Thérèse EJ, Poésies 10000



INTRODUCTION GENERALE AUX POESIES


Les Poésies restent sans doute, avec les Récréations pieuses, la part la plus méconnue des écrits de Thérèse de Lisieux. Elles cristallisent nombre de préjugés et de lieux communs et ont contribué à une certaine réputation de mièvrerie qui l'entoure encore, bien que les exégètes de sa pensée, Mgr André Combes, le P. François de Sainte Marie, Hans Urs von Balthasar, Jean Guitton, Jean-François Six, Conrad De Meester, et, dès l'origine, le P. Godefroid Madelaine aient insisté sur l'importance que revêtent les poésies pour la connaissance et l'interprétation de son message.
Méconnues, elles sont surtout mal connues. Quinze sont restées inédites jusqu'en 1979, -- à savoir: PN 2, 6, 7, 9, 11, 12, 15, 19, 22, 29, 37, 38, 39, 49, 50, auxquelles il faut ajouter les huit PS (Poésies supplémentaires) -- mais quatre de celles-ci seulement offrent un véritable intérêt: (PN 6, 22, 29 et surtout 50). Toutes les autres avaient paru dans les éditions anciennes de l'Histoire d'une Ame, dans des versions retouchées par Mère Agnès de Jésus qui, souvent, modifiaient la pensée de Thérèse. Elles n'avaient d'ailleurs plus été rééditées entre 1953 et 1979.
Pour peu qu'on les examine attentivement, elles se révèlent en effet plus riches qu'il ne paraît de prime abord. Car telle est la problématique de cette poésie: il faut dépasser l'apparence naïve de l'expression pour découvrir les trésors qu'elle recèle.
La poésie n'est pas « un art d'agrément » pour Thérèse, qui ne rime pas pour son plaisir, mais, sinon par devoir, du moins avec le souci de servir, d'aider, d'encourager (cf. LT 220 par exemple). Elle suit une tradition, celle du Carmel. Le petit don qu'on lui reconnaît, elle doit l'employer et cela jouera un rôle important dans sa vie, sans être jamais un but en soi.
Pour bien apprécier son oeuvre poétique, il convient de ne pas oublier qu'elle a été écrite entre février 1893 et mai 1897, par une jeune fille entre vingt et vingt-quatre ans sans aucun « métier ». Sa culture littéraire est en effet fort médiocre, comme sa culture générale et son orthographe. Sa soeur Céline a donné, de vive voix, d'intéressantes précisions sur ces compositions: (Précisions recueillies par soeur Marie-Henriette vers 1953)
1 Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus n'avait appris de personne les règles de la versification qu'elle ignorait. Elle avait seulement profité de ce que ses études classiques lui en avaient insinué ayant retenu, par exemple, des passages de l'Art poétique de Boileau.
2 Elle n'utilisa jamais de « dictionnaire de rimes », car il n'y en avait pas au Carmel.
3 Elle n'avait écrit aucune poésie avant son entrée en religion, et ne le fit au Carmel que pour répondre, le plus souvent, aux désirs de ses soeurs.
4 Elle composait souvent au cours de sa journée, pendant son travail ou certains moments de recueillement; mais, à part les jours chômés, comme le dimanche, elle devait attendre l'heure de temps libre du soir pour écrire ses compositions. Elle n'avait pas d'auteurs poétiques préférés, mais elle avait goûté certaines oeuvres lues dans des recueils de Morceaux choisis; elle lisait aussi avec plaisir les Fables de La Fontaine, et elle en savait plusieurs par coeur.
5 Elle faisait ordinairement un brouillon de sa première inspiration, et elle le travaillait jusqu'à ce qu'elle en ait satisfaction. Mais pour elle, évidemment, les idées profondes de son sujet comptaient plus encore que la forme poétique à leur donner, et elle disait que, souvent, elle en était gênée pour dire exactement le fond de sa pensée.

En fait, à côté de quelques romantiques, Lamartine, Musset, Chateaubriand, les « modèles poétiques » de Thérèse sont les cantiques qu'on chante au Carmel, les images pieuses dont elle s'entoure, les poésies de ses soeurs (notamment de Mère Agnès de Jésus) et les textes, en général fort pauvres, des chansons sur lesquelles elle va calquer ses rythmes. Qu'on lise après cela des poèmes tels que Vivre d'Amour, Au Sacré-Coeur, Jésus seul, Mes Armes ou Une Rose effeuillée et l'on constatera à quel point ils témoignent d'un génie spontané où le matériau poétique est sublimé par l'intensité spirituelle. Mais Thérèse est portée surtout par les textes bibliques et liturgiques qui sont sa nourriture quotidienne, c'est en eux qu'elle puise l'essentiel de son inspiration.


