2002 Magistère Mariage 993

L'adultère dans l'Ancien Testament

20 août 1980

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1. Lorsque le Christ affirme, dans le Discours sur la Montagne: "Vous avez entendu qu'il a été dit: Tu ne commettras pas d'adultère", il se réfère à ce que chacun de ses auditeurs savait parfaitement et dont il se sentait l'obligé en raison du commandement de Dieu-Yahvé. Cependant, l'histoire de l'Ancien Testament fait voir qu'aussi bien la vie du peuple, uni à Dieu-Yahvé par une alliance particulière, que la vie de tous les hommes s'écarte souvent de ce commandement. Un regard sommaire jeté sur la législation, dont il y a une riche documentation dans les livres de l'Ancien Testament, le montre.
Les prescriptions de la loi dans l'Ancien Testament étaient très sévères. Elles étaient également très détaillées et pénétraient dans les détails concrets les plus minutieux de la vie Dt 21,10-13 Nb 30,7-16 Dt 24,1-4 Dt 22,13-21 Lv 20,10-21 (et d'autres.). On peut présumer que plus la légalisation de la polygamie devenait évidente dans cette loi, plus l'exigence de soutenir ses dimensions juridiques et de fortifier ses limites légales augmentait. D'où le grand nombre des prescriptions, et aussi la sévérité des peines prévues par le législateur lors de l'infraction de ces normes. Sur la base des analyses que nous avons faite s précédemment au sujet de la référence que le Christ fait à "l'origine" dans son discours sur l'indissolubilité du mariage et sur "l'acte de répudiation", il est évident qu'il voit clairement la contradiction fondamentale que le droit matrimonial de l'Ancien Testament cachait en lui en acceptant la polygamie dans les faits, c'est-à-dire en acceptant les concubines auprès des épouses légales ou le droit de vivre avec l'esclave.
Note - (Bien que le livre de la Genèse présente le mariage monogame d'Adam, de Set et de Noé comme une modèle à imiter et qu'il semble condamner la bigamie qui apparaît seulement parmi les descendants de Caïn Gn 4,19, la vie des patriarches fournit néanmoins d'autres exemples contraires. Abraham observe les prescriptions de la loi de Hammurabi qui acceptait que l'on épouse une seconde femme dans le cas où la première était stérile. Jacob avait deux épouses et deux concubines Gn 30,1-19.
Le livre du Deutéronome admet l'existence légale de la bigamie Dt 21,15-17 et même de la polygamie en demandant au roi de ne pas avoir trop de femmes Dt 17,17. Il confirme aussi l'institution des concubines prisonnières de guerre Dt 21,10-14 ou esclaves Ex 21,7-11. (Cf. R. De Vaux, Ancient Israël, Its Life and Institutions, London, 1976, 3ème éd., Darton, Longmann, Todd p.24-25, 83). Il n'y a pas non plus de mention explicite sur l'obligation de la monogamie, bien que l'image présentée par les livres postérieurs montre qu'elle prévalait dans la pratique sociale (cf. par ex. les livres sapientiaux, excepté Si 37,11 Tb 1 ss).
On peut dire que ce droit, tandis qu'il combattait le péché, le contenait en même temps en lui et qu'il protégeait même les "structures sociales du péché", qu'il en constituait la légalisation. Dans ces circonstances, il fallait que le sens éthique essentiel du commandement. "tu ne commettras pas d'adultère" subisse aussi une réévaluation fondamentale. Dans le Discours sur la Montagne, le Christ dévoile de nouveau ce sens en dépassant les étroitesses traditionnelles et légales.

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2. Il vaut peut-être la peine d'ajouter que dans l'interprétation de l'Ancien Testament, autant l'interdiction de l'adultère est marquée, si l'on peut dire, par le compromis avec la concupiscence du corps, autant la position à l'égard des déviations sexuelles est déterminée. Ceci est confirmé par les prescriptions correspondantes qui prévoient la peine capitale pour l'homosexualité et pour la bestialité. Pour ce qui est du comportement d'Onan, fils de Judas (qui a donné naissance à la dénomination moderne d'"onanisme "), la Sainte Ecriture dit "qu'il ne plut pas au Seigneur qui le fit mourir aussi" Gn 38,10.
Le droit matrimonial de l'Ancien Testament, dans sa plus vaste globalité, met au premier plan la finalité procréatrice du mariage et, dans quelques cas, cherche à montrer un traitement juridique équivalent pour l'homme et pour la femme - par exemple en ce qui concerne la peine pour adultère, il est explicitement dit: "Quand un homme commet l'adultère avec la femme de son prochain, ils seront mis à mort, l'bomme adultère aussi bien que la femme adultère" Lv 20,10 - mais, dans l'ensemble, il porte préjudice à la femme en la traitant avec une plus grande sévérité.

