A la Rote 1939-2009 8800

1988 Le défenseur du lien


25 / 01 / 1988

Le " Défenseur du lien " au service de la vision chrétienne du mariage.

A l'occasion de l'ouverture de l'année judiciaire Jean Paul II a reçu le 25 Janvier en audience les juges, promoteurs de justice, défenseurs du lien du Tribunal de la Rote romaine, ainsi que les avocats qui y sont attachés. Répondant à l'adresse d'hommage du doyen de la Rote, Monseigneur Ernesto FIORE, le Pape a prononcé le discours suivant:

1.- Mgr le Doyen, je vous suis vivement reconnaissant des nobles paroles par lesquelles vous vous êtes fait l'interprète des sentiments de tous. Je vous adresse mes salutations cordiales, que j'étends au Collège des Prélats auditeurs du Tribunal de la Rote romaine, aux officiers qui en font partie, aux membres du " Studio " et au Collège des avocats de la Rote que je vois ici largement représentés.
Cette rencontre annuelle avec vous me donne l'heureuse occasion de souligner l'importance de votre service ecclésial délicat et de vous exprimer mon estime et ma gratitude. Elle me donne en outre la possibilité de réfléchir un peu avec vous sur l'activité judiciaire de l'Eglise.

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2.- Au cours de cette rencontre d'aujourd'hui, reprenant le discours commencé l'an dernier 1987 je voudrais attirer votre attention sur le rôle du défenseur du lien dans les procès de nullité de mariage pour incapacité psychique.
Comme le soulignait magistralement Pie XII 1944 le défenseur du lien est appelé à collaborer dans la recherche de la vérité objective quant à la nullité ou non du mariage dans le cas concret. Cela ne signifie pas qu'il lui appartienne d'évaluer les arguments pour ou contre et de se prononcer sur la cause, mais signifie qu'il ne doit pas construire " une défense artificielle sans se préoccuper de savoir si ces affirmations ont ou non un fondement sérieux ".1944
Son rôle spécifique dans la collaboration pour découvrir la vérité objective consiste dans l'obligation 'proponendi et exponendi omnia quae rationabiliter adduci possint adversus nullitatem' CIC 1432 (proposer et exposer tout ce qui peut être raisonnablement avancé contre la nullité).
Etant donné que le mariage qui concerne le bien public de l'Eglise 'gaudet favore juris' CIC 1060 (le mariage jouit de la faveur du droit), le rôle du défenseur du lien est irremplaçable et d'une extrême importance. En conséquence, son absence dans le procès de nullité de mariage rend les actes nuls CIC 1433.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le rappeler, 'on remarque parfois,' ces derniers temps, 'des tendances qui visent malheureusement à réduire son rôle' 1982 jusqu'à le confondre avec celui d'autres participants au procès, ou à le réduire à quelques interventions formelles insignifiantes, rendant pratiquement absente, dans la dialectique du procès, l'intervention de la personne qualifiée qui enquête réellement, propose et clarifie tout ce que l'on peut raisonnablement avancer contre la nullité, causant ainsi un grand dommage à l'administration correcte de la justice.
Aussi, je ressens le devoir de rappeler que le défenseur du lien 'tenetur' CIC 1432 - c'est-à-dire a l'obligation, et non pas la simple faculté - d'accomplir avec sérieux sa tâche spécifique.

3.- La nécessité de s'acquitter de cette obligation prend une importance particulière dans les causes matrimoniales, en soi très difficile, qui concerne l'incapacité psychique des contractants. Ces causes, en effet, peuvent facilement donner lieu à confusion et malentendus - j'ai eu l'occasion de le souligner l'an dernier - dans le dialogue entre le psychiatre ou le psychologue et le juge ecclésiastique, avec en conséquence un emploi incorrect des expertises psychiatriques et psychologiques. Cela requiert que l'intervention du défenseur du lien soit vraiment qualifiée et perspicace, de sorte qu'elle contribue efficacement à la clarté des faits et des significations, devenant ainsi, dans les causes concrètes, une défense de la vision chrétienne de la nature humaine et du mariage.
Mais je voudrais me limiter à souligner des éléments auxquels le défenseur du lien doit prêter une attention particulière dans ce genre de causes, c'est-à-dire la vision correcte de la normalité du contractant et les conclusions canoniques à tirer en présence de manifestations psychopathologiques, pour indiquer enfin en conséquence les tâches de celui qui doit défendre le lien.

