2002 Magistère Mariage 1510

Le véritable amour appelle le dépassement de soi

6 juin 1984

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Nous allons réfléchir encore aujourd'hui sur le Cantique des Cantiques afin de mieux comprendre le signe sacramentel du mariage.
La vérité de l'amour proclamée par le Cantique des Cantiques ne peut être séparée du langage du corps. De la vérité de l'amour, il découle que le langage du corps lui- même est relu dans la vérité. Cette vérité est également celle du rapprochement des époux qui grandit à travers l'amour: et la proximité signifie aussi l'initiation au mystère de la personne, sans toute fois impliquer sa violation Ct 1,13-14 Ct 1,16.
La vérité de la proximité croissante des époux à travers l'amour se développe dans la dimension subjective du coeur, dans celle de l'affection et du sentiment, qui permet de découvrir l'autre en soi comme don et, en un certain sens, de le goûter en soi Ct 2,3-6
Par cette proximité, l'époux vit plus pleinement l'expérience de ce don qui, de la part de l'"ego" féminin, s'unit à l'expression et à la signification nuptiale du corps. Les paroles de l'homme Ct 7,1-8 ne contiennent pas seulement une description poétique de la bien-aimée, de sa beauté féminine sur laquelle se fixent les sens, mais parlent aussi du don et du "se donner" de la personne.
L'épouse sait qu'elle est l'objet du désir de l'époux et elle va vers lui avec la promptitude du don de soi Ct 7,9-10 Ct 7,11-13 parce que l'amour qui les unit est en même temps de nature spirituelle et de nature sensuelle. Et c'est sur la base de cet amour que se réalise la perception du corps; car l'homme et la femme doivent constituer en commun ce signe du don réciproque de soi qui met le sceau sur toute leur vie.

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Dans le Cantique des Cantiques, le langage du corps est inséré dans le processus particulier de l'attraction mutuelle de l'homme et de la femme qu'expriment les nombreux chants du Cantique, qui parlent fréquemment de recherche pleine de nostalgie d'affectueuse sollicitude Ct 2,7 et de réciproques retrouvailles des époux Ct 5,2. Cela leur apporte joie et quiétude et semble les entraîner à une recherche continuelle. On a l'impression qu'en se rencontrant, en se rejoignant, en expérimentant leur propre voisinage, ils ne cessent de tendre vers quelque chose: ils cèdent à l'appel de quelque chose qui dépasse le contenu du moment, et qui franchit les limites de l'éros, relues dans les paroles du mutuel langage du corps Ct 1,7-8 Ct 2,17. Cette recherche a une dimension intérieure: le coeur veille même dans le sommeil. Cette aspiration née de la beauté intégrale, de la pureté absolument sans tache; c'est la recherche d'une perfection contenant, peut-on dire, la synthèse de la beauté humaine, beauté de l'âme et du corps.
Dans le Cantique des Cantiques l'éros humain révèle le visage de l'amour toujours en recherche et jamais satisfait. L'écho de cette inquiétude envahit les strophes du petit poème: "J'ai ouvert à mon bien-aimé, - mais mon bien-aimé avait disparu, il était passé! - Je l'ai cherché et ne l'ai point trouvé - je l'ai appelé et il ne m'a pas répondu" Ct 5,6 - "Je vous adjure, filles de Jérusalem - si vous trompez mon bien-aimé - que lui annoncerez vous - sinon que je suis malade d'amour? Ct 5,9

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Donc, quelques strophes du Cantique des Cantiques présentent l'éros comme la forme de l'amour humain dans lequel opèrent les énergies du désir. Et c'est en elles que s'enracine la conscience, c'est-à-dire la certitude subjective de l'appartenance réciproque, fidèle et exclusive. Mais en même temps, un grand nombre d'autres strophes nous forcent à réfléchir sur les causes de la recherche et de l'inquiétude qui accompagnent la conscience d'appartenir l'un à l'autre. Cette inquiétude fait-elle aussi partie de la nature de l'éros? S'il en était ainsi, cette inquiétude indiquerait aussi la nécessité du dépassement de soi. La vérité de l'amour s'exprime dans la conscience de l'appartenance réciproque, fruit de l'aspiration et de la recherche mutuelles et, de même, dans la nécessité de l'aspiration et de la recherche comme résultat de l'appartenance réciproque.
Dans cette nécessité intérieure, dans cette dynamique d'amour, se révèle indirectement la quasi-impossibilité pour une personne de s'emparer, de prendre possession d'une autre personne. La personne est un être qui dépasse absolument toutes les mesures d'appropriation et de propriété, de possession et de satisfaction qui émergent du langage du corps lui-même. Si l'époux et l'épouse méditent ce langage dans la pleine vérité de la personne et de l'amour, ils parviennent à une conviction toujours plus profonde que l'ampleur de leur appartenance mutuelle constitue ce don réciproque, dans lequel l'amour se révèle "fort comme la mort" c'est-à-dire qu'il remonte jusqu'aux dernières limites du langage du corps pour les franchir. En un certains sens, la vérité de l'amour intérieur et la vérité du don réciproque appellent continuellement l'époux et l'épouse à travers les moyens d'expressions de l'appartenance réciproque et même en se détachant de ces moyens, à atteindre et parvenir à ce qui constitue le noyau même du don de personne à personne.