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3. Il faudrait peut-être mettre en relief le langage de cette législation qui, comme toujours dans ce cas, est un langage objectivant de la sexualité de cette époque. C'est aussi un langage important pour l'ensemble des réflexions sur la théologie du corps. Nous y rencontrons la confirmation du caractère de pudeur qui entoure ce qui, dans l'homme, appartient au sexe. Ce qui est sexuel se trouve même, dans un certain sens, considéré comme "impur", en particulier lorsqu'il s'agit des manifestations physiologiques de la sexualité humaine. Le fait de "découvrir la nudité" (cf. par ex. Lv 20,11 Lv 20,17-21 est stigmatisé comme l'équivalent de l'accomplissement d'un acte sexuel illicite. La même expression semble déjà ici suffisamment éloquente. Il n'y a pas de doute que le législateur a cherché à se servir de la terminologie qui correspondait à la conscience et aux coutumes de la société contemporaine. Ainsi donc le langage de la législation de l'Ancien Testament doit nous confirmer dans la conviction que non seulement la physiologie du sexe et les manifestations somatiques de la vie sexuelle sont connues du législateur, mais qu'elles sont également évaluées d'une manière déterminée. Il est difficile de se soustraire à l'impression que cette évaluation avait un caractère négatif. Ceci n'annule certainement pas les vérités que nous connaissons à partir du livre de la Genèse et on ne peut pas accuser l'Ancien Testament - et, entre autres, les livres législatifs - d'être comme les précurseurs d'un manichéisme. Le jugement qui y est exprimé au sujet du corps et du sexe n'est pas tant "négatif" ni sévère que, caractérisé plutôt par un objectivisme motivé par l'intention de mettre de l'ordre dans ce domaine de la vie humaine. Il ne s'agit pas directement de l'ordre du "coeur", mais de l'ordre de la vie sociale tout entière à la base de laquelle se trouve, depuis toujours, le mariage et la famille.

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4. Si l'on prend en considération la problématique "sexuelle" dans son ensemble, il convient peut-être encore de porter son attention sur un autre aspect qui est mis en évidence dans les différents livres de l'Ancien Testament et qui porte sur le lien existant entre la moralité, la loi et la médecine. Ces livres contiennent beaucoup de prescriptions pratiques concernant le domaine de l'hygiène ou celui de la médecine qui sont plus caractérisés par l'expérience que par la science, selon le niveau qui est alors atteint Lv 12,1-6 Lv 15,1-28 Dt 21,12-13 Du reste, il est notoire que le lien expérience-science est encore actuel. Dans ce vaste domaine de problèmes, la médecine suit toujours de près l'éthique, et l'éthique, tout comme la théologie, cherche sa collaboration.

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5. Dans le Discours sur la Montagne, lorsque le Christ prononce les paroles: "Vous avez entendu qu'il a été dit: Tu ne commettras pas l'adultère et qu'il ajoute immédiatement: "Mais moi je vous dis ...", il est clair qu'il veut reconstruire dans la conscience de ses auditeurs la signification éthique propre de ce commandement en se séparant de l'interprétation des "docteurs", les experts officiels de la loi. Mais, en plus de l'interprétation provenant de la tradition, l'Ancien Testament nous offre encore une autre tradition pour comprendre le commandement: "Tu ne commettras pas d'adultère." C'est la tradition des prophètes. Ces derniers, en se référant à "l'adultère", voulaient rappeler à "Israël et à Juda que leur plus grand péché était l'abandon de l'unique et vrai Dieu en faveur du culte aux différentes idoles que le peuple choisi avait adoptées facilement et de manière inconsidérée au contact des autres peuples. Ainsi donc, la caractéristique propre du langage des prophètes est plutôt l'analogie avec l'adultère que l'adultère lui-même. Cependant, cette analogie sert à comprendre aussi le commandement: "Tu ne commettras pas d'adultère" et l'interprétation qui s'y rapporte et qui fait défaut dans les documents législatifs. Dans les oracles des prophètes et, particulièrement, dans ceux d'Isaïe, d'Osée et d'Ezéchiel, le Dieu de l'Alliance se trouve souvent représenté comme l'Epoux et l'amour par lequel il est lié à Israël peut et doit être identifié avec l'amour conjugal des conjoints. Et voici qu'Israël, à cause de son idolâtrie et de l'abandon du Dieu-Epoux, commet vis-à-vis de lui une trahison qui peut se comparer à celle de la femme à l'égard du mari: il commet précisément un "adultère".

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6. Par des discours éloquents et souvent par des images et des ressemblances extraordinairement vivantes, les prophètes présentent aussi bien l'amour de Yahvé-Dieu que la trahison d'Israël-Epouse qui s'abandonne à l'adultère. C'est là un thème qui devra encore être repris dans nos réflexions quand nous analyserons le problème du "sacrement". Néanmoins, il faut Dès maintenant l'effleurer car il est nécessaire pour comprendre les paroles du Christ selon Mt 5,27-28, et pour comprendre ce renouvellement de l'ethos qu'impliquent les paroles suivantes: "Mais moi je vous dis ...". Si, d'une part, dans ses textes, Isaïe Is 54 Is 62,1-5 met surtout en relief l'amour de Yahvé-Epoux qui, dans chaque circonstance, va à la rencontre de l'épouse en dépassant toutes ses infidélités, d'autre part, Osée et Ezechiel abondent en comparaisons qui éclairent surtout la laideur et le mal moral de l'adultère commis par l'Epouse-Israël.
Dans la méditation suivante, nous chercherons à pénétrer encore plus profondément dans les textes des prophètes pour éclaircir ultérieurement le contenu qui, dans la conscience des auditeurs du Discours sur la Montagne, correspondait au commandement: "Tu ne commettras pas d'adultère."



