A la Rote 1939-2009 7109

1971 Le juriste et l'environnement


Lettre de la Secrétairerie d'état à l'union internationale des magistrats

7 août 1971

Cette lettre en français adressée au nom du Pape par le secrétaire d'Etat, le cardinal Villot, à M. Oscar Tenorio, président de l'Union internationale des magistrats, évoque le rôle essentiel des juristes dans l'amélioration de l'environnement social.

L'Union internationale des magistrats (UIM) doit prochainement tenir, à Rio de Janeiro, la huitième réunion de son Conseil central sur le thème "Le juriste et les problèmes de l'environnement". A cette occasion, le Souverain Pontife m'a confié le soin de vous exprimer son estime pour les hautes compétences internationales ainsi réunies et ses meilleurs voeux pour que leur étude approfondie du droit et de la jurisprudence conduise à des résultats fructueux.
Le thème de votre conférence est, certes, étroitement délimité et je ne saurais l'ignorer. Ce sont pourtant les mêmes principes fondamentaux qui orientent toutes les recherches faites en vue d'une application concrète. Aussi ai- je voulu vous faire part, Monsieur le Président, de quelques questions graves et urgentes sur lesquelles la communauté humaine est en droit d'attendre, de votre réunion, quelques éclaircissements et lignes de conduite.

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Loi et jugement au service de l'homme

Votre rôle dans la société comme votre tâche à notre époque sont certes difficiles et complexes. Cependant, de par votre profession, votre expérience et le niveau élevé de vos connaissances, vous êtes en mesure d'apporter non seulement de nouvelles perspectives, mais surtout les moyens appropriés pour les réaliser.
La qualité fondamentale du juge, en effet, est le sens moral qui s'exprime avant tout à travers une rigoureuse objectivité de jugement jointe à la plus grande équité. Si la première lui permet de remplir sa haute fonction d'interprète fidèle du droit objectif, il remédie par la seconde aux rigidités de la loi grâce à l'usage exact du droit subjectif. C'est dire que sont confiées à l'honnêteté de son discernement, non seulement de sèches normes juridiques qu'il suffirait d'appliquer mécaniquement, mais aussi tout ce qui concerne leur application à l'homme. C'est ce dernier, en effet fondamentalement, qui est le sujet soumis en définitive à votre jugement et c'est encore lui, dans son rapport à l'environnement, qui constitue le thème de votre assemblée.
L'homme se trouve donc au centre de vos débats et de vos préoccupations c'est lui qui devra orienter vos prises de position et vos conclusions. Les directives formulées par le Secrétariat au sujet des rapports nationaux sur "le juriste et les problèmes de l'environnement" le soulignent du reste fort justement.
Non pas la loi pour la loi, certes, ni le jugement pour le jugement, mais la loi et le jugement au service de l'homme et de son véritable bien, de la vérité et de la justice, qui sont les biens essentiels de la personne humaine et de la vie en commun.
Aussi le droit, ou, plus exactement, celui qui en est l'interprète, doit-il se proposer l'amélioration de la personne ou, au moins, de son environnement social, de manière à aider chacun à suivre spontanément son devoir, c'est-à-dire, en définitive, cette volonté stable et ferme de bien agir, qui est le propre de la vertu de justice (St Thomas d'Aquin Contra Gentiles III, 34; De regimine principum 1,12)
D'où la sage évolution de la jurisprudence moderne, civile et canonique, qui tient compte de la psychologie et des données subjectives comme des circonstances particulières familiales et sociologiques, propres au sujet humain dont le juge doit s'occuper.

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Défense des Droits de l'homme

