2002 Magistère Mariage 1472

Le mariage comme sacrement se constitue sur la base du

"langage du corps"

26 janvier 1983

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1. Le signe du mariage comme sacrement de l'Eglise se constitue chaque fois selon la dimension qui lui est propre depuis l'origine et, en même temps, il est constitué sur le fondement de l'amour nuptial du Christ et de l'Eglise, comme la seule et absolument unique expression de l'alliance entre cet homme et cette femme qui sont ministres du mariage comme sacrement de leur vocation et de leur vie. Pour dire que le signe du mariage comme sacrement de l'Eglise se constitue sur la base du "langage du corps", nous nous servons de l'analogie (analogia attributionis) que nous avons cherché déjà précédemment à éclairer. Il est évident que le corps comme tel ne parle pas, mais l'homme parle, relisant ce qui exige d'être exprimé précisément sur la base du corps, de la masculinité ou féminité du sujet personnel ou mieux, sur la base de ce que l'être humain peut exprimer uniquement au moyen de son corps.
En ce sens, l'être humain - homme ou femme - non seulement parle avec le langage du corps, mais aussi, en un certain sens, il permet au corps de parler pour lui et de sa part à lui; je dirais, en son nom et sous son autorité personnelle. De cette manière, le concept de prophétisme du corps semble lui aussi être fondé: le prophète, en effet, est celui qui parle pour et de la part de: au nom et sous l'autorité d'une personne.

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2. Les nouveaux époux en sont conscients lorsque, contractant mariage, ils en instituent le signe visible. Dans la perspective de la vie commune et de la vocation conjugale, ce signe initial, signe originaire du mariage comme sacrement de l'Eglise, sera continuellement comblé par le prophétisme du corps. Les corps des époux parleront "pour" et "de la part" de chacun d'eux, parleront au nom et sous l'autorité de la personne, de chacune des personnes, poursuivant le dialogue conjugal, propre à leur vocation et basé sur le langage du corps, approfondi opportunément et continuellement en son temps. Et il est nécessaire que celui-là soit relu dans la vérité: les conjoints sont appelés à former leur vie et leur coexistence comme communion des personnes sur la base de ce langage. Etant donné qu'un ensemble complexe de significations correspond au langage, les époux sont appelés à devenir - par leur conduite et comportement, leurs actions et gestes (gestes de tendresse: GS 49) - les auteurs de ces significations du langage du corps qui, en conséquence, construisent et approfondissent continuellement l'amour, la fidélité, l'honnêteté conjugale et cette union indissoluble jusqu'à la mort.

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3. Le signe du mariage comme sacrement de l'Eglise est formé précisément par ces significations dont les époux sont les auteurs. Toutes ces significations ont leur début et sont, en un certain sens, programmées de manière synthétique dans le consentement conjugal afin de construire ensuite - de manière plus analytique jour après jour - le même signe, s'identifiant avec lui à la dimension de la vie tout entière. C'est un lien organique entre la relecture dans la vérité de la signification intégrale du langage du corps et l'emploi de ce langage, dans la vie conjugale. Dans ce dernier cadre, l'être humain - homme et femme - est l'auteur des significations du langage du corps. Cela implique que ce langage dont il est l'auteur corresponde à la vérité qui a été méditée. Nous basant sur la tradition biblique, nous parlons ici du prophétisme du corps. Si dans le mariage (et indirectement encore dans tous les domaines de la coexistence mutuelle) l'être humain - homme et femme - confère à son comportement une signification conforme à la vérité fondamentale du langage du corps, alors lui-même est également "dans la vérité". Dans le cas contraire, il ment et falsifie le langage du corps.

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4. Si nous nous plaçons dans la ligne prophétique du consentement conjugal qui, comme nous l'avons déjà dit, offre aux époux une particulière participation à la mission prophétique de l'Eglise, transmise par le Christ lui-même, nous pouvons également utiliser à ce propos la distinction biblique entre vrais et faux prophètes. Par le mariage, comme sacrement de l'Eglise, l'homme et la femme sont appelés de manière explicite à donner - en se servant correctement du langage du corps - le témoignage de l'amour conjugal pro- créateur, témoignage digne de vrais prophètes. C'est en cela que consiste la vraie signification de la grandeur du consentement conjugal dans le sacrement de l'Eglise.