L'adultère dans les livres Prophétiques

27 août 1980

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1. Dans le Discours sur la Montagne, Jésus dit: "Ne pensez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes; je ne suis pas venu pour abolir mais pour accomplir". Mt 5,17. Pour éclairer en quoi consiste cet accomplissement, il passe ensuite aux différents commandements, en se référant également à celui qui dit: "Tu ne commettras pas d'adultère". Notre précédente méditation visait à faire voir de quelle manière le contenu adéquat de ce commandement, voulu par Dieu, se trouvait effacé par de nombreux accommodements dans la législation particulière d'Israël. Les prophètes qui ont souvent dénoncé dans leur enseignement l'abandon du vrai Dieu-Yahvé par le peuple, en le comparant à l'"adultère", mettent ce contenu en relief de la manière la plus authentique.
Osée, non seulement par les paroles mais - à ce qu'il semble - également par le comportement, se préoccupe de nous révéler Os 1-3 que la trahison du peuple est semblable à la trahison conjugale et, même encore plus, à l'adultère exercé comme prostitution: "Va, prends-toi une femme se livrant à la prostitution et des enfants de prostitution, car le pays ne fait que se prostituer en se détournant du Seigneur". Os 1,2 Le prophète perçoit cet ordre en lui et l'accepte comme provenant de Dieu-Yahvé: "Le Seigneur me dit encore: Va, aime une femme qui est aimée par un autre et qui est adultère". Os 3,1 En effet, bien qu'Israël soit ainsi infidèle à son Dieu, comme l'épouse qui "suivait ses amants pendant qu'elle m'oubliait" Os 2,15, Yahvé ne cesse cependant de chercher son épouse, il ne se lasse pas d'attendre sa conversion et son retour, confirmant cet attachement par les paroles et par les actions des prophètes: Et il adviendra en ce jour-là, oracle du Seigneur, que tu m'appelleras 'mon mari' et non plus 'mon maître'... Je te fiancerai à moi pour toujours, je te fiancerai à moi par la justice et le droit, l'amour et la tendresse. Je te fiancerai par la fidélité et tu connaîtras le Seigneur." Os 2,18 Os 2,21-22 Cet appel chaleureux à la conversion de l'épouse infidèle va de pair avec la menace suivante: "Qu'elle éloigne de son visage les signes de la prostitution et d'entre ses seins les marques de son adultère. Sinon, je la déshabillerai et je la mettrai à nu, je la mettrai comme au jour de sa naissance." Os 2,4-5.

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2. Cette image de l'humiliante nudité de la naissance a été rappelée à Israël, épouse infidèle, par le prophète Ezéchiel et d'une manière encore plus large Ez 16,5-8 Ez 16,12-15 Ez 16,30-32 "Par le dégoût qu'on avait de toi, tu as été jetée dans les champs, le jour où tu es née. Passant près de toi, je t'ai vue te débattre dans ton sang; je t'ai dit, alors que tu étais dans ton sang: Vis! Je t'ai rendue vigoureuse comme une herbe des champs; alors tu t'es mise à croître et à grandir et tu parvins à la beauté des beautés; tes seins se formèrent, du poil te poussa; mais tu étais sans vêtements, nue. En passant près de toi, je t'ai vue; or tu étais à l'âge des amours. J'ai étendu sur toi le pan de mon habit et couvert ta nudité; je t'ai fait un serment et je suis entré en alliance avec toi, oracle du Seigneur Dieu. Alors tu fus à moi ... J'ai mis un anneau à ton nez, des boucles à tes oreilles et un diadème splendide sur ta tête. Tes bijoux étaient d'or et d'argent, tes vêtements de lin fin, d'étoffes précieuses, de broderies ... Le renom de ta beauté s'est répandu parmi les nations: car elle était parfaite à cause de la splendeur dont je t'avais parée. Mais tu t'es fiée à ta beauté et, à la mesure de ton renom, tu t'es prostituée en prodiguant tes faveurs à chaque passant ... Comme il était fiévreux, ton coeur! oracle du Seigneur Dieu - quand tu faisais toutes ces actions, dignes d'une prostituée insolente. Lorsque tu te bâtissais une estrade à l'entrée de tous les chemins, quand tu faisais un podium sur toutes les places, tu n'étais pas comme la prostituée, en quête de salaire. La femme adultère, au lieu de son mari, accueille les étrangers."

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3 La citation est un peu longue mais le texte est cependant si important qu'il était nécessaire de l'évoquer à nouveau. L'analogie entre l'adultère et l'idolâtrie y est exprimée d'une manière particulièrement forte et exhaustive. Le moment similaire entre les deux composantes de l'analogie consiste dans l'alliance accompagnée de l'amour. C'est par amour que Dieu-Yahvé conclut l'alliance avec Israël qui, sans aucun mérite de sa part, devient pour lui son épouse, comme l'époux et le conjoint le plus affectueux, le plus prévenant et le plus généreux. Pour cet amour qui accompagne le peuple choisi depuis l'aube de son histoire, Yahvé-Epoux reçoit en échange de nombreuses trahisons: les "hauteurs", voilà les lieux du culte idolâtre dans lesquels se trouve accompli "l'adultère" d'Israël-Epouse. Dans l'analyse que nous sommes en train de faire, l'important est le concept d'adultère dont se sert Ezéchiel. On peut cependant dire que l'ensemble de la situation dans laquelle se trouve cité ce concept (dans le cadre de l'analogie), n'est pas typique. Il ne s'agit pas ici tellement du choix mutuel fait par les époux et qui naît de l'amour réciproque mais du choix de l'épouse (et ceci déjà à partir du moment de sa naissance), un choix provenant de l'amour de l'époux, amour qui, de la part de l'époux lui- même, est un acte de pure miséricorde. En ce sens le choix se dessine: il correspond à cette partie de l'analogie qui qualifie l'alliance de Yahvé avec Israël. Il correspond cependant moins à la seconde partie de ce choix qui qualifie la nature du mariage. La mentalité de cette époque n'était certainement pas très sensible à cette réalité. Pour les israélites, le mariage était plutôt le résultat d'un choix unilatéral, souvent fait par les parents. Cependant, cette situation rentre difficilement dans le cadre de nos conceptions.