Dans cette perspective humaine - et essentiellement chrétienne - de la loi et de ses applications, la protection des "Droits de l'homme" qui constituent avec sagesse la base et la caractéristique des diverses chartes constitutionnelles des Etats modernes trouve sa juste place. Evidemment, comme le rappelait le Saint-Père en s'adressant aux juges de la Rote le 29 janvier 1970, lorsque le juge met en oeuvre cette objectivité, cette équité, il ne doit jamais s'écarter des critères fondamentaux du droit naturel, c'est-à-dire humain et juste, ni de la loi en vigueur, ce "droit écrit" qui est supposé être l'expression de la raison et des exigences du bien commun. Aussi, pour tenir compte de tous ces éléments, le juge doit-il avoir une parfaite droiture morale" Plus le juge en sera doté, plus il contribuera, par ses sages sentences, à libérer les institutions et les normes de ces influences délétères qui font porter à l'ambiance sociale le poids d'exigences non conformes à la justice, non respectueuses de la vérité et, en définitive, désastreuses pour la dignité de la personne humaine et le progrès de la société.
Le désir toujours ressenti et toujours plus impérieux de la défense des Droits de l'homme trouvera ainsi, avec votre pleine adhésion, une exacte expression dans les sentences que vous rendrez. On ne peut que s'en réjouir en raison, à la fois de votre prestige personnel et de votre haute capacité professionnelle, et aussi à cause du travail important que votre organisation accomplit sans relâche dans les commissions de défense des Droits de l'homme.
L'espérance que cette défense se développera encore grâce à votre apport compétent est donc fondée. Elle constitue un motif de profond réconfort pour tout homme, face aux craintes et à l'anxiété suscitées trop souvent par son environnement, surtout dans les grandes agglomérations. On pourra alors espérer porter aussi remède au problème soulevé par le Saint- Père dans sa Lettre apostolique à M. le cardinal Roy: "En bien des cas, la législation est en retard sur les situations réelles" (n. 23). Dans d'autres cas, non seulement elle accuse ce retard, mais elle risque aussi, pour des motifs de sécurité, d'aller à l'encontre du respect et de la dignité de l'homme.

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Protéger l'environnement au plan juridique

Votre sens de l'homme saura détecter les aspects négatifs de l'environnement et, grâce à la jurisprudence adaptée que vos sentences contribueront à consolider, vous serez en mesure d'apporter une contribution positive à la formation d'une législation qui sauvegardera tous les biens humains, individuels, familiaux et sociaux, contre toute attaque.
En protégeant l'environnement au plan juridique, vous aiderez donc la personne à s'épanouir au plan moral comme au plan civil. Vous répondez ainsi aux voeux exprimés par le Saint-Père dans la Lettre apostolique déjà citée, quand il observe: "En même temps que le progrès scientifique et technique continue à bouleverser le paysage de l'homme, ses modes de connaissance, de travail, de consommation et de relations, s'exprime toujours, dans ces contextes nouveaux, une double aspiration plus vive au fur et à mesure que se développent son information et son éducation: aspiration à l'égalité, aspiration à la participation; deux formes de la dignité de l'homme et de sa liberté" ( lettre au cardinal Roy n. 22).
Par cette action, votre profession juridique, déjà si grande, se trouvera encore ennoblie et trouvera un surcroît de grandeur à la mesure du service rendu à l'homme, dépositaire des biens éternels par la volonté de Dieu. C'est de lui, en effet, que tout droit tire son origine et en lui que toute justice trouve sa source première et insurpassable et que la communauté humaine découvre les horizons illimités de cette plénitude de la loi qu'est l'amour Rm 13,9-10 1Jn 4,20


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1971 L'homme et son milieu: environnement et droit.


Lettre de la secrétairerie d'état aux juristes catholiques italiens

6 décembre 1971


A l'occasion du congrès de l'Union des juristes catholiques d'Italie, dont le thème est: "L'homme et son milieu", le cardinal Villot fait parvenir, au nom du Saint- Père, à M. Passarelli la lettre suivante qui exprime l'intérêt que l'Eglise porte aux questions qui touchent à l'écologie.

Je me fais un plaisir de transmettre à vous-même et à tous vos collègues de l'Union des juristes catholiques d'Italie les voeux du Saint-Père pour votre vingt-deuxième Congrès, consacré, cette année, à un sujet extrêmement actuel.
Depuis quelque temps, en effet, l'environnement prend une place de plus en plus grande dans les préoccupations des milieux politiques, dans les recherches de nombreuses branches de la science, dans les discussions de différents groupements économiques et sociaux. Et la question n'est pas réservée aux spécialistes. L'opinion publique semble alarmée. De plus en plus souvent, en effet, la presse se préoccupe de la détérioration du milieu naturel, de la pollution de l'air et de l'eau, de la tyrannie du bruit, des déséquilibres physiques et psychiques provoqués par l'accélération du rythme de la vie. Des analyses rigoureuses montrent que cette préoccupation n'est pas due simplement à des slogans ou à des peurs sans fondement, mais que les dangers dénoncés sont réels et que certaines détériorations semblent irrémédiables. Il faut donc agir vite.

