2 ; par vous, les ruines du paradis ont été relevées; par vous, en un mot, la vie éternelle a été accordée à une multitude de malheureux qui s’en étaient rendus indignes ".

Mais ce qui doit surtout nous faire attendre avec une inébranlable confiance le bonheur céleste, c’est la magnifique promesse faite par Marie elle-même à ceux qui l’honorent, et spécialement à ceux qui, par leurs discours et leurs exemples, s’efforcent de la faire connaître et honorer aussi des autres : Ceux qui travaillent pour moi, ne tomberont pas dans le péché ; ceux qui me font connaître, auront la vie éternelle. Heureux donc, s’écrie saint Bonaventure, heureux ceux qui savent mériter les bonnes grâces de. Marie ! Ils sont reconnus d’avance par les habitants de la céleste Jérusalem pour les compagnons de leur gloire ; et quiconque porte la marque de serviteur de Marie, a déjà son nom inscrit au livre de vie.

Que sert-il, après cela, de nous embarrasser de la question tant agitée dans l’école : si la prédestination à la gloire précède ou suit la prévision des mérites, et de nous demander avec inquiétude si nous sommes inscrits, oui ou non, au livre de vie? -- Pourvu que nous soyons de vrais serviteurs de Marie, et que nous obtenions sa protection, nous serons certainement du nombre des élus; car, saint Jean Damascène nous n l’assure, Dieu ‘accorde la dévotion envers sa sainte Mère qu’à ceux qu’il a résolu de sauver. Cela paraît conforme à ce que le Seigneur révéla expressément par l’organe de saint Jean : Quiconque sera victorieux, j’écrirai sur lui le nom de mon Dieu et le nom de la cité de mon Dieu. Celui qui doit vaincre et se sauver, portera donc écrit sur son coeur le nom de la cité de Dieu ; et quelle est cette cité de Dieu, sinon Marie, comme l’explique saint Grégoire à propos de ce passage de David : On a dit de vous des choses glorieuses, ô cité de Dieu!

On peut donc très bien dire, en emprunta expressions de saint Paul : A ce signe le seigneur reconnaît ceux qui sont à lui. Ce signe est la dévotion à Marie ; celui qui en est marqué, Dieu le reconnaît comme l’un des siens. Aussi Pelbart affirme que la dévotion à la Mère de Dieu est le signe le plus assuré qu’on fera son salut. Et Alain de la Roche dit que l’habitude d’honorer souvent la sainte Vierge par la récitation de la salutation angélique, est une très grande marque de prédestination. Il en dit autant de la fidélité à réciter chaque jour le saint Rosaire. Ce n’est pas tout, et les privilèges et les faveurs réservés aux serviteurs de la divine Mère ne se bornent pas à la vie présente ; dans le ciel encore, ils sont honorés d’une manière particulière, assure le père Nieremberg, et, à certaines marques distinctives et d’un éclat extraordinaire, on reconnaîtra en eux les familiers de la Reine du Ciel et les gens de sa cour : Tous ceux de sa maison, dit le sage, sont munis d’un double vêtement.

Sainte Marie-Madeleine de Pazzi vit un jour sur la mer une nacelle où s’étaient réfugiés tous les serviteurs de Marie, qui faisait elle-même l’office de pilote et les conduisait sûrement au port. Cette vision apprit à la sainte qu’au sein des périls de la vie. Présente, les protégés de Marie échappent au naufrage du péché et de la damnation, guidés qu’ils sont par elle vers le port du paradis. Hâtons-nous donc d’entrer dans cette heureuse nacelle, en méritant la protection de Marie, et là, tenons-nous assurés de parvenir au royaume céleste, puisque l’Église chante Sainte Mère de Dieu, tous ceux qui participeront aux joies célestes, habitent en vous et vivent sous votre tutelle.



EXEMPLE

Césaire raconte qu’un cistercien, grandement dévot à Notre-Dame, désirait une visite de cette Reine bien-aimée, et lui en faisait continuellement la demande. Étant sorti, une nuit, au jardin, comme il regardait le ciel, en adressant d’ardents soupirs à celle qu’il brûlait de voir, il en vit tout à coup descendre une vierge éclatante de beauté et de lumière, qui lui dit : " Thomas, voudrais-tu m’entendre chanter? -- Certainement ", répondit-il. Aussitôt elle se mit à chanter, mais d’une voix si douce que le pieux moine se croyait en paradis. Après cela, elle disparut à ses yeux, non sans le laisser bien en peine de savoir qui elle était.

