Thérèse EJ, Lettres 191

191

LT 191 A Léonie.

J.M.J.T

12 Juillet 1896

Jésus +


Ma chère petite Léonie,


J'aurais répondu à ta charmante lettre dimanche dernier, si elle m'avait été donnée. Mais nous sommes cinq, et tu sais que je suis la plus petite!... 1 aussi c'est moi qui suis exposée à ne voir les lettres que bien après les autres ou bien pas du tout... Ce n'est que Vendredi que j'ai vu ta lettre, ainsi, ma chère petite soeur, je ne suis pas en retard par ma faute...
Si tu savais combien je suis heureuse de te voir dans ces bonnes dispositions... 2
Je ne suis pas étonnée que la pensée de la mort te soit douce puisque tu ne tiens plus à rien sur la terre. Je t'assure que le Bon Dieu est bien meilleur que tu le crois. Il se contente d'un regard, d'un soupir d'amour... Pour moi je trouve la perfection bien facile à pratiquer, parce que j'ai compris qu'il (1v ) n'y a qu'à prendre Jésus par le Coeur... Regarde un petit enfant, qui vient de fâcher sa mère en se mettant en colère ou bien en lui désobéissant; s'il se cache dans un coin avec un air boudeur et qu'il crie dans la crainte d'être puni, sa maman ne lui pardonnera certainement pas sa faute, mais s'il vient lui tendre ses petits bras en souriant et disant: Embrasse-moi, je ne recommencerai plus. " Est-ce que sa mère pourra ne pas le presser contre son coeur avec tendresse et oublier ses malices enfantines ?... Cependant elle sait bien que son cher petit recommencera à la prochaine occasion, mais cela ne fait rien, s'il la prend encore par le coeur jamais il ne sera puni... 3
Au temps de la loi de crainte, avant la venue de Notre Seigneur, le prophète Isaïe disait déjà parlant au nom du Roi des Cieux:" Une mère peut-elle oublier son enfant ?... Eh bien! quand même une mère oublierait son enfant, moi, je ne vous oublierai jamais. " Quelle ravissante promesse! Ah! nous qui vivons dans la loi d'amour, comment ne pas profiter des amoureuses avances que (2r ) nous fait notre Epoux... Is 49,15 comment craindre celui qui se laisse enchaîner par un cheveu qui vole sur notre cou!... Ct 4,9
Sachons donc le retenir prisonnier, ce Dieu qui devient le mendiant de notre amour. En nous disant que c'est un cheveu qui peut opérer ce prodige, il nous montre que les plus petites actions faites par amour sont celles qui charment son coeur...
Ah! s'il fallait faire de grandes choses, combien serions-nous à plaindre ?... Mais que nous sommes heureuses puisque Jésus se laisse enchaîner par les plus petites...
Ce ne sont pas les petits sacrifices qui te manquent, ma chère Léonie, ta vie n'en est-elle pas composée ?.. Je me réjouis de te voir en face d'un pareil trésor et surtout en pensant que tu sais en profiter, non seulement pour toi, mais encore pour les âmes... Il est si doux d'aider Jésus, par nos légers sacrifices, de lui aider à sauver les âmes qu'il a rachetées au prix de son sang et qui n'attendent que notre secours pour ne pas tomber dans l'abîme...
(2v ) Il me semble que si nos sacrifices sont des cheveux qui captivent Jésus, nos joies en sont aussi, pour cela il suffit de ne pas se concentrer dans un bonheur égoïste mais d'offrir à notre Epoux les petites joies qu'il sème sur le chemin de la vie pour charmer nos âmes et les élever jusqu'à Lui...
Je comptais écrire à ma Tante aujourd'hui mais je n'ai pas le temps, ce sera pour dimanche prochain, je te prie de lui dire combien je l'aime ainsi que mon cher Oncle. Je pense aussi bien souvent à Jeanne et Francis. Tu me demandes des nouvelles de ma santé. 4 Eh bien! ma chère petite Soeur, je ne tousse plus du tout. Es-tu contente ?... Cela n'empêchera pas le Bon Dieu de me prendre quand il voudra; puisque je fais tous mes efforts pour être un tout petit enfant, je n'ai pas de préparatifs à faire. Jésus devra Lui-même payer tous les frais du voyage et le prix d'entrée au Ciel...
Adieu, ma petite soeur chérie, je t'aime, je crois, de plus en plus...
Ta petite soeur

Thérèse de l'Enfant Jésus

rel.carm.


(2v tv) Sr Geneviève est bien heureuse de ta lettre, elle te répondra la prochaine fois. Nous t'embrassons toutes les 5...



192

LT 192 A Mme Guérin.

J.M.J.T.