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Les lois de la collectivité doivent suppléer aux carences des individus

Il faut cependant aussi reconnaître que l'inquiétude qui se répand, du moins dans les pays où la technique est le plus développée, n'a pas encore suscité les réflexes d'autodiscipline que provoque souvent chez un malade la conscience de son mal. On reste interdit devant les négligences et les abus dont les conséquences rendent l'environnement malsain, appauvrissent les réserves des ressources naturelles, aussi vastes soient-elles, et autorisent des prévisions terrifiantes. Le prix à payer pour remédier à cette situation semble peut-être trop élevé lorsqu'il s'agit de réformer concrètement certaines manières de vivre devenues habituelles, qui apportent des aises considérées comme indispensables.
Or, lorsqu'une menace grave pèse sur le bien commun et que l'on ne peut trop compter sur la coopération spontanée des citoyens pour la conjurer, il devient nécessaire de faire appel au droit et aux formulations juridiques pour que les lois de la collectivité suppléent aux carences des individus. Aujourd'hui, beaucoup d'Etats sont en train d'élaborer des dispositions législatives, et même constitutionnelles, pour défendre l'environnement, la flore et la faune; d'autres se préparent à les imiter, et les institutions internationales étudient des conventions particulières. C'est donc bien à propos que votre congrès a voulu porter son attention sur ce problème.

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Toute atteinte à la création est un affront au Créateur

Vous, juristes chrétiens, qui voulez réfléchir sur les problèmes de votre profession à la lumière de vos convictions chrétiennes vous ne pouvez pas oublier que tout ce qui touche l'environnement touche l'homme dans toute son existence. Et si l'environnement est le milieu ambiant de l'homme, tout ce que l'on dit à son sujet se rapporte aussi à celui que la raison et la foi indiquent d'une façon convergente comme étant son Auteur. Certes, à la base des problèmes de l'écologie, qui montrent clairement qu'un nouveau chapitre des lois humaines est en train de s'écrire, il y a les données scientifiques de la physique, de la biologie, de la médecine. Mais la religion, qui voit dans le créé l'oeuvre même de Dieu, leur donne une dimension et un sens plus élevés.
Cette question touche donc de près les catholiques, en raison de leur conception du monde qui, dans l'harmonieuse richesse des êtres dont il est constitué, chante la gloire et la grandeur de Dieu. Nous devrions à ce propos relire les pages si suggestives de la Bible et des anciens Pères de l'Eglise. La Genèse, les Psaumes, les commentaires de 'l'opus distinctionis' et de 'l'opus ornatus' nous parlent de l'harmonie et de la beauté de la terre, du ciel et de la mer, qui reflètent la perfection même du Dieu créateur. Il a pétri les choses de la puissance de son Esprit, sur le modèle de son Verbe. Ce monde est, en effet, un témoignage de l'action de Dieu, parce que l'oeuvre évoque pour nous l'Auteur" (St Ambroise Exameron I, 17)
Si cette nature est offerte à l'homme pour qu'il en use et en jouisse, ne devra-t-on pas dire que "par droit de nature et d'appartenance" s'applique à elle cette exigence primordiale de justice que la civilisation juridique la plus ancienne a déjà exprimée dans la formule classique: Primum non laedere, d'abord ne pas nuire? N'est-il pas vrai que tout dommage excessif, toute atteinte indue portée à la création est directement un affront au Créateur?

