A la Rote 1939-2009 7708

1977 Equité du Droit canonique et liberté


19/2/1977

DISCOURS AU CONGRES INTERNATIONAL DE DROIT CANONIQUE

A l'occasion du premier centenaire de sa Faculté de droit canonique, l'Université grégorienne organise un Congrès international. Les six cents participants sont reçus par Paul VI qui leur parle de la valeur du droit canonique qui, par son équité, veut promouvoir, protéger et garantir un véritable espace de liberté.

Nous vous souhaitons cordialement la bienvenue et Nous vous saluons avec une grande joie, canonistes qui vous êtes réunis en congrès à l'occasion du centenaire de la Faculté canonique de Notre Université grégorienne. Et Nous ne voulons pas oublier les professeurs et les élèves qui, avec leur Recteur magnifique, se sont joints à vous pour témoigner de leur attachement au Successeur de saint Pierre.
C'est donc une heureuse initiative que votre Congrès, par lequel vous célébrez cet anniversaire et vous vous efforcez de mettre clairement en lumière un inlassable travail de recherche et de doctrine qui s'est avéré si fructueux pour l'Eglise.
Sans vouloir rappeler tous les événements qu'a connus cette Faculté pendant un siècle, qu'il Nous soit permis cependant d'honorer un nom, celui de François Xavier WERNZ, qui a largement contribué à la confection du Code de droit canonique, dont il fut en quelque sorte le précurseur avec son ouvrage: Ius decretalium.
Nous ne voulons pas non plus parler de tous les thèmes, si importants aujourd'hui, que vous avez étudiés. Nous voulons soumettre à votre attention un seul sujet, qui concerne la nature du droit canonique: sa valeur pastorale.

Le droit canonique au service de la mission de l'Eglise

Lorsque, à différentes occasions, il Nous a été donné de parler du droit de l'Eglise, Nous avons fait remarquer que le deuxième Concile du Vatican n'a nullement écarté le droit canonique: "Bien au contraire, il le requiert avec force comme la conséquence nécessaire du pouvoir que le Christ a confié à son Eglise et comme un élément qui appartient à la nature sociale, visible, communautaire et hiérarchique de l'Eglise" (Alloc. Participants session DC membres des tribunaux à la Grégorienne 14.12.1973)
De plus, ce droit a un caractère surnaturel: il est propre à l'Eglise, "édifiée par la parole et les sacrements"

Alloc. Participants session DC membres des tribunaux à la Grégorienne>7206], et il a été élaboré par l'Eglise, avec le secours du Saint-Esprit qui anime sa vie, ses activités et ses institutions.
Comme Nous le disions il y a quatre ans aux membres du Tribunal de la Sacrée Rote romaine: "Si le droit canonique a son fondement dans le Christ, Verbe incarné, et donc a valeur de signe et d'instrument de salut, c'est par l'action de l'Esprit, qui lui donne force et vigueur. Il faut donc qu'il exprime la vie de l'Esprit, qu'il produise les fruits de l'Esprit, qu'il révèle l'image du Christ. C'est pourquoi il est un droit hiérarchique, un lien de communion, un droit missionnaire, un instrument de grâce, un droit de l'Eglise". La loi canonique n'est donc pas seulement une certaine manifestation visible de la communion, car sans droit canonique la communion ne peut pas s'exercer efficacement Disc 2eme congrès international de DC , mais elle est aussi un instrument efficace et vital de l'Eglise pour l'accomplissement de sa mission.
C'est dans cette perspective que se situe la question de la fonction pastorale du droit canonique. "Le droit canonique est, de sa nature, pastoral, (car) il est l'expression et l'instrument de la charge apostolique et un élément constitutif de l'Eglise du Verbe incarné" . La pastorale, en effet - abstraction faite de l'acception défectueuse dans laquelle est prise ce mot ou de l'usage abusif qui en est fait - n'est rien d'autre que le service salvifique de l'Eglise, qui découle de la volonté salvifique de Dieu. Dieu a en effet confié ce service à l'Eglise, et celle-ci, en s'en acquittant, continue l'oeuvre pascale et eschatologique du Christ, avec l'aide de l'Esprit-Saint.
C'est pourquoi l'Eglise n'existe que pour être comme un sacrement, c'est-à-dire un signe efficace par lequel les hommes s'unissent à Dieu LG 1. Tout en elle est ordonné à cette fin, qui doit être considérée comme la loi suprême de toute la structure ecclésiale. Les pouvoirs, les charges, les fonctions exercées dans l'Eglise sont donc des services et des charges pastorales, "c'est-à-dire le soin habituel et quotidien des brebis" LG 27
Parce que les normes du droit canonique - lequel, bien souvent, reflète le droit divin - régissent des institutions ordonnées au salut, réglementent l'exercice du pouvoir, administrent des moyens de grâce, définissent et protègent les droits et les devoirs des fidèles entre eux ou à l'égard de la communauté, elles apportent déjà à notre temps un terrain fécond d'activité apostolique, c'est-à-dire un ordre social juste où la fin suprême est non seulement possible, mais effectivement atteinte.
Nous avons dit en une autre circonstance: "Bien que perfectibles, les institutions de l'Eglise doivent avoir pour fin de communiquer la grâce de Dieu et de favoriser, selon les dons et la mission de chacun, le bien des fidèles, but essentiel de l'Eglise. Ce but social, le salut des âmes, demeure le but suprême des institutions, du droit, des lois" Disc. 2eme congrès DC . Il s'ensuit qu'"il ne peut y avoir de pastorale vraiment efficace qui ne trouve un appui ferme dans un ordre juridique sagement établi" (Alloc session canonique tribunaux à la grégorienne 14.12.1973)