GENRES LITTERAIRES

Toutes les poésies de Thérèse ne sont pas d'égale valeur, il s'en faut de beaucoup. Elle-même avait fait des choix dans cette abondante production, née au hasard de la vie de son couvent, notamment pour ses « frères spirituels », Maurice Bellière et Adolphe Roulland; et à la fin de sa vie, elle acceptait d'en envisager la publication.
Ces pièces ont des destinations bien différentes. Certaines ne sont que des « compliments » sans aucune prétention où Thérèse, pour des raisons diverses, se livre peu; d'autres des poèmes de circonstance ou Fêtes de communauté, non dépourvus de charme parfois. Beaucoup sont des commandes de ses soeurs, où tantôt elle rime docilement selon l'inspiratrice, tantôt se confie un peu (Mon Ciel à moi, Enfant tu connais mon nom, L'abandon, Un lys au milieu des épines) et tantôt se livre complètement (Mon chant d'aujourd'hui, Au Sacré-Coeur de Jésus, Rappelle-toi, J'ai soif d'Amour, Ce que je verrai bientôt, Comment je veux aimer, Ma joie) sans cependant oublier en route la destinataire (cf. Jésus seul).
Très voisins sont les poèmes «à l'intention» de telle ou telle soeur (Sainte Cécile, La Reine du Ciel à son enfant, Mon Ciel ici-bas, etc.) et la distinction est parfois difficile à faire. Fréquemment Thérèse profite d'une circonstance pour enrober une leçon (Rappelle-toi), un encouragement (Histoire d'une bergère), modulés avec beaucoup de délicatesse, et ces poèmes requièrent une exégèse délicate, car il faut éviter de les interpréter seulement en fonction de l'auteur (Mon Ciel à moi).
Il y a enfin des poèmes de libre expression personnelle (même s'ils répondent à une demande ou comportent des dédicaces), dans des genres également différents:
- souvenirs d'enfance auxquels sont associées ses soeurs Martin (surtout Prière de l'enfant d'un saint);
- hymnes d'inspiration liturgique (Jeter des fleurs), exaltation des saints dont elle se sent proche et qui sont ses modèles (Sainte Cécile, Répons de sainte Agnès, A Jeanne d'Arc), de la Sainte Vierge (Pourquoi je t'aime, ô Marie);
- poèmes de combat et d'apostolat (Mes Armes);
- et surtout poèmes de contemplation et d'amour de Jésus, de la Sainte-Face, du Sacré-Coeur, toute la gamme des poèmes d'amour et de fiançailles, de plus en plus lumineux et tragiques, tandis que tombe la nuit de la foi (Vivre d'Amour, Au Sacré-Coeur, Rappelle-toi, Répons de sainte Agnès, J'ai soif d'Amour, Ce que je verrai bientôt, Jésus seul, Comment je veux aimer, Ma Joie, Une Rose effeuillée).


LE « METIER » POETIQUE

Si Thérèse n'a pas eu de maître et a rimé d'abord sans prétention, elle n'en a pas moins tenté de respecter les règles habituelles, que ne manquait pas d'ailleurs de lui rappeler sa soeur Agnès, dont les nombreuses corrections relevaient souvent de ce souci honorable (en revenant au texte authentique de Thérèse, on retrouve naturellement nombre de fautes de prosodie et de syntaxe).
Et tout en s'intéressant davantage aux idées qu'à la forme, Thérèse a travaillé assidûment à assouplir son métier poétique, sachant bien que ce qu'elle voulait dire prendrait davantage de force dans une expression plus élaborée. Les brouillons et les nombreuses versions de la plupart de ses poèmes sont là pour en témoigner.