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4. Si l'on fait abstraction de ce détail, il est impossible de ne pas se rendre compte que, dans les textes des prophètes, on relève une signification de l'adultère différente de celle qu'en donne la tradition législative. L'adultère est un péché parce qu'il constitue la rupture de l'alliance personnelle entre l'homme et la femme. Dans les textes législatifs, on relève la violation du droit de propriété et, en premier lieu, du droit de propriété de l'homme sur cette femme qui a été son épouse légale, une de ses épouses. Dans les textes des prophètes, le fond de la polygamie effective et légalisée n'altère pas la signification éthique de l'adultère. Dans de nombreux textes, la monogamie apparaît comme l'unique et juste analogie du monothéisme tel qu'il est interprété dans les catégories de l'Alliance, c'est-à-dire de la fidélité et de la confiance dans l'unique et vrai Dieu-Yahvé, l'Epoux d'Israël. L'adultère est l'antithèse de cette relation sponsale, il est l'antinomie du mariage (également comme institution) en ce que le mariage monogame réalise en lui l'alliance interpersonnelle de l'homme et de la femme, qu'il réalise l'alliance née de l'amour et accueilli par les deux parties respectives précisément comme mariage (et, comme tel, reconnu par la société). Ce genre d'alliance entre deux personnes constitue le fondement de cette union par laquelle "l'homme ... s'unira à sa femme et tous les deux ne feront qu'une seule chair" Gn 2,24. Dans le contexte décrit ci-dessus, on peut dire que cette unité corporelle fait partie de leur "droit" (bilatéral), mais qu'il est surtout le signe régulier de la communion des personnes, de l'unité constituée entre l'homme et la femme en qualité de conjoints. L'adultère fait par chacun d'entre eux n'est pas seulement la violation de ce droit 'nais en même temps une falsification radicale du signe. Il semble que dans les oracles des prophètes cet aspect de l'adultère trouve précisément une expression suffisamment claire.

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5. En constatant que l'adultère est une falsification de ce signe qui trouve non pas tellement sa "normativité" mais plutôt sa simple vérité intérieure dans le mariage - c'est-à- dire dans la convivence de l'homme et de la femme, qui sont devenus conjoints -, nous nous référons alors de nouveau, dans un certain sens, aux affirmations fondamentales faites précédemment, en les considérant comme essentielles et importantes pour la théologie du corps, tant du point de vue anthropologique que du point de vue éthique. L'adultère est "un péché du corps". Toute la tradition de l'Ancien Testament l'atteste et le Christ le confirme. L'analyse comparée des paroles qu'il a prononcées dans le Discours sur la Montagne Mt 5,27-28, comme aussi les différentes affirmations qui s'y rapportent et qui sont contenues dans les Evangiles et dans les autres passages du Nouveau Testament, nous permettent d'établir la raison propre de la culpabilité de l'adultère. Et il est évident que nous déterminons cette cause de la culpabilité, ou plutôt du mal moral, en nous basant sur l'origine de l'opposition à l'égard de ce bien moral qu'est la fidélité conjugale, ce bien qui ne peut être réalisé adéquatement que dans le rapport exclusif entre les deux parties (c'est-à-dire dans le rapport conjugal d'un homme et d'une femme). L'exigence de ce rapport est le propre de l'amour sponsal dont la structure interpersonnelle (comme nous l'avons déjà noté) est régi par la normativité intérieure de la "communion des personnes". C'est précisément elle qui donne la signification essentielle à l'alliance (aussi bien dans le rapport homme-femme que, par analogie, dans le rapport Yahvé-Israël). On peut légiférer d'après l'origine de l'opposition à l'engagement conjugal ainsi compris à partir de l'adultère, de sa culpabilité, du mal moral qu'il contient.

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6. Il faut avoir tout ceci présent à l'esprit lorsque nous disons que l'adultère est un "pêché du corps". Le "corps" se trouve considéré ici dans le lien conceptuel avec les paroles de Gn 2,24. En effet, ces dernières parlent de l'homme et de la femme qui, comme mari et femme, s'unissent si étroitement l'un l'autre au point de former "une seule chair". L'adultère indique l'acte par lequel un homme et une femme qui ne sont pas mari et épouse, forment "une seule chair" (c'est-à-dire ceux qui ne sont pas mari et épouse au sens de la monogamie qui a été établie à l'origine plutôt qu'au sens de la casuistique légale de l'Ancien Testament). Le "péché" du corps peut seulement être identifié en considération du rapport des personnes. On peut parler de bien ou de mal moral selon que ce rapport rend vraie cette "unité du corps" et qu'il lui confère ou non le caractère de signe véridique. Dans ce cas, nous pouvons donc juger l'adultère comme péché conformément à l'objectif contenu dans l'acte.
C'est le contenu que le Christ a à l'esprit quand il rappelle, dans le Discours sur la Montagne: "Vous avez entendu qu'il a été dit: Tu ne commettras pas d'adultère." Mais le Christ ne s'arrête pas à cette perspective du problème.