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"La justice tempérée par le baume de la miséricorde"

Cependant, le caractère pastoral du droit canonique ne se limite pas à ce seul aspect. La médiation salvifique confiée à l'Eglise doit aussi concerner les conditions concrètes socioculturelles et spatio-temporelles, comme on dit, dans lesquelles vivent les hommes. Par contre, la loi, de sa nature, "ne prend en considération que ce qui est général".
Aussi, le droit canonique répond-il à l'exigence pastorale également par l'équité, dont HOSTIENSIS a donné cette excellente définition: "La justice tempérée par le baume de la miséricorde" (Summa aurea 1,V De dispensationibus). Dans le droit canonique, en effet, l'application des lois aux cas concrets est dominée par la notion d'équité, en gardant toujours présent à l'esprit le salut des âmes. Et celle-ci se change en mansuétude, en miséricorde, en charité pastorale, laquelle appelle non pas une rigide application de la loi, mais le vrai bien des fidèles. Tel est l'esprit qui guide la loi canonique et que l'on discerne facilement dans les très larges pouvoirs discrétionnaires qui sont donnés aux pasteurs et aux juges pour son application. Dans la révision du Code, ce principe, cette ligne générale revêt une grande importance: "Dans les lois du Code de droit canonique doit transparaître l'esprit de charité, de tempérance, d'humanité et de modération, qui sont autant de vertus surnaturelles par lesquelles nos lois se distinguent de tout droit humain ou profane" (Communicationes 1,1969 p.79)
Nous retrouvons la même exigence et le même esprit chez un canoniste de l'époque dite classique de cette discipline, Jean D'ANDRE, un laïc, qui écrivait: "Le droit canonique étant une explicitation du droit divin, la même fin doit être poursuivie par l'un et par l'autre. Mais le bien commun ainsi obtenu ne peut être entretenu, maintenu ou développé par la seule justice légale... Il requiert de plus une certaine amitié céleste, sans laquelle il est impossible à tout homme de tendre vers Dieu". Et il conclut: "C'est pourquoi, si la vertu essentielle à laquelle aspire le droit civil est la justice légale, ou l'amitié civile, pour le droit canonique, la vertu essentielle, c'est cette amitié céleste que nous appelons charité" (In tit. De reg. Iuris Commentarii insignes Lyon 1551)

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Le droit ne tue pas, il vivifie

