A la Rote 1939-2009 9600

1996 Le caractère particulier de chaque cas

22/01/1996

LE JUGE DOIT VEILLER AU CARACTERE PARTICULIER DE CHAQUE CAS QUI LUI EST SOUMIS

1. Je vous remercie de tout coeur, Mgr le Doyen, des paroles par lesquelles vous avez voulu interpréter les sentiments de tous ceux qui sont ici présents. Je salue également avec affection les Prélats auditeurs, les promoteurs de justice, les Officiers de la chancellerie, les avocats de la Rote et les élèves qui suivent les cours du "Studio" rotal. Au commencement de cette nouvelle année judiciaire, j'adresse à tous mes souhaits fervents de paix et d'heureuse activité dans ce domaine si prenant de l'approfondissement et de l'application concrète du droit.
C'est toujours pour moi une grande joie de vous accueillir à l'occasion de cette rencontre traditionnelle où j'ai la possibilité de vous exprimer ma vive reconnaissance pour la fidélité et l'engagement avec lesquels vous exercez votre ministère ecclésial particulier.
Dans son adresse, Mgr le Doyen a souligné les problèmes qui, dans l'exercice du pouvoir judiciaire, se posent à l'intelligence, à la conscience et au coeur des juges Prélats auditeurs. Ce sont des problèmes qui rencontrent une pleine compréhension de ma part. ]e voudrais y revenir avec ces réflexions.
Je partirai de quelques concepts fondamentaux concernant la véritable et authentique nature des procès en nullité de mariage, pour parler ensuite de la tâche, propre au juge canonique, de veiller au caractère particulier de chaque cas, dans le contexte de la culture spécifique où il se situe.

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La nature des procès en nullité de mariage.

2. La nature authentique des procès en nullité de mariage découle, outre leur objet propre, de leur place même à l'intérieur de la législation canonique qui réglemente l'instauration, le déroulement et la définition du procès.
Ainsi le Législateur, après avoir établi d'une part certaines normes spécifiques aux causes de nullité de mariage (cf. CIC 1671 et s.CIO 1357 et s.), a disposé d'autre part que, pour le reste, on doit appliquer dans ces causes les canons "de iudiciis in genere et de iudicio contentioso ordinario" , CIC 1691 CIO 1376. Dans le même temps, il a rappelé expressément qu'il s'agit de causes qui concernent le statut des personnes, c'est-à-dire leur position par rapport à l'ordre canonique (cf. CIC 1691) et au bien public de l'Eglise (cf. CIC 1691 CIO 1376).
Sans ces prémisses, il ne serait pas possible de comprendre diverses prescriptions des deux Codes, latin et oriental, où l'activité du pouvoir public apparaît prédominante. Que l'on pense, par exemple, au rôle que joue le juge pour conduire la phase d'instruction du procès, suppléant même la négligence des parties elles-mêmes; ou bien à l'indispensable présence du défenseur du lien, en tant que protecteur du sacrement; ou bien encore à l'initiative qu'exerce le promoteur de justice lorsqu'il se constitue partie et acteur dans des cas déterminés.
Dans des cas déterminés, l'Eglise montre une vive sensibilité devant l'exigence que l'état des personnes, s'il est mis en discussion, ne reste pas trop longtemps sujet au doute. Il en découle qu'il est possible de s'adresser à divers tribunaux en ce qui concerne une plus grande facilité de l'instruction (cf. CIC 1673 CIO 1359); de même, en appel, l'attribution de compétence pour de nouveaux chefs de nullité à juger "tamquam in prima instantia" (cf. CIC 1683 CIO 1369 ou encore le procès abrégé en appel, après une sentence déclarant la nullité, toutes les formalités processuelles étant éliminées, et la décision étant donnée par un: simple décret de ratification (cf. CIC 1682 CIO 1368 .