Le 16 Juillet 1896

Jésus +


Ma chère Tante,


J'aurais voulu aller vers vous la première; mais il ne me reste que le doux et aimable devoir de vous remercier de la belle lettre que j'ai reçue.
Que vous êtes bonne, ma Tante chérie, de penser à votre petite Thérèse. Ah! je vous assure que ce n'est pas à une ingrate que vous avez affaire.
Je voudrais vous raconter quelque chose de nouveau, mais j'ai beau me creuser la tête, il n'en sort absolument rien que de la tendresse pour mes parents chéris... et cette chose est bien loin d'être nouvelle puisqu'elle est aussi vieille que moi...
Vous me demandez, ma chère Tante, de vous donner des nouvelles de ma santé comme à (v ) une maman, c'est ce que je vais faire, mais si je vous dis que je me porte à merveille vous n'allez pas me croire, aussi je vais laisser la parole au célèbre docteur de Cornière 1 auquel j'ai eu l'insigne honneur d'être présentée hier au parloir. Cet illustre personnage, après m'avoir honorée d'un regard a déclaré que: " J'avais bonne mine!... " Cette déclaration ne m'a pas empêchée de penser qu'il me serait bientôt permis " d'aller au Ciel avec les petits anges " 2 non pas à cause de ma santé mais à cause d'une autre déclaration faite aujourd'hui dans la chapelle du Carmel par M. l'Abbé Lechêne...
Après nous avoir montré les illustres origines de notre St ordre, après nous avoir comparées au prophète Elie luttant contre les prêtres de Baal, 1R 18,20-40 il a déclaré " que des temps semblables à ceux de la persécution d'Achab allaient recommencer ". 1R 18,18-20 Il nous semblait déjà voler au martyre Quel bonheur, ma petite Tante chérie, si toute (2r ) notre famille entrait au Ciel le même jour! Il me semble que je vous vois sourire... peut-être pensez-vous que cet honneur ne nous est pas réservé... Ce qu'il y de certain, c'est que tous ensemble ou bien l'un après l'autre, nous quitterons un jour l'exil pour la Patrie et qu'alors nous nous réjouirons de toutes les choses dont le Ciel sera le prix... 3 Aussi bien, d'avoir pris de la potion les jours de réception que d'avoir été à matines malgré notre triste mine, ou d'avoir chassé les lapins 4 et cueilli de l'avoine...
Je vois à mon grand regret qu'il m'est impossible de rien dire ce soir qui ait quelque sens commun, c'est bien certainement parce que j'avais désiré écrire beaucoup de choses à ma petite Tante que j'aime tant...
Heureusement que Sr Marie de l'Eucharistie va suppléer à ma misère, c'est ma seule consolation dans mon extrême indigence... Nous sommes toujours ensemble à l'emploi 5 (2v ) et nous nous entendons très bien. Je vous assure que ni l'une ni l'autre n'engendre la mélancolie, il faut que nous fassions bien attention à ne pas dire de paroles inutiles, car après chaque phrase utile il se présente toujours un petit refrain amusant qu'il faut garder pour la récréation.
Ma chère Tante, je vous prie d'offrir mes amitiés à tous les chers habitants de La Musse, en particulier à mon cher Oncle que je charge de vous embrasser bien fort pour moi.

Votre petite fille qui vous aime

Thérèse de l'Enfant Jésus

rel. carm. ind.




193

LT 193 Au P. Roulland.

J.M.J.T.


Carmel de Lisieux.

30 Juillet 1896

Jésus +


Mon Frère,


Vous me permettez n'est-ce pas, de ne plus vous donner un autre nom, puisque Jésus a daigné nous unir par les liens de l'apostolat?
Il m'est bien doux de penser que de toute éternité Notre Seigneur a formé cette union qui doit lui sauver des âmes et qu'Il m'a créée pour être votre soeur...
Hier, nous avons reçu vos lettres; c'est avec joie que Notre Bonne Mère vous a introduit dans la clôture. Elle me permet de garder la photographie de mon frère, 1 c'est un privilège tout spécial, une carmélite n'a pas même les portraits de ses parents les plus proches, mais Notre Mère sait bien que le vôtre, loin de me rappeler le monde et les affections de la terre élèvera mon âme dans des régions plus hautes, la fera s'oublier pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. Ainsi, mon Frère, pendant que je traverserai la mer en votre compagnie, vous resterez près de moi, bien caché dans notre pauvre cellule...
Tout ce qui m'entoure me rappelle votre souvenir, j'ai fixé la carte du Su-tchuen sur le mur de l'emploi où je travaille, et l'image que vous m'avez donnée 2 repose toujours sur mon coeur dans le livre des Evangiles qui ne me quitte jamais. En la plaçant au hasard voici sur quel passage elle est tombée: " Celui qui aura tout quitté pour me suivre, recevra le centuple en ce monde et la vie éternelle au siècle à venir. " Mt 19,29 Ces paroles de Jésus se sont (1v ) déjà réalisées pour vous puisque vous me dites: " Je pars heureux. " Je comprends que cette joie doit être toute spirituelle; il est impossible de quitter son père, sa mère et sa patrie, sans éprouver tous les déchirements de la séparation...
Oh mon Frère! je souffre avec vous, avec vous j'offre votre grand sacrifice et je supplie Jésus de répandre ses abondantes consolations sur vos chers Parents, en attendant l'union Céleste où nous les verrons se réjouir de votre gloire qui, séchant à jamais leurs larmes, les comblera de joie pendant la bienheureuse éternité...
Ce soir pendant mon oraison j'ai médité des passages d'Isaïe qui m'ont paru si bien appropriés à vous que je ne puis m'empêcher de vous les copier.
" Prenez un lieu plus spacieux pour dresser vos tentes... Vous vous étendrez à droite et à gauche, votre postérité aura les nations pour héritage, elle habitera les villes désertes... Is 54,2-3 Levez les yeux, et regardez autour de vous; tous ceux que vous voyez assemblés viennent vers vous, vos fils viendront de loin et vos filles viendront vous trouver de tous côtés. Alors vous verrez cette multiplication extraordinaire, votre coeur étonné se dilatera lorsque la multitude des rivages de la mer et tout ce qu'il y a de grand parmi les nations sera venu vers vous. " Is 60,4-5
N'est-ce pas là le centuple promis ? et ne pouvez-vous pas vous écrier à votre tour:" L'esprit du Seigneur s'est reposé sur moi, Is 61,1-2
il m'a rempli de son onction. Il m'a envoyé pour annoncer sa parole, pour guérir ceux qui ont le coeur brisé, pour rendre la liberté à ceux qui sont dans les chaînes et consoler ceux qui pleurent... Is 61,10-11
Je me réjouirai dans le Seigneur, parce qu'il m'a revêtu des vêtements du salut et paré des ornements de la justice. Comme la terre fait germer la semence ainsi le Seigneur Dieu fera germer par moi sa justice et sa gloire au milieu des nations... Is 60,21
Mon peuple sera un peuple de justes, ils seront les rejetons que j'ai plantés...
J'irai dans les îles les plus reculées, vers ceux qui n'ont jamais entendu parler du Seigneur. J'annoncerai sa gloire aux nations et je les offrirai comme un présent à mon Dieu. " Is 66,19-20
Si je voulais copier tous les passages qui m'ont le plus touchée, il me faudrait trop de temps. Je termine, mais avant j'ai encore une demande à vous faire. Lorsque vous aurez un instant de libre, je voudrais bien que vous m'écriviez les principales dates de votre vie, je pourrais ainsi m'unir particulièrement à vous pour remercier le Bon, Dieu dues grâces qu'il vous a faites.
A Dieu, mon Frère... la distance ne pourra jamais séparer nos âmes, la mort même rendra notre union plus intime. Si je vais bientôt dans le Ciel, je demanderai à Jésus la permission d'aller vous visiter au Su-tchuen et nous continuerons ensemble notre apostolat. En attendant je vous serai toujours unie par la prière et je demande à Notre Seigneur de ne jamais me laisser jouir lorsque vous souffrirez. Je voudrais même que mon Frère ait toujours les consolations et moi les épreuves, c'est peut-être égoïste?... Mais non, puisque ma seule arme est l'amour et la souffrance et que votre glaive est-celui de la parole 3 et des travaux apostoliques. Ep 6,17
Encore une fois, à Dieu, mon Frère, daignez bénir celle que Jésus vous a donnée pour soeur,

