2002 Magistère Mariage 1206

L'interprétation paulinienne de la doctrine de Résurrection

27 janvier 1982

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1. Au cours des audiences précédentes nous avons médité les paroles du Christ concernant l'autre monde qui apparaîtra en même temps que la résurrection des corps.
Ces paroles ont trouvé un écho particulièrement intense dans l'enseignement de saint Paul. Entre la réponse donnée aux sadducéens, transmise par les Evangiles synoptiques Mt 22,30 Mc 12,25 Lc 20,35-36 et l'apostolat de Paul se trouve en tout premier lieu le fait même de la résurrection du Christ et toute une série de rencontres auxquelles il faut rattacher, comme dernier maillon de la chaîne, l'événement qui eut lieu sur le chemin de Damas. Saul ou Paul de Tarse qui, converti, devint l'"Apôtre des Gentils", eut lui aussi sa propre expérience post-pascale, analogue à celle des autres apôtres. Sa foi en la résurrection, qu'il exprime surtout dans 1Co 15, est certainement basée sur cette rencontre qu'il eut avec le Christ ressuscité, rencontre qui devint le début et le fondement de son apostolat.

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2. Il serait difficile de résumer ici et de commenter de manière adéquate, dans tous ses détails, l'étonnante et vaste argumentation de 1Co 15. Il est significatif, alors que Jésus répondait aux sadducéens "qui niaient la résurrection" Lc 20,27; par les expressions rapportées dans les Synoptiques, Paul, de son côté répond ou plutôt - conformément à son tempérament - entre en polémique avec ceux qui la contestent (*). Dans sa réponse (pré-pascale), le Christ ne se référait pas à sa propre résurrection, mais plutôt à la réalité fondamentale de l'Alliance vétéro- testamentaire, à la réalité du Dieu vivant, sur laquelle se fonde la conviction que la résurrection est possible: le Dieu vivant "n'est pas un Dieu des morts, mais des vivants" Mc 12,27. Dans son argumentation post-pascale sur la future résurrection, saint Paul se réfère surtout à la réalité et à la vérité de la résurrection du Christ. Bien plus, cette vérité il la défend comme fondement de la foi dans toute son intégrité: "... si le Christ n'est pas ressuscité, alors notre prédication est vaine, vaine est aussi notre foi... Mais non! le Christ est ressuscité des morts" 1Co 15,14 1Co 15,20

Note (*) Les Corinthiens étaient probablement aux prises avec des courants de pensée influencés par le dualisme platonicien et par le néo-pythagorisme de nuance religieuse, par le stoïcisme et par l'épicurisme; du reste, toutes les philosophies grecques niaient la résurrection des corps. Paul s'en était déjà rendu compte à Athènes, durant son discours à l'Aréopage, devant la réaction des Grecs contre la doctrine de la résurrection.

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3. Ici, nous nous trouvons dans la ligne même de la révélation: la résurrection du Christ est l'ultime et la plus pleine parole de l'auto-révélation du Dieu vivant comme "Dieu non pas des morts mais des vivants" Mc 12,27. Elle est l'ultime et la plus pleine confirmation de la vérité sur Dieu qui dès le début s'exprime à travers cette révélation. De plus, la résurrection est la réponse du Dieu de la vie à l'inéluctable réalité historique de la mort à laquelle l'homme a été soumis dès le moment où fut rompue la première Alliance; la mort est entrée dans son histoire en même temps que le péché. Dans 1Co 15, Paul commente avec une rare perspicacité cette réponse au sujet de la victoire sur la mort, présentant la résurrection du Christ comme le début de l'accomplissement eschatologique où, par Lui et en Lui, tout retournera au Père, tout sera soumis au Père, c'est-à-dire remis définitivement "afin que Dieu soit tout en tous" 1Co 15,28 Et alors, dans cette définitive victoire sur le péché - sur ce qui opposait la créature au Créateur -, la mort elle-même sera vaincue: "Le dernier ennemi à détruire, c'est la mort" 1Co 15,26.