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3. Mais ce qui domine tout cela, c'est la nature publique du procès en nullité de mariage et en même temps la spécificité juridique de la constatation d'un état qui est la constatation processuelle d'une réalité objective, c'est-à- dire de l'existence d'un lien valide ou nul.
Cette qualification ne peut être obscurcie, dans la procédure effective, par le fait que le procès en nullité s'insère dans un cadre processuel contentieux plus large. En outre, il faut rappeler que les conjoints, auxquels appartient par ailleurs le droit de dénoncer la nullité de leur mariage, n'ont cependant ni le droit à la nullité ni le droit à la validité de celui-ci. Il ne s'agit pas, en réalité, d'engager un procès qui se termine définitivement par une sentence constitutive, mais plutôt de la faculté juridique de proposer à l'autorité compétente de l'Eglise la question de la nullité de leur propre mariage, demandant une décision à cet égard.
Cela n'empêche nullement que, s'agissant d'une question concernant la définition de l'état personnel soient reconnus et accordés aux conjoints les droits processuels essentiels: être entendus en jugement, produire les preuves documentaires, celles des experts et des témoins, connaître tous les actes de l'instruction, présenter leur "défense" respective.

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Arriver à établir la vérité objective

4. On ne devra cependant jamais oublier qu'il s'agit d'un bien indisponible et que la finalité suprême est l'établissement d'une vérité objective, qui touche aussi le bien public. Dans cette perspective, les actes processuels tels que la proposition de certaines "questions incidentes", ou des comportements moratoires, étrangers, sans intérêt ou qui même empêchent de parvenir à cette fin, ne peuvent être admis dans un jugement canonique.
Dans ce contexte général, il apparaît donc que le fait de recourir à des plaintes fondées sur des atteintes présumées au droit de la défense, comme également la prétention d'appliquer au jugement en nullité de mariage des normes de procédure valables dans des procès d'une autre nature, mais qui sont totalement inconséquentes dans des causes qui ne passent jamais en chose jugée, ne peut être qu'un prétexte.
Ce sont là des principes qu'il faut élaborer et traduire dans une claire pratique judiciaire, surtout à l'aide de la jurisprudence du tribunal de la Rote romaine, de sorte qu'il ne soit pas fait violence à la loi universelle et particulière, ni aux droits des parties légitimement admises en jugement, sollicitant également des corrections de la part du Législateur ou bien une règle d'application spécifique du Code, comme cela est déjà arrivé dans le passé (cf. Instruction de la S. Congrégation pour la discipline des sacrements Provida Mater Ecclesia, du 15 août 1936).

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Tenir compte des cultures particulières

5. J'ai confiance que ces réflexions contribueront à écarter des difficultés qui pourraient faire obstacle à une prompte définition des causes. Mais, pour un jugement convenable de celles-ci, je pense que sont aussi importants certains rappels quant à la nécessité d'évaluer et de délibérer sur chaque cas particulier en tenant compte de l'individualité du sujet et en même temps de la culture particulière dans laquelle celui-ci a grandi et travaille.
Déjà dès le début de mon pontificat, voulant mettre clairement en évidence la vérité sur la dignité humaine, j'ai souligné que l'homme est un être un, unique, irremplaçable.
Ce caractère unique concerne l'individu humain, non pas pris abstraitement, mais plongé dans la réalité historique, ethnique, sociale et surtout culturelle, qui le caractérise dans sa singularité. Il faut de toute façon réaffirmer le principe fondamental, auquel on ne peut renoncer, de l'intangibilité de la loi divine, aussi bien naturelle que positive, formulée authentiquement dans la législation canonique concernant les matières spécifiques.
Donc, il ne s'agira jamais de plier la législation objective à l'approbation des sujets privés, ni, encore moins, de lui donner une signification et une application arbitraires. De même, on doit constamment garder à l'esprit que les diverses institutions juridiques définies par la loi canonique - je pense en particulier au mariage, à sa nature, à ses propriétés, à ses fins connaturelles - doivent toujours et dans tous les cas conserver leur valeur et leur contenu essentiel.

