Thérèse EJ, Lettres 243

243

LT 243 A soeur Geneviève.

1

J.M.J.T.

7 Juin 1897


Petite soeur bien-aimée, ne recherchons jamais ce qui paraît grand aux yeux des créatures. Salomon, le roi le plus sage qui fut jamais sur la terre, ayant considéré les différents travaux qui occupent les hommes sous le soleil, Qo 2,11 la peinture, la sculpture, tous les arts, comprit que toutes ces choses étaient soumises à l'envie, il s'écria qu'elles ne sont que vanité et affections d'esprit!... Qo 4,4
La seule chose qui ne soit point enviée c'est la dernière place, il n'y a donc que cette dernière place qui ne soit point vanité et affliction d'esprit... Lc 14,10
(1v ) Cependant " la voie de l'homme. n'est pas en son pouvoir" Jr 10,23 et parfois nous nous surprenons à désirer ce qui brille. Alors rangeons-nous humblement parmi les imparfaits, estimons-nous de petites âmes qu'il faut que le Bon Dieu soutienne à chaque instant; dès qu'Il nous voit bien convaincues de notre néant il nous tend la main; si nous voulons encore essayer de faire quelque chose de grand même sous prétexte de zèle, le Bon Jésus nous laisse seules. " Mais dès que j'ai dit: Mon pied a chancelé, votre miséricorde, Seigneur, m'a affermi!..." Oui, il suffit de s'humilier, de supporter avec douceur ses imperfections. Voilà la vraie sainteté! Ps 94,18 2 Prenons-nous par la main, petite soeur chérie, et courons à la dernière place... personne ne viendra nous la disputer...



244

LT 244 A l'abbè Bellière.

1
J.M.J.T.


9 Juin 1897


Mon cher petit Frère, j'ai reçu votre lettre ce matin, 2 et je profite d'un moment où l'infirmière est absente pour vous écrire un dernier petit mot d'adieu, quand vous le recevrez j'aurai quitté l'exil... Pour jamais votre petite soeur sera unie son Jésus, c'est alors qu'elle pourra vous obtenir des grâces et voler avec vous dans les missions lointaines.
O mon cher petit frère, que je suis heureuse de mourir!... oui je suis heureuse, non pas parce que je serai délivrée des souffrances d'ici-bas (la souffrance, au contraire, est la seule chose qui me paraît désirable en la vallée des larmes); mais parce que je sens bien que telle est la volonté du Bon Dieu. Ps 84,7
Notre bonne Mère voudrait me retenir sur la terre; en ce moment on dit pour moi une neuvaine de messes à N.D. des Victoires, 3 elle m'a déjà guérie dans mon enfance 4 mais je crois que le miracle qu'elle fera ne sera autre que de consoler la Mère qui m'aime si tendrement.
Cher petit Frère, au moment de paraître devant le bon Dieu, je comprends plus que jamais qu'il n'y a qu'une chose nécessaire, c'est de travailler uniquement pour Lui et de ne rien dire pour soi ni pour les autres.
Jésus veut posséder complètement votre coeur, il veut que vous soyez un grand saint.
Pour cela il vous faudra beaucoup souffrir, Lc 24,26 mais aussi quelle joie inondera votre âme quand vous serez arrivé au moment heureux de votre entrée dans l'éternelle Vie!.
. Mon frère, tous vos amis du Ciel, je vais aller bientôt leur offrir votre amour, les prier de vous protéger. Je voudras vous dires mon cher petit Frère, mille choses que je comprends étant à la porte de l'éternité, mais je ne meurs pas, j'entre dans la vie et tout ce que je ne puis vous dire ici-bas, je vous le ferai comprendre du haut des Cieux...
A Dieu, petit Frère, priez pour votre petite soeur qui vous dit: A bientôt, au revoir au Ciel!...

Thérèse de l'Enfant Jésus de la Ste Face

rel. carm. ind.




245

LT 245 A Mère Agnès de Jésus.

soeur Marie du Sacré-Coeur

et soeur Geneviève. 1


Juin(?) 1897


Recto en haut: Ne pleurez pas sur moi, car je suis au Ciel
avec l'Agneau et les Vierges Sacrées!... 2

en bas: Je vois ce que j'ai cru
Je possède ce que j'ai espéré
Je suis unie à Celui que j'ai aimé
de toute ma puissance d'aimer. 3

de chaque côté: Le plus petit mouvement de pur Amour est plus utile
à l'Eglise que toutes les autres oeuvres réunies! 4
Il est donc de la plus haute importance que l'âme s'exerce
beaucoup à l'Amour afin que, se consommant rapidement,
elle ne s'arrête guère ici-bas et arrive promptement
voir son Dieu Face à Face. 5
(St Jean de la Croix.)