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I Anthropologie chrétienne et réalisation de la personne.

4.- On connaît la difficulté dans le domaine des sciences psychologiques et psychiatriques, que les experts eux-mêmes rencontrent pour définir, d'une manière satisfaisante pour tous, le concept de normalité. En tout cas, quelle que soit la définition donnée par les sciences psychologiques, elle doit toujours être vérifiée à la lumière des concepts de l'anthropologie chrétienne, qui sont sous-jacents à la science canonique.
Dans les courants psychologiques et psychiatriques qui dominent aujourd'hui, les tentatives pour trouver une définition acceptable à la normalité font seulement référence à la dimension terrestre et naturelle de la personne, c'est- à- dire qu'elle est perceptible par ces mêmes sciences humaines en tant que telles, sans prendre en considération le concept intégrale de personne, dans sa dimension éternelle et dans sa vocation aux valeurs transcendantes de nature religieuse et morale. Dans cette vision réduite de la personne humaine, et de sa vocation, on finit facilement par identifier la normalité, en ce qui concerne le mariage, avec la capacité de recevoir et d'offrir la possibilité d'une pleine réalisation dans le rapport au conjoint.
Assurément, cette conception de la normalité, également basée sur les valeurs naturelles, a une importance pour la capacité à tendre vers les valeurs transcendantes, en ce sens que dans les formes les plus graves de psychopathologie est également compromise la capacité du sujet à tendre vers les valeurs en général.

5.- L'anthropologie chrétienne, enrichie par l'apport des découvertes faites récemment dans le domaine psychologique et psychiatrique, considère la personne humaine dans toutes ses dimensions: terrestre et éternelle, naturelle et transcendante. Selon cette vision intégrale, l'homme, tel qu'il existe historiquement, apparaît blessé intérieurement par le péché et en même temps racheté de manière toute gratuite par le sacrifice du Christ.
L'homme porte donc en lui le germe de la vie éternelle et la vocation à faire siennes les valeurs transcendantes. Mais il reste intérieurement vulnérable et dramatiquement exposé au risque de manquer à sa vocation, à cause de résistances et de difficultés qu'il rencontre dans son cheminement existentiel au niveau conscient, où la responsabilité morale est en cause, comme au niveau du subconscient, et cela aussi bien dans la vie psychique ordinaire que dans celle qui est affectée par des psychopathologies légères ou modérées, qui n'exercent pas d'influence substantielle sur la liberté de la personne à tendre vers les idéaux transcendants, choisis de manière responsable.
Ainsi il est divisé, comme le dit Saint Paul, entre l'Esprit et la chair, " car la chair, en ses désirs, s'oppose à l'Esprit et l'Esprit à la chair "Ga 5,17 et, en même temps, il est appelé à vaincre la chair et à " marcher selon l'Esprit " (cf. Ga 5,16 Ga 5,25). Et il est même appelé à crucifier la chair " avec ses passions et ses désirs " Ga 5,24 c'est-à-dire en donnant à cette lutte inévitable et à la souffrance qu'elle comporte - donc aussi à ces limites apportées à sa liberté effective - une signification rédemptrice (cf. Rm 8,17-18). Dans cette lutte, " l'Esprit vient en aide à notre faiblesse " Rm 8,26.
Donc alors que pour le psychologue ou le psychiatre toute forme de psychopathologie peut sembler contraire à la normalité, pour le canoniste, qui s'inspire de la vision intégrale de l'homme dont nous avons parlé, le concept de normalité, c'est-à-dire celui de la condition humaine normale en ce monde, comprend aussi des formes modérées de difficultés psychologiques, avec l'appel qui s'ensuit à marcher selon l'Esprit même parmi les tribulations et au coût de renoncements et de sacrifices. En l'absence d'une telle vision intégrale de l'être humain, sur le plan théorique la normalité devient facilement un mythe et, sur le plan pratique, elle finit par nier à la majorité des personnes la possibilité de donner un consentement valide.