Thérèse de l'Enfant Jésus et de la Ste Face

rel. carm. ind.




194

LT 194 A soeur Marie de Saint-Joseph. (Fragment.)

1
8-17 sept. (7.) [1896]


(...) Je suis ravie du petit Enfant 2 et celui qui le porte entre ses bras est encore plus ravi que moi... Ah-! que la vocation du petit Enfant est belle! Ce n'est pas une mission qu'il doit évangéliser, mais toutes les missions. 3 Comment cela?... C'est en aimant, en dormant, en JETANT des FLEURS à Jésus lorsqu'il sommeille. Alors Jésus prendra ces fleurs et leur communiquant une valeur inestimable, il les jettera à son tour; il les fera voler sur tous les rivages et sauvera les âmes, avec les fleurs, avec l'amour du petit enfant qui ne verra rien mais qui sourira toujours même à travers ses larmes!... (Un enfant missionnaire et guerrier, quelle merveille!)



195

LT 195 A soeur Marie de Saint-Joseph. (Fragments.)

8-17 sept. (?) [1896]


J.M.J.T.


Le petit frère 1 pense comme le petit Enfant...
Le martyre le plus douloureux, le plus AMOUREUX est le nôtre puisque Jésus seul le voit.
Il ne sera jamais révélé aux créatures sur la terre mais lorsque l'Agneau ouvrira le livre de vie, Ap 20,12
quel étonnement pour la Cour Céleste d'entendre proclamer avec ceux des missionnaires et des martyrs le nom de pauvres petits enfants qui n'auront jamais fait d'actions éclatantes...

(---)

Je continue a soigner les toques 2 très malades.



196

LT 196 A soeur Marie du Sacré-Coeur.

1

J.M.J.T.