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L'Eglise encourage ceux qui défendent la nature

Cette exigence de respect et de conservation ne peut pas ne pas être affirmée et rappelée par l'Eglise. Il y a quelques mois, le Souverain Pontife disait aux membres de l'institut international des études juridiques: "Le milieu est pour l'homme ce que l'eau est pour le poisson: celui-ci vit et se meut en elle, et c'est d'elle qu'il tire son aliment premier et indispensable". (Alloc. Congrès Internatioonal sur la pollution, 27-3-1971) De la même façon, l'homme n'existe que grâce à son environnement, qu'il a pouvoir et vocation de modeler et plier à son service. "Même lorsque l'homme (...) déclenche des mécanismes de destruction, il reste en lui et dans son environnement des capacités de réparer moyennant de nouvelles adaptations. Dieu n'a pas seulement créé la vie, mais il a mis en elle des forces de survivance. Il faut lutter contre les nuisances qui portent atteinte à l'environnement, mais il faut aussi, par une étude et une réflexion approfondies, veiller à ne pas isoler deux entités profondément solidaires: l'homme et son environnement". (Mémoire envoyé par le St Siège pour l'enquête organisée par les Nations Unies)
On trouve aussi une preuve de cet intérêt dans le texte sur la justice dans le monde voté par le Synode des évêques lors de sa récente session, qui, à plusieurs endroits, traite de l'environnement. Il rappelle les limites matérielles de la biosphère, ainsi que la nécessité de conserver et de préserver le patrimoine naturel; il souligne, par anticipation, l'importance de la conférence sur l'environnement qui se tiendra à Stockholm en juin prochain.
L'Eglise encourage donc ceux qui défendent la nature, et à ses fils qui sont dans le monde juridique elle recommande d'étudier les problèmes particuliers posés par les formes modernes de vie, afin qu'ils puissent apporter une contribution originale et de valeur pour le choix des solutions morales et juridiques destinées à restaurer le nécessaire équilibre écologique.
Tels sont les sentiments et les pensées que le Saint-Père désire exprimer à vous-même, Monsieur le Président, et aux membres de votre Union, au moment où commencent les travaux de son congrès annuel. En gage de l'abondante lumière de Dieu, il donne volontiers, à tous les participants, sa Bénédiction apostolique.


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1972 Droit canonique et loi d'amour


28/01/1972

Nécessité du droit canonique imprégné de la loi d'amour.

Elle Nous inspire toujours des pensées élevées, cette rencontre personnelle avec Notre tribunal de la Sacrée Rote romaine à l'occasion de l'ouverture officielle de la nouvelle année judiciaire. Cette rencontre comporte trois étapes: il y a d'abord un entretien privé avec le doyen; Nous rencontrons ensuite le Collège des juges et enfin tous les membres du tribunal que Nous avons maintenant devant Nous, y compris les officiers et les avocats. Cela indique l'importance, au sein de la Curie romaine, de cet organisme par lequel le Saint- Siège exerce son pouvoir judiciaire. En le recevant aujourd'hui, Nous voulons le remercier de l'hommage qu'il Nous rend par sa visite, ainsi que des nobles paroles de Mgr le Doyen, et, en même temps, Nous tenons à exprimer Notre estime pour ses membres, confirmer Notre confiance dans la fonction qui lui est propre, revendiquer la compétence que la constitution de l'Eglise lui reconnaît dans le Droit canon et témoigner, par l'importance que Nous lui attachons, du culte de la justice que nous devons, nous spécialement, professer avec amour dans l'Eglise.

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Les justes rapports entre l'Eglise et le droit canonique.

Oui, Nous honorons votre fonction. La Sainte Ecriture Nous en fait une obligation avec les paroles fondamentales de saint Paul 1Co 6,1-11 Mt 18,15-17. La tradition, dont l'origine est antérieure au Nouveau Testament, veut que nous nous acquittions fidèlement du service qui, dans l'Eglise organisée et visible - et c'est le cas pour notre Eglise catholique - incombe à l'autorité responsable, à la hiérarchie, pour protéger les droits et veiller à l'exécution des devoirs de tout membre de cette communauté d'amour qu'est l'Eglise. Aujourd'hui, Notre intention est précisément de donner à cette audience le sens d'une reconnaissance des justes rapports existant entre l'Eglise et le droit canonique - bien qu'ici Nous ne prenions en considération que la fonction qui vous est propre, la fonction judiciaire - en réaffirmant la légitimité, la dignité, l'importance de votre fonction. Et ceci non tant à cause des analogies et du parallèle qui existent entre l'administration de la justice ecclésiastique et celle de la justice civile, mais parce que la justice de l'Eglise découle du plan primitif de Dieu sur l'Eglise, Corps mystique du Christ animé de l'Esprit de liberté, d'amour, de service et d'unité, ce plan que le récent Concile nous a rappelé avec sa doctrine sur l'Eglise.