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5. L'ensemble des problèmes du signe sacramentel du mariage a un caractère nettement anthropologique. Nous le construisons en nous basant sur l'anthropologie théologique et en particulier sur ce que nous avons dès le début des présentes considérations défini comme théologie du corps. Aussi, dans la suite de ces analyses, nous devrons toujours garder sous les yeux les considérations précédentes qui se réfèrent à l'analyse des mots clés du Christ (nous disons mots clés parce que, comme des clés, ils nous ouvrent les dimensions particulières de l'anthropologie théologique, spécialement la théologie du corps). Edifiant sur cette base l'analyse du signe sacramentel du mariage auquel participent toujours, même après le péché originel, l'homme et la femme en tant qu'êtres humains historiques nous devons constamment nous rappeler le fait que l'être "historique", homme et femme, est en même temps l'être humain concupiscent; comme tels, tout homme et toute femme entrent dans l'histoire du salut et ils s'y trouvent associés grâce au sacrement qui est le signe visible de l'alliance et de la grâce.
C'est pourquoi il faut que dans le contexte des réflexions présentes au sujet de la structure sacramentelle du signe du mariage nous tenions compte de ce que le Christ a dit à propos de l'unité et de l'indissolubilité du mariage en se référant à l'origine, mais aussi (et encore plus) de ce qu'il a dit dans son Sermon sur la Montagne, quand il se réclamait du coeur humain.



L'homme de la concupiscence est en même temps l'homme de

"l'appel"

9 février 1983

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1. Nous avons dit précédemment que, dans le contexte des réflexions actuelles sur la structure du mariage comme signe sacramentel, nous devons tenir compte non seulement de ce que le Christ a déclaré au sujet de son unité et de son indissolubilité en se référant à l'origine mais aussi (et plus encore) de ce qu'il a dit dans son Sermon sur la Montagne, quand il se réclama du coeur humain. En se reportant au commandement: "Tu ne commettras pas l'adultère", le Christ a parlé de l'adultère dans le coeur: "Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis, dans son coeur, l'adultère avec elle" Mt 5,28.
Ainsi donc, en affirmant que le signe sacramentel du mariage - signe de l'alliance conjugale de l'homme et de la femme - se forme sur la base du langage du corps une fois relu dans la vérité (et sans cesse relu), nous nous rendons compte que celui qui approfondit ce "langage" et ensuite l'exprime, selon les exigences propres du mariage comme pacte et sacrement, est naturellement et moralement l'être humain sujet à la concupiscence: homme et femme, entendus tous deux comme être humain sujet à la concupiscence. Les prophètes de l'Ancien Testament ont certainement devant les yeux cet être humain quand, utilisant une analogie, ils stigmatisent l'adultère d'Israël et de Juda. L'analyse des paroles prononcées par le Christ dans le Sermon sur la Montagne nous permet de comprendre plus profondément l'adultère lui-même. Et en même temps elle nous conduit à la conviction que le coeur humain est non pas tant accusé et condamné par le Christ à cause de la concupiscence (concupiscentia carnis) que tout d'abord et avant tout appelé. Ici se révèle une nette divergence entre l'anthropologie (ou l'herméneutique anthropologique) de l'Evangile et quelques représentants influents de l'herméneutique contemporaine de l'homme (qu'on appelle les maîtres du soupçon).

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2. Passant sur le terrain de la présente analyse, nous pouvons constater que bien que l'homme, nonobstant le signe sacramentel du mariage, malgré le consentement conjugal et sa réalisation, reste naturellement l'homme de la concupiscence, il est en même temps, toutefois, l'homme de l'appel. Il est appelé à travers le mystère de la Rédemption du corps, mystère divin qui - dans le Christ et par le Christ dans chaque homme - est en même temps réalité humaine. De plus, ce mystère comporte un éthos déterminé qui, par son essence, est humain et que déjà précédemment nous avons appelé éthos de la Rédemption.

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3. A la lumière des paroles prononcées par le Christ dans le Sermon sur la Montagne, à la lumière de tout l'Evangile et de la Nouvelle Alliance, la triple concupiscence (et en particulier la concupiscence de la chair) ne détruit pas la capacité de relire dans la vérité le "langage du corps" - et de le relire continuellement de manière plus réfléchie et plus pleine; c'est pourquoi le signe sacramentel est constitué soit à son premier moment liturgique, soit par la suite, à la dimension de toute la vie. Sous cette lumière, il importe de constater que, si la concupiscence engendre d'elle-même de nombreuses erreurs dans la relecture du langage du corps et si, en même temps, elle engendre aussi le péché, le mal moral contraire à la vertu de chasteté (aussi bien conjugale qu'extra-conjugale), il reste cependant toujours, dans le cadre de l'éthos de la Rédemption, la possibilité de passer de l'erreur à la vérité, et de même la possibilité de retourner, c'est-à-dire de se convertir, du péché à la chasteté, en tant qu'expression d'une vie selon l'Esprit Ga 5,16.