La signification de l'adultère transférée du corps au coeur

3 septembre 1980

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1. Dans le Sermon sur la Montagne, le Christ se limite à rappeler le commandement: "Tu ne commettras pas l'adultère", sans porter de jugement de valeur sur le comportement relatif de ses auditeurs, Ce que nous avons dit précédemment sur ce sujet provient d'autres sources (en particulier du discours du Christ aux pharisiens où il se référait au "commencement") Mt 19,8 Mc 10,6. Dans le Sermon sur la Montagne, le Christ omet un tel jugement de valeur, ou plutôt le présuppose. Ce qu'il dira dans la deuxième partie de l'énoncé, qui commence par les mots: "Mais moi je vous dis ..." ce sera quelque chose de plus que dans la polémique avec les "docteurs de la Loi", c'est-à-dire avec les moralistes de la Torah. Et ce sera aussi quelque chose de plus en ce qui concerne l'ethos de l'Ancien Testament. Ce sera un passage direct à l'ethos nouveau.
Le Christ semble laisser de côté toutes les disputes sur la signification éthique de l'adultère au plan de la législation et de la casuistique, où le rapport essentiel interpersonnel du mari et de la femme avait été notablement oblitéré par le rapport objectif de propriété - et prenait une autre dimension. Le Christ déclare: "Et moi je vous dis: quiconque regarde une femme avec convoitise a déjà, dans son coeur, commis l'adultère avec elle." Mt 5,28. Devant ce passage vient toujours à l'esprit l'ancienne traduction: "l'a déjà rendue adultère dans son coeur", version qui, mieux peut-être que le texte actuel, exprime le fait qu'il s'agit d'un pur acte intérieur et unilatéral. Ainsi donc, "l'adultère commis dans le coeur" est, en un certain sens, opposé à l'"adultère commis dans le corps".
Nous devons nous interroger sur les raisons pour lesquelles se trouve déplacé le point de gravité du péché et nous demander de plus quelle est la signification authentique de l'analogie: si en effet l'"adultère", selon sa signification fondamentale, peut être seulement un "péché commis dans le corps" dans quel sens ce que l'homme commet dans son coeur mérite également d'être appelé adultère? Les mots par lesquels le Christ établit le fondement du nouvel ethos exigent de leur côté un profond enracinement dans l'anthropologie. Avant de faire droit à ces requêtes, arrêtons-nous quelque peu sur l'expression qui, selon Mt 5,27-28 effectue d'une certaine manière le transfert, ou mieux, le déplacement de la signification de l'adultère du "corps" au "coeur". Ce sont des mots qui concernent le désir.

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2. Le Christ parle de la concupiscence: "Quiconque regarde pour désirer". Précisément cette expression exige une analyse particulière pour qu'on en comprenne la signification dans son intégralité. Il faut ici se reporter à l'analyse précédente qui visait, disais-je, à reconstruire l'image "de l'homme de la concupiscence" dès le commencement de l'histoire Gn 3. Cet homme dont parle le Christ dans le Sermon sur la Montagne - l'homme qui "regarde pour désirer" - est indubitablement un homme de concupiscence. Pour ce motif même, parce qu'il participe à la concupiscence du corps, il désire et "regarde pour désirer". L'image de l'homme de concupiscence, reconstruite dans la phase précédente, nous aidera maintenant à interpréter le "désir" dont parle le Christ Mt 5,27-28. Il s'agit ici non seulement d'une interprétation psychologique, mais, en même temps, d'une interprétation théologique. Le Christ parle dans le contexte de l'expérience humaine et, en même temps, dans le contexte de l'oeuvre du salut. D'une certaine façon, ces deux contextes se superposent et se compénétrent: et cela revêt une signification essentielle et constitutive pour tout l'ethos de l'Evangile, et en particulier pour le contenu du verbe désirer ou "regarder pour désirer".

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3. En se servant de telles expressions, le Maître, tout d'abord, se réfère à l'expérience de ceux qui l'écoutaient directement et, par le fait même, se réfère à l'expérience et à la conscience de l'homme de tous les temps et de tous les lieux. Certes, le langage évangélique revêt une portée universelle. Mais pour un auditeur direct, dont la conscience avait été formée par la Bible, le "désir devait se relier à de nombreux préceptes et commandements, présents surtout dans les livres de caractère "sapientiel", où apparaissaient de nombreux avertissements sur la concupiscence du corps et aussi des conseils sur la manière de s'en préserver.