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De la contestation du droit canonique à la morale permissive

On a tant discuté la question de l'existence d'un droit canonique, c'est-à-dire d'un système législatif dans l'Eglise que, sur un ton quelque peu réprobateur et ironique, on en est venu à qualifier de " juridisme " toute préoccupation normative de sa part, en ne voulant pas reconnaître cet aspect de la vie de l'Eglise, comme si les manifestations défectueuses de l'activité législative dans l'Eglise justifiaient la réprobation et l'abolition de cette activité, en invoquant des interprétations inexactes de certains passages de l'Ecriture Ga 2,16 Ga 2,18 Rm 4,15. On oublie qu'" une communauté sans loi, loin d'être, ou de pouvoir jamais être, en ce monde, la communauté de la charité, n'y a jamais été et n'y sera jamais rien d'autre que la communauté de l'arbitraire " (L. Bouyer, L'Eglise de Dieu, p. 596). Et on oublie aussi que jamais autant qu'aujourd'hui - où l'on est si mal disposé à l'égard du droit canonique, parce qu'une interprétation abusive du récent Concile voudrait que celui- ci ait relâché les liens juridiques et hiérarchiques essentiels dans l'Eglise - on n'a vu une telle tendance à faire proliférer les lois à tous les niveaux de l'Eglise, parce qu'on éprouve le besoin de sceller dans des canons d'un nouveau genre les innovations les plus variées, qui vont parfois jusqu'à l'illogisme.
Sans aucun doute cette attitude s'accompagne-t-elle de résolutions de saines réformes et de mesures souhaitables d'aggiornamento qu'aujourd'hui l'Eglise non seulement veut promouvoir, mais encourage. Cela n'empêche cependant pas d'appréhender que ces nouveautés juridiques puissent ne pas correspondre à la doctrine et aux normes en vigueur dans l'enseignement de l'Eglise. Ceci d'autant plus que cette tendance à changer la pratique de l'Eglise à partir de principes nouveaux et discutables passe facilement du domaine juridique au domaine moral, qu'elle envahit ainsi et bouleverse de ferments dangereux. Elle s'en prend d'abord à la notion évidente de droit naturel, puis à l'autorité de la loi positive, qu'elle soit religieuse ou civile, parce qu'elle est extérieure à l'autonomie personnelle ou collective. Elle affranchit ainsi la conscience d'une claire connaissance et d'une honnête obligation morale objective; elle la rend libre et seule, mais elle en fait malheureusement un critère aveugle de l'acte humain. La conscience se trouve ainsi abandonnée à la dérive, exposée à l'opportunisme devant chaque situation. Elle est livrée aux impulsions instinctives, psychosomatiques, qui ne connaissent plus d'ordre authentique ni de frein vraiment personnel, mais se justifient d'un faux idéal de libération et de cette morale envahissante que l'on appelle permissive.
Que reste-t-il du sens du bien et du mal? Que reste-t-il de la noblesse et de la grandeur de l'homme? Combien il est vrai que l'homme sans loi n'est plus un homme! Et combien il est vrai en pratique que la loi, sans une autorité qui l'enseigne, l'interprète et l'impose, arrive facilement à se ternir, à devenir fastidieuse et à disparaître! Et combien notre liberté chrétienne doit se distinguer de celle stigmatisée par saint Pierre: " Agissez en hommes libres, non pas en hommes qui font de la liberté un voile sur leur malice, mais en serviteurs de Dieu" 1P 2,16! N'en appelons pas, contre la nécessité d'une loi, à la liberté de l'esprit ou à cette liberté (à l'égard de la loi judaïque) pour laquelle le Christ nous a libérés " Ga 5,1 Parce que le Christ nous a aussi dit: " N'allez pas croire que je sois venu abolir la loi ou les prophètes: je ne suis pas venu abolir, mais accomplir" Mt 5,17.

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Un droit canonique imprégné de la loi d'amour.

