2002 Magistère Mariage 1083

Vie selon la chair et justification dans le Christ

Audience générale du 17 décembre 1980

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1. "La chair a des désirs contraires à l'esprit et l'esprit a des désirs contraires à la chair". Aujourd'hui, nous allons approfondir ces paroles de saint Paul dans Ga 5,17 par lesquelles nous avons conclu, la semaine dernière, nos réflexions sur le thème de la signification exacte de la pureté. Paul pense à la tension qui se manifeste au plus profond de l'homme, c'est-à-dire dans son "coeur". Et il ne s'agit pas ici seulement du corps (la matière) et de l'esprit (l'âme), comme deux éléments anthropologiques essentiellement différents qui, depuis "l'origine", constituent l'essence même de l'homme. Mais ces paroles supposent cette disposition de forces qui s'est formée en l'homme avec le péché originel et à laquelle participe tout homme "historique". Dans une telle disposition qui s'est formée au plus intime de l'homme, le corps s'oppose à l'esprit et prend facilement le pas sur celui-ci (1). La terminologie paulinienne signifie toutefois quelque chose de plus: ici, l'empire de la "chair" semble presque coïncider avec ce qui, dans la terminologie johannique, est la triple concupiscence qui "vient du monde". La "chair", dans le langage des Epîtres de saint Paul (2), indique non seulement l'homme "extérieur" mais aussi l'homme "intérieurement" assujetti "au monde" (3),en un certain sens enfermé dans les limites de ces valeurs qui appartiennent seulement au monde et de ces fins que celui-ci est capable d'imposer à l'homme: des valeurs, donc, auxquelles, en tant que "chair", l'homme est précisément sensible. C'est ainsi que le langage de Paul semble se rattacher aux éléments essentiels de Jean, et le langage de tous deux dénote ce qu'en termes divers l'éthique et l'anthropologie contemporaines définissent, par exemple, comme "autarcie humaniste", "sécularisme" ou encore, dans un sens général, "sensualisme". L'homme qui vit "selon la chair", c'est l'homme ouvert seulement à ce qui "vient du monde": l est l'homme "des sens", l'homme de la triple concupiscence. Ses actions le confirment comme nous le verrons sous peu.

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Notes:
(1) - "Paul comme les Grecs, n'a jamais identifié la "chair pécheresse" avec le corps physique" - Dans Paul, donc, on ne doit pas identifier la chair avec le sexe ou avec le corps physique. Il est plus proche de l'idée juive de la personnalité physique - qui inclut les éléments psychiques et physiques comme véhicule de la vie extérieure et des niveaux inférieurs de l'expérience. -- C'est l'homme dans son humanité avec les limites, la faiblesse morale, la vulnérabilité, la condition de créature et la mortalité que la nature humaine implique... -- L'homme est vulnérable tant devant le mal que devant Dieu. Il est un véhicule, un canal, une résidence, un temple, un champ de bataille pour le bien et pour le mal. -- Qui le possédera, l'habitera, le dominera - ou le péché, le mal, l'esprit actuellement à l'oeuvre chez les enfants de désobéissance ou le christ, l'Esprit-Saint, la foi, la grâce - voilà le choix qui s'offre à chaque homme. -- Le fait qu'il lui soit possible de choisir ainsi, fait voir l'autre face de la conception paulinienne de la nature humaine, la conscience de l'homme et l'esprit humain" (R.E.O. White, Biblical Ethics, Exeter 1979, Paternoster Press, p. 135-138).

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(2) - L'interprétation du mot grec Sarx "chair" dans les Epîtres de Paul dépend du contexte. Dans l'Epître aux Galates, par exemple, on peut relever au moins deux significations différentes de ce mot. -- En écrivant aux Galates, Paul luttait contre deux dangers qui menaçaient la jeune communauté chrétienne. -- D'une part, les convertis du judaïsme tentaient de convaincre les convertis du paganisme d'accepter la circoncision qui était obligatoire dans leur religion. Paul leur reproche de "se glorifier dans leur chair", c'est-à-dire de placer leur espérance dans la circoncision. "Chair" signifie donc, dans le contexte Ga 3,1-5 Ga 3,12 Ga 6,12-18 circoncision, comme symbole d'une nouvelle soumission aux lois du judaïsme. -- Dans la jeune Eglise galate, le second danger provenait de l'influence des "Pneumatiques" qui entendaient l'opération du Saint-Esprit comme divinisation de l'homme plutôt que comme puissance opérante au sens éthique. Ceci les amenait à sous-évaluer les principes moraux. Dans l'Epître qu'il adresse, Paul appelle "chair" tout ce qui rapproche l'homme de l'objet de sa convoitise, l'attire avec la séduisante promesse d'une vie en apparence plus pleine Ga 5,13-6,10. -- La sarx "se réfère" donc tout autant à la "Loi" qu'à son infraction, et dans l'un comme dans l'autre cas elle promet ce qu'elle ne saurait tenir. -- Paul établit explicitement une distinction entre l'objet de l'action et la "sarx". Ce n'est pas dans la "chair" que se trouve le centre de la décision: "Laissez- vous mener par l'Esprit et vous ne risquerez pas de satisfaire la convoitise charnelle". Ga 5,15. -- L'homme devient esclave de la chair quand il se fie à la "chair" et à ce qu'elle promet (au sens de la "Loi" ou de l'infraction de la loi). -- (Cf F. Mussner, Der Galaterbrief, Herders Theolog. Kommentar zum N.T., IX, Fribourg 1974, Herder, p. 367 R. Jewett, Paul's Anthropological Terms, A Study of their use in conflict settings, Arbeiten zur Geschichte des antiken Judentums und Urchristentums, X, Leiden 1971, Brill p. 95- 106.)