Cependant, l'importance donnée à juste titre à la charité, en tant que fin et esprit du droit, ne doit pas conduire à une fausse notion de celle-ci, qui viderait la loi de son sens et lui ôterait toute efficacité. Le premier service pastoral que l'on attend du droit, et que l'on appelle "diaconie du droit", c'est qu'il soit un vrai droit. C'est en effet seulement ainsi que, dans son domaine, il répond aux exigences pastorales.
Comme chacun le sait, il peut parfois y avoir désaccord - "polarisation", dirait-on aujourd'hui -, voire même conflit, entre l'esprit et le devoir, entre l'amour et la loi. Cela n'est pas étranger à l'Eglise dans son pèlerinage terrestre. Mais si cet état de choses s'aggrave, ou - ce qui est pire -- si on lui cherche une fausse solution en abolissant la loi, comme s'il pouvait en résulter une plus grande efficacité pastorale, cela doit être mis sur le compte de l'ignorance, comme l'a fait remarquer HOSTIENSIS: "Beaucoup... réprouvent et blasphèment la loi humaine et la loi canonique, parce que, selon BOECE, ils sont ennemis du bien par ignorance". (Commentaria in quinque decretalium libros: Venise 1581) Le droit, en effet, n'est pas un obstacle mais un moyen pastoral. Il ne tue pas, il vivifie. Sa principale fonction est non pas de réprimer ou de s'opposer, mais de stimuler, de promouvoir, de protéger et de garantir un véritable espace de liberté, comme le disait ce sage de l'Antiquité: "Nous sommes tous serviteurs de la loi pour que nous puissions être libres" (CICERON, pro cluentio I)
Voilà, chers Fils, les quelques points sur lesquels Nous voulions attirer votre attention. Nous avons bien conscience de ne pas avoir traité la question sous tous ses aspects. Cela est laissé à la recherche supérieure, en notre temps qui semble fertile en études canoniques. C'est par ce travail inlassable, constant, caché, mais fructueux, que le nouveau Code s'élabore.
Nous vous exhortons paternellement, vous qui êtes spécialisés dans l'étude du droit, à être attentifs à cet aspect essentiel dont Nous avons parlé, qui permet de considérer le droit canonique dans toute sa dimension et toute sa richesse, compte tenu du service de l'Eglise, et à vous tous Nous donnons de tout coeur Notre Bénédiction apostolique.


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1977 Bâtir le droit c'est bâtir l'Eglise


27/5/77

ALLOCUTION A LA COMMISSION PONTIFICALE POUR LA REVISION DU DROIT CANON

Le Saint-Père s'adresse aux participants à la session plénière de la Commission pontificale pour la révision du Droit canon pour leur confirmer que "la vie de l'Eglise ne peut subsister sans règle juridique".

Nous sommes heureux de vous rencontrer aujourd'hui, vous qui allez mettre un terme à cette assemblée plénière de la Commission pour la révision du Code de droit canon. Pendant ces journées, vous avez pris connaissance de tous les travaux accomplis jusqu'ici par cette Commission et vous avez débattu de certaines questions graves.
Nous avons une grande estime pour votre travail, qui rend un très grand service à l'Eglise depuis que le Concile Vatican II a eu lieu. La vie de l'Eglise ne peut subsister sans règle juridique. Car, vous le savez bien, l'Eglise, société instituée par le Christ, est spirituelle, mais aussi visible; elle s'édifie par la parole et par les sacrements, dont le but est d'apporter aux hommes le salut, et elle a besoin de ce Droit, selon les paroles de l'Apôtre: "Mais que tout se passe décemment et dans l'ordre" 1Co 14,40.
Ce sens de l'Eglise a guidé les travaux que vous avez poursuivis jusqu'ici, et il importe, Nous le souhaitons de tout coeur, que ce même esprit continue à vous animer. De cette façon, par votre zèle et votre labeur, vous contribuez parfaitement à l'édification de l'Eglise qui doit avancer sur un chemin sûr, et en sécurité au milieu des si nombreux "changements de ce monde".
Nous vous félicitons donc comme des bâtisseurs de l'Eglise et Nous vous manifestons Notre attachement, en tout premier lieu à l'égard de votre président si qualifié, le cardinal Pericle Felici, qui est le modérateur de cet énorme travail de révision.
L'achèvement de cette oeuvre est très attendu, car le Droit canon doit être adapté, selon l'impulsion nouvelle qui a sa source dans le Concile Vatican II, ou, plutôt, en raison du changement des conditions de vie dans lesquelles l'Eglise de notre temps est immergée.
Enfin, Nous prions ardemment l'Esprit-Saint, dont nous allons célébrer la venue et qui est l'âme de l'Eglise, qu'il vous vienne en aide par sa lumière et qu'il vous comble de ses dons. Que la Bénédiction apostolique que Nous vous donnons avec grande affection, Vénérables Frères et chers fils, en soit le gage.


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1978 Une Justice rapide et vigilante


28/01/78

Encouragement à continuer à administrer la justice avec vigilance et célérité, en parfaite adhésion au Magistère.