Et l'accomplissement de la loi consistera à l'inscrire et à la sublimer dans le précepte qui résume tous les autres: l'amour de Dieu et l'amour du prochain Mt 22,37-40. Ce sera le précepte nouveau que le Christ nous laissera comme son testament " Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés " Jn 13,34. Nous faisons écho, comme vous le voyez, aux sages paroles prononcées tout a l'heure par le vénéré doyen de la Sacrée Rote romaine.
Nous sommes arrivés aux sources du droit canonique qui devra trouver sa justification dans la référence à ce principe de l'Evangile dont toute la législation de l'Eglise devra être imprégnée, même si l'ordre de la communauté chrétienne et la suprématie de la personne humaine, valeurs auxquelles tout le droit canonique est ordonné, requièrent que celui-ci soit exprimé de la façon rationnelle et technique qui caractérise le langage juridique. Vous êtes maîtres en cette matière.

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Donner à la loi de l'Eglise un caractère plus humain

Après cette défense, à peine esquissée, du droit canonique auquel est consacrée votre austère fonction, il n'y aurait rien à ajouter, si le Concile ne nous rappelait une note qui doit s'inscrire sinon dans la lettre, du moins dans l'esprit de l'exercice de votre charge: la note pastorale, qui a caractérisé le Concile et a imprégné l'ensemble de ses documents.
Le droit canonique, lui aussi, dans sa formulation, dans son interprétation, dans son application, devra, après le Concile, porter l'empreinte de cette note pastorale qui, Nous semble-t- il, devra donner à la loi de l'Eglise un caractère plus humain, là où besoin est, et plus manifestement sensible à la charité que cette loi doit promouvoir et garantir dans la communauté ecclésiale et vis-à-vis de la société profane. Ce qui veut dire que, plus clairement consciente de la nature de l'autorité de l'Eglise, la loi devra être service, ministère, amour; elle devra tendre plus explicitement à défendre la personne humaine et à former le chrétien à participer d'une façon communautaire à la vie catholique.
On a déjà beaucoup écrit et discuté sur ce sujet. Et vous aurez certainement déjà discerné les points qui, en vertu du Concile, peuvent concerner la pratique de votre tribunal et, d'une façon générale, l'exercice de la fonction judiciaire dans l'Eglise. Vous aurez aussi discerné les perfectionnements à apporter à la législation sur le mariage, dont s'occupe principalement la Rote, perfectionnements déjà entrepris, par exemple avec les nouvelles normes relatives aux mariages mixtes, sans pour autant porter la moindre atteinte aux lois inviolables de la famille, auxquelles votre tribunal comme tout autre tribunal dans l'Eglise, devra, pour le bien de tous, toujours apporter son prudent appui.
Si vous continuez à accomplir votre difficile et délicate fonction avec une vie personnelle d'une probité totale, avec une connaissance achevée des lois canoniques, avec un intérêt humain et chrétien pour les causes confiées à votre sollicitude rigoureuse, avec l'attachement religieux que vous manifestez au Siège apostolique, alors vous accomplirez une mission, vous rendrez un témoignage à la justice et à la charité de cette Eglise romaine. Outre l'adhésion et la satisfaction du monde catholique et, croyons-Nous, du monde du barreau, cela vous vaudra Notre confiance, Notre reconnaissance et Notre Bénédiction apostolique.


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1972 Session du renouveau Canonique

13/12/1972

ALLOCUTION A LA SESSION DE RENOUVEAU CANONIQUE

nécessité et valeur pastorale du droit canonique.