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(3) - Paul souligne dans ses Epîtres le caractère dramatique de ce qui se passe dans le monde. Par leur faute, les hommes ont oublié Dieu: "..aussi Dieu les a-t-il livrés selon les convoitises de leur coeur à l'impureté... " Rm 1,24 d'où provient aussi tout le désordre moral qui déforme tant la vie sexuelle Rm 1,24-27 que le fonctionnement de la vie sociale et économique Rm 1,29-32 et même la vie culturelle; en effet: "Bien que connaissant le verdict de Dieu qui déclare digne de mort les auteurs de pareilles actions, non seulement ils les font, mais ils approuvent encore ceux qui les commettent". Rm 1,32 -- Puisque par un seul homme le péché est entré dans le monde Rm 5,12 "le dieu de ce monde a aveuglé la pensée des incrédules afin qu'ils ne voient pas resplendir l'Evangile de la gloire du Christ" 2Co 4,4; et c'est pourquoi "la colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes qui tiennent la vérité captive dans l'injustice" Rm 1,18. C'est pourquoi "la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu... avec l'espérance d'être elle aussi libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu" Rm 8,19-21, cette liberté pour laquelle "Dieu nous a rendus libres" Ga 5,1. -- Le concept de "monde" a dans saint Jean diverses significations: dans sa première Epître, le monde est le lieu où se manifeste la triple concupiscence 1Jn 2,15-16 et où les faux prophètes et les adversaires du Christ cherchent à séduire les fidèles mais les chrétiens triomphent du monde grâce à leur foi 1Jn 5,4; "le monde en effet passe avec ses convoitises, mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement" 1Jn 2,17 -- (Cf. P. Grelot: "Monde" dans: Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique, doctrine et histoire, fascicules 68-69, Beauchesne, p. 1628 et suiv; en outre: J.Mateos, J. Barreto, Vocabulario teologico del Evangelio de Juan, Madrid 1980. Edic. Cristianidad, p. 211-215).

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2. Un tel homme vit presque au pôle opposé de ce que "l'Esprit veut". L'Esprit de Dieu veut une réalité différente de celle que veut la chair, convoite une réalité différente de celle que convoite la chair et ceci déjà au plus profond de l'homme, c'est-à-dire à la source interne des aspirations et des actions de l'homme - "si bien que vous ne faites pas ce que vous voudriez" Ga 5,17.
Paul exprime ceci de manière encore plus explicite quand il parle ailleurs du mal qu'il fait, bien que ne le voulant pas, et de l'impossibilité - ou plutôt de la possibilité limitée - à accomplir le bien qu'"il veut" Rm 7,19. Sans entrer dans les problèmes d'une exégèse détaillée de ce texte, on pourrait dire que la tension entre la "chair" et l'"esprit" est d'abord immanente, même si elle ne se réduit pas à ce niveau. Elle se manifeste dans son coeur comme "lutte" entre le bien et le mal. Ce désir dont parle le Christ dans le Discours sur la Montagne Mt 5,27-28, tout acte "intérieur" qu'il soit, reste certainement - selon le langage paulinien - une manifestation de la vie "selon la chair". En même temps, ce désir nous permet de constater qu'à l'intérieur de l'homme, la vie "selon la chair" s'oppose à la vie "selon l'esprit" et que, dans l'état actuel de l'homme dû à l'héritage du péché, la vie "selon l'esprit" est constamment exposée à la faiblesse et à l'insuffisance de la vie "selon la chair" à laquelle elle cède souvent si elle n'est pas renforcée intérieurement pour faire précisément "ce que veut l'esprit". Nous pouvons en déduire que les paroles de Paul qui traitent de la vie "selon la chair" et "selon l'esprit" sont en même temps une synthèse et un programme, et il importe de les comprendre ainsi.