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En suivant les sentiers des paroles tracés par les strophes du Cantique des Cantiques, il semble que nous approchons donc de la dimension dans laquelle l'éros cherche à s'intégrer moyennant encore une autre vérité de l'amour. Des siècles plus tard - à la lumière de la mort et de la résurrection du Christ - Paul de Tarse proclamera cette vérité dans son épître aux Corinthiens: "La charité est longanime, la charité est serviable, elle n'est pas envieuse, la charité ne fanfaronne pas, elle ne se rengorge pas, elle ne fait rien d'inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s'irrite pas, ne tient pas compte du mal, elle ne se réjouit pas de l'injustice, mais elle met sa joie dans la vérité. Elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout. La charité ne passe jamais" 1Co 13,4-8
La vérité sur l'amour exprimée dans les strophes du Cantique des Cantiques est-elle confirmée à la lumière de ces paroles de saint Paul? Dans le Cantique des Cantiques nous lisons, par exemple au sujet de l'amour, que la jalousie est "tenace comme les enfers" Ct 8,6; et dans l'épître de Paul nous lisons que "la charité n'est pas envieuse". Quel rapport existe-t-il entre ces deux expressions concernant l'amour? Quel rapport yun autre langage; l'amour qui semble émerger d'une autre dimension de la personne et appelle, invite à une autre communion. Cet amour a été désigné sous le nom d' "agapé" et l'agapé conduit l'éros à son accomplissement, en le purifiant.
Nous concluons ainsi les brèves méditations au sujet du Cantique des Cantiques que nous avons faites dans le but de mieux approfondir encore le thème du langage du corps. Dans ce cadre, le Cantique des Cantiques a une signification tout à fait particulière.



L'amour, soutenu par la prière est plus fort que la mort

27 juin 1984

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Commentant ces semaines dernières le Cantique des Cantiques, j'ai souligné le fait que le signe sacramentel du mariage se constitue sur la base du langage du corps, que l'homme et la femme expriment dans la vérité qui leur est propre. C'est sous cet aspect que j'entends analyser aujourd'hui quelques passages du livre de Tobie.
Dans le récit des épousailles de Tobie et de Sara, nous trouvons le terme "soeur" - qui semble indiquer une nature fraternelle dans l'amour conjugal - et, de même, une autre expression, analogue, elle aussi, à celles du Cantique des Cantiques.
Vous vous en souvenez certainement, dans le duo des époux l'amour qu'ils se déclarent l'un à l'autre est "fort comme la mort" Ct 8,6. Dans le livre de Tobit, nous trouvons une phrase où il est dit qu'il aima Sara "au point de ne plus pouvoir se détacher d'elle" Tb 6,19 et qui présente une situation confirmant la vérité des paroles au sujet de l'amour "fort comme la mort"

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Pour mieux comprendre, il faut se reporter à quelques détails qui trouvent une explication sur le fond du caractère spécifique du livre de Tobie. On y lit que Sara, fille de Ragouël, avait été précédemment "donnée comme épouse à sept maris" et que tous ceux-ci étaient morts avant de s'unir à elle. Cela était dû à l'intervention de l'esprit malin et le jeune Tobie avait raison de craindre une mort semblable.
Ainsi, l'amour de Tobie devait dès le premier moment, affronter l'épreuve de la vie et de la mort. Les paroles sur l'amour "fort comme la mort" prononcées par les époux dans le Cantique des Cantiques prennent ici un caractère d'épreuve réelle. Si l'amour se démontre fort comme la mort, cela advient surtout en ce sens que Tobie et Sara avec lui n'hésitent pas à aller au-devant de cette épreuve. Mais dans cette épreuve de la vie et de la mort, c'est la vie qui triomphe car durant la première nuit nuptiale, l'amour soutenu par la prière se révèle plus fort que la mort.