LE SUPPORT MUSICAL

En communiquant au Fr. Siméon de Rome une sélection des poésies de sa soeur, parmi « les plus typiques », soeur Geneviève a soin d'indiquer les airs, parce que, dit-elle, « c'est plus joli chanté ». Sans doute était-ce aussi l'avis de Thérèse, qui signale généralement la mélodie choisie (*). ------- (*) NOTE: Au total, ce sont trente-neuf airs différents qu'on a pu identifier pour les poésies. Les nouvelles mélodies introduites dans les Récréations pieuses porteront le total à soixante-huit. Cf. Poésies, I, pp. 31-32 et II, pp. 22-25; Récréations, pp. 411 ss. -------
Il nous est difficile aujourd'hui de ratifier ce jugement, tant est grand le décalage entre notre univers culturel et celui d'il y a un siècle dans un cercle provincial très fermé. La majeure partie de ces airs date terriblement, à la manière des chapeaux des dames sur de vieilles photos de famille. Or c'est le visage qui importe, et non le chapeau. Ainsi, loin de mettre en valeur la poésie de Thérèse, sa «musique» risque plutôt de la ridiculiser, comme un ornement suranné.
Les modèles de son choix n'étaient pas faits, le plus souvent, pour lui former le goût. L'adaptation rythmique ne la préoccupe guère. Les syllabess muettes tombent sur des temps forts de la musique, et vice versa. Il est probable qu'une fois l'air choisi, Thérèse ne retient plus que le nombre de syllabes: rythme et mélodie suivent alors tant bien que mal.
Ses airs préférés figurent dans ce répertoire. Elle les choisit spontanément pour ses créations les plus personnelles. Sans doute reconnait-elle en eux quelque chose de son propre chant. Ils offrent un rythme large, une expression fervente ou nostalgique qui répond à ses sentiments. A quelques maladresses près, il y a vraiment alors coïncidence entre le texte et la musique. Mais il faut convenir que ces cas restent rares. En fait, son harmonie est avant tout spirituelle, « mélodie du Ciel » qui transcende toute écriture.


CE QUE CHANTE THERESE DE LISIEUX

Car la vie de Thérèse est un chant d'amour. Dès la première page des Manuscrits autobiographiques, elle annonce: « Je ne vais faire qu'une seule chose: commencer à chanter ce que je dois redire éternellement: Les Miséricordes du Seigneur! » (MSA 2,1r ) Cette citation du Ps 88 (Ps 89,2) surmonte également les « armoiries de Jésus et de Thérèse » où près de la Sainte-Face, figure une harpe avec cette légende: « La harpe représente Thérèse qui veut sans cesse chanter à Jésus des mélodies d'amour. (MSA 85,2v ). C'est ainsi qu'elle restera dans le souvenir des soeurs, avant que s'impose l'image de Thérèse aux roses: Mère Agnès avait choisi pour premier titre à l'Histoire d'une Ame: « Un cantique d'amour »; Marie du Sacré-Coeur disait de sa soeur, dès le 14 juillet 1897, « sa vie n'aura été qu'une céleste mélodie », p. 703) et le premier tableau de Céline (en 1899) représentait Thérèse, l'Evangile sur son coeur et touchant les cordes d'une harpe. Une sainte Cécile en carmélite).
Ce chant est éminemment « chrétien »: lorsqu'on chante, c'est pour quelqu'un, au nom de quelqu'un, à quelqu'un. Le chant de Thérèse, jamais égoïste, s'adresse à sa famille, à ses soeurs, à ses frères missionnaires, aux saints du ciel, à la Sainte Vierge, à Dieu; et il est surtout un dialogue spirituel ou mystique avec Jésus.
Thérèse fait ainsi dialoguer sans cesse la terre et le ciel; sa poésie est fondamentalement un « chant d'exil » sur la terre étrangère au bord du rivage, avec une fréquente référence au Psaume 136, Super flumina Babylonis, (Ps 137,1-9) (Cf. La Bible avec Thérèse de Lisieux, Cerf-DDB, 1979). un chant qui s'adresse au ciel (la Patrie) ou parle du Ciel. D'où si souvent un mouvement de va-et-vient entre ciel et terre, et le rôle des anges, du vol, des ailes.
Cette échelle de Jacob, ce pont aérien qu'elle établit entre la terre et le ciel, exalte ainsi « les miséricordes du Seigneur »: la poésie de Thérèse chante un perpétuel émerveillement, son action de grâces devant le Tout-Puissant qui s'est fait homme et a épousé l'humble humanité. D'où ces nombreuses images ou ces alliances de mots paradoxales qui donnent un tel bondissement d'amour à tant de poèmes.
Car la plus grande merveille pour Thérèse, le sujet inépuisable de sa poésie, c'est l'amour de Jésus (identifié parfois à toute la Trinité) le Seigneur du monde qui est son fiancé, son époux, un amour auquel elle répond par un amour passionné, de plus en plus dépouillé brûlant, martyrisé et combattant, jusqu'à l'oblation absolue d'Une Rose effeuillée. Chant d'une grande amoureuse presque « possessive » et cette note (déjà si fortement présente chez saint Paul, chez Pascal) sera constante dans ses poèmes, avec une audace qui fera parfois reculer ses soeurs.
Une « joie » remarquable (ressentie ou non) raffine encore le bonheur d'aimer et accentue la vibration poétique. La souffrance physique ou morale, l'abnégation d'une vie austère, l'épreuve même de la foi sont vues dans une perspective foncièrement positive, parce que derrière elles, il y a l'Amour de Dieu auquel l'amour de Thérèse ne fait que répondre.
Dans cette optique, les Poésies sont encore très révélatrices du grand mouvement de la prière de Thérèse. Le « Tu » (et en sens inverse le « Je » divin) sont constants. La contemplative Thérèse, qui ne passe jamais plus de trois minutes sans penser explicitement « au bon Dieu » (cf. CSG 77), prie en composant ses poèmes au cours de sa journée de travail. Le « Tu » libère les ressources de familiarité qui étaient enfermées en elle. Si, d'après ses confidences à Céline (CSG 82), elle tutoie Jésus dans sa prière, ce qu'elle n'ose pas faire quand elle parle ou écrit, elle l'ose dans ses Poésies.
La forme poétique lui permet d'exprimer toute la tendresse de son être de femme, d'épouse. Combien de fois ne la voit-on pas dans « les bras » du Bien-Aimé, reposant sur son coeur, lisant dans son regard, caressant son visage, aspirant à recevoir de lui le baiser de l'amour! Rares sont les êtres qui auront cru si profondément, si charnellement, pourrait-on dire, à l'Incarnation du Fils de Dieu. Ce qu'elle trouvait encore de «satisfaction naturelle» sera totalement épuré par l'épreuve de la foi, comme elle l'assure dans le Manuscrit C (MSC 7,2v ), juste après avoir parlé de ses poésies. Le Ressuscité éduque la tendresse naturelle de cette autre Madeleine (MSA 38,2-39,1r ) en la rendant toujours «plus pure et plus divine» (MSC 9,1r; cf Les Répons de Ste Agnès);