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3. Nous trouvons dans l'Epître aux Romains la même opposition de la vie "selon la chair" à la vie "selon l'esprit". Ici (comme du reste dans l'épître aux Galates), elle est liée au contexte de la doctrine paulinienne de la justification par la foi, c'est-à-dire par la puissance du Christ lui-même opérant au plus intime de l'homme par l'Esprit-Saint. Dans ce contexte, Paul pousse cette opposition jusqu'à ses conséquences extrêmes quand il écrit: "Ceux qui vivent selon la chair désirent ce qui est charnel; ceux qui vivent selon l'esprit, ce qui est spirituel. Car le désir de la chair, c'est la mort, tandis que le désir de l'esprit c'est la vie et la paix, puisque le désir de la chair est ennemi de Dieu; il ne se soumet pas à la loi de Dieu, il ne le peut même pas, et ceux qui sont dans la chair ne peuvent plaire à Dieu. Vous, vous n'êtes pas dans la chair mais dans l'esprit, puisque l'esprit de Dieu habite en vous. Qui n'a pas l'esprit du Christ ne lui appartient pas; mais si le Christ est en vous, bien que le corps soit mort déjà en raison du péché, l'esprit est vie en raison de la justice." Rm 8,5-10.

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4. On aperçoit clairement les horizons que Paul trace dans ce texte: il remonte à "l'origine" - c'est-à-dire, dans ce cas-ci, au premier péché dont la vie "selon la chair" tire son origine et qui a légué à l'homme une prédisposition à vivre uniquement une telle vie, jointe à l'héritage de la mort. En même temps, Paul affirme la victoire finale sur le péché et sur la mort, dont la résurrection du Christ est le signe et l'annonce: "Celui qui a ressuscité le Christ Jésus d'entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui est en vous." Rm 8,11. Et dans cette perspective eschatologique, Paul met en relief "la justification dans le Christ, destinée déjà à l'homme historique", à tout homme "d'hier, d'aujourd'hui et de demain" de l'histoire du monde et aussi de l'histoire du salut: justification essentielle pour l'homme intérieur et destinée précisément à ce "coeur" dont le Christ se réclamait quand il a parlé de "la pureté" et de "l'impureté" au sens moral. Cette justification par la foi ne constitue pas une simple dimension du plan divin du salut et de la sanctification de l'homme; mais, selon saint Paul, elle est une force authentique qui opère dans l'homme et se révèle et s'affirme dans ses actions.

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5. Voici de nouveau les paroles de l'Epître aux Galates: "Or on sait bien tout ce que produit la chair: fornication, impureté, débauche, idolâtrie, magie, haines, discorde, jalousie, emportements, disputes, dissensions, scissions, sentiment d'envie, orgie, ripailles et choses semblables... " Ga 5,19-21. "Mais le fruit de l'Esprit est amour, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de soi" Ga 5,22-23. Dans la doctrine paulinienne, la vie "selon la chair" s'oppose à la vie "selon l'esprit", non seulement à l'intérieur de l'homme, dans son "coeur", mais comme on le voit, elles trouvent aussi un champ, ample et varié, pour se traduire en action. Paul parle, d'une part, des actions qui naissent de la chair - on pourrait dire: des oeuvres dans lesquelles se manifeste l'homme qui vit "selon la chair" et, d'autre part, Il parle du "fruit de l'Esprit", c'est-à-dire des actions (**), des manières de se comporter, des vertus par lesquelles se manifeste l'homme qui vit "selon l'Esprit". Alors que dans le premier cas nous avons affaire à l'homme qui s'abandonne à la triple concupiscence qui, comme le dit saint Jean, vient du monde, dans le second cas, nous nous trouvons en présence de ce qu'auparavant nous avons déjà appelé l'ethos de la Rédemption. Or ce n'est que maintenant que nous sommes en mesure d'éclairer pleinement la nature et la structure de cet ethos. Celui-ci s'exprime et s'affirme par ce qui, dans l'homme, dans tout son "agir", dans ses actions et attitudes, est fruit de son empire sur la triple concupiscence: celle de la chair, celle des yeux et l'orgueil de la vie (de tout ce dont le coeur humain peut être justement "accusé" et dont l'homme et son "intériorité" peuvent être continuellement "suspectés").