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4. De cette manière, selon l'optique évangélique et chrétienne du problème, l'homme historique (d'après le péché originel) est, sur la base du langage du corps exploré dans la vérité, capable - comme homme et femme - de constituer le signe sacramentel de l'amour, de la fidélité et de l'honnêteté conjugale et ceci comme signe durable: "Je promets de t'être toujours fidèle dans la joie et la douleur, dans la santé et la maladie, de t'aimer et t'honorer tous les jours de ma vie". Ceci signifie que l'homme est de manière réelle l'auteur des significations au moyen desquelles, après avoir relu le langage du corps dans la vérité, il est également capable de former dans la vérité ce langage dans la communion conjugale et familiale des personnes. Il en est capable, même comme homme sujet à la concupiscence étant en même temps appelé par la réalité de la Rédemption du Christ (simul lapsus et redemptus).

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5. Grâce à la dimension du signe, propre au mariage comme sacrement, se trouve confirmée la spécifique anthropologie théologique, la spécifique herméneutique de l'homme qui pourrait, en ce cas, également s'appeler herméneutique du sacrement parce qu'elle permet de comprendre l'homme sur la base de l'analyse du signe sacramentel. Comme ministre du sacrement, auteur (co-auteur) du signe sacramentel, l'être humain - homme et femme - est un sujet conscient et capable d'autodétermination. C'est uniquement sur cette base qu'il peut être l'auteur du langage du corps, qu'il peut être également auteur (co-auteur) du mariage comme signe: signe de la création 3. A la lumière des paroles prononcées par le Christ dans le Sermon sur la Montagne, à la lumière de tout l'Evangile et de la Nouvelle Alliance, la triple concupiscence (et en particulier la concupiscence de la chair) ne détruit pas la capacité de relire dans la vérité le "langage du corps" - et de le relire continuellement de manière plus réfléchie et plus pleine; c'est pourquoi le signe sacramentel est constitué soit à son premier moment liturgique, soit par la suite, à la dimension de toute la vie. Sous cette lumière, il importe de constater que, si la concupiscence engendre d'elle-même de nombreuses erreurs dans la relecture du langage du corps et si, en même temps, elle engendre aussi le péché, le mal moral contraire à la vertu de chasteté (aussi bien conjugale qu'extra-conjugale), il reste cependant toujours, dans le cadre de l'éthos de la Rédemption, la possibilité de passer de l'erreur à la vérité, et de même la possibilité de retourner, c'est-à-dire de se convertir, du péché à la chasteté, en tant qu'expression d'une vie selon l'Esprit Ga 5,16.

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4. De cette manière, selon l'optique évangélique et chrétienne du problème, l'homme historique (d'après le péché originel) est, sur la base du langage du corps exploré dans la vérité, capable - comme homme et femme - de constituer le signe sacramentel de l'amour, de la fidélité et de l'honnêteté conjugale et ceci comme signe durable: "Je promets de t'être toujours fidèle dans la joie et la douleur, dans la santé et la maladie, de t'aimer et t'honorer tous les jours de ma vie". Ceci signifie que l'homme est de manière réelle l'auteur des significations au moyen desquelles, après avoir relu le langage du corps dans la vérité, il est également capable de former dans la vérité ce langage dans la communion conjugale et familiale des personnes. Il en est capable, même comme homme sujet à la concupiscence étant en même temps appelé par la réalité de la Rédemption du Christ (simul lapsus et redemptus).

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5. Grâce à la dimension du signe, propre au mariage comme sacrement, se trouve confirmée la spécifique anthropologie théologique, la spécifique herméneutique de l'homme qui pourrait, en ce cas, également s'appeler herméneutique du sacrement parce qu'elle permet de comprendre l'homme sur la base de l'analyse du signe sacramentel. Comme ministre du sacrement, auteur (co-auteur) du signe sacramentel, l'être humain - homme et femme - est un sujet conscient et capable d'autodétermination. C'est uniquement sur cette base qu'il peut être l'auteur du langage du corps, qu'il peut être également auteur (co-auteur) du mariage comme signe: signe de la création divine et Rédemption du corps. Le fait que l'être humain (l'homme et la femme) est l'être sujet à la concupiscence n'empêche pas qu'il soit capable de relire le langage du corps dans la vérité. Il est l'homme à la concupiscence, mais en même temps il est capable de discerner le vrai du faux dans le langage du corps et peut être l'auteur des significations vraies (ou fausses) de ce langage.