IMPORTANCE DES POESIES

Plus on lira les Poésies et mieux on se rendra compte qu'elles sont irremplaçables pour la connaissance de Thérèse de Lisieux. Car l'instrument poétique avec son appel à la musique, à la sensibilité, à l'inconscient, et la difficulté même de la recherche du rythme, des rimes, qui neutralise en quelque manière le contrôle de la réflexion, l'obligent à dire certaines choses, à utiliser certaines images, à dévoiler le fond de son être d'une manière que la prose écarte ou dissimule plus facilement. Il lui permet aussi, dans ses poésies adressées à ses soeurs, de franchir certains murs («Histoire d'une bergère»), de faire passer maints conseils, maintes vérités, qu'il lui serait difficile d'exprimer sans blesser dans la vie courante. Mais, davantage, les poésies nous renseignent sur l'évolution intérieure de Thérèse, sur son épanouissement, son rayonnement, son amour, plus que tout peut-être sur l'âpreté de son combat dans l'épreuve de la foi.
Au terme de cette introduction, on pourrait craindre d'avoir fait la part trop belle à de «pauvres vers» de carmélite dont les images sont souvent conventionnelles. Mais ce qui semble insignifiant de prime abord révèle une richesse et une force inconnues puisées la sainteté de Thérèse, qui savait de même transfigurer par un grand rêve d'amour les gestes les plus humbles de la vie quotidienne et dilater à l'échelle cosmique les limites de son horizon humain (*). ------- NOTE (*) On trouvera dans le volume des «Poésies» de la Nouvelle Edition du Centenaire, toutes les précisions nécessaires sur les manuscrits, les copies, la datation, les destinataires, les variantes, le métier poétique, les mélodies, les corrections de Mère Agnès et les éditions successives. --------


POESIES SUPPLEMENTAIRES (PS)

ATTENTION: Ici notes PRELIMINAIRES aux POESIES SUPPLEMENTAIRES

A/ NOTE PRATIQUE: Pour simplifier les programmes d'accès, les HUIT POESIES SUPPLEMENTAIRES sont mises à la suite des CINQUANTE-QUATRE POESIES désignées par PN dans les Oeuvres complètes,.... Ces poésies sont numérotées ainsi: PS 1 devient POE055
PS 2 ... POE056... etc



INTRODUCTION GENERALE

AUX « - POESIES SUPPLEMENTAIRES - »


Fidèle au propos d'une édition intégrale, on a voulu recueillir jusqu'aux moindres bribes poétiques de Thérèse: essais inachevés, couplets humoristiques écrits de sa main (sinon tous composés par elle). De cet ensemble disparate des huit « poésies supplémentaires », on retiendra surtout les trois demières « mélodies d'amour » de Thérèse malade, dernières vibrations de sa harpe avant le grand silence de la mort.
Le recueil des Lettres s'achève sur de courts billets tracés au crayon d'une main tremblante. Les paroles des Derniers Entretiens se raréfient à mesure que gagne la faiblesse. Il ne reste plus qu'à « la regarder souffrir, sourire, étouffer, pleurer » (DE, p. 510). Pareillement, après le grand cantique final - Pourquoi je t'aime, - Thérèse ne compose plus que trois petits poèmes très courts. Mais ils rendent le son de l'amour le plus pur, de la tendresse la plus exquise: pour sa prieure (PS 6 ), pour une compagne affectée de son depart (PS 7 ), pour Jésus- Hostie qui n'a cessé de « s'abaisser » vers sa « petitesse » (PS 8 ).
Puis elle se tait. Mais celle qui a si bien compris, si obstinément aimé le silence de Dieu nous prévient: le sien sera « le gage de son inexprimable amour » (cf. PN 13,13), « jusqu'au jour sans couchant où s'éteindra la foi » (cf. PN 54,16).