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4. Comme on le sait, la tradition sapientielle s'intéressait particulièrement à l'éthique et aux bonnes moeurs de la société israélite. Dans les avertissements et conseils figurant par exemple dans le Livre des Proverbes Pr 5,3-6 Pr 5,15-20 Pr 6,24-7,27 Pr 22,14 Pr 30,20 ou du Siracide Si 7,19 Si 7,24-26 Si 9,1-9 Si 23,22-27 Si 25,13-26 Si 36,21-25 Si 42,6 Si 42,6 Si 42,9-14

ou enfin de Qohéleth Qo 7,26-28 Qo 9,9,
ce qui nous frappe dès l'abord, c'est un certain caractère unilatéral, dans la mesure où les avertissements s'adressent surtout aux hommes. Cela peut signifier qu'ils sont particulièrement nécessaires à ces derniers. Quant à la femme, il est vrai que, dans ces avertissements et ces conseils, elle apparaît plus fréquemment comme une occasion de péché ou même comme une séductrice dont il convient de se garder. Il importe toutefois de reconnaître que, aussi bien le Livre des Proverbes que le Livre du Siracide, en plus de l'avertissement de se garder de la femme et de la séduction de sa fascination qui entraînent l'homme au péché Pr 5,1-6 Pr 6,24-29 Si 26,9-12 font également l'éloge de la femme qui est une "parfaite" compagne de vie pour son mari Pr 31,10 et s. et, par ailleurs, célèbrent la beauté et la grâce d'une bonne épouse, qui sait rendre heureux son mari.
Note - C'est la grâce des grâces qu'une femme pudique, et rien qu'on puisse estimer davantage qu'une personne chaste. Semblable au soleil qui s'élève dans les hauteurs du ciel est la beauté d'une femme parfaite dans sa maison bien tenue. Comme la lampe qui brille sur le chandelier sacré, tel apparaît un beau visage sur un corps bien planté. Des colonnes d'or sur une base d'argent, ainsi de belles jambes sur des talons solides ... Le charme d'une femme fait la joie du mari et son savoir-faire assure son bien-être. Si 26,15-18 Si 13 i

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5. Dans la tradition sapientielle un fréquent avertissement contraste avec l'éloge ci-dessus de la femme- épouse. Il a trait à la beauté et à la grâce de la femme, qui n'est pas l'épouse, et il est source de tentation et occasion d'adultère: "Ne désire pas sa beauté en ton coeur" Pr 6,25 Dans le Siracide Si 9,1-9, le même avertissement est exprimé d'une manière plus péremptoire: "Détourne ton regard d'une jolie femme, n'attache pas tes regards sur une beauté qui ne t'appartient pas. Beaucoup ont été égarés par la beauté d'une femme, l'amour s'y allume comme un feu. Si 9,8-9
Les textes sapientiaux ont une signification principalement pédagogique. Ils enseignent la vertu et s'efforcent de protéger l'ordre moral en se référant à la loi de Dieu et à l'expérience largement comprise. En outre, ils se caractérisent par la particulière connaissance du "coeur humain. Nous dirions qu'ils développent une psychologie morale spécifique sans tomber pour cela dans le psychologisme. En un certain sens, ils sont proches de cet appel du Christ au coeur, que Matthieu nous a transmis Mt 5,27-28 encore qu'ils ne révèlent pas de tendance à transformer l'ethos de manière fondamentale. Les auteurs de ces livres utilisent la connaissance de l'intériorité humaine pour enseigner plutôt la morale dans le cadre de l'ethos historiquement en vigueur et confirmé substantiellement par eux. Il arrive que certains d'entre eux, par exemple Qohéleth, synthétisent une telle confirmation par leur propre "philosophie" de l'existence humaine. Mais cette philosophie, Si elle influe sur la façon dont ils formulent les avertissements etles conseils, ne change pas fondamentalement les structures porteuses de l'évaluation éthique.

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6. Pour une telle transformation de l'ethos, il faudra attendre le Sermon sur la Montagne. Il n'en reste pas moins que cette connaissance très perspicace de la Psychologie humaine, présente dans la tradition "sapientielle", n'était certainement pas dépourvue de signification pour la recherche de ceux qui écoutaient en personne et immédiatement ce discours. Si, en vertu de la tradition prophétique, ces auditeurs étaient en un certain sens préparés à comprendre de manière adéquate le concept d'"adultère", par ailleurs, en vertu de la tradition "sapientielle", ils étaient préparés à comprendre les paroles qui se réfèrent au "regard concupiscent", c'est-à-dire à l'adultère commis dans le coeur".
Par la suite, il conviendra de nous livrer à l'analyse de la concupiscence dans le Sermon sur la Montagne.



Le regard exprime ce qui est dans le coeur

10 septembre 1980

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1. Nous réfléchissons sur les paroles suivantes de Jésus, tirées du Discours sur la Montagne: "Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis l'adultère avec elle dans son coeur." (... "l'a déjà rendue adultère dans son coeur.") Mt 5,28. Le Christ prononce cette phrase devant des auditeurs qui, sur la base des livres de l'Ancien Testament, étaient, dans un certain sens, préparés à comprendre la signification du regard qui naît de la concupiscence. Mercredi dernier cf. 3/9/80 , nous nous sommes déjà référés aux textes tirés des livres que l'on appelle les livres sapientiaux.
Voici, par exemple, un autre passage dans lequel l'auteur biblique analyse l'état d'âme de l'homme dominé par la concupiscence de la chair: "... Une passion qui flambe comme du feu - elle ne s'éteindra pas qu'elle ne soit consumée - , l'homme qui livre à l'impureté la chair de son corps: il n'aura de cesse que le feu ne le consume; à l'homme impudique, toute nourriture est douce, il ne se calmera qu'à sa mort. L'homme qui pèche sur sa propre couche et dit en son coeur: Qui me voit? L'ombre m'environne, les murs me protègent, personne ne me voit, que craindrais-je? Le Très- Haut ne se souviendra pas de mes fautes." Ce qu'il craint, ce sont les yeux des hommes, il ne sait pas que les yeux du Seigneur sont dix mille fois plus lumineux que le soleil, qu'ils observent toutes les actions des hommes et pénètrent dans les coins les plus secrets ... Il en est de même de la femme infidèle à son mari qui lui apporte un héritier conçu d'un étranger." Si 23,17-19 Si 23,22.