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II Expertises psychiatriques et conclusions juridiques

6.- Le second élément sur lequel je voudrais m'arrêter est lié au premier et regarde les conclusions à tirer dans le domaine canonique quand les expertises psychiatriques montrent chez les époux la présence de quelque psychopathologie.
Gardant présent à l'esprit que seules les formes les plus graves de psychopathologie arrivent à attaquer la liberté substantielle de la personne et que les concepts psychologiques ne coïncident pas toujours avec ceux des canonistes, il est extrêmement important que, d'un coté, l'identification de ces formes les plus graves et leur différenciation d'avec les formes légères soient réalisées avec l'aide d'une méthode scientifiquement sûre et que, d'autre part, les catégories appartenant à la science psychiatrique ou psychologique ne soient pas transférées de manière automatique dans le domaine du droit canonique, sans les nécessaires adaptations qui tiennent compte de la compétence spécifique de chaque science.

7.- A ce propos, il ne faut pas oublier non plus que des difficultés et des divergences existent à l'intérieur de la science psychiatrique et psychologique elle-même, en ce qui concerne la définition de la " psychopathologie ". Certes il y a des descriptions et des classifications qui recueillent un nombre plus élevé de consensus, rendant ainsi possible la communication scientifique. Mais c'est précisément par rapport à ces classifications et descriptions des principaux désordres psychiques que peut naître un grave danger dans le dialogue entre expert et canoniste.
Il n'est pas rare que les analyses psychologiques et psychiatriques conduites sur des contractants, au lieu de considérer " la nature et le degré des processus psychiques qui concernent le consentement matrimonial et la capacité de la personne à assumer les obligations essentielles du mariage " 1987 , se limitent à décrire le comportement des contractants aux divers âges de leur vie, rassemblant les manifestations anormales qui sont ensuite classées selon une étiquette diagnostique. Il faut dire franchement que cette opération, précieuse en soi, est cependant insuffisante pour offrir la réponse de clarification que le juge ecclésiastique attend de l'expert. Le juge doit donc demander que l'expert fasse un effort supplémentaire, pousse son analyse jusqu'à l'évaluation des causes et des processus dynamiques sous- jacents, sans s'arrêter seulement aux symptômes qui en découlent. Seule cette analyse totale du sujet , de ses capacités psychiques et de sa liberté à tendre aux valeurs en se réalisant par elles, est utilisable pour être traduite, par le juge, en catégories canoniques.

8.- On devra par ailleurs prendre en considération toutes les hypothèses d'explication de la faillite du mariage dont on demande la déclaration de nullité, et non seulement celles qui dérivent de la psychopathologie. Si l'on ne fait qu'une analyse descriptive des divers comportements, sans chercher leur explication dynamique et sans s'efforcer de faire une évaluation globale des éléments qui complètent la personnalité du sujet, l'analyse de l'expert apparaît déjà déterminée à une seule conclusion: en effet, il n'est pas difficile de trouver chez les contractants des aspects infantiles et conflictuels qui, avec une telle façon de poser le problème, deviennent inévitablement " la preuve " de leur anormalité, alors qu'il s'agit peut-être de personnes substantiellement normales mais ayant des difficultés qui pouvaient être surmontées s'il y avait eu refus de la lutte et du sacrifice.
L'erreur est d'autant plus facile que, souvent, les expertises s'inspirent du présupposé selon lequel le passé d'une personne, non seulement aide à expliquer son présent, mais le détermine inévitablement, jusqu'à lui enlever toute possibilité de libre choix. Même dans ce cas, la conclusion est déterminée à l'avance, avec des conséquences très graves, si l'on considère combien il est facile de trouver dans l'enfance et dans l'adolescence de chacun des éléments traumatisants et inhibants.

9.- Une autre source possible d'incompréhension dans l'évaluation des manifestations psychopathologiques, est constituée non par une aggravation excessive de la pathologie, mais, au contraire, par une surévaluation indue du concept de capacité matrimoniale. Comme je le faisais remarquer l'an passé 1987 , l'équivoque peut naître du fait que l'expert déclare l'incapacité du contractant non en référence à la capacité minimale, suffisante pour un consentement valide, mais au contraire par rapport à l'idéal d'une pleine maturité pour une vie conjugale heureuse.