13(?) sept. l896

(1r ) Jésus +


O ma soeur chérie! vous me demandez de vous donner un souvenir de ma retraite, retraite qui peut-être sera la dernière... Puisque notre Mère le permet, c'est une joie pour moi de venir m'entretenir avec vous qui êtes deux fois ma soeur, avec vous qui m'avez prêté votre voix, promettant en mon nom que je ne voulais servir que Jésus, alors qu'il ne m'était pas possible de parler... Chère petite Marraine, c'est l'enfant que vous avez offerte au Seigneur qui vous parle ce soir, 2 c'est elle qui vous aime comme une enfant sait aimer sa Mère... Au Ciel seulement vous connaîtrez toute la reconnaissance qui déborde de mon coeur... O ma soeur chérie! vous voudriez entendre les secrets que Jésus confie à votre petite fille, ces secrets Il vous les confie, je le sais, car c'est vous qui m'avez appris à recueillir les enseignements Divins, cependant je vais essayer de balbutier quelques bien que je sente qu'il est impossible à la parole humaine de redire des choses que le coeur humain peut à peine pressentir... 1Co 2,9
Ne croyez pas que je nage dans les consolations, oh non! ma consolation c'est de n'en pas avoir sur la terre. Sans se montrer, sans faire entendre sa voix, Jésus m'instruit dans le secret, ce n'est pas par le moyen des livres, car je ne comprends pas ce que je lis, mais parfois une parole comme celle-ci que j'ai tirée à la fin de l'oraison (après être restée dans le silence et la sécheresse) vient me consoler: " Voici le Maître que je te donne, il t'apprendra tout ce que tu dois faire. Je veux te faire lire dans le livre de vie, où est contenue la science d'Amour. " 3 La science d'Amour. Ah oui! cette parole résonne doucement à l'oreille de mon âme, je ne désire que cette science-là, pour elle, ayant donné toutes mes richesses, j'estime comme l'épouse des sacrés cantiques n'avoir rien donné... Ct 8,7 Je comprends si bien qu'il n'y a que l'amour qui puisse nous rendre agréables au Bon Dieu que cet amour est le seul bien que j'ambitionne. Jésus se plaît à me montrer l'unique chemin qui conduit à cette fournaise Divine, ce chemin c'est l'abandon du petit enfant qui s'endort sans crainte dans les bras de son Père... " Si quelqu'un est tout petit, qu'il vienne à moi " Pr 9,4 a dit l'Esprit Saint par la bouche de Salomon, et ce même Esprit d'Amour a dit encore que " La miséricorde est accordée aux petits ". Sg 6,7 En son nom le prophète Isaïe nous révèle qu'au dernier jour " Le Seigneur conduira son troupeau dans les pâturages, qu'il rassemblera les petits agneaux et les pressera sur son sein ", Is 40,11 et comme si toutes ces promesses ne suffisaient pas, le même prophète dont le regard inspiré plongeait déjà dans les profondeurs éternelles s'écrie au nom du Seigneur: Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, je vous porterai sur mon sein et je vous caresserai sur mes genoux. " Is 66,12-13 O Marraine chérie! après un pareil langage, il n'y a plus qu'à se taire, à pleurer de reconnaissance (v ) et d'amour... Ah! si toutes les âmes faibles et imparfaites sentaient ce que sent la plus petite de toutes les âmes, l'ame de votre petite Thérèse, pas une seule ne désespérerait d'arriver au sommet de la montagne de l'amour, puisque Jésus ne demande pas de grandes actions, mais seulement l'abandon et la reconnaissance, puisqu'il a dit dans le Ps. XLIX:
Je n'ai nul besoin des boucs de vos troupeaux, parce que toutes les bêtes des forêts m'appartiennent et les milliers d'animaux qui paissent sur les collines, je connais tous les oiseaux des montagnes... Si j'avais faim, ce n'est pas à vous que je le dirais: car la terre et tout ce qu'elle contient est à moi. Est ce que je dois manger la chair des taureaux et boire le sang des boues?... " Immolez à Dieu des sacrifices de louanges et d'actions de grâces. Ps 50,9-14 Voilà donc tout ce que Jésus réclame de nous, il n'a point besoin de nos oeuvres, mais seulement de notre amour, car ce même Dieu qui déclare n'avoir point besoin de nous dire s'il a faim, n'a pas craint de mendier un peu d'eau à la Samaritaine. Il avait soif... Mais en disant: " Donne-moi à boire ", Jn 4,7 c'était l'amour de sa pauvre créature que le Créateur de l'univers réclamait. Il avait soif d'amour... Ah! je le sens plus que jamais Jésus est altéré, il ne rencontre que des ingrats et des indifférents parmi les disciples du monde et parmi ses disciples à lui, il trouve, hélas! peu de coeurs qui se livrent à lui sans réserve, qui comprennent toute la tendresse de son Amour infini.
Soeur chérie, que nous sommes heureuses de comprendre les intimes secrets de notre Epoux, ah! si vous vouliez écrire tout ce que vous en connaissez, nous aurions de belles pages à lire mais je le sais, vous aimez mieux garder au fond de votre coeur " Les secrets du Roi ", a moi vous dites " Qu'il est honorable de publier les oeuvres du Très-Haut ". Tb 12,7 Je trouve que vous avez raison de garder le silence et ce n'est uniquement qu'afin de vous faire plaisir que j'écris ces lignes, car je sens mon impuissance redire avec des paroles terrestres les secrets du Ciel, et puis, après avoir tracé des pages et des pages, je trouverais n'avoir pas encore commencé... Il y a tant d'horizons divers, tant de nuances variées à l'infini, que la palette du Peintre Céleste pourra seule, après la nuit de cette vie, me fournir les couleurs capables de peindre les merveilles qu'il découvre à l'oeil de mon âme.
Ma Sr Chérie, vous m'avez demandé de vous écrire mon rêve et " ma petite doctrine " comme vous l'appelez... Je l'ai fait dans les pages suivantes 4 mais si mal qu'il me semble impossible que vous compreniez. Peut-être allez-vous trouver mes expressions exagérées... Ah à pardonnez-moi, cela doit tenir à mon style peu agréable, je vous assure qu'il n'est aucune exagération dans ma petite âme, que tout y est calme et reposé...
(En écrivant, c'est à Jésus que je parle, cela m'est plus facile, pour exprimer mes pensées... Ce qui, hélas! n'empêche pas qu'elles soient bien mal exprimées!)



197

LT 197 A soeur Marie du Sacré-Coeur.

J.M.J.T.