Verso
Je ne trouve rien sur la terre qui me rende heureuse; mon coeur est trop grand, rien de ce qu'on appelle bonheur en ce monde ne peut le satisfaire. Ma pensée s'envole vers l'Eternité, le temps va finir!... mon coeur est paisible comme un lac tranquille ou un ciel serein; je ne regrette pas la vie de ce monde, mon coeur a soif des eaux de la vie éternelle!... Encore un peu et mon âme quittera la terre, finira son exil, terminera son combat... Je monte au Ciel... je touche la patrie, je remporte la victoire!... Je vais entrer dans ce séjour des élus, voir des beautés que l'oeil de l'homme n'a jamais vues, 1Co 2,9 entendre des harmonies que l'oreille n'a jamais entendues, jouir de joies que le coeur n'a jamais goûtées... Me voici rendue a cette heure que chacune de nous a tant désirée!... Il est bien vrai que le Seigneur choisit les petits pour confondre les grands de ce monde... 1Co 1,27 Je ne m'appuie pas sur mes propres forces mais sur la force de Celui qui sur la Croix a vaincu les puissances de l'enfer. Col 2,14-15 Je suis une fleur printanière que le maître du jardin cueille pour son plaisir... Nous sommes toutes des fleurs plantées sur cette terre et que Dieu cueille en son temps, un peu plus tôt, un peu plus tard... Moi petite éphémère je m'en vais la première! Un jour nous nous retrouverons dans le Paradis et nous jouirons du vrai bonheur!...

(Thérèse de l'Enfant Jésus empruntant les pensées de l'angélique Martyr Théophane Vénard.) 6



246

LT 246 A soeur Marie de la Trinité.

13 juin 1897


Que le divin petit Jésus trouve en votre âme une demeure toute parfumée des roses de l'Amour, qu'Il y trouve encore la lampe ardente de la charité fraternelle 1 qui réchauffera ses petits membres glacés, qui réjouira son petit Coeur en Lui faisant oublier l'ingratitude des âmes qui ne l'aiment pas assez.

Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Ste Face (13 Juin 1897.)

r.c.i. 2




247

LT 247 A l'abbé Bellière.

Carmel de Lisieux

J.M.J.T.