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Note (**) - Les exégètes font observer que même si parfois Paul applique également "aux oeuvres de chair" le concept de "fruit" Rm 6,21 Rm 7,5, "le fruit de l'Esprit" n'est jamais appelé "oeuvre" -- En effet, pour Paul, "les oeuvres" sont les propres actes de l'homme (ce en quoi Israël place sans raison l'espérance) dont l'homme devra répondre devant Dieu.- - Paul évite également le terme "vertu" 'arétè'; on trouve une seule fois celui-ci dans Ph 4,8, utilisé dans un sens général. Dans le monde grec, ce mot avait une signification trop anthropocentrique; les stoïciens particulièrement mettaient en relief l'"autosuffisance" ou autarcie de la vertu. -- Au contraire, l'expression "fruit de l'Esprit" souligne l'action de Dieu dans l'homme. Ce "fruit" croit en lui comme le don d'une vie dont l'unique auteur est Dieu; l'homme peut, au mieux, favoriser les conditions voulues pour que le fruit puisse croître et mûrir. -- Au singulier, le fruit de l'Esprit correspond en quelque sorte à "la justice" de l'Ancien Testament qui embrasse l'ensemble de la vie conforme à la volonté de Dieu; Il correspond aussi, en un certain sens, à "la vertu" des stoïciens qui était indivisible. Nous le voyons par exemple dans Ep 9,11 "Le fruit de la lumière consiste en toute bonté, justice et vérité ... ne prenez aucune part aux fruits stériles des ténèbres... " -- Toutefois, "le fruit de l'Esprit" est différent tant de la justice que de la vertu parce que (dans toutes ses manifestations et différenciations qui se voient dans les catalogues des vertus) il contient l'effet de l'action de l'Esprit qui, dans l'Eglise est fondement et réalisation de la vie du chrétien.-- (cf. H. Schlier, Der Brief an die Galater, Meyer's Kommentar Göttingen 1971 vandenhoeck-Ruprecht, p. 255-264; O. Bauernfeind, arétè in: heological Dictionary of the New Testament, éd. G. Kittel. G. Bromley, vol. I, Grand Rapids 1978, Eerdmans, p. 460; W. Tatarkiewicz, Historia Filozofii, t. I, Warszawa 1970, PWN, p. 121; E. Kamlah, Die Form der Katalogischen Paränese im Neuen Testament, Wissenschaffliche Untersuchungen zum Neuen Testament, 7, Tübingen 1964, Mhr. p. 14.)

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6. Si le contrôle dans le domaine de l'ethos se manifeste et se réalise comme "amour, joie, paix, patience, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de Soi" - comme nous le lisons dans l'Epître aux Galates -, alors à la base de chacune de ces réalisations, de ces attitudes, de ces vertus morales il y a un choix spécifique, c'est-à-dire un effort de volonté, fruit de l'esprit humain imprégné de l'Esprit de Dieu qui se manifeste par le choix du bien. Utilisant le langage de Paul "L'Esprit a des désirs contraires à la chair" Ga 5,17 et, dans ces désirs, il se montre plus fort que la "chair" et que les désirs engendrés par la triple concupiscence. Dans cette lutte entre le bien et le mal, l'homme se montre le plus fort grâce à la puissance de l'Esprit-Saint qui, opérant au-dedans de l'esprit humain, fait en sorte que ses désirs fructifient en bien. Ceux-ci sont donc non seulement - et pas tellement - "oeuvres" de l'homme que "fruit", c'est-à-dire effet de l'action de l'Esprit dans l'homme. C'est pourquoi Paul parle du "fruit de l'Esprit" en comprenant ce mot avec une majuscule.
Sans pénétrer dans les structures de l'intériorité humaine, usant des subtiles différenciations que nous offre la théologie systématique (spécialement à partir de saint Thomas d'Aquin), nous nous limitons à l'exposé synthétique de la doctrine biblique qui nous permet de comprendre de façon essentielle et suffisante la distinction et l'opposition entre la "chair" et l'"esprit".
Nous avons fait observer que, parmi les fruits de l'Esprit, l'apôtre met également la "maîtrise de soi". Il importe de ne pas l'oublier, car durant nos prochaines réflexions nous reprendrons ce thème pour le traiter de manière plus détaillée.