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4. C'est dans ce contexte que s'insèrent les paroles que l'on peut considérer comme une synthèse de l'anthropologie paulinienne concernant la résurrection. Et c'est sur ces paroles qu'il sera convenable de nous arrêter plus longuement. En effet, dans 1Co 15,42-46, nous lisons à propos de la résurrection des morts: "On sème de la corruption, il ressuscite de l'incorruptibilité; on sème de l'ignominie, il ressuscite de la gloire; on sème de la faiblesse, il ressuscite de la force; on sème un corps psychique, il ressuscite un corps spirituel. S'il y a un corps psychique, il y a aussi un corps spirituel. C'est ainsi qu'il a été écrit: " Le premier homme, Adam, est devenu un être vivant; le dernier Adam est devenu un esprit qui donne la vie. Mais ce n'est pas le corps spirituel qui parut d'abord, c'est le corps psychique; puis vint le spirituel".

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5. Entre cette anthropologie paulinienne de la résurrection et celle qui ressort du texte des Evangiles synoptiques Mt 22,30 Mc 12,25 Lc 20,35-36, il existe une cohérence essentielle, à ceci près que le texte de la première épître aux Corinthiens a un plus ample développement. Paul approfondit ce que le Christ avait annoncé, pénétrant en même temps dans les différents aspects que les Synoptiques expriment en paroles concises et substantielles. Ce qui, en outre, est significatif dans le texte paulinien, c'est que la perspective eschatologique de l'homme, fondée sur la foi en la résurrection des morts, est unie à la référence à "l'origine" et également à la profonde conscience de la situation "historique" de l'homme. L'homme auquel Paul s'adresse dans sa première épître aux Corinthiens possède également une expérience (historique) du corps et cette expérience fait ressortir de manière très claire que le corps est corruptible, faible, psychique.

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6. Cet homme, destinataire de son message - que ce soit celui de la communauté de Corinthe ou, dirais-je, l'homme de tous les temps - Paul le confronte avec le Christ ressuscité, le dernier Adam. En faisant cela, il l'invite, en un certain sens, à suivre les traces de sa propre expérience post- pascale. En même temps il lui rappelle le premier Adam, c'est-à-dire qu'il lui suggère de remonter à l'origine, à cette première vérité concernant l'homme et le monde, base de la révélation du mystère du Dieu vivant. Ainsi donc, Paul reproduit dans sa synthèse tout ce que le Christ avait annoncé quand il a fait appel à trois moments différents à l'origine, dans son entretien avec les pharisiens Mt 19,3-8 Mc 10,2-9; au coeur humain comme siège, à l'intérieur de l'homme de la lutte contre le péché, dans le Sermon sur la Montagne Mt 5,27; et à la résurrection comme réalité de l'autre monde, dans son entretien avec les sadducéens
Mt 22,30 Mc 12,25 Lc 20,35-36


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7. Appartient donc au style de la synthèse paulinienne le .fait que celle-là s'enracine dans l'ensemble du mystère révélé de la création et de la résurrection à partir duquel elle se développe; ce n'est d'ailleurs qu'à sa lumière qu'elle s'explique. D'après le récit biblique, la création de l'homme est une vivification de la matière par l'esprit; et grâce à cela "le premier homme Adam ... devint un être vivant" 1Co 15,45. Le texte paulinien répète ici les paroles de Gn 2,7, c'est-à-dire du second récit de la création de l'homme (dit yahviste). La même source nous apprend que cette animation originelle du corps a subi une corruption à cause du péché. Même si, à ce point de sa première épître aux Corinthiens, l'auteur ne parle pas directement du péché originel, la série des qualificatifs qu'il attribue au corps de l'homme historique, écrivant qu'il est corruptible ... faible ... psychique ... abject, indique suffisamment, toutefois, ce qui est selon la révélation une conséquence du péché, ce que Paul lui-même appelle ailleurs "esclavage de la corruption" Rm 8,21. Toute la création est soumise indirectement à cet "esclavage de la corruption" à cause du péché de l'homme que le Créateur avait placé au centre du monde visible pour qu'il le domine Gn 1,28. Ainsi le péché de l'homme a-t-il une dimension non seulement intérieure, mais aussi cosmique. Et suivant cette dimension, le corps - qu'en raison de son expérience Paul qualifie de corruptible ... faible ... psychique ... abject ... - exprime en soi l'état de la création après le péché. Cette création, en effet, "jusqu'à ce jour gémit en travail d'enfantement" Rm 8,22. Toutefois, comme les douleurs d'enfantement sont unies au désir de la naissance, à l'espérance d'un homme nouveau, de même "la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu ... et espère être, elle aussi, libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté des fils de Dieu" Rm 8,19-21.