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III Le rôle du "défenseur du lien"

10.- Dans les causes concernant l'incapacité psychique, le défenseur du lien est donc appelé à se référer constamment à une vision anthropologique adéquate de la normalité pour confronter à celle-ci les résultats des expertises. Il devra recueillir et signaler au juge d'éventuelles erreurs à ce propos, dans le passage des catégories psychologiques et psychiatriques aux catégories canoniques.
Il contribuera ainsi à éviter que les tensions et les difficultés qui sont inévitablement liées au choix et à la réalisation des idéaux du mariage, soient confondues avec les signes d'une grave pathologie; que la dimension subconsciente de la vie psychique ordinaire soit interprétée comme un conditionnement qui enlève la liberté substantielle de la personne; que toute forme d'insatisfaction ou d'inadaptation dans la période de la formation humaine soit comprise comme un facteur qui détruit nécessairement même la capacité de choisir et de réaliser l'objet du consentement matrimonial.

11.- Le défenseur du lien doit en outre veiller à ce qu'on accepte pas comme suffisantes, pour fonder un diagnostic, des expertises qui ne sont pas scientifiquement sûres, ou bien qui sont limitées à la seule recherche des signes anormaux, sans la nécessaire analyse existentielle du contractant dans sa dimension intégrale.
Ainsi, par exemple, si on ne fait aucune allusion dans l'expertise à la responsabilité des conjoints ni à leurs possibles erreurs d'évaluation, ou bien si l'on ne considère pas les moyens à leur disposition pour remédier à des faiblesses ou des erreurs, il faut craindre qu'une orientation réductrice n'envahisse l'expertise, déterminant à l'avance les conclusions.
Cela vaut aussi dans le cas où le subconscient ou le passé sont présentés comme des facteurs qui non seulement exercent une influence sur la vie consciente de la personne mais la déterminent, étouffant la faculté de décider librement.

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12.- Dans l'accomplissement de sa tâche, le défenseur du lien doit adapter son action aux diverses phases du procès. Il lui appartient avant tout, dans l'intérêt de la vérité objective, de veiller à ce qu'on pose à l'expert les questions d'une manière claire et pertinente, que l'on respecte sa compétence et que l'on n'attende pas de lui des réponses en matière canonique. Ensuite, dans la phase du débat, il devra savoir évaluer correctement les expertises dans la mesure où elles sont défavorables au lien et signaler opportunément au juge les risques d'une interprétation incorrecte de celles-ci, se prévalant aussi du droit de réponse qui lui est consenti par la loi CIC 1603 Par. 3. Enfin s'il s'aperçoit, en cas de sentence affirmative du premier degré, de déficiences dans les preuves sur lesquelles se base cette sentence, ou d'erreurs dans leur évaluation, il n'omettra pas d'interjeter appel et de le justifier.
De toute façon le défenseur du lien devra demeurer dans sa compétence canonique spécifique, sans vouloir en rien rivaliser avec l'expert ou le remplacer dans le domaine de la science psychologique et psychiatrique.
Cependant en vertu du CIC 1435, qui demande de lui "prudence et zèle pour la justice", il doit savoir reconnaître, dans les prémisses comme dans les conclusions de l'expertise, les éléments qu'il faut confronter avec la vision chrétienne de la nature humaine et du mariage, en veillant à ce que soit sauvegardée la méthodologie correcte du dialogue interdisciplinaire avec le nécessaire respect des rôles respectifs.

13.- La collaboration particulière du défenseur du lien dans la dynamique du procès fait de lui un personnage indispensable pour éviter les malentendus dans le prononcé des sentences, spécialement là où la culture dominante apparaît en contradiction avec la sauvegarde du lien matrimonial assumé par les contractants au moment des noces.
Si sa participation au procès se réduisait à la présentation d'observations purement rituelles, il y aurait un motif fondé pour en conclure à une ignorance inadmissible et (ou) à une grave négligence qui pèserait sur sa conscience, le rendant responsable à l'égard de la justice administrative des tribunaux, étant donné que son attitude affaiblirait la recherche effective de la vérité, laquelle doit toujours être " le fondement, la mère et la loi de la justice " 1980 .