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Cette épreuve de la vie et de la mort a également une autre signification que nous font comprendre l'amour et le mariage des nouveaux époux. En effet, en s'unissant comme mari et femme, ils se trouvent dans la situation où les forces du bien et du mal se combattent et se mesurent réciproquement. Le duo des époux du Cantique des Cantiques ne semble pas en effet percevoir cette dimension de la réalité. Les époux du Cantique des Cantiques vivent et s'expriment dans un monde idéal ou "abstrait"; comme si dans ce monde n'existait pas la lutte des forces objectives entre le bien et le mal. Ne serait-ce pas précisément la force et la vérité intérieure de l'amour qui atténuent la lutte qui se déroule en lui et autour de lui?
La plénitude de cette vérité et de cette propre force de l'amour semble toutefois être différente et tendre plutôt à mener là où nous conduit l'expérience du livre de Tobie. La vérité et la force de l'amour se manifestent dans la capacité de se placer entre les forces du bien et du mal qui luttent dans l'homme et autour de lui, car l'amour a confiance en la victoire du bien et il est prêt à tout faire pour que triomphe le bien. Par conséquent, la vérité de l'amour des époux du livre de Tobie trouve sa confirmation, non pas dans les paroles exprimées par le langage du transport amoureux comme dans le Cantique des Cantiques, mais bien dans les options et dans les actes qui assument tout le poids de l'existence humaine dans leur union à tous deux. Le langage du corps semble utiliser ici les paroles des options et des actes jaillis de l'amour qui triomphe parce qu'il prie.

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La prière de Tobie Tb 8,5-8, qui est avant tout une prière de louange et de remerciement, puis une supplication, place le langage du corps sur le terrain des termes essentiels de la théologie du corps. C'est un langage "objectivé", pénétré moins de la force émotive de l'expérience que de la profondeur et la gravité de la vérité de l'existence elle-même.
Cette vérité, les époux la professent ensemble, à l'unisson, devant le Dieu de l'Alliance, "Dieu de nos pères". On peut dire que sous cet aspect le langage du corps devient le langage des ministres du sacrement, conscients que dans le pacte conjugal s'exprime et se réalise le mystère qui a sa source en Dieu lui-même. Leur pacte conjugal est en effet l'image et le sacrement primordial de l'Alliance de Dieu avec le genre humain - de cette Alliance qui tire son origine de l'Amour éternel.
Tobie et Sara terminent leur prière par les paroles suivantes: Fais que nous obtenions miséricorde, elle et moi, et que nous arrivions ensemble à la vieillesse" Tb 8,7
On peut admettre, en se basant sur le contexte, qu'ils ont sous les yeux la perspective de persévérer dans leur communion jusqu'à la fin de leurs jours, - perspective qui, avec l'épreuve de la vie et de la mort, s'ouvre devant eux déjà durant la première nuit nuptiale. En même temps, ils voient avec les yeux de la foi la sainteté de cette vocation dans laquelle ils doivent - par l'unité du couple construite sur la vérité réciproque du langage du corps - répondre à l'appel de Dieu lui-même, contenu dans le mystère de l'origine. Et c'est pourquoi, ils demandent: "Fais que nous obtenions miséricorde, elle et moi".

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Les époux du Cantique des Cantiques se déclarent l'un à l'autre, avec d'ardentes paroles, leur amour humain. Les nouveaux époux du livre de Tobie demandent à Dieu la grâce de savoir répondre à l'amour. L'un et l'autre couples ont leur place dans ce qui constitue le signe sacramentel du mariage. Ils participent l'un et l'autre à la formation de ce signe.
On peut dire qu'à travers l'un et l'autre le langage du corps considéré soit selon la dimension subjective de la vérité des coeurs humains, soit selon la dimension objective de la vérité à vivre dans la communion, devient la langue de la liturgie.
La prière des nouveaux époux du livre de Tobie semble certainement le confirmer d'une manière différente de celle du Cantique des Cantiques et aussi d'une manière qui, incontestablement, émeut plus profondément.



La dimension mystique du langage du corps

4 juillet 1984

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Reportons-nous aujourd'hui au texte classique du Ep 5,21-32 qui révèle les sources éternelles de l'Alliance dans l'amour du Père et, en même temps, sa nouvelle et définitive institution en Jésus-Christ.
Ce texte nous conduit à une dimension du langage du corps telle quelle pourrait être appelée "mystique". Il parle en effet du mariage comme d'un "grand mystère" ("Ce mystère est de grande portée", Ep 5,32). Et bien que ce mystère s'accomplisse dans l'union nuptiale du Christ rédempteur avec l'Eglise et de l'Eglise-épouse avec le Christ ("Je veux dire qu'il (ce mystère) s'applique au Christ et à l'Eglise" Ep 5,32 et bien qu'il s'effectue définitivement dans les dimensions eschatologiques, l'auteur de l'épître aux Ephésiens n'hésite pas, toutefois, à étendre l'analogie de l'union du Christ et de l'Eglise dans l'amour nuptial (définie de manière si "absolue" et eschatologique) au signe sacramentel du pacte conjugal de l'homme et de la femme qui sont "soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ" Ep 5,21. Il n'hésite pas à étendre cette analogie mystique au langage du corps, examiné dans la vérité de l'amour nuptial et de l'union conjugale des deux.