Nous sommes heureux de vous saluer de tout coeur, vous qui vous êtes réunis à Rome pour votre deuxième Cursus renovationis canonicae pro iudiciis aliis que Tribunalium administris, judicieusement institué par Notre Université grégorienne. Votre présence manifeste les heureux développements de cette initiative. Il y a en effet parmi vous des vicaires généraux, des juges, des défenseurs du lien, des avocats et d'autres attachés aux tribunaux régionaux provenant d'Europe, d'Amérique et d'Afrique.
C'est là un motif de joie et d'espoir, et Nous souhaitons que la semence qui est ici jetée porte des fruits consolants pour le bien des Eglises particulières dans lesquelles vous exercez les fonctions qui vous sont confiées.
Vous avez voulu, à travers Nous, rendre visite au Siège apostolique, auquel a été confié par le Christ Notre-Seigneur le magistère suprême, et donc la promulgation et la garde principale des lois. Cela Nous donne l'occasion de parler brièvement de la valeur et de l'importance du droit canonique.
Celui-ci, comme vous le savez bien, est aujourd'hui fréquemment contesté. Doit-on le supprimer? Certains, en effet, vont jusqu'à vouloir en priver l'Eglise.
D'autres le dénigrent, le dédaignent, le négligent, et même le considèrent comme nuisible. Ces erreurs partent de fausses opinions répandues par certains au sujet de la doctrine sur l'Eglise, laquelle serait uniquement charismatique, et par conséquent ne devrait pas imposer les chaînes de la loi, selon leur expression. Pour d'autres, ce qu'ils qualifient de "juridisme" excessif semble prendre tellement de place qu'il étouffe la partie spirituelle de l'Eglise, et pour cette raison ils sont hostiles au droit lui-même. D'autres, enfin, pour exalter l'amour, affirment que les lois sont incompatibles avec lui, comme si la justice, fondée sur le droit, n'était pas elle-même une vertu rattachée à la charité et qui, de ce fait, doit être cultivée.

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Fondement scripturaire de l'organisation juridique de l'Eglise

Vous comprenez parfaitement que tout cela n'a rien a voir avec la vérité et détruit les fondements de la structure de l'Eglise. Il est bon de rappeler cette phrase tirée de l'enseignement du deuxième Concile du Vatican: " Le Christ, unique médiateur, crée et continuellement soutient sur terre, comme un tout visible, son Eglise sainte, communauté de foi, d'espérance et de charité. (...) Cette Eglise comme société constituée et organisée en ce monde, c'est dans l'Eglise catholique qu'elle se trouve, gouvernée par le Successeur de Pierre et les évêques qui sont en communion avec lui " LG 8 Puisque l'Eglise est une société visible, il est donc nécessaire qu'elle ait le pouvoir et le devoir de porter des lois et de veiller à ce qu'elles soient appliquées. Et c'est pour les membres de l'Eglise une obligation de conscience que d'obéir à ces lois. Ce faisant, l'autorité et les fidèles servent Dieu et son Eglise. Et le droit est le fondement naturel de cette société visible; c'est lui qui établit sa juste organisation, et sans lui s'insinuent le trouble, la confusion et l'arbitraire dans la conduite de chacun.
Le droit canonique est le droit d'une société visible, certes, mais surnaturelle, édifiée par la parole et les sacrements, à laquelle il est demandé de conduire les hommes au salut éternel.
Son fondateur, Jésus-Christ Notre-Seigneur, a voulu qu'elle soit établie et organisée ainsi, comme le montrent, par exemple, ces paroles qu'il adressait à ses Apôtres: " En vérité, je vous le déclare: tout ce que vous lierez sur la terre sera lié au ciel " Mt 18,18; ou encore " Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc: de toutes les nations faites des disciples, ... leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit" Mt 28,18-20

Dans sa première Epître aux Corinthiens, saint Paul, sous l'inspiration du Saint-Esprit, a composé un véritable traité sur cette question (cf. aussi 1Th 5,12-13.
Il résulte de cela que l'organisation et la structure juridique de l'Eglise font partie de la Révélation et ne peuvent donc en aucune façon être abolies, et que la doctrine du droit canonique est une discipline étroitement liée à la théologie.
On sait, en outre, que les Apôtres ont effectivement exercé le droit de l'Eglise. Qu'il suffise de rappeler saint Paul qui a jugé et puni le coupable d'un grave crime 1Co 5,3-5 et a voulu que les affaires ou les litiges soient jugés entre fidèles, entre " saints " 1Co 6,1.
Par conséquent, tant la Révélation que l'exercice du droit par les Apôtres montrent clairement que le droit canonique est un droit sacré, tout à fait distinct du droit civil. C'est, il est vrai, de par la volonté même du Christ, un droit d'un genre particulier, hiérarchique. Il s'inscrit tout entier dans l'action salvifique par laquelle l'Eglise continue l'oeuvre de la Rédemption. Et à cause de cela, les institutions juridiques de la société civile ne peuvent pas être transposées indistinctement dans l'Eglise.
Qui enfin ignore l'immense travail de la tradition grâce auquel, tout au long des siècles, fut érigé cet admirable monument que sont les recueils de lois, par lesquels l'Eglise, en mère attentive, s'est efforcée de pourvoir au bien des fidèles selon les besoins des temps?