En vous recevant ce matin, selon une coutume désormais traditionnelle qui unit l'inauguration de l'année judiciaire de votre Tribunal à la rencontre avec Notre personne, Nous sommes animé de vifs sentiments d'estime et de reconnaissance pour la remarquable activité que vous exercez dans le cadre et au service du Saint-Siège, et Nous percevons clairement que de tels sentiments acquièrent maintenant un plus grand relief et se définissent de manière plus concrète après le déférent discours de votre Doyen qui, également en cette circonstance, a assumé remarquablement la mission d'être votre fidèle porte- parole.
Oui, Nous devons vous exprimer un sincère remerciement, qui signifie également satisfaction et encouragement, pour les résolutions que le Doyen a exprimées en votre nom à tous et qui Nous offrent une base sérieuse pour développer quelques réflexions. Comment pourrions-Nous, en effet, ne pas donner du poids et de l'importance aux qualités morales qu'il a rappelées et desquelles, plus et mieux encore que par le passé, vous désirez vous inspirer dans votre service ecclésial?
Parler de diligence dans le devoir; confirmer la disponibilité à suivre les directives du Magistère; veiller à une convenable célérité dans la procédure: ce sont des choses qui pourraient sembler évidentes et allant de soi, principalement dans le contexte de la circonstance présente. Mais il n'en est pas ainsi, et non seulement parce que Monseigneur le Doyen s'est soucié de leur donner un contenu au moyen d'exemples appropriés qui équivalent à autant d'engagements, mais aussi parce qu'il s'agit, en réalité, d'éléments dans lesquels la mission du juge ecclésiastique trouve une réelle qualification.

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Diligence et célérité dans le devoir

Essayons d'éprouver ces données: d'abord, la diligence n'est pas seulement le soin scrupuleux mis à remplir sa charge, mais elle exprime - comme il ressort du sens étymologique diligere - un attachement tel qu'il implique un sentiment d'affection. Elle signifie encore, se sentir soutenu par la conscience de la mission que l'on a reçue. Il s'agit d'une conscience lucide devant des responsabilités qui touchent si souvent, et en profondeur, à la sphère personnelle et conjugale. S'il est vrai que votre mission est largement orientée vers l'étude des causes matrimoniales, ce qu'une telle diligence comporte et postule à cet égard est évident.
Un autre élément est la célérité, au sujet de laquelle il Nous paraît opportun de dire quelques mots, parce qu'elle est certainement souhaitable et doit être constamment recherchée, mais toujours en tant que méthode subordonnée à l'objectif premier de la justice vers lequel elle doit s'orienter. La célérité sera ainsi une nouvelle expression de la diligence dont il a été question, et elle signifiera sollicitude dans l'examen et la définition des causes, de manière à éviter les deux écueils opposés de la précipitation qui empêche un examen serein, et de la lenteur, qui prive les parties en cause d'une prompte réponse à leurs problèmes souvent angoissants et demandant une rapide solution.

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Raisons d'être de la procédure canonique.

Or, pour garantir aux juges le climat nécessaire pour procéder à un examen serein, attentif, médité, complet et exhaustif de la question, pour assurer aux parties la possibilité réelle de développer leurs propres raisons, la loi canonique prévoit un déroulement marqué de normes précises - le procès, justement - qui est comme une voie d'acheminement dont l'axe est précisément la recherche de la vérité objective et dont le point terminal est l'administration correcte de la justice. Cette ligne bien définie de normes et de formes, serait-ce quelque chose de vide et de stérile, où le schéma extérieur tendrait à prévaloir sur la substance? Est-ce pur formalisme? Certainement non, puisque tout cela n'a pas en soi sa propre fin, mais constitue un sage moyen visant un but plus élevé. Vous savez parfaitement que le droit canonique, en tant que tel, et par conséquent le code de procédure qui en est une partie, rentre, par les motifs qui l'inspirent, dans le plan de l'économie du salut, la salus animarum étant la loi suprême de l'Eglise. C'est pourquoi même les lois qui règlent la procédure ont, dans le système ecclésial, une raison intrinsèque d'être. Elles sont le fruit d'une expérience éprouvée et doivent donc être observées et respectées. Garantie de recherche pondérée pour le juge et de définition des problèmes qui, comme il a été dit, touchent dans le vif la conscience des hommes et l'ordre des familles, dans le cadre plus vaste du bien commun de la Communauté ecclésiale, la procédure canonique doit être par conséquent accueillie avec le respect qui lui est dû et suivie avec grande attention, sans s'abandonner à la facilité qui finirait par favoriser la permissivité, au détriment de la loi de Dieu et au préjudice du bien des âmes.

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Innovations diverses.