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Il faut reconnaître la logique de ce merveilleux texte qui libère radicalement notre façon de penser des éléments de manichéisme ou de considération non personnaliste du corps, et qui en même temps rend le langage du corps, contenu dans le signe sacramentel du mariage, plus proche de la dimension de la sainteté réelle.
Les sacrements greffent la sainteté sur le terrain de l'humanité de l'homme; ils pénètrent de la force de la sainteté l'âme et le corps, la féminité et la masculinité du sujet personnel. Tout ceci est exprimé dans la langue de la liturgie: cela s'y exprime et s'y réalise.
La liturgie - la langue liturgique - élève le pacte conjugal de l'homme et de la femme, basé sur le langage du corps considéré dans sa vérité, aux conditions du mystère; et elle permet, en même temps, que ce pacte se réalise aux dimensions précitées à travers le langage du corps.
C'est précisément de cela que parle le signe du sacrement du mariage qui, dans la langue liturgique, exprime un événement interpersonnel, riche d'intenses contenus individuels attribués à l'homme et à la femme "jusqu'à la mort". Le signe sacramentel signifie non seulement le "devenir" - la naissance du mariage -, mais constitue aussi tout son "être", toute sa durée: l'un et l'autre comme réalité sacrée et sacramentelle, enracinée dans la dimension de la Création et de la Rédemption. De cette manière, la langue liturgique assigne à tous deux, à l'homme et à la femme, l'amour, la fidélité et l'honnêteté conjugale au moyen du langage du corps. Il leur assigne l'unité et l'indissolubilité du mariage dans le langage du corps. Il leur assigne comme tâche tout le "sacrum" de la personne et de la communion des personnes et, de même, leur féminité et masculinité - précisément dans ce langage.

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C'est en ce sens que nous affirmons que la langue liturgique devient langage du corps. Cela signifie une série de faits et de tâches qui forment la spiritualité du mariage, son ethos. Dans la vie quotidienne des époux, ces faits deviennent des tâches; et les tâches se traduisent en des faits. Ces faits - comme aussi les engagements - sont de nature spirituelle; toutefois, ils s'expriment en même temps selon le langage du corps.
L'auteur de l'épître aux Ephésiens écrit à ce propos: "(...) les maris doivent aimer leur femme comme leur propre corps (...)" Ep 5,28 - c'est-à-dire "comme soi même" Ep 5,33 - "et que la femme révère son mari" Ep 5,33. Du reste, qu'ils soient tous deux "soumis l'un à l'autre dans la crainte du Christ" Ep 5,21.
Le langage du corps, en tant que continuité ininterrompue de la langue liturgique, s'exprime non seulement comme l'attrait et la complaisance réciproques du Cantique des Cantiques, mais aussi comme la profonde expérience du "sacrum" qui semble s'être répandu dans la masculinité et féminité même à travers la dimension du "mysterium": "mysterium magnum" de l'épître aux Ephésiens qui plonge précisément ses racines dans l'origine, c'est-à-dire dans le mystère de la création de l'être humain: homme et femme, à l'image de Dieu, et appelés à être dès l'origine un signe visible de l'amour créateur de Dieu.

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Ainsi donc cette crainte de Dieu et ce respect dont parle l'auteur de l'épître aux Ephésiens ne sont rien d'autre qu'une forme spirituellement mûre de cet attrait réciproque: c'est-à-dire de l'homme vers la féminité et de la femme vers la masculinité, qui se révèle pour la première fois dans Gn 2,23-25 Ensuite le même attrait semble parcourir comme un large torrent les versets du Cantique des Cantiques pour trouver, dans des circonstances totalement différentes, son expression concise et concentrée dans le livre de Tobie.
La maturité spirituelle de cet attrait n'est autre que la fructification du don de crainte - un des sept dons du Saint Esprit dont saint Paul fait état dans sa première épître aux Thessalonissiens 1Th 4,4-7
Par ailleurs la doctrine de saint Paul au sujet de la chasteté comme "vie selon l'Esprit" Rm 8,5 nous permet (particulièrement sur la base de 1Co 6) d'interpréter ce respect en un sens charismatique, c'est-à-dire comme don de l'Esprit Saint