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6. Il est l'homme de la concupiscence, mais il n'est pas complètement déterminé par la libido (au sens généralement donné à ce terme). Une telle détermination signifierait que l'ensemble des comportements de l'homme - et même, par exemple, le choix de la continence pour des motifs religieux - s'expliquerait uniquement par les transformations spécifiques de cette libido. En ce cas, - sur le plan du langage du corps - l'homme serait condamné à des falsifications essentielles: il serait seulement quelqu'un qui exprime une détermination spécifique par la libido, mais n'exprimerait pas la vérité (ou la fausseté) de l'amour conjugal et de la communion des personnes, même s'il pensait la manifester. Il serait donc condamné, par conséquent, à se suspecter lui-même et à suspecter les autres au sujet de la vérité du langage du corps. A cause de la concupiscence de la chair, il pourrait n'être qu'accusé, mais il ne pourrait être vraiment appelé.
L'herméneutique du sacrement nous permet de conclure que l'homme est toujours essentiellement appelé et non simplement accusé, et cela précisément en tant qu'homme sujet de la concupiscence.


quatrième série: Mai 1984 - Novembre 1984


Ce que le Cantique des Cantiques nous apprend sur l'amour

humain

23 mai 1984

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Pendant l'Année Sainte j'ai suspendu l'étude du thème de l'amour humain dans le plan divin. Maintenant je voudrais conclure ce sujet par quelques considérations portant particulièrement sur l'enseignement d'Humanae Vitae, en y ajoutant quelques réflexions au sujet du Cantique des Cantiques et du livre de Tobie. Il me semble en effet, que ce que j'entends exposer les prochaines semaines constitue comme le couronnement de toutes mes explications antérieures.
Le thème de l'amour conjugal qui unit l'homme et la femme rattache en un certain sens cette partie de la Bible à toute la tradition de la " grande analogie " qui, à travers les écrits des prophètes, s'est déversée dans le Nouveau Testament et, en particulier, dans l'épître aux Ephésiens Ep 5,21-23 dont j'ai suspendu le commentaire au début de l'Année Sainte.
Le Cantique a fait l'objet d'un grand nombre d'étude exégétiques, de commentaires et d'hypothèses. Quant à son contenu, en apparence profane, les positions ont été diverses

tandis que, d'une part, on a souvent déconseillé la

lecture, d'autre part il a été la source où les plus grands écrivains mystiques ont puisé, et les versets du Cantique des Cantiques ont été insérés dans la liturgie de l'Eglise.

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note "Il faut donc prendre simplement le Cantique pour ce qu'il est manifestement: un chant d'amour" Cette phrase de J. WINANDY O.S.B exprime la conviction d'exégètes de plus en plus nombreux (J WINANDY, Le Cantique des Cantiques, poème d'amour mué en écrit de Sagesse, Maredsous, 1960, p. 26). - M. DUBARLE ajoute: "L'exégèse catholique, qui a parfois fait appel au sens évident des textes bibliques pour des passages de grande importance dogmatique, ne devrait pas l'abandonner à la légère quand il s'agit du Cantique". Se référant à la phrase de G. GERLEMAN, DUBARLE poursuit: "Le Cantique célèbre l'amour de l'homme et de la femme sans y joindre aucun élément mythologique, mais en le considérant simplement à son niveau et dans sa spécificité. Il s'y trouve implicitement, sans insistance didactique, l'équivalent de la foi yahviste, car les forces sexuelles n'étaient pas placées sous le patronage des divinités étrangères et n'étaient pas attribuées à Yahvé lui-même qui apparaissait comme transcendant ce cadre". Le poème était donc en harmonie tacite avec les convictions fondamentales de la foi d'Israël. - "La même attitude ouverte, objective, non expressément religieuse en présence de la beauté physique et de l'amour sexuel, se retrouve dans quelques passages du document yahviste. Ces diverses ressemblances montrent que le petit livre ne se trouve pas tellement isolé dans l'ensemble de la littérature biblique comme on l'affirme parfois" (A. M DUBARLE, "Le Cantique des Cantiques dans l'exégèse récente" dans Aux grands carrefours de la Révolution et de l'exégèse de l'Ancien Testament, Recherches bibliques, VIII, Louvain, 1967, p.149 - 151)