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6. Mais parce que la loi abstraite trouve son application en traitant de cas d'espèce concrets, c'est une tâche d'une grande responsabilité que d'évaluer sous leurs divers aspects les cas spécifiques, pour établir si, et en quelle mesure, ils rentrent dans ce qui est prévu par la législation. C'est précisément au cours de cette phase que la prudence du juge exerce son rôle le plus propre. Ici, véritablement, "il dit le droit", réalisant la loi et ses finalités, en-dehors de catégories mentales préconçues, peut-être valables dans une culture déterminée et une période historique particulière, mais certainement pas applicables a priori toujours et partout et dans tous les cas.
Du reste, la jurisprudence elle-même de ce Tribunal de la Rote romaine, traduite ensuite et comme consacrée dans de nombreux canons de la législation du Code en vigueur, n'aurait pas pu s'expliquer, se perfectionner et s'affiner si elle n'avait pas courageusement, mais toujours prudemment, porté attention à une anthropologie plus articulée, c'est-à- dire à une conception de l'homme découlant du progrès des sciences humaines, éclairées par une vision philosophique et théologique authentiquement fondée.

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Un tribunal "international"

7. Ainsi, votre très délicate fonction judiciaire se situe et, d'une certaine manière, se canalise dans l'effort séculaire par lequel l'Eglise, rencontrant les cultures de tous les temps et de tous les lieux, a assumé ce qu'elle a trouvé d'essentiellement valable et en harmonie avec les exigences immuables de la dignité de l'homme, fait à l'image de Dieu.
Si ces réflexions ont une valeur pour tous les juges des tribunaux qui travaillent dans l'Eglise, elles semblent s'adapter encore bien davantage à vous, Prélats auditeurs d'un tribunal auquel, par définition et compétence première, sont dévolus en appel les procès de tous les continents de la terre. Ce n'est donc pas par rhétorique mais pour être cohérent avec la tâche qui vous est confiée, que l'article premier des Normes de la Rote romaine prévoit que le collège des juges est constitué de Prélats auditeurs , " choisis par le Souverain Pontife dans les divers lieux de la terre ". Votre tribunal est donc un tribunal international, qui accueille en son sein les apports des cultures les plus diverses et qui les harmonise à la lumière supérieure de la vérité révélée.

8. Je suis certain que ces réflexions trouveront une pleine adhésion dans votre esprit de juges prudents et éclairés, comme aussi chez tous ceux qui collaborent à l'activité judiciaire de la Rote: promoteurs de justice, défenseurs du lien, avocats de la Rote. Je vous exhorte tous à nourrir des intentions identiques, que ce soit en matière d'initiatives processuelles, ou en ce qui concerne l'approfondissement de l'étude de chaque cause. En vous souhaitant l'abondance des grâces et des lumières, ayant invoqué l'Esprit de vérité dans la liturgie par laquelle a commencé ce jour inaugural de l'année judiciaire, je vous accorde à tous, en signe de reconnaissance pour votre généreux dévouement au service de l'Eglise, une spéciale bénédiction apostolique.


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1997 Le droit canonique comme protection du mariage

27/01/1997

LE DROIT CANONIQUE PROTEGE LA REALITE ANTHROPOLOGIQUE ET THEOLOGIQUE DU MARIAGE.

Jean Paul II a reçu en audience, le 27 Janvier les membres du Tribunal de la Rote romaine. Répondant a l'adresse d'hommage du doyen de la Rote, Mgr Mario Francesco POMPEDDA, le Pape a prononcé le discours suivant

Monseigneur le doyen, illustres prélats auditeurs et officiers de la rote romaine!

1.- Je suis heureux de vous rencontrer a l'occasion de ce rendez vous annuel, qui exprime et renforce le lien étroit qui unit votre travail a mon ministère apostolique.
Je salue cordialement chacun d'entre vous, Prélats auditeurs, Officiers et vous tous qui êtes au service du Tribunal de la Rote romaine, membres du " Studio ", avocats. Je vous remercie tout particulièrement, Mgr le Doyen, des aimables paroles que vous m'avez adressées, ainsi que des réflexions concises que vous venez d'exprimer.