C'est dans cette perspective qu'il y a également lieu de considérer les innovations que Nous avons Nous-même introduites, il y a quelques années, avec le Motu proprio 'Causas matrimoniales' (28/3/1971 AAS LXIII, 1971 p. 441), afin d'obtenir un plus rapide déroulement des procès dans les causes de nullité matrimoniale, ainsi qu'il a été fait pour d'autres procès, comme celui de dispense en cas de mariage ratifié et non consommé (7/3/1972 AAS LXIV 1972 p. 244). Or toutes ces dispositions, même si elles contiennent des simplifications méditées et de prudents assouplissements de la procédure, ont été étudiées et promulguées en plein respect des fins essentielles de l'activité judiciaire et permettent donc un examen consciencieux des causes, de manière à ce qu'il soit toujours possible d'émettre des prononcés conformes à la vérité objective, solum Deum prae oculis habendo, "en ayant Dieu seul devant les yeux".
Nous devons d'autre part enregistrer avec douleur la tendance à se servir de certaines concessions, motivées par des situations bien précises, pour éviter pratiquement la loi de procédure canonique à laquelle on est tenu, ceci souvent grâce à la création artificieuse de fictifs domiciles ou demeures stables. Il faut tout autant réprouver la tendance à créer une jurisprudence non conforme à la juste doctrine, telle qu'elle est proposée par le magistère ecclésiastique et illustrée par la jurisprudence canonique.
Une innovation d'un genre différent qui touche, pourrait- on dire, non à la procédure mais aux structures, et tendant elle aussi à rendre plus fonctionnelle, plus rapide et plus digne l'administration de la justice, est celle réalisée par l'autorité compétente qui a pourvu à d'opportunes fusions et réorganisations des tribunaux pour les causes de nullité matrimoniale dans les différents pays, faisant en sorte que les centres de moindre importance unissent leurs efforts. Ainsi est assurée pour chaque tribunal la possibilité effective d'avoir un personnel compétent et des moyens appropriés pour exercer la délicate et importante mission qui est la sienne.

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Adhésion au Magistère.

Mais l'élément le plus important parmi ceux qui ont été cités demeure votre disponibilité réaffirmée a suivre les indications du Magistère. A ce propos, le décret promulgué en mai 1977 par la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la foi, et que Nous avons explicitement approuvé, se présente comme un test particulièrement significatif (13/5/1977 AAS LXIX 1977 p.426). Vous en connaissez bien l'origine, la valeur et les motivations: précédé de longues et attentives études (comme le rappelle une brève introduction), étayé par l'avis autorisé de la Commission pontificale pour la révision du Code de droit canon, il se divise en deux importantes réponses, qui auront de nombreuses applications spécialement dans votre propre travail. Nous sommes certain que dans l'élaboration de vos jugements, vous vous laisserez orienter et guider par ces principes de doctrine. Nous aurons ainsi une nouvelle preuve de l'adhésion ponctuelle au Magistère que votre renommé Tribunal du Saint- Siège a professée tout au long de son existence séculaire.

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Le libre consentement.

Ceci, par ailleurs, n'est pas un problème isolé dans le cadre si complexe de l'éthique et du droit matrimonial. C'est pourquoi il est du devoir de votre Tribunal, en exécution du mandat que lui a conféré l'Eglise, d'approfondir toutes les questions qui lui sont soumises; et - pour rester dans le thème des jugements en matière matrimoniale - il a le devoir extrêmement grave de considérer avec la plus grande prudence (comme cela a été opportunément rappelé) les questions relatives au libre consentement, celui-ci seul donnant origine au mariage, de sorte que personne ne puisse se soustraire aux exigences d'un lien que Dieu seul peut briser, ni ne puisse, à l'opposé, être contraint par un lien qui n'a jamais existé. Elle est tout à fait juste, l'observation faite au sujet de cet argument décisif et selon laquelle c'est aussi un moyen de s'opposer à la violence qui, à notre époque, revêt malheureusement des aspects multiformes. Disons - toujours par rapport au domaine matrimonial: la violence de celui qui voudrait plier la loi de Dieu à ses désirs ou à ses caprices, et la violence dont est victime celui qui n'a pas pu émettre un libre consentement.

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Les enseignements conciliaires.