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En effet, même si l'analyse du texte de ce livre nous oblige à placer son contenu hors du cadre de la grande analogie prophétique, il n'est toutefois pas possible de la détacher de la réalité du sacrement primordial. On ne peut le méditer qu'en s'inspirant de ce qui est écrit dans les premiers chapitres de la Genèse, comme témoignage de l'origine - de cette origine à laquelle le Christ se réfère dans son entretien décisif avec les pharisiens Mt 19,4 (Cela n'exclut pas, évidemment, la possibilité de parler d'une "signification plus pleine" dans le Cantique des Cantiques. - Voir par exemple: "les amants dans l'extase de l'amour semblent occuper et remplir tout le livre, comme seuls personnages (...) C'est pourquoi, sains Paul lisant les paroles de la Genèse 'voici donc que l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme et les deux ne feront plus qu'une seule chair' ne nie pas le sens réel et immédiat des paroles qui se réfèrent au mariage humain; mais, à ce premier sens, il en ajoute un autre, plus profond, avec une application immédiate: "Ce mystère est de grande portée; je veux dire qu'il s'applique au Christ et à l'Eglise" Ep 5,31-32 - "Quelques lecteurs du Cantique des Cantiques ont cru voir dans ces versets un amour désincarné. Ils ont oublié les amants, ou ils ont été pétrifiés en fictions, sur un plan purement intellectuel (...) ils ont multiplié les infimes correspondances allégoriques dans quelques phrases, paroles ou images (...). Ce n'est nullement le bon chemin (...). Qui ne croit pas à l'amour des époux, qui doit demander pardon pour le corps, ceux-là n'ont pas le droit de l'élever (...). Avec l'affirmation de l'amour humain il est par contre possible d'y découvrir la révélation de Dieu" ( L. Alonso SCHÖKEL, "Cantico dei Cantici Introduzione"dans la Biblia, Paroles de Dieu écrites pour nous, texte officiel de la C.E.I, volume II, Turin, Marietti, 1980, p.425-427)
Le Cantique des Cantiques se trouve certainement dans le sillage de ce sacrement où, par le langage du corps, se constitue le signe visible de la participation de l'homme et de la femme à l'alliance de la grâce et de l'amour que Dieu offre à l'homme. Le Cantique des Cantiques démontre la richesse de ce langage dont la première expression se trouve déjà dans la Gn 2,23-25.

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Dès les premiers versets, le Cantique nous introduit immédiatement dans le climat de tout le poème, où l'époux et l'épouse semblent se mouvoir dans le cercle tracé par le rayonnement de l'amour. Les paroles des époux, leurs mouvements, leurs gestes correspondent à la démarche intérieure des coeurs. C'est uniquement à travers le prisme de cette démarche qu'il est possible de comprendre le langage du corps dans lequel se réalise cette découverte à laquelle le premier homme donna expression devant celle qui avait été créée "comme aide qui soit semblable à lui" Gn 2,20-23 et qui, comme le précise le texte biblique, avait été tirée d'une de ses côtes (la "côte" semble aussi indiquer également le coeur)
Cette découverte - déjà analysée en nous basant sur Genèse 2, - se revêt dans le Cantique des Cantiques de toute la richesse du langage de l'amour humain. Ce que le chapitre 2 de la Genèse exprime en peu de mots Gn 2,23-25 simples et essentiels, se développe ici comme un ample dialogue ou, plutôt, comme un duo où les paroles de l'époux s'entrelacent à celles de l'épouse et se complètent l'un l'autre. Les premières paroles de l'homme Gn 2,23, à la vue de la femme que Dieu a créé, expriment la stupeur et l'admiration, et même le sentiment de séduction. Et une même fascination - qui est stupeur et admiration - coule sous une forme plus ample à travers les versets du Cantique des Cantiques. Elle coule en ondes paisibles et homogènes du début à la fin du poème.