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2.- Respectant l'habitude de présenter en cette circonstance quelques réflexions sur un sujet qui concerne le droit de l'Eglise et, plus particulièrement, l'exercice de la fonction judiciaire, je voudrais m'attarder quelque peu sur un thème que vous connaissez bien, les conséquences juridiques des aspects personnalistes du mariage. Sans entrer dans des problèmes particuliers qui concernent les divers chefs de nullité du mariage, je me limiterai a rappeler certains grands principes que l'on doit conserver soigneusement en mémoire pour approfondir ce thème.
Dès l'époque du Concile Vatican II, on s'est demande quelles conséquences juridiques découlaient de la vision du mariage contenue dans la Constitution pastorale Gaudium et Spes GS 47-52

En effet, la nouvelle codification canonique en ce domaine a largement mis en valeur la perspective conciliaire, tout en s'écartant résolument de certaines interprétations extrêmes qui, par exemple, considéraient l'intima communitas vitae et amoris coniugalis' GS 48 ('la communauté profonde de vie et d'amour que forme le couple') comme une réalité qui n'impliquait pas un `vinculum sacrum' GS 48 (un lien sacré )comportant une dimension juridique spécifique.
Dans le Code de 1983, se fondent de manière harmonieuse des formulations d'origine conciliaire, comme celle qui concerne l'objet du consentement CIC 1057 Par. 2, ainsi que la double orientation naturelle du mariage CIC 1055 Par. 1- ou les personnes de ceux qui contractent mariage se trouvent directement au premier plan -, et des principes de la tradition disciplinaire, comme celle de la 'favor matrimonii' (le mariage jouit de la faveur du droit) CIC 1060. Malgré cela certains symptômes montrent une tendance à opposer, sans possibilité de synthèse harmonieuse, les aspects personnalistes aux aspects proprement juridiques. Ainsi d'une part la conception du mariage comme don réciproque des personnes semblerait devoir légitimer une tendance doctrinale et jurisprudentielle indéterminée a élargir les qualités requises en matière de capacité ou de maturité psychologique, de liberté et de conscience, nécessaires pour que le mariage soit contracte validement; d'un autre cote, certaines applications de cette tendance, faisant apparaître les équivoques qu'elle comporte, sont a juste titre perçues comme en contradiction avec le principe de l'indissolubilité, non moins fermement rappelé par le Magistère.

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L'autorité du Magistère.

3.- Pour traiter ce problème d'une manière claire et équilibrée, il faut garder le principe que le pouvoir juridique ne se juxtapose pas tel un corps étranger a la réalité interpersonnelle du mariage, mais en constitue une dimension vraiment intrinsèque. En effet les rapports entre les conjoints, comme les rapports entre parents et enfants, sont aussi et constitutivement des rapports de justice, et ils sont donc en eux-mêmes, des réalités juridiquement importantes. L'amour conjugal et l'amour parents-enfants, ne sont pas seulement une inclination dictée par l'instinct, ni un choix arbitraire et réversible, mais c'est un amour qui est dû. Aussi mettre la personne au centre de la civilisation de l'amour n'exclut pas le droit, mais l'exige plutôt, menant à sa redécouverte comme réalité interpersonnelle, et à une vision des institutions juridiques qui mette en relief leur lien constitutif avec les personnes elles-mêmes, tellement essentiel dans le cas du mariage et de la famille.
S'agissant de ces thèmes, le Magistère va bien au-delà de la seule dimension juridique, mais la garde constamment présente à sa pensée. Il s'ensuit qu'une source prioritaire pour comprendre et appliquer correctement le droit matrimonial canonique est le Magistère même de l'Eglise, auquel appartient l'interprétation authentique de la Parole de Dieu sur ces réalités DV 10, y compris dans leurs aspects juridiques. Les normes canoniques ne sont que l'expression juridique d'une réalité anthropologique et théologique sous-jacente, et il faut s'y reporter pour éviter également le risque d'interprétations dictées par la facilité. Dans la structure communionnelle du Peuple de Dieu, la certitude de la garantie est donnée par le Magistère vivant des Pasteurs.