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En exhortant les époux à être soumis l'un à l'autre "dans la crainte du Christ" Ep 5,21, et par la suite, en les incitant au respect dans les relations conjugales, l'épître aux Ephésiens semble mettre en évidence, conformément à la tradition paulinienne, le fait que la chasteté est une vertu et qu'elle est un don.
C'est de cette manière, à travers la vertu , et plus encore, à travers le don (vie selon l'Esprit) que mûrit spirituellement l'attrait réciproque de la masculinité et de la féminité. Tous deux, l'homme et la femme s'éloignant de la concupiscence trouvent l'exacte dimension dans la vraie signification nuptiale du corps.
Ainsi la langue liturgique, c'est-à-dire la langue du sacrement et du "mysterium" devient dans leur vie, dans leur coexistence, un langage d'une profondeur, d'une simplicité et d'une beauté jusqu'à ce moment inconnues.
Voilà ce qui paraît être la signification intégrale du signe sacramentel du mariage. Dans ce signe - à travers le langage du corps -, l'homme et la femme vont à la rencontre du grand "mysterium" pour transférer la lumière de ce mystère - lumière de vérité et de beauté, exprimée par la langue liturgique - en langage du corps, c'est-à-dire dans le langage de la praxis de l'amour, de la fidélité, de l'honnêteté et, donc, dans l'ethos enraciné dans la Rédemption du corps Rm 8,23. Sur cette voie la vie conjugale devient, en un certains sens, liturgie.



Avec humanae vitae considérer les deux significations de

l'acte conjugal

11 juillet 1984

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Les réflexions que nous avons faites jusqu'à présent sur l'amour humain dans le plan divin demeureraient en quelque sorte incomplètes si nous ne cherchions pas à en avoir l'application concrète dans le cadre de la morale conjugale et familiale. Nous allons faire ce dernier pas qui nous mènera à la conclusion de notre désormais long chemin, dans le sillage d'une importante déclaration du récent Magistère: l'encyclique Humanae Vitae que le pape Paul VI a publiée en juillet 1968. Nous relirons cet important document à la lumière des résultats que nous avons obtenus en examinant le dessein divin initial et les paroles du Christ qui y renvoient.

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"L'Eglise enseigne que tout acte matrimonial doit rester ouvert à la transmission de la vie" HV 11 "Cette doctrine plusieurs fois exposée par le Magistère, est fondée sur le lien indissoluble, que Dieu a voulu et que l'homme ne peut rompre de son initiative, entre les deux signifilien indissoluble. Je n'entends pas présenter un commentaire au sujet de toute l'encyclique, mais plutôt en expliquer et approfondir un passage. Du point de vue de la morale chrétienne contenue dans cette encyclique, cet extrait a une signification centrale. Il constitue en même temps un élément qui est en rapport très étroit avec nos réflexions précédentes sur le mariage dans la dimension du signe(sacramentel).
Et comme - ainsi que je l'ai dit - c'est un passage central de l'encyclique, il est évident qu'il se trouve profondément inséré dans toute sa structure: son analyse doit donc porter sur les différents éléments composant cette structure, même si l'on n'a pas l'intention de commenter le texte tout entier.

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Dans mes réflexions sur le signe sacramentel, j'ai dit à plusieurs reprises qu'il est basé sur le langage du corps, relu dans la vérité. Il s'agit d'une vérité affirmée une première fois au début du mariage quand les nouveaux époux, se promettant l'un à l'autre d'"être toujours fidèles (...) de s'aimer et de s'honorer tous les jours de leur vie" deviennent ministres du mariage comme sacrement de l'Eglise.
Puis, il s'agit d'une vérité qui, peut-on dire, est sans cesse affirmée à nouveau. En effet, vivant dans le mariage "jusqu'à la mort", l'homme et la femme revivent continuellement, en un certain sens, ce signe que le jour de leurs noces ils se sont donnés eux-mêmes grâce à la liturgie du sacrement.
Les paroles de l'encyclique de Paul VI que nous avons citées concernent ce moment de la vie des époux où tous deux s'unissant dans l'acte conjugal deviennent, selon l'expression biblique "une seule chair" Gn 2,24. Précisément dans un tel moment si riche de signification, il est particulièrement important de réexaminer le langage du corps dans la vérité. Ce réexamen est une condition indispensable pour agir dans la vérité, c'est-à-dire pour se comporter conformément à la valeur et à la norme morales.

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Non seulement l'encyclique nous rappelle cette norme, mais elle cherche aussi à en donner le fondement adéquat. Pour mieux éclairer de lien indissoluble que Dieu a voulu... entre les deux significations de l'acte conjugal, Paul VI a écrit la phrase suivante: "(...) par sa structure intime l'acte conjugal, en même temps qu'il unit profondément les époux, les rend aptes à la génération de nouvelles vies, selon les lois inscrites dans l'être même de l'homme et de la femme" HV 12.
Le passage de la phrase qui exprime la norme morale à la phrase qui l'explique et la motive est particulièrement significatif. L'encyclique induit à chercher le fondement de la norme qui détermine la moralité des actions de l'homme et de la femme dans l'acte conjugal, dans la nature de cet acte même et, encore plus profondément, dans la nature des sujets mêmes qui agissent.