L'opposition entre la chair et l'esprit et la justification

par la foi

7 janvier 1981

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Après l'interruption due aux fêtes récentes, nous recommençons aujourd'hui nos rencontres du mercredi en portant encore dans le coeur la joie sereine du mystère de la naissance du Christ que la liturgie de l'Eglise nous a fait célébrer et actualiser dans notre vie en cette période. Jésus de Nazareth, l'enfant qui vagit dans la mangeoire de Bethléem, est le Verbe éternel de Dieu qui s'est incarné par amour pour l'homme Jn 1,14. Voilà la grande vérité à laquelle le chrétien adhère avec une foi profonde. Avec la foi de la Très Sainte Marie qui, dans la gloire de sa virginité intacte, a conçu et engendré le Fils de Dieu fait homme. Avec la joie de saint Joseph qui l'a gardé et protégé avec un immense amour. Avec la joie des pasteurs qui sont vite accourus à la grotte de la Nativité. Avec la foi des Mages qui l'ont entrevu dans le signe de l'étoile et qui ont pu, après de longues recherches, le contempler et l'adorer dans les bras de la Vierge Mère.
Que la nouvelle année soit vécue par tous sous le signe de cette grande joie intérieure, fruit de la certitude que Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son Fils unique pour que quiconque croit en lui, ne meure pas, mais ait la vie éternelle.
C'est le voeu que j'adresse à vous tous qui êtes présents à cette première audience générale de 1981 ainsi qu'à tous ceux qui vous sont chers.

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1. Que signifie l'affirmation: "La chair ... a des désirs contraires à l'Esprit et l'Esprit des désirs contraires à la chair"? Ga 5,17. Cette question semble importante et même fondamentale dans le contexte de nos réflexions sur la pureté de coeur dont parle l'Evangile. Cependant, l'auteur de la Lettre aux Galates ouvre devant nous sur ce sujet des horizons plus vastes. Dans cette opposition entre la "chair" et l'Esprit (l'Esprit de Dieu), entre la vie "selon la chair" et la vie "selon l'Esprit" se trouve la théologie paulinienne de la justification, c'est-à-dire l'expression de la foi dans le réalisme anthropologique et éthique de la Rédemption accomplie par le Christ que Paul, dans le contexte que nous connaissons déjà, appelle aussi "Rédemption du corps". Dans Rm 8,23, la "Rédemption du corps" a aussi une dimension "cosmique" (en référence à toute la création), mais au centre de celle-ci il y a l'homme: l'homme constitué par l'unité personnelle de l'esprit et du corps. C'est précisément dans cet homme, dans son "coeur" et, par conséquent, dans tout son comportement, que fructifie la Rédemption du Christ grâce à ces forces de l'Esprit qui réalisent la "justification", c'est-à-dire qui font que la justice "abonde" dans l'homme, comme il est dit dans le Discours sur la Montagne Mt 5,20. Elle "abonde "dans la mesure que Dieu a voulue et qu'il attend.

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2. Il est significatif que Paul, en parlant des "oeuvres de la chair" Ga 5,11-21, mentionne non seulement "les fornications, l'impureté, le libertinage, l'ivresse, les orgies" - donc tout ce qui, selon un mode de compréhension objectif, revêt le caractère des "péchés de la chair" et de la jouissance sexuelle liée à la chair - , mais nomme aussi d'autres péchés auxquels nous ne serions pas portés à attribuer un caractère "charnel" et "sensuel": "l'idolâtrie, la magie, les haines, la discorde, la jalousie, les emportements, les disputes, les dissensions, les envies... " Ga 5,20-21. D'après nos catégories anthropologiques et éthiques, nous serions plutôt portés à appeler toutes les "oeuvres" ici énumérées "péchés de l'esprit humain plutôt que péchés de la chair". Ce n'est pas sans raison que nous aurions pu voir en elles plutôt les effets de la "concupiscence des yeux" ou de "l'orgueil de la vie", qui ne sont pas des effets de la "concupiscence de la chair". Cependant Paul les qualifie toutes d'"oeuvres de la chair". Cela se comprend exclusivement dans le cadre de cette signification plus vaste (dans un certain sens métonymique) que prend, dans les lettres pauliniennes, le terme "chair" opposé non seulement et non pas tellement à l'"esprit" humain mais à l'Esprit-Saint qui travaille dans l'âme (dans l'esprit) de l'homme.

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3. Il existe donc une analogie significative entre ce que Paul définit comme "oeuvres de la chair" et les paroles par lesquelles le Christ explique à ses disciples ce qu'il avait auparavant dit aux pharisiens au sujet de la "pureté" et l'"impureté" rituelle Mt 15,2-20. D'après les paroles du Christ, la vraie "pureté" (comme aussi l'"impureté") se trouve dans le coeur et provient "du coeur" humain. Dans le même sens, comme "oeuvres impures" sont définis non seulement les "adultères" et la "prostitution", donc les "péchés de la chair" au sens strict, mais aussi les "propositions mauvaises..., les vols, les faux témoignages, les blasphèmes".Comme nous avons déjà pu le constater, le Christ se sert ici de la signification aussi bien générale que spécifique de l'"impureté" (et donc indirectement aussi de la "pureté"). Saint Paul s'exprime de manière analogue: les oeuvres de la chair sont comprises dans le texte paulinien aussi bien dans un sens général que dans un sens spécifique. Tous les péchés sont l'expression de la "vie selon la chair" qui est en contraste avec la "vie selon l'esprit". Ce qui, conformément à notre convention linguistique (du reste, partiellement justifiée), est considéré comme "péché de la chair" est, dans la liste paulinienne, une des nombreuses manifestations (ou espèce) de ce qu'il appelle "oeuvres de la chair" et, dans ce sens, un des signes, c'est-à-dire des actualisations de la vie "selon la chair" et non "selon l'Esprit".