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4.- Dans une perspective d'authentique personnalisme, l'enseignement de l'Eglise implique l'affirmation de la possibilité de la constitution du mariage comme lien indissoluble entre les personnes des conjoints, destiné essentiellement à assurer le bien des conjoints eux-mêmes et celui de leurs enfants. En conséquence, serait en contradiction avec une véritable dimension personnaliste cette conception de l'union conjugale qui, mettant en doute cette possibilité, porterait à la négation de l'existence du mariage chaque fois que sont apparus des problèmes de convivialité. A la base d'une telle attitude, il y a une culture individualiste qui est l'antithèse d'un véritable personnalisme. " L'individualisme suppose un usage de la liberté dans lequel le sujet fait ce qu'il veut, 'établissant' lui-même 'la vérité' de ce qui lui plaît ou lui est utile. Il n'admet pas que d'autres 'veuillent' ou exigent de lui quelque chose au nom d'une vérité objective. Il ne veut pas 'donner' à un autre en fonction de la vérité, il ne veut pas devenir 'don désintéressé'". LF 14
L'aspect personnaliste du mariage chrétien comporte une vision intégrale de l'homme, qui, à la lumière de la foi, assume et confirme tout ce que nous pouvons connaître par nos forces naturelles. Cette vision se caractérise par un sain réalisme dans la conception de la liberté de la personne située dans les limites et les conditionnements de la nature humaine sur laquelle pèse le péché, et l'aide jamais insuffisante de la grâce. Dans cette optique qui est propre à l'anthropologie chrétienne, entre aussi la conscience de la nécessité du sacrifice, de l'acceptation de la souffrance et de la lutte, comme de réalités indispensables pour être fidèle à ses devoirs. Dans le traitement des causes matrimoniales, serait donc totalement erronée une conception pour ainsi dire trop `idéalisée' du rapport entre les conjoints, qui pousserait à interpréter comme une authentique incapacité à assumer les charges du mariage la difficulté normale que l'on peut constater dans le cheminement du couple vers l'intégration sentimentale pleine et réciproque.

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La vraie nature de la personne humaine.

5.- Une évaluation correcte des éléments personnalistes exige par ailleurs, que l'on tienne compte de l'être de la personne et concrètement, de sa dimension conjugale et de l'inclination naturelle vers le mariage qu'elle entraîne. Une conception personnaliste nourrie d'un pur subjectivisme et, en tant que telle, oublieuse de la nature de la personne humaine, - prenant à l'évidence le terme `nature' dans son sens métaphysique - donnerait lieu à toutes sortes d'équivoques, y compris dans le domaine canonique. Il y a certainement une essence du mariage, décrite dans le CIC 1055 laquelle imprègne toute la discipline matrimoniale, comme cela ressort des concepts de `propriété essentielle', `éléments essentiels', `droits et devoirs essentiels', etc. Cette réalité essentielle est une possibilité ouverte en principe à tout homme et à toute femme. Et même, elle représente un véritable chemin vocationnel pour la très grande majorité de l'humanité. Il s'ensuit que, dans l'évaluation de la capacité ou de l'acte de consentement nécessaire à la célébration d'un mariage valide, on ne peut exiger ce qu'il n'est pas possible de demander à la majorité des personnes. Il ne s'agit pas de minimalisme pragmatique et d'une solution de facilité, mais d'une vision réaliste de la personne humaine, en tant que réalité toujours en croissance, appelée à faire des choix responsables avec des potentialités initiales, les enrichissant toujours davantage par son effort propre et l'aide de la grâce.
Dans cette optique, la `favor matrimonii' et la présomption qui s'ensuit de la validité du mariage CIC 1060 apparaissent non seulement comme l'application d'un principe général du droit, mais comme une conséquence parfaitement en harmonie avec la réalité spécifique du mariage. Demeure, cependant, la tache difficile que vous connaissez bien, de déterminer, même avec l'aide des sciences humaines, ce minimum en dessous duquel on ne pourrait parler de capacité et de consentement suffisant pour un véritable mariage.

6.- Tout cela montre bien combien est exigeante et prenante la tache confiée à la Rote romaine. Par son activité jurisprudentielle qualifiée, non seulement elle veille à assurer la protection des droits de tous les christifideles, mais elle apporte, en même temps, une contribution importante à l'accueil du dessein de Dieu sur le mariage et la famille, dans la communauté ecclésiale comme aussi, indirectement dans toute la communauté humaine.
Aussi, en vous exprimant ma gratitude, à vous qui directement ou indirectement, collaborez à ce service, et en vous exhortant à persévérer avec un nouvel élan dans votre travail si important pour la vie de l'Eglise, je vous accorde de tout coeur ma Bénédiction, que j'étends volontiers à tous ceux qui travaillent dans les tribunaux ecclésiastiques, partout dans le monde.