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8. A travers ce contexte cosmique de l'affirmation contenue dans l'épître aux Romains - en un certain sens, à travers le corps de toutes les créatures - nous essayons de comprendre à fond l'interprétation paulinienne de la résurrection. Si cette image du corps de l'homme historique, si profondément réaliste, et si bien adaptée à l'expérience universelle des hommes, cache en soi selon Paul, non seulement la servitude de la corruption, mais aussi l'espérance, semblable à celle qui accompagne les douleurs de l'enfantement, cela est dû au fait que dans cette image l'apôtre relève également la présence du mystère de la Rédemption. La conscience de ce mystère se libère précisément de toutes les expériences de l'homme qui peuvent être qualifiées d'esclavage de la corruption; elle se libère parce que la Rédemption opère dans l'âme de l'homme par les dons de l'Esprit: "... nous-mêmes qui possédons les prémices de l'Esprit nous gémissons nous aussi intérieurement dans l'attente de la Rédemption de notre corps" Rm 8,23. La Rédemption est la voie de la résurrection. La résurrection constitue l'accomplissement de la Rédemption du corps.
Nous reprendrons dans nos prochaines réflexions l'analyse du texte paulinien de la première épître aux Corinthiens.



L'homme est placé entre deux poles, premier et dernier Adam

3 février 1982

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1. Des paroles du Christ sur la future résurrection des morts que les Evangiles synoptiques rapportent tous les trois (Matthieu, Marc, Luc) nous sommes passés à l'anthropologie paulinienne de la résurrection. Nous avons analysé 1Co 15,14-46

Selon les paroles de l'Apôtre, le corps humain se révèle dans la résurrection comme incorruptible, glorieux, plein de force, spirituel. La résurrection n'est donc pas seulement une manifestation de la vie qui triomphe de la mort - une sorte de retour final à l'arbre de Vie dont l'homme a été éloigné à cause du péché originel -; elle est aussi une révélation des ultimes destins de l'homme dans toute la plénitude de sa nature psychosomatique et de sa subjectivité personnelle. A la suite des autres apôtres, Paul de Tarse a expérimenté lui aussi, lorsqu'il a rencontré le Christ ressuscité, l'état de son corps glorifié; se basant sur cette expérience, il annonce dans Rm 8,28 la Rédemption du corps et, dans 1Co 15,42-49, l'accomplissement de cette Rédemption dans la résurrection future.

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2. La méthode littéraire que Paul applique ici correspond parfaitement à son style. Il se sert d'antithèses qui rapprochent et en même temps opposent; elles servent ainsi à nous faire comprendre la pensée paulinienne au sujet de la résurrection: soit dans sa dimension cosmique, soit en ce qui concerne la caractéristique de la structure interne même de l'homme terrestre et céleste. En effet, en opposant Adam et le Christ (ressuscité) - c'est-à-dire le premier Adam et le dernier Adam - l'Apôtre indique, en un certain sens, les deux pôles entre lesquels, dans le mystère de la Création et de la Rédemption, l'homme a été placé dans le cosmos; on pourrait même dire que l'homme a été mis en tension entre ces deux pôles dans la perspective des desseins éternels concernant, des origines à la fin, sa même nature humaine. Quand il écrit: "Le premier homme, issu de la terre, est terrestre; le second homme, vient du ciel" 1Co 15,47, Paul a dans l'esprit aussi bien l'Adam-homme que le Christ lui- même comme homme. Entre ces deux pôles - entre le premier et le dernier Adam - se déroule le processus qu'il exprime par ces mots: "Et de même que nous avons porté l'image de l'homme terrestre, ainsi nous serons revêtus de l'image du céleste" 1Co 15,49.