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Même une analyse sommaire du Cantique des Cantiques permet de se rendre compte que le langage du corps s'exprime dans cette séduction réciproque. Aussi bien le point de départ que le point d'arrivée de cette fascination - stupeur et admiration réciproques - sont en effet la féminité de l'épouse et la masculinité de l'époux dans l'expérience directe de leur visibilité. Les mots d'amour qu'ils prononcent tous deux se concentrent donc sur le corps, non seulement parce qu'il constitue lui-même la source de cette séduction réciproque, mais aussi et surtout parce que c'est sur lui que s'arrête directement et immédiatement cette attraction vers l'autre personne - vers l'autre "ego" - féminine ou masculine qui, dans l'impulsion intérieure du coeur, engendre l'amour.
En outre, l'amour entraîne une expérience particulière du beau qui se concentre sur ce qui est visible, mais qui implique en même temps la personne toute entière. L'expérience du beau engendre la complaisance qui est réciproque.
"O la plus belle des femmes..." Ct 1,8 dit l'époux et lui font écho les paroles de l'épouse: "Je suis noire mais belle, ô fille de Jérusalem" Ct 1,5. Les paroles de l'enchantement masculin se répètent continuellement, revenant sans cesse dans les cinq chants du poème. Et de semblables expressions de l'épouse lui font écho.

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Il s'agit de métaphores, qui peuvent sembler surprenantes. Certaines sont empruntées à la vie des pasteurs; d'autres semblent indiquer l'origine royale de l'époux (Pour expliquer l'inclusion d'un chant d'amour dans le canon biblique, les exégètes juifs ont, déjà les premiers siècles après le Christ, vu dans le Cantique des Cantiques une allégorie de l'amour de Yahvé pour Israël, ou bien une allégorie de l'histoire du peuple élu où cet amour se manifeste et, au Moyen Age, l'allégorie de la Sagesse divine et de l'homme qui la cherche. - L'exégèse chrétienne a, dès les premiers Pères, étendu cette idée au Christ et à l'Eglise (cf. HIPPOLYTE et ORIGENE), ou bien à l'âme individuelle du chrétien (Saint GREGOIRE DE NYSSE) ou à Marie (Saint AMBROISE). Saint BERNARD a vu dans le Cantique des Cantiques un dialogue de la parole de Dieu avec l'âme, et cela nous mène à l'idée de saint JEAN DE LA CROIX sur le mariage mystique. - Seule exception dans cette longue tradition, Théodore de MOPSUESTE qui, au IVème siècle, a vu dans le Cantique des Cantique un poème qui chante l'amour humain de Salomon pour la fille du Pharaon. - En revanche, LUTHER réfère l'allégorie à Salomon et à son règne. Ces derniers siècles, de nouvelle hypothèses ont vu le jour. On a considéré, par exemple, le Cantique des Cantiques comme un drame de la fidélité maintenue par une épouse envers un pasteur malgré toutes les tentations, ou bien comme un recueil de chants exécutés durant les rites populaires des noces, ou chants mystico-rituels qui reflètent le culte d'Adonis-Tammouz. On a même vu, dans le Cantique la description d'un rêve, faisant appel tant aux idées antiques sur la signification des rêves qu'à la psychanalyse. - Au XXème siècle, on est retourné aux plus anciennes traditiallégoriques (cf. BEA), voyant de nouveau dans le Cantique des Cantiques l'histoire d'Israël (cf. JOUON, RICCIOTTI) et un midrash développé (comme le rappelle Robert dans son commentaire qui constitue une " somme " de l'interprétation du Cantique). - En même temps, toutefois, on a commencé à lire le livre dans sa signification la plus évidente, celle d'un poème exaltant l'amour humain naturel (cf. ROWLEY, YOUNG, LAURIN). - Le premier qui a démontré de quelle manière cette signification se rattache au contexte biblique du chapitre 2 de la Genèse est Karl BARTH. DUBARLE part de l'idée qu'un amour humain fidèle et heureux révèle à l'homme les attributs de l'amour divin, et Van den OUDENRYN voit dans le Cantique des Cantiques l'anti-type de ce sens caractéristique qui parait dans Ep 5,23. MURPHY, excluant toute explication allégorique et métaphorique, souligne que l'amour humain, créé et bénit par Dieu, peut être le thème d'un livre biblique inspiré.
D. LYS constate que le contenu du Cantique des Cantiques est à la fois sexuel et sacré. Quand on fait abstraction de la deuxième caractéristique, on arrive à traiter le Cantique comme une composition érotique purement laïque, et quand on ignore la première, on tombe dans l'allégorie. Ce n'est qu'en utilisant ces deux aspects qu'il est possible de lire le livre de la juste manière.
A côté des ouvrages des auteurs précités et spécialement en ce qui concerne une ébauche de l'histoire de l'exégèse du Cantique des Cantiques, voir H.H. ROWLEY, "The interpretation of the Song of Songs" dans The Servant of the Lord and other Essays on the Old Testament, Londres, Tutterworth, 1952, p.191-233; A.M DUBARLE, "Le Cantique des Cantiques dans l'exégèse de l'Ancien Testament" Recherches bibliques VIII, Louvain, Desclée de Brouwer, 1967, p.139-151; D. LYS, Le Plus Beau Chant de la Création - Commentaire du Cantique des Cantiques, Lectio divina 51, Paris, Cerf, 1968, p.31-35; M.H POPE Song of Songs, The Anchor Bible, Garden City, New-York, Doubleday, 1977, p.133-324)