Mais voilà qu’il se trouve en présence d’une autre jeune vierge non moins belle, qui lui fit aussi entendre son chant. Il ne put s’empêcher de demander à celle-ci qui elle était. Elle répondit : " Celle qu tu viens de voir, c’est Catherine ; moi, je suis Agnès. Nous sommes toutes les deux martyres de Jésus-Christ, et notre Reine nous a envoyées te consoler. Rends grâce à Marie, et prépare-toi à recevoir une plus grande faveur ".. Cela dit, elle disparut comme la première ; mais le religieux conçut dès lors plus d’espérance de voir enfin ses voeux exaucés. Il ne fut pas trompé dans son attente ; car, peu après, il aperçut une grande lumière et sentit son coeur se remplir d’une joie toute nouvelle ; et voilà qu’au milieu de cette lumière lui apparaît la Mère de Dieu environnée d’anges, et surpassant immensément en beauté les deux saintes martyres. Elle lui dit : Mon cher serviteur et mon fils, j’ai agréé tes hommages et exaucé tes prières : tu as désiré me voir ; me voici, et, de plus, je veux aussi te faire entendre mon chant ". Et la glorieuse Vierge chanta, et, ravi hors de lui-même par la mélodie de ses accents, le dévot religieux tomba la face en terre.

Les Matines sonnèrent, et les moines se réunirent ; ne voyant point le frère Thomas, ils le cherchèrent d’abord dans sa cellule, puis dans d’autres endroits ; finalement, étant allés voir au jardin, ils le trouvèrent là comme mort. Le supérieur lui ordonna de dire ce qui était arrivé ; alors, revenant à lui par la force de la sainte obéissance, il raconta toutes les faveurs qu’il avait reçues de la divine Mère.



PRIÈRE

O Reine du paradis, Mère du saint amour ! puisque vous êtes entre toutes les créatures la plus aimable, la plus aimée de Dieu, et sa première amante, ah ! daignez consentir à être aimée du pécheur le plus ingrat et le plus misérable qui soit sur la terre, mais qui, se voyant délivré de l’enfer par votre intercession et comblé de vos bienfaits sans un mérite de sa part, s’est épris d’amour pour vous. Je voudrais, s’il m’était possible, de faire comprendre à tous les hommes qui ne vous connaissent pas, combien vous êtes digne d’être aimée, afin de les amener tous à vous aimer et à vous honorer. Je voudrais même mourir pour l’amour de vous, en défendant votre virginité, votre dignité de Mère de Dieu, voire immaculée conception, si, pour défendre ces glorieuses prérogatives de votre personne sacrée, il me fallait mourir.

O Mère chérie, agréez cette expression de mes sentiments, et ne permettez pas qu’un de vos serviteurs qui vous aime, devienne jamais l’ennemi de votre Dieu, que vous aimez tant ! Ah 1 malheureux, voilà ce que j’étais autrefois, quand j’offensais mon divin Maître. Mais alors, ô Marie, je ne vous aimais pas, et je ne me souciais guère d’être aimé de vous ; à cette heure, au contraire, je ne désire rien tant, après la grâce de Dieu, que de vous aimer et d’être aimé de vous. Mes fautes passées ne m’empêchent pas d’espérer cette faveur ; car, je le sais, ô ma douce et gracieuse Souveraine, vous ne dédaignez pas d’aimer même les plus misérables pécheurs dont vous vous voyez aimée ; au contraire, jamais vous ne vous laissez vaincre en amour par personne.  Ah ! Reine tout aimable, je veux aller vous aimer en paradis : là, prosterné à vos pieds, je connaîtrai mieux combien vous êtes aimable, et combien vous avez contribué à mon salut ; et ainsi, je vous aimerai d’un plus grand amour, et je vous aimerai éternellement, sans crainte de jamais cesser de vous aimer. O Marie, j’espère avec une entière confiance d’être sauvé par votre secours. Priez Jésus pour moi ; cela suffit ; c’est à vous de me sauver ; vous êtes mon espérance. J’irai donc toujours chantant :

O mon unique espoir, sainte Vierge Marie,
A vous de me conduire à l’éternelle vie.

--- (1) Le père Van Ketwigh, savant dominicain d’Anvers, dans son excellent ouvrage publié en 1720 sous le titre de Panoplia Mariana, défend contre toute critique ce miracle de saint Dominique. Il prouve au long, d’après les meilleures autorités à la tête desquelles figure le Docteur Angélique, ce que saint Alphonse dit brièvement au paragraphe précédent, savoir, que la Mère de Dieu peut sauver certains pécheurs, même quand ils sont morts en état de damnation, en obtenant que leur jugement demeure suspendu jusqu’à ce qu’ils se soient dûment réconciliés avec Dieu





Gloires de Marie - PRIÈRE