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3. Cet homme céleste - l'homme de la résurrection dont le Christ ressuscité est le prototype - est moins antithèse et négation de l'homme de la terre (dont le premier Adam est le prototype), que plutôt - et surtout - son accomplissement et sa confirmation. Il est l'accomplissement et la confirmation de ce qui correspond à la constitution psychosomatique de l'humanité dans le cadre des desseins éternels, c'est-à-dire dans la pensée et dans le plan de Celui qui, à l'origine, créa l'homme à son image et ressemblance. L'humanité du premier Adam, homme de la terre, porte en soi une particulière potentialité (qui est capacité et aptitude) à accueillir tout ce que devient le "deuxième Adam", l'Homme céleste, c'est-à-dire le Christ: ce qu'il devient dans sa résurrection.
Cette humanité à laquelle ont part tous les hommes, fils du premier Adam, avec l'héritage du péché - étant charnelle - est à la fois corruptible et porte en soi la potentialité de l'incorruptibilité.
Cette humanité qui, dans toute sa constitution psychosomatique se révèle corruptible, contient toutefois l'intime désir de la gloire, c'est-à-dire l'aptitude et la tendance à devenir glorieuse, à l'image du Christ ressuscité. Enfin, cette humanité dont l'Apôtre dit - conformément à l'expérience de tous les hommes - qu'elle est faible, qu'elle a un corps psychique, contient l'aspiration à devenir pleine de force et spirituelle.

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4. Ici nous parlons de la nature humaine intégrale, c'est- à-dire dans sa constitution psychosomatique. Paul parle au contraire du corps. Nous pouvons toutefois admettre, sur la base du contexte immédiat et du contexte lointain, que pour lui il ne s'agit pas seulement du corps, mais de l'homme tout entier, dans sa constitution corporelle, donc également dans sa complexité ontologique. Il est en effet incontestable que, si précisément dans tout le monde visible (cosmos), seul ce corps, qu'est le corps humain, contient en puissance la résurrection, - c'est-à-dire le désir et la capacité de devenir définitivement incorruptible, glorieux, plein de force, spirituel, - ceci advient parce que, persistant depuis l'origine dans l'unité psychosomatique, il peut saisir et reproduire dans cette "terrestre" image et ressemblance de Dieu également l'image "céleste" de l'ultime Adam, le Christ. L'anthropologie paulinienne de la résurrection est à la fois cosmique et universelle: tout homme a en soi l'image d'Adam et chacun est également appelé à porter en soi l'image du Christ, l'image du Ressuscité. Cette image est la réalité de l'autre monde, la réalité eschatologique (saint Paul écrit: nous revêtirons); mais entre-temps, elle est déjà d'une certaine manière une réalité de ce monde, étant donné qu'elle a été révélée en lui grâce à la résurrection du Christ. C'est une réalité greffée dans l'homme de ce monde, réalité qui mûrit en lui en vue de l'accomplissement final.

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5. Toutes les antithèses qui se suivent dans le texte paulinien aident à tracer une esquisse valable de l'anthropologie de la résurrection. Cette esquisse est en même temps plus détaillée que celle qui ressort du texte des Evangiles synoptiques Mt 22,30 Mc 12,25 Lc 20,34-35, mais par ailleurs elle est en un certain sens plus unilatérale. Les paroles du Christ transmises par les Synoptiques nous ouvrent la perspective de la perfection eschatologique du corps, soumis pleinement à la profondeur divinisante de la vision face à face où trouveront leur source inépuisable tant la virginité perpétuelle (unie à la signification conjugale du corps) que la permanente intersubjectivité de tous les êtres humains qui prendront part (comme hommes et femmes) à la résurrection. L'esquisse paulinienne de la perfection eschatologique du corps glorifié semble se maintenir plutôt dans le cadre de la structure intérieure même de l'homme-personne. Son interprétation de la résurrection future semble se rattacher au dualisme corps- esprit qui constitue la source du système de forces intérieur de l'homme.