Note d'introduction à la POESIE N 1

« - LA ROSEE DIVINE - »

- DATE - 2 février 1893. - COMPOSEE POUR: Soeur Thérèse de Saint-Augustin, à sa demande. - PUBLICATION: HA 98.(onze vers corrigés). - MELODIE: Minuit, chrétiens.

Un bouton de rose qui s'entrouvre au premier rayon de soleil, sous l'effet de la rosée du matin: on ne sera pas surpris de rencontrer emblème aussi thérésion au seuil des Poésies.
Avec la tranquille hardiesse de l'enfant, à l'aise dans le mystère, Thérèse suit le cheminement de cette « rosée céleste ». Elle en reconnaît le « parfum matinal » dans la Fleur sanglante du Calvaire; elle en retrouve la saveur dans « le Pain de l'ange », le Corps eucharistique du Seigneur, « Verbe fait hostie » après s'étre fait chair par la médiation de Marie. Sur le ton qui lui est propre, fut-ce en balbutiant, Thérèse chante finalement le même «Ave verum» que saint Thomas d'Aquin.
C'était une entreprise téméraire, pour qui n'avait jamais versifié, d'aborder d'entrée de jeu un sujet aussi difficile. Derrière l'inexpérience, spécialement dans la continuité et l'appropriation des images, se révèle une capacité à faire accéder, par un mode poétique, à « des mystères plus cachés et d'un ordre supérieur » (LT 134).
Soeur Thérèse de Saint-Augustin a raconté comment elle demanda cette poésie à Thérèse (Souvenirs d'une sainte amitié, publiés en VT n 100, pp. 241-255), avant de lui faire pratiquer une charité héroïque à la fin de sa vie (cf. MSC 14,1r )...
L'allaitement du Fils de Dieu par une Mère Vierge est un aspect de l'Incarnation chanté par l'Eglise à travers les siècles. Thérèse en a reçu la tradition par la liturgie et par divers auteurs spirituels (notamment à travers L'Année Liturgique de Dom Guéranger). Indéniable est aussi l'influence de la Vie de soeur Marie de Saint-Pierre, dont Thérèse de Saint-Augustin était une fervente lectrice.

Note 1. Le mot « rosée » se rencontre cinquante fois dans les écrits, Petite Normande, Thérèse puise d'abord ses images dans les richesses de la nature (cf. LT 141). Rosée sera une métaphore du Sang de Jésus (PN 24 RP 2,8r ), du baptême (PN 44 RP 2,6v ) ou de l'Eucharistie (LT 240).

Note 2. Emploi assez rare: quatorze fois (dont sept ici); Thérèse n'a jamais digéré le lait...

Note 3. « Jésus, qui vous a fait si petit? L'amour » (saint Bernard, cité en LT 162).

Note 4. Cf. PN 13,9, 2+.

Note 5. Cf. PN 13,4+.

Note d'introduction à la POESIE N 2

« - A NOTRE MAITRESSE ET MERE CHERIE - »

- DATE: 20 février 1894 . - COMPOSEE POUR: Mère Marie de Gonzague « pour fêter ses soixante ans ». - PUBLICATION: Poésies, 1979 .

Mère Marie de Gonzague est maîtresse des novices depuis qu'il y a juste un an, Mère Agnès de Jésus l'a remplacée comme prieure. Thérèse, au noviciat, s'occupe de soeur Marthe de Jésus et de soeur Marie-Madeleine depuis un peu moins d'un an.