21 Juin 1897


Jésus +


Mon cher petit Frère,


Avec vous j'ai remercié Notre Seigneur de la grande grâce qu'Il a daigné vous accorder le jour de la Pentecôte, 1 c'est aussi le jour de cette belle fête (il y a 10 ans) que j'ai obtenu, non de mon directeur, mais de mon père la permission de me faire apôtre au carmel. 2 C'est encore un rapprochement de plus entre nos âmes.
O mon cher petit frère, je vous en prie ne croyez jamais " m'ennuyer, ni me distraire " en me parlant beaucoup de vous. Serait-il possible qu'une soeur ne prit pas d'intérêt à tout ce qui touche son frère? Pour ce qui est de me distraire, vous n'avez rien à craindre, vos lettres au contraire m'unissent davantage au bon Dieu, en me faisant (1v ) contempler de près les merveilles de sa miséricorde et de son amour.
Quelquefois Jésus se plaît " à révéler ses secrets aux plus petits ", Lc 10,21 la preuve, c'est qu'après avoir lu votre première lettre du 15 oct. 95, j'ai pensé la même chose que votre Directeur: Vous ne pourrez être un saint à demi, il vous faudra l'être tout à fait ou pas du tout. - J'ai senti que vous deviez avoir une âme énergique et c'est pour cela que je fus heureuse de devenir votre soeur.
Ne croyez pas m'effrayer en me parlant " de vos belles années gaspillées ". Moi je remercie Jésus qui vous a regardé d'un regard d'amour comme autrefois le jeune homme de l'Evangile. Mc 10,21 Plus heureux que lui vous avez répondu fidèlement à l'appel du Maître, vous avez tout quitté pour Le suivre, et cela au plus bel âge de la vie, à 18 ans. Ah! mon frère, comme moi vous pouvez chanter les miséricordes du Seigneur, 3 Ps 89,2 elles brillent en vous dans toute leur splendeur... Vous aimez st Augustin, Ste Madeleine, ces âmes auxquelles " Beaucoup de péchés ont été remis (2r ) parce qu'elles ont beaucoup aimé ". Lc 7,47 Moi aussi je les aime, j'aime leur repentir, et surtout... leur amoureuse audace! 4 Lorsque je vois Madeleine s'avancer devant les nombreux convives, arroser de ses larmes les pieds de son Maître adoré, Lc 7,36-38 qu'elle touche pour la première fois; je sens que son coeur a compris les abîmes d'amour et de miséricorde du Coeur de Jésus, et que toute pécheresse qu'elle est ce Coeur d'Amour est non seulement disposé à lui pardonner, mais encore à lui prodiguer les bienfaits de son intimité divine, Lc 10,39 à l'élever jusqu'aux plus hauts sommets de la contemplation.
Ah! mon cher petit Frère, depuis qu'il m'a été donné de comprendre aussi l'amour du Coeur de Jésus, je vous avoue qu'il a chassé de mon coeur toute crainte. 1Jn 4,18
Le souvenir de mes fautes m'humilie, me porte à ne jamais m'appuyer sur ma force qui n'est que faiblesse, mais plus encore ce souvenir me parle de miséricorde et d'amour.
Comment lorsqu'on jette ses fautes avec une confiance toute filiale dans le brasier dévorant de l'Amour, (2v ) comment ne seraient-elles pas consumées sans retour? 5
Je sais qu'il y a des saints qui passèrent leur vie a pratiquer d'étonnantes mortifications pour expier leurs péchés; mais que voulez-vous, " Il y a plusieurs demeures dans la maison du Père Céleste ", Jn 14,2 Jésus l'a dit et c'est pour cela que je suis la voie qu'Il me trace. Je tâche de ne plus m'occuper de moi-même en rien, et ce que Jésus daigne opérer en mon âme je le lui abandonne, car je n'ai pas choisi une vie austère pour expier mes fautes, mais celles des autres.
Je viens de relire mon petit mot et je me demande si vous allez me comprendre, car je me suis très mal expliquée. Ne croyez pas que je blâme le repentir que vous avez de vos fautes et votre désir de les expier. Oh non! j'en suis bien loin, mais vous savez: maintenant nous sommes deux, l'ouvrage se fera plus vite (et moi avec ma manière je ferai plus de besogne que vous), aussi j'espère qu'un jour Jésus vous fera marcher par la même voie que moi. 6
Pardon, cher petit-frère, je ne sais pas ce que j'ai aujourd'hui, car je dis vraiment ce que je ne voudrais pas dire. Je n'ai plus de place pour répondre à votre (2v tv) lettre, je le ferai une autre fois. Merci pour vos dates, j'ai déjà fêté vos 23 ans; 7 Je prie pour vos chers parents que Dieu a retirés de ce monde et je n'oublie pas la mère que vous aimez. 8
Votre indigne petite soeur

Th. de l'Enfant Jésus de la Ste Face

rel. carm. ind.




248

LT 248 A Léonie.

Fin juin (?) 1897

J.M.J.T.


Ma chère petite Léonie,


Je suis on ne peut plus touchée de ton empressement à me faire plaisir. Je te remercie de tout mon coeur et suis ravie de la petite couverture que tu m'as faite. Elle est telle que je la désirais... Je ferai pour toi la communion demain... Je t'aime et je t'embrasse

Ta petite soeur

Thérèse de l'Enfant Jésus

rel. carm. ind.




249

LT 249 A soeur Marie de la Trinité. (Fragments.)

1
Mi-juillet (?) 1897

J.M.J.T.


Ma chère petite soeur,


Je ne veux pas que vous soyez triste. Vous savez quelle perfection je rêve pour votre âme, (...) j'ai pitié de votre faiblesse (...) avec vous c'est tout de suite qu'il faut dire ce qu'on pense (...) infirmerie devrait vous faire comprendre qu'il vous serait plus difficile d'obtenir la permission de venir après matines (...) le démon s'éloigne Maintenant il ne me (...) compris votre combat et vous aurais consolée doucement, si vous ne l'aviez déjà pas dit haut mais que vous (...) Adieu, pauvre petite p. 2 qu'il faudra que j'emmène bien vite au ciel! je veux l'avoir tout entière



250

LT 250 A soeur Marie de Saint Joseph.

Juillet (?) 1897

J.M.J.T.