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2. De semblables descriptions ne manquent pas dans la littérature mondiale
Note -(cf. par exemple les Confessions de saint Augustin: "Prisonnier, malade de la chair, je goûtais de mortelles délices à traîner ma chaîne. Je craignais qu'elle ne se brisât et je repoussais les paroles de bon conseil qui heurtaient, pour ainsi dire, ma blessure, comme un blessé écarte la main d'un libérateur (...). Ce qui surtout me tourmentait violemment, c'était l'habitude d'assouvir l'insatiable concupiscence." (confessions, livre VI, chap. II, 21,22.) -- "Mais je ne me reposais pas dans la jouissance de mon Dieu: j'étais emporté vers vous par votre beauté et bientôt mon propre poids me tirait loin de vous et j'étais précipité, tout gémissant, aux choses de la terre. Ce poids c'était mes habitudes charnelles." (Confessions, livre VI, chapitre XVII.) -- "Tels étaient mon mal et ma torture. Je m'accusais moi-même plus âprement que jamais, je me retournais et me débattais dans ma chaîne jusqu'à ce que je la brise tout entière. Elle ne me retenait qu'à peine, elle me retenait pourtant. Et vous me pressiez, Seigneur, dans le secret de mon âme et votre sévère miséricorde, redoublant ses coups, me frappait des fouets de la peur et de la honte, afin que je ne m'abandonnasse pas de nouveau, que fut brisée ma mince et légère chaîne et qu'elle ne reprît pas force pour m'enserrer plus énergiquement." (Confessions, livre VIII, chap. XI.) -- Dante décrit cette facture intérieure et la considère comme porteuse de peine: Quand ils arrivent par- devant la ruine / Là grincements, pleurs, lamentations; / Là ils blasphèment la Puissance divine. / J'entendis qu'à ce genre de tourment / Etaient voués tous les pécheurs charnels, / Lesquels soumettent raison à convoitise. / comme étourneaux par leurs ailes portés, / Durant l'hiver, en troupe large et pleine, / Ainsi ce vent fait les esprits mauvais; / De çà, de là, en bas, en haut les mène; / Nulle espérance jamais ne les conforte, / Non de repos, mais d'une moindre peine." (Dante, Divine Comédie, l'Enfer V, 37-43.) -- Quant à Shakespeare, "il a décrit la satisfaction d'un tyrannique désir lascif comme quelque chose qu'il n'y a nulle raison de rechercher et, à peine obtenue, nulle raisons de détester " (C.S. Lewis, The Four Loves, New York 1960, Harcourt, Brace, p. 28.)

Certes, elles se distinguent, pour la plupart, par une plus pénétrante perspicacité dans l'analyse psychologique, par une intensité plus suggestive et une plus grande force d'expression. Toutefois, il existe dans la description biblique du Si 23,17-22 quelques éléments qui peuvent être tenus pour "classiques" dans l'analyse de la concupiscence charnelle. C'est, par exemple, la comparaison entre la concupiscence de la chair et le feu: celui-ci, faisant rage dans l'homme, envahit le corps, y implique les sentiments et, dans un certain sens, prend possession du "coeur". Une telle passion, engendrée par la convoitise de la chair, étouffe dans le "coeur" la voix plus profonde de la conscience, le sens de responsabilité devant Dieu; c'est précisément cela que met en évidence le texte biblique précité. D'autre part, la pudeur extérieure à l'égard des hommes persiste, ou plus exactement un semblant de pudeur qui se manifeste comme crainte des conséquences plutôt que comme peur du mal en soi. En étouffant la voix de la conscience, la passion entraîne l'inquiétude du corps et des sens: c'est l'inquiétude de "l'homme extérieur". Quand elle a réduit l'homme intérieur au silence et conquis pour ainsi dire sa liberté d'action, la passion se manifeste comme une insistante tendance à satisfaire les sens et le corps.
Comme le croit l'homme que domine la passion, cet apaisement devrait éteindre le feu; au contraire, il n'atteint pas les sources de la paix intérieure et il se limite à effleurer le niveau superficiel de l'individu humain. Et ici l'auteur biblique constate justement que l'homme dont la volonté est tendue à satisfaire les sens, ne trouve aucune quiétude ne se retrouve pas lui-même: au contraire, "il se consume". La passion vise à la satisfaction; c'est pourquoi elle émousse la faculté de réfléchir et se soustrait à la voix de la conscience; ainsi, n'ayant en soi aucun principe d'indestructibilité "elle s'use". Soumise naturellement à la dynamique de l'usure, elle tend à s'épuiser. Il est vrai que là où elle est insérée dans l'ensemble des énergies les plus profondes de l'esprit, la passion peut aussi devenir une force créatrice; en ce cas, il faut toutefois qu'elle subisse une transformation radicale. Si, par contre, elle étouffe les forces les plus profondes du coeur et de la conscience (comme cela se voit dans le passage du Si 23,17-22), "elle se consume" et, de manière indirecte, l'homme qui en est la proie se consume également.