14.- Tout en étant reconnaissant de l'oeuvre savante et fidèle des défenseurs du lien de ce Tribunal de la Rote romaine et de beaucoup de tribunaux ecclésiastiques, je voudrais encourager la reprise et le renforcement de ce rôle qualifié. Je souhaite qu'il soit toujours assumé avec compétence, clarté et engagement, spécialement parce que nous nous trouvons devant une mentalité grandissante peu respectueuse de la sacralité des liens assumés.
A vous-même et à tous ceux qui sont au service de la justice dans l'Eglise, j'accorde ma bénédiction.


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1989 La loi garantit et réglemente le droit à la défense.

26 / 01 / 1989

LA LOI GARANTIT ET REGLEMENTE LE DROIT A LA DEFENSE

A l'occasion de l'ouverture de l'année judiciaire Jean Paul II a reçu en audience le 26 Janvier les juges et les officiers du Tribunal de la Rote romaine, conduits par leur doyen, Mgr Ernesto Fiore. Le Pape a prononcé devant eux le discours suivant.

1.- Je remercie Mgr le Doyen de ses paroles de salutation et j'exprime mes sentiments d'estime et de reconnaissance à tous ceux qui apportent leur contribution au tribunal apostolique de la Rote romaine: les prélats auditeurs, les promoteurs de justice, les défenseurs du lien, les autres officiers, les avocats et également les enseignants du 'Studio'.
Conscient que les discours pontificaux à la Rote romaine, comme on le sait, s'adressent en fait à tous ceux qui sont responsables de la justice dans les tribunaux ecclésiastiques, je voudrais au cours de cette rencontre annuelle, souligner l'importance du droit à la défense dans le jugement canonique, spécialement dans les causes en déclaration de nullité de mariage. Même s'il n'est pas possible de traiter ici et maintenant toute la problématique à cet égard, je voudrais cependant insister sur quelques points d'une certaine importance.

2.- Le nouveau code de droit canonique attribue une grande importance au droit à la défense. En effet, en ce qui concerne les droits et les devoirs de tous les fidèles, le CIC 221 Par. 1 affirme: " Il appartient aux fidèles de revendiquer légitimement les droits dont ils jouissent dans l'Eglise et de les défendre devant le for ecclésiastique compétent, selon le droit ". Et le Par. 2 poursuit: " Les fidèles ont aussi le droit s'ils sont appelés en jugement par l'autorité compétente, d'être jugés selon les dispositions du droit qui doivent appliquées avec équité ". Le CIC 1260 déclare explicitement la nullité irrémédiable de la sentence si l'on a dénié à l'une ou l'autre partie le droit de se défendre, alors que l'on peut tirer du CIC 1598 Par.1 le principe suivant, qui doit guider toute l'activité judiciaire de l'Eglise: " Ius defensionis semper integrum maneat " (Que les droits de la défense restent toujours saufs).

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L'exercice concret de la défense

3.- Il nous faut tout de suite remarquer que l'absence d'une norme aussi explicite dans le Code de 1917 ne signifie certes pas que le droit à la défense n'ait pas été observé dans l'Eglise sous le régime du Code précédent. Celui-ci donnait, en effet, les dispositions opportunes et nécessaires pour garantir ce droit dans le jugement canonique. Et même si le CIS 1892 ne mentionnait pas le " jus defensionis denegatum " (déni du droit de se défendre) parmi les cas de nullité irrémédiable de la sentence, il faut constater que, malgré cela, aussi bien la doctrine que la jurisprudence rotale défendaient la nullité irrémédiable de la sentence dans le cas où le droit de se défendre avait été refusé à l'une ou l'autre partie.
On ne peut concevoir un procès équitable sans qu'il soit contradictoire, c'est-à-dire sans la possibilité concrète accordée à chacune des parties en la cause d'être écoutée et de pouvoir connaître et contredire les requêtes, preuves et conclusions adoptées par la partie adverse ou 'ex officio'.