J'espère que Sr Geneviève vous a consolée, 1 c'est la pensée que vous n'avez plus de peine qui fait disparaître la mienne!... Ah! que nous serons heureux au Ciel, alors nous participerons aux perfections divines et nous pourrons donner à tout le monde sans être obligés de priver nos plus chers amis!... Le Bon Dieu a (v ) bien fait de ne pas nous donner cette puissance sur la terre, peut-être n'aurions-nous point voulu la quitter, et puis cela fait tant de bien de reconnaître que Lui seul est parfait, que Lui seul doit nous suffire lorsqu'Il Lui plaît d'ôter la branche qui soutenait le petit oiseau! L'oiseau a des ailes, il est fait pour voler! 2



251

LT 251 A soeur Marthe de Jésus.

Juin-juillet (18?)


J.M.J.T.


Il ne faut pas que la petite épouse de Jésus soit triste, car Jésus le serait aussi: il faut toujours qu'elle chante en son coeur le cantique de l'amour. Il faut qu'elle oublie ses petites peines pour consoler les grandes peines de son époux.
Petite soeur chérie, ne soyez pas une petite fille triste en voyant qu'on ne vous comprend pas, qu'on vous juge mal, qu'on vous oublie, mais attrapez tout le monde en tâchant de faire comme les autres (v ) ou plutôt en faisant pour vous-même ce que les autres font pour vous, c'est-a-dire oubliez tout ce qui n'est pas Jésus, oubliez-vous pour son amour!... Petite soeur chérie, ne dites pas que c'est difficile, si je parle ainsi c'est votre faute, vous m'avez dit que vous aimiez beaucoup Jésus, et rien ne semble impossible à l'âme qui aime... 1 Croyez bien que votre petit mot m'a fort agréé!... 2



252

LT 252 A Mère Agnès de Jésus.

Je vous aime beaucoup, ma petite maman, vous le verrez bientôt!... oh oui!...


253

LT 253 A l'abbé Bellière.

1

J.M.J.T.

Jésus +


Mon cher petit Frère,


Peut-être quand vous lirez ce petit mot ne serai-je plus sur la terre, mais au sein des délices éternelles! Je ne connais pas l'avenir, cependant je puis vous dire avec assurance que l'Epoux est à la porte, Ap 3,20 il faudrait un miracle pour me retenir dans l'exil et je ne pense pas que Jésus fasse ce miracle inutile.
O mon cher petit frère, que je suis heureuse de mourir! oui je suis heureuse, non d'être délivrée des souffrances d'ici-bas (la souffrance unie à l'amour est au contraire la seule chose qui me paraît désirable en la vallée des larmes). Ps 84,7 (1v ) Je suis heureuse de mourir parce que je sens que telle est la volonté du bon Dieu et que bien plus qu'ici-bas, je serai utile aux âmes qui me sont chères, à la vôtre tout particulièrement. Vous demandiez dans votre dernière lettre à notre Mère que je vous écrive souvent pendant les vacances. Si le Seigneur veut encore prolonger quelques semaines mon pèlerinage et que notre bonne Mère le permette, je pourrai vous brouillonner encore des petits mots comme celui-ci, mais le plus probable c'est que je ferai plus qu'écrire à mon cher petit frère, plus même que lui parler le langage fatigant de la terre, je serai tout près de lui, je verrai tout ce qui lui (2r ) est nécessaire et je ne laisserai pas de repos au bon Dieu qu'Il ne m'ait donné tout ce que je voudrai!... Quand mon cher petit frère partira pour l'Afrique, je le suivrai non plus par la pensée, par la prière, mon âme sera toujours avec lui et sa foi saura bien découvrir la présence d'une petite soeur que Jésus lui donna non pour être son soutien pendant deux ans à peine mais jusqu'au dernier jour de sa vie.
Toutes ces promesses, mon frère, vous paraissent peut-être un peu chimériques, cependant vous devez commencer à savoir que le bon Dieu m'a toujours traitée en enfant gâtée, il est vrai que sa croix m'a suivie dès le berceau (2.v ) mais cette croix, Jésus me l'a fait aimer avec passion, Il m'a toujours fait désirer ce qu'il voulait me donner. 2 Commencera-t-il donc au Ciel à ne plus combler mes désirs? Vraiment je ne puis le croire et je vous dis:
Bientôt, petit frère, je serai près de vous. "
Ah! je vous en conjure, priez beaucoup pour moi, les prières me sont si nécessaires en ce moment, mais surtout priez pour notre Mère, elle aurait voulu me retenir ici-bas longtemps encore; pour l'obtenir, cette Mère vénérée a fait dire une 9e de messes à N.D. des Victoires qui n'avait déjà guérie dans mon enfance; mais moi, sentant que le miracle n'aurait pas lieu, j'ai demandé et obtenu de la Ste Vierge qu'elle console un peu le coeur de ma Mère ou plutôt ou plutôt qu'elle lui fasse consentir à ce que Jésus m'emporte au Ciel. (2 tv) A Dieu, petit frère, à bientôt au revoir dans le beau Ciel.