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De cette manière, la "structure intime" (c'est-à-dire la nature) de l'acte conjugal constitue la base nécessaire pour une lecture et une découverte adéquates des significations qui doivent transférer dans la conscience et dans les décisions des personnes qui agissent; elle constitue également la base nécessaire pour établir le rapport adéquat de ces significations, c'est-à-dire leur indissolubilité. Comme en même temps, "l'acte conjugal (...) unit profondément les époux" et, ensemble "les rend aptes à la génération de nouvelles vies" et comme l'un et l'autre adviennent "en raison de sa structure intime", il en résulte que la personne humaine "doit" (par besoin propre de la raison, la nécessité logique) considérer en même temps les "deux significations de l'acte conjugal".
Ici, il ne s'agit de rien d'autre que de lire dans la vérité le langage du corps comme je l'ai dit plusieurs fois au cours des précédentes lectures bibliques. La norme morale que l'Eglise ne cesse d'enseigner en cette matière et que Paul VI rappelle et confirme dans son encyclique découle de la lecture du langage du corps dans la vérité.
Il s'agit ici de la vérité, d'abord dans sa dimension ontologique ("structure intime"); puis, en conséquence, de sa dimension subjective et psychologique ("signification"). Le texte de l'encyclique souligne que, dans le cas en question, il s'agit d'une norme de la loi naturelle.



"HUMANAE VITAE", des normes morales fondées sur la loi

naturelle et la Traditio

18 juillet 1984

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On lit dans l'encyclique Humanae Vitae: "Quand elle rappelle les hommes à l'observance des normes de la loi naturelle interprétée par sa doctrine constante, l'Eglise enseigne que n'importe quel acte conjugal doit rester de lui- même ouvert à la transmission de la vie" HV 11.
Ce texte considère en même temps et de pus met en relief la dimension subjective et psychologique quand il fait état de la signification ou plus exactement des deux significations de l'acte conjugal.
La signification naît dans la conscience avec la prise en considération de la vérité (ontologique) de l'objet. Grâce à cette prise en considération, la vérité (ontologique) entre pour ainsi dire dans la dimension cognitive, subjective et psychologique.
L'encyclique Humanae Vitae semble attirer particulièrement l'attention sur cette dernière dimension. Cela est également confirmé indirectement, entre autres, par la phrase suivante

"Nous pensons que les hommes de notre époque sont

particulièrement en mesure de saisir le caractère profondément raisonnable et humain de ce principe fondamental" HV 12

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Ce caractère raisonnable ne regarde pas seulement la vérité dans sa dimension ontologique en ce qui correspond à la structure réelle de l'acte conjugal. Il regarde également cette même vérité dans sa dimension subjective et psychologique, c'est-à-dire la compréhension correcte de la structure intime de l'acte conjugal, c'est-à-dire l'adéquate considération des significations qui correspondent à cette structure et la considération de leur connexion inséparable, en vue d'une conduite moralement droite. C'est précisément en ceci que consistent la norme morale et, par conséquent, la régularité des actes humains dans le domaine de la sexualité. Nous pouvons dire, en ce sens, que la norme s'identifie avec la prise en considération du langage dans la vérité.

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L'encyclique Humanae Vitae contient la norme morale et sa motivation ou, tout au moins, un approfondissement de ce qui constitue la motivation de la norme. Du reste, comme la norme qui exprime la valeur morale a un caractère d'obligation, il en résulte que les actes conformes à la norme sont moralement droits, les actes contraires sont, à l'inverse, intrinsèquement illicites. L'auteur de l'encyclique souligne qu'une telle norme appartient à la loi naturelle, c'est-à- dire qu'elle est conforme à la raison comme telle. L'Eglise enseigne cette norme, bien qu'elle ne soit pas exprimée formellement (c'est-à-dire littéralement) dans la Sainte Ecriture; elle le fait dans la conviction que l'interprétation de la loi naturelle est de la compétence du Magistère.
Nous pouvons toutefois en dire plus. Même si la norme morale, telle qu'elle est formulée dans l'encyclique Humanae Vitae,ne se trouve pas littéralement dans la Sainte Ecriture, néanmoins, du fait qu'elle est contenue dans la Tradition et - comme l'écrit le pape Paul VI - qu'elle a été "maintes fois exposée par le Magistère" HV 12 il résulte que cette norme correspond à l'ensemble de la doctrine révélée contenue dans les sources bibliques HV 4.