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1998 Droit canonique comme service de l'unité

17/1/1998

LE DROIT CANONIQUE EST AU SERVICE DE L'UNITE DANS LA CHARITE.

A l'occasion de l'ouverture de la nouvelle année judiciaire, Jean Paul II a reçu, le 17 Janvier les membres du Tribunal de la Rote romaine. Répondant à l'adresse d'hommage du doyen de la Rote, Mgr Mario Francisco Pompedda, le Pape a prononcé le discours suivant:

J'ai écoute avec intérêt les paroles par lesquelles, vénéré Frère, en votre qualité de Doyen de la Rote romaine, vous vous êtes fait l'interprète des sentiments des Prélats auditeurs, des 'Officiers' majeurs et mineurs du Tribunal, des défenseurs du lien, des avocats près de la Rote, des étudiants du 'Studio rotale' et de vos proches qui assistent à cette audience spéciale, à l'occasion de l'inauguration de l'année judiciaire. En vous remerciant pour les sentiments que vous avez exprimeé, je voudrais aussi, en cette circonstance, vous renouveler mes félicitations pour votre élévation à la dignité d'archevêque, qui constitue une manifestation d'estime à votre égard et de reconnaissance pour l'activité séculaire du Tribunal de la Rote romaine.
Je connais bien la collaboration compétente que votre Tribunal apporte au successeur de Pierre dans l'accomplissement de sa tache dans le domaine judiciaire. C'est un travail précieux qui ne se fait pas sans sacrifices de la part de personnes hautement qualifiées dans le domaine juridique, et qui ont la préoccupation constante que l'activité du tribunal corresponde aux besoins pastoraux de notre temps.
Comme il se devait, Mgr le Doyen a rappelé que, au cours de cette année 1998, il y aura 90 ans que la Constitution apostolique Sapienti consilio, par laquelle mon vénéré Prédécesseur saint Pie X réorganisa la Curie romaine, avait aussi redéfini la fonction juridictionnelle et la compétence de votre Tribunal. C'est à juste titre qu'il a rappelé cet anniversaire, faisant une brève allusion au passé afin surtout d'envisager les engagements futurs dans la perspective des exigences qui se dessinent.

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Le juge, 'prêtre du droit' dans la société ecclésiale.

2.- L'occasion m'est donnée aujourd'hui de vous proposer quelques réflexions, tout d'abord sur la configuration et la place de l'administration de la justice et, par conséquent , du juge dans l'Eglise, puis, en second lieu, sur quelques problèmes qui concernent plus concrètement et directement votre travail judiciaire.
Pour comprendre le sens du droit et du travail judiciaire dans l'Eglise - dans son mystère de communion, la société visible et le Corps mystique du Christ constituent une seule réalité LG 8 -, il semble nécessaire dans notre rencontre de ce jour, de réaffirmer tout d'abord la nature surnaturelle de l'Eglise et sa finalité essentielle et inaliénable. Le Seigneur l'a constituée pour être le prolongement et la réalisation au cours des siècles de son oeuvre universelle de salut, qui fait aussi retrouver la dignité originelle de l'homme en tant qu'être rationnel, crée à l'image et à la ressemblance de Dieu. Tout a un sens, tout a une raison, tout a une valeur dans l'oeuvre du Corps mystique du Christ, uniquement selon la ligne directrice et la finalité de la Rédemption de tous les hommes.
Dans la vie de communion de la societas ecclésiastique, signe dans le temps de la vie éternelle qui bat dans la Trinité, les membres sont élevés, par un don de l'amour divin, à l'état surnaturel, obtenu et toujours recouvre par l'efficacité des mérites infinis du Christ, Verbe fait chair.
Fidèle à l'enseignement du Concile Vatican II, le Catéchisme de l'Eglise Catholique, affirmant que l'Eglise est une de par sa source, nous rappelle: " De ce mystère le modèle suprême et le principe est dans la trinité des personnes l'unité d'un seul Dieu, Père, et Fils, en l'Esprit Saint " CEC 813. Mais dans le même temps ce Catéchisme affirme: " Lorsque la charité mutuelle et la louange unanime de la Très Sainte Trinité nous font communier les uns aux autres, nous tous, fils de Dieu qui ne faisons dans le Christ qu'une seule famille, nous répondons à la vocation profonde de l'Eglise ". CEC 959.
Aussi, le juge ecclésiastique, authentique " sacerdos juris " dans la société ecclésiale, ne peut-il pas ne pas être appelé à mettre en oeuvre un véritable " officium caritatis et unitatis ". Votre tache est donc d'autant plus prenante et en même temps d'une grande valeur spirituelle, puisque vous devenez les artisans effectifs d'une singulière diaconie pour tout homme et encore plus pour le 'fidèle du Christ'.
C'est la l'application correcte du droit canonique, que présupposé la grâce de la vie sacramentelle, qui favorise cette unité dans la charité, parce que le droit dans l'Eglise ne pourrait avoir une autre interprétation, un autre sens et une autre valeur sans manquer à la finalité essentielle de l'Eglise elle-même. De même, aucune activité judiciaire qui se déroule devant ce Tribunal ne peut faire exception à cette perspective et à ce but suprême.