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Laissons aux experts l'analyse de ce langage poétique. Le fait même de se servir de métaphores prouve combien, dans notre cas, le langage du corps cherche appui et confirmation dans tout le monde visible .Il s'agit incontestablement d'un langage qui doit être considéré en même temps par le coeur et par les yeux de l'époux dans l'acte de concentration spéciale sur tout l'"ego" féminin de l'épouse. Cet "ego" lui parle par tout trait féminin, suscitant cet état d'âme qu'on peut appeler fascination, enchantement. Cet "ego" féminin s'exprime presque sans paroles; toutefois, le langage du corps exprimé sans paroles trouve un riche écho dans les paroles de l'époux, dans ses phrases pleines de transport poétique et de métaphores qui témoignent de l'expérience du beau, d'un amour de satisfaction. Si les métaphores du Cantique cherchent pour cette beauté une analogie dans les diverses choses du monde visible (dans ce monde qui est le "propre monde" de l'époux), elles semblent en même temps indiquer l'insuffisance de chacune d'elles en particulier. "Tu es toute belle ma compagne, et pas une tâche en toi!" Ct 4,7: c'est sur cette expression que l'époux conclut son chant, abandonnant toutes les autres métaphores pour se tourner ver cette seule et unique par laquelle le langage du corps semble exprimer ce qui, le plus, est le propre de la féminité et de toute la personne.
Nous continuerons l'analyse du Cantique des Cantiques au cours de la prochaine audience générale



Le don mutuel de l'homme et de la femme

30 mai 1984

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Reprenons notre analyse du Cantique des Cantiques afin de comprendre de manière plus adéquate et exhaustive le signe sacramentel du mariage, tel que le manifeste le langage du corps qui est un langage particulier d'amour engendré par le coeur. A un certain moment, l'époux, exprimant une expérience particulière des valeurs qui rayonnent sur tout ce qui est en rapport avec la personne aimée dit: "Tu as pris mon coeur, ma soeur, mon épouse - tu as pris mon coeur par un seul regard, - par un anneau de ton collier. - Qu'elles sont douces tes caresses - ma soeur, mon épouse". Ct 4,9-10
Dans ces paroles apparaît ce qui est d'importance essentielle pour la théologie du corps - et dans le cas présent, pour la théologie du signe sacramentel du mariage. Qui donc est le "tu" féminin pour le "moi" masculin, et vice versa?
L'époux du Cantique des Cantiques s'exclame: "Tu es toute belle mon amie" Ct 4,7 et il l'appelle "ma soeur, mon épouse" Ct 4,9. Il ne l'appelle pas de son nom, mais il se sert d'expressions qui disent bien plus.
Sous un certain aspect, l'appellation, "soeur", dont se sert l'époux semble être plus éloquente que le terme "amie"; elle semble enracinée dans l'ensemble du Cantique qui manifeste combien l'amour révèle l'autre personne.

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Le terme "amie" indique ce qui est toujours essentiel dans l'amour, qui place le second "ego" à côté du propre "ego". L'amitié - l'amour d'amitié (amour amicitiae) - signifie dans le Cantique un rapprochement particulier ressenti et expérimenté comme force intérieurement unificatrice. Le fait que dans ce rapprochement cet "ego" féminin se révèle à l'époux comme "soeur" - et que, précisément comme soeur elle soit épouse - a une éloquence toute particulière. L'expression "soeur" parle de l'union dans l'humanité et en même temps de la diversité et de l'originalité féminines de cette soeur, non seulement en considération du sexe, mais aussi dans la manière d' "être personne", ce qui veut dire soit "être sujet" soit "être en rapport". Le terme "soeur" semble exprimer de la manière la plus simple, la subjectivité de l'"ego" féminin dans la relation personnelle avec l'homme, c'est-à-dire dans l'ouverture de ce dernier vers les autres qui sont entendus et perçus comme des frères. En un certain sens, la soeur aide l'homme à se définir et à se comprendre de cette manière, constituant pour lui une sorte de défi dans cette direction.