Note d'introduction à la POESIE N 3

« - SAINTE CECILE - »

- DATE: 28 avril 1894. - COMPOSEE POUR: Céline, lors de ses vingt-cinq ans,
et jointe à LT 161. - PUBLICATION: HA 98 (dix-sept vers corrigés) . - MELODIE: Hymne à l 'Eucharistie, « Dieu de paix et d'amour »
ou bien « Prends mon coeur, le voilà, Vierge, ma bonne Mère ».
Le premier poème spontané de Thérèse est aussi comme une « Première Symphonie » par sa vaste composition, l'imbrication des thèmes, un certain style noble, la disposition en grandes stances. C'est un message à Céline qui reste seule, près d'un vieux père presque inconscient. Bien que déjà consacrée à Dieu par voeu privé, elle est tentée par le mariage. Thérèse caresse le rêve de l'avoir auprès d'elle au Carmel (MSA 82,1r ) Pour la séduire sans la brusquer, elle recourt au mode poétique: « l'histoire de Cécile » n'est-elle pas la parabole prophétique de « l'histoire de Céline » (cf. LT 161)?
Thérèse tente de « balbutier » les correspondances qu'elle pressent entre virginité, mariage et martyre. Elle ne discrédite pas l'admiration de sa soeur pour le mariage; cependant elle l'oriente vers une fécondité spirituelle plus grande encore: celle de la virginité consacrée.
Mais c'est aussi un chant personnel où Thérèse exprime sa « tendresse d'amie » pour Cécile, sa « sainte de prédilection » MSA 61,2v; cf. LT 149 ), qui est, par-dessus tout, « la sainte de l'abandon »; de cet abandon, Thérèse fera bientôt l'une des composantes fondamentales de sa « petite voie ».
Thérèse emprunte les éléments historiqucs de son poème à l'office propre du Bréviaire romain (22 novembre) et à « Sainte Cécile et la société romaine aux deux premiers siècles » de Dom Guéranger (1875).

Note 1. Cf. MSA 22,1r; PN 18,47; et VT n 61, p. 74.

Note 2. Les vv 29-32 sont déjà une amorce de la « petite voie ».

Note 3. Cf. le commentaire de Jean de la Croix dans le Cantique spirituel, XXXV.

Note 4. Thérèse a découvert dès 1889, non seulement la Face douloureuse, mais aussi la Face lumineuse de Jésus; cf. LT 95. Vingt et une mentions dans les Poésies, cf. PN 20+.

Note 5. Cf. MSA 61,2v . Thérèse suivra l'exemple de Cécile en portant constamment l'Evangile sur son coeur.

Note 6. En huit vers (61-68), condensé de l'essentiel de l'initiation chrétienne.

Note 7. Le discours de l'ange développe une idée chère à Thérèse, celle de la supériorité des humains sur les anges (PN 10,9 PN 13,2 LT 83 RP 2, fin, note; RP 5,1r; CJ 16.8.4; d'où une certaine « jalousie » chez ceux-ci.

Note 8. Cette touche délicate et bien thérésienne précise la qualité spécifique de l'apostolat de Cécile et Valérien: ayant choisi la chasteté parfaite, ils engendrent spirituellement une postérité à leur image, éprise de virginité (cf. l'exclamation de Thérèse sur le brouillon de Poésies II p. 178

Note 9. Les quatre derniers vers datent sans doute de mai 1897.

Note d'introduction à la POESIE N 4

« - CANTIQUE POUR OBTENIR LA CANONISATION DE LA VENERABLE JEANNE D'ARC - ».

- DATE: 8 mai 1894. - COMPOSEE POUR: elle-même et dédiée à Céline . - PUBLICATION: HA 98 (quinze vers corrigés) . - MELODIE: Pitié mon Dieu .

Une poésie patriotique et religieuse, où l'expression reste presque toujours banale. Thérèse met naturellement l'accent sur les vertus chrétiennes et profondes de son héroïne. Elle noue en quelques couplets les thèmes principaux de ses deux pièces consacrées à Jeanne d'Arc: la vocation (str. 3 et 4), sujet de RP 1 (21 janvier 1894 RP 1); la mission et la passion (str. 5-6 ct. 8-9), sujet de RP 3 (21 janvier 1895) et la mission posthume (str. 10-11) La strophe 3 reprend un couplet de RP 1,5r . Sur les circonstances de cette composition, voir les introductions de ces deux Récréations.
De l'enthousiasme de Thérèse, on retrouve les nuances variées dans les titres dont elle signe la copie originale de son cantique: « Un Soldat Français, défenseur de l'Eglise, admirateur de Jeanne d'Arc », le dédiant à sa soeur, le « Valeureux chevalier C. Martin ».

Note d'introduction à la POESIE N 5

« - MON CHANT D'AUJOURD'HUI - »

- DATE: 1er juin 1894 . - COMPOSEE POUR: Soeur Marie du Sacré-Coeur, à sa demande, pour sa fête . - PUBLICATION: HA 98 (vingt et un vers corrigés). - MELODIE: Hymne à l'Eucharistie, « Dieu de paix et d'amour »; ou bien: Une religieuse à son crucifix.