17 Septembre 1896.

Jésus +


Ma soeur chérie, je ne suis pas embarrassée pour vous répondre... 1
Comment pouvez-vous me demander s'il vous est possible d'aimer le Bon Dieu comme je l'aime ?...
Si vous aviez compris l'histoire de mon petit oiseau, vous ne me feriez pas cette question. Mes désirs du martyre ne sont rien, ce ne sont pas eux qui me donnent la confiance illimitée que je sens en mon coeur. Ce sont, à vrai dire, les richesses spirituelles qui rendent injuste, Lc 16,9 lorsqu'on s'y repose avec complaisance et que l'on croit qu'ils sont quelque chose de grand... 2 Ces désirs sont une consolation, que Jésus accorde parfois aux âmes faibles comme la mienne (et ces âmes sont nombreuses) mais lorsqu'il ne donne pas cette consolation c'est une grâce de privilège, rappelez-vous ces paroles du Père: 3 " Les martyrs ont souffert avec joie et le Roi des Martyrs a souffert avec tristesse. " Oui Jésus a dit:" Mon Père, éloignez de moi ce calice. " Lc 22,42 Sr chérie, comment pouvez-vous dire après cela que mes désirs sont la marque de mon amour ?... Ah! je sens bien que ce n'est pas cela du tout qui plaît au Bon Dieu dans ma petite âme, ce qui lui plaît c'est de me voir aimer ma petitesse et ma pauvreté, c'est l'espérance aveugle que j'ai en sa miséricorde... Voilà mon seul trésor. Marraine chérie, pourquoi ce trésor ne serait-il pas le vôtre?... N'êtes-vous pas prête à souffrir tout ce que le Bon Dieu voudra? Je sais bien que oui, alors, si vous désirez sentir de la joie, avoir de l'attrait pour la souffrance, c'est votre consolation que vous cherchez, puisque lorsqu'on aime une chose, la peine disparaît. 4 Je vous assure que si nous allions ensemble au martyre dans les dispositions où nous sommes, vous auriez un grand mérite et moi je n'en aurais aucun, à moins qu'il ne plaise à Jésus de changer mes dispositions.
O ma soeur chérie, je vous en prie, comprenez votre petite fille, comprenez que pour aimer Jésus, être sa victime d'amour, 5 plus on est faible, sans désirs, ni vertus, plus on est propre aux opérations de cet Amour consumant et transformant... 6 Le seul désir d'être victime suffit, mais il faut consentir à rester pauvre et sans force et voilà le difficile car
" Le véritable pauvre d'esprit, où le trouver? il faut le chercher bien loin " a dit le psalmiste... 7 Il ne dit pas qu'il faut le chercher parmi les grandes âmes, mais " bien loin ", c'est-à-dire dans la bassesse, dans le néant... Ah! restons donc bien loin de tout ce qui brille, aimons notre petitesse, aimons à ne rien sentir, alors nous serons pauvres d'esprit et Jésus viendra nous... (v )... chercher, Pr 31,10 Mt 5,3 si loin que nous soyons il nous transformera en flammes d'amour... Oh! que je voudrais pouvoir vous faire comprendre ce que je sens!... C'est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l'Amour... La crainte ne conduit-elle pas à la Justice ( 1 )?... ( 1 ): Note de Thérèse elle-même, à la fin de cette lettre - Puisque nous voyons la vie, courons ensemble. Oui, je le sens, Jésus veut nous faire les mêmes grâces, il veut nous donner gratuitement son Ciel. Rm 3,24
O ma petite soeur chérie, si vous ne me comprenez pas c'est que vous êtes une trop grande âme... ou plutôt c'est que je m'explique mal, car je suis sûre que le Bon Dieu ne vous donnerait pas le désir d'être POSSÉDÉE de Lui, de son Amour Miséricordieux s'il ne vous réservait cette faveur... ou plutôt il vous l'a déjà faite, puisque vous vous êtes livrée à Lui, puisque vous désirez être consumée par Lui et que jamais le Bon Dieu ne donne de désirs qu'il ne puisse réaliser...
9 heures sonnent, je suis obligée de vous quitter 8 ah! que je voudrais vous dire de choses, mais Jésus va vous faire sentir tout ce que je ne puis écrire... Je vous aime avec toute la tendresse de mon petit coeur d'enfant RECONNAISSANT

Thérèse de l'Enfant Jésus

rel. carm. ind.


(1) A la justice sévère telle qu'on la représente aux pécheurs mais pas de cette Justice que Jésus aura pour ceux qui l'aiment. 9



198

LT 198 A l'abbé Maurice Bellière.

J.M.J.T.