4.- Le droit à la défense de chacune des parties dans le jugement, c'est-à-dire non seulement le défendeur mais aussi le demandeur, doit bien sûr s'exercer selon les justes dispositions de la loi positive, dont le but est non pas d'ôter l'exercice du droit à la défense, mais de le réglementer de manière qu'il ne puisse dégénérer en abus ou en obstruction systématique, et de garantir en même temps la possibilité concrète de l'exercer. Aussi l'observance fidèle des normes positives à cet égard constitue-t-elle une grave obligation pour les responsables de la justice dans l'Eglise.

5.- Evidemment la défense de fait n'est pas requise pour la validité du procès, pourvu qu'elle demeure toujours une possibilité concrète. Donc les parties peuvent renoncer à l'exercice du droit de se défendre dans le jugement contentieux; dans le jugement pénal, au contraire, la défense de fait, et même la défense technique, ne doit jamais faire défaut, puisque dans un procès de ce genre l'accusé doit toujours avoir un avocat ( cf. CIC 1481 Par 2 CIC 1723 ).
Il faut tout de suite ajouter une précision en ce qui concerne les causes matrimoniales. Même si une des parties avait renoncé à l'exercice de la défense, en ces causes le devoir grave demeure pour le juge d'effectuer des tentatives sérieuses pour obtenir la déposition en justice de cette partie ainsi que des témoins qu'elle pourrait produire. Le juge doit bien évaluer chaque cas particulier. Parfois la partie défenderesse ne veut pas se présenter en justice, n'avançant aucun motif valable, précisément parce qu'elle ne comprend pas comment l'Eglise pourrait déclarer la nullité du lien sacré de son mariage après tant d'années de vie commune. En ce cas, la vraie sensibilité pastorale et le respect de la conscience de la partie imposent au juge le devoir de lui présenter toutes les informations opportunes concernant les causes de nullité de mariage et de chercher avec patience sa pleine coopération dans le procès, pour éviter aussi un jugement partial en une matière si grave.
Je pense ensuite qu'il est opportun de rappeler à tous les responsables de la justice que, selon la saine jurisprudence de la Rote romaine, on doit, dans les causes en nullité de mariage, notifier à la partie qui aurait renoncé à l'exercice de son droit à la défense, la formule du doute, éventuellement toute nouvelle demande de la partie adverse, ainsi que la sentence définitive.

6.- Le droit à la défense exige, en soi, la possibilité concrète de faire connaître les preuves alléguées soit par la partie adverse, soit 'ex officio'. Le CIC 1598 Par.1 dispose pour cela que, une fois les preuves acquises, le juge doit permettre aux parties et à leurs avocats, sous peine de nullité, de prendre connaissance à la chancellerie du tribunal des actes dont ils n'ont pas encore connaissance. Il s'agit d'un droit aussi bien des parties que de leurs éventuels avocats. Le même canon prévoit cependant une exception possible: dans les causes qui concernent le bien public, le juge peut disposer, pour éviter de très graves dangers, qu'un acte ne sera porté à la connaissance de quiconque, en garantissant cependant, toujours et intégralement, le droit à la défense.
En ce qui concerne l'exception que je viens de mentionner, il faut observer que ce serait dénaturer la norme, et aussi faire une grave erreur d'interprétation, si l'on faisait de l'exception la règle générale. Aussi faut-il s'en tenir fidèlement aux limites indiquées par le canon.

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La publication de la sentence