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3.- Cela vaut depuis les procédures pénales, pour lesquelles la recomposition de l'unité ecclésiale signifie le rétablissement d'une pleine communion dans la charité, pour en arriver, en passant par les procès en matière contentieuse, aux procédures vitales et complexes qui touchent au statut personnel et, en premier lieu, à la validité du lien matrimonial.
Il serait superflu de rappeler ici que la "manière" selon laquelle sont menés les procès ecclésiastiques, doit elle aussi se traduire dans des comportements aptes à exprimer ce souffle de charité. Comment ne pas penser à l'icône du Bon Pasteur qui se penche vers la brebis égarée et blessée, lorsque nous voulons nous représenter le juge qui, au nom de l'Eglise, rencontre, traite et juge la condition d'un fidèle qui s'est adresse à lui avec confiance?
Mais au fond, c'est l'esprit même du droit canonique qui exprime et réalise cette finalité de l'unité dans la charité: on doit en tenir compte aussi bien dans l'interprétation et l'application de ses différents canons, que - et surtout - dans la fidèle adhésion à ses principes doctrinaux qui, en tant que substrat nécessaire, donnent sens et substance aux canons. J'ai écrit, en ce sens, dans la Constitution " Sacrae disciplinae Leges " par laquelle j'ai promulgue le Code de droit canonique de 1983: " Si, cependant, il n'est pas possible de traduire parfaitement en langage canonique l'image conciliaire de l'Eglise, le Code doit néanmoins être toujours réfère à cette même image comme à son exemplaire primordial dont, par sa nature même, il doit exprimer les traits autant qu'il est possible ". (AAS 75, 1983, p. XI)

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Comprendre correctement le droit du mariage

4.- A cet égard il serait difficile de ne pas penser tout particulièrement aux causes qui sont les plus nombreuses dans les procès soumis à l'examen de la Rote romaine et des Tribunaux de toute l'Eglise: je fais allusion aux causes de nullité de mariage.
Dans ces causes, l'"officium caritatis" doit s'exprimer au plan doctrinal comme au plan plus processuel. Dans ce domaine, la fonction spécifique de la Rote romaine apparaît comme principale en tant que mise en oeuvre d'une jurisprudence sage et univoque à laquelle doivent se conformer, comme à un modèle faisant autorité, les autres Tribunaux ecclésiastiques. Il ne devrait pas en aller autrement pour la publication, désormais, de vos décisions judiciaires concernant la substance du droit ainsi que les problèmes de la procédure.
Au-delà de la valeur des jugements particuliers prononcés a l'égard des parties intéressées, les sentences rotales contribuent à comprendre correctement et à approfondir le droit matrimonial. Cela justifie donc le rappel continu - que l'on trouve dans ces sentences - des principes inaliénables de la doctrine catholique en ce qui concerne la conception catholique du mariage, avec les obligations et les droits qui lui sont propres, et plus encore de tout ce qui appartient à sa réalité sacramentelle, quand il est célébré entre deux baptises. L'exhortation de Saint Paul vient ici a notre aide: "Proclame la parole, interviens à temps et à contretemps. Un temps viendra où on ne supportera plus l'enseignement solide " 2Tm 4,2-3 Un avertissement qui, sans aucun doute, reste valable aujourd'hui encore.