Cette poésie est née d'un entretien du printemps 1894 avec Marie du Sacré-Coeur. Thérèse exprime leurs pensées communes pour la fête de son ainée. L'image, l'attitude d'âme se développe harmonieusement et sans forcer tout au long du poème: celle d'un être faible qui ne peut rien promettre ou demander pour demain, mais qui est tout donné à Dieu, confiant dans sa grâce. Cette poésie, très riche, rassemble en un faisceau plusieurs grands thèmes chers à Thérèse.
L'expression est simple, avec des images familières à Thérèse, et l'enthousiasme grandit peu à peu, tout en gardant sa modestie, grâce à la ritournelle: « Rien que pour aujourd'hui. » La strophe finale est bien thérésienne avec son envol puissant et définitif.
La tonalité lamartinienne, qui reflète le goût de Marie du Sacré-Coeur, est indéniable. Mais, à la constatation négative du poète: « Et nous n'avons à nous que le jour d'aujourd'hui » (L'Homme), Thérèse répond positivement: « Ce qui compte pour nous, c'est le jour d'aujourd'hui », cet aujourd'hui de Dieu qui nous apporte sa grâce. Il faut souligner la cohérenee de cette poésie avec toute la vie de Thérèse (cf. LT 89 LT 96 LT 169 LT 241 et CJ 19.8.10.
En dehors de Lamartine, on peut noter la parenté avec un feuillet, « Mon aujourd'hui », que Thérèse conservait dans un livre d'usage courant. Mais la visée dépasse ici la perspeetive de patience dans la souffrance à laquelle se limitait ce texte.

Note 1. Mot bien thérésien qu'on rencontre cent dix fois dans les écrits.

Note 2. Unique emploi chez Thérèse.

Note 3. Ce verset biblique (Ps 31,21) va revenir encore quatre fois dans les Poésies (PN 11,3 PN 12,8 PN 16,1 PN 20,5) et sera choisi pour le memento de M. Martin.

Note 4. Cf. PN 25,7+:

Note 5. Sur Marie comme Etoile, cf. RP 1,1r /v; RP 3,12v; MSA 85,2v +.

Note d'introduction à la POESIE N 6

« - LE PORTRAIT D'UNE AME QUE J'AIME - ».

- DATE: 1er Juin 1894. - COMPOSEE POUR: Soeur Marie du Sacré-Coeur, pour sa fête . - PUBLICATION: Poésies, 1979 .

Avec la poésie précédente, cet acrostiche complète le bouquet de Thérèse à son ainée pour la fête du Sacré-Coeur. Cadeau strictement personnel, qui ne sera pas diffusé comme l'autre cantique. L'impression de grandeur qui s'en dégage traduit bien l'ascendant de Marie sur sa petite soeur et filleule, sa « petite fille » après l'entrée de Pauline au Carmel (cf. LT 49 LT 75 LT 113 LT 197).

Note d'introduction à la POESIE N 7

« - CHANT DE RECONNAISSANCE A NOTRE-DAME DU MONT-CARMEL - ».

- DATE: 16 juillet 1894. - COMPOSEE POUR: Soeur Marthe de Jésus, à l'occasion de ses vingt-neuf ans. - PUBLICATION: Poésies, 1979.

Quelques vers faciles dont l'intérêt est plus historique que poétique. Ils font ressortir la délicatesse de Thérèse envers sa novice (orpheline à huit ans) et nous renseignent plus sur la personnalité de celle-ci que sur la vie mariale de leur auteur; notons cependant que Marie apparaît déjà ici « plus Mère que Reine ».

Note d'introduction à la POESIE N 8

« - PRIERE DE L'ENFANT D'UN SAINT - »

- DATE: aout 1894 . - COMPOSEE POUR: elle-même, en souvenir de son père (mort le 29 juillet). - PUBLICATION: HA 98 (vingt-cinq vers corrigés). - MELODIE: Rappelle-toi,

La première poésie de Thérèse à son seul usage. Pendant les semaines qui suivent la mort de son père, c'est la longue remontée des souvenirs dans la paix (cf LT 170) Elle le retrouve dans la prière et feuillette avec lui l'album de famille.
« Rappelle-toi » est une expression importante de son vocabulaire, expression d'un tempérament prompt à tout enregistrer de façon indélébile.
Cette poésie historique, biographique, petit ex-voto dans le sanctuaire familial, dédie une strophe aux parents Martin, une à chacune des quatre filles, trois à Thérèse elle-même et conclut par la passion et la glorification de M. Martin. Ce n'est pas un simple rappel des faits; le souvenir se double déjà d'une interprétation comme bientôt dans son premier Manuscrit.
La malencontreuse faute de syntaxe (se rappeler «de»), qui lui sera coutumière jusqu'à la fin, défigure plusieurs vers. En revanche, il y a peu de scories dans cette méditation lyrique qui coule avec aisance.
Dans un an, Thérèse reprendra la même mélodie, les mêmes rythmes pour un grand poème contemplatif rappelant à Jésus tout ce qu'il a fait pour elle (PN 24).