Th. de l'Enfant Jésus de la Ste Face

rel. carm..




254

LT 254 Au P. Roulland.

J.M.J.T.


Carmel de Lisieux

14 juillet 1897.


Jésus +


Mon Frère,


Vous me dites dans votre dernière lettre (qui m'a fait grand plaisir): " Je suis un bébé qui apprend à parler. " 1 Eh bien! moi, depuis cinq ou six semaines, je suis aussi un bébé, car je ne vis que de lolo 2 mais bientôt je vais m'asseoir au banquet céleste, Lc 22,30 je vais me désaltérer des eaux de la vie éternelle! Ap 7,17 Quand vous recevrez cette lettre, sans doute j'aurai quitté la terre. Le Seigneur, dans son infinie miséricorde, m'aura ouvert son royaume et je pourrai puiser dans ses trésors pour les prodiguer aux âmes qui me sont chères. Croyez, mon Frère, que votre petite soeur tiendra ses promesses, et qu'avec bonheur son âme, délivrée du poids de l'enveloppe mortelle, volera vers les lointaines régions que vous évangélisez. Ah! mon frère, je le sens, je vous serai bien plus utile au Ciel que sur la terre et c'est avec bonheur que je viens vous annoncer ma prochaine entrée dans cette bienheureuse cité, sûre que vous partagerez ma joie et remercierez le Seigneur de me donner les moyens de vous aider plus efficacement dans vos oeuvres apostoliques.
Je compte bien ne pas rester inactive au Ciel, mon désir est de travailler encore pour l'Eglise et les âmes, je le demande au bon Dieu et je suis certaine qu'Il m'exaucera. Les Anges ne sont-ils pas continuellement occupés de nous sans jamais cesser de voir la Face divine, Mt 18,10 de se perdre dans l'Océan sans rivages de l'Amour? Pourquoi Jésus ne me permettrait-Il pas de les imiter?
Mon Frère, vous voyez que si je quitte déjà le champ de bataille, ce n'est pas avec le désir égoïste de me reposer, la pensée de la béatitude éternelle fait à peine tressaillir mon coeur, depuis longtemps la souffrance est devenue mon Ciel ici-bas et j'ai vraiment du mal à concevoir comment je pourrai m'acclimater dans un Pays où la joie règne sans aucun mélange de tristesse. Il faudra que Jésus transforme mon âme et lui donne la capacité de jouir, autrement je ne pourrai supporter les délices éternelles.
Ce qui m'attire vers la Patrie des Cieux, c'est l'appel du Seigneur, c'est l'espoir de l'aimer enfin comme je l'ai tant désiré et la pensée que je pourrai le faire aimer d'une multitude d'âmes qui le béniront éternellement.
Mon Frère, vous n'aurez pas le temps de m'envoyer vos commissions pour le Ciel, mais je les devine et puis vous n'aurez qu'à me les dire tout bas, je vous entendrai et porterai fidèlement vos messages au Seigneur, à Notre Mère Immaculée, aux Anges, aux Saints que vous aimez. Je demanderai pour vous la palme du martyre et je serai près de vous, soutenant votre main afin qu'elle cueille sans effort cette palme glorieuse, et puis, avec allégresse, nous volerons ensemble dans la Patrie céleste, environnés de toutes les âmes qui seront votre conquête!
Au revoir, mon Frère, priez beaucoup pour votre soeur, priez pour Notre Mère, dont le coeur sensible et maternel a bien du mal consentir à mon départ. Je compte sur vous pour la consoler.

Je suis pour l'éternité votre petite soeur

Thérèse de l'Enfant Jésus et de la Ste Face

rel. carm. ind.




255

LT 255 A M. et Mme Guérin.

J.M.J.T.