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4. Les paroles que saint Paul écrit aux Romains: "Ainsi donc, mes frères, nous sommes débiteurs, non point envers la chair pour devoir vivre selon la chair. Car, si vous vivez selon la chair, vous mourrez. Mais si par l'Esprit vous faites mourir les oeuvres du corps, vous vivrez" Rm 8,12-13 nous introduisent de nouveau dans le domaine riche et différencié des significations que les mots "corps" et "esprit" ont pour lui. Cependant, la signification définitive de cet énoncé est parénétique, exhortatif et donc valable pour l'ethos évangélique. Lorsqu'il parle de la nécessité de faire mourir les oeuvres du corps avec l'aide de l'Esprit, Paul exprime précisément ce dont le Christ a parlé dans le Discours sur la Montagne en faisant appel au coeur humain et en l'exhortant à la domination des désirs, même de ceux qui s'expriment dans le "regard" de l'homme vers la femme dans le but de satisfaire la concupiscence de la chair. Cette maîtrise ou, comme l'écrit Paul, le fait de "faire mourir les oeuvres du corps avec l'aide de l'esprit", est une condition indispensable de la "vie selon l'Esprit", c'est-à-dire de la "vie" qui est l'antithèse de la "mort" dont il parle dans le même contexte. La vie "selon la chair" fructifie en effet la "mort", c'est-à-dire comporte comme effet la "mort" de l'Esprit.
Le terme " mort" ne signifie donc pas seulement la mort corporelle, mais aussi le péché que la théologie morale appellera péché mortel. Dans les Lettres aux Romains et aux Galates, l'apôtre élargit continuellement l'horizon du "péché-mort", aussi bien par rapport à l'"origine" de l'histoire de l'homme que par rapport à son terme. Pour cela, après avoir élargi les multiples formes des "oeuvres de la chair", il affirme que celui "qui les accomplit n'aura pas en héritage le Royaume de Dieu" Ga 5,21. Ailleurs, il écrira avec une fermeté semblable: "Sachez-le bien, ni le fornicateur, ni l'impudique, ni le cupide - qui est un idolâtre - n'ont droit à l'héritage dans le Royaume du Christ et de Dieu". Ep 5,5. Même dans ce cas, les oeuvres qui empêchent d'avoir "part au Royaume du Christ et de Dieu" - c'est-à-dire les "oeuvres de la chair" - sont énumérées comme exemple et avec une valeur générale, bien qu'ici les péchés contre la "pureté", au sens spécifique, soient placés d'abord Ep 5,3-7.

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5. Pour compléter le cadre de l'opposition entre le "corps" et le "fruit de l'Esprit", il faut observer que dans tout ce qui est manifestation de la vie et du comportement selon l'Esprit, Paul voit à un moment la manifestation de cette liberté pour laquelle le Christ "nous a libérés" Ga 5,1 C'est ainsi qu'il écrit: "Vous, en effet, mes frères, vous avez été appelés à la liberté; seulement, que cette liberté ne se tourne pas en prétexte pour la chair; mais, par la charité, mettez-vous au service les uns des autres. Car un seul précepte contient toute la loi en sa plénitude: Tu aimeras ton prochain comme toi-même". Ga 5,13-14. Comme nous l'avons déjà noté précédemment, l'opposition "corps- Esprit", vie "selon la chair", vie "selon l'Esprit" imprègne profondément toute la doctrine paulinienne de la justification. Avec une exceptionnelle force de conviction, l'apôtre des Gentils proclame que la justification de l'homme s'accomplit dans le Christ et par le Christ. L'homme obtient la justification dans la "foi opérant par la charité" Ga 5,6 et non seulement par l'observance de chaque prescription de la Loi de l'Ancien Testament (en particulier, de la circoncision). La justification vient donc "de l'Esprit" (de Dieu) et non "de la chair". Par conséquent, il exhorte les destinataires de sa lettre à se libérer de la fausse conception "charnelle" de la justification pour suivre la véritable conception, c'est-à-dire la conception "spirituelle". Dans cette perspective, il les exhorte à se libérer vis-à-vis de la Loi et encore plus à être libres de la liberté par laquelle le Christ "nous a libérés".
Ainsi donc, en suivant la pensée de l'Apôtre, il nous faut considérer et surtout réaliser la pureté évangélique, c'est- à-dire la pureté du coeur, d'après la mesure de cette liberté par laquelle le Christ "nous a libérés".