Il reste enfin le devoir d'étudier et de méditer, pour votre secteur spécifique, comme cela doit se faire et se fait dans de nombreux autres secteurs de la vie ecclésiale (liturgique, théologique, missionnaire, oecuménique, etc.), les diverses implications directes des enseignements conciliaires, et de les traduire ensuite en pratique. N'est- il pas vrai qu'en réalité, il y a encore beaucoup à faire à cet égard? S'ils n'ont pas manqué, ceux qui n'ont pas accueilli avec pleine disponibilité le Concile, s'il en est d'autres qui ont voulu l'interpréter selon leurs préférences personnelles ou selon des critères herméneutiques arbitraires, au détriment de l'Eglise, il y a eu aussi - et ils sont les plus nombreux - ceux qui ont cherché à se conformer, d'esprit et de coeur, aux décrets que le Concile Vatican II a providentiellement promulgués.
Parmi ceux-ci, Nous voulons nommer les juges qui cherchent, dans leurs sentences, à évoquer et à appliquer, le cas échéant, les principes élevés du magistère conciliaire, par exemple les importants paragraphes, bien compris dans l'esprit du Concile, de la " dignité du mariage et de la famille " contenus dans la constitution pastorale Gaudium et Spes GS 47-52 Nous leur joignons ensuite les juristes ecclésiastiques et laïcs qui, dans leurs réunions d'étude et dans leurs rencontres nationales et internationales, ont examiné des thèmes juridiques de grande importance à la lumière des directives et des orientations du Concile Vatican II.
Tout ceci doit vous dire, chers fils, avec quel intérêt Nous suivons les questions relatives au développement du droit dans l'Eglise, et spécifiquement les problèmes inhérents à votre travail, tandis que Nous vous assurons que les propositions destinées à rendre possible un travail toujours plus profitable seront examinées avec attention. Nous avons trop à coeur, en effet, le service que vous rendez à la justice et, par le fait même, à la paix. Nous avons toujours présent à l'esprit la nature de votre fonction qui dure depuis tant de siècles dans l'Eglise. C'est pourquoi ce que Nous vous avons dit, chers fils qui Nous écoutez, constitue un paternel et nouvel encouragement à ce que vous continuiez à servir d'exemple aux autres tribunaux ecclésiastiques, tant pour l'esprit pastoral qui vous anime que pour la valeur scientifique de vos études juridiques et, surtout, pour le sens sacerdotal et humain élevé qui vous guide dans l'administration de la justice.

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Continuer à administrer la justice avec vigilance.

Devons-Nous rappeler que vos décisions, et la jurisprudence qui en découle, font autorité et, pour Nous en tenir au seul plan technique, qu'elles sont pour d'autres (spécialistes, facultés universitaires, sièges judiciaires) un point de référence et un sujet d'étude? Puis, sur un plan plus général, votre activité mérite d'autant plus de considération qu'elle s'exerce actuellement dans un contexte social difficile, parcouru et secoué par des courants idéologiques sécularisants et désacralisants, qui ont fait que votre Doyen s'est demandé s'il n'y avait pas lieu de craindre une nouvelle ferrea aetas.
Nous voulons écarter la seule pensée d'une si triste perspective. Nous souhaitons que la civilisation juridique, à laquelle l'Eglise a apporté d'amples contributions, avant tout par la lumière transcendante de l'Evangile, qui est la base de la dignité de l'homme, puis avec la médiation exercée comme intermédiaire historique du patrimoine du Droit romain, et encore avec la monumentale élaboration canoniste, que cette civilisation historique, donc, continue à fleurir toujours plus abondamment dans le monde.
Puissent donc Nos paroles vous aider à maintenir votre esprit toujours vigilant et décidé dans l'accomplissement généreux et fidèle de la haute mission que vous a confiée la Sainte Eglise. Etant consacré au Christ Seigneur, chacun de vous unit au sacerdoce proprement ministériel un autre ministère, sacré lui aussi, parce qu'il concerne aussi bien l'administration de la justice, qui est une vertu cardinale sublimée par la charité, que les âmes qui peuvent, grâce à votre ministère, retrouver paix intérieure, sérénité et vie. Vous, les auditeurs, vous possédez aussi un double exercice du sacerdoce: soyez-en toujours dignes; mieux encore, par votre comportement d'irréprochable cohérence, soyez-en toujours plus dignes!
En lisant d'anciennes publications traitant de sujets ecclésiastiques, il est facile de se rendre compte de ce qu'a été, au cours des siècles, la renommée et l'excellence de votre Tribunal. A part les compétences diverses qu'il eut selon les époques, à part les transformations et plusieurs restructurations, nous le trouvons bien souvent désigné par des appellations singulièrement honorifiques, qui en disent long sur le prestige dont le Tribunal a joui dans l'histoire de l'Eglise. Aussi est-ce votre devoir, moyennant l'exercice des qualités morales que Nous avons recommandées, alliées à la droiture de votre vie, à l'excellence de votre doctrine, à l'équilibre de vos jugements éclairés, de vous maintenir toujours à la hauteur de cette tradition.
Que vous y aide Notre Bénédiction apostolique, gage de l'assistance efficace du Sauveur Jésus auquel, lors du récent Noël, nous avons répété avec le prophète la triple invocation de notre foi: Dominus judex noster, Dominus legifer noster, Dominus rex noster. Is 33,22