7.- On ne sera pas étonné que je parle aussi, toujours en rapport avec le droit à la défense, de la nécessité de la publication de la sentence. En effet, comment une des parties pourrait-elle se défendre en appel contre la sentence du tribunal inférieur si elle était privée du droit d'en connaître les motifs, aussi bien in jure que in facto? Le droit exige donc que le dispositif de la sentence soit précédé des motifs sur lesquels il repose (cf. CIC 1612 Par.3) et cela non seulement pour rendre l'obéissance plus facile à son égard, dans la mesure où elle est exécutoire, mais aussi pour garantir le droit à la défense dans une éventuelle instance postérieure. Le CIC 1614 dispose par conséquent, que la sentence n'a aucun effet avant sa publication, même si le dispositif, avec la permission du juge, a été signifié aux parties. On ne voit donc pas comment elle pourrait être confirmée en appel sans cette nécessaire publication. (cf. CIC 1615) .
Pour garantir encore davantage le droit à la défense, obligation est faite au tribunal d'indiquer aux parties les moyens par lesquels la sentence peut être attaquée (cf. CIC 1614 . Il semble opportun de rappeler que dans l'accomplissement de cette tâche le tribunal de première instance doit également indiquer qu'il est possible de s'adresser à la Rote romaine déjà pour la seconde instance. Dans ce contexte, il faut de plus se rappeler que le délai pour interjeter appel ne court qu'à compter de la connaissance de la publication de la sentence (cf. CIC 1630 Par. 1), tandis que le CIC 1634 Par.2 établit: " Si la partie appelante ne peut dans le temps utile obtenir du tribunal auteur de la sentence copie de la sentence attaquée, les délais ne courent pas durant ce temps; il faut signifier l'empêchement au juge d'appel qui, par un précepte obligera le juge auteur de la sentence à s'acquitter au plus tôt de son devoir ".

8.- On avance parfois que l'obligation d'observer les règles canoniques à cet égard, spécialement en ce qui concerne la publication des actes et de la sentence, pourrait faire obstacle à la recherche de la vérité à cause du refus des témoins de coopérer au procès en ces circonstances.
Avant tout il doit être bien clair que la " publicité " du procès canonique en ce qui concerne les parties ne met pas en cause sa nature réservée à l'égard de tous les autres. Il faut noter en outre que la loi canonique exempte du devoir de répondre en jugement tous ceux qui sont tenus au secret professionnel, en ce qui concerne les affaires sujettes à ce secret, et également ceux qui craignent que leur témoignage n'entraîne pour eux mêmes, pour leur conjoint, leurs proches parents ou alliés, discrédit, mauvais traitements ou d'autre maux graves (cf. CIC 1548 Par.2) et que, également en ce qui concerne la production de documents dans un procès, il existe une norme semblable (cf. CIC 1546). Enfin, il ne peut échapper que, dans une sentence, l'exposé des raisons en droit et en fait sur lesquelles elle repose est suffisant, sans que l'on soit obligé de rapporter tous et chacun des témoignages.
Ces prémisses étant faites, je ne puis pas ne pas souligner que le plein respect du droit à la défense a une importance particulière dans les causes en déclaration de nullité de mariage, soit parce qu'elles concernent très profondément et intimement la personne des parties en cause, soit parce qu'elles traitent de l'existence, ou non, du lien sacré du mariage. Aussi ces causes exigent-elles une recherche de la vérité particulièrement diligente.
Il est évident qu'il faudra expliquer aux témoins le sens authentique des normes législatives à cet égard, et il est également nécessaire de réaffirmer qu'un fidèle, légitimement convoqué par le juge compétent, est tenu à lui obéir et à dire la vérité, à moins qu'il ne soit soustrait à l'obligation de répondre, aux termes du droit (cf. CIC 1548 Par.1).
Par ailleurs une personne doit avoir le courage d'assumer la responsabilité de ce qu'elle dit, et elle ne peut avoir peur si elle a vraiment dit la vérité.

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Garder le secret professionnel