Liberté et Amour

14 janvier 1981

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1. Dans son Epître aux Galates, saint Paul écrit: "Vous en effet, mes frères, vous avez été appelés à la liberté. Seulement, que cette liberté ne donne aucune prise à la chair; mais, par la charité, mettez-vous au service les uns des autres. Car un seul précepte contient toute la loi en sa plénitude: Tu aimeras ton prochain comme toi-même". Ga 5,13-14 Déjà la semaine dernière nous nous sommes arrêtés à cet énoncé; aujourd'hui, nous le reprendrons toutefois au point de vue du thème principal de nos réflexions.
Bien que le passage cité se réfère avant tout au thème de la justification, l'Apôtre, toutefois, tend ici à faire comprendre explicitement la dimension éthique de l'opposition du corps et de l'esprit, c'est-à-dire de la vie selon la chair et de la vie selon l'Esprit. De plus, il touche proprement le point essentiel, dévoilant ainsi les racines anthropologiques mêmes de l'ethos évangélique. En effet, si "toute la loi" (la loi morale de l'Ancien Testament) "trouve sa plénitude" dans le commandement de la charité, la dimension du nouvel ethos évangélique n'est rien d'autre qu'un appel adressé à la liberté humaine, un appel à sa plus pleine réalisation et, en un certain sens, à la plus pleine "utilisation" de la potentialité de l'esprit humain.

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2. Il pourrait sembler que Paul oppose seulement la liberté à la Loi et la Loi à la liberté. Une analyse approfondie du texte de l'Epître aux Galates démontre cependant que Paul y souligne avant tout la subordination éthique de la liberté à cet élément dans lequel toute la loi s'accomplit, c'est-à-dire à l'amour qui est le contenu du plus grand commandement de l'Evangile. "Le Christ nous a libérés pour que nous restions libres"; et c'est précisément en ce sens qu'il nous a manifesté la subordination éthique (et théologique) de la liberté à la charité et qu'Il a lié la liberté au commandement de l'amour. Comprendre ainsi la vocation à la liberté ("Vous, en effet, mes frères, vous avez été appelés à la liberté": Ga 5,13) signifie déterminer l'ethos dans lequel se réalise la vie "selon l'Esprit". Le danger existe, en effet, d'entendre la liberté de manière erronée, et Paul nous l'indique clairement en écrivant dans ce même contexte: "Que cette liberté seulement ne donne aucune prise à la chair; mais, par la charité, mettez-vous au service les uns des autres." (Ibid.)

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3. En d'autres termes: saint Paul nous met en garde contre la possibilité de faire un mauvais usage de la liberté, d'en faire un usage qui soit en contradiction avec la libération de l'esprit humain accomplie par le Christ et qui contredise cette liberté pour laquelle "le Christ nous a libérés". Le Christ, en effet, a réalisé et manifesté la liberté qui trouve sa plénitude dans la charité, la liberté grâce à laquelle nous sommes "au service les uns des autres"; en d'autres termes la liberté qui devient source d'"oeuvres" nouvelles et de "vie selon l'Esprit". L'antithèse et, en un certain sens, la négation de cet usage de la liberté ont lieu lorsque celle-ci devient pour l'homme "prétexte pour vivre selon la chair". La liberté devient alors source d'"oeuvres" et de "vie" selon la chair. Elle cesse d'être l'authentique liberté pour laquelle "le Christ nous a libérés" et elle devient un "prétexte pour vivre selon la chair, source (ou même instrument) d'un joug" spécifique imposé par l'orgueil de la vie, par la convoitise des yeux et la concupiscence de la chair. Celui qui, de cette manière, vit "selon la chair", c'est-à-dire s'assujettit - bien que ce soit de manière inconsciente mais non moins effective - à la triple concupiscence et, particulièrement, à la concupiscence de la chair, perd la capacité d'avoir cette liberté pour laquelle "le Christ nous a libérés"; il n'est plus capable de faire ce vrai don de soi qui est fruit et expression de cette liberté. En outre, il devient incapable de ce don qui est organiquement lié à la signification sponsale du corps humain que nous avons examinée au cours de nos précédentes analyses du Livre de la Genèse Gn 2,23-25.