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Ici, il s'agit non seulement de l'ensemble de la doctrine morale contenue dans la Sainte Ecriture, de ses prémisses essentielles et du caractère général de son contenu, mais également de ce complexe plus ample auquel nous avons déjà consacré de nombreuses analyses en traitant de la théologie du corps.
C'est précisément avec un si ample complexe comme toile de fond qu'il devient évident que la norme morale précitée appartient non seulement à la loi morale naturelle, mais aussi à l'ordre moral que Dieu a révélé; et, de ce point de vue également, elle ne pourrait être différente, mais seulement et uniquement telle que la transmettent la Tradition et le Magistère et, de nos jours, l'encyclique Humanae Vitae comme document contemporain du Magistère.
Paul VI écrit: "Nous pensons que les hommes de notre temps sont particulièrement en mesure de saisir la caractère profondément raisonnable et humain de ce principe fondamental" HV 12. On peut ajouter: ils sont également en mesure de saisir son caractère profondément conforme à tout ce qui est transmis par la Tradition jaillie des sources bibliques. Les bases de cette conformité sont à rechercher particulièrement dans l'anthropologie biblique. Par ailleurs, on connaît la signification de l'anthropologie pour l'éthique, c'est-à-dire pour la doctrine morale. Il semble parfaitement raisonnable de chercher précisément dans la théologie du corps le fondement de la vérité de la norme qui concerne des problèmes d'importance si fondamentale ayant trait à l'homme en tant que corps: "Les deux ne seront qu'une seule chair" Gn 2,24

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La norme de l'encyclique Humanae Vitae regarde tous les hommes du fait qu'elle est une norme de la loi naturelle et qu'elle se base sur la conformité avec la raison humaine (lorsque, bien entendu, celle-ci cherche la vérité). A plus forte raison concerne-t-elle tous les fidèles membres de l'Eglise, étant donné que le caractère raisonnable de cette norme trouve indirectement une confirmation et un solide soutien dans l'ensemble de la théologie du corps. C'est en nous plaçant à ce point de vue que, dans nos précédentes analyses, nous avons parlé de l'ethos de la Rédemption du corps.
La norme de la loi naturelle, basée sur cet ethos trouve non seulement une nouvelle expression, mais aussi un plein fondement anthropologique et éthique soit dans les paroles de l'Evangile soit dans l'action purificatrice et corroborante de l'Esprit.
Il existe toutes les raisons pour que chaque chrétien, et en particulier chaque théologien, relise et comprenne toujours plus profondément dans ce contexte intégral la doctrine morale de l'encyclique.
Les réflexions que depuis longtemps nous présentons ici constituent précisément une tentative de pareille relecture.



dans "HUMANAE VITAE" la réponse aux questions de l'homme

d'aujourd'hui

25 juillet 1984

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Nous allons poursuivre les réflexions qui visent à rattacher l'encyclique Humanae Vitae à la théologie du corps dans son ensemble.
L'auteur de l'encyclique ne se contente pas de rappeler la norme morale qui concerne la coexistence conjugale et de la confirmer face aux circonstances nouvelles. Quand, dans l'exercice de son magistère authentique, Paul VI s'est prononcé dans son encyclique (1968), il avait sous les yeux l'énoncé autorisé du Concile Vatican II contenu dans la constitution Gaudium et Spes (1965).
Non seulement l'encyclique suit la ligne de l'enseignement conciliaire, mais elle constitue également le développement et l'achèvement des problèmes qu'il contient, particulièrement en ce qui concerne le problème de l'accord de l'amour humain avec le respect de la vie. A ce sujet, nous lisons dans Gaudium et Spes: "L'Eglise rappelle qu'il ne peut y avoir de véritable contradictions entre les lois divines qui régissent la transmission de la vie et celles qui favorisent l'authentique amour conjugal" GS 51

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La constitution pastorale de Vatican II exclut n'importe quelle véritable contradiction dans l'ordre normatif; ce que Paul VI confirme de son côté, cherchant en même temps à éclairer cette "non-contradiction" et, de cette manière, à motiver sa propre morale, en démontrant sa conformité avec la raison.
Toutefois, Humanae Vitae parle moins de la non- contradiction dans l'ordre normatif que de la connexion inséparable entre la transmission de la vie et l'authentique amour conjugal, du point de vue des "deux significations de l'acte conjugal: la signification unitive et la signification procréatrice" HV 12 dont nous avons traitée.