Carmel de Lisieux. 21 Octobre 96

Jésus +


Monsieur l'Abbé,


Notre Révérende Mère étant malade, m'a confié la mission de répondre à votre lettre, je regrette que vous soyez privé des saintes paroles que cette Bonne Mère vous aurait adressées, mais je suis heureuse d'être son interprète et de vous redire sa joie en apprenant le travail que Notre Seigneur vient d'opérer dans votre âme, elle continuera de prier afin qu'Il achève en vous son oeuvre divine.
Il est, je pense, inutile de vous dire, Monsieur l'Abbé, la grande part que je prends au bonheur de Notre Mère. Votre lettre de Juillet m'avait fort affligée; 1 attribuant à mon peu de ferveur les combats qui vous étaient livrés, je ne cessais d'implorer pour vous l'assistance maternelle de la douce reine des Apôtres, aussi ma consolation a-telle été bien grande en recevant pour bouquet de fête l'assurance que mes pauvres prières avaient été exaucées... 2
Maintenant que l'orage est passé, je remercie le Bon Dieu de vous l'avoir fait traverser, car nous lisons dans nos saints livres ces belles paroles: " Bienheureux l'homme qui a souffert la tentation ", et encore: " Celui qui n'a pas été tenté, que sait-il?... " Si 34,10 En effet lorsque Jésus appelle une âme à diriger, à sauver des multitudes d'autres âmes, il est bien nécessaire qu'il lui fasse expérimenter les tentations et les épreuves de la vie. Jc 1,12 Puisqu'il vous a accordé la grâce de sortir victorieux de la lutte, j'espère, Monsieur l'Abbé, que Notre doux Jésus réalisera vos grands désirs. Je lui demande que vous soyez, non pas seulement un bon missionnaire mais un saint tout embrasé de l'amour de Dieu et des âmes; je vous supplie de m'obtenir aussi cet amour afin que je puisse vous aider dans votre oeuvre apostolique. Vous le savez, une carmélite qui ne serait pas apôtre s'éloignerait du but de sa vocation 3 et cesserait d'être fille de la Séraphique Sainte Thérèse qui désirait donner mille vies pour sauver une seule âme. 4
Je ne doute pas, Monsieur l'Abbé, que vous voudrez bien aussi joindre vos prières aux miennes afin que Notre Seigneur guérisse Notre Vénérée Mère.
Dans les Coeurs Sacrés de Jésus et de Marie je serai toujours heureuse de me dire:

Votre indigne petite soeur

Thérèse de l'Enfant Jésus, de la Ste Face

rel. carm. ind.




199

LT 199 A soeur Marie de Saint-Joseph.

20-30 octobre (?) 1896


J.M.J.T.

Veiller, 1 méchant p.f.?... 2 Non, mille fois non!... Je ne m'étonne pas des combats de p.f. mais simplement qu'il perde sa petite force en livrant ses armes au premier caporal qui se trouve sur son chemin, et même qu'il le poursuive dans les escaliers de la caserne afin de l'obliger à prendre jusqu'à la dernière pièce de l'armure.
Qu'y a-t-il d'étonnant ensuite qu'un fort rayon de soleil (ordinairement supporté avec vaillance) tombant sur le petit soldat désarmé ne le brûle et lui donne la fièvre ?... (v ) Pour sa peine son p.f. le condamne à s'enfermer dans la prison de l'amour et à dormir comme un p. bienheureux, mais avant, il faut se servir, ce soir, de l'instrument de pénitence musical!... 3 Sinon, p. f. va avoir du chagrin.
(Surtout pas veiller! demain on se démanchera les bras ensemble!...) 4


200

LT 200 A soeur Marie de Saint Joseph.

Fin octobre (?) 1896


J.M.J.T.


Tout va bien, le petit enfant est un brave qui mérite des épaulettes d'or. Mais que plus jamais il ne s'abaisse à se battre avec des petites pierres; 1 c'est indigne de lui... Son arme doit être " La Charité ".
Le reste va bien aussi, puisque le petit enfant se moque de Messire Satanas, et qu'il sommeille toujours sur le Coeur du Grand Général.... Près de ce Coeur-là, on apprend la vaillance, et surtout la confiance. La mitraille, le bruit du canon, qu'est-ce que tout cela lorsqu'on est porté par le Général?...




201

LT 201 Au P. Roulland.

J.M.J.T.