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4. De cette manière, la doctrine paulinienne sur la "pureté", doctrine qui est l'écho fidèle et authentique du Discours sur la Montagne, nous permet de considérer la "pureté de coeur" - évangélique et chrétienne - dans une plus large perspective et elle nous permet surtout de la rattacher à la charité "qui contient la loi dans sa plénitude". Comme le Christ, Paul reconnaît une double signification à la "pureté" et à l'"impureté" un sens générique et un sens spécifique. Dans le premier cas, est "pur" tout ce qui est moralement bon, "impur" tout ce qui est au contraire moralement mauvais. Nous en trouvons une claire affirmation dans les paroles du Christ, selon Mt 15,18-20, que nous avons citées précédemment. Dans les énoncés de Paul au sujet des "oeuvres de la chair" qu'il oppose au "fruit de l'Esprit", nous trouvons la base pour comprendre ce problème de manière analogue. Paul cite, parmi les "oeuvres de la chair", ce qui moralement est mauvais, tandis que tout ce qui est ,moralement bien est rattaché à la "vie selon l'Esprit". Ainsi, une des manifestations de la vie "selon l'Esprit" est le comportement conforme à cette vertu que Paul définit plutôt indirectement dans son Epître aux Galates, mais dont il parle de manière directe dans la première Epître aux Thessaloniciens.

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5. Dans les passage de l'Epître aux Galates que nous avons déjà soumis antérieurement à des analyses détaillées, l'Apôtre cite en premier lieu, parmi les "oeuvres de la chair": la "fornication, l'impureté, la débauche"; toutefois, quand, ensuite, il leur oppose le "fruit de l'Esprit", il ne parle pas directement de la "pureté", mais seulement de la "maîtrise de soi", la enkräteia. Cette "maîtrise" de soi, on peut y reconnaître une vertu qui a trait à la continence dans le cadre de tous les désirs des sens, surtout dans le domaine sexuel; elle est donc opposée "à la fornication, à l'impureté, à la débauche", et aussi à l'"ivrognerie" et aux "orgies". On pourrait donc admettre que l'expression paulinienne, "maîtrise de soi", contient ce qu'on exprime par "continence" ou "tempérance" et qui correspond au terme latin "temperentia". Nous nous trouverions dans ce cas en présence du système des vertus que la théologie postérieure, particulièrement la théologie scolastique, allait, en un certain sens, emprunter à l'éthique aristotélicienne. Il est certain toutefois que, dans son texte, Paul ne se sert pas de ce système. Etant donné que, par "pureté", il faut entendre la juste manière de traiter le domaine sexuel selon l'état personnel (et non pas nécessairement une abstention absolue de la vie sexuelle), alors cette pureté est, sans le moindre doute, comprise dans le concept paulinien de "maîtrise de soi" ou enkrateia. C'est pourquoi, dans le cadre du texte paulinien, nous trouvons seulement une mention générique et indirecte de la pureté, en ce sens qu'à des "oeuvres de la chair", comme "fornication, impureté, débauche", l'auteur oppose "le fruit de l'Esprit", c'est-à-dire des oeuvres nouvelles dans lesquelles se manifeste "la vie selon l'Esprit". On peut en déduire qu'une de ces oeuvres nouvelles est précisément la "pureté": celle donc qui est opposée à l' "impureté" et aussi à la "fornication" et à la "débauche".

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6. Mais déjà dans la première Epître aux Thessaloniciens, Paul avait écrit à ce sujet de manière explicite et sans équivoque. Nous y lisons: "La volonté de Dieu, c'est que vous viviez dans la sainteté, que vous vous absteniez d'impudicité, que chacun sache user de son corps (Sans entrer dans les discussions particulières des exégètes, il faut cependant signaler que l'expression grecque to heautoü skeüos peut également se référer à l'épouse 1P 3,7.) avec sainteté et respect, sans se laisser emporter par la passion comme font les païens qui ne connaissent pas Dieu". 1Th 4,3-5 Et ensuite: "Dieu ne nous a pas appelés à l'impureté mais à la sanctification. Ainsi donc, celui qui rejette ces instructions, ce n'est pas un homme qu'il rejette, c'est Dieu, lui qui vous donne son Esprit-Saint". 1Th 4,7-8. Bien que nous ayons encore affaire au sens générique de la "pureté ", identifiée dans ce cas à la "sanctification" (en ce sens que l'"impureté" est nommée comme antithèse de la "sanctification"), l'ensemble du contexte n'en indique pas moins clairement de quelle "pureté" ou de quelle "impureté" il s'agit, c'est-à-dire en quoi consiste ce que Paul appelle ici "impureté" et de quelle manière la "pureté" contribue à la sanctification de l'homme.
Aussi conviendra-t-il, dans les réflexions suivantes, de reprendre le texte de la première Epître aux Thessaloniciens, citée ici et là.




2002 Magistère Mariage 1083