Note 1. Mme Martin est morte il y a dix-sept ans, le 28 août 1877.

Note 2. Sur la certitude qu'a Thérèse de la présence de son père au ciel, cf. MSA 82,2v .

Note 3. Que l'aînée, Marie, soit la préférée de son père n'est un secret pour aucune de ses soeurs.

Note 4. Surnom donné par M. Martin à Marie, souvent repris par Thérèse dans ses lettres à son père.

Note 5. Surnom donné à Pauline par M. Martin.

Note 6. Agnès a été élue prieure le 20 février 1893.

Note 7. Léonie, alors à la Visitation de Caen.

Note 8. Cf. LT 142 LT 161 LT 165 et MSA 82,1r .

Note 9. Pour Thérèse, la souffrance naît d'un « choix glorieux », d'un regard de la Sainte Face sur un être, un « regard voilé » (LT 120 LT 127 LT 134 LT 140 PRI 12), qui imprime la ressemblance du Serviteur souffrant.

Note 10. Quatre fois dans le Ms A, l'épithète glorieux est appliqué à la maladie de M. Martin (MSA 20,2v , MSA 21,1r , MSA 49,2v , MSA 73,1r; cf. LT 83 et CJ 27.5.6.

Note 11. La décision est donc prise: Céline entrera au Carmel dans un mois, le 14 septembre.

Note 12. Deux surnoms donnés à Thérèse par M. Martin; cf. LT 46.

Note 13. Le belvédère des Buissonnets; cf. MSA 18,1r et PN 18, str. 12 et 13 .

Note 814. Puisque le chef de famille est maintenant dans la gloire, tous les membres y sont aussi en puissance (cf. LT 173).

Note d'introduction à la POESIE N 9

« - PRIERE D'UNE ENFANT EXILEE - »

- DATE: 11 septembre 1894. - COMPOSEE POUR: le P. Almire Pichon pour sa fête, à la demande de soeur Marie du Sacré-Coeur. - PUBLICATION: Poésies, 1979 .

Le P. Pichon est le guide spirituel de Marie du Sacré-Coeur depuis 1882; elle se sent « exilée » parce qu'il vit au Canada. Les rapports sont tendus en août 1894 entre le Carmel et le jésuite à propos de la vocation de Céline, et Thérèse en a « gros sur le coeur », mais « ne lui en veut pas » (LT 168). La composition de cet acrostiche confirme en effet son absence de rancune.

HISTOIRE D'UNE BERGERE DEVENUE REINE.

- DATE: 20 novembre 1894. - COMPOSSE POUR: Soeur Marie-Madeleine du Saint-Sacrement, pour sa profession. Couplet final dédié à Mère Agnès et Mère Marie de Gonzague. - PUBLICATION: HA 98 (douze vers corrigés); dernier couplet et dernier refrain dans Poésies 1979 - MELODIE: Tombé du nid.

Novice, Thérèse avait déjà évoqué l'histoire « d'une petite villageoise qu'un roi puissant viendrait demander en mariage » (LT 109). « La bergère devenue reine », c'est un thème des plus classiques, du folklore universel, style roman du coeur. L'image est de nature à séduire Thérèse, sensible à l'alliance du plus petit et du plus grand, du moins-que-rien et de l'éternel. Elle s'impose d'elle-même ici, puisque Marie-Madeleine (autrefois Mélanie) fut effectivement bergère (cf. RP 7,1 scène 1).
Il fallait être Thérèse pour écrire un poême aussi libre et pétillant à l'intention d'une novice aussi nouée, qui se mure face à la perspicacité de la sainte. Et cependant Marie-Madeleine l'aime: sa déposition au Procès de l'Ordinaire est l'un des plus beaux portraits de Thérèse.
De son côté, celle-ci n'a jamais perdu patience. Ici, pas l'ombre d'une réticence, rien qui laisse deviner quelque agacement, quelque effort. C'est un mystère d'amour: celui du grand Roi pour une pauvre bergère, celui de Thérèse pour son prochain qu'elle aime « comme Jésus l'a aimé ».
Mais c'est aussi elle-même qu'elle chante, ses propres noces; elle prend déjà le ton de celle qui va chanter « éternellement les miséricordes du Seigneur » dans le Manuscrit A.


Thérèse EJ, Poésies 10000