Carmel de Lisieux

1er Novembre 1896

Jésus +


Mon Frère,

Votre intéressante missive, arrivée sous le patronage de tous les Saints, me cause une grande joie. Je vous remercie de me traiter en véritable soeur; avec la grâce de Jésus j'espère me rendre digne de ce titre qui m'est si cher.
Je vous remercie aussi de nous avoir envoyé " L'âme d'un Missionnaire, 1 ce livre m'a vivement intéressée, il m'a permis de vous suivre pendant votre lointain voyage. La vie du Père Nempon est parfaitement intitulée, c'est bien l'âme d'un missionnaire qu'elle révèle ou plutôt, l'âme de tous les apôtres vraiment dignes de ce nom.
Vous me demandez (dans la lettre écrite à Marseille) de prier Notre Seigneur d'éloigner de vous la croix d'être nommé directeur dans un séminaire ou même celle de revenir en France. Je comprends que cette perspective ne vous soit pas agréable; de tout mon Coeur je demande à Jésus qu'il daigne vous laisser remplir le laborieux apostolat tel que votre âme l'a toujours rêvé. Cependant j'ajoute avec vous: " Que la volonté du Bon Dieu soit faite. " Mt 6,10
C'est là seulement que se trouve le repos, en dehors de cette aimable volonté nous ne ferions rien, ni pour Jésus, ni pour les âmes.
Je ne puis vous dire, mon Frère, combien je suis heureuse de vous voir si complètement abandonné entre les mains de vos supérieurs, il me semble que c'est une preuve certaine qu'un jour mes désirs seront réalisés, c'est-à-dire que vous serez un grand Saint.
Permettez-moi de vous confier un secret qui vient de m'être révélé par la feuille où sont écrites les dates mémorables de votre vie.
- Le 8 Septembre 1890 votre vocation de missionnaire était sauvée par Marie, la Reine des apôtres et des martyrs; 2 en ce même jour une petite carmélite devenait l'épouse du Roi des Cieux. Disant au monde un éternel adieu, son unique but était de sauver les âmes, surtout les âmes d'apôtres. A Jésus, son Epoux divin, elle demanda particulièrement une âme apostolique, ne pouvant être prêtre elle voulait qu'à sa place un prêtre reçût les grâces du Seigneur, qu'il ait les mêmes aspirations, les mêmes désirs qu'elle.
.
Mon Frère, vous connaissez l'indigne carmélite qui fit cette prière. Ne pensez-vous pas comme moi que notre union confirmée le jour de votre ordination sacerdotale, commença le 8 Septembre?... (1v ) Je croyais ne rencontrer qu'au ciel, l'apôtre, le frère que j'avais demandé à Jésus, mais ce Bien-Aimé Sauveur, levant un peu le voile mystérieux qui cache les secrets de l'éternité, a daigné me donner dès l'exil la consolation de connaître le frère de mon âme, de travailler avec lui au salut des pauvres infidèles.
Oh! que ma reconnaissance est grande lorsque je considère les délicatesses de Jésus!... Que nous réserve-t-il au Ciel si dès ici-bas, son amour nous dispense de si délicieuses surprises? Plus que jamais, je comprends que les plus petits événements de notre vie sont conduits par Dieu, c'est Lui qui nous fait désirer et qui comble nos désirs... Lorsque notre bonne Mère me proposa de devenir votre auxiliaire, je vous avoue, mon Frère, que j'hésitai. 3 Considérant les vertus des saintes carmélites qui m'entourent, il me semblait que notre Mère aurait mieux servi vos intérêts spirituels en vous choisissant une soeur autre que moi, seule la pensée que Jésus n'aurait pas égard à mes oeuvres imparfaites mais à ma bonne volonté, me fit accepter l'honneur de partager vos travaux apostoliques. Je ne savais pas alors que Notre Seigneur Lui-Même m'avait choisie, lui qui se sert des instruments les plus faibles pour opérer des merveilles!.
. 1Co 1,27 Je ne savais pas que depuis 6 ans j'avais un frère qui se préparait à devenir Missionnaire; maintenant que ce frère est véritablement son Apôtre, Jésus me révèle ce mystère afin sans doute d'augmenter encore en mon coeur le désir de l'aimer et de Le faire aimer.
Savez-vous, mon Frère, que si le Seigneur continue d'exaucer ma prière, vous obtiendrez une faveur que votre humilité vous empêche de solliciter? Cette faveur incomparable, vous la devinez, c'est le martyre...
Oui, j'en ai l'espérance, après de longues années passées dans les travaux apostoliques, après avoir donné à Jésus amour pour amour, vie pour vie, vous lui donnerez aussi sang pour sang...
En écrivant ces lignes, il me vient à l'esprit qu'elles vous parviendront dans le mois de Janvier, mois pendant lequel on échange d'heureux souhaits. Je crois bien que ceux de votre petite soeur seront les seuls dans leur genre... à vrai dire, le monde traiterait de folie des souhaits comme ceux-là, mais pour nous, le monde ne vit plus Ph 3,20 et " notre conversation est déjà dans le Ciel ", 4 notre unique désir est de ressembler à notre Adorable Maître que le monde n'a pas voulu reconnaître Jn 1,10 parce qu'Il s'est anéanti, prenant la forme et la nature d'esclave. Ph 2,7 O mon Frère que vous êtes heureux de suivre de si près l'exemple de Jésus... En songeant que vous avez revêtu le costume chinois, je pense naturellement au Sauveur se revêtant de notre pauvre humanité Et devenant semblable à l'un de nous afin de racheter nos âmes pour l'éternité.
Vous allez peut-être me trouver bien enfant, mais n'importe, je vous confesse que j'ai commis un péché d'envie en lisant que vos cheveux allaient être coupés et remplacés par une tresse chinoise. Ce n'est pas cette dernière que j'ai convoitée, mais tout simplement une petite mèche des cheveux devenus inutiles. Vous me demanderez sans (2r ) doute en riant ce que j'en ferai? Eh bien, c'est tout simple, ces cheveux seront pour moi des reliques lorsque vous serez au Ciel, la palme du martyre à la main. Vous trouvez sans doute que je m'y prends longtemps d'avance, mais je sais que c'est l'unique moyen d'arriver a mon but, car votre petite soeur (qui n'est reconnue pour telle que par Jésus) 5 sera certainement oubliée dans la distribution de vos reliques. Je suis bien sûre que vous riez de moi, mais cela ne me fait rien. Si vous consentez a payer la petite récréation que je vous donne avec: " Les cheveux d'un futur Martyr " je serai bien récompensée.