9.- J'ai dit que la " publicité " du jugement canonique en ce qui concerne les parties en cause n'affecte pas sa nature réservée à l'égard de toutes les autres. En effet, les juges et les auxiliaires du tribunal sont tenus de garder le secret professionnel, toujours quand il s'agit d'un jugement pénal, et également en matière contentieuse si un préjudice pour les parties peut découler de la révélation de quelque acte processuel. Et même, chaque fois que la cause ou les preuves sont de nature telle que la divulgation des actes ou des preuves mettrait en péril la bonne renommée d'autrui, pourrait donner lieu à des dissensions, ferait surgir un scandale ou d'autres inconvénients semblables, le juge peut lier les témoins, les experts, les parties et leurs avocats en leur faisant prêter le serment de garder le secret (cf. CIC 1455 Par.1 et 3). Il faut aussi noter l'interdiction faite aux notaires et au chancelier de délivrer, sans mandat du juge, copie des actes judiciaires et des documents acquis au cours du procès (cf. CIC 1475 Par 2). De plus le juge peut être puni par l'autorité ecclésiastique compétente pour violation de la loi du secret (cf. CIC 1457 Par. 1).
En effet, d'ordinaire les fidèles s'adressent au tribunal ecclésiastique pour résoudre un problème de conscience. Dans cet ordre d'idées, ils disent souvent certaines choses qu'ils ne diraient pas autrement. Même les témoins donnent souvent leur témoignage à la condition, au moins tacite, qu'il ne serve qu'au procès ecclésiastique. Le tribunal - la recherche de la vérité objective est pour lui essentielle - ne peut trahir leur confiance en révélant à des étrangers ce qui doit demeurer réservé.

10.- Il y a dix ans, dans mon premier discours à ce tribunal, j'ai eu l'occasion de dire: " La mission de l'Eglise, et son mérite historique de proclamer et de défendre en tout lieu et en tout temps les droits fondamentaux de l'homme, ne l'exempte pas mais au contraire l'oblige à être devant le monde 'spéculum iustitiae' ". 1979 .
J'invite tous les responsables de la justice à protéger dans cette perspective le droit à la défense. Je vous remercie vivement pour la grande sensibilité de votre tribunal à l'égard de ce droit, et je vous accorde de tout coeur ma bénédiction apostolique.


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1990 Dimension pastorale du Droit canonique


18 / 01 / 1990

LE DROIT CANONIQUE A UNE AUTHENTIQUE DIMENSION PASTORALE.


1. L'inauguration solennelle de l'année judiciaire de la Rote romaine m'offre une fois encore l'heureuse occasion de vous exprimer ma reconnaissance la plus cordiale et mes encouragements pour l'activité que vous exercez, chers Frères, en qualité de juges, ou dans d'autres fonctions liées à l'exercice de la justice par ce tribunal apostolique. En vous saluant avec affection, je désire vous faire participer à ma sollicitude de pasteur de l'Eglise universelle en ce qui regarde l'activité juridictionnelle des tribunaux ecclésiastiques, car j'ai bien conscience des difficultés que rencontrent tous ceux qui se consacrent ex professo à ce service du Peuple de Dieu.
En partant des claires paroles de Mgr le doyen sur la fonction du juge dans l'Eglise, il me semble opportun d'approfondir un thème qui, après le Concile Vatican II, a été au centre de l'oeuvre législative, de la jurisprudence et de la doctrine en matière canonique. Il s'agit de la dimension pastorale du droit canonique ou, en d'autres termes, des rapports entre la pastorale et le droit dans l'Eglise.

2. L'esprit pastoral, sur lequel le Concile Vatican II a fortement insisté dans le contexte de l'ecclésiologie de communion exposée surtout dans la Constitution dogmatique Lumen gentium, caractérise tous les aspects de l'être et de l'agir de l'Eglise. Le même Concile, dans le Décret sur la formation des prêtres, a stipulé expressément que, dans la présentation du droit canonique, on attire l'attention sur le mystère de l'Eglise, selon la Constitution dogmatique 'De Ecclesia' , (cf. OT 16).Cela vaut a fortiori pour sa formulation, comme aussi pour son interprétation et son application. La pastorale de ce droit, c'est-à-dire sa fonction par rapport à la mission salvifique des pasteurs et de tout le Peuple de Dieu, trouve ainsi son fondement solide dans l'ecclésiologie conciliaire, pour laquelle les aspects visibles de l'Eglise sont inséparablement unis aux aspects spirituels, formant une seule réalité complexe, comparable au mystère du Verbe incarné (cf. LG 8). D'autre part, le Concile n'a pas manqué de tirer de nombreuses conséquences pratiques de ce caractère pastoral du droit canonique, établissant des mesures concrètes qui visent à ce que les lois et les institutions canoniques soient toujours plus adaptées au bien des âmes (cf. par ex. le Décret Christus Dominus CD 1 passim ).


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