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1978 Juristes italiens: Liberté de l'action caritative

25/11/1978

TRES CHERS FILS,

C'est pour moi une joie profonde de vous recevoir aujourd'hui, juristes catholiques d'Italie qui êtes réunis à Rome pour le XXIXème Congrès national de votre Union. Dès sa naissance, elle a, pouvons-nous dire, anticipé les orientations du IIème Concile du Vatican sur la mission du laïcat chrétien. Des personnalités remarquables par leur foi ardente, par la profondeur de leur pensée philosophique et par leur indiscutable compétence technique et juridique, ont en effet voulu par elle "contribuer à appliquer les principes de la morale chrétienne dans la science juridique, dans l'activité législative, judiciaire et administrative, dans toute la vie publique et professionnelle", comme il est dit dans l'article 2 de vos statuts.
C'est pour moi un grand réconfort non seulement de vous recevoir en cette audience, mais de savoir que pendant ces trente années votre Union a travaillé à donner une inspiration chrétienne à de multiples domaines de la vie sociale. Nous en avons le témoignage dans les actes des congrès et dans les publications de l'Union, qui sont tous caractérisés par un esprit de service de la personne humaine, afin d'affirmer et de promouvoir ses valeurs et ses droits inaliénables de liberté, d'inviolabilité, de développement.
Mais ce qui est surtout réconfortant, c'est votre constante fidélité à l'Eglise, au Pape, aux évêques, dont votre Union a toujours accueilli avec respect, amour et générosité les enseignements et les orientations, sans céder aux mirages et aux tentations d'autonomie mal comprise lorsqu'il s'agit de proposer et de défendre les principes de la morale naturelle et chrétienne qui régissent l'institution du mariage, ou d'affirmer dans les moeurs et dans la loi le caractère inviolable et sacré de la vie humaine dès sa conception. Votre Union a estimé que c'était pour elle un honneur, encore plus qu'un devoir, d'accueillir et de suivre les paroles du Vicaire du Christ. Et ces paroles autorisées ne vous ont pas manqué dans le passé. A l'occasion de vos congrès. PIE XII, JEAN XXIII et PAUL VI vous ont adressé des discours d'une grande densité doctrinale, en donnant des indications et des principes éclairants et d'une portée universelle sur les graves problèmes posés au juriste chrétien par la vie de la société. Je voudrais rappeler le discours, toujours si actuel, que vous a adressé Paul VI, de vénérée mémoire, le 9.12.1972, à l'occasion de votre Congrès sur "La défense du droit de naître" n. 7208 .

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Le devoir et la liberté de l'assistance