16 juillet 1897

Jésus +


Mon cher Oncle et ma chère Tante,


Je suis tout heureuse de vous prouver que votre petite Thérèse n'a pas encore quitté l'exil, car je sais que cela vous fera plaisir. Cependant il me semble, mes Parents chéris, que votre joie sera plus grande encore lorsqu'au lieu de lire quelques lignes que je trace d'une main tremblante, vous sentirez mon âme auprès de la vôtre. Ah! j'en suis certaine, le bon Dieu me permettra de répandre à pleines mains ses grâces, sur vous, sur ma petite soeur Jeanne et son cher Francis, je choisirai pour eux le plus beau chérubin du Ciel (1v ) et je demanderai au bon Jésus de le donner à Jeanne afin qu'il devienne " un grand pontife et un grand saint " 1 Si je ne suis pas exaucée, il faudra vraiment que ma chère petite soeur n'ait plus le désir d'être mère ici-bas, mais elle pourra se réjouir en pensant qu'au Ciel " le Seigneur lui donnera la joie de se voir Mère de nombreux enfants ". 2 Ps 113,9 comme le St Esprit l'a promis en chantant par la bouche du Roi Prophète les paroles que je viens d'écrire. - Ces enfants seraient les âmes que son sacrifice bien accepté feraient naître à la vie de la grâce, mais j'espère bien obtenir mon Chérubin c'est-à dire une petite âme qui soit sa copie, car hélas! pas un chérubin ne voudrait s'exiler même pour recevoir les douces caresses d'une mère!...
Je m'aperçois que dans ma lettre, jamais je ne vais avoir la place de dire tout ce que je voudrais (2r ) Je voulais, mes chers parents, vous parler en détail de ma communion de ce matin 3 que vous avez rendue si touchante ou plutôt si triomphante par vos gerbes fleuries. Je laisse ma chère petite soeur M. de l'Eucharistie vous raconter les détails et veux seulement vous dire qu'elle a chanté avant la communion un petit couplet que j'avais composé pour ce matin. 4 Quand Jésus a été dans mon coeur elle a chanté encore ce couplet de " Vivre d'Amour ": Mourir d'Amour c'est un bien doux martyre. Je ne puis vous dire comme sa voix était haute et belle, elle m'avait promis de ne pas pleurer pour me faire plaisir; mes espérances ont été bien dépassées. Le bon Jésus a dû parfaitement entendre et comprendre ce que j'attends de Lui et c'était justement ce que je voulais!... (2v ) Mes soeurs, je le sais, vous ont parlé de ma gaîté; c'est vrai que je suis comme un pinson excepté quand j'ai la fièvre; heureusement elle ne vient ordinairement me visiter que le soir, à l'heure où les pinsons sommeillent, la tête cachée sous l'aile. Je ne serais pas si gaie que je le suis si le Bon Dieu ne me montrait que la seule joie sur la terre, c'est d'accomplir sa volonté. Un jour, je me crois à la porte du Ciel à cause de l'air consterné de Mr de Cornière, et le lendemain il s'en va tout joyeux, disant: Vous voilà en voie de guérison... Ce que je juge, moi (petit bébé au lolo), 5 c'est que je ne guérirai pas mais que je pourrais traîner longtemps encore - A Dieu, mes chers Parents, je ne vous dirai qu'au Ciel mon affection. tant que je traînerai, mon crayon ne pourra vous la traduire.

Votre petite fille

Th. de l'Enfant Jésus

r.c.i.




256

LT 256 A Sr Marthe de Jésus.

J.M.J.T.


Ma chère petite soeur, je me rappelle à l'instant que je ne vous ai pas fêté votre anniversaire. 1 Ah! croyez que c'est un oubli qui me crève le coeur, je m'en faisais une si grande joie. Je voulais vous offrir la prière sur l'humilité, 2 elle n'est pas tout à fait finie de recopier mais bientôt vous l'aurez. Votre petite jumelle 3 qui ne pourrait dormir si elle ne (v ) vous envoyait ce petit mot.

Thérèse de l'Enfant Jésus

rel. carm. ind.




257

LT 257 A Léonie.

J.M.J.T.