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6. Ce système de forces subira un changement radical dans la résurrection. Les paroles de Paul qui le suggèrent de manière explicite ne sauraient toutefois être entendues et interprétées selon l'esprit de l'anthropologie dualiste (*), comme nous chercherons à le démontrer au cours de nos analyses suivantes. Il conviendra en effet que nous consacrions encore une réflexion - à la lumière de la première épître aux Corinthiens - à l'anthropologie de la résurrection.
Note (*) "Paul ne tient absolument pas compte de la dichotomie grecque âme et corps ... L'apôtre recourt à une sorte de trichotomie où la totalité de l'homme est corps, âme et esprit ... Tous ces termes sont mouvants et la division elle-même n'a pas de frontière fixe. Il y a insistance sur le fait que le corps et l'âme sont capables d'être pneumatiques, spirituels" (B. RIGAUX, Dieu l'a ressuscité. Exégèse et théologie biblique, DUCULOT, Gembloux, 1973, p. 406-408).



Spiritualisation du corps, source de son incorruptubilité

10 février 1982

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1. Des paroles du Christ sur la future résurrection des corps, rapportées par les trois Evangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) nous avons porté nos réflexions sur ce que Paul a dit de ce thème dans 1Co 15. Notre analyse est centrée principalement sur ce qu'on pourrait appeler anthropologie de la résurrection selon saint Paul. L'auteur de l'épître oppose l'état de l'homme de la terre (c'est-à- dire historique) à l'état de l'homme ressuscité, caractérisant de manière à la fois lapidaire et pénétrante, le système de forces intérieur spécifique de chacun de ces états.

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2. Que ce système intérieur de forces doive subir une transformation radicale dans la résurrection, cela est indiqué avant tout, semble-t-il, par la mise en confrontation du corps faible et du corps plein de force. Paul écrit: " On sème de la corruption, il ressuscite de l'incorruptibilité; on sème de l'ignominie, il ressuscite de la gloire; on sème de la faiblesse, il ressuscite de la force" 1Co 15,42-43. Faible: voilà donc ce qu'est le corps qui - pour employer un langage métaphysique - surgit du sol temporel de l'humanité. La métaphore paulinienne correspond également à la terminologie scientifique qui définit par le même terme (semen) le début de l'homme en tant que corps. Si, aux yeux de l'Apôtre, le corps humain, qui surgit de la semence terrestre, révèle sa faiblesse, cela signifie non seulement qu'il est corruptible, soumis à la mort et à tout ce qui y conduit, mais aussi qu'il est corps psychique (*). Le corps plein de force que l'homme héritera du dernier Adam, le Christ, en tant que participant de la future résurrection, sera un corps spirituel. Il sera incorruptible, non plus menacé par la mort. Ainsi donc, l'antinomie faible-plein de force se réfère explicitement non pas tellement au corps considéré à part qu'à toute la constitution de l'homme considéré dans son état corporel. Ce n'est que dans le cadre de cette constitution que le corps peut devenir spirituel, et cette spiritualisation du corps sera la source de son incorruptibilité (immortalité).
Note (*) L'original grec se sert ici du terme psychicon. Dans saint Paul, il paraît seulement dans 1Co 2,14 1Co 15,44 1Co 15,46 et nulle part ailleurs probablement à cause des tendances pré-gnostiques des Corinthiens, et à un sens négatif: concernant son contenu il correspond au terme "charnel" 2Co 1,12 2Co 10,4. -- Toutefois dans les autres épîtres de saint Paul la psyché et ses dérivés signifient l'existence terrestre de l'homme dans ses manifestations, le mode d'existence de l'individu et même la personne humaine au sens positif (par exemple pour indiquer l'idéal de vie de la communauté ecclésiale: miâ-i psychê-i. "dans un seul esprit" Ph 1,27; sym-psychoi = "avec l'union de vos esprit": Ph 2,2; isôpsychon = "d'âme égale", Ph 2,20; cf. R. JEWETT, Paul's Anthropological terms. A Study of their use in Conflit Settings, Brill, Leiden, 1971, p. 2, 448-449).