Et aujourd'hui, le Pape ne peut pas manquer de s'adresser à vous à l'occasion de votre Congrès qui a pour thème: "La liberté de l'assistance"
Ce thème, si délicat et si vivant, doit être affronté par le juriste dans toute sa complexité juridique (sur le plan constitutionnel, technique et législatif, philosophique et juridique). Mais il ne peut être étudié comme il faut sans mettre en cause le projet de société que l'on veut réaliser et, plus encore, la conception de la personne humaine - avec ses droits fondamentaux et ses libertés - qui qualifie ce projet de société.
La société est faite pour l'homme, "hominis causa omne jus constitutum est". La société, avec ses lois, est au service de l'homme. Et l'Eglise a été fondée par le Christ pour le salut de l'homme LG 48 GS 45. C'est pourquoi l'Eglise a elle aussi son mot à dire sur cette question.
Et elle doit avant tout dire que le problème de la "liberté de l'assistance", dans un Etat moderne qui veut être démocratique, s'insère dans celui, plus large, des droits de l'homme, des libertés civiles et de la liberté religieuse elle-même.
L'homme est un être intelligent et libre, naturellement appelé à réaliser dans la société les potentialités de sa personne. Ce caractère social qui lui est connaturel, s'exprime dans la société naturelle fondée sur le mariage un et indissoluble, la famille, et les libres formations intermédiaires. Il s'exprime aussi dans la communauté politique dont l'Etat est la forme juridique avec ses différentes institutions. Celui-ci doit assurer à tous ses membres la possibilité d'un plein développement de leur personne. Cela exige qu'à ceux qui sont dans des conditions de nécessité ou de besoin en raison de la maladie, de la pauvreté, de difficultés de tous genres, soient offerts les services et les secours requis par leur situation particulière. Plus encore qu'une obligation de justice pour l'Etat, c'est une obligation de solidarité pour chaque citoyen.
Mais pour le croyant, c'est une exigence impérative de sa foi en Dieu le Père qui appelle tous les hommes à constituer une communauté de frères dans le Christ Mt 23,8-9; c'est une joyeuse obéissance au commandement biblique: "Il leur a donné des commandements à chacun au sujet de son prochain" Si 17,14 C'est la pleine réalisation du désir de découvrir, de rencontrer le Christ dans le prochain qui souffre: "Chaque fois que vous avez fait cela à l'un de ces petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait" Mt 25,34-40.
C'est sur tout cela que se fonde le devoir de l'assistance, mais aussi sa liberté indispensable. Le citoyen - individu ou association - doit être libre d'offrir un service d'assistance, conformément à ses capacités et à ses convictions.
L'Eglise doit être libre, elle qui, "en ses débuts, en joignant l'"agape" à la Cène eucharistique, se manifestait tout entière réunie autour du Christ par le lien de la charité, ainsi en tout temps elle se fait reconnaître à ce signe d'amour; tout en se réjouissant des initiatives d'autrui, elle tient aux oeuvres charitables comme à une partie de sa mission propre et comme à un droit inaliénable" AA 8.

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Les craintes de l'Episcopat italien devant la mainmise des pouvoirs publics

Ces libertés ne seraient pas respectées, ni dans leur lettre ni dans leur esprit, si venait à prévaloir la tendance à attribuer à l'Etat et aux autres expressions locales du pouvoir public une fonction centralisatrice et exclusive d'organisation, de gestion directe ou de contrôle rigide des services. Cela finirait par dénaturer la légitime fonction qui leur est propre: promouvoir, stimuler, intégrer et aussi - en cas de nécessité - se substituer aux initiatives des libres formations sociales, selon le principe de subsidiarité.
L'Episcopat italien, comme on le sait, a manifesté, encore récemment, sa préoccupation devant le danger réel que soient restreints les espaces effectifs de liberté, que soit réduite et toujours plus limitée la libre action des personnes, des familles, des corps intermédiaires, des associations civiles et religieuses elles-mêmes, au bénéfice du pouvoir public. Cela "ne peut que faire perdre le sens des responsabilités et créer les dangereux présupposés d'une collectivité qui perd l'homme en supprimant ses droits fondamentaux et ses libres capacités d'expression" (communiqué de la Conférence épiscopale italienne, janvier 1978) (DC 1978 n. 1736 p. 179).
L'Episcopat italien a aussi exprimé sa crainte que ne soient supprimées ou insuffisamment et inefficacement garanties des oeuvres méritantes qui, pendant des siècles, sous l'impulsion de la charité chrétienne, se sont occupées des orphelins, des aveugles, des sourds-muets, des vieillards et des nécessiteux de toutes sortes, grâce à la générosité de donateurs et au sacrifice personnel, parfois héroïque, de religieuses et de religieux, et qui, en vertu de dispositions législatives, avaient dû, malgré elles, revêtir la forme juridique d'institutions publiques d'assistance et de bienveillance, avec une certaine garantie par contre pour leurs fins institutionnelles.
Le Pape ne peut demeurer étranger à ces préoccupations qui affectent la possibilité même pour l'Eglise d'exercer sa mission de charité; qui affectent aussi la liberté des catholiques et de tous les citoyens - individus ou associations - de créer des oeuvres répondant à leur idéal, dans le respect des justes lois et au service du prochain indigent.
Je souhaite donc pour votre Congrès un heureux succès dans l'étude d'un thème où est impliquée la nature même de l'Eglise dans son devoir primordial de don aux autres. Je souhaite aussi que votre méritante Union continue à apporter à la société italienne une féconde contribution en idées, en propositions, mais surtout un témoignage d'inspiration et de vie chrétiennes, spécialement sur le plan professionnel.
Avec ces voeux, bien volontiers et de tout coeur, je vous donne ma bénédiction apostolique, que je veux étendre à tous les juristes catholiques et aux personnes qui vous sont chères.




A la Rote 1939-2009 7708