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Valeur pastorale du droit canonique.

C'est donc avec respect que nous considérons cet édifice juridique régissant cette société, à la fois visible et spirituelle. Mais il faut que le droit canonique s'avère être un instrument efficace et vivant. C'est pourquoi nous devons bien nous pénétrer de cette exhortation du deuxième Concile du Vatican: " En exposant le droit canonique (...) on se référera au mystère de l'Eglise" OT 16. C'est donc dans un esprit de renouveau que le droit canonique doit être enseigné et, ajoutons-le, appliqué, de telle sorte que son action ne soit jamais dépourvue de valeur pastorale, afin de servir le Peuple de Dieu.
Si, en raison de la fragilité humaine, il y a des imperfections dans la législation et dans l'application des lois, efforçons-nous humblement et volontiers de les corriger. Faisons en sorte, certes, qu'il n'y ait pas d'opposition entre charisme et droit - l'un et l'autre viennent de la même source suprême qui est Dieu - mais que, sous l'impulsion du charisme et avec la protection du droit, la famille chrétienne avance dans son pèlerinage terrestre et puisse parvenir au but qui lui est proposé le bonheur éternel.
Voilà ce qu'à propos du droit canonique Nous voulions vous dire, à vous qui l'étudiez et en êtes spécialistes. Enfin, Nous demandons à Dieu de vous donner la lumière et la force de sa grâce, et à chacun de vous ici présents, ainsi qu'à chacun de vos professeurs, Nous donnons dans le Seigneur la Bénédiction apostolique, en gage de Notre affection.


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1972 Discours à des juristes Italiens

9/12/1972

DISCOURS A DES JURISTES ITALIENS

l'Eglise face à l'avortement


S'adressant aux participants au vingt-troisième Congrès national de l'Union des juristes catholiques italiens, Paul VI développe les raisons relevant de la théologie, du droit naturel et du droit social, qui empêchent l'Eglise d'accepter l'avortement, et précise la mission du juriste chrétien dans ce domaine.

Nous saluons avec estime votre assemblée qui participe ces jours-ci au vingt-troisième Congrès national de l'Union des juristes catholiques italiens. Cette visite Nous donne l'agréable occasion de prendre contact encore une fois avec votre méritante association et de Nous féliciter avec vous de ce que, dans vos congrès nationaux et vos réunions locales, dans votre revue Iustitia et votre bulletin mensuel, vous suiviez et traitiez les problèmes du monde contemporain dans un esprit chrétien et avec une haute compétence scientifique.
Le désir que vous avez manifesté de recevoir de Nous une parole qui vous guide et vous éclaire dans vos travaux est la confirmation de la vive conscience que vous avez des obligations imposées par votre profession de juristes, et plus encore des devoirs qui découlent de votre foi chrétienne.
Nous accédons d'autant plus volontiers à votre désir que le thème de l'avortement que vous avez choisi cette année comme sujet de votre Congrès national revêt un caractère de grand intérêt et de brûlante actualité. Il s'agit d'un sujet aujourd'hui très débattu, mais fort souvent mal posé et traité. Et c'est pourquoi vous avez tenu à lui donner sa véritable dimension, celle de la défense du droit à naître.
Vous le savez, l'Eglise a toujours condamné l'avortement, au point que les enseignements de Notre prédécesseur Pie XII et de Vatican II GS 27 GS 51 n'ont fait que confirmer sa doctrine morale qui n'a jamais changé et est immuable. Et vous savez également que, contre les lois ou propositions de lois récentes qui, dans certains Etats, réalisent ou tendent à réaliser ce qu'on appelle la libéralisation de l'avortement", l'épiscopat du monde entier s'est élevé pour proposer des remèdes plus adaptés, capables d'éliminer ou de réduire au maximum cette plaie sociale si répandue.


A la Rote 1939-2009 7109