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3. Quand, dans le Discours sur la Montagne, le Christ parle de l'homme qui "désire", qui "regarde avec désir", on peut présumer qu'il a également sous les yeux les images que ses auditeurs connaissent par la tradition "sapientiale". En même temps, toutefois, il se réfère à chaque homme qui, sur la base de sa propre expérience intime, sait ce que veut dire "désirer", "regarder avec désir". Cette expérience, le Maître ne l'analyse ni ne la décrit comme l'avait fait, par exemple, le Si 23,17-22; il semble supposer, dirais-je, une connaissance suffisante de ce fait intérieur sur lequel il attire l'attention des auditeurs, présents ou potentiels. Est-il possible que l'un ou l'autre de ceux-ci ne sache pas de quoi il s'agit? Si vraiment il n'en savait rien, le contenu des paroles du Christ ne le concernerait pas et il n'est pas d'analyse ni de description capables de le lui expliquer. Si, par contre, il le sait - il s'agît, en effet, dans ce cas d'une science tout à fait intérieure, appartenant au coeur et à la conscience - , il comprendra aussitôt quand ces paroles se réfèrent à lui.

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4. Le Christ, donc, n'analyse ni ne décrit ce qui constitue l'expérience du "désir", l'expérience de la concupiscence de la chair. On a même l'impression qu'il ne pousse pas cette expérience dans toute l'ampleur de son dynamisme intérieur, comme c'est le cas, par exemple, dans le texte du Siracide: il semble plutôt s'arrêter au seuil. Le "désir" ne s'est pas encore transformé en action extérieure, il n'est pas encore devenu "acte du corps"; il est jusqu'à présent l'acte intérieur du coeur: il s'exprime dans le regard, dans la façon de "regarder la femme". Toutefois, il le laisse déjà comprendre, il dévoile son contenu et sa qualité essentiels.
Il faut que nous procédions maintenant à une telle analyse. Le regard exprime ce qui est dans le coeur. Le regard exprime, dirais-je, l'homme tout entier. Si l'on considère généralement que l'homme "agit conformément à ce qu'il est" (operari sequitur esse), le Christ veut mettre en évidence, dans ce cas, que l'homme regarde conformément à ce qu'il est: intueri sequitur esse. Dans un certain sens, par le regard, l'homme se révèle à l'extérieur et aux autres: il révèle surtout ce qu'il perçoit à "l'intérieurs".
Note - (L'analyse philologique confirme la signification de l'expression ho blépon ("le regardant" ou "quiconque regardant": Mt 5,28 ). Si blépo de Mt 5,28 a la valeur de perception interne, équivalent a "je pense, je fixe l'attention, je prends soin", plus sévère et plus élevé se révèle l'enseignement évangélique à l'égard des relations "Interpersonnelles" des disciples du Christ. - "D'après Jésus, un regard luxurieux pour faire devenir adultère une personne n'est même pas nécessaire. il suffit aussi d'une pensée du coeur." (M. Adinolfi, "Le désir de la femme dans Mt 5,28" dans Fondamenti biblici della theologia morale. Atti della XII Settimana Biblica Italiana, Brescia 1973, Padeia, p. 279.).

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5. Le Christ enseigne donc qu'il considère le regard comme le seuil de la vérité intérieure de l'être. Déjà dans le regard, "dans la façon de regarder", on peut déterminer pleinement ce qu'est la concupiscence. Cherchons à l'expliquer. "Désirer", "regarder avec désir" indique une expérience de la valeur du corps dont la signification sponsale cesse d'être telle en raison même de la concupiscence. Sa signification procréatrice, dont nous avons parlé lors de nos précédentes considérations, cesse également; quand elle concerne l'union conjugale de l'homme et de la femme, cette signification est enracinée dans la signification conjugale du corps et elle en émerge de manière quasi organique. Or, l'homme, "en désirant", "en regardant pour désirer" (comme nous le lisons dans Mt 5,27-28), expérimente de façon plus ou moins explicite l'éloignement de cette signification du corps qui (comme nous l'avons déjà observé dans nos réflexions) est à la base de la communion des personnes: aussi bien en dehors du mariage que - de manière particulière - lorsque l'homme et la femme sont appelés à construire l'union "dans le corps", comme le proclame l'"évangile de l'origine" dans le texte classique de Gn 2,24. L expérience de la signification sponsale du corps est subordonnée particulièrement à l'appel sacramentel, mais ne se limite pas à celui-ci. Cette signification qualifie la liberté du don qui - comme nous le verrons avec plus de précision dans nos prochaines analyses - peut se réaliser non seulement dans le mariage, mais aussi de manière différente.
Le Christ dit: "Quiconque regarde une femme pour la désirer (c'est-à-dire qui la regarde avec concupiscence) a déjà commis, dans son coeur, l'adultère avec elle." ("... l'a déjà rendue adultère dans son coeur".) Mt 5,28. Ne veut-il pas dire ainsi, précisément, que la concupiscence - comme l'adultère - est un détachement intérieur de la signification conjugale du corps? Ne veut-il pas renvoyer ses interlocuteurs à leurs expériences intérieures de ce détachement? N'est-ce pas pour cela qu'il le définit "adultère commis dans le coeur"?




2002 Magistère Mariage 993