17 Juillet 1897


JÉSUS +


Ma chère Léonie


Je suis bien heureuse de pouvoir encore m'entretenir avec toi, il y a quelques jours je ne pensais plus avoir cette consolation sur la terre mais le bon Dieu paraît vouloir prolonger un peu mon exil, je ne m'en afflige pas car je ne voudrais point entrer au Ciel une minute plus tôt par ma propre volonté. L'unique bonheur sur la terre c'est de s'appliquer à toujours trouver délicieuse la part que Jésus nous donne, Ps 15,6 la tienne est bien belle, ma chère (v ) petite soeur, si tu veux être une sainte cela te sera facile! puisqu'au fond de ton coeur le monde n'est rien pour toi. Tu peux donc comme nous t'occuper de " l'unique chose nécessaire ", Lc 10,41 c'est-à-dire que tout en te livrant avec dévouement aux oeuvres extérieures ton but soit unique: Faire plaisir à Jésus, t'unir plus intimement à Lui.
Tu veux qu'au Ciel je prie pour toi le Sacré Coeur, sois sûre que je n'oublierai pas de Lui faire tes commissions et de réclamer tout ce qui te sera nécessaire pour devenir une grande Sainte.
A Dieu, ma soeur chérie, je voudrais que la pensée de mon entrée au Ciel te remplisse d'allégresse, puisque je pourrai t'aimer encore davantage.

Ta petite soeur Th. de l'Enfant Jésus


(v tv) Je t'écrirai plus longuement une autre fois, je ne le puis maintenant, bébé ayant besoin de faire dodo. 1


258

LT 258 A l'abbé Bellière.

J.M.J.T.