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L'époux du Cantique accueille le défi et recherche le passé commun comme si lui et sa femme provenaient du même cercle de famille, comme s'ils étaient unis depuis l'enfance par les souvenirs du même foyer. Ils se sentent ainsi réciproquement proches comme frère et soeur qui doivent leur existence à la même mère. Il en découle un sens spécifique d'appartenance commune. Le fait qu'ils se sentent frère et soeur leur permet de vivre en sûreté ce voisinage réciproque et de le manifester en y trouvant un appui sans craindre le jugement inique des autres hommes.
Grâce à l'appellation "ma soeur", les paroles de l'époux tendent à reproduire, peut-on dire, l'histoire de la féminité de la personne aimée, la voyant encore à l'époque de l'enfance et embrassant son "ego" tout entier âme et corps, avec une tendresse désintéressée. C'est de là que naît cette paix dont parle l'épouse. C'est la paix du corps qui, en apparence, ressemble au sommeil ("ne réveillez pas la bien- aimée, ne l'arrachez pas à son sommeil, avant qu'elle ne le veuille") C'est surtout la paix de la rencontre dans l'humanité en tant qu'image de Dieu - et la rencontre à travers un don réciproque et désintéressé ("et ainsi je suis à tes yeux comme celle qui a trouvé la paix" Ct 8,10

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En relation avec la trame précédente qu'on pourrait appeler la "trame fraternelle" apparaît dans le duo amoureux du Cantique des Cantiques une autre trame, disons un autre substrat du contenu. Nous pouvons l'examiner en partant de certaines expressions qui dans le poème semblent avoir une signification clé. Cette trame n'apparaît jamais explicitement, mais à travers toutes les compositions et ne se manifeste expressément que dans certains passages. Voilà comment parle l'époux: "Tu es un jardin fermé, ma soeur, mon épouse - une fontaine scellée" Ct 4,12
Ces métaphores que nous venons de lire "jardin fermé, fontaine scellée" révèlent la présence d'une autre vision de l' "ego" féminin lui-même, propriétaire de son propre mystère. On peut dire que chacune de ces métaphores exprime la dignité personnelle de la femme qui, en tant que sujet spirituel, se possède et peut décider non seulement de la profondeur métaphysique, mais aussi de la vérité essentielle et de l'authenticité du don de soi, tendu vers cette union dont parle le livre de la Genèse.
Le langage de la métaphore - langage poétique - semble être, dans ce contexte particulièrement approprié et précis. La "soeur-épouse" est pour l'homme propriétaire de son mystère comme "un jardin fermé" comme "une fontaine scellée". Le langage du corps examiné dans sa vérité de pair avec la découverte de l'inviolabilité intérieure de la personne. En même temps, cette découverte exprime l'authentique profondeur de l'appartenance réciproque des époux, conscients de s'appartenir mutuellement, d'être destinés l'un à l'autre. Quand l'épouse dit: "Mon bien - aimé est à moi", elle veut dire en même temps: "Il est celui à qui je me confie"; et elle ajoute en conséquence "et moi à lui" Ct 2,16. Les adjectifs "mon" et "ma" affirment ici toute la profondeur de cet acte de se confier qui correspond à la vérité intérieure de la personne humaine.
Il correspond en outre à la signification conjugale de la féminité par rapport à l'"ego" masculin, c'est-à-dire au langage du corps, considéré dans la vérité de la dignité personnelle.
Cette vérité a été prononcée par l'époux quand il a parlé du "jardin fermé" et de la "fontaine scellée". L'épouse lui répond avec les paroles du don par lequel elle se confie à lui. Comme maîtresse de son propre choix, elle dit: "Je suis à mon bien-aimé". Le Cantique des Cantiques relève subtilement la vérité intérieure de cette réponse. La liberté du don est une réponse à la profonde conscience du don qu'expriment les paroles de l'époux. C'est par cette vérité et cette liberté que s'édifie l'amour duquel il importe d'affirmer qu'il est un amour authentique.




2002 Magistère Mariage 1472