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3. L'origine de ce thème nous la trouvons dès les premiers chapitres de la Genèse. On peut dire que saint Paul voit la réalité de la future résurrection comme une certaine restitutio in integrum, c'est-à-dire comme la réintégration et en même temps l'obtention de la plénitude de l'humanité. Ce n'est pas seulement une restitution, parce que, dans ce cas, la résurrection serait en un certain sens le retour à l'état auquel participait l'âme avant le péché, hors de la connaissance du bien et du mal Gn 1-2. Mais un tel retour ne correspond pas à la logique interne de toute l'économie du salut, au sens le plus profond du mystère de la Rédemption. Restitutio in integrum liée à la résurrection et à la réalité de l'autre monde, cela peut n'être qu'une introduction à une nouvelle plénitude. Ce sera une plénitude qui suppose d'abord toute l'histoire de l'homme, formée du drame de l'arbre de la connaissance du bien et du mal Gn 3 et en même temps imprégnée du mystère de la Rédemption.

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4. Suivant les paroles de la première épître aux Corinthiens, l'homme chez qui la concupiscence prévaut sur la spiritualité, c'est-à-dire le corps psychique ou animal 1Co 15,44 est condamné à la mort; doit au contraire resurgir comme un corps spirituel, l'homme chez qui l'esprit aura une juste suprématie sur le corps, la spiritualité sur la sensualité. On comprend aisément qu'ici Paul pense à la sensualité comme somme des facteurs qui constituent la limitation de la spiritualité humaine, c'est-à-dire celle qui lie l'esprit (pas nécessairement au sens platonicien) moyennant la restriction de sa propre faculté de connaître (voir) la vérité et également de la faculté de vouloir librement et d'aimer dans la vérité. En revanche, il ne peut s'agir de cette fonction fondamentale des sens qui sert à libérer la spiritualité, c'est-à-dire de la simple faculté de connaître et de vouloir qui est le propre du compositum psychosomatique du sujet humain. Comme on parle de la résurrection du corps, c'est-à-dire de l'homme dans son authentique réalité corporelle, le corps spirituel devrait par conséquent signifier précisément la parfaite sensibilité des sens, leur parfaite harmonisation avec l'activité de l'esprit humain dans la vérité et dans la liberté. Le corps psychique, qui est l'antithèse terrestre du corps spirituel, indique par contre la sensibilité comme une force qui cause souvent du tort à l'homme, en ce sens que vivant dans la connaissance du bien et du mal il est souvent sollicité et quasi poussé vers le mal.

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5. On ne saurait oublier qu'il est moins question ici du dualisme anthropologique que d'une antinomie de fond. En fait partie non seulement le corps (comme hyle - matière et forme au sens aristotélicien) mais aussi l'âme, c'est-à-dire l'homme comme "âme vivante" Gn 2,7. Les éléments constitutifs sont par contre: d'une part tout l'homme, l'ensemble de sa subjectivité psychosomatique, en tant qu'il reste sous l'influence de l'esprit vivifiant du Christ; d'autre part le même homme en tant qu'il résiste et s'oppose à cet Esprit. Dans le second cas, l'homme est un corps psychique (ou animal) et ses oeuvres sont oeuvres de la chair. Si, par contre, il reste sous influence de l'Esprit- Saint, l'homme est spirituel (et produit le "fruit de l'Esprit", Ga 5,22.

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6. Par conséquent on peut dire qu'en 1Co 15 non seulement nous avons affaire avec l'anthropologie de la résurrection, mais que toute l'anthropologie et l'éthique de saint Paul sont imprégnées du mystère de la résurrection par lequel nous avons définitivement reçu l'Esprit-Saint. 1Co 15 constitue l'interprétation paulinienne de l'autre monde et de l'état de l'homme dans ce monde où chacun, en même temps qu'à la résurrection du corps, participera pleinement au don de l'Esprit vivifiant, c'est-à-dire au fruit de la résurrection du Christ.