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On pourrait se pencher longuement sur l'analyse de la norme elle-même; mais le caractère de chacun des deux documents nous entraîne plutôt, au moins indirectement à des réflexions pastorales. En effet Gaudium et Spes est une constitution pastorale et l'encyclique de Paul VI tend, avec sa valeur doctrinale, à avoir la même orientation. Elle veut en effet répondre aux interrogations de l'homme contemporain. Ces interrogations sont de caractère démographique et, par conséquent, de caractère social, économique et politique, en relation avec la croissance de la population sur le globe terrestre. Ce sont des interrogations qui partent du domaine de sciences particulières et avec elles vont de pair les interrogations des moralistes contemporains (théologiens- moralistes). Ce sont avant tout les interrogations des époux, qui se trouvent déjà au centre de l'attention de la constitution conciliaire et que l'encyclique reprend avec toute la précision désirable. Nous y lisons en effet: "Etant donné les conditions de la vie actuelle et considérant la signification que les relations conjugales ont pour l'harmonie entre les époux et pour la mutuelle fidélité, une révision des normes éthiques jusqu'à présent en vigueur ne serait-elle pas indiquée, surtout si l'on considère qu'elle ne peuvent être observées sans sacrifices, parfois héroïques?" HV 3

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Cette formulation montre à l'évidence avec quelle sollicitude l'auteur de l'encyclique cherche à affronter dans toute leur portée les interrogations de l'homme contemporain. L'importance de ces interrogations suppose une réponse proportionnellement pondérée et profonde. Si, donc, d'une part il est juste de s'attendre à ce que la norme soit traitée de manière incisive, il est également juste de s'attendre à ce qu'un non moindre poids soit donné aux arguments pastoraux concernant plus directement la vie des hommes concrets, de ceux précisément qui posent les questions que nous avons mentionnées au début.
Ces hommes, Paul VI les a toujours eus sous les yeux. C'est ce qu'exprime, entre autres, le passage suivant d'Humanae Vitae: "La doctrine de l'Eglise sur la régulation des naissances, qui proclame la loi divine, pourra sembler, à certains, difficile ou même impossible à observer. Il est vrai que, comme toutes les grandes et bénéfiques réalités, elle requiert un sérieux engagement et de nombreux efforts, individuels, familiaux et sociaux. Et même, elle serait irréalisable sans l'aide de Dieu qui soutient et corrobore la bonne volonté des hommes. Mais à qui réfléchit bien, ces efforts ne manqueront pas de se révéler ennoblissants pour l'homme et bénéfiques pour la société humaine" HV 20.

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A ce point là, on ne parle plus de la "non-contradiction normative" , mais de la "possibilité de l'observance de la loi divine",, c'est-à-dire d'un sujet, au moins indirectement, pastoral. Le fait que la loi doit être de réalisation possible appartient à la nature même de la loi et se trouve donc contenu dans le cadre de la "non-contradiction normative". Toutefois la "possibilité" de la norme - comprise comme réalisable - appartient également au domaine pratique et pastoral. C'est précisément à ce pont de vue que se place Paul VI dans le texte précisé.

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On peut ici ajouter une considération: le fait que tout l'arrière-plan biblique ,dénommé "théologie du corps", nous offre - même indirectement - la confirmation de la vérité de la norme morale contenu dans Humanae Vitae nous prépare à considérer plus à fond les aspects pratiques et pastoraux du problème dans son ensemble. Les prémisses et principes généraux de la théologie du corps n'étaient-ils pas toutes et tous puisés dans les réponses que le Christ donna aux questions de ses interlocuteurs concrets? Et les textes de Paul, - comme par exemple ceux de l'épître aux Corinthiens - ne forment-ils pas un petit manuel concernant les problèmes de la vie morale des premiers disciples du Christ? Et dans ces textes, nous trouvons à coup sûr cette règle de compréhension qui semble tellement indispensable pour faire face aux problèmes dont traitent Humanae Vitae, règle qui est présente dans cette encyclique.
Ceux qui estiment que le Concile Vatican II et l'encyclique de Paul VI ne tiennent pas suffisamment compte des difficultés présentes dans la vie concrète ne comprennent pas les préoccupations pastorales qui furent à l'origine de ces documents. "Préoccupation pastorale" signifie recherche du vrai bien de l'homme, promotion des valeurs que Dieu a imprimées dans sa personne, signifie donc réalisation de cette "règle de compréhension" qui vise à découvrir toujours plus clairement le dessein de Dieu au sujet de l'amour humain, dans la certitude que l'unique et vrai bien de la personne humaine consiste dans la réalisation de ce dessein divin.
On peut dire que c'est précisément au nom de la "règle de compréhension" précitée que le Concile a posé la question de "l'accord de l'amour conjugal avec le respect de la vie" GS 51; et par la suite, l'rappelé les normes d'application obligatoire dans ce domaine, mais, en outre, elle s'occupe largement du problème de "la possibilité de l'observance de la loi divine".
Les présentes réflexions sur le caractère du document Humanae Vitae nous préparent à considérer par la suite le problème de la "paternité responsable".




2002 Magistère Mariage 1510