18 Juillet 1897

Jésus +


Mon pauvre et cher petit Frère,


Votre douleur me touche profondément, 1 mais voyez comme Jésus est bon, Il permet que je puisse encore vous écrire pour essayer de vous consoler et sans doute ce n'est pas la dernière fois. Ce doux Sauveur entend vos plaintes et vos prières c'est pour cela qu'Il me laisse encore sur la terre. Ne croyez pas que je m'en afflige, oh! non, mon cher petit frère, au contraire, car je vois dans cette conduite de Jésus combien Il vous aime!...
Je me suis sans doute bien mal expliquée dans mon dernier petit mot puisque vous me dites, mon très cher petit frère " de ne pas vous demander cette joie que je ressens à l'approche du bonheur ". Ah! si pour quelques instants vous pouviez lire dans mon âme, que vous seriez surpris! 2 la pensée du bonheur céleste, non seulement ne me cause aucune joie, mais encore je me demande parfois comment il me sera possible d'être heureuse sans souffrir. Jésus, sans doute, changera ma nature, autrement je regretterais la souffrance et la vallée des larmes. Ps 84,7 Jamais je n'ai demandé à Dieu de mourir jeune (1v ) cela m'aurait paru de la lâcheté, mais Lui, dès mon enfance a daigné me donner la persuasion intime que ma course ici-bas serait courte. C'est donc la seule pensée d'accomplir la volonté du Seigneur qui fait toute ma joie.
O mon petit frère, que je voudrais pouvoir verser en votre coeur le baume de la consolation! Je ne puis qu'emprunter les paroles de Jésus à la dernière cène, Il ne pourra s'en offenser puisque je suis sa petite épouse et que par conséquent ses biens sont à moi. 3 Je vous dis donc comme Lui à ses intimes: " Je m'en vais à mon Père, mais parce que je vous ai parlé de la sorte, vous avez le coeur rempli de tristesse, e vous dis pourtant la vérité: il est de votre intérêt que je m'en aille. Vous êtes maintenant dans la tristesse, mais je vous reverrai, et votre coeur sera dans la joie et personne ne vous ôtera votre joie." Jn 16,5-7 Jn 16,22
Oui j'en suis certaine, après mon entrée dans la vie la tristesse de mon cher petit frère se changera en une joie paisible qu'aucune créature ne pourra lui ravir. Je le sens, nous devons aller au Ciel par la même voie, celle de la souffrance unie à l'amour. Quand je serai au port je vous enseignerai, cher petit frère de mon âme, comment vous devrez naviguer sur la mer orageuse du monde avec l'abandon et l'amour d'un enfant qui sait que son Père le chérit (2r ) et ne saurait le laisser seul à l'heure du danger. Ah! que je voudrais vous faire comprendre la tendresse du Coeur de Jésus, ce qu'il attend de vous. Dans votre lettre du 14 4 vous avez fait tressaillir doucement mon coeur, j'ai compris plus que jamais à quel point votre âme est soeur de la mienne puisqu'elle est appelée à s'élever vers Dieu par l'ASCENSEUR de l'amour et non pas à gravir le rude escalier de la crainte... Je ne m'étonne en aucune façon que la pratique de la familiarité avec Jésus vous semble un peu difficile a réaliser; on ne peut y arriver en un jour, mais j'en suis sûre, je vous aiderai beaucoup plus à marcher par cette voie délicieuse quand je serai délivrée de mon enveloppe mortelle, et bientôt comme St Augustin vous direz: " L'amour est le poids qui m'entraîne. " 5
Je voudrais essayer de vous faire comprendre par une comparaison bien simple 6 combien Jésus aime les âmes même imparfaites qui se confient en Lui: Je suppose qu'un père ait deux enfants espiègles et désobéissants, et que venant pour les punir il en voie un qui tremble et s'éloigne de lui avec terreur, ayant pourtant au fond du coeur le sentiment qu'il mérite d'être puni; et que son frère, au contraire, se jette dans les bras du Père en disant qu'il regrette de lui avoir fait de la peine, qu'il l'aime et que, pour le prouver, il sera sage désormais, puis si cet enfant demande à son Père (2v ) de le punir par un baiser, je ne crois pas que le coeur de l'heureux père puisse résister à la confiance filiale de son enfant dont il connaît la sincérité et l'amour. Il n'ignore pas cependant que plus d'une fois son fils retombera dans les mêmes fautes mais il est disposé à lui pardonner toujours, si toujours son fils le prend par le coeur... Je ne vous dis rien du premier enfant, mon cher petit frère, vous devez comprendre si son père peut l'aimer autant et le traiter avec la même indulgence que l'autre...
Mais pourquoi vous parler de la vie de confiance et d'amour? je m'explique si mal qu'il me faut attendre le ciel pour vous entretenir de cette heureuse vie. Ce que je voulais faire aujourd'hui, c'était vous consoler. Ah! que je serais heureuse si vous accueilliez ma mort comme l'accueille mère Agnès de Jésus. Vous ignorez sans doute qu'elle est deux fois ma soeur et que c'est elle qui m'a servi de mère en mon enfance, notre bonne Mère craignait beaucoup que sa nature sensible et sa grande affection pour moi lui rendent bien amer mon départ; le contraire est arrivé; elle parle de ma mort comme d'une fête et c'est une grande consolation pour moi; je vous en prie, mon cher petit frère, essayez comme elle de vous persuader qu'au lieu de me perdre vous me trouverez, et que je ne vous quitterai plus. Demandez la même grâce pour la Mère que vous aimez et que j'aime encore plus que vous ne l'aimez puisqu'elle est mon Jésus visible. - Je vous donnerais avec joie ce que vous demandez, 7 si je n'avais pas fait le voeu de pauvreté mais, à cause de lui, je ne puis même disposer d'une image, c'est notre Mère seule qui peut vous satisfaire et je sais qu'elle (2v tv) comblera vos désirs. Justement, en vue de ma mort prochaine, une soeur m'a photographiée pour la fête de (1v tv) notre Mère. Les novices se sont écriées en me voyant que j'avais pris mon grand air, 8 il paraît que je suis ordinairement plus souriante, mais croyez, mon petit frère, que si ma photographie ne vous sourit pas, mon (2r tv) âme ne cessera de vous sourire quand elle sera près de vous. A Dieu mon cher et très aimé frère, croyez que je serai toute l'éternité votre vraie petite soeur.

Th. de l'Enfant Jésus r.c.i.




259

LT 259 A soeur Geneviève.

J.M.J.T.

22 Juillet 1897 - Fête de Ste Madeleine

Jésus +


" Que le juste me brise par compassion pour les pécheurs, que l'huile dont on parfume la tète n'amollisse point la mienne. " Ps 140,5
Je ne puis être brisée que par des justes, puisque toutes mes soeurs sont agréables à Dieu.
C'est moins amer d'être brisé par un pécheur que par un juste, mais par compassion pour les pécheurs, pour obtenir leur conversion, (v ) je vous demande, ô mon Dieu! d'être brisée pour eux par les âmes justes qui m'entourent. Je vous demande encore que l'huile des louanges si douce à la nature n'amollisse pas ma tête, c'est-à-dire mon esprit, en me faisant croire que je possède des vertus qu'à peine j'ai pratiquées plusieurs fois. O Jésus, votre nom est comme une huile répandue, Ct 1,2 c'est dans ce parfum divin que je veux me baigner tout entière, loin du regard des créatures...



Thérèse EJ, Lettres 243