Le 25 Décembre je ne manquerai pas d'envoyer mon ange afin qu'il dépose mes intentions auprès de l'hostie qui sera- consacrée par vous. 6 C'est du plus profond de mon Coeur que je vous remercie d'offrir pour Notre Mère et pour moi votre messe de l'aurore; pendant que vous serez à l'Autel, nous chanterons les matines de Noël qui précèdent immédiatement la messe de minuit.
Mon Frère, vous ne vous êtes pas trompé en disant que sans doute mes intentions seraient " de remercier Jésus du jour de grâces entre tous ". Ce n'est point ce jour-là que j'ai reçu la grâce de la vocation religieuse. Notre Seigneur voulant pour Lui seul mon premier regard, daigna me demander mon Coeur dès le berceau, si je puis m'exprimer ainsi.
La nuit de Noël 1886 fut, il est vrai, décisive pour ma vocation, mais pour la nommer plus clairement je dois l'appeler: la nuit de ma conversion. 7 En cette nuit bénie dont il est écrit qu'elle éclaire les délices de Dieu même, Jésus qui se faisait enfant par amour pour moi daigna me faire sortir des langes et des imperfections de l'enfance, Il me transforma de telle sorte que je ne me reconnaissais plus moi-même. Sans ce changement j'aurais dû rester encore bien des années dans le monde. Ps 139,12 Sainte Thérèse qui disait à ses filles: " Je veux que vous ne soyez femmes en rien, mais qu'en tout vous égaliez des hommes forts ", 8 Ste Thérèse n'aurait pas voulu me reconnaître pour son enfant si le Seigneur ne m'avait revêtue de sa force divine, s'il ne m'avait lui-même armée pour la guerre.
Je vous promets, mon Frère, de recommander à Jésus d'une façon toute particulière, la jeune fille dont vous me parlez et qui rencontre des obstacles à sa vocation, je compatis sincèrement à sa peine, sachant par expérience combien il est amer de ne pouvoir répondre immédiatement à l'appel de Dieu. Je lui souhaite de n'être pas obligée comme moi d'aller jusqu'à Rome... Sans doute vous ignorez que votre soeur a eu l'audace de parler au Pape?... 9 C'est vrai cependant, et si je n'avais pas eu cette audace, peut-être serais je encore dans le monde.
Jésus a dit que " le royaume des Cieux souffre violence et que les violents seuls le ravissent ", Mt 11,12 il en a été de même pour moi du royaume du Carmel. Avant d'être la prisonnière de Jésus, il m'a fallu voyager bien loin pour ravir la prison que je préférais à tous les palais de la terre, aussi je n'avais nulle envie de faire un voyage pour mon agrément personnel, et lorsque mon incomparable Père me proposa de me conduire à Jérusalem si je voulais retarder mon entrée de (2v ) deux ou trois mois, je n'hésitai pas (malgré l'attrait naturel qui me portait à visiter les lieux sanctifiés par la vie du Sauveur), à choisir le repos à l'ombre de celui que j'avais désiré. Ct 2,3 Je comprenais que véritablement un seul jour passé dans la maison du Seigneur vaut mieux que mille partout ailleurs. Ps 83,11
Peut-être, mon Frère, désirez-vous savoir quel obstacle je rencontrais à l'accomplissement de ma vocation; cet obstacle n'était autre que ma jeunesse, notre bon Père Supérieur 10 refusa formellement de me recevoir avant 21 ans, disant qu'une enfant de 15 ans n'était pas capable de savoir à quoi elle s'engageait. Sa conduite était prudente et je ne doute pas qu'en m'éprouvant il n'accomplît la volonté du bon Dieu qui voulait me faire conquérir la forteresse du Carmel à la pointe de l'épée, peut-être aussi Jésus permit-Il au démon d'entraver une vocation qui ne devait pas, je crois, être du goût de ce vilain privé d'amour comme l'appelait notre Ste Mère "; 11 heureusement toutes ses ruses tournèrent à sa honte, elles ne servirent qu'à rendre la victoire d'une enfant plus éclatante. Si je voulais vous écrire tous les détails du combat que j'eus à soutenir, il me faudrait beaucoup de temps, d'encre et de papier; racontés par une plume habile ces détails auraient, je crois, pour vous de l'intérêt mais ce n'est pas la mienne qui sait donner des charmes à un long récit, je vous demande donc pardon de vous avoir peut-être ennuyé déjà.
Vous me promettez, mon Frère, de continuer chaque matin de dire au St Autel: " Mon Dieu, embrasez ma soeur de votre amour ", je vous en suis profondément reconnaissante et je n'ai pas de peine à vous assurer que vos conditions sont et seront toujours acceptées. 12 Tout ce que je demande a Jésus pour moi, je le demande aussi pour vous; lorsque j'offre mon faible amour au Bien-Aimé, je me permets d'offrir le vôtre en même temps. Comme Josué vous combattez dans la plaine, Ex 17,8 moi je suis votre petit Moïse, et sans cesse mon coeur est élevé vers le Ciel pour obtenir la victoire. O mon Frère, que vous seriez i plaindre si Jésus Lui-même ne soutenait les bras de votre Moïse!... Mais avec le secours de la prière que tous les jours vous adressez pour moi au Divin Prisonnier d'amour, j'espère que vous ne serez jamais à plaindre, et qu'après cette vie pendant laquelle nous aurons ensemble semé dans les larmes, nous nous retrouverons joyeux portant des gerbes en nos mains. Ps 126,5-6
J'ai beaucoup aimé le petit sermon que vous avez adressé à Notre bonne Mère pour l'exhorter à rester encore sur la terre; il n'est pas long mais, comme vous le dites, il n'y a rien à répliquer, je vois que vous n'aurez pas beaucoup de peine à convaincre vos auditeurs lorsque vous prêcherez, et j'espère qu'une abondante moisson d'âmes sera cueillie et offerte par vous au Seigneur. - Je m'aperçois que je suis au bout de mon papier, ce qui me force d'arrêter mon griffonnage. Je veux cependant vous dire que tous vos anniversaires seront fidèlement fêtés par moi. Le 3 juillet me sera particulièrement cher puisqu'en ce jour vous avez reçu Jésus pour la 1re fois et qu'à cette même date, j'ai reçu Jésus de votre main et assisté à votre 1re messe au Carmel.
Bénissez, mon Frère, votre indigne soeur.

Thérèse de l'Enfant Jésus.

rel. carm. ind.


(2v tv) (Je recommande à vos prières un jeune séminariste qui voudrait être missionnaire, sa vocation vient d'étre ébranlée par l'année militaire.) 13




Thérèse EJ, Lettres 191