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7. Concluant l'analyse de l'anthropologie de la résurrection selon la première épître de saint Paul aux Corinthiens, il nous faut une fois de plus tourner la pensée vers les paroles de Jésus sur la résurrection et sur l'autre monde qui sont rapportées par les Evangélistes Matthieu, Marc et Luc. Rappelons que répondant aux sadducéens, le Christ lie la foi en la résurrection à toute la révélation du Dieu d'Abraham, d'Isaac, de Jacob et de Moïse "qui n'est pas un Dieu des morts, mais des vivants" Mt 22,32. Et, en même temps, repoussant la difficulté avancée par ses interlocuteurs, il prononça ces paroles significatives: "Lorsqu'on ressuscite d'entre les morts, on ne prend ni femme ni mari" Mc 12,25. C'est précisément à ces paroles - dans leur contexte immédiat - que nous avons consacré nos précédentes considérations, passant ensuite à l'analyses de 1Co 9,15. Ces réflexions ont une importance fondamentale pour toute la théologie du corps: pour comprendre tant le mariage que le célibat "pour le Royaume des Cieux". Nos prochaines analyses seront consacrées à ce dernier sujet.



La virginité ou célibat pour le Royaume des Cieux

10 mars 1982

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1. Nous commençons aujourd'hui à réfléchir sur la virginité ou célibat pour le Royaume des Cieux.
La question de l'appel à une donation exclusive de soi- même à Dieu dans la virginité et le célibat, est profondément enracinée dans le sol évangélique de la théologie du corps. Pour relever les dimensions qui leur sont propres, il faut tenir présentes à l'esprit les paroles du Christ lorsqu'il se réfère à l'origine et, de même, lorsqu'il se rapporte à la résurrection des corps. La constatation "lorsqu'on ressuscite d'entre les morts on ne prend ni femme ni mari" Mc 12,25, indique qu'il existe une condition de vie sans mariage où la personne humaine, homme et femme, trouve en même temps la plénitude de la donation personnelle et de la communion intersubjective des personnes, grâce à la glorification de tout son être dans l'union éternelle avec Dieu.
Quand l'appel à la continence pour le Royaume des Cieux trouve un écho favorable en l'âme humaine dans les conditions de la temporalité - celles, donc, où habituellement les personnes "prennent femme et prennent mari" Lc 20,34 -, il n'est pas difficile de percevoir une sensibilité particulière de l'esprit humain qui, semble-t-il, permet déjà, dans les conditions de la temporalité, de jouir par anticipation de ce que l'homme aura en partage après la future résurrection.

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2. Toutefois, dans le contexte immédiat de son entretien avec les sadducéens Mt 22,23-30 Mc 12,18-25 Lc 20,27-30 le Christ ne parle pas de ce problème, de cette vocation particulière, lorsqu'il se réfère à la résurrection des corps. Par contre, il en avait déjà parlé auparavant dans le contexte de son entretien avec les pharisiens au sujet du mariage et des fondements de son indissolubilité, presque comme un prolongement de ce dialogue Mt 19,3-9. Ce qu'il dit pour conclure concernerait la lettre de répudiation que Moïse autorisait en certains cas: "C'est, précisa le Christ, en raison de votre caractère intraitable que Moïse vous a permis de répudier vos femmes; mais à l'origine il n'en fut pas ainsi. Or je vous le dis: quiconque répudie sa femme et en épouse une autre, commet un adultère" Mt 19,10. Et alors - comme on peut le déduire du contexte - les disciples qui avaient écouté attentivement ces dernières paroles de Jésus, lui dirent: "Si telle est la condition de l'homme envers la femme, il n'est pas expédient de se marier" Mt 19,10. Et Jésus de leur répondre: "Tous ne comprennent pas ce langage, mais ceux-là seulement à qui c'est donné. Il y a, en effet, des eunuques qui sont nés ainsi du sein de leur mère, il y a des eunuques qui le sont devenus par l'action des hommes, et il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes rendus tels en vue du Royaume des Cieux. Comprenne qui pourra!" Mt 19,11-12.