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Un examen sérieux mais plus rapide des causes introduites.

5.- Mon âme de pasteur n'oublie pas le problème angoissant et dramatique que vivent les fidèles dont le mariage a échoué sans faute de leur part et qui, avant d'obtenir une éventuelle sentence ecclésiastique qui en déclare légitimement la nullité, contractent une nouvelle union dont ils voudraient qu'elle soit bénie et consacre devant un ministre de l'Eglise.
Déjà en d'autres occasions j'ai attire votre attention sur la nécessité qu'aucune norme processuelle, purement formelle, ne représente un obstacle a la solution dans la charité et l'équité, de ces situations: l'esprit et la lettre du Code de droit canonique actuellement en vigueur vont dans cette direction. Mais avec cette préoccupation pastorale je ressens la nécessité que les causes matrimoniales soient menées à leur terme avec le sérieux et la célérité que requièrent leur nature même.
A cet égard, et dans le but de favoriser une administration toujours meilleure de la justice, aussi bien du point de vue substantiel que processuel, j'ai créé une Commission inter- dicastères chargée de préparer un projet d'Instruction sur le déroulement des procès concernant les causes matrimoniales.

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6.- Mais étant donné ces exigences indispensables de vérité et de justice, l'"officium caritatis et unitatis", qui a servi de cadre aux réflexions que je viens d'exposer, ne pourra jamais signifier un état d'inertie intellectuelle, qui aurait de la personne qui est l'objet de votre jugement une conception étrangère à la réalité historique et anthropologique, limitée et même invalidée par une vision liée culturellement à une partie ou l'autre du monde.
Les problèmes que l'on rencontre dans le droit matrimonial - Mgr le Doyen y a fait allusion au début de cette rencontre - exigent de votre part, en particulier de vous qui composez ce Tribunal ordinaire d'appel du Saint-Siège, une attention intelligente aux progrès des sciences humaines, à la lumière de la Révélation Chrétienne, de la Tradition et du Magistère authentique de l'Eglise. Conservez avec vénération tout ce que le passe nous a transmis de saine doctrine et de culture, mais accueillez avec discernement, pareillement, ce que le moment actuel nous présente de bon et de juste. Bien plus, laissez vous toujours guider uniquement par le critère suprême de la recherche de la vérité, sans penser que la justesse des solutions soit liée à la pure conservation d'aspects humains contingents ni au frivole désir d'une nouveauté qui ne serait pas en consonance avec la vérité.
En particulier la compréhension correcte du "consentement matrimonial", fondement et cause de l'engagement nuptial, en tous ses aspects et toutes ses implications, ne peut être réduit exclusivement à des schémas désormais acquis, sans aucun doute encore valables aujourd'hui, mais qui sont perfectibles par le progrès dans l'approfondissement des sciences anthropologiques et juridiques. Même dans son autonomie et sa spécificité épistémologique et doctrinale, le droit canonique doit, surtout aujourd'hui, profiter de l'apport d'autres disciplines morales, historiques et religieuses.
Dans ce délicat processus interdisciplinaire, la fidélité à la vérité révélée sur le mariage et sur la famille, interprétée de manière authentique par le Magistère de l'Eglise, constitue toujours le point définitif de référence et l'impulsion véritable pour un profond renouveau de ce secteur de la vie ecclésiale.
Ainsi, le 90ème anniversaire de l'activité de la Rote restaurée devient un motif d'élan nouveau vers l'avenir, dans une attente idéale que se réalise aussi de manière visible dans le Peuple de Dieu qui est l'Eglise, l'unité dans la charité.
Que l'Esprit de vérité vous éclaire dans votre lourde tâche,


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