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3. Quant à cet entretien que nous rapporte Matthieu, on peut se demander ce que pensaient les disciples quand, après avoir entendu la réponse donnée par Jésus aux pharisiens au sujet du mariage et de son indissolubilité, il observèrent: "Si telle est la condition de l'homme envers la femme, il n'est pas expédient de se marier". En tout cas, le Christ estime que cette circonstance est opportune pour leur parler de la continence pour le Royaume des Cieux. En disant cela, il ne prend pas directement position au sujet de la remarque de ses disciples et il ne se maintient pas non plus dans la ligne de leur raisonnement (*). Aussi il ne répond pas: il convient de se marier ou il n'est pas expédient de se marier. La question de la continence pour le Royaume des Cieux n'est pas opposée au mariage et elle ne se base pas sur un jugement négatif au sujet de son importance. Du reste, parlant précédemment de l'indissolubilité du mariage, le Christ s'était référé à l'origine, c'est-à-dire au mystère de la Création, indiquant ainsi la source première et fondamentale de sa valeur. Par conséquent, pour répondre à la question des disciples, ou plutôt pour éclaircir le problème soulevé, Jésus a recours à un autre principe. Si la continence est observée par ceux qui, dans leur vie, font ce choix pour le Royaume des Cieux, ce n'est pas parce qu'il n'est pas expédient de se marier ou parce qu'on supposerait que le mariage a une valeur négative; ils le font en vue de la valeur particulière qui est attachée à ce choix et qu'il convient de découvrir et saisir personnellement comme sa propre vocation. C'est pourquoi le Christ dit: "Comprenne qui pourra!" Mt 19,12. Juste avant cela il avait toutefois dit: "Tous ne comprennent pas ce langage, mais ceux-là seulement à qui c'est donné" Mt 19,11.
Note (*) Concernant les problèmes plus détaillés de l'exégèse de ce passage, voir par exemple L. SABOURIN, Il Vangelo di Matteo, Teologia Esegesi, Rome, Ed. Paoline, 1977, t. II, p. 834-836; "The positive values of consacred celibacy", dans The Way, supplément 10, été 1970, p. 51; J. BLINZLER, Einsin eunuchoi. Zur Auslegung von Mt 19, 12, "Zeitschrift fur die Neutestamentliche Wissenschaft" 48, 1957, p. 268 et sq.

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4. On le voit, dans sa réponse au problème que lui soumettent les disciples, le Christ précise clairement une règle pour comprendre ses paroles. Dans la doctrine de l'Eglise est en vigueur la conviction que ces paroles expriment, non pas un commandement qui oblige tout le monde, mais un conseil qui concerne seulement quelques personnes (*)

celles précisément qui sont capables de le comprendre,

celles à qui c'est donné. Les paroles que nous avons citées indiquent clairement le moment du choix personnel et en même temps celui de la grâce particulière, c'est-à-dire du don accordé à l'homme pour faire ce choix. On peut dire que le choix de la continence pour le Royaume des Cieux est une orientation charismatique vers cet état eschatologique dans lequel les êtres humains ne prennent ni femme ni mari. Toutefois, entre cet état de l'homme dans la résurrection des corps et le choix volontaire de la continence pour le Royaume des Cieux durant la vie terrestre et dans l'état historique de l'homme tombé et racheté, il existe une différence essentielle. Le 'ne pas se marier eschatologique' sera un état, c'est-à-dire la façon propre, fondamentale, de l'existence des êtres humains, hommes et femmes, dans leurs corps glorifiés. La continence pour le Royaume des Cieux, fruit d'une option charismatique, est une exception par rapport à l'autre état, c'est-à-dire celui auquel dès l'origine, l'homme a pris part et continue à prendre part au cours de toute son existence terrestre.
Note (*) - "La sainteté de l'Eglise est encore soutenue d'une façon particulière par les conseils multiples" dont le Seigneur, dans l'Evangile a proposé l'observance à ses disciples. Parmi ces conseils. une place éminente revient à ce don précieux de la grâce divine, fait par le Père à certains. Mt 19,11 1Co 7,7 de se vouer à Dieu seul plus facilement et d'un coeur sans partage dans la virginité et le célibat" LG 42.


2002